Cet article a été publié à l'origine dans le journal Guardian, le 3 mars 2005
par Richard Stallman
Le gouvernement du Royaume-Uni a financé le développement de logiciels utiles pour le e-gouvernement et ne sait maintenant pas quoi en faire. Quelqu'un a eu la brillante idée de les remettre aux municipalités en les invitant à se transformer en sociétés de logiciels.
Le public a déjà payé pour développer ces logiciels. N'est-il pas absurde de le faire payer maintenant pour avoir le droit de les utiliser ? N'est-il pas absurde de restreindre ce qu'il peut faire avec ? Hélas, une telle absurdité n'est pas inhabituelle ; c'est une pratique courante des gouvernements que de mettre dans le privé des logiciels financés sur des fonds publics, de les mettre dans les mains de sociétés qui feront mendier au public (et même au gouvernement) le droit de les utiliser ensuite.
Pire, ils imposent des restrictions frustrantes aux utilisateurs, leur empêchant d'accéder au code source du logiciel, c'est-à-dire les plans qu'un programmeur peut lire, comprendre et modifier. Tout ce que les utilisateurs obtiennent, c'est un exécutable, une « boîte noire », de sorte qu'ils ne peuvent pas l'adapter, le comprendre ou même vérifier ce qu'elle fait.
Il y a une explication sensée à cette politique insensée. Il s'agit de s'assurer que quelqu'un s'occupera du logiciel, corrigera les problèmes qui apparaîtront inévitablement et adaptera le logiciel à de nouveaux besoins. Les gens avaient l'habitude de croire que d'avoir une société contrôlant tous les usages du logiciel et gardant les utilisateurs sous sa férule, était la seule manière d'y arriver.
Aujourd'hui, nous connaissons un autre moyen : le logiciel libre (également connu sous le terme « open source » ou « Foss »*). Un logiciel libre signifie que les utilisateurs sont libres de l'utiliser, de le redistribuer, de l'étudier ou même de l'étendre pour qu'il fasse plus de choses.
Le mot « free » se réfère à la liberté, pas au prix; penser à « free speech » (discours libre), non à « free beer » (bière gratuite). Là où les utilisateurs attachent de l'importance au support et souhaitent payer pour cela, le logiciel libre permet un marché libre du support au lieu d'un monopole. Le logiciel libre offre également aux agences gouvernementales un moyen de remplir leurs obligations en conservant un contrôle total sur l'état de leurs ordinateurs, en ne laissant pas ce contrôle tomber en des mains privées.
Depuis 1984, des groupes de volontaires ont développé et maintenu des programmes libres utiles et puissants. Peu au début, puis des systèmes d'exploitation complets tels que GNU+Linux et BSD. Aujourd'hui, le Free Software Directory - le répertoire des logiciels libres - (http://www.gnu.org/directory) recense pratiquement 4000 paquetages de logiciels libres. Le gouvernement du Royaume-Uni a déjà décidé d'augmenter son utilisation de logiciels libres ; voici une parfaite opportunité pour à la fois les utiliser et y contribuer.
Le Cabinet du Premier ministre devrait rendre libres les programmes de e-gouvernement, créer un site pour héberger leur développement et engager un petit nombre de personnes pour superviser le travail. Alors les gouvernements de par le monde commenceront à utiliser ces logiciels, à les corriger, à les étendre et à contribuer en retour.
Le monde entier en bénéficiera et tous les utilisateurs admireront la houlette britannique.
- Richard Stallman a lancé le système d'exploitation GNU (www.gnu.org) en 1984 et a fondé la Free Software Foundation - Fondation pour le logiciel libre - (fsf.org) en 1985.
* Foss : Free and Open Source Software - Logiciel libre et open source.