The Project Gutenberg EBook of Memoires secrets de Fournier l'Americain by Claude Fournier Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: Memoires secrets de Fournier l'Americain Publies pour la premiere fois d'apres le manuscrit des Archives Nationales, avec introduction et notes par F.-A. Aulard Author: Claude Fournier Release Date: September, 2005 [EBook #8864] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on August 16, 2003] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ISO Latin-1 *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MEMOIRES SECRETS DE FOURNIER *** Produced by Distributed Proofreaders SOCIETE DE L'HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANCAISE * * * * * MEMOIRES SECRETS DE Fournier l'Americain PUBLIES POUR LA PREMIERE FOIS D'APRES LE MANUSCRIT DES ARCHIVES NATIONALES AVEC INTRODUCTION ET NOTES PAR F.-A. AULARD [Illustration] PARIS, AU SIEGE DE LA SOCIETE 4, RUE DE FURSTENBERG, 4 1890 INTRODUCTION I Claude Fournier l'Heritier, dit l'_Americain_ a cause de son long sejour a Saint-Domingue, naquit a Auzon (Haute-Loire), le 21 decembre 1745[1]. Il etait fils d'un tisserand. Vers l'age de quinze ans[2], il alla chercher fortune aux colonies et passa vingt et une annees a Saint-Domingue. Il dit y avoir servi pendant seize ans dans les dragons des milices bourgeoises. Il y fonda une guildiverie, ou fabrique de tafia, qui, dit-il, prospera; mais, elle fut detruite par un incendie que Fournier attribua a la malveillance de ses voisins. Ruine, il revint en France pour demander justice et harcela les ministres de ses placets. En 1785, il obtint du ministre de la marine une pension de 500 livres par mois, mais elle ne lui fut jamais payee. [Note 1: Voici son acte de naissance: "Claude Fournier, fils a autre Claude, cadissier de cette ville, et a Jeanne Lheritier, ses pere et mere, maries, ne hier, et a ete baptise par moi, cure, soussigne, le 22 decembre 1745. Parrain: Claude Fournier, horloger; sa marraine: Elisabeth Pruneyres, de cette ville. Ont ete presents: Joseph Fournier et Antoine de Mathieu, boulanger, oncles. Ils ont signe a la minute, a l'exception de la marraine qui a declare ne savoir signer. MARTINON, cure chanoine."--Nous devons communication de cet extrait du registre de la paroisse de Saint-Laurent d'Auzon a l'obligeance d'un erudit habitant de Brioude, M. Paul Le Blanc.] [Note 2: D'apres un de ses biographes, M.H. Doniol, il aurait ete, avant son depart, domestique chez un officier de marine a Auzon, puis chez un officier de cavalerie a Clermont. (_L'Art et l'Archeologie en province_, t. IX, p. 72.)] Quand la Revolution eclata, il y joua un role actif auquel il avoue avoir ete determine autant par mecontentement que par conviction. Il fut certainement un des premiers qui, a la veille de la prise de la Bastille, organiserent une force armee revolutionnaire. On le vit parmi les acteurs les plus energiques des journees des 5 et 6 octobre 1789, du 17 juillet 1791, du 20 juin et du 10 aout 1792. Il commanda la troupe de Marseillais et de gardes nationaux parisiens qui servit d'escorte aux prisonniers detenus a Orleans et les mena a Versailles, ou ils furent massacres le 8 septembre 1792. Cette partie de la vie de Fournier (juillet 1789 a septembre 1792) fait l'objet de ses memoires: nous n'avons donc pas a la raconter. La conduite tenue par Fournier dans l'affaire des prisonniers d'Orleans lui attira les accusations les plus graves. On l'accusa a la fois d'assassinat et de vol. Il semble pourtant qu'il fut etranger aux massacres dont ces prisonniers furent victimes a Versailles. Ceux-ci avaient ete separes de leur escorte par la foule, et Fournier n'etait pas a leurs cotes quand ils perirent. D'autre part, les eloges publics et ecrits que Roland donna a Fournier semblent le disculper a tous les points de vue. En effet, le 6 octobre 1792, Roland ecrivait a la Convention pour lui signaler la conduite _edifiante_ de Fournier et demander "un dedommagement pour ce citoyen, qui a montre beaucoup de zele et de patriotisme[3]"; et, le 14, il adressait au meme personnage une lettre de felicitations[4]. [Note 3: Mortimer-Ternaux, _Histoire de la Terreur_, III, 594.] [Note 4: Papiers de Fournier, aux Archives nationales, F7 6504.] Il est fort possible que Fournier ait traite durement les prisonniers confies a sa garde, mais la _septembrisade_ de Versailles ne doit pas lui etre imputee. Fournier eut plus de mal a se disculper de l'accusation d'improbite. Il passait pour avoir dilapide l'argent qui lui avait ete confie par la Commune en vue de son expedition et pour avoir soustrait a son profit une partie des effets des prisonniers. Il fut meme arrete quelques jours apres son retour d'Orleans; mais la Commune ordonna sa mise en liberte, par arrete du 20 septembre 1792[5]. [Note 5: Mortimer-Ternaux, III, 588.--Cet auteur a consulte les registres de la Commune de Paris, aujourd'hui detruits.] Il est certain qu'une partie des effets des prisonniers disparut. Mais Fournier affirma que cette disparition avait eu lieu depuis qu'il n'etait plus responsable de ce depot. Voici d'ailleurs le compte qu'il rendit au ministre de l'interieur: 1 deg. Il a pris a Etampes, en allant a Orleans, deux pieces de canon avec leurs affuts et trois caissons d'artillerie, le tout bien conditionne, et les a remis a l'Hotel de Ville, dont le general Santerre doit en rendre compte. 2 deg. A Orleans, il a fait remettre toutes les malles appartenant aux prisonniers d'Etat, ainsi que plusieurs autres effets, tant argenterie qu'autres objets, trouves dans les prisons. Le tout a ete renferme dans chaque chambre des prisonniers dont il a lui-meme ferme les portes et remis les clefs au geolier, en presence de MM. Garran de Coulon et Bourdon [de] la Crosniere, commissaire du pouvoir executif, pour le tout etre remis a qui de droit. 3 deg. Arrive a Versailles, jour du massacre des prisonniers, tous leurs effets et bagages ont ete remis entre les mains de la Commune de Versailles[6]. Ces memes effets m'ont ete remis pour etre deposes entre les mains du ministre de la justice, ce que j'ai fait en arrivant a Paris. M. Danton m'a observe qu'il fallait deposer le tout a l'Hotel de Ville; et j'ai rempli cette mission et ai fait faire un inventaire du tout, ainsi que d'une cassette qui m'avait ete confiee, de meme qu'un paquet que M. Delessart m'avait remis en secret, contenant plusieurs lettres de change et d'autres papiers importants, dont je me suis cru oblige de faire le depot plutot que de le remettre a l'adresse qu'il m'avait indique. [Note 6: Le proces-verbal qui fut dresse a cette occasion (10 septembre 1792) se trouve dans les papiers de Fournier.] 4 deg. Il a ete remis, par les volontaires du detachement, de l'or monnaye et autre argent, ainsi que des billets nationaux, montres et autres effets a la Commune de Versailles en depot pour en rendre compte. Je certifie le tout sincere et veritable. A Paris, le 5 octobre, l'an 1er de la Republique francaise. Signe: FOURNIER[7] [Note 7: Fournier se fit delivrer, le 30 brumaire an V, aux Archives, une copie certifiee de cette lettre. Cette copie fait actuellement partie de la collection d'autographes de M. Etienne Charavay, qui a bien voulu nous la communiquer.--Ces comptes de Fournier ont d'ailleurs ete deja publies par Mortimer-Ternaux, III, 590.] En meme temps, il remit a Roland un etat detaille de ses depenses. Roland se declara satisfait, approuva hautement Fournier par ses lettres a la Convention des 5 et 6 octobre 1792 et, comme Fournier reclamait une indemnite pour frais extraordinaires et que toutes les depenses de l'expedition n'avaient pas ete reglees, la Convention, par decret du 9 decembre suivant, vota les credits necessaires. Le general de l'expedition d'Orleans se trouva ainsi couvert par l'approbation directe de Roland et par l'approbation indirecte de la Convention. Malheureusement pour lui, il arriva que le proces-verbal du depot qu'il avait effectue a la Commune de Paris fut egare. Il ne put obtenir qu'une attestation du secretaire greffier Coulombeau qu'il avait rendu ses comptes[8], mais non un etat detaille. Or, lui-meme nous apprend que les plus precieux objets avaient disparu dans l'intervalle. De la les soupcons, vraisemblablement injustes, dont il fut poursuivi toute sa vie. [Note 8: Cette attestation, en date du 12 aout 1793, se trouve aux Archives, dans les papiers de Fournier.] Denonce et surveille, il fut l'objet, en mars 1793, d'un rapport de police ou il est traite de chevalier d'industrie associe a une coquine, la femme Marthe Fonvielle, dite Pujol, sa maitresse, et a une pretendue marquise de Saint-Giran (Voir ses papiers, aux Archives). Marat ne pouvait lui pardonner d'avoir ete protege par Roland. Dans la seance du 12 mars 1793, il le signala comme etant un des instigateurs de l'insurrection avortee du 10 mars. Fournier fut decrete d'arrestation. Voici le compte rendu officiel de l'interrogatoire qu'il subit le lendemain 13 mars, a la barre de la Convention: Le citoyen Fournier, qui avait ete mis en etat d'arrestation, est introduit a la barre. Il demande qu'il lui soit fait part du chef d'accusation articule contre lui, afin qu'il puisse repondre sur chaque article. Le citoyen Bourdon (de l'Oise), depute, depose sur le bureau une denonciation signee, concue en ces termes: "J'ai entendu Fournier faire des reproches a deux ou trois inconnus de ne l'avoir pas appuye; que, sans cela, il aurait brule la cervelle a Petion.--_Signe_: BOURDON." Fournier, interroge, repond que ce fait est faux, que le citoyen Petion a passe pres de lui dans le jardin qui avoisine la salle, qu'il a entendu qu'on le huait, mais qu'il n'a tenu la-dessus aucun propos. Interroge sur la connaissance qu'il a des evenements du 9 au 10 [mars 1793], il repond qu'il etait aux Jacobins lorsqu'on y fit la motion de se transporter en foule aux Cordeliers; qu'il s'y rendit de suite pour faire part de l'arrivee des motionnaires; que ceux-ci demandaient qu'on se saisit de tous les ennemis de la patrie, qu'on fermat les barrieres, etc.; que, sur ces entrefaites, il fut question de deputer vers la Commune; qu'il avait vu alors un homme inconnu qui voulait se nantir des pouvoirs de la deputation, mais qu'il s'en etait empare lui-meme pour eviter qu'ils ne tombassent en mauvaises mains; qu'il avait parle au procureur de la Commune et au maire: que ce dernier l'avait engage a employer les moyens qu'il croirait les plus efficaces pour tout pacifier; qu'il etait retourne aux Cordeliers pour calmer les esprits; que, de la, il s'etait porte a sa section, qu'il avait trouvee fermee, et qi'il etait rentre chez lui. Interroge pour savoir s'il a connaissance d'un Comite d'insurrection, a dit ne rien savoir sur cet objet[9]. [Note 9: Cependant Garat, dans son rapport du 19 mars 1793, signala Fournier, Varlet et Champion parmi les Cordeliers qui tenterent d'organiser ce comite d'insurrection. (_Moniteur_, XV, 750.)] Interpelle, d'apres la demande du citoyen Lidon, depute, de declarer s'il n'a rien a dire qui soit relatif a des effets qui lui ont ete remis par les prisonniers detenus a Orleans, il a repondu que beaucoup de papiers, d'assignats et d'effets precieux lui avaient ete remis par Delessart et autres prisonniers, qu'il avait fait inventorier le tout par la municipalite de Versailles et en avait retire proces-verbal; qu'arrive a Paris apres le massacre qui fut fait des prisonniers, il voulait consigner le depot entre les mains du citoyen Roland, ministre de l'interieur, mais que le citoyen Danton, ministre de la justice, lui dit de le porter a la Commune; qu'il declara au Conseil de la Commune qu'il ne remettrait rien sans un recu; qu'on lui en fit un des caisses; que, le lendemain, l'inventaire de verification fut fait en presence de temoins; qu'il en demanda une double expedition; qu'on le renvoya au lendemain, et ensuite de jour en jour; qu'ayant ete quelque temps apres en campagne, on decerna un mandat d'arret contre lui, sous pretexte qu'il avait retenu 36,000 livres. Il assure que cette arrestation n'avait eu d'autre but que de lui enlever les papiers qui etaient relatifs au depot; que l'on avait cru que, par ce moyen, cette affaire resterait la, mais que le Conseil de la Commune s'occupait de l'apurement de ce compte et des verifications necessaires. Un membre du Comite de surveillance dit que l'on n'a rien trouve dans les papiers de Fournier qui puisse motiver une plus longue arrestation. Sur la proposition d'un autre membre, l'Assemblee decrete que le citoyen Fournier sera mis en liberte, sauf a etre entendu comme temoin par le Tribunal extraordinaire[10]. [Note 10: _Proces-verbal de la Convention_, VII, 300-302.] Mais Marat s'acharna apres Fournier. Dans le _Publiciste de la Republique francaise_ du 9 mai 1793, il l'accusa d'etre un ambitieux, un espion, un parasite. Fournier repondit par un factum apologetique[11] ou il y a des renseignements sur sa situation de fortune. Apres avoir rappele qu'il est venu en France au sujet de la propriete dont il a ete depouille a Saint-Domingue: "Un premier jugement par defaut, dit-il, vient de m'accorder un provisoire de 400,000 livres. Je toucherai cette somme dans peu, si le jugement est confirme contradictoirement. Jusque-la, je suis en effet miserable. Mes ressources sont uniquement fondees sur la confiance officieuse de mes amis. Je leur dois 78,000 livres, en 22 articles, dont j'ai toutes pretes les preuves." Marat demandait a Fournier de quel argent il avait paye une maison de campagne recemment achetee par lui. Il reconnut avoir achete, depuis plus de deux ans, un jardin a sept lieues de Paris, a Verneuil (Seine-et-Oise): mais il ne l'a pas paye. "S'assurer de ce fait chez le vendeur, Pasquier, marchand de vin, rue de Thionville, a cote du club de Cordeliers." [Note 11: _A Marat, journaliste_. Paris, 14 mai an II, in-4 de 7 pages.] On le voit: les explications de Fournier ne sont pas tout a fait a son honneur. Cependant, Marat etant mort, la Commune de Paris lui donna une mission de confiance: elle le chargea, le 26 juillet 1793, d'aller acheter des grains dans les departements du Puy-de-Dome, de la Haute-Loire et autres circonvoisins. Nous ne savons comment il s'acquitta de cette mission, ni meme s'il la remplit reellement. Fournier fut un de ceux qui, en aout 1793, denoncerent la comedie de _Pamela_ comme etant une apologie seditieuse de la noblesse[12]. [Note 12: _Pamela ou la vertu recompensee_, comedie en cinq actes et en vers, par Francois de Neufchateau, fut representee pour la premiere fois au Theatre de la Nation, le 1er aout 1793. On trouvera dans l'_Histoire du Theatre-Francais_, par Etienne et Martainville (tome III, pages 99 a 105), l'histoire des incidents qui troublerent les representations de cette piece et amenerent l'arrestation de l'auteur et des comediens. Voir aussi E. Bire, _Paris pendant la Terreur_, p. 287.] A la meme epoque, il petitionnait a la Convention pour reclamer la formation d'une armee revolutionnaire: il se voyait deja general de cette armee. En octobre suivant, il fut un instant emprisonne a Versailles a cause d'un duel[13]. [Note 13: Seance du club des Jacobins du 15 octobre 1793: "_Blanchet_: Fournier, qui denonca, il y a quelque temps, l'incivisme du Theatre-Francais relativement a _Pamela_, qui a donne depuis la Revolution des preuves reiterees de patriotisme, est actuellement en prison a Versailles. Il a ete arrete sous le pretexte d'un duel. La Societe doit son appui a cet officier, connu par son civisme. "Un membre du Comite de correspondance rend compte des demarches qu'il a faites a ce sujet; il annonce que Fournier va etre mis en liberte."] Depuis sa querelle avec Marat, Fournier avait ete elimine du club des Cordeliers, comme un faux frere, un renegat. Denonce par Vincent, il fut arrete dans le club meme, au moment ou il essayait d'y rentrer de force (22 frimaire an II--12 decembre 1793), comme il ressort du curieux document inedit qu'on va lire: CLUB DES CORDELIERS _Seance du duodi 22 frimaire, l'an second de la Republique francaise une et indivisible._ _Presidence de_ MOMORO. On faisait lecture de la correspondance lorsqu'un membre fait la proposition de laisser introduire Dunouy l'aine et Fournier, dit l'Americain, dans la Societe. A ces noms, la Societe a reconnu d'abord dans Dunouy l'aine un de ses membres qui l'avait abandonnee et ne paraissait plus dans son sein depuis la scission que des scelerats ont tentee en cherchant a detruire le club des Cordeliers et n'a pas vu sans etonnement le retour de cet homme dans son sein, a l'instant ou il venait d'etre eloigne du sein de la Commune, comme ayant apostrophe et parle avec dedain et mepris du peuple[14]. [Note 14: Dunouy avait en effet ete exclu de la Commune, le 12 frimaire an II, comme "exagere". (_Moniteur_, XVIII, 580.)] Elle a egalement vu dans Fournier un individu expulse de son sein comme protecteur de la faction liberticide des rolandistes et des girondistes, un des plus cruels ennemis de Marat, un de ses denonciateurs perfides. Apres discussion, l'Assemblee a passe a l'ordre du jour sur la proposition d'introduction dans son sein des nommes Dunouy et Fournier. Les individus qui avaient deja mis un pied dans la salle voulurent reclamer, mais le president fut charge de maintenir l'execution de l'arrete et les censeurs inviterent Dunouy et Fournier a se retirer. Ils semblaient etre hors de la salle, les travaux de l'Assemblee reprenaient leur cours et la porte battante les tenait separes du local des seances, lorsque l'on renouvelle la proposition de laisser introduire Fournier, dit l'Americain, qui, disait-on, voulait etre entendu. A l'instant, la Societe manifeste [son] animadversion par un mouvement spontane de justice (_sic_) et d'indignation de se voir interrompue dans ses travaux par des hommes auxquels elle etait fondee de refuser l'entree de ses seances. On apercevait Fournier au travers de la porte faire des signes de menace. Un orateur etant monte a la tribune pour y developper, avec l'energie dont doit etre anime tout Cordelier, les justes motifs du refus de la Societe de laisser introduire dans son sein Fournier, et la Societe ayant maintenu son premier arrete, a l'instant la porte a ete foncee avec violence, Fournier s'est introduit dans la salle et, montrant au doigt l'orateur, il lui a dit d'un ton furieux et menacant, et le bras leve, qu'il saurait bien le faire traduire au Tribunal revolutionnaire; cette menace a occasionne une nouvelle scene et un second mouvement d'indignation. Considerant que ce citoyen a apporte du trouble dans sa seance, considerant qu'il a porte atteinte aux droits de la liberte, qui lui sont garantis par les lois, considerant que cette violence, dans un moment ou elle avait convoque les membres extraordinairement pour s'occuper d'un des plus grands interets de la Republique, presentait quelque chose de suspect, a arrete que ledit Fournier serait envoye au Comite revolutionnaire de la section de l'Unite, qui serait invite a suivre suivant la rigueur des lois, que le detail de tous les faits serait insere au proces-verbal, qu'expedition d'icelui sera envoyee aux Comites revolutionnaires et au Comite de surete generale, invite tous les citoyens qui auront de justes denonciations a faire contre ledit Fournier a se presenter devant les autorites constituees et nomme, pour porter lesdits proces-verbaux et suivre la dite affaire, les citoyens Rault, Auge, Brochet, Fenau, Cahier, officier gendarme. _Signe au registre:_ MOMORO, president, et GUILLAUMIN jeune, secretaire. _Delivre conforme au registre par moi, secretaire soussigne:_ GUILLAUMIN jeune, secretaire. Fournier fut enferme a l'Abbaye. Le 12 germinal an II (1er avril 1794), il y fut interroge par la Commission administrative de la police de Paris au sujet d'une sorte de manifeste royaliste qu'on avait trouve dans ses papiers. Le 11 fructidor suivant (28 aout 1794), le Comite revolutionnaire de la section du Contrat-Social demanda sa mise en liberte, en disant qu'il etait faux qu'il eut calomnie Marat. Un arrete du Comite de surete generale en date du 1er vendemiaire an III (22 septembre 1794) lui ouvrit les portes de sa prison: il y etait reste un peu plus de neuf mois. Ses tribulations etaient loin d'etre finies. Il fut arrete de nouveau le 19 ventose an III (9 mars 1795) et conduit a la Force, d'ou il ecrivit au Comite de surete generale la lettre suivante: Claude Fournier, cultivateur, aux representants du peuple membres du Comite de la surete generale de la Convention. _De la maison d'arret de la Force, le 26 messidor, l'an III de la Republique une et indivisible._ Citoyens representants. J'ai ete arrete par votre ordre le 19 pluviose (_sic_) dernier et mis en detention a la maison de la Force, ou je suis encore. J'ignore quels sont les motifs de ma detention. Je n'ai pas encore ete interroge. Cette nouvelle captivite est la suite d'une premiere qui a dure quatorze mois. J'ose assurer, affirmer meme, que ni l'une ni l'autre n'ont ete meritees. Cependant ma fortune, deja alteree par les malheurs que j'ai eprouves sous le despotisme royal, se reduit presque a rien maintenant, tant par les sacrifices que j'ai faits pour ma patrie pendant la Revolution, dont je suis un des premiers apotres, que par les persecutions que j'eprouve depuis pres de deux ans. Une circonstance particuliere vient encore ajouter a mes peines. Je tiens a loyer un appartement situe rue du Doyenne, section des Tuileries. Le bail vient d'expirer le 1er juillet (_vieux style_). Le principal locataire vient de me faire faire une sommation de vider les lieux de mes meubles, et ce dans le jour, sinon il me menace de les faire jeter sur le carreau. Il m'est impossible, citoyens representants, de satisfaire a cette sommation, puisque je suis prive de ma liberte. Une autre raison m'en empeche encore: ce sont les scelles apposes par votre ordre chez moi. La perplexite dans laquelle je me trouve est telle que, si celui qui me poursuit n'est point arrete dans sa course judiciaire, mes meubles et effets vont etre exposes au pillage et mes papiers perdus. Je pense, citoyens representants, que vous exposer ma situation c'est vous en indiquer le remede. Il est tout entier et uniquement dans votre justice. Je la reclame, elle m'est due, et vous ne me la refuserez pas. Si j'avais ete a meme de connaitre les faits que l'on m'impute, je me serais empresse de les detruire. Mais telle est la conduite tyrannique de mes ennemis envers moi: ils frappent tous leurs coups dans les tenebres, bien convaincus qu'ils sont que, s'ils paraissaient au grand jour, ils ne tarderaient pas a etre couverts de confusion. Quoi qu'il en soit, citoyens representants, et quoi qu'il m'en ait deja coute, je supporte mes malheurs avec la fermete republicaine qui m'est propre. Mon silence meme est peut-etre plus accablant pour ceux qui me persecutent qu'une defense publique, quelque eclatante qu'elle puisse etre. Je demande, citoyens representants, que provisoirement vous fassiez suspendre les poursuites que le citoyen Chatelain ou quoi que ce soit (_sic_) le citoyen Bligny, son homme d'affaires, demeurant rue Neuve-Egalite, n deg. 297, section de Bonne-Nouvelle, dirigent contre moi, jusqu'a ce que vous ayez statue sur ma detention. Je vous demande egalement, au nom de la justice, que vous vous fassiez rendre compte des motifs de mon arrestation, que vous ordonniez qu'ils me seront communiques afin que j'y puisse repondre et vous mettre a meme de me rendre ma liberte, dont je suis prive depuis si longtemps et avec tant d'injustice. FOURNIER[15]. [Note 15: _Collection de M. Etienne Charavay._] Dans un interrogatoire que Fournier subit quatre jours plus tard devant le Comite de surete generale, il declara encore ignorer les motifs de son arrestation et on ne les lui donna pas tout d'abord. En realite, il etait implique dans la procedure commencee par le tribunal criminel de Seine-et-Oise contre les auteurs des massacres commis a Versailles le 8 septembre 1792[16]. Il beneficia de l'amnistie du 4 brumaire an IV, les poursuites contre lui furent abandonnees et on le rendit a la liberte. [Note 16: M. Mortimer-Ternaux (III, 601-607) a publie cinq depositions de temoins faites contre Fournier a cette occasion.] Il se retira alors dans sa maison de campagne de Verneuil. Mais les attaques des feuilles thermidoriennes l'y poursuivirent, comme le prouve la lettre suivante, qu'il ecrivit en l'an V au redacteur du _Journal des hommes libres_[17]: [Note 17: Le _Journal des hommes libres_, continuation du _Republicain_ (par Charles Duval et autres), commenca a paraitre sous ce titre a partir du 29 juin 1793.] Je vous prie, citoyen, d'inserer dans votre feuille la note ci-jointe. Vous obligerez un concitoyen qui desire dans tous les temps vous en temoigner sa reconnaissance. "Quelle a ete ma surprise de voir dans la feuille intitulee _le Miroir_[18] la note suivante: [Note 18: Le _Miroir_, redige par le royaliste Beaulieu, commenca a paraitre le 11 floreal an IV.] "Il n'est personne dans la Revolution qui n'ait entendu parler d'un nomme Fournier l'Americain, fameux par cent expeditions revolutionnaires et notamment celle envers les prisonniers d'Orleans. Un jeune homme de Lyon, nomme Maupetit, age de vingt-huit ans, a consenti a se battre en duel avant-hier au bois de Boulogne avec cet individu, et a recu une blessure mortelle." "Je dois repondre aux calomnies des journaux chouans, qui veulent me qualifier d'assassin, par les tournures qu'ils veulent donner dans leurs sales feuilles malheureusement publiques. Je suis fort tranquille chez moi, depuis ma sortie des prisons, il y a environ un an, detenu par la tyrannie du Comite de surete generale pour cause non expliquee; plus, avoir reste encore quinze mois sous la tyrannie du Comite de salut public et de surete generale, reputee _tyrannie de Robespierre_, et ce pour cause encore non expliquee. "Enfin, il est bon que toute la France sache que j'ai ete tyrannise de cachots en cachots, dans toutes les prisons de Paris pendant trois ans, et ce sans avoir jamais ete ni interroge, ni entendu, tous mes papiers enleves de chez moi, que je n'ai pu jusqu'a ce moment obtenir; [ce] qui prouve bien clairement que je n'ai jamais ete l'assassin de personne, que bien au contraire je suis devenu la proie de tous les intrigants, voleurs, agioteurs, royalistes et calomniateurs, tels que le _Miroir_ et autres journalistes a gages que j'ai confondus devant les tribunaux de police, notamment le _Courrier_, dit _Republicain_[19], au sujet de la denonciation d'un nomme Malgana, mouchard de je ne sais qui. [Note 19: Le _Courrier republicain_, continuation du _Courrier francais_, avait commence a paraitre le 10 brumaire an II. Il etait redige par un certain Auvray.] Par consequent, etant a sept lieues de Paris a cultiver mon jardin, je peux prouver a ce _Miroir_ que je ne suis point le Fournier qui a eu cette affaire avec M. Maupetit, de Lyon, et qu'il n'a voulu profiter du nom de Fournier que pour me calomnier. Enfin, quand est-ce que finiront mes tourments, depuis 1782 jusqu'a ce jour, tyrannise sous le gouvernement royal et sous les gouvernements qui lui ont succede, sans pouvoir obtenir justice que je ne cesse de reclamer? Citoyen, si mes moyens m'eussent permis de me faire imprimer, je vous aurais evite la peine de transmettre cette note dans votre journal. J'espere que vous vous ferez un plaisir de l'inserer dans dans votre plus prochain numero. FOURNIER[20]. [Note 20: _Collection de M. Etienne Charavay_.--Cette lettre est sans date. Mais Fournier dit qu'il l'ecrit un an apres sa sortie de prison, c'est-a-dire en l'an V.] En fructidor an VII, le nom de Fournier se trouve au bas de la petition des citoyens de Paris contre la nomination de Sieyes au Directoire. Sous le Consulat[21], il fut une des personnes qui, a la suite de l'attentat de la rue de Saint-Nicaise, se virent l'objet des mesures de rigueur approuvees par le senatus-consulte du 15 nivose an IX. Des ordres furent donnes pour le deporter a l'ile d'Oleron. Mais il parvint d'abord a se soustraire aux poursuites et se cacha a Villejuif, ou il se placa comme jardinier. Arrete deux ans plus tard, il fut enferme au fort de Joux avec les nommes Chateau, Michel et Brisavin, le 2 fructidor an XI (20 aout 1803). [Note 21: Le 24 brumaire an IX, il adresse une longue petition au premier Consul. (Voir _Les deportations du Consulat et de l'Empire_, par Jean Destrem. Paris, 1885, in-12, p. 393.)] Le 20 novembre suivant, tous quatre furent transferes a l'ile d'Oleron, puis embarques (10 ventose an XII) pour Cayenne. Fournier y sejourna jusqu'au moment ou les Anglais s'emparerent de cette colonie[22]. A cette epoque, il revint en France (1809). On ne l'y laissa pas en liberte complete. Il fut mis en surveillance a Auxerre, et arriva dans cette ville le 16 octobre 1809[23]. Il y fut surpris, deux ans plus tard, preparant contre les droits reunis une sorte d'emeute, qui faillit eclater dans la nuit du 7 au 8 juillet 1811. L'Empereur ordonna qu'il fut deporte au chateau d'If, avec Calendini. [Note 22: Voir une lettre assez insignifiante qu'il ecrivit de Cayenne a sa femme en 1806. _Ibid._, p. 244.] [Note 23: Ces details et les suivants sont empruntes aux pieces officielles annexees au dossier de Fournier (Archives nationales). On voit combien d'erreurs M. Mortimer-Ternaux a reunies dans ces quelques lignes qu'il consacre a la fin de la vie de Fournier (III, 638): "Apres quelques annees de sejour dans cette colonie (Cayenne), i1 s'en evade, se refugie a la Guadeloupe et se fait corsaire. En 1814, il rentre en France et y meurt tranquillement quelques annees apres."] Delivre a la chute de Napoleon, il revint a Paris en avril 1814 et alla demeurer chez sa femme (il s'etait marie a Saint-Domingue), rue Perdue, n deg. 6. Lors du second retour des Bourbons, accuse d'intriguer contre le gouvernement, il fut arrete le 1er novembre 1815, incarcere a la Force et remis en liberte le 16 aout 1816. Il fut question de le mettre en surveillance a Melun; mais il obtint de rester provisoirement a Paris. Il eut alors l'impudence de faire parade de sentiments royalistes et de solliciter les Bourbons. Il y a dans ses papiers, aux Archives, une petition qu'il adressa a Louis XVIII le 10 mars 1817. Il y reclame la pension que Louis XVI lui avait accordee en 1785. Il y signale ses titres a la faveur royale, qui sont, d'apres lui: "1 deg. D'avoir refuse le commandement de la garde nationale de Paris, lorsque le general La Fayette le quitta; "2 deg. D'avoir refuse d'aller commander la garde nationale a la Vendee; "3 deg. D'avoir refuse d'aller commander en Belgique; "4 deg. D'avoir refuse d'aller avec le general Dillon remplacer Custine a l'armee du Nord et generalement toutes les places qui me furent offertes; "5 deg. D'avoir a Versailles, les 5 et 6 octobre 1789, empeche le pillage et le desordre et etre venu, par ordre du Roi, a Paris annoncer son arrivee; "6 deg. D'avoir, moi douzieme, presente a la Convention une petition qui representait a cette meme Convention qu'elle n'avait pas le droit de juger le roi[24]; [Note 24: Nous n'avons pas retrouve cette petition.] "7 deg. D'avoir refuse de prendre et faire prendre les armes le jour fatal [de la mort] du meilleur des rois, ainsi que le jour de celle de son auguste epouse. Pardonnez, Sire, si je suis oblige de rappeler ici de pareils souvenirs. "8 deg. D'avoir constamment refuse de prendre le commandement de l'armee revolutionnaire, ainsi que de consentir a etre membre du Comite de ce nom. Le jour meme que l'on fit cette infame nomination, Marat et Bourdon (de l'Oise) me denoncerent a la Convention comme agent du roi, de Pitt et de Cobourg." En 1822, il adressa a la Chambre des deputes un memoire imprime ou il renouvelait sa reclamation au sujet des pertes qu'il avait eprouvees a Saint-Domingue. Il y disait qu'a l'age de quatre-vingts ans, avec sa femme plus que septuagenaire, il n'avait pour vivre que 50 francs par mois, "qui leur sont accordes a titre de secours comme colons refugies". Fournier mourut a Paris le 27 juillet 1825, a l'age de quatre-vingts ans. Il demeurait alors esplanade des Invalides, n deg. 28. II On a vu que Fournier l'Americain avait publie quelques opuscules. Voici la liste de ceux que nous avons pu retrouver: 1. _Denonciation aux Etats generaux des vexations, abus d'autorite et denis de justice commis envers le sieur Claude Fournier, habitant de l'ile Saint Domingue._ S. 1., 1789, in-4. 2. _Aux representants de la Nation, denonciation contre M. le marechal de Castries, ancien ministre de la marine._ Signe: FOURNIER. Impr. Caillot et Chevee, s.d. (12 aout 1789), in-4 de 6 pages. 3. _Crimes de La Fayette en France, seulement depuis la Revolution et depuis sa nomination au grade de general_ (par Fournier, en collaboration avec Dunouy, Heron et Garin). S.d. (juillet 1792), in-8 de 15 pages. 4. _Fournier a Marat._ Paris, 14 mars an II (1793), in-4 de 8 pages. 5. _A Marat, journaliste._ Paris, 14 mai an II (1793), in-4 de 7 pages. 6. _IVe Petition a la Convention nationale, par C. Fournier, Americain, pour la formation d'une armee revolutionnaire._ Impr. Lottin, 23 aout an II (1793), in-4 de 6 pages. 7. _Affaire de Fournier l'Americain, citoyen de la section des Tuileries_[25], _detenu aux prisons de l'Abbaye._ Paris, s.d., in-4 de 4 pages. [Note 25: Fournier demeurait alors cul-de-sac du Doyenne, n deg. 20.] 8. _Ou en sommes-nous? Question par C. Fournier, Americain, a tous les sans-culottes ses freres._ Imp. Mayer, s.d. (pluviose an III), in-4 de 8 pages. 9. _Massacres (sic) des prisonniers d'Orleans. Fournier, dit l'Americain, aux Francais._ Paris, 28 nivose an VIII, in-8 de 16 pages. 10. _Aux honorables membres de la Chambre des deputes pour la presente session. Memoire presente par le sieur Fournier l'Heritier, dit l'Americain, demeurant a Paris, rue Perdue, n deg. 6, place Maubert._ [Paris], 1822, in-8 de 23 pages. III Quant aux _Memoires secrets_ de Fournier, nous les imprimons pour la premiere fois, et il ne nous semble pas qu'aucun historien les ait consultes ou connus. Nous les avons trouves aux Archives nationales, dans le carton F7 6504, qui contient les papiers de Fournier et une suite de documents officiels relatifs a ses diverses arrestations. Fournier les avait probablement ecrits en l'an II, pendant son incarceration a l'Abbaye. Il y a un brouillon et une copie de ces memoires, tous deux autographes. La copie s'arrete au recit des evenements du 17 juillet 1791. Le brouillon va jusqu'au recit du massacre des prisonniers d'Orleans, inclusivement. Il est souvent difficile a lire, a force de ratures et de surcharges. L'auteur a laisse cet ecrit inacheve, et, comme on le verra, les phrases incoherentes qui le terminent annoncaient une suite. La lecture des memoires de Fournier est plus interessante qu'agreable. Ce _condottiere_ de la Revolution ecrit comme un goujat. Mais ses solecismes sont fort clairs[26] et sa plume grossiere suffit tres bien a l'expression de sa pensee, qui n'est ni delicate, ni complexe. Fournier est un brutal et l'esprit de la Revolution n'est pas en lui. La devise fraternelle des Cordeliers ne hante ni le coeur, ni les levres de ce Cordelier. C'est un haineux qui ne voit dans les grandes journees de la Revolution qu'une occasion de frapper. Il n'a d'autre ideal que de commander a une troupe armee et de remplir sa bourse. Il n'a rien compris aux causes profondes des evenements ou il a ete mele: il n'a vu que le fait du moment et n'a eprouve que des sensations. [Note 26: Sauf dans le chapitre XI de ses memoires, qui n'est qu'un brouillon informe. Voir plus bas la note a la page 42.] Mais son role d'agent d'execution a ete considerable. Il a contribue de son bras au succes de tous les coups d'Etat populaires jusqu'a la chute du trone. Ses coleres a la Duchesne ne lui ont jamais ote le sang-froid: il a toujours bien vu ce qu'il faisait et toujours bien vu ce que faisaient les autres. C'est ainsi qu'il a enregistre, dans les memoires que nous publions, des faits et des attitudes qui avaient echappe a l'histoire. On verra que ce negrier etait vaniteux comme un negre: mais ne le prenez pas pour un menteur. Il a en poche presque toutes les preuves, parfois notariees, de ce qu'il avance. Il ne fait rien, sans demander un certificat. Les allegations essentielles de ses memoires sont declarees conformes par des pieces dument signees qui font partie de ses papiers aux Archives. Ces precautions, qu'il pousse a un point incroyable, ne sont point d'un veritable homme de bien, et je me garderai de presenter les memoires de Fournier comme absolument sinceres: cependant il est sur que la plupart des faits qui y sont exposes sont vrais. Il est precieux pour l'histoire d'avoir ainsi le temoignage d'un des combattants de la rue sur les celebres journees du 14 juillet, des 5 et 6 octobre 1789, du 17 juillet 1791, du 10 aout 1792. On verra combien de traits la plume de Fournier ajoute au tableau des batailles civiles, combien de details essentiels elle corrige ou complete. Je ne crois pas qu'on puisse desormais raconter ces journees celebres sans recourir a Fournier. De plus, ces memoires sont utiles pour l'histoire, si mal connue, du club des Cordeliers. Les notes que nous avons ajoutees au texte ont surtout pour objet de completer le recit de Fournier par des extraits de ses papiers[27] ou de le confirmer par quelques-unes de ces attestations de temoins dont il corroborait ses dires. F.-A. AULARD. [Note 27: Notamment par des extraits d'un Memoire expositif qu'il redigea le 3 fevrier 1790 et fit approuver par ses compagnons d'armes. Ce recit de la conduite de Fournier au debut de la Revolution est intitule: _Memoire expositif des services patriotiques du sieur Fournier l'Heritier, ancien habitant de Saint-Domingue, ou il a servi seize ans dans les milices bourgeoises, et depuis quatre ans domicilie a Paris, rue des Vieux-Augustins, paroisse Saint-Eustache, n deg. 28._ Fournier terminait son memoire en demandant "qu'il lui fut accorde une marque honorifique et distinctive qui annoncat manifestement a ses concitoyens, et surtout aux colons de Saint-Domingue, des preuves non equivoques de ses services patriotiques." Les membres du Comite de Saint-Eustache repousserent cette demande en ces termes: "Le Comite de Saint-Eustache, en rendant justice au zele que M. Fournier a montre dans le temps de la Revolution, lui a expedie le brevet de service auquel tous les officiers provisoires avaient droit de pretendre. Il n'est pas en son pouvoir d'accorder d'actes de distinction, qui pourraient mecontenter d'autres citoyens qui ont bien merite de la patrie."] MEMOIRES SECRETS DE FOURNIER L'AMERICAIN[28] [Note 28: Fournier modifia ce titre apres coup et l'amplifia, dans un des deux textes de ses memoires, de la maniere suivante: "La Galerie des traitres ou Memoires secrets de C. Fournier, Americain, contenant les details de la part active qu'il a eue dans les deux revolutions de France, en 1789 et en 1792, contenant aussi l'enchainement des trahisons de Bailly, La Fayette, Louis Capet, Manuel, Petion, Santerre, Carra, et plusieurs autres personnages remarques tant dans les Assemblees legislatives qu'ailleurs, pour servir de materiaux essentiels a l'histoire."] _La posterite saura tout._ AVANT-PROPOS L'histoire des deux revolutions qui ont extirpe la tyrannie du sol de la France et qui y ont fait germer la liberte, l'egalite, enfin la Republique; cette histoire ne pourra etre bien composee que du rapprochement des memoires isoles que produiront les principaux acteurs de la plus grande scene qui ait jamais eu droit d'etonner l'univers. Les journaux du temps, le plus souvent, ne peuvent rapporter que sur des apercus pris au hasard, recueillis loin du theatre des faits et sans montrer la filiere des causes d'ou sont sortis les differents resultats. Le temoin oculaire et le cooperateur des grands actes revolutionnaires est dans une position bien plus favorable pour transmettre la verite aux generations futures. Si quelqu'un a suivi de pres tous les mouvements de deux revolutions, je puis bien dire que c'est moi. Francais, lisez ces memoires et vous me verrez agissant dans toutes les circonstances eclatantes. Ce n'est point une vaine gloriole qui me fait mettre ces circonstances au jour, mais j'ai pour but d'utilite d'eclairer plusieurs points importants de l'histoire, de vous faire voir se devoiler des manoeuvres qui vous apprendront a connaitre les hommes, et que tel traitre, dont le masque, au moment que j'ecris, n'est point encore tombe, n'en a pas moins ete une fausse idole a qui les contemporaines regretteront bien d'avoir prostitue leur encens[29]. Enfin vous observerez plus que jamais qu'au milieu de toutes les perfidies qui nous ont assaillis, si l'on croyait encore a d'autres prodiges qu'a l'energie et au courage des ames libres, on affirmerait que ce n'a pu etre qu'une puissance merveilleuse qui a sauve la nation. [Note 29: On verra d'ailleurs, vers la fin de ces memoires, les raisons qui me forcent tres imperieusement de leur donner la publicite. (_Note de Fournier_.)--On sait qu'il ne realisa pas ce projet de publier ses memoires.] C'est une verite reconnue que le sentiment de la liberte est implante naturellement dans tous les coeurs, et que, sous les gouvernements tyranniques, tout homme qui ne vit point des abus, soupire secretement apres le moment de briser sa chaine; mais il est encore tout naturel de remarquer que les individus qui se trouvent le plus tot et le mieux prepares aux revolutions contre le despotisme sont toujours ceux qui en ont le plus souffert. J'etais precisement dans ce cas en France. J'y etais revenu, apres vingt et un ans de domicile aux colonies, reclamer vainement justice aupres du roi et de ses ministres contre l'oppression la plus criminelle et la plus inouie que j'avais eprouvee a Saint-Domingue dans ma personne et dans mes biens.[30] [Note 30: J'avais a Saint-Domingue une habitation et une guildiverie, ou fabrique de tafia, de valeur constatee de plus de cinq cent mille livres, voisine de celle des sieurs Guibert freres, sur laquelle elle obtint une superiorite de succes; elle eveilla leur jalousie. Ils etaient allies au sieur de Bougars, intendant de la colonie, et ils avaient du credit aupres de tous les officiers civils et militaires de l'ile. Ils profiterent de ces avantages pour me vexer impunement. Chicane, d'abord, sous de vains pretextes, menace ensuite, poursuivi par d'infames calomnies, accuse, emprisonne, je finis par avoir la douleur de voir ma guildiverie et mon habitation incendiees. Le credit des Guibert, qui leur avait fait commettre envers moi toutes les sceleratesses sans coup ferir, passa de la colonie en France, ou j'etais revenu pour y demander la justice que j'avais ete loin de pouvoir trouver a Saint-Domingue. Je la sollicitai en vain pres du dernier roi et de ses ministres depuis 1781 jusqu'en 1789, et, sans le nouvel ordre des choses, je n'eusse jamais eu probablement la satisfaction de voir jour a tirer aucun debris de ma fortune spoliee et detruite par les criminels Guibert et leurs complices. (_Note de Fournier_.)--Le 5 juin 1791, il fit a ce sujet une petition a l'Assemblee nationale, qui fut solennellement portee a la barre par les Cordeliers. On trouvera le texte de cette petition dans les papiers de Fournier aux Archives nationales. On y trouvera aussi, a la date du 20 mars 1816, un rapport de police qui donne la version de ses ennemis sur son role a Saint-Domingue: "Il habita longtemps l'ile de Saint-Domingue ou il fut chef d'atelier dans diverses habitations, et comme tel charge de la correction des negres. C'est sans doute dans ces fonctions qu'il contracta la ferocite qui caracterise les principales actions de sa vie. Prive de place, il parvint a s'emparer de l'esprit et de la fortune d'une creole et etablit une guildiverie ou fabrique de tafia. Mais le mauvais succes de ses affaires lui inspira le dessein coupable de mettre le feu a son etablissement qui se trouvait a proximite de plusieurs habitations importantes et d'accuser de ce crime les proprietaires, ses voisins. Ayant ete deboute de toutes ses reclamations et par suite considere comme un homme dangereux, il fut oblige de quitter la colonie, etc."] Il y avait en 1789 huit annees entieres que je poursuivais cette justice aupres des corrompus de la cour. J'avais apercu depuis longtemps que j'etais mene par eux, et j'avais vu enfin que le parti-pris avait ete de se jouer de moi et de ma fortune, de consacrer sans facon la spoliation de cette meme fortune et de me reduire a la derniere indigence plutot que de punir quelques pervers auteurs de ma ruine. La vengeance contre une telle infamie me devait donc etre toute naturelle. Ainsi j'aurais ete patriote par ressentiment, si je ne l'eusse ete par caractere; on ne s'etonnera donc pas de me voir remplir un role tres actif dans chacune des luttes contre la tyrannie, dont je vais offrir la description[31]. [Note 31: Tout Paris, toute la France a vu en 1785, 6, 7 et 8, mes memoires imprimes contre le gouvernement de Saint-Domingue, qui ont provoque la chute de tous les agents qui jusque-la y exercaient impunement la plus criante tyrannie. On n'avait point encore vu dans ce temps-la ecrire contre le despotisme avec une vigueur pareille a celle que j'employai. Je donnai sans doute le branle a tous les hommes qui depuis oserent proclamer hautement les grandes verites qui ont fait eclore notre regeneration. Il me reste un grand nombre d'exemplaires de ces memoires que l'on peut trouver chez moi. (_Note de Fournier_.)--Nous n'avons pas pu nous procurer ces memoires.] CHAPITRE PREMIER 30 JUIN 1789. _Elargissement des gardes francaises enfermes a l'Abbaye par ordre du despotisme._ J'avais vu arriver avec joie, au commencement de 1789, le developpement de l'esprit public qui ouvrait l'entree a notre heureuse generation. Je contemplais en philosophe l'approche du terme ou elle devait eclore et, avec des affections plus analogues a l'esprit militaire, j'attendais pour saisir la premiere occasion de l'accelerer. Elle se presenta au 30 juin, quand au Palais, alors Royal, on vint rapporter que plusieurs gardes-francaises venaient d'etre emprisonnes a l'abbaye de Saint-Germain pour avoir refuse le serment exige par leurs officiers de faire feu sur le peuple dans le cas ou il s'insurgerait. Ces braves et genereux soldats, mille fois louables pour etre les premiers qui aient rendu hommage a la liberte, devaient se voir transferer, dans la nuit, aux prisons de Bicetre, pour y etre pendus entre les deux guichets, a la maniere execrablement familiere des tyrans. Leurs camarades qui nous venaient apprendre cette horrible nouvelle nous crierent dans leur desespoir: "_Francais, on immole nos freres. Si vous perdez une minute pour les sauver, la liberte que nous sommes sur le point de conquerir vous echappe; parlez, ce moment va decider si nous serons affranchis ou esclaves_." Ce discours produisit son effet sur tous les esprits. J'en remarquai la bonne disposition sur tous les visages et j'en profitai; ce fut moi qui, elevant la voix du milieu de la foule, m'ecriai: "Amis, le temps presse, ne reculons pas le moment de la liberte, les tyrans font leurs derniers efforts pour l'etouffer avant sa naissance: intimidons-les par notre courage; si quelqu'un hesite de se mettre a votre tete, me voici tout pret; allons delivrer nos genereux freres, marchons a l'Abbaye[32]." [Note 32: Il y a dans les papiers de Fournier un imprime sans lieu ni date, qui donne la liste des soldats punis avec les motifs de leurs punitions. En voici le texte: _Etat des soldats du regiment des Gardes francaises qui ont ete delivres le mardi 30 juin des prisons de l'abbaye Saint-Germain-des-Pres._ COMPAGNIES. NOMS. OBSERVATIONS. S. Blancard. _Candellier_. Le 28 juin.--Pour etre rentre a dix heures trois quarts; tres mauvais sujet. Flavigny. _Martin_. Le 30 juin.--Au cachot pour avoir _Dervaux_. maltraite un de leurs camarades qui _Desmarais_. n'avait pas voulu sortir etant consigne, apres l'avoir blesse d'un coup d'epee au bras et l'avoir mis hors de combat. Menilglaisc. _Copin_. Le 24 juin.--Deserteur. Bocquensay. _Vatonne_. Le 28 mai.--Deserteur. De Brache. _Merix_. Le 6 juin.--Deserteur. Depot. _Chauchon_. Le 30 mai.--Deserteur. Mazancourt. _Luyot_. Le 29 juin.--A escalade le mur de la caserne, etant de garde; a vendu deux de ses chemises. Depot. _Raymond_. Le 28 mars.--A vole six livres a un de ses camarades. Sainte-Marie. _Bourdon_. Le 27 juin.--Par ordre de M. de Gailhac, capitaine, pour le soustraire a vengeance des grenadiers auxquels il n'a pas rendu une lettre anonyme qui leur etait adressee, le jour que les soldats se sont evades. De Brache. _Gollard_. Le 30 juin.--Pour avoir menace de tuer son sergent. _L'Huillier_. Pour indiscipline marquee et propos seditieux. Boury. _Dupuis_. Pour s'etre revolte contre son caporal et avoir engage les autres grenadiers a le jeter par la fenetre.] Ces derniers mots: _Marchons a l'Abbaye_, furent comme un echo repete par toutes les bouches, et des l'instant le peuple a ma suite vola a la forteresse qui renfermait les victimes. Arrives a la porte, l'ouverture en est demandee simultanement par moi et plusieurs autres citoyens; on la refuse. Je ne delibere pas, je me transporte, avec plusieurs compagnons de cette expedition, dans la Cour du Dragon. Nous y faisons emplettes, et je paie de mon argent des masses et des pinces, avec lesquelles nous allons briser et enfoncer les fatales portes[33]. Nos detenus, qui etaient avec l'affreuse perspective de n'avoir plus que pour quelques moments d'existence, se voient rendus a la vie; ils joignent leurs acclamations de joie aux notres et ils reviennent avec nous au Palais-Royal, ou tout le peuple qui les attend leur donne des fetes. On s'embrasse fraternellement, on jure de se soutenir les uns les autres vis-a-vis de tous les efforts du despotisme contre la liberte naissante; c'est dans ces sentiments que tous ceux qui aspiraient a etre bientot des citoyens se quittent ce jour-la. [Note 33: Beaulieu pretend qu'il est de toute faussete que les portes aient ete forcees. (_Essais historiques sur les causes et les effets de la Revolution de France_, I, 287.)] Croira-t-on que generalement on etait encore si loin des principes a cette epoque que, le lendemain de l'evenement que je viens de decrire, on parut croire que ceux qui, la veille, avaient ete soustraits au couteau de la tyrannie par la protection du peuple souverain avaient besoin du pardon de celui qui, a Versailles, n'exercait la supreme puissance que par usurpation? Il est cependant vrai qu'on fit pour les gardes francaises l'absurde demarche d'aller a ce Versailles solliciter _leur grace_ aupres du dernier roi, qui, au milieu des agitations revolutionnaires qui se succedaient alors avec beaucoup de rapidite, n'osa point manifester evidemment les veritables dispositions de son ame altiere. Il est tres sur que ce fameux despote etait vivement choque de l'acte auquel les prisonniers devaient leur delivrance. Le plus profond mepris de son insolente autorite n'y etait pas deguise. Ainsi, au lieu de grace, il eut satisfait son inclination sanguinaire en envoyant bien vite au gibet ceux qui, par un coup heureux, en etaient deja echappes. Mais le moment etait un moment de terreur pour le tyran; il devait donc, ainsi qu'il a toujours su si bien le faire, dissimuler. Il le fit, mais pourtant sans perdre l'espoir de satisfaire sa vengeance et sa soif du sang. Le systeme des tyrans en chef et subalternes, pour etouffer les premieres etincelles de la liberte et perpetuer l'esclavage de la nation, etait de faire de temps a autre, divers essais pour faire assassiner le peuple par les troupes. On avait commence par provoquer le pillage et l'incendie de la manufacture Reveillon, pour prendre occasion de faire fusiller les citoyens par les soldats. Mais l'opinion publique qui, bientot eclairee sur cette atrocite, criait vengeance contre leurs auteurs; mais les soldats qui deploraient amerement l'erreur qui les avait rendus l'instrument d'une telle oppression, avaient deja rendu a cette epoque le despotisme tres circonspect et tres craignant de blesser le peuple. Il crut que des instants plus prosperes pourraient bientot succeder. En consequence, il temporisa. Mais, le 14 juillet, jour marque dans les destins des siecles, arriva pour deranger tous les noirs projets des oppresseurs de la terre. La justice de fait fut rendue aux braves gardes francaises et le despote n'eut plus le temps de songer a les punir. CHAPITRE II 12 JUILLET 1789. _Lambesc aux Tuileries._ Jusqu'a l'epoque a jamais memorable du 14, l'infame horde des valets de la cour n'avait point encore appris ce que peut le peuple uni dans toute sa masse et qui, las du joug, a serieusement resolu de le briser. Cette caste orgueilleuse de soi-disant nobles, en possession depuis des siecles de vexer impunement la multitude, croyait toujours conserver cet odieux privilege. C'est sans doute sur ces principes que l'atroce Lambesc fit le 12 son entree aux Tuileries, ou il commit l'acte affreux de massacrer un vieillard paisible et sans defense. Ce fut aux cris que le sang de cette victime fit jeter a tout Paris que plusieurs citoyens et moi, toujours en eveil depuis qu'il etait question de travailler au salut de la patrie, nous nous rendimes sur le theatre du sacrifice. Des epees etaient les seules armes que les simples particuliers eussent alors. C'est avec ces freles instruments de defense que nous osames braver la fureur du sanguinaire Lambesc et de sa troupe aveuglement feroce. Le seul courage de la liberte nous rendit completement victorieux du maitre esclave et de ses subalternes. Nous les expulsames du Jardin des Tuileries, et, pour assurer le succes de notre expedition en prevenant leur retour, nous sommes restes jusqu'a minuit a la place de la Revolution, lors appelee _de Louis XV_. Personne ne s'avisa de venir nous y troubler[34]. [Note 34: Sur l'affaire du prince Lambesc, voir aussi le _Precis historique et justificatif de Charles-Eugene de Lorraine, prince de Lambesc_, s.l.n.d. (1790), in-4. Bibl. nat., Lb 39/3350. Nous avons annonce dans notre introduction que nous reproduirions en note, a titre de variantes, les principaux passages du _Memoire expositif_ que Fournier redigea le 3 fevrier 1790 et fit approuver a ses compagnons d'armes. Voici ce qu'on y lit sur les evenements qui font l'objet de ce chapitre: "On ne se rappelle encore qu'avec une sorte de saisissement, la consternation, le trouble et l'effroi qui commencerent a desoler tout Paris, dans l'apres-midi du 12 juillet dernier. Les troupes campees aux Champs-Elysees jeterent avec une audace effrenee, sous les ordres du prince Lambesc, la confusion et le trouble jusque dans le jardin des Tuileries. "Le sieur Fournier, qui s'etait deja, depuis plusieurs jours, abouche avec une cinquantaine d'anciens militaires de sa connaissance pour se tenir prets en armes au premier mouvement des troupes, s'y porta avec sa nouvelle compagnie pour les en chasser, jusqu'a dix heures du soir."] CHAPITRE III 13 JUILLET 1789 _Premiere formation des citoyens en corps arme. J'en suis nomme le chef._ Deja l'on etait bien penetre que le temps etait venu de travailler a la conquete de la liberte; ainsi chacun sentait qu'aucun moment n'etait a perdre. Tous les bons citoyens etaient en etat de surveillance permanente. L'annonce des dangers avait fait porter le peuple, des les quatre heures du matin, au Palais-Royal, aujourd'hui le jardin de l'Egalite. J'y arrivai a cinq heures. Le peuple deliberait pour la formation des citoyens en corps national arme et pour le choix d'un chef. Ce fut sur moi que ce choix tomba. Des lors nous nous mimes en etat permanent de service militaire, et chacun de nous appreciant deja, dans toute leur etendue, les devoirs que lui impose la qualite de defenseur de la liberte, considere que sa tache n'est plus que de se mettre en perpetuelle opposition contre le despotisme et tous ses satellites. Je sors du Palais-Royal a la tete de mes freres d'armes. La seule confiance qu'inspire le sentiment de la liberte nous faisait nous considerer comme etant en armes. Nous n'avions encore que des batons, de vieilles epees, des croissants, des fourches, des beches, etc., et c'est des ce moment que commencerent les patrouilles. Nous entrons dans la rue Saint-Honore, et parvenus devant la porte de l'Oratoire, nous arretons un cavalier qui portait des paquets a Saint-Denis aux troupes qui y etaient campees. Je fis saisir ces paquets et nous les portames a l'Hotel de Ville. J'en descendis et, avec l'avis de mes camarades, je fis aussitot sonner le tocsin. Deja trop d'indices s'etaient cumules pour nous faire sentir la necessite de cette grande mesure. Ce son d'alarme ayant donne l'eveil general dans Paris, ce me fut une conquete aisee que celle de m'emparer de plusieurs corps de garde occupes par des soldats encore au compte des despotes, mais dont le coeur etait deja gagne a la nation. Presque tous vinrent s'unir a moi et grossir ma troupe; elle s'augmenta specialement de tous les braves du corps de garde de la pointe Saint-Eustache et de celui des gardes francaises de la rue de la Jussienne. A trois heures, nous nous sommes rallies a l'eglise Saint-Eustache et j'y fus proclame commandant a l'unanimite[35]. Mon corps se montait le meme soir a huit cents hommes, lorsque nous nous emparames a la nuit tombante de la salle des francs-macons, rue Coq-Heron, ou j'etablis mon corps de garde[36]. [Note 35: Il y a, en effet, dans les papiers de Fournier, un proces-verbal de sa nomination de capitaine commandant d'une des compagnies du district de Saint-Eustache (13 juillet 1789).] [Note 36: _Memoire expositif_: "Le lendemain matin 13, le district Saint-Eustache s'etait assemble, comme tous les districts, pour aviser aux moyens de sauver la chose publique en danger. Le sieur Fournier s'y rendit. Il y exposa, avec autant d'interet que de force, qu'il n'etait pas question dans un moment aussi critique de faire de beaux et longs discours, mais qu'il fallait s'armer courageusement, sans differer, et defendre la cite en danger; que, dans ce dessein, il avait deja forme, sur le district, un corps de volontaires bien armes tout prets a se porter partout ou le besoin et le danger commun les appelleraient. Cette motion fut sur le champ adoptee unanimement, et le sieur Fournier reconnu, en consequence, chef pour commander un corps de troupes dans la defense tres urgente de la cite. "Le meme jour, il etablit un corps de garde avec ces cinquante volontaires dans la rue Coq-Heron. Bientot trois cent cinquante autres braves, tant gardes francaises et suisses que bourgeois patriotes, se joignirent au sieur Fournier; ce qui composa tout a coup un corps de quatre cents volontaires, lequel, s'etant promptement augmente du double, se divisa en huit compagnies de cent hommes chacune. "Ce corps de volontaires, dont le bel ordre et la regularite se firent admirer de tout Paris, a constamment servi avec zele, intelligence et desinteressement durant les quatre mois qu'il est reste en activite, et recut, de toutes parts, des eloges merites pour sa conduite genereuse et sa bravoure."] CHAPITRE IV 14 JUILLET 1789 _Mon role a la Bastille_[37]. [Note 37: Les services de Fournier a cette epoque sont attestes par divers certificats joints a son dossier aux Archives. Citons notamment une affiche imprimee, en date du 13 aout 1789, signee des officiers composant le bureau du district de Saint-Eustache. Ces officiers attestent l'honorabilite de Fournier qui a rempli les fonctions de capitaine du district depuis le 12 juillet dernier. Il y a aussi un imprime, en date du 5 septembre 1789, intitule: _Extrait d'un memoire concernant les services de la compagnie de M. Fournier, l'un des commandants du district de Saint-Eustache_; s.l.n.d. (5 septembre 1789), in-8 de 7 pages. Ce memoire, signe des officiers et soldats de la compagnie de Fournier, est revetu de l'approbation de La Fayette.] La chaleur de la liberte etait montee au plus haut point du thermometre. Tous les esprits se trouvaient animes de son feu divin. Le peuple etait parvenu a acquerir le sentiment de la souverainete, et il ne voulait pas tarder davantage a montrer aux despotes qu'il etait capable d'en prendre l'exercice. J'avais senti avec tous les bons patriotes que le moment de livrer combat etait arrive. Il fallait s'y preparer par toutes les dispositions necessaires. Je vais a la Ville avec un detachement nombreux pour demander des munitions; on m'en refuse. Le scelerat Flesselles, prevot des marchands, et ses echevins n'avaient pas un systeme qui s'adaptat a nos projets de revolution. L'indignation que leur procede excite en moi m'aurait peut-etre porte a des mouvements sinistres, si je n'eusse eprouve une diversion par des cris: _a la Bastille!_ qui tout a coup vinrent remplir la place de Greve et tous les environs de la Maison de Ville. Je cours avec mon detachement a la Bastille, je me place pres du pont-levis, du cote des cuisines: on jugera que je n'etais pas dans l'endroit le moins perilleux, quand j'aurai appris que deux citoyens a mes cotes furent blesses a mort, que deux jeunes gens de douze a quinze ans y eurent chacun un bras perce d'une balle, et que moi-meme je fus legerement blesse a la jambe droite. J'apercus que, sans munitions, sans armes, nous etions dans la situation de ne pouvoir opposer qu'une bonne volonte inutile et que nous peririons tous l'un apres l'autre sans rien gagner sur nos ennemis. Alors je jugeai que c'etait deja trop de sang verse sans fruit et qu'il ne fallait pas laisser plus longtemps des braves gens exposes en vain. J'arretai une double mesure, celle de faire transporter mes blesses a l'Hotel de Ville et celle d'y retourner moi-meme pour montrer les dents aux traitres municipes d'alors et en obtenir, bon gre mal gre, des munitions. Je trouvai a la Ville l'infame Flesselles et l'intrigant Lasalle. Je les forcai de me delivrer dix livres de balles et six livres de poudre; ce fait est constate par les proces-verbaux de l'Hotel de Ville. On peut y verifier que c'est moi qui m'y suis fait delivrer des munitions le premier et qui de suite en ai fait delivrer a deux ou trois autres personnes a peu pres meme quantite. De ce moment, mes vues sur le plan d'attaque de la Bastille s'etendirent. Je n'eus pas de peine a concevoir que les secours que je venais d'obtenir etaient trop faibles pour mettre a portee de faire avec avantage le siege de la forteresse. J'avise donc a de plus grands moyens. Je descends sur la place de Greve; la, ma sensibilite est mise a l'epreuve par le spectacle de mes blesses que je retrouve et que personne n'a encore songe a secourir. Apres avoir pourvu a ce qu'ils soient transportes a l'hopital, je distribue mes munitions aux citoyens de mon commandement qui avaient des fusils et je les renvoie a la Bastille pour garder, en attendant mon retour, une grosse piece de canon deja saisie par mes freres d'armes a l'arsenal. Je poursuis aussitot l'execution du plan que je viens de dire avoir concu de procurer de grands moyens de vaincre. Je cours a la tete de mes braves aux Invalides; nous y penetrons sans eprouver de resistance notable; sans doute, ce fut moins le patriotisme que la peur qui determina l'etat-major des Invalides a ne point montrer une grande opposition, lorsque les citoyens se presenterent chez eux. Les officiers de cette maison firent cependant preuve de dispositions bien equivoques, lorsque je leur demandai des armes, et qu'ils repondirent n'en point avoir. Il fallut leur en arracher. A la suite d'une perquisition tres exacte, nous decouvrons dans une cave 1,800 fusils que je fais distribuer tant a mon corps qu'a d'autres citoyens. On sait que ce n'etait la qu'une partie des armes des Invalides, et qu'il y fut pris en tout, ce jour-la, trente-deux mille fusils. Je me transporte dans un magasin ou je suis instruit qu'il y a des munitions; nous y prenons plusieurs barils de poudre. Je me reconnais des lors un peu plus en etat de me presenter devant l'antre fameux du despotisme. Dans les grands moments de crise, il est bien avantageux de songer a tout. Je ne devais pas perdre de vue l'ordre interieur: c'est pourquoi je detachai une partie de mon monde pour l'envoyer faire le service au corps-de-garde de la rue Coq-Heron. Avec le surplus, je me rendis de nouveau a la Bastille. C'est en y faisant notre entree victorieuse que nous apercumes les premieres veritables lueurs de la liberte. Je ne participai en rien a la conduite qui fut faite de De Launey a l'Hotel de Ville. Je restai a la Bastille avec mes freres d'armes pendant toute la nuit, pour assurer dans ces premiers moments la conservation de notre interessante conquete[38]. [Note 38: _Memoire expositif_: "Le mardi 14, des six heures du matin, quatre cents volontaires, sous les ordres du sieur Fournier, se rendirent a l'Hotel de Ville pour y demander, mais inutilement, au sieur Flesselles des armes et des munitions. Sur le refus de ce magistrat municipal, le sieur Fournier, apres en avoir instruit sa troupe et delibere avec ses officiers, se transporta avec eux sur l'heure meme a la Bastille pour en conquerir. Un petit nombre seulement etaient armes de fusils, les autres ne l'etaient que de sabres et de batons; ils enfoncerent neanmoins l'entree et s'y avancerent jusqu'aupres de la cuisine. A la droite du sieur Fournier, tout pres du grand pont-levis, un garde francaise fut blesse a mort et un jeune homme de quatorze ans transperce d'une balle. Le sieur Fournier, pour leur procurer des secours, les fit transporter a l'Hotel de Ville. "Sur une seconde demande faite a grands cris, meles de reproches amers dictes par l'indignation, le sieur Fournier ne put obtenir du traitre Flesselles qu'environ dix livres de poudre et quatre livres de balles: cette modicite de munition etait, de la part de l'officier municipal, une vraie derision. "Descendu sur la place, le sieur Fournier delibera de nouveau avec les officiers de sa troupe sur le parti a prendre dans une aussi pressante necessite, et il fut resolu, d'une voix unanime que les volontaires, qui n'etaient pas convenablement armes, se rendraient des l'instant, sous la conduite du sieur Pelletier de l'Epine, a l'Hotel royal des Invalides pour s'emparer de la grosse artillerie et des fusils dont on s'armerait. Cette resolution fut ponctuellement executee. "Le sieur Fournier, qui s'etait fortement persuade que la Bastille, si elle etait attaquee vivement de plusieurs cotes a la fois, n'etait pas imprenable, retourna continuer l'attaque avec tous les volontaires qui s'etaient armes. Ils combattirent avec intrepidite sans relache jusqu'a ce que l'entree en eut ete victorieusement forcee, alors ils s'emparerent a l'instant des cachots qui, selon eux, semblaient etre les plus suspects. "Tandis que le sieur Fournier etait occupe de la sorte, le sieur de l'Epine, qui s'etait empare de la grosse artillerie des Invalides, s'occupait, sous ses ordres, du placement des divers canons conquis, du soin de les faire conduire et de les faire placer a l'Hotel de Ville, ou le sieur de Flesselles n'etait plus, au cloitre Saint-Honore, au Palais-Royal, etc."] CHAPITRE V 15 JUILLET 1789 _J'acheve la destruction du tombeau de la tyrannie. J'en sauve les papiers._ A la pointe du jour, je me rendis a mon corps-de-garde ou j'ai rassemble une grande force armee, composee d'un nombre considerable de citoyens ensemble, de gardes francaises, gardes suisses, etc. Je revins avec ce renfort a la Bastille. J'avais senti la necessite d'avoir ce renfort pour lever les obstacles qui s'opposaient a ce que les patriotes achevassent ce que la veille ils avaient si heureusement commence. On avait bien ouvert la plupart des cachots le 14; on avait delivre les prisonniers qui s'y etaient trouves; mais la precipitation et l'etourdissement avaient ete le resultat necessaire de la scene extraordinaire qui s'etait offerte. Plusieurs cachots s'etaient derobes a l'exactitude des recherches du meme jour 14; decouverts le 15, j'en avais requis l'ouverture. Des hommes, sous le nom de deputes de l'Hotel de Ville, s'y opposaient. Etonnante chose que, le lendemain d'un jour ou le peuple francais avait deploye tant d'energie, des esclaves eussent ose vouloir faire retrograder la Revolution! J'entre; je fais occuper tous les postes par ma troupe; je demande aux pretendus deputes leurs pouvoirs; je demande egalement les cles des cachots qui restent a ouvrir: on me refuse tout. Je prends le parti de faire rompre et briser toutes les portes de ces affreuses demeures sepulcrales, ou nous nous attendions de trouver encore quelques victimes enterrees vives. Personne n'habitait plus ces sombres et infernaux sejours; mais des chaines, et autres instruments de supplice qui s'offrirent a notre vue, nous apprirent que c'etait la ou les malheureux que l'on voulait conduire a la mort par de longues souffrances expiaient des actes sans doute vertueux aux yeux de la raison, mais qui, aux yeux du despotisme, etaient les derniers des crimes. Trois mesures importantes me restaient a suivre a la Bastille pour assurer a la nation tout l'avantage qu'elle pouvait tirer de sa conquete. J'en dirigeai l'execution avec toute l'exactitude qu'un zele sans bornes peut inspirer. La premiere de ces mesures consista a deloger tout le canon de la Bastille pour en armer Paris: mes freres d'armes, ainsi que moi, nous en fimes la distribution dans tous les districts. La seconde mesure etait de mettre dans un sur depot une quantite immense de papiers dans lesquels il devait se trouver de quoi transmettre a la posterite l'histoire complete des grands forfaits du despotisme en France, afin de leguer a nos neveux, avec la liberte consolidee, une perpetuelle horreur et un sentiment durable de defiance contre le retour de la tyrannie. Nous fimes charger quatre voitures de ces papiers, que nous avions reunis tant dans des cartons que dans des caisses, et nous les deposames a l'Hotel de Ville. J'observe que ce n'etait encore qu'une partie des papiers de la Bastille. Le peuple, avide de penetrer dans les horribles secrets du despotisme, en avait fait la veille un tres grand gaspillage. J'ai de Manuel une lettre par laquelle il m'avait annonce que le depouillement serait fait de cette partie deposee a la Ville, et que cet extrait des atrocites de la tyrannie recevrait la publicite la plus complete[39]. J'ignore pourquoi rien n'en a ete fait. Mais Manuel m'a appris a le connaitre: il a eu apparemment ses raisons de cacher au peuple les monstrueux secrets du despotisme. Et pourquoi le Conseil general de la Commune ne met-il pas au rang de ses devoirs de les devoiler? Ces horribles mysteres appartiennent au peuple. Comme citoyen, comme membre du peuple, je somme, au nom du peuple, le Conseil general de lui donner connaissance de ce depot horrible et precieux. [Note 39: Il y a, en effet, dans les papiers de Fournier, une lettre de Manuel relative aux papiers de la Bastille, et datee du 19 mai 1792.] Enfin, la derniere mesure fut de desesperer l'aristocratie, qui pouvait croire a une nouvelle resurrection, et de lui montrer la volonte ferme et constante du peuple francais, en prevenant la reedification du monument honteux de la barbarie des rois. Mes harangues au peuple, pour l'engager a se livrer a la demolition de la Bastille, eurent un prompt effet. Un peuple dispose aux revolutions pour la liberte est tres docile aux conseils d'execution qui lui sont donnes pour tout ce qui lui parait tendre a le faire arriver au but[40]. [Note 40: _Memoire justificatif_: "Cependant les volontaires n'avaient pas desempare de la Bastille: leur presence y etait necessaire pour y maintenir l'ordre et y veiller a la surete des citoyens qui s'y portaient en foule. Dans une telle confusion, il etait inevitable qu'il s'y commit des abus: ils en firent cesser quelques-uns et en reprimerent d'autres. Une chose surtout fixa leur attention et parut demander leurs soins, c'etait un cachot ferme dont la porte etait gardee par plusieurs gardes particuliers. Le sieur Fournier, informe que ce cachot contenait les archives de la Bastille, que depuis cinq heures du matin (c'etait le 15, le lendemain de la prise) des personnes, se pretendant munies d'une commission de la Ville, avaient fait un depouillement provisoire des papiers de ces archives, en avaient forme des liasses considerables et rempli des malles. Quatre voitures deja chargees de ces papiers etaient pretes a partir. Le sieur Fournier, sur le refus de representer la commission et sur le mauvais compte qui lui fut rendu de la distribution de ces papiers et de ce que contenait le cachot, donna ordre d'enfoncer la porte. Il fit arreter un sieur Charlet, qui paraissait etre un porteur de clef, et qui se disait electeur et commissaire de la Ville au depouillement de ces papiers et de ce que contenait ce cachot, qu'il etait charge, disait-il, de faire conduire dans un depot. Le sieur Fournier fit conduire le sieur Charlet et les quatre voitures de papiers a l'Hotel de Ville par le sieur Pelletier de l'Epine et Millet de Marcilly et un detachement de volontaires, qui (_sic_), apres avoir fait son rapport au bureau de la Ville, fut charge de veiller avec son detachement a la decharge des voitures de papiers et de continuer d'y apporter leurs soins jusqu'a ce qu'ils eussent ete en totalite transportes a l'Hotel de Ville."] CHAPITRE VI 16 JUILLET 1789 _Je previens l'incendie des lettres a la poste._ Un moyen infernal avait ete invente par la coalition aristocratique et de la cour pour rendre infructueux les genereux efforts du 14. On s'etait flatte d'armer les provinces contre Paris et d'assurer la guerre civile par une mesure doublement perfide. Tandis que, d'un cote, on expediait des courriers dans toutes les parties du royaume, pour annoncer que Paris etait en cendres et que l'on y avait massacre tous les patriotes et jusqu'aux femmes et enfants, on avait arrete d'un autre cote d'empecher les veritables relations de parvenir, en incendiant toutes les lettres a la poste. Averti secretement de cette atroce manoeuvre, j'investis l'hotel des postes, je m'empare du ci-devant baron d'Ogny, directeur general. J'arrete l'incendie deja commence depuis une demi-heure dans une grande grille de fer, au milieu d'une cour bornee par quatre murailles. Je conduis d'Ogny a l'Hotel de Ville, ou il subit interrogatoire. Je demande deux deputes de l'Assemblee constituante, pour concerter avec eux les mesures convenables. Je propose un arrete pour nommer dans l'instant quatre commissaires pour verifier les departs et arrivees des lettres, afin d'assurer la correspondance de l'Europe, et rassurer le royaume et les etrangers sur le sort de la nation. On adopte cet arrete dont j'exigeai aussitot l'affiche dans tout Paris. Son resultat est de rendre des ce moment la correspondance tres exacte. Mais d'Ogny, dont la sceleratesse meritait la plus exemplaire repression, recut de la part de deux traitres que la France aveugle idolatre et dont elle se repentit depuis, d'Ogny recut, dis-je, de Bailly et de La Fayette une recompense eclatante de ses affreux services. La posterite voudra-t-elle croire que La Fayette parvint a faire nommer d'Ogny commandant a ma place du bataillon de Saint-Eustache? Ceci cesse d'etonner, lorsqu'on considere que les deux fameux intrigants que je viens de nommer etaient a cette epoque en possession pleine et entiere de l'esprit public qu'ils etaient completement parvenus a egarer. Le faux masque de patriotisme sous lequel ils couvraient leur duplicite, etait tel qu'il fallait, pour les mettre a portee de paralyser la nation sans qu'elle s'en apercut. Mon energie civique n'entrait point dans leur plan. Les volontaires du corps de garde firent faire a leurs frais un drapeau avec cette inscription qui fut toujours ma devise: _Etendard de la liberte. Destruction des tyrans_[41]. Ce n'etait point de cela dont il s'agissait dans le systeme des La Fayette et des Bailly[42]. [Note 41: Il y a dans les papiers de Fournier une piece qui semble contredire cette allegation. C'est une attestation du district de Saint-Eustache, en date du 8 septembre 1789, que Fournier et sa compagnie ont fait benir par le cure de Saint-Eustache "un drapeau aux couleurs nationales sur lequel etaient empreints les attributs du district et le chiffre de M. le marquis de la Fayette."] [Note 42: _Memoire justificatif_: "Le jeudi 16, le sieur Fournier, informe que l'on brulait mysterieusement et dans le plus grand secret une quantite considerable de papiers a l'Hotel de la poste aux lettres, s'y transporta a l'instant. D'abord il se saisit prudemment de toutes les portes de l'Hotel. Il fit ensuite entrer avec lui douze braves Suisses pour en garder l'interieur. Cette demarche etait certainement importante et delicate: elle exigeait de l'activite et de la celerite. Le sieur Fournier y mit encore de l'honnetete, et a ce sujet il ne craint pas d'invoquer le temoignage meme de M. le comte d'Ogny, administrateur general des postes et messageries de France. Ce n'est pas qu'il n'ait eprouve beaucoup de difficultes de la part de celui-ci, qui d'abord deniait hautement l'incendie des papiers, et qu'il n'y ait meme eu entre eux de vifs et d'assez longs debats. "Mais le sieur Fournier, toujours actif dans ses expeditions et qui ne souffre ni subterfuge ni delai, ordonne sur le champ, pour les faire promptement cesser, des recherches exactes dans toutes les parties de l'Hotel. Alors M. d'Ogny, voyant qu'on allait fouiller dans une petite cour derobee, avoua que veritablement on avait brule, la veille dans cette cour, sans consequence quelques papiers inutiles. Bientot le sieur Fournier menaca d'en faire enfoncer la porte si elle ne lui etait pas ouverte a l'instant et les clefs furent apportees. "Le sieur Fournier, etant entre dans cette cour, y trouva une grille de fer d'environ trois pieds carres et un homme tout occupe a bruler des papiers. Vraisemblablement il ne brulait que les lettres des patriotes qui annoncaient, dans les provinces, la revolution et la nouvelle position des choses. Car on sut depuis des provinces que beaucoup de lettres incendiaires y etaient parvenues par la voie des courriers ordinaires. Quoi qu'il en soit, l'incendie fut arrete, l'homme saisi, et M. d'Ogny somme de se rendre a l'Hotel de Ville. Le sieur Fournier l'y conduisit bien escorte et y fit son rapport au Comite de police. "Sur cette entrefaite, arriverent a l'Hotel de Ville deux deputes de l'Assemblee nationale, et il fut arrete en leur presence qu'il y aurait provisoirement, et jusqu'a ce que l'Assemblee nationale en eut autrement ordonne, quatre electeurs pour verifier a l'Hotel des postes le depart et l'arrivee des courriers. Cette prudente deliberation fut affichee dans tout Paris. Assurement la surete de l'assistance publique n'exigeait pas moins que cette sage precaution. "Ainsi c'est aux soins vigilants du sieur Fournier que toute la France est redevable de cette precieuse surete dans le moment de ses plus violentes crises. M. d'Ogny lui doit meme d'avoir ete derobe et soustrait, par son active vigilance, aux fureurs de la populace qui voulait le hisser au Coin du Roi et le voir figurer un fatal reverbere. Heureusement pour cet administrateur, il en fut quitte seulement pour la peur. "Le 17, le sieur Fournier, allant a la tete de ses volontaires au-devant du Roi qui venait, en consequence de la revolution, faire son entree a Paris, apercut sur la route un detachement de troupes suisses en armes et bagages, ayant chacun trente coups a tirer, mais sans officiers et seulement un caporal a leur tete. Il crut devoir les questionner et leur demander de rendre les armes, ce qu'ils firent de bonne grace. Il distribua leurs munitions a ses volontaires. Comme ces Suisses paraissaient agir de bonne foi, il leur laissa leurs fusils, les faisant seulement garder a vue. Ils n'avaient point pris de nourriture depuis deux jours, dirent-ils. Le sieur Fournier leur fit donner a boire et a manger, a ses frais. Une citoyenne genereuse, la dame Morel, devant la porte de laquelle ceci se passait, voulut participer a cet acte d'humanite. Elle fit distribuer ensuite aux soldats du pain et meme des rafraichissements de diverses sortes. Veritablement, les vivres etaient rares alors: on en obtenait difficilement, meme a prix d'argent. Il fallait pourtant en procurer aux defenseurs de la patrie. C'etait la un devoir patriotique et le sieur Fournier le remplit genereusement. Il nourrit de ses deniers, durant neuf jours, une compagnie de gardes francaises, une compagnie de gardes suisses, le corps de garde des pompiers de la rue de la Jussienne et meme en partie, durant le meme temps, les deux corps de garde de cette meme rue. "Grace aux genereux officiers des volontaires, ces deux corps de garde n'ont meme rien coute, ou presque rien coute, vu leur grand nombre, au district Saint-Eustache durant les trois mois qu'ils ont ete en activite. "Partout ou il y avait un service critique et du danger, le corps des volontaires, qui y etait presque, toujours commande, s'y portait avec zele; dans la vallee de Montmorency, a l'Hotel de Ville a l'occasion de l'emeute causee par le bateau de poudre suspecte, a l'_Opera_, lorsque le bruit qu'on allait le bruler se fut repandu. Le sieur Fournier fut meme engage de commander en personne ce poste-la, etc., etc. "Il y avait souvent jour et nuit, surtout dans le commencement de la Revolution, trois ou quatre detachements de 20, 30, 40 et jusqu'a 50 hommes pendant des deux et trois jours en campagne aux frais des volontaires; les gardes soldes, car il y en avait toujours dans ces detachements, etaient defrayes par les volontaires; de maniere que lorsqu'ils rentraient au corps de garde, ils recevaient leur paye franche. "Le sieur Fournier, ayant obtenu pour son corps la permission d'avoir un drapeau, M. de La Fayette, qui avait passe ce corps en revue dans son hotel, souhaita d'y voir place son chiffre: il voulut meme assister avec son etat-major a la benediction pompeuse de ce drapeau qui fut faite en l'eglise Saint-Eustache. "On croirait presque que depuis cette epoque, et a l'occasion de cette double faveur de M. le general, la jalousie est entree dans le district Saint-Eustache; du moins il est arrive que le corps des volontaires du sieur Fournier est en partie reste sans activite; mais, nonobstant cette inaction actuelle, les membres sont toujours unis de coeur et de sentiments. Comme le salut public est leur _devise_ et leur but, ils attendent les ordres du general, lorsque le cas l'exigera pour la defense de la patrie et pour le service indivisible de la nation et du roi."] CHAPITRE VII 5 OCTOBRE 1789 _Voyage de Versailles._ Depuis que l'intrigue perverse des deux directeurs de la France m'avait supplante pour mettre a ma place un grand scelerat, j'etais reste coi dans mon asile, apres m'etre ecrie comme Brutus: _O vertu! tu n'es donc bonne a rien sur cette terre depravee!_ Mais le spectacle de mes freres criant la faim, a l'epoque du 5 octobre, ne put plus contenir davantage ma sensibilite. L'execrable horde aristocratique et royale avait forme le complot de reduire a l'esclavage, par la famine, cette nation qu'elle ne voyait pas lieu par d'autres moyens de faire renoncer a son projet de conquerir sa liberte. J'entends, ce jour-la, des sept heures du matin[43], les cris d'une alarme generale et le tocsin qui sonne. Je cours a la Ville. J'y trouve le peuple qui, a ma vue, s'ecrie: "_Fournier, conduisez-nous a Versailles ou nous voulons aller demander du pain_." Je repondis que j'irais si je pouvais rassembler une force armee suffisante. [Note 43: J'avais rendez-vous a la meme heure au Comite militaire de la ville avec Bailly et La Fayette pour l'examen de mon plan des 6,000 hommes. (_Note de Fournier_.)] Le corps des Vainqueurs de la Bastille se mit en mouvement le premier et, de concert avec les femmes, il fut a Versailles ou il s'empara, au milieu de la place d'Armes, des gardes du corps et des troupes du despotisme qui y etaient postees. Je ne crus pas devoir perdre un moment. Je courus dans Paris pour rallier le plus qu'il me serait possible de bons citoyens. Arrive a Saint-Eustache, j'y trouve d'Ogny, commandant, mon successeur, sous lequel les citoyens refusaient de marcher. D'Ogny eut la bassesse de recourir a moi pour me prier de les rassembler; il s'agissait du salut public; je ne me pretai pas a d'autres considerations. Je n'eus besoin que de dire a mes anciens camarades: "_Freres, me reconnaissez-vous?_" A l'instant, toutes les compagnies furent sous les armes. Croira-t-on qu'aussitot d'Ogny eut l'impudeur de se mettre _avec moi a la tete_ de ces memes compagnies qui se rendirent a l'Hotel de Ville? La s'engagea un conflit pour savoir a qui, de d'Ogny ou de moi, resterait le commandement. Une bonne partie des citoyens et des troupes se rangea de mon cote. On observa que nous n'avions point d'etendard pour faire notre ralliement. J'allai chercher le drapeau a la fameuse devise: _Destruction des tyrans_. De retour a la Ville, je trouve tout le peuple et les gardes francaises qui me crient: "A Versailles, Fournier, commandez-nous." Je fait battre le rappel, et j'assemble tout le monde de bonne volonte. Alors d'Ogny descend de la Ville: "Qui vous a donne l'ordre de battre? demande-t-il aux tambours.--C'est moi, repondis-je en m'avancant.--Qui vous en a donne l'ordre? replique-t-il." Je lui dis du ton le plus ferme: "Le tocsin et le peuple souverain." Alors il s'exhala contre moi en menaces que je fis cesser en le poursuivant avec mon sabre nu. Il s'enfuit dans l'Hotel de Ville ou je le suivis. Mais la reflexion me fit abandonner ce lache pour m'occuper du sycophante La Fayette que je trouvai dans un des appartements de la Maison de Ville, occupe a faire de grandes motions qui n'etaient pas les miennes ni celles du peuple. Je lui adressai la parole pour lui dire: "General, le peuple vous demande en bas, sur la place de Greve; il faut dans l'instant descendre, il en est temps; le peuple veut faire le voyage de Versailles pour chercher du pain: je vous exhorte de ne pas differer." La Fayette obeit. Je descendis aussitot. Il se porta sur ma colonne ou, s'adressant a moi avec un petit imprime a la main, il me dit: "Fournier, comment, vous sur qui je comptais le plus pour me donner des detachements pour aller a quarante et cinquante lieues d'ici, chercher des farines, est-ce que vous me manquerez aujourd'hui?" Ce piege grossier, pour faire diversion au grand objet qui nous occupait, n'eut pas de prise sur moi. "Oui, general, repliquai-je, je vous manquerai aujourd'hui. C'est a Versailles qu'il faut aller et il est temps de partir." Cette reponse faite, je saisis mon role de commandant: "Attention, a gauche, a Versailles!..." Ausstot, deux femmes se porterent vers La Fayette et lui dirent, en lui montrant du doigt le fameux reverbere: "A Versailles ou a la lanterne!" A ces mots, il part; nous sommes partis. Mais nos scelerats avaient arrete entre eux d'employer tous leurs efforts pour faire manquer la partie. D'Ogny etait devenu le lieutenant de La Fayette; il marchait a ses cotes. Nous n'etions qu'a la hauteur du Pont-Neuf, lorsqu'on nous fit faire une premiere halte. Alors le general et d'Ogny vinrent a moi, et me dirent: "Nous ne devons point partir sans munitions; vous pourriez en aller prendre au district de Saint-Eustache." Je soupconnai bien que cette amorce couvrait encore quelque dard nouveau; c'est pourquoi je me precautionnai. Je consentis d'aller chercher des munitions avec ma premiere colonne, mais je dis a ma seconde de m'attendre a la hauteur des Champs-Elysees avec le general et de ne pas le perdre de vue. Arrive a Saint-Eustache, quel fut mon etonnement d'y voir d'Ogny et de l'entendre crier aux troupes entrees dans l'eglise et rangees en bataille: "Haut les armes, chacun chez vous, je vous l'ordonne au nom du general!" Indigne, je m'ecrie: "Halte-la, citoyens!" Je prends aussitot mes epaulettes, je les foule aux pieds, je crie de toutes mes forces _que c'est ainsi que merite d'etre foule aux pieds le lache qui vient d'oser ordonner aux citoyens de retourner chez eux_. Je rattache mes epaulettes et je dis a ma troupe: "Citoyens, qui m'aimera, me suivra"; et m'adressant aux femmes: "Vos enfants meurent de faim; si vos epoux sont assez denatures et assez laches pour ne pas vouloir aller leur chercher du pain, il ne vous reste donc plus qu'a les egorger." L'effet de ce discours fut des plus funestes a d'Ogny. Il ne fut pas plutot prononce que les femmes tomberent sur lui et lui distribuerent tant de coups de poing et de pied dans le ventre qu'elles le forcerent a marcher et qu'il mourut peu de temps apres des suites de ce traitement qu'il avait trop merite. J'allai rejoindre aux Champs-Elysees le corps que j'avais quitte au Pont-Neuf, et alors nous paraissons marcher tout de bon pour Versailles. Lorsque nous fumes vis-a-vis la manufacture de Sevres, il vint a passer une voiture qui s'annoncait sous le titre d'equipages de La Fayette. Elle etait conduite par huit chevaux de poste; des hommes, au nombre de huit a dix, habilles en grenadiers nationaux, etaient montes sur l'imperiale, sur le siege et derriere. Ils criaient tout le long des colonnes: "Gare, laissez passer, ce sont les equipages du general." A ce mot _du general_, j'arretai la voiture et je dis: "Ce serait la voiture du diable, je l'arreterais pour savoir ce qui est dedans." Aussitot une nuee de mouchards et de coupe-jarrets me circonscrit et fait echapper la voiture. Je demande si on ne demele point la premeditation d'un depart commun du roi et du general, puisque c'est a la meme heure et au meme moment que la garde nationale de Versailles, toujours active et patriote, et les Vainqueurs de la Bastille, que j'ai dit ci-dessus etre partis les premiers et en avant, ont arrete a Versailles les equipages de la maison royale au bas de l'Orangerie et qu'ils les ont fait rentrer en lieu de surete. Les intentions perfides de ce malheureux La Fayette ne paraissent plus equivoques, quand on se ressouvient qu'il fit faire aux citoyens armes cinq ou six stations de Paris a Versailles, au milieu d'un deluge de pluie et du temps le plus affreux qui ne permit d'arriver qu'entre minuit et une heure. C'est ainsi qu'on donnait le temps a d'Estaing de preparer toutes les manoeuvres criminelles de la Cour et du traitre general. Ce d'Estaing abandonna a dessein son poste de la garde nationale de Versailles pour s'occuper plus utilement au chateau; mais, ayant ete instruit de la trahison, je m'emparai du corps de garde des ci-devant gardes francaises et du parc d'artillerie ou j'etablis bonne surete. La preuve de ce fait existe par le temoignage du citoyen de Versailles commandant du poste et par une attestation de l'aide de camp Gouvion qui etait venu a deux heures du matin pour s'emparer de ce poste. Mais je mis mes moustaches en travers et lui dis _qu'il etait temps de deguerpir et de f... le camp_. Il me demanda la permission d'entrer dans le corps de garde pour ecrire une lettre a la municipalite de Paris. Je lui dis _qu'il le pouvait et que je m'en f... encore_. Apres une heure de reflexion et apres avoir fume deux pipes, il fut oblige d'aller fumer la troisieme aupres de son general, qui etait alle soupirer aupres de Marie-Antoinette et reflechir sur les inconvenients des grandeurs. Le 6, a cinq heures du matin, j'allai a la decouverte, accompagne de deux officiers de mon poste. J'allai jusque sur la terrasse du chateau du cote de l'Orangerie. La, je vis toute la terre labouree par la trace de plusieurs chevaux. Ma curiosite me porta a vouloir decouvrir de quel cote cette cavalerie avait dirige ses pas. Je tournai du cote de Trianon et je poursuivis ma route vers l'escalier de marbre. Parvenu vis-a-vis les appartements de la ci-devant Madame _Veto_, j'apercus deux gardes des Cent-Suisses qui etaient en ligne perpendiculaire de sa fenetre. Je voulus leur parler, et tirer d'eux, s'il se pouvait, quelques instructions. Ils me dirent que La Fayette et les gardes du corps et tous les gentilshommes de la Cour etaient des f...gueux, qu'ils avaient voulu les souler la veille, qu'ils avaient accepte un verre de vin sans vouloir entrer pour rien dans leurs complots; que les gardes du corps leur avaient dit: "A votre sante, camarades, et a la sante du roi." L'un de nous, poursuivirent-ils, donna un signal aux autres et nous nous sommes retires en leur disant: "_Comment! nous sommes aujourd'hui vos camarades, et vous avez coutume de nous regarder comme des valets de porte!_" Nous fumes bientot distraits du recit que ces braves Suisses nous faisaient, lorsque, frappant cinq heures trois quarts, il entra dans la cour de marbre une quantite innombrable de peuple qui se porte sur les gardes du corps en faction, que l'on enleva en poussant force cris: _A la lanterne!_ J'ai cru qu'il etait de mon devoir de ne point prejuger de coupables. Je voulus leur sauver la vie, mais inutilement. Le premier arrete eut le ventre ouvert d'un coup de couteau: il expira a mes pieds. Il fut demonte de ses armes, et son mousqueton, qui me resta dans les mains, est encore chez moi. Je courus aussitot dans le chateau et je me trouvai encore a temps de prevenir une partie des gardes du corps et de les sauver. Je crus par suite faire une bonne action en avertissant cette malheureuse ci-devant reine de se sauver chez son mari. Je fis, en outre, fermer les portes des Cent-Suisses et je formai un mur de mon corps pour empecher le massacre general dans le chateau. Je bravai plus de vingt coups de feu pour cela, dans la conviction ou j'etais alors que je me livrais a un acte meritoire; on n'avait pas encore a cette epoque la mesure entiere de la monstruosite de ces etres dont on a connu depuis toute la noirceur de l'ame. Je me rendis au corps de garde et envoyai aussitot un officier de mon poste pour faire battre la generale. Nous reunimes toute la force pour contenir ce grand mouvement populaire, dont les efforts tendaient a la punition instante des chefs des traitres[44]. [Note 44: Fournier se fit donner par deux Cent-Suisses un certificat constatant, que, dans la matinee du 6 octobre 1789, il avait preserve le chateau de Versailles du carnage. On trouvera ce document dans ses papiers aux Archives.] Nous nous presentons dans la cour de marbre; la nous demandons le ci-devant roi au balcon; il y parait avec sa femme, ses enfants et La Fayette. Les deux ou trois bouts de phrase qu'il y profere ont l'air de stupefier la plupart des auditeurs: tant il est vrai que les chaines de l'esclavage et de l'idolatrie pour les rois avaient empreint chez nous des marques bien profondes! Je voyais l'heure ou tout le monde aurait repris la route de Paris sans donner plus de suite a cette demarche[45]. [Note 45: _Memoire justificatif_: "Le 5 octobre dernier, une partie des volontaires se porterent a Versailles sous la conduite du sieur Fournier; arrives la a une heure apres minuit, le sieur Fournier y prit les ordres de M. de La Fayette. En consequence, il se rendit, accompagne de ses volontaires, a l'ancien corps de garde des gardes francaises, ou ils furent accueillis en freres par la garde nationale de Versailles qui occupait ce poste. Ils y resterent jusqu'a cinq heures du matin. "Alors le sieur Fournier crut devoir aller officiellement a la decouverte et reconnaitre par lui-meme ce qui se passait a l'entour du chateau. Tout y etait, a cette heure-la, calme et tranquille: il n'apercut meme, chose assez etrange, vu surtout la circonstance, personne dans la cour des Ministres. Il passa d'abord du cote de la chapelle. Il y trouva sous la voute, pres la porte de l'appartement du capitaine des gardes, deux gardes du corps en faction qu'il avertit bien de ne pas se montrer, s'ils voulaient eviter de devenir victimes d'une populace immense vivement irritee qui avait jure leur entiere destruction. "De la, le sieur Fournier continua sa marche d'observation sur la terrasse du cote de l'Orangerie. Il remarqua que, dans tout le cote des appartements de la reine, les gardes du corps avaient passe la nuit avec leurs chevaux, d'ou, a en juger par leurs traces, ils etaient alles vers Trianon. "Il aborda ensuite deux des Cent-Suisses de la garde du roi, et apercut au meme instant deux dames dans l'appartement de la reine qui s'etaient approchees d'une croisee, mais d'ou elles se retirerent sitot qu'elles eurent vu qu'elles avaient ete apercues. Puis il passa avec les deux Cent-Suisses dans l'escalier qui fait face a la cour de Marbre. Il etait alors environ six heures du matin. "Tout a coup on vit entrer confusement, par la cour des Princes, une populace en fureur qui courut se saisir des memes gardes du corps que le sieur Fournier avait avertis. La disparurent deux de ses volontaires qui l'avaient toujours accompagne. Pour lui, il tenta inutilement d'arracher l'un de ces deux gardes des mains de la populace. Il n'en echappa lui-meme qu'en donnant un coup de sabre a l'assassin qui le tenait deja _apprehende au corps_, pretendant qu'etant lui-meme un garde du corps deguise sous l'habit national, il fallait sans misericorde le mettre dans l'instant meme a la _lanterne_. "Echappe de la sorte, le sieur Fournier se sauva par l'escalier de marbre, apres avoir ete poursuivi dans sa fuite par une grele de coups de fusils, dont heureusement aucun ne l'atteignit. Il aborde les Suisses, fait fermer les portes du chateau, gagne l'escalier qui descend au bureau de la guerre et se rend enfin avec beaucoup de peine rejoindre sa troupe au corps de garde ou il avait passe une partie de la nuit. Il s'empresse d'y annoncer tout ce qui se passait, fait battre la generale et se rend en hate au chateau pour dissiper toute cette populace irritee et sans frein et empecher, s'il etait possible, le carnage horrible que quatre cents assassins qu'elle escortait, s'etaient propose d'y porter par le fer et le feu."] Je m'adresse a cinq ou six de ces femmes qui, sous le titre et l'enveloppe de poissardes, cachent des qualites morales et surtout un jugement qui les rend capables de toujours bien apprecier un bon avis. Je me mets au niveau de leur intellect et, empruntant le ton du pere Duchesne et leur mettant le poing sous le nez, je leur dis: "_Sac... b....esses, vous ne voyez pas que La Fayette et le roi vous c..... quand ils disent qu'ils vont entrer dans leur cabinet pour vous donner du pain. Vous n'apercevez pas que c'est pour vous renvoyer et pour vous rendre des fers et la famine. Il faut emmener a Paris toute la sacree boutique_..." Ces paroles ne furent pas plutot exprimees et je ne les eus pas plutot fait suivre du geste de porter mon chapeau au bout de mon sabre en criant: _A Paris, le roi a Paris_, que cinquante mille voix repetent ce meme cri: _A Paris_, et, de suite, l'on part.... Nous sommes encore partis. C'est moi qui fus charge d'aller en avant pour annoncer a la municipalite de Paris la nouvelle de l'arrivee dans la capitale du maitre de Versailles, et que le peuple, dont tel etait le bon plaisir, l'y conduisait. CHAPITRE VIII 1789[46] [Note 46: _Sic_. Il faut lire 1791.] _Journee des poignards.--Demolition de Vincennes._ Il n'etait pas echappe aux yeux de La Fayette que j'avais eu une part suffisante aux evenements qui viennent d'etre decrits. Aussi prit-il toujours grand soin de m'ecarter et de faire remplir tous les emplois par des aristocrates et des scelerats. Sans doute, on esperait de me degouter par l'ingratitude. Mais moi, qui n'ai jamais servi la patrie que pour la satisfaction de la servir, je ne sentis jamais mon zele diminuer, comme on en verra les preuves dans le plus grand nombre de faits qui me restent encore a rapporter. Cette fameuse conspiration des poignards[47], que la divinite qui a toujours veille sur le sort de notre liberte a fait echouer comme tant d'autres, j'eus, quatre jours avant son execution, des indices de son existence. Je savais la diversion qu'on devait donner au peuple par la feinte demolition de Vincennes. Je savais que tout cela etait trame par les deux perfides, Bailly et La Fayette. Je voulais prevenir le coup dont ils menacaient la patrie, et pour cela j'allai faire ma denonciation au club des Cordeliers. Legendre, faisant alors les fonctions de president, proposa et fit deliberer une deputation aux Jacobins, pour y transmettre cette denonciation. Je fus de la deputation. [Note 47: 28 fevrier 1791.] Arrive aux Jacobins, j'eus la parole, et je voulais entreprendre de denoncer l'affreux complot, quand je vis ma voix entierement couverte par des cris aussi affreux d'epauletiers, de coupe-jarrets et de mouchards que le traitre general et le scelerat maire tenaient toujours apostes dans ce club respectable. Malheureusement, les patriotes n'y etaient point en force ce jour-la. Cependant je ne perdis point courage et apres de grands efforts pour faire percer ma voix a travers toutes celles de ces aboyeurs gages, je parvins a pouvoir declarer a l'assemblee du club et au president que j'etais si sur de ce que j'avancais, que je denoncais particulierement pour etre de la conjuration tous ces individus qui prenaient feu, et que je defiais chacun d'eux d'oser venir m'en demander la preuve. Peut-etre s'etonnera-t-on que je sois sorti sans encombre de tant de circonstances ou l'on me voit montrer une conduite qui sans doute parait avoir tenu de la temerite. Je reponds que je ne marchais jamais sans avoir dans ma poche la resistance a l'oppression et que j'avais jure, partout ou je m'etais presente, que si l'on avait le malheur de m'arreter, je ferais un exemple de justice tire du seul droit de nature. Voila ce qui a toujours arrete l'execution de beaucoup de mandats d'arrets lances contre moi par les grands inquisiteurs de juges de paix. CHAPITRE IX 1789[48] [Note 48: _Sic_. Il faut sans doute lire aussi 1791.] _Troubles provoques par la voie des spectacles._ L'aristocratie s'etait promis d'inoculer l'incivisme par les canaux des theatres. Cette maudite piece de ....[49] fut celle qui fit le plus de fortune et avec laquelle les bas flatteurs du royalisme insulterent le plus lachement aux patriotes. Impatiente, je dis un jour a bon nombre de ces derniers: Rendons-nous en force au Pantheon (_sic_), et vous verrez que nous saurons nous venger de toutes ces bravades trop longtemps souffertes. Nous partons: _A bas la piece et les aristocrates!_ nous ecrions-nous des que la scene s'ouvre. On nous repond: _A bas les Jacobins!_ Un combat s'engage et plusieurs coups d'epee et de sabre sont donnes et recus. Les patriotes, inferieurs en nombre a la faction royaliste, furent contraints de me laisser presque seul dans le parterre. J'y fus en butte a toutes les insultes des femmes entretenues par les chevaliers du poignard, qui en voulaient surtout infiniment a ma coiffure de jacobin ou de sans-culotte dont on connait l'elegance et qui a eu pourtant depuis tant d'imitateurs. [Note 49: Il s'agit peut-etre de la reprise de _La Partie de chasse de Henri IV_, par Colle, au theatre de la Nation, le 26 novembre 1791, (_Moniteur_, X, 468, 484, et non le 5 septembre 1791, comme l'impriment par erreur Etienne et Martainville, t. II, p. 147: ce jour-la on jouait _Virginie ou les Decemvirs_, par Doigny). "Ce charmant ouvrage de Colle, disent Etienne et Martainville, renfermait des allusions que les amis de Louis XVI saisirent avec transport et que sifflerent impitoyablement ceux qui ne voyaient qu'avec indignation l'espece d'oubli dont l'Assemblee nationale avait couvert son voyage a Varennes. Cette difference d'opinion excita dans le parterre des rixes qui seraient devenues sanglantes, si la force armee n'etait pas accourue pour retablir la tranquillite."] Je montai sur un banc et, la, je bravai toutes ces furies. J'osai seul leur repondre que la piece ne serait pas jouee. Alors vinrent se rallier autour de moi mes bons acolytes qui avaient deja emporte contre nos adversaires la premiere partie du combat. Nous voulumes gagner victoire complete. Nous ne desemparames pas que nous n'ayons (_sic_) mis tout le monde dehors, et traine messieurs les pages dans la boue, ainsi que leurs belles donzelles, que l'on couvrait de neige et de fumier. CHAPITRE X _Licenciement des troupes patriotes._ C'etait une suite du systeme conspirateur dont on ne perdait jamais l'espoir de recueillir un plein succes. La Fayette et Bailly, ordinairement en tete de tous les complots, se trouvaient encore dans celui-ci. Deja La Fayette avait congedie les compagnies et les corps entiers dont le civisme trop fervent et trop pur lui avait porte ombrage. Cet outrage aux vrais amis de la patrie stimula le peuple et donna le jour a la fameuse petition, dite des 30,000, que je fus encore choisi pour porter a l'Assemblee constituante. Elle avait aussi pour objet de demander justice et vengeance contre les arrestations et les emprisonnements illegaux des soldats du regiment ci-devant du Roi, qui avaient merite l'animadversion de La Fayette pour leur conduite, sous le commandement de son cousin Bouille, aux journees sanglantes de Nancy. On doit donc s'attendre de voir ici La Fayette en grande opposition avec cette petition. On doit s'attendre de nous voir vivement combattre ensemble. En effet, pour empecher la petition et moi de parvenir a l'Assemblee constituante, notre general herisse de canons tous les environs, de cette Assemblee, garde tous les debouches, ferme toutes les portes de l'Assemblee, des Feuillants et des Tuileries: tout etait permis a ce plenipotentiaire. Je penetre malgre tous ces obstacles. L'Assemblee est si etourdie d'apprendre que les petitionnaires des 30,000 sont la, malgre l'appareil formidable du general, qu'elle leve sa seance et qu'elle arrete que tous les Comites resteront assembles. Je somme Beauharnais, lors president[50], d'inviter l'Assemblee a entendre ma deputation. On l'entend en effet; on sait quel fut le succes de cette eclatante demarche. [Note 50: Alexandre de Beauharnais fut deux fois president de l'Assemblee constituante: 1e du 19 juin 1791 au 3 juillet suivant; 2e du 31 juillet 1791 au 14 aout suivant. Nous ne voyons pas qu'il se soit produit pendant ses deux presidences aucun incident analogue a celui que raconte Fournier dans ce chapitre et sur lequel nous n'avons rien pu trouver nulle part.] Mais je ne quittai pas prise pour la defense des opprimes de ce genre, c'est-a-dire des soldats chasses de leurs regiments pour cause de patriotisme. Ces braves enfants de la patrie venaient tous se jeter dans les bras du club des Cordeliers, et c'etait presque toujours moi qu'on honorait du soin d'etre leur introducteur, soit aupres de l'Assemblee nationale, soit aupres des ministres. Je ne peux que me rappeler un souvenir bien delicieux en me remettant que j'ai ete successivement le patron des malheureux carabiniers, des gardes francaises, des chasseurs de Picardie, et de tant d'autres. Moi et mes freres du club ne les abandonnions pas que nous n'ayons obtenu pour eux justice eclatante. Sans cela, nous n'aurions pas la satisfaction de savoir a present qu'ils combattent genereusement pour nous aux frontieres. CHAPITRE XI [PROJET D'UN CERCLE D'EDUCATION[51].] [Note 51: Ce chapitre est ecrit sur des feuilles volantes et ne fait partie d'aucun des deux cahiers ou Fournier a ecrit les deux versions de ses memoires. Nous croyons pouvoir rapporter les faits dont il est question dans ce chapitre a l'annee 1791. Quant aux incorrections et aux lacunes qui defigurent ces pages, elles sont textuelles.] A cette epoque, je presentai un ouvrage aux representants de la Commune de Paris, un ouvrage qui tendait au salut et au bonheur de la capitale, d'une formation d'un corps de six mille hommes a pied et a cheval, gratis a la Republique, qui devenaient pour lors les defenseurs de la liberte. Dans ce plan etait joint un etablissement des arts et metiers, pour occuper le peuple desoeuvre et sans fortune, ce qui devenait (_sic_) au secours des malheureux et au developpement de l'industrie et du commerce. Cet etablissement consistait a des ecoles militaires, a des industries de guerre contre les tyrans. Le tout reunissait le soulagement des peuples pour lesquels on n'a encore rien fait. Je ne demandais a l'Hotel de Ville que de leur developper mes moyens et ils etaient fondes en principes et en pratiques que j'avais deja professes en Amerique. Je serais encore a meme, a quiconque en douterait, de leur (_sic_) prouver mathematiquement et pratiquement ce que je pouvais faire dans ce temps-la. Mais La Fayette, Bailly et les Martin, Lasalle, Desaudray[52] et autre chevalerie de ce temps mirent aussitot toutes les entraves possibles pour empecher cette operation. Des cet instant, la sceleratesse employa tous les moyens de m'eloigner de mes plans et de mes projets, parce qu'ils ne remplissaient pas les vues du gouvernement tyrannique et aussitot ils imaginerent pour detenir les patriotes dans leur surveillance.... On chargea le sieur Desaudray a former un club appele sous la denomination de loyalistes, ou les hommes du 14 juillet qui avaient marque a cette epoque.... Le club est etabli, plusieurs mois s'ecoulent, le president Desaudray s'occupait a ramasser tous les titres (ordre pour aller ca et la) de ceux qui avaient figure. Un beau jour, Desaudray m'engagea a diner chez lui avec un autre citoyen et cela pour nous proposer, a moi la croix de Saint-Louis de la part de La Fayette et de Duportail et a mon collegue (parce qu'il n'avait de service militaire) la medaille des gardes francaises. Toutes ces choses sont bien importantes a noter pour faire connaitre quelle ruse on employait pour entrainer, pour parvenir, etc. Le jour remarquable que l'on me faisait ces propositions, La Fayette faisait assassiner les patriotes au Palais-Royal par un nomme Lacombe qu'il a decore, deux jours apres, de la meme croix, n'ayant jamais servi a ceux qui osaient parler dans le cafe du Caveau et autres spadassins qui voulaient en imposer. [Note 52: C'est le chevalier Desaudray qui fonda, au Palais-Royal, le Lycee des Arts.] Je dois dire ici que, des ce moment-la, cinq ou six patriotes que nous etions, nous nous assemblames pour detruire ce club qui n'etait rien moins que pour former un noyau, pour servir la passion de la tyrannie et de la contre-revolution. Aussitot chacun fit des sacrifices pour payer les frais de la salle et autres et retirerent (_sic_) leurs papiers. Et, des ce moment-la, l'on voyait deja paraitre des recompenses et pensions de l'Hotel de Ville, de l'Hotel de la guerre, au chevalier president Desaudray. Le memoire que j'ai presente, Bailly et La Fayette ont pretendu qu'il avait ete enleve lors du pillage a l'Hotel de Ville, lors du pillage dans la matinee du 5 octobre avant le voyage de Versailles. J'ai objecte que le plan n'avait pas ete enleve de ma tete, qu'il y etait toujours, mais ils l'ont toujours repousse. Ce qui m'inspira des lors une defiance bien juste contre les deux idoles, et me mit en surveillance active et continuelle contre eux. Le fond de l'etablissement etait fait par six mille citoyens aises qui donnaient chacun deux louis, ce qui fait douze mille louis, soit 288,000 livres. Ces six mille hommes font le corps. Dans ce nombre, les aises font le service par honneur (l'etat-major paye). Les peres et meres peu aises y auraient fait entrer leurs enfants et auraient trouve a faire le sacrifice de deux louis pour leur y faire apprendre un metier. Auraient fait le service de nuit et de jour. Auraient fabrique toutes sortes d'ouvrages utiles: fabrique generale, arsenal, pour toutes sortes d'ouvrages utiles au campement de nos armees et autres. On aurait pris la vie et l'entretien dans les benefices des travaux. Le surplus des benefices pour elever les enfants et donner des etats, dont les peres de famille n'ont pas le moyen. On eut exerce les hommes. Toutes les fois qu'on aurait eu besoin d'hommes, on aurait fait une levee des hommes exerces qui eussent ete remplaces dans l'arsenal par un semblable nombre pris dans les aspirants, de maniere que le nombre eut toujours ete complet. CHAPITRE XII 17 JUILLET 1791[53] [Note 53: Ce chapitre est intitule, dans l'original: "21 juin 1791.--Assassinat tente par les chefs de bureau du ministere de la marine; depart de Capet pour Varennes." Il n'y est pourtant question, comme on va le voir, que de l'affaire du Champ-de-Mars (17 juillet 1791). Notons en passant que Fournier fut un des signataires de la celebre petition du 22 juin 1791 contre le roi et la royaute.] Le fameux arrete que le club des Cordeliers, toujours actif et rigidement surveillant, prit ce jour-la pour inviter le peuple a aller signer l'immortelle petition du Champ de Mars[54].... Je fis faire aussitot une banniere et j'y fis graver ce sublime arrete que je retrace ici....[55] [Note 54: La phrase est ainsi inachevee dans l'original.] [Note 55: Ce texte manque.] Le meme jour, plusieurs de mes freres clubistes et moi[56] nous nous rendons au Champ de Mars. Nous y trouvons deja une forte partie du peuple. Nous lui fimes part de la resolution qui etait a prendre. Apres avoir invite tous les citoyens a se ranger en bataille et sur deux rangs, je les previns de se rendre le lendemain, a cinq heures du matin, sur la place de la Bastille; que la on leur ferait part de la marche a tenir dans la circonstance. Ces faits etant convenus, nous nous separames tous, apres etre venus baptiser le _Pont-de-la-Nation_, vis-a-vis la place appelee alors de Louis XV. [Note 56: Le 16 juillet 1791.] A l'heure fixee le lendemain matin, je me rends a la place de la Bastille. Quel est mon etonnement d'y trouver les portes fermees! Je demande a l'officier de poste pourquoi ce jour-la seul la Bastille se trouve fermee. Il me repond que c'est de l'ordre du general et du maire Bailly. Je lui repliquai que j'allais chez Santerre, que dans dix minutes j'esperais etre de retour, que, si je ne trouvais pas alors les portes ouvertes, je comptais bien les faire tomber comme nous avions fait le 14 juillet. J'arrive chez Santerre et ma surprise est encore grande de voir que mes propositions ne lui conviennent pas. Je commencai des lors a apercevoir que, quand il s'agissait de deployer de ce qu'on appelle une veritable energie, le heros du faubourg Saint-Antoine n'en etait plus. Il me dit que, si on voulait lui donner cent mille hommes, il irait aux frontieres combattre les ennemis du dehors. Ce n'etait [pas] de cela qu'il etait question, c'etait les ennemis du dedans qu'il s'agissait de combattre. Je ne dois pas taire ici a la nation quels etaient alors mes projets transmis et proposes a Santerre. Ils etaient ceux du club entier des Cordeliers, de ce club toujours mur longtemps avant les autres sections des citoyens. Ils ne consistaient, ces memes projets, a rien moins qu'a fonder des lors l'empire sacre et respectable du republicanisme, qu'a saisir l'instant favorable qui se presentait d'abattre l'idole de la royaute et d'entrainer dans la meme proscription tous ses vils sectateurs. Je proposais de sonner le tocsin general, d'arreter Bailly et La Fayette, et de les renfermer, de leur faire leur proces, et de leur faire payer de leurs tetes la garantie qu'ils nous avaient juree du parjure _veto_. Je proposais en second lieu d'abattre toutes les statues de bronze qui existaient a Paris, d'aller visiter tous les endroits ou l'on soupconnait dans ce temps-la qu'il existait beaucoup d'armes et de munitions, de s'en emparer, de mettre la nation en pleine force, de la faire lever tout entiere, enfin de lui faire deployer toute l'attitude de la souverainete republicaine. Voyant que je ne pouvais rien faire de tout cela avec Santerre, qui passait alors pour le coryphee des braves, je le quittai indigne et je cherchai a voir si je ne pourrais parvenir a rien sans lui. Je retourne a la Bastille. J'en trouve les portes ouvertes, et j'y remarque un bien petit rassemblement du peuple. Je me jette au milieu, et je dis: "Mes amis, la nation n'est pas encore mure, nous avons encore des hommes en place qui n'ont point l'energie de la liberte et celle qui convient aux chefs armes d'un peuple qui la veut. Au surplus, allons au Champ de Mars pour signer la petition. Peut-etre un moment prospere se presentera-t-il." Le grand rassemblement se fit en effet a l'autel de la Patrie pour signer cette petition qui fut le precurseur imposant des dogmes republicains que la France, vraiment libre aujourd'hui, a le bonheur de professer. Mais les deux conjures Bailly et La Fayette etoufferent pour une annee le germe de cette sainte doctrine, et ce fut avec des flots de sang qu'ils empecherent qu'il se developpat. L'infernal departement de Paris d'alors etait de tiers dans cette machination nationicide. Cette infame coalition commenca par faire couper la tete a deux malheureux[57] pour avoir le pretexte de deployer la loi martiale, pour pouvoir ensuite faire assassiner, comme ils l'ont fait, une multitude de citoyens de tous ages et de tous sexes, d'epoux avec leurs epouses, de meres avec leurs enfants. On a eu trop de preuves, que leur but etait d'envelopper dans le massacre general le club des Cordeliers, toujours en observation pour eclairer leurs odieux forfaits. Ils n'ont pas reussi. Ce club, tant redoute par ces grands criminels, n'en est devenu que plus terrible pour poursuivre leurs continuelles manoeuvres d'iniquite. [Note 57: Il s'agit des deux hommes qui avaient ete trouves caches sous l'autel de la Patrie. Voir le recit de Santerre dans le _Journal des Amis de la Constitution_, n deg. 29.] Je dois rendre ici un compte tres exact de cette sanglante et malheureuse journee du Champ de Mars, sur laquelle tout erre dans les details. D'un cote, le peuple etait rassemble en paix autour de l'autel de la Patrie ou il s'occupait de signer la petition. D'un autre cote, toute la force armee etait mise en mouvement par La Fayette. Bientot le Champ de Mars est investi. Un corps de cavalerie remplit le Gros-Caillou, une troupe de brigands, en tete de laquelle se distingue le fameux Hullin, occupe la partie de l'Ecole militaire. La place des Invalides est garnie de ces chasseurs si connus par les assassinats de la Chapelle[58]. La Fayette et ses mouchards s'occupaient a faire distribuer de l'eau-de-vie et du vin a tout ce monde deja egare. De toutes parts, on ne voyait plus que des hommes souls et ivres. De toutes parts, on ne voyait que des pieces de canon. Helas! pour quoi faire? Pour executer de sang-froid le massacre le plus barbare contre des hommes sans defense, contre leurs femmes paisibles et leurs malheureux enfants. Citoyens, poursuivez les details qui me restent a vous reveler sur cette horrible affaire, et fremissez. [Note 58: Allusion aux meurtres commis a La Chapelle-Saint-Denis le 24 janvier 1791 par un detachement de chasseurs soldes. Voir sur cette affaire le rapport fait par Elie Lacoste a l'Assemblee legislative dans la seance du 11 mai 1792 (_Moniteur_, XII, 367).] A deux cents pas de l'autel de la Patrie, La Fayette, entoure d'une escorte nombreuse d'epauletiers, ses satellites, se presente. J'osai lui faire face. Il s'arrete. Je lui demande ce qu'il vient faire et quel est son dessein. Je l'invite a se retirer et lui garantis que tout le monde est paisible et tranquille[59]. Il reste muet et me regarde d'un oeil dedaigneux; et il me semble lire sur son visage qu'il avait un dessein a executer, mais qu'il ne me considerait pas comme capable de le faire manquer. Je retourne aussitot sur l'autel de la Patrie et je demande un grand silence pour pouvoir promptement deliberer sur les moyens de parer aux dangers qui nous menacaient. Au meme moment parurent, quatre municipaux revetus d'echarpes: "Messieurs, vous me connaissez tous, leur dis-je, je vous declare ici que, d'apres ce que je viens de voir et d'observer, l'on n'a que l'intention d'engager une guerre civile et de nous assassiner." Les municipaux demanderent a voir la petition et dirent hautement, apres l'avoir lue, qu'ils la signeraient eux-memes, s'ils n'etaient pas revetus de pouvoirs; qu'ils allaient de ce pas a l'Hotel de Ville rendre compte du bon ordre qui regnait autour de l'autel de la Patrie et de la justice des reclamations. [Note 59: Convention nationale, seance du 12 mars 1793, paroles de Marat: "Je denonce un nomme Fournier qui s'est trouve a toutes les emeutes populaires, le meme qui, a l'affaire du Champ de Mars, a porte le pistolet sur La Fayette et qui est reste impuni, tandis que les patriotes etaient massacres." (_Moniteur_, XV, 691.)] A travers ces demonstrations municipales, je crus demeler certaines intentions peu sinceres. Alors, je confiai au peuple mes craintes et je demandai si l'on ne croirait pas utile de nommer une deputation sur-le-champ pour accompagner les municipaux a la Maison de Ville. On adopte cette proposition. Je suis nomme l'un des onze commissaires de la deputation. Etant partis tous en voiture avec les municipaux, nous ne tardons pas a acquerir la preuve de ce que j'avais pressenti, c'est-a-dire qu'il y avait quelque anguille sous roche, dont les hommes du peuple ne devaient pas etre du mystere. Arrives a la porte d'un sieur La Rive, faubourg du Gros-Caillou, nous apprenons que c'est la que La Fayette se trouve retranche. C'est sans doute, pensai-je bien alors, pour concerter les modifications de quelque terrible complot. Je fus plus confirme dans mon opinion, quand je vis nos municipaux vouloir faire arreter les voitures, et dire qu'il fallait necessairement qu'ils parlassent a M. de La Fayette. Nous voulons entrer avec eux; nous rencontrons de l'opposition. Nous payons notre temerite par le role de sentinelles forcees qu'il nous fallut remplir pendant une demi-heure, temps que dura a peu pres l'audience qu'obtinrent exclusivement les municipes (_sic_). Enfin, nous repartons; mais, sous le pretexte de nous donner une escorte de surete, on nous fait, comme des coupables, accompagner d'une force de cavalerie imposante. Alors j'apercus la perfidie en pleine evidence. C'est ainsi que nous arrivons a la Maison de Ville. Mais de quels nouveaux caracteres sinistres se charge cette scene qui aussi devait etre sur sa fin si tragique! La Greve se voit pleine de troupes, presque toutes soules. A notre approche, on fit battre aux champs. On nous fait entourer de plus de quatre mille hommes!--On fait charger les armes!!...--Nous descendons de voiture, et ... nous montons a la Ville. J'avoue que tout cet appareil ne me faisait pas un tres grand plaisir; cependant je dis a mes collegues qu'il fallait conserver du courage, meme en reprendre beaucoup de nouveau, et bien soutenir le caractere de deputation dont le peuple nous avait revetus. Nous n'allames avec les quatre municipaux que jusque dans la salle de la Commune, ou l'on nous fit rester escortes de quatre sentinelles a chaque porte. Les municipaux penetrerent dans la chambre du Conseil. Je m'assis penitentiellement derriere la porte de communication de cette derniere piece. Tout a coup parait Bailly, qui s'ecrie: "_Nous sommes trahis et compromis; il faut deployer la loi martiale_." La foudre ne saisit pas plus vivement celui qu'elle frappe, que je ne fus penetre d'horreur en entendant ces meurtrieres paroles: "Voila donc le signal du massacre, m'ecriai-je; voila l'arret de mort prononce contre le peuple!!" Hors de moi, je me leve, j'arrete ce sanguinaire Bailly et lui dis: "Monsieur, nous sommes ici une deputation envoyee par le peuple du Champ de Mars, et nous sommes sous la sauvegarde de quatre municipaux avec lesquels nous en sommes partis pour nous rendre ici; nous vous demandons la parole." Dans l'instant, des officiers municipaux qui etaient la semblerent vouloir faire une diversion a cet interlocutoire en insultant un de nos collegues, le citoyen Lariviere, alors chevalier de Saint-Louis, sur ce qu'il avait sa croix attachee avec un ruban tricolore. Mais il leur repondit: "J'ai cru que cette croix, que j'ai bien gagnee, ne perdrait rien a etre supportee par le ruban de la nation; au surplus, si vous voulez la porter au pouvoir executif, il vous dira si je l'ai bien meritee." Aussitot Bailly s'ecria: "Je connais M. Lariviere." L'impression que toutes les circonstances firent eprouver au citoyen Lariviere fut telle qu'il tomba deux jours apres en paralysie et qu'il resta depuis ce temps dans l'etat le plus deplorable. Dans cette entrefaite (_sic_), parut un commandant de la section de Bonne-Nouvelle qui vint prendre a bras le corps le maire Bailly, en criant: "Nous sommes perdus, on vient de tuer M. de La Fayette au Champ de Mars." C'etait un autre coup monte dont les conjures etaient sans doute convenus d'avance. Bailly l'assassin ne fait que repondre de toutes ses forces: "_La loi martiale, la loi martiale!_" C'etait a ces seuls mots que se bornait son role. Et aussitot le sanglant drapeau est deploye a la fenetre et la loi de mort proclamee sur la place. J'eprouve l'aneantissement et de suite l'emotion de la fureur. C'est au milieu de ce dernier sentiment que je crie a mes collegues: "Fuyons ces lieux de proscription; le signal du carnage est donne; de feroces magistrats immolent le peuple: ils ne sont pas disposes a ecouter ses envoyes; fuyons et allons rejoindre nos concitoyens et, s'il en est temps encore, soustrayons-en le plus grand nombre possible aux coups de leurs bourreaux." Nous observames que le plan des meurtriers etait si bien premedite que, dans tout Paris, a la meme minute, ce n'etait qu'un seul cri: "_La Fayette est tue!_" Les scelerats, qui connaissaient le coeur humain, avaient calcule qu'en frappant le peuple d'une telle assertion relativement a l'idole du jour de ce temps-la, il serait ebloui, il ne verrait plus rien et qu'il oublierait de regimber contre les mesures assassines disposees contre lui-meme. Quant a moi, je ne perdis nullement la tete. J'epuisai toutes les ressources qui me parurent nous rester. Je me rendis avec quelques-uns de mes collegues au club des Cordeliers qui etait permanent, et j'y rendis un bref compte de tout ce qui se passait. Santerre etait dans ce moment-la au club. Voici une circonstance qui fait remonter d'un peu loin des donnees sur le fond du civisme de cet homme qui fut aussi une idole. Lorsque j'eus dit que la loi martiale marchait, j'eus lieu d'etre etonne de la vivacite avec laquelle Santerre prit la parole pour laisser echapper ces mots par lesquels il eut fait croire qu'il etait dans le secret: "Messieurs, dit-il, soyez tranquilles, il n'y aura pas une amorce de brulee dans tout ceci." Il est vrai que par reflexion il ajouta: "Au surplus mon bataillon y est, et, si on avait le malheur de tirer, je m'y opposerais. Mais je puis me tranquilliser et m'en rapporter a l'officier qui le commande." Alors je demandai la parole pour dire autant renomme Santerre qu'il serait bien plus convenable qu'il se portat lui-meme en tete de son bataillon. Mon brave aussitot semble pique d'honneur, me regarde en enfoncant son chapeau dans sa tete, et dit: "_J'y vais_." Ou croiriez-vous, citoyens, qu'il a ete? Se cacher chez sa belle-soeur dans la rue des Fosses-Monsieur-le-Prince, meme maison ou je demeurais. Sans doute qu'il ne s'attendait pas de se trouver la si pres de mes penates; il n'en est sorti qu'a onze heures du soir. Les voila donc, ces heros dont les noms remplissent la terre! Quittant les Cordeliers, je me rends au Champ-de-Mars ou j'ai pu encore devancer la loi martiale. Je suis monte promptement sur l'autel de la Patrie ou j'ai dit au peuple assemble que nous avions voulu remplir ses intentions a l'Hotel-de-Ville, mais que nous n'avions pu nous y faire entendre; que la loi martiale etait a deux pas, et qu'on paraissait vouloir impitoyablement nous massacrer tous. "Je fais la motion, ajoutai-je, que tout le monde se retire paisiblement, pour que nos vils assassins n'aient pas la satisfaction d'accomplir leur abominable projet, et encore pour leur epargner dans l'histoire la honte inouie d'avoir immole tout un peuple sans defense." Un citoyen repliqua qu'il fallait attendre l'infame drapeau rouge, et qu'a la premiere proclamation, suivant la loi, on se retirerait. Immediatement le drapeau rouge parait au premier fosse du Champ-de-Mars. Des brigands stipendies et apostes la par les grands brigands avaient le mot de jeter quelques pierres a ces derniers des qu'ils paraitraient avec la loi martiale, afin que cette feinte provocation servit de pretexte a nos scelerats. Cette mesure etait liee aux deux assassinats du matin et au bruit generalement repandu d'un pretendu projet de massacre. Du milieu de la bande apostee des jeteurs de pierres part un coup de fusil, et c'est la, au lieu des diverses proclamations prescrites par la loi, c'est la le signal du meurtre et de l'egorgerie universelle. Les feroces satellites du general[60], tout pleins des fumees du vin qu'il leur a distribue et des maximes de sang qu'il leur a fait inculquer, brulent d'en venir a l'execution. L'ordre fatal est donne, ils vont etre satisfaits. De toutes parts ils courent sur le peuple, de toutes parts aussitot le peuple est assassine. Tout le monde veut se sauver et, dans leur fuite penible, hommes, femmes, vieillards, enfants, recoivent en tres grand nombre le coup terrible qui leur porte la mort. [Note 60: Le general qui, il faut le dire a la honte des Francais, etait alors, dans l'exactitude du mot, l'objet du culte du plus grand grand nombre. (_Note de Fournier_.)] Toute cette peinture horrible est exactement tracee d'apres le temoignage de mes yeux. Oui, j'ai ete le triste spectateur de tous les instants de cette scene affreuse. Je suis reste le dernier sur l'autel de la Patrie, et je ne l'ai abandonne que lorsqu'on y est venu assassiner deux citoyens qui etaient a mes cotes. J'ai dirige ma retraite vers Vaugirard pour aller au secours de plusieurs citoyens que je voyais poursuivre et fusiller de ce cote. L'un d'eux, qui n'etait meme pas entre au Champ-de-Mars, eut la tete percee d'une balle qui le renversa a quelques pas de moi. Je le fis transporter aux Invalides par la grille de derriere pour lui faire administrer des secours par le chirurgien de l'Hotel; mais a peine y fut-il arrive qu'il y expira. Ne pouvant plus servir personne ni remedier a rien, et voyant mes jours en danger, je me retirai chez le citoyen Leroi, faubourg Saint-Germain, pour m'y rafraichir et m'y laver les mains et la figure que j'avais toutes couvertes de sang et de poussiere. J'omettais une particularite qui n'est cependant point a garder sous silence. Le citoyen que j'abandonnai, apres qu'il eut expire, fut enleve par des troupes qui recueillaient les cadavres avec leurs bijoux. Celui-la avait deux montres d'or. Mais, tant de celles-la que de bien d'autres, Bailly a eu grand soin de ne rendre aucun compte. Vices humains! A quel point vous degradez ceux que votre attrait honteux subjugue! CHAPITRE XIII 20 JUIN 1792 _Fameuses petitions des Sans-Culottes_[61]. [Note 61: _Note annexee_: "Bien definir l'histoire du 20. Detailler le role de Petion et celui de Manuel. Rapprocher l'identite de la trahison, les intentions de ces deux roles qui paraissaient etre en opposition. Rapprocher l'opposition de ces memes roles avec celui de Santerre. "Ici il se presente encore une particularite propre a faire apprecier Santerre. Il etait convenu avec nous de planter l'arbre de la liberte dans le jardin des Tuileries, a la suite de la presentation de la petition a feu Capet. Lorsqu'il fut descendu du Chateau, il etait question d'executer ce projet: "Non, non, dit Santerre, cela epouvanterait le roi: il vaut mieux aller planter l'arbre dans un autre lieu." Vil complaisant! et toi aussi donc, tu as craint de deplaire a des rois! Que la posterite trouve dans ce seul fait de quoi te juger. L'eclair de renommee que tu n'as du qu'a des manoeuvres hypocrites ne pouvait pas briller plus longtemps que celui qui a lui sur tes pareils."] On se rappelle l'objet de ces petitions, dont l'une etait adressee a l'Assemblee nationale, et l'autre a feu Capet. Elles contenaient reclamations contre les terribles abus du _veto_ et contre le renvoi des ministres patriotes. J'ai contribue a cette memorable demarche, et pour cela j'ai ete denonce dans le fameux libelle de l'homme-roi, qui pretendait qu'on avait viole son asile[62]. N'avait-il pas donne la croix de Saint-Louis a un certain abbe Douglas pour etre mon denonciateur et provoquer contre moi un mandat d'arret qu'on n'a jamais ose mettre a execution? J'ai la preuve de tous ces faits, dont on pourrait d'ailleurs demander compte au club des Electeurs, seant a l'Eveche ainsi qu'au public, a qui j'avais annonce cette fameuse journee du 20 juin, huit jours auparavant. [Note 62: Il s'agit peut-etre du pamphlet de l'abbe de Lubersac intitule: _Rapprochement et parallele des souffrances de Jesus-Christ, lors de sa grande mission sur la terre, avec celles de Louis XVI, surnomme le Bienfaisant, dans sa prison royale_. Paris, 1792, in-8. (Bibl. nat., Lb. 39 6920.)] CHAPITRE XIV 1792 _Arrivee des Marseillais a Paris.--Premier projet de revolution contre le pouvoir executif: manque._ Je fus delegue pour aller au-devant d'eux jusqu'a Charenton avec plusieurs citoyens aujourd'hui membres de la Convention nationale[63]. Tous les Francais tant soit peu clairvoyants n'ont pas ete jusqu'ici sans s'apercevoir que cette demarche des Marseillais fut une disposition concertee entre ces chauds patriotes et les republicains de Paris pour parvenir a executer une seconde revolution dont on avait reconnu la necessite. On peut aujourd'hui avouer tout haut ce fait dont on a eu l'air longtemps de vouloir faire un secret. Les Marseillais ne durent donc pas etre surpris de notre rencontre a Charenton[64]. Eux et nous etions des revolutionnaires deja d'accord et qui nous connaissions, quoique sans nous etre vus. [Note 63: Le 29 juillet 1792. Voir la liste de ces compagnons de Fournier dans _le Bataillon du 10 aout_, par Pollio et Marcel, p. 179.] [Note 64: Sur le role de Fournier a Charenton, voir aussi Barbaroux, _Memoires_, ed. Dauban, p. 348, 350.] Le diner que nous fimes ensemble a Charenton ne fut donc pas ceremonieux; il fut d'intimite et tel qu'il devait etre entre gens qui avaient de grands plans a suivre de concert. Ici je joue un grand role. C'est moi le negociateur choisi pour transmettre les projets les plus importants aux principaux du bataillon qu'on voulait en instruire. Nous nous retirons apres le diner dans une chambre, et la je confie a ces braves que la grande manoeuvre, par laquelle la liberte pourrait etre sauvee, etait dans le meilleur train; qu'un grand coup preparatoire avait ete jete le 20 juin, et qu'il n'etait plus question que d'achever; qu'il s'agissait pour eux, en arrivant a Paris, de l'execution d'un plan ou ils seraient les premiers auteurs, mais pour lequel ils auraient ensuite la masse entiere des Parisiens pour cooperateurs et pour soutiens; que ce plan consistait a aller s'emparer de l'individu nomme roi, ainsi que de sa famille, et de chasser du chateau tous les scelerats et brigands qui conspiraient la perte totale des Francais et leur esclavage: qu'aussitot eux, Marseillais, camperaient aux Tuileries et y feraient le service de concert avec la garde nationale parisienne. Ce plan fut tres goute. Les Marseillais me dirent qu'il ne marcheraient qu'avec un patriote tel que moi, qui justifiait si bien, ajouterent-ils, le recit qu'ils en avaient deja entendu faire. Nous arretames definitivement l'execution du plan propose. Il ne s'agissait plus que de convenir aussi des moyens. La defiance est tout a fait de saison dans des circonstances telles que celles ou nous nous trouvions. C'est pourquoi je m'en entourai. Je dis aux Marseillais: "Nous sommes ici sept que vous ne connaissez pas. Dans la crainte qu'il ne se trouve dans le nombre quelques faux freres, je fais la motion que nous partions tout de suite pour Paris, afin de preparer les esprits pour executer notre projet, pas plus tard que demain. Je demande de plus que deux d'entre vous nous gardent partout, mangent et couchent meme avec nous, et demain, quand toutes choses seront bien disposees, nous viendrons vous chercher ici (a Charenton) pour suivre aussitot l'execution du plan. S'il vous fallait encore de nouvelles trahisons pour vous rendre sages, disons franchement le mot, vous ne seriez pas dignes de la liberte." Toutes ces choses encore convenues, nous arrivons le soir a Paris. Accompagne de deux Marseillais, je me rends de suite chez Santerre, alors commandant du bataillon des Quinze-Vingts, pour lui faire part du plan. Il l'approuve. Je lui ajoute que j'allais de ce pas chez le citoyen Alexandre, commandant du bataillon de la section des Gobelins, pour le lui communiquer egalement. Santerre m'applaudit encore et nous declare que nous pouvons compter sur lui. Nous partons sur cette parole et nous joignons a la section des Gobelins les citoyens Alexandre et Lazowski, auxquels nous confions nos vues. Ils y applaudissent aussi et nous promettent de se rendre le lendemain au-devant des Marseillais. Le lendemain matin, nous avons rejoint les Marseillais du cote de Saint-Mande. Nous avons vu Santerre au faubourg Saint-Antoine, qui nous comfirma sa parole de la veille qu'il viendrait nous joindre. Cependant nous eussions compte sur cette parole en vain, car il n'avait pas meme averti son bataillon. Telle etait dans toutes les occasions la franchise et l'energie de cet homme, qui a acquis une reputation de sans-culottisme on ne sait comment. Au lieu de venir nous joindre, c'est nous qui l'avons joint a peu pres devant sa porte ou il se mit a la tete de quelques braves du faubourg qui l'ont presque fait marcher de force, et il faut bien noter que, depuis le faubourg jusqu'a la Greve ou nous devions, suivant notre plan, faire sonner le tocsin, il nous fit employer trois heures. Je ne puis mieux comparer cette marche qu'a celle que nous fit faire La Fayette pour Versailles la nuit du 5 au 6 octobre. Santerre nous conduisit chez Petion a la mairie ou il nous promettait monts et merveilles. Il entre chez Petion et nous fait faire halte. Sa conference avec le maire dura une heure et demie, et pendant tout ce temps nous sommes restes a croquer le marmot. A la fin, il est venu nous dire: "_Marchons aux Tuileries_." C'etait ce que nous attendions. Nous passons sur le Pont-Neuf et arrives sur le quai de l'Ecole, nous voulions, comme on le concoit bien, aller au Chateau. Santerre dit: "_Non, non, nous prendrons par la rue Saint-Honore_." Arrive dans cette rue, je me mis a faire defiler du cote du chateau. Santerre court, gagne la tete, fait faire halte et dit aux Marseillais et aux troupes que l'intention de M. Petion etait que les Marseillais allassent se caserner, qu'il devait, lui, les conduire a leur caserne[65], et que de la il etait charge de les emmener diner aux Champs-Elysees.... Ces dispositions furent suivies. [Note 65: Apres le mot _caserne_, on lit ici, dans l'original, ces mots barres: _de la Courtille_.] Les masques sont-ils ici devoiles suffisamment? Francais, la conduite de vos Petion et de vos Santerre dans cette circonstance, ou une tout autre marche eut pu decider des cette journee la revolution salutaire qu'il vous fallait encore pour vous delivrer de la tyrannie, cette conduite vous les fait-elle bien apprecier? Que ces ecoles devraient bien vous avoir gueris pour toujours des enthousiasmes prematures! Eh! sans doute.... La troupe marseillaise, ayant depose ses armes, se desesperait de voir le plan manque. Une grande partie du bataillon est restee a la caserne, l'autre s'est rendue a ce diner des Champs-Elysees que, pour produire une distraction necessaire aux vues des traitres, la politique du cabinet Petion et Santerre avait juge convenable d'arreter dans le conseil particulier du matin. Tout le monde se rappelle ce diner, qui fut trouble par cette honteuse rixe provoquee par des grenadiers nationaux parisiens et autres agents de la cabale de la Cour. La s'est manifestee l'intention bien precise de massacrer tous les patriotes. J'en ai ete quitte en cette occasion pour echapper au danger d'un coup de pistolet dirige positivement sur moi, et dont j'ai eu le bonheur d'etre manque. On ouvrit le Pont-Tournant pour recevoir dans leur fuite les assassins des Marseillais. Ils entrerent au chateau ou Antoinette pansa elle-meme les blesses. CHAPITRE XV ... JUILLET 1792 _Second projet de revolution contre le pouvoir executif: encore manque._ La duplicite du magistrat Petion et de Santerre ne pouvait produire que l'effet de retarder de quelques jours l'epoque des grands evenements qui se disposaient. Le peuple francais avait jure d'abattre ses tyrans. Il etait tout dispose pour le faire, et l'opposition de quelques traitres n'etait pas capable de changer ce que la masse souveraine avait si serieusement resolu. Les federes de tous les departements, venus a Paris dans les memes vues revolutionnaires que les Marseillais et pour etre leurs collaborateurs, s'assemblaient tous les jours aux Jacobins et ils formerent chez Anthoine[66], depute a la Legislature[67], un comite secret. Ils eurent la confiance et ils voulurent me temoigner l'amitie de m'y admettre. Gorsas, Carra et Chabot etaient aussi de ce comite. C'est dans ce comite que l'on concertait les divers moyens de consommer cette revolution dont l'execution avait deja manque une fois. Apres qu'on fut convenu dans ce meme comite des principaux faits pour une seconde tentative, on convint aussi pour le lendemain d'un diner sur la place de la Bastille de tous les federes reunis, qui, la, arreteraient en definitive la marche executive de la nouvelle insurrection dont la liberte avait besoin pour assurer ses principaux succes et completer son triomphe. [Note 66: Il n'y avait pas de depute de ce nom a la Legislative. Fournier veut peut-etre parler de F.-P.-N. Anthoine, ex-constituant, futur conventionnel.] [Note 67: C'est ainsi qu'on appelait vulgairement l'Assemblee legislative.] Tous ceux qui se croyaient destines a remplir les principaux roles de cette fameuse scene devaient en etre trop preoccupes pour pouvoir se livrer a autre chose jusqu'au moment de la faire eclater. Voici pourquoi, le meme jour, nous nous sommes assembles au nombre de dix a la _Chasse royale_ et au _Cadran bleu_ sur le boulevard, pour nous affermir dans nos resolutions. Santerre et Alexandre etaient de notre conciliabule. Mais, encore la, Santerre prouva bien positivement ce qu'il etait, c'est-a-dire en bon francais un vrai lache. Voyant que le fer a ete chauffe a point, il ne voulut rien manger en disant qu'il etait bien empoisonne. Mais cependant, ou parce qu'il se voyait toujours courageux dans l'avenir, ou plutot parce qu'il apercevait sur le champ des moyens dilatoires pour ne pas etre tenu a ses promesses, cependant dis-je, lorsqu'on reparla de l'arrete pris pour le repas du lendemain de tous les federes a la Bastille, je ne vis jamais notre Santerre si brave. Il dit: "Eh bien, comptez sur moi et agissez en consequence." Il partit apres avoir prononce ces paroles, dont il ne va pas etre inutile de conserver la memoire. De notre cote, nous retournames dans le comite secret, ou nous convinmes qu'apres le repas de la Bastille, qui ne serait qu'un morceau pris sur le pouce, il se formerait quatre divisions d'attaque contre nos ennemis du chateau. On arreta que je commanderais la premiere et que je garantirais les batteries de canons sur les ponts, a la Greve et sur la place d'Henri IV. Je fus aussi charge de faire faire quatre drapeaux de ralliement pour chaque division. Je les fis faire dans la nuit. Ils etaient de drap rouge, avec cette inscription: _Resistance a l'oppression. Loi martiale contre la rebellion du pouvoir executif_. Je ne manquai pas de me trouver le lendemain au rendez-vous de la Bastille. Quel fut mon etonnement d'y voir cinq ou six bals ouverts par Santerre! Exterminables intrigants, voila votre ressource banale. Vous etes tous consommes dans cet art perfide de savoir distraire, quand vous le voulez, le Francais; vous savez mettre a profit, au gre de vos coupables desseins, cette frivolite, reste du caractere de la nation dans le temps de son esclavage! Entrant comme un furieux, je fis cesser les instruments et violons: "Malheureux, m'ecriai-je, en parlant a tout le peuple, vous voulez danser, tandis que les scelerats rivent vos chaines, tandis qu'on veut vous replonger dans le dernier esclavage et qu'on accapare tous les grains et denrees!" J'avais plus ecoute mon zele que la prudence, en faisant cette vive sortie; heureusement que j'etais fort connu, car il y avait la des gens qui demandaient deja a me couper la tete. Non seulement mon energie, aidee de l'appui de tous ceux a qui mes principes n'etaient pas equivoques, les reduisit au silence, mais je parvins a retablir l'ordre et a faire cesser ce scandale de danse. Il s'agissait, apres cela, de pousser l'execution des dispositions de la veille. J'avais bien pu croire, en voyant cette danse intervenue si a contretemps, que notre projet etait vendu, mais j'en fus encore plus certain quand j'entrevis une foule d'autres entraves. Il s'etait introduit la force raisonneurs qui entrechoquaient toutes les deliberations et qui les rendaient interminables. Bientot d'autres incidents me confirmerent bien davantage que nous etions trahis. M'etant trouve embarrasse de mes quatre drapeaux, j'avais ete les deposer chez un respectable sans-culotte, electeur, mon collegue. On ne tarda pas a aller denoncer ce depot a Jurie, commissaire de police de la section des Enfants-Trouves[68], qui s'empara de l'un de ces drapeaux et le porta chez Petion. Je dois dire cependant qu'on respecta cette propriete et que le drapeau fut rapporte en place. [Note 68: Il s'agit de la section des Quinze-Vingts (faubourg Saint- Antoine) qui siegeait dans l'eglise des Enfants-Trouves.] Mais quel fut enfin le sort de notre projet? Jusqu'a une heure apres minuit, rien n'avait l'air de pouvoir se determiner. Mais, a la meme heure, arrive sur la place de la Bastille, Petion avec Sergent et .....[69]. Il n'est pas de plus grands hors-d'oeuvre que des magistrats qui viennent s'entremettre parmi le peuple lorsqu'il est au cours d'une insurrection reconnue necessaire pour consolider sa liberte. La demarche du magistrat pour contrecarrer ses mesures peut et doit etre alors consideree comme un attentat a cette meme liberte. Penetre de ces maximes, j'avance vers Petion et compagnie, je les accoste doucement, et leur dis franchement: "_Que venez-vous f.... ici?_" L'un d'eux me repondit: "_Votre plan est encore manque; vous etes trahis, rentrez chez vous et vous ferez bien_." Je vis qu'il etait de la prudence de ceder encore, et que mes dispositions avaient ete presentees de telle sorte a une partie de nos concitoyens qu'en nous obstinant a les faire suivre, nous nous exposions peut-etre a nous battre les uns contre les autres. En consequence, je rendis compte de cet avis a mes collegues, et leur dis: "Allons chercher les drapeaux, et retirons nous." [Note 69: Ici un nom propre illisible.] En toutes choses, les obstacles ne servent qu'a augmenter l'ardeur des desseins que nous avons une fois resolus fortement. Irrite de ce nouvel echec, je restai tant au comite que sur la place de la Bastille jusqu'a deux heures du matin pour aviser avec mes collegues a des mesures ulterieures pour l'execution de notre projet, manque une seconde fois. Je fus surpris lorsque, avant de me retirer tout a fait, j'allai chez le citoyen gardien des drapeaux, dans l'intention de les retirer. Il me dit qu'il avait ordre du commissaire de police Jurie de me les refuser et de ne me les livrer que quand il serait present. Je repliquai qu'_ou je trouvais mon bien, je m'en emparais_. C'est en disant ces mots que je demontai mes etendards de dessus leurs espontons et que je les emportai. Il est inutile ici de peser longtemps sur l'observation qu'en nous retirant, apres ce second essai manque, nous ne nous sommes consoles du non-succes qu'apres nous etre bien promis de ne point tarder a tenter de nouveau le sort, en esperant qu'il pourrait nous etre plus favorable. Sous le regime des Bailly, des La Fayette, des grands juges de paix inquisiteurs et du tartuffe Du Port, on eut traite tout cela de conjuration atroce contre l'un des premiers pouvoirs constitues, et j'eusse ete faire un tour a la guillotine. Sans doute, il faut beaucoup aimer sa patrie pour s'exposer pour elle a des risques aussi grands que tous ceux que j'ai hasardes. Ce qui me reste a presenter aux lecteurs ne leur offrira pas de ma part un devouement moins entier pour la cause de la liberte. CHAPITRE XVI JUILLET 1792 _Incident tres curieux.--La Cour essaie de me corrompre._ Pour peu qu'un homme devint un personnage, il fixait bientot l'attention du roi constitutionnel ou de ses alentours. J'en avais deja trop fait pour rester ignore, et la Cour, qui avait un plan de conduite qu'elle suivait fidelement vis-a-vis de tous ceux qu'elle honorait de son attention, ne s'en departit pas par rapport a moi. Tout le monde a remarque cette difference que sous le despotisme absolu l'on ensevelissait sous terre les gens qui voulaient se rendre redoutables, au lieu que sous le despotisme constitutionnel on tachait de les rendre muets avec de l'or. Je parus donc aussi valoir la peine d'etre achete. Par des motifs trop faciles a deviner, peu de gens ont eu l'indiscretion d'imprimer comment on s'y prenait en pareil cas; moi, je n'ai aucune raison d'etre circonspect. J'etais aux Tuileries le surlendemain du diner de la Bastille dont je viens de donner la relation. Je vis venir a moi un ex-noble, officier du Chateau. Je dis a l'un des citoyens avec qui je me promenais. "Ne vous ecartez pas, vous allez entendre ma conversation avec cet esclave!" Aussitot que ce dernier m'eut aborde, il me dit _que le Roi desirait de me parler_. Il y avait deja longtemps que l'on cherchait a me seduire; on crut sans doute trouver le moment favorable et que l'enthousiasme de parler au Roi aurait eu prise sur mon individu. Je repondis au valet de Louis: "_Allez dire a votre maitre que je demeure rue et numero tels, et que, s'il a a me parler, il me trouvera_." Quatre fois differentes le meme emissaire est venu a la charge, et me proposer une entrevue avec Capet soit au jardin du Dauphin, soit chez Brissac, soit chez Laporte. _Ni chez l'un, ni chez l'autre_, repondis-je. Enfin, on me demanda si je voudrais recevoir Brissac chez moi et recevoir par sa bouche ce que le roi aurait a me transmettre. La curiosite m'y fit consentir et je donnai rendez-vous pour neuf heures du soir, afin de ne pas rendre ma conduite suspecte. Je n'eus rien de plus presse que de faire part de cet extraordinaire rendez-vous, et a mes amis et aux hotes de la maison que j'occupais. A neuf heures precises, Brissac entre chez moi. L'homme qui aime la franchise ne peut s'empecher de parler son langage meme devant les pervers qu'il sait bien n'etre pas susceptibles de sensibilite en l'entendant. Je dis donc a Brissac que, s'il venait pour chercher a me seduire, il pouvait s'en retourner et que, s'il etait pour chercher de grandes verites, il pouvait rester. Il me repondit qu'il _ne venait effectivement que pour s'instruire_. Je lui dis alors tout ce que l'energie de mon caractere put me dicter. Je lui demontrai, en lui faisant l'enumeration des crimes de la Cour, que je les connaissais tous, et je lui declarai en definitive que j'avais fait serment devant le ciel que je ferais tout ce qui dependrait de moi pour detruire les despotes et la tyrannie. Et parce que l'homme de bien est toujours entraine naturellement a donner de bons conseils meme aux mechants, meme a ses ennemis les plus dangereux, je dis encore au messager du Roi: "Reportez a votre maitre que, s'il s'etait servi d'honnetes gens, il eut pu exister heureux, mais que, n'ayant jamais su qu'acheter a prix d'or des hommes mercenaires, il court avec eux a une perte inevitable. Vous, monsieur, lui ajoutai-je, votre tete est a prix; elle est au jeu avec la mienne, il faut qu'il y en ait une des deux qui saute, attendu que, des deux partis opposes a chacun desquels est attache l'un de nous, il faut que l'un ecrase l'autre". Ces gens de cour etaient plastronnes a triple cuirasse contre tous les discours a principes, et l'experience de l'efficacite du grand expedient, par lequel ils avaient fait presque autant de conversions qu'ils en avaient entreprises, leur donnait une tres grande confiance a l'employer. Brissac crut donc apparemment qu'il ne me trouverait pas plus rebelle que tant d'autres, et il me fit ses propositions avec beaucoup d'assurance. Je ne dois pas dire ici a quelle hauteur la Cour avait cru devoir lui donner le pouvoir de les elever. On croirait que je les porte moi-meme fort haut pour me faire valoir beaucoup. Mais des temoins qui ne sont pas morts, et lesquels ont ete apostes de mon aveu pour nous entendre, en rendraient bon compte si l'on en etait curieux[70]. [Note 70: Dans l'interrogatoire que lui fit subir la commission administrative de la police de Paris, le 22 germinal an II (11 avril 1794), Fournier declara que Brissac lui avait promis "de terminer son proces, de lui expedier un brevet de colonel et de lui donner par la suite un gouvernement." (Archives nationales, papiers de Fournier.)] Les ames honnetes peuvent bien pressentir ce que mon indignation dut me dicter de dire au seducteur Brissac. Je lui predis, lorsqu'il se retira, qu'il ne devait plus faire un long sejour au Chateau. Il fut encore plus court que je ne l'avais pu calculer, car deux jours apres il fut decrete d'accusation et arrete[71]. [Note 71: Le duc Cosse-Brissac, commandant de la garde soldee du Roi, fut decrete d'accusation le 29 mai 1792. C'est donc a cette epoque, et non au mois de juillet, qu'il faut reporter la conversation que Fournier dit avoir eue avec lui.] La Cour corruptrice etait irrebutable. Elle ne desesperait point de gagner un jour ce qui lui etait echappe dans un autre. Le lendemain du premier message, j'en recus un second encore par un ex-noble, qui vint me faire de nouvelles propositions d'or, d'argent et de places importantes. J'ai tout repousse avec dedain, en disant a cet esclave que je servais la cause du peuple et de ma patrie, et qu'il n'y avait point assez d'or en France pour m'acheter. J'eus encore des temoins secrets de tout ce qui se passa entre moi et ce negociateur royal. Cet incident produisit l'effet de m'inspirer plus d'horreur pour le tyran, et d'accroitre beaucoup mon impatience de mettre une bonne fois a execution le projet medite de lui porter le dernier coup pour faire enfin triompher dans toute sa pompe la liberte. Le moment de cet evenement ne tarda point a paraitre. CHAPITRE XVII JOURNEE DU 10 AOUT 1792 Si le peuple s'en etait toujours attendu (_sic_) a ses representants pour faire les revolutions, sans doute il serait encore esclave. Les legislateurs francais n'ont montre de veritable energie que toutes les fois que le peuple s'est leve et qu'il les a forces a en prendre. Hors ces cas, combien n'ont-ils pas semble agir souvent comme s'ils eussent ete d'accord avec les conspirateurs! Ici, il s'en presente un notable exemple. Des le 6, epoque ou nous avons publie les crimes de La Fayette, j'etais tres instruit de tout ce qui se passait dans les comites de l'Assemblee nationale. Je savais tres pertinemment[72], que les comites militaire, de constitution et autres avaient resolu d'eluder de rendre autant le decret d'accusation contre La Fayette, que celui de suspension contre le chef du pouvoir executif. On avait seulement arrete l'ajournement de la discussion sur ces deux individus pour le jeudi. Cette conduite etait-elle dictee par la pusillanimite ou la perfidie? Il ne faut pas raprocher beaucoup de circonstances pour demeler quel etait ce motif. Quand je vis la patrie trahie .....[73] et que tous les jours on semblait encherir sur les moyens de la tromper, mon indignation me transporta chez le restaurateur des Feuillants, ou je dis, en presence du public, a plus de trente deputes de l'Assemblee legislative: "Que je connaissais toutes leurs infamies, tous leurs crimes, que je savais du Chateau que les deux tiers des membres de l'Assemblee etaient vendus et qu'ils trahissaient la nation, que je ne pouvais pas m'empecher de leur dire qu'ils etaient des brigands, que je savais que ma grande energie les embarrassait, et qu'ils etaient d'accord avec les Grands Inquisiteurs juges de paix de me faire arreter, mais que je les en defiais et qu'auparavant ils me verraient encore deployer ma vigueur contre leurs complots." J'ajoutai que, pour dernier mot, j'avais a leur dire que, si le 9, entre dix et onze heures et demie du soir, ils n'avaient pas prononce sur l'arrestation de La Fayette et sur la suspension du roi, a onze heures trois quarts nous ferions sonner le tocsin.... [Note 72: Tant par l'Assemblee que par la Cour. [Mais] je devais garder le silence parce que j'aurais trahi la patrie le (_sic_) divulguant. Je me taisais soigneusement pour laisser .....[a] et ne pas faire manquer, etc. (_Note de Fournier._)] [Note a: Nous n'avons pu lire ce mot.] [Note 73: Ici trois mots illisibles.] Au lieu de n'etre que les simples organes de l'opinion publique, nous avons presque toujours vu nos senateurs sembler prendre a tache de la braver, et substituer leurs volontes arbitraires a la volonte generale. Ici, presses par les vives clameurs de la voix souveraine, ils eurent l'air d'y ceder un moment, ils promirent toute satisfaction au peuple sur le compte de Louis Capet et de La Fayette, les deux traitres les plus dangereux d'alors. Mais toute la soiree du 9 se passa et rien ne fut prononce contre eux. Je n'ai pas, moi, manque ma parole. Le meme jour, il y eut une assemblee des federes aux Jacobins. Pendant l'assemblee des federes, j'entrai dans la salle au moment de la discussion sur l'objet de presenter une nouvelle petition a l'Assemblee, sur le refus d'en entendre une premiere qui venait d'etre renvoyee avec ignominie. La veille du grand jour des vengeances avait vu consacrer le dernier oubli des principes. Des mandataires n'avaient point voulu entendre leurs commettants. Revolte de semblables procedes, je prends la parole, et je dis: "Citoyens, je m'oppose personnellement a ce que vous donniez cette nouvelle petition. Vous en avez presente mille, on n'a fait droit a aucune. Je vous proposerai celle-ci, qui sera la derniere. C'est d'aller sur-le-champ couper six cents tetes[74] des conspirateurs refugies dans le repaire royal, nous les porterons a l'Assemblee et nous dirons: Voila vos chefs-d'oeuvre, legislateurs!" [Note 74: A l'original et raye: "Dont la mienne sera une. Trop heureux que celle d'un patriote offerte en sacrifice a Jupiter le rende entierement propice aux voeux des amis de la liberte!"] Cette motion, desapprouvee par un faible parti, fut applaudie par la majorite. La preuve qu'elle etait bonne, c'est qu'il a fallu l'executer le lendemain 10 au Chateau. L'on a deja pu voir, et l'on verra a la suite que je ne me contente pas de faire le beau parleur a la tribune, en laissant aux autres a suivre l'execution de mes motions. Je ne me determine qu'apres avoir murement reflechi, mais aussi, une fois arrete a une deliberation que je crois bonne et tendant au bien de mes freres, je m'y sacrifie. On va donc me voir ici toujours agissant pour animer mes freres et pour executer avec eux la secousse decisive du 10. Ce meme jour, le comite secret se rassembla a la _Chasse Royale_, sur le boulevard[75]. Nous y avons fait venir Alexandre et Santerre. Ils nous ont fait de tres brillantes promesses pour seconder notre entreprise, notamment notre rodomont Santerre, toujours tres anime lorsqu'il ne s'agit que de parler et de faire le bel esprit. [Note 75: Dans la nuit du 9 au 10, d'apres Carra. Mais l'ame de l'insurrection, ce fut le comite des sections.] Le soir, a neuf heures, je me suis rendu a la caserne des Marseillais avec lesquels j'avais rendez-vous, ainsi que plusieurs de mes collegues. Nous y avons depose nos armes et, de la, envoye des deputations aux faubourgs Saint-Marcel et Saint-Antoine pour inviter les citoyens de ces deux faubourgs a se trouver au ralliement dont nous etions convenus. Pendant cet intervalle, j'allai a la section du Theatre-Francais, lors assemblee en permanence; et, comme j'etais citoyen de cette section, qu'on sait avoir toujours ete un foyer ardent de patriotisme, je n'eus pas beaucoup de peine a y faire adopter mes vues qui etaient deja celles de la plupart des citoyens. Le tocsin a sonne a onze heures trois quarts comme nous l'avions promis. On a place des postes, mais nous avons ete trahis par les etats-majors, qui ne remplissaient pas nos intentions. A une heure du matin, nous avons releve ces postes. Il est venu a la section trois officiers municipaux pour nous inviter a cesser de sonner le tocsin, observant qu'en consequence d'un arrete de la Commune, ils avaient deja ete dans plusieurs sections et qu'on avait cesse d'y sonner; mais notre president, le citoyen Lebois[76], brulant d'energie et de patriotisme, leur repondit: "Plein de respect pour la Commune de Paris, nous ferons tout pour elle, mais ce que vous nous demandez, citoyens, il est impossible de vous l'accorder. Au lieu de faire cesser le tocsin, j'ordonne, en ma qualite de president, qu'il continue, car il n'est plus question de reculer, et il est temps d'abattre les tyrans." [Note 76: Le journaliste R.-J. Lebois, qui fera paraitre l'_Ami du peuple_ a partir du 29 fructidor an II.--Ce temoignage de Fournier semble infirmer l'assertion de M. Mortimer-Ternaux (II, 436) qui dit que cette nuit-la les meneurs de cette section se tinrent prudemment a l'ecart.] Alors, de mon cote, je demande la parole et je dis: "Citoyens, l'Assemblee a decrete que la patrie etait en danger. Le peuple est leve; vous, municipaux, vous devez aller vous coucher; vous n'avez plus rien a faire." A la pointe de jour, je fus nomme commissaire avec trois autres citoyens pour inviter le bataillon de la section a se joindre devant la porte des Cordeliers. Mais les citoyens, trompes par des brigands dont je vis l'un parmi eux faire cabale et s'opposant a notre demande, en concluant au par-dessus a ce qu'on me coupat la tete, refuserent absolument de marcher, malgre l'arrete de la section qui les y invitait. Je rendais compte de ma mission, quand je m'apercus que nous etions mieux secondes d'ailleurs et que nous pouvions des lors former l'espoir de faire reussir notre projet. En effet, nous vimes arriver de toutes parts differents bataillons, et notamment du faubourg Saint-Marcel. Le bataillon de Marseille parut aussi en meme temps. Aussitot on ne delibera plus et l'on ne songea qu'a executer. Nous formames deux divisions, dont l'une alla par le Pont-Neuf, et l'autre par le Pont-Royal. Le point de ralliement se fit sur la place du Carrousel. Ici tous les mouvements de la grande attaque qui suivit sont precieux a saisir. Nous debutames par demander a entrer au chateau dont les portes etaient fermees. On nous envoya plusieurs officiers, entre autres, un officier de canonniers, pour nous dire "que nous n'avions qu'a nommer huit chefs, et qu'on les ferait entrer". Nous repondimes avec energie "que nous n'avions point de chefs, mais que nous l'etions tous, et que pour la seconde fois nous demandions a entrer". Nous sommes restes la pres de deux heures. A de longues discussions succeda un refus formel de nous ouvrir. Ceux qui ne connaissaient point Santerre comme moi ne savaient que penser sur son compte [en voyant] qu'il ne se trouvait pas au rendez-vous. Mais moi qui avais deja eu tant d'occasions de l'apprecier, je ne fus pas tres surpris de voir arriver Alexandre qui me dit que Santerre venait de lui ecrire pour lui demander secours avec du canon a la Maison commune, attendu, disait-il, que les jours de M. Petion etaient en danger. "Leurre epouvantable!" m'ecriai-je dans mon indignation concentree. Santerre, Petion, idoles du jour que la foule aveugle est entrainee a encenser, vous etes donc aussi d'insignes traitres! Mais prudence m'enjoint de dissimuler. Ne gatons pas encore une fois une cause si importante et si heureusement commencee et, malgre tous les obstacles, sauvons la patrie, s'il nous est possible. "Camarade, dis-je a Alexandre, il ne faut point partir, j'ai la confiance de te dire que c'est encore la un dessous de carte de Santerre, et j'ajoute que si tu nous quittes, ce ne sera de ta part qu'un trait de lachete." Je vis que c'etait l'occasion d'employer une grande presence d'esprit et de penser a tout a la fois. Je fus bien vite rendre compte de cette circonstance a tous les officiers qui commandaient, et je leur dis de s'assembler promptement sur l'appel que je ferais faire. Mais, de retour au centre de la place, je vis le commandant marseillais et plusieurs autres citoyens de Paris qui me dirent: "Nous sommes donc encore joues et trahis. Voila Alexandre qui vient de partir avec deux canons et deux cents hommes, sous le pretexte d'aller joindre Santerre a l'Hotel de Ville." D'apres le moment d'entretien entre Alexandre[77] et moi, je ne m'etais pas attendu a cette manifestation de sa complicite avec Santerre. Je restai interdit et presque muet. Revenu a moi, je ne vois de moyen de salut qu'en distrayant l'attention des braves qui nous restaient pour la diriger vers le seul but d'un grand mouvement d'energie et de courage. [Note 77: Il y a ici dans l'original, au lieu du nom Alexandre, celui de Santerre: mais c'est une erreur evidente.] "Eh bien, citoyens et camarades, m'ecriai-je; il faut perir aujourd'hui ou entrer au Chateau. Je sais que si nous manquons cette journee, la France est livree a l'esclavage et la capitale reduite en cendres[78]." [Note 78: Il ne faut pas que j'oublie de noter cette circonstance affligeante. J'avais expedie a Santerre trois braves Bretons pour le conjurer de venir nous secourir. Comme ils etaient pres d'arriver pour nous rapporter sa reponse, ils furent tues dans la rue Saint-Honore. (_Note de Fournier_.)] Finissant ces derniers mots, j'eus tout de suite la satisfaction d'apercevoir l'impression qu'ils avaient produite. L'effet de cette impression ne tarda point non plus a se manifester. Les sans-culottes tomberent a coups de poing sur la porte dite Royale, et a force de secousses y ont brisee et mise en pieces. Je profitai avec soin de ces premieres dispositions et je sentis qu'il ne dependait plus que de ma conduite d'en soutenir la continuation et d'en faite resulter le succes le plus complet. Ici toute la scene va etre en action, et les mouvements s'executent et se succedent avec une etonnante rapidite. Aussitot la porte enfoncee[79], je m'elance en furieux vers les quatre pieces de canon qui etaient au bas du grand escalier, et je dis aux canonniers: "Vous, braves militaires, etes-vous pour la nation ou pour les tyrans?" [Note 79: Cette porte Royale, d'apres les autres recits, fut simplement ouverte par le concierge.] Ils me repondirent: "Il y a quatre heures que nous vous attendons, et vive la nation!" A ces mots, je leur dis en saisissant le timon d'une piece: "Eh bien! camarades, suivez-moi." Aussitot les quatre pieces me suivirent, et nous les postames dans le Carrousel ou etaient demeures nos bataillons. Nous fimes entrer quatre pieces des notres et nous les placames dans la cour du chateau, braquees sur les fenetres. Nos bataillons des Marseillais et des federes se placerent en bataille de droite et de gauche. Je montai aussitot le grand escalier jusque devant la porte de la chapelle. La je vis qu'il etait impossible d'aller plus loin. Une barricade ou plutot un retranchement s'y opposait. Alors je parlai a ceux qui se trouvaient la avec force et energie et en meme temps avec toute l'honnetete possible. J'observai sur toutes les figures qu'il y avait sous jeu de grands desseins: car il ne me fut repondu rien du tout. Cependant un Suisse s'elance a corps perdu de mon cote en jetant ses armes et criant: "Vive la nation!" J'emmenai ce brave avec moi et le remis entre les mains des federes en leur disant: "Voici un bon Suisse qui a rejete au despotisme les armes qu'il en avait recues et s'est tourne exclusivement vers la patrie." Il entra aussitot dans nos rangs au milieu des embrassements de ses freres. Comme j'avais reconnu sous les habits suisses, ainsi que sous ceux de gardes nationales, beaucoup de chevaliers du poignard et de grenadiers des filles Saint-Thomas, je remontai une seconde fois pour temoigner aux uns et aux autres que nous ne voulions de mal a personne, mais que nous priions seulement qu'on nous remit le roi et sa famille. Le commandant me fit reponse qu'ils n'en feraient rien, et que la force armee du chateau les garderait elle-meme. Alors je me rendis aux quatre pieces de canon; je fis charger; je dis aux canonniers de se tenir prets et que j'allais faire commandement a la garde du chateau de nous livrer le roi, et, si elle s'y refusait, qu'au premier signal ils aient a faire feu. J'avancai ensuite sous le balcon et fis une nouvelle sommation. On ne me repondit rien. J'allais donner le signal aux canonniers, lorsque Lazowski, officier de notre artillerie, vint a moi et me dit: "Montons encore une fois et pour la derniere; sommons-les de mettre bas les armes et de nous livrer le roi, ou que sinon nous allons agir." Je me rends a cette proposition. Nous montons de nouveau l'escalier, Lazowski et moi. C'est a ce moment que le signal part et qu'on nous fusille. Je suis jete dans le fond de l'escalier par l'explosion d'un grand feu general dirige de toutes parts sur nos bataillons; je recois dans le meme moment un coup au bras gauche dont je suis et resterai probablement estropie. Arrive a la porte pour rejoindre les bataillons, je suis renverse par un autre coup a la cuisse gauche. Je crus bien alors que c'etait ma derniere heure, car les cadavres et les blesses tombaient a ma vue de tous les cotes, et j'eus la plus grande peine possible a me retirer. Le feu des scelerats du Chateau etait si vif que dans le premier moment nos bataillons, partie massacres, furent disperses entierement au point que l'on avait fait l'abandon des quatre pieces de canon. A l'aspect de ce moment de detresse, je courus du cote du guichet ou je rencontrai une piece de canon des Marseillais conduite par le commandant en second qui etait deja blesse dangereusement a la main[80]. Mais je lui dis, ainsi qu'a tous les guerriers qui l'entouraient: "Du courage, amis, nous allons entrer au Chateau et passer tout au fil de l'epee." [Note 80: Raye: "Ayant trois doigts coupes."] Je fis de suite placer une piece de canon a la grande porte donnant du cote du guichet. Je la fis briser, et cette ouverture me facilita d'envoyer la mort a un grand nombre de Suisses dont le feu nous faisait beaucoup souffrir. Je fis de meme mettre a bas la porte qui communiquait chez le valet de chambre du Roi. Cependant les decharges des assaillants etaient si meurtrieres, que je voyais l'heure ou nous perdions la bataille. Je m'avisai d'un stratageme. Je me ressouvins du meme stratageme employe a la Bastille et qui fit perdre la tete a De Launey, par lequel je me flattai de desorienter nos ennemis, et le succes m'apprit que je n'avais point fait une fausse combinaison. Ce fut de faire mettre le feu partout pour imprimer la terreur et l'epouvante aux assieges et les deconcerter. Dans les moments de peril extreme, les petites considerations n'arretent pas. Nous manquions de papier pour allumer le feu en divers endroits: des assignats en tinrent lieu. Rien ne coute quand il s'agit de remplir un grand but. Dans la confusion des mouvements de cette grande melee, je distinguai deux hommes qui volaient de l'argenterie et qui en avaient rempli leur poches. Je les fis arreter sur l'instant, et ils furent aussitot executes. Ces exemples prompts et severes de la justice du peuple souverain previnrent les plus grands desordres et prouverent que le but de la grande demarche de cette journee n'etait point d'exercer des actes de pillage. Pendant la grande chaleur de l'action, je ne faisais que courir d'un bout a l'autre pour faire approcher les caissons de chaque piece. Je rends avec une vraie satisfaction ma situation d'alors. Je n'eprouvais plus que le sentiment de l'intrepidite. Il me semblait etre invulnerable. Je marchais au milieu du feu avec une sorte de conviction qu'il ne pouvait avoir de prise sur moi. C'est dans ces dispositions que je m'arretai meme a quelques actes particuliers qui n'auraient peut-etre pas du me distraire des soins plus generaux et essentiels. J'allai chercher du milieu des morts un chapeau pour donner au commandant en second des Marseillais en remplacement du sien qu'il avait perdu, j'arrachai plusieurs citoyens d'entre les cadavres qui les etouffaient et je les rendis par la a la vie, notamment le citoyen Lionne, marchand charcutier, rue de la Verrerie, etc., etc. Enfin le combat se termine et la victoire nous reste. Je rentre chez moi pour me panser et me rafraichir. J'allai encore ensuite pour terminer cette journee assister et concourir a l'execution des statues de bronze de la place Vendome. C'est par la que je couronnai toute la participation que j'eus aux fameux actes au 10. CHAPITRE XVIII AOUT [ET SEPTEMBRE] 1792 _Affaire des prisonniers d'Etat accuses du crime de lese-nation, detenus a Orleans. Je suis charge de les transferer a Saumur. Leur massacre a Versailles_[81]. [Note 81: Presenter l'etat des choses a Orleans, la conduite des prisonniers, la venalite des trames (_sic_), les perfidies du tribunal. Un membre du tribunal m'en avertit. L'effet que cela produit sur l'esprit du peuple. (_Indication marginale de Fournier._)] Quelques jours apres le 10, tout Paris se mit en effervescence a l'occasion des prisonniers d'Orleans[82]. Que signifie, disait-on, la detention de tous ces conspirateurs en chef qui n'ont cesse d'insulter a la nation, en transformant leur prison en une maison de plaisirs et de festins continuels[83]? Que signifie cette Haute-Cour nationale[84] qui n'a encore juge aucun d'eux et qui coute immensement a l'Etat? Bientot l'opinion generale se resume sur cet article et il est decide a l'unanimite qu'une partie de la garde nationale parisienne se rendra a Orleans et qu'elle ramenera les prisonniers a Paris[85]. [Note 82: Il y avait alors, a Orleans, cinquante-trois prisonniers, parmi lesquels: Claude Delessart, ancien ministre des affaires etrangeres, decrete d'accusation le 10 mars 1792, pour avoir perfidement cache la verite a l'Assemblee, etc.;--de Cosse-Brissac, commandant de la garde du roi, decrete le 29 mai 1792;--d'Abancourt, ministre de la guerre dans les derniers jours de la royaute, qui, malgre le decret de la Legislative, avait retenu a Paris une partie des Suisses, decrete le 10 aout 1792, au soir;--le juge de paix Lariviere, decrete le 20 mai 1792: il avait lance un mandat d'amener contre les trois deputes Merlin, Chabot et Basire, comme complices de Carra, que MM. Bertrand de Moleville et Montmorin poursuivaient pour avoir denonce le _Comite autrichien_;--des officiers et des citoyens de Perpignan decretes le 3 janvier 1792 pour avoir, au commencement de decembre 1791, conspire de livrer la citadelle aux Espagnols.] [Note 83: On sait qu'a l'aide de la protection de la Cour, les conspirateurs detenus a Orleans se flattaient tellement de l'impunite qu'ils ne songeaient qu'a se divertir et donnaient a toute la nation le scandale de l'etablissement d'une salle de spectacle, d'un jeu de paume dans l'interieur de la prison. Et la Haute-Cour, dont chaque membre coutait a l'Etat 18 francs par jour, pour ne point les distraire de tous ces plaisirs, n'instruisait le proces d'aucun d'eux. O patrie, par quels hommes tu es servie! (_Note de Fournier._)] [Note 84: La loi du 10-15 mai 1791 avait etabli une Haute-Cour nationale, qui connaitrait de tous les crimes et delits dont le Corps legislatif se serait porte accusateur et qui ne devait se former que quand le Corps legislatif aurait porte un decret d'accusation. Elle devait se reunir a quinze lieues au moins du siege du Corps legislatif. La loi du 20-27 juin 1792 en fixa definitivement l'emplacement dans la maison des Ursulines a Orleans. La Haute-Cour etait composee d'un haut jury et de quatre grands juges tires au sort parmi les membres du tribunal de cassation. Les quatre grands juges devaient diriger l'instruction et appliquer la loi, apres la decision du haut jury sur le fait. Le haut jury devait etre compose de 24 membres, membres pris sur une liste de 166 hauts jures, elus par les assemblees electorales, a raison de deux par departement. Quand le Corps legislatif rendrait un decret d'accusation, il nommerait deux de ses membres qui, sous le titre de grands procurateurs de la nation, "feraient aupres de la Haute-Cour, la poursuite de l'accusation." Le decret du 14 mai 1792 confia les fonctions de commissaire du roi pres la Haute-Cour au commissaire du roi pres le tribunal du district d'Orleans. La Haute-Cour elle-meme avait ete mise en activite par le decret du 21 novembre 1791.--Un decret du 25 septembre 1792 la supprima.--Sur le massacre des prisonniers d'Orleans, on consultera surtout: _Les prisonniers d'Orleans, episode revolutionnaire_, extrait de la _Revue d'Alsace_, par Paul Huet, conseiller a la cour imperiale de Colmar. S.l.n.d., in-8 de 50 pages. Reimprime avec quelques changements sous ce titre: _Les massacres a Versailles en 1792_, par Paul Huet, Paris, 1869, in-8 de 53 pages.--Mortimer-Ternaux, _Histoire de la Terreur_, t. III.--Le Dr Robinet, _Danton, memoire sur sa vie privee_; Paris, 1884, in-8.--A. Dubost, _Danton et les massacres de septembre_; Paris, s.d. in-8.--_Memoires sur les journees de septembre 1792_; Paris, Didot, 1858, in-12.] [Note 85: Dans le memoire qu'il publia en l'an VIII, Fournier dit que, le 23 aout 1792, un des hauts jures, Barras, vint a Paris pour provoquer l'envoi a Orleans d'une force armee qui empecherait l'enlevement des prisonniers. Le 24 aout, Fournier lui-meme adressa a la Commune une petition dans ce sens. Le 26, elle arreta l'envoi a Orleans d'une force armee de 500 hommes.] En meme temps ce fut sur moi que tout le peuple jeta les yeux pour deferer (_sic_) le commandement de cette expedition. Ce n'etait point assez d'etre honore du choix du peuple: il me fallait encore l'assentiment des autorites constituees. Je me rends a la Commune de Paris ou je dis au Conseil general que j'aurais besoin de pouvoirs pour une expedition importante, mais dont la reussite depend de ce qu'elle restera secrete, [c'est] pourquoi je ne peux pas la communiquer en public. Des commissaires sont nommes pour recevoir ma declaration. Le Conseil general, de concert avec le general Santerre, m'expedie aussitot un pouvoir a l'effet de me faire delivrer tout ce dont j'aurai besoin pour mon expedition. Santerre, pour ses grands services a la chose publique, avait des lors tous pouvoirs a la Commune. C'est lui qu'elle chargea de me donner toutes les autorisations necessaires pour cette expedition d'Orleans. Je fis part a Santerre qu'il me faudrait des munitions, des canons, et en meme temps le pouvoir de faire des bons en cas de besoin. Santerre ordonna le tout et meme il me chargea d'aller trouver le Conseil general pour demander au moins un millier de louis pour cette expedition. En ayant parle a quelques membres, ils me renvoyerent a Santerre en me disant de faire avec lui tout ce que je jugerais a propos, et que tout ce que je ferais serait trouve bien fait. Sur cette reponse, Santerre m'autorisa a faire des bons[86] partout ou le cas l'exigerait, sans limites et sans bornes. [Note 86: La Commune avait envoye a Santerre deux commissaires pour l'autoriser a m'autoriser pour tout ce qui serait necessaire. (_Note de Fournier._)] C'est ainsi que je suis parti de Paris avec ma troupe, et que, nonobstant les autorisations que je viens de rappeler, j'ai paye partout de mes propres deniers jusqu'a l'epoque de l'incident qui va suivre. Nous partions de Longjumeau le ...[87], lorsque du Bail, Bourdon [de] la Crosniere et Tallien, aujourd'hui deputes a la Convention, y sont arrives a quatre heures du matin en qualite de commissaires du pouvoir executif. Ils venaient m'annoncer que mon depart avait provoque un decret de l'Assemblee nationale par lequel il etait ordonne que les prisonniers d'Orleans fussent juges sur-le-champ[88], qu'ils venaient en consequence me notifier de retrograder, parce que la translation n'etait plus necessaire. [Note 87: La date a ete laissee en blanc.] [Note 88: Le 23 aout 1792, la Commune de Paris s'etait presentee a la barre de l'Assemblee legislative et avait renouvele une petition de la section du Finistere, qui demandait: 1 deg. la suppression de la Haute-Cour: 2 deg. la translation des prisonniers a Paris pour y etre juges par une Cour martiale. Sinon, le peuple se ferait justice lui-meme. Les grands juges d'Orleans expliquerent leurs retards en faisant remarquer que, le commissaire du roi ayant ete suspendu par suite du 10 aout, la Haute-Cour ne pouvait pas fonctionner en son absence. Le 25 aout, la commission extraordinaire de l'Assemblee legislative, par l'organe de Gensonne, proposa et fit rendre un decret qui ordonnait le renouvellement des hauts jures par les assemblees electorales qui allaient nommer la Convention, mais maintenait provisoirement les jures actuels et edictait des mesures pour que les accuses fussent juges promptement. Le dernier article du decret chargeait le ministre de la justice d'envoyer a Orleans deux commissaires pour s'assurer de l'etat des procedures instruites par la Haute-Cour, de l'etat des prisons et des precautions prises pour la surete des prisonniers. Danton nomma a cet effet Leonard Bourdon et du Bail.] Quelle secrete intrigue, quelle protection particuliere, quel vif interet pour les conspirateurs avaient pu faire decider cette demarche? Voila de ces circonstances que le public n'a pas sues et qui pouvaient etre capables de faire fortement soupconner les intentions du nouveau pouvoir executif. Comment! on se flattait de pouvoir faire juger sur le champ tous ces traitres a la patrie par ces memes magistrats qui n'avaient point voulu jusqu'alors les juger! Il leur fallait donc une recommandation, une injonction particuliere; il leur en avait donc ete donne une pour rester inertes; on en etait donc instruit! Tout ceci pretait a mille conjectures de defiance differentes les unes des autres, etc. Je demandai aux commissaires leurs pouvoirs avant que d'acceder a ce qu'ils proposaient. Ils firent connaitre leur mission en presence de la troupe assemblee. Mais alors tous les citoyens, qui ne demelaient dans cette mesure qu'un moyen, disaient-ils, de sauver bien vite les coupables, se mirent a crier: "Nous sommes partis de Paris pour aller a Orleans; ainsi c'est a Orleans qu'il faut aller, et si Fournier, que nous n'avons nomme notre general que pour nous y conduire, s'y refuse, il n'y a qu'a lui abattre la tete". J'apaisai cet orage en disant a la troupe que je savais ne point commander des esclaves, que je ne ferais rien sans avoir bien consulte tous mes camarades, et que des lors je leur demandais s'il ne leur serait pas agreable que je presentasse en leur nom a tous une petition a l'Assemblee, laquelle je me chargeais de porter moi-meme. Le resultat de la deliberation fut de nommer deux commissaires avec moi pour aller a l'Assemblee nationale; que cependant la troupe continuerait sa route pour Orleans et que, si le general ne venait pas la rejoindre, il lui en couterait la tete. J'observe que Tallien etait l'un des deux commissaires dont je viens de parler et que, voyageant dans la meme voiture pour revenir a Paris, nous ne nous dimes pas un seul mot pendant toute la route, parce que je me defiais beaucoup de son civisme[89]. Je ne sais si lui, a mon egard, c'est par le motif d'une prevention semblable qu'il ne me parla pas non plus. Mais je declare ici que depuis j'ai bien change d'opinion sur son compte. Tant que Tallien soutiendra les principes qu'il preche dans son _Journal des Sans-Culottes_, je le regarderai comme le plus ferme appui du veritable patriotisme. [Note 89: Tallien avait ete envoye a Orleans par la Commune de Paris, le meme jour que Danton y envoyait L. Bourdon et du Bail.] Mais Bourdon [de] la Crosniere changea un peu les dispositions en faisant aux soldats une proposition qui pouvait etre un puissant attrait pour un certain nombre d'entre eux: "Ne partez point d'ici, leur dit-il, que Fournier ne soit de retour. Depensez, mangez, buvez, divertissez-vous: la nation paiera tout." On voit que Bourdon et du Bail etaient inspires par tout autre motif que celui d'epargner les fonds de la patrie. Ils n'avaient pas non plus celui de m'engager a me louer de leurs procedes: car, apres s'etre permis d'ordonner une depense particuliere de 617 livres, ils ont eu la mechancete de faire venir a la Maison commune de Paris le malheureux chez qui avait ete faite cette depense pour reclamer cette somme sous mon nom. Mais revenons a mon retour a Paris, avec la petition de mes camarades. J'arrive a la barre, et j'y presente cette petition[90] qui fait changer tout a fait les mesures du pouvoir executif. Elle determine l'Assemblee a rendre un decret qui ordonne qu'il me sera donne mille hommes de troupe de garde nationale parisienne pour aller a Orleans garder les prisonniers de la Haute-Cour, de concert avec la garde nationale d'Orleans. [Note 90: En effet, dans sa seance du 26 aout 1792, l'Assemblee legislative recut a sa barre une deputation de volontaires marseillais, accompagnes de membres de la Commune de Paris et de celle de Longjumeau, qui demanderent a etre autorises a continuer leur route sur Orleans pour dejouer le projet d'enlevement des prisonniers. Seance tenante, sur un rapport fait par Guadet; au nom de la Commission extraordinaire, l'Assemblee decreta que le pouvoir executif serait tenu de faire passer a Orleans une force suffisante pour, de concert avec les citoyens d'Orleans, veiller a la garde et a la surete des prisons de cette ville dans lesquelles etaient detenus les accuses aupres de la Haute-Cour nationale. (_Journal des debats et des decrets_, n deg. 333 et 334.)--Le meme jour, le ministre de l'interieur Roland delivra a Fournier une commission en regle, dont l'original se trouve dans les papiers de Fournier aux Archives.] Le pouvoir executif m'expedie des ordres en consequence. Il m'adresse a la Maison commune pour demander tout ce dont j'avais besoin. Il m'y fut compte six mille francs, somme qui n'etait rien pour pouvoir suffire aux depenses considerables qu'il etait question de faire journellement en raison de la grande quantite d'artillerie que nous avions et en raison des quinze sols de solde par jour, au-dessus de l'etape, a chaque volontaire. Qui croirait cependant qu'en revenant au Conseil general, a mon retour d'Orleans, j'y trouvai que les malheureux Bourdon [de] la Crosniere et du Bail m'avaient denonce comme un concussionnaire qui avait fait des bons partout ou il etait passe, et qui n'avait paye personne? Sans doute ils se vengeaient de ce que j'avais controverse leur mission au succes de laquelle ils avaient sans doute raison de s'interesser vivement. Qui croirait encore qu'on avait accueilli ces miserables denonciations et d'autres plus absurdes, telles que de dire que j'avais enleve trente-six mille francs avec lesquels j'etais parti de Paris comme banqueroutier? Croira-t-on que tout ceci s'etait accredite au point de dicter un mandat d'arret contre moi? Mais je parais a la Commune, j'impose silence a mes vils delateurs, je m'explique, et aussitot le ridicule mandat d'arret est biffe. C'est a la suite de ces odieuses tracasseries, qui semblaient me presager tous les futurs deboires du malheureux voyage d'Orleans, que je pars de Paris et je vais rejoindre ma troupe a Etampes ou elle s'etait rendue de Longjumeau, d'apres les ordres que je lui avais fait parvenir, apres le sejour que j'ai note qu'elle avait fait dans ce dernier endroit par l'influence et a l'instigation de Bourdon [de] la Crosniere et du Bail[91]. [Note 91: Fournier se fit delivrer, pour lui et sa troupe, des certificats de bonne conduite par les officiers municipaux des communes qu'il traversa en allant a Orleans, Longjumeau, Etampes, Angerville, Artenay. Voir ses papiers aux Archives.] La garde nationale d'Orleans, les troupes de ligne qui y etaient en garnison, le departement et la municipalite sont venus au-devant de nos bataillons, a deux lieues de cette ville. Un bivouac etait prepare pour nous dans la foret et l'on y avait fait porter du vin et tous autres rafraichissements necessaires. La fraternite et la joie accompagnerent cette reconnaissance. Des santes en grand nombre furent portees en l'honneur de la nation, et le canon, avec une nombreuse musique, annoncait la pompe de la fete. Le cortege reuni etait si considerable qu'il mit plus de quatre heures a defiler. Cependant toutes ces demonstrations n'etaient que theatrales. J'appris trop bien vite qu'en general la population orleanaise n'avait pas en reserve une forte provision de civisme et que, foncierement, notre apparition n'avait pas fait le plus grand plaisir. Nous arrivons a Orleans et nous allons aussitot nous emparer des prisons ou je commencai a faire mettre pour le bon ordre une garde suffisante. Toute notre troupe fut logee chez les citoyens les plus aises. Politique ou non, elle ne pourra jamais trop se louer des bons procedes qu'elle en recut. De notre cote, nous pouvons nous flatter d'avoir fait regner la tranquillite durant tout notre sejour a Orleans. Mon artillerie etait toujours placee de maniere a nous tenir sur nos gardes. Cependant je ne jouis pas longtemps d'une entiere securite. Une nuit vint ou j'eprouvai des inquietudes qui furent les presages des altercations serieuses qui me traverserent successivement. En faisant ma tournee a deux heures du matin, j'ai trouve mes pieces de canon degarnies et seulement deux sentinelles avec l'officier de poste, qui me dirent qu'il n'etait pas possible de garder cette artillerie, attendu le trop grand service dont nous etions surcharges et la trop grande difficulte de rallier tout notre monde epars dans les maisons des citoyens. Ces observations me determinerent de faire parquer mes pieces d'artillerie a la pointe du jour dans la maison ou j'etais loge. Mais le surlendemain je fus trouble par un incident qui semblait annoncer des suites bien plus graves. Il etait arrive a Orleans un regiment qui venait du Port-au-Prince et qui dirigeait sa marche vers les frontieres. D'un autre cote, le regiment de Berwick, suisse, etait en garnison dans la ville ainsi qu'un corps de cavalerie. Il m'apparut que la malveillance avait projete de mettre aux prises ces differents corps et le notre pour parvenir a faire regner un desordre, a la faveur duquel on esperait peut-etre de sauver des prisons les conspirateurs confies a ma garde. M'etant apercu a temps de ce danger, j'eus soin de me premunir contre les resultats. Sur les neuf heures du soir, je suis appele au departement et a la municipalite et presque en meme temps j'entends battre la generale. Je vois le moment ou il s'agit d'eviter par le courage des evenements peut-etre bien desastreux. Je cours bien vite aux drapeaux; je rassemble ma troupe et en moins d'un quart d'heure je m'empare de tous les debouches dans le centre de la ville. Je braque mes canons de toutes faces; je me mets en bataille a bout portant du regiment du Port-au-Prince et j'envoie de fortes patrouilles a tous les postes de la ville. Ces dispositions faites, j'apprends que le regiment de Berwick a fait distribuer quarante cartouches a chacun de ses soldats. Alors je donne ordre a ma troupe de charger. Je demande aux officiers du regiment de Port-au-Prince quelle etait leur intention: "Liberte et egalite, me repondirent-ils, et vous pouvez en cette occasion ordonner, nous sommes a votre commandement." "Camarades, leur repliquai-je, vous etes fatigues, vous partez demain: allez vous reposer. Nous sommes bien en etat de nous defendre contre quiconque nous attaquera et nous ferons la garde pendant la nuit." Alors tous les regiments rentrerent dans leurs casernes. Ainsi se termina cette tentative si menacante. Si l'on n'a voulu que nous tater pour savoir si nous etions les hommes du 10, l'energie et la fermete que nos bataillons montrerent ne le laisserent nullement a douter[92]. Vraisemblablement la rage delirante des agitateurs n'en serait-elle pas restee la et fut-elle parvenue a engager quelque nouvelle tentative contre nous: mais la circonstance de notre prompt depart lui epargna cette peine. [Note 92: Nous avions contre nous plus de trente mille hommes, car il faut y comprendre la garde nationale d'Orleans qui etait toute aristocratisee, comme je l'ai deja remarque, nonobstant toutes les demonstrations fraternelles et de patriotisme qu'elle nous avait faites a notre arrivee. Ce n'est que notre courage et notre energie qui lui en imposerent et qui nous mirent a couvert des traits qu'elle avait voulu aiguiser contre nous. (_Note de Fournier_.)] Un decret de l'Assemblee nationale du 2 septembre m'arriva a Orleans le 3 et ordonnait la translation des prisonniers a Saumur[93]. [Note 93: En effet, dans sa seance du 2 septembre 1792 au soir, l'Assemblee legislative decreta, sur le rapport de Gensonne au nom de la Commission extraordinaire, que les prisonniers d'Orleans seraient transferes sur-le-champ dans les prisons du chateau de la ville de Saumur, que les commandants de la garde nationale d'Orleans et de la garde nationale parisienne actuellement a Orleans seraient tenus d'assurer le transport des prisonniers par une escorte suffisante, mais que les gardes nationales qui s'etaient rendues de Paris a Orleans se retireraient sans delai dans le sein de la capitale, a l'effet de partager le service extraordinaire auquel les citoyens de Paris vont se devouer pour le salut de la patrie et la defense de la capitale.] Voici les mesures d'execution qui me servirent a assurer mon depart. Le departement rendit un arrete pour nous faire renforcer par cinq cents hommes de la garde nationale d'Orleans. Je representai que je ne pouvais partir sans argent puisqu'il fallait chaque jour delivrer quinze sols de pret a chaque homme. En consequence, le lendemain, jour du depart, il me fut donne quinze mille livres. J'assemblai la troupe, je lui fis part du decret de l'Assemblee nationale pour la conduite des prisonniers a Saumur. Je fis charger ces prisonniers au nombre de cinquante-trois sur des voitures et je fermai moi-meme a clef toutes leurs malles renfermant considerablement d'effets precieux sur lesquels j'ordonnai que les scelles fussent mis. Ici se presentent des circonstances extraordinaires et qui sont encore presque enigmatiques pour moi. J'etais le general de cette troupe, et l'on va voir quelle fut mon autorite sur elle. J'avais un decret ostensible a faire executer et d'autres que moi avaient apparemment des ordres secrets pour une mesure qui y etait bien contraire. Le 3 septembre, veille du depart d'Orleans, un courrier m'apporta un paquet qui annoncait les massacres du 2 dans les prisons de Paris en m'insinuant d'en faire faire a peu pres autant a Orleans. Je recus ce paquet chez l'eveque[94], ou etaient alors Bourdon [de] la Crosniere et du Bail, auxquels je le communiquai, ainsi qu'a l'eveque. Ayant ete appele un instant hors du cercle, le paquet et le courrier disparurent pendant ce temps et je ne pus jamais ressaisir ce meme paquet. [Note 94: L'eveque du Loiret etait M. de Jarente, un des rares eveques de l'ancien regime qui avaient prete serment a la Constitution civile.] Je n'ai cependant pas perdu la trace de cet objet et je me reserve, dans un supplement a ce memoire[95], de donner a cet egard des developpements qui jetteront un grand jour sur les machinations secretes de cette fameuse affaire des prisonniers d'Orleans. [Note 95: Ce supplement n'existe pas.] Au lieu de vouloir aller a Saumur, la troupe prit la route de Paris et plus de quatre cents hommes m'entourerent, la baionnette au bout du fusil, en me disant que si je commandais d'autre marche, c'en etait fait de moi. Je semblai ceder au voeu de la violence. Nous fimes donc route pour Paris[96]. Arrive a Etampes, j'y ordonnai un sejour pour attendre les ordres ulterieurs du Corps legislatif. [Note 96: Plus tard, Fournier se fit delivrer un certificat de bonne conduite par la municipalite d'Orleans, le 30 octobre 1792: "Nous, officiers municipaux et notables de la commune d'Orleans, certifions que le citoyen Fournier, commandant un detachement de la garde nationale parisienne arrive a Orleans le 31 aout 1792, a donne ses soins au maintien de la paix et de la tranquillite pendant le sejour qu'il a fait en cette ville jusqu'au depart des prisonniers, etc."] J'y recus quatre commissaires du pouvoir executif qui me notifierent un nouveau decret par lequel il nous etait enjoint de ne point amener les prisonniers a Paris, mais de choisir tout autre departement que nous jugerions a propos[97]. [Note 97: Au debut de sa seance du 5 septembre, l'Assemblee apprit, par une lettre des grands procurateurs de la nation, que les prisonniers d'Orleans etaient en route pour Paris. Alors sa Commission, par l'organe de Vergniaud, lui proposa et lui fit rendre le decret suivant: "L'Assemblee nationale, apres avoir entendu lecture du proces-verbal des corps administratifs d'Orleans, decrete ce qui suit: Article 1er. Le Conseil executif provisoire donnera sur-le-champ les ordres et prendra les mesures necessaires pour l'execution du decret du 2 de ce mois, relatif aux prisonniers detenus a Orleans.--II. Il pourra les faire conduire dans tel lieu qu'il jugera convenable, hors du departement de Paris; il donnera des ordres pour qu'il soit pourvu a leur surete et a leur garde.--III. Le Conseil provisoire executif (_sic_) enverra sur-le-champ des commissaires au-devant de la force armee qui conduit les prisonniers, et fera lire a la tete du bataillon l'instruction suivante: "Citoyens, un decret de l'Assemblee nationale a ordonne le transport des prevenus du crime de haute trahison a Saumur. Vous avez ete requis, au nom de la loi, de concourir a l'execution de ce decret; et vous avez meconnu l'empire de la loi, vous avez resiste a l'autorite des representants de la nation.--Citoyens, dans quel egarement vous ont jetes des suggestions perfides!--L'homme qui resiste aux ordres que le peuple lui donne par l'organe des autorites constituees se trompe s'il se croit patriote; il n'est qu'un rebelle. Pensez-vous que, s'il echappait a la peine qu'il aurait encourue, il echapperait au mepris public? Pensez-vous que les soldats qui combattent pour la liberte voudraient le recevoir sous leurs drapeaux?--Cette reflexion alarme votre courage: eh bien, qu'elle porte aussi le repentir dans votre coeur. Obeissez sur-le-champ: la patrie oubliera votre faute, et elle vous marquera une place parmi ses defenseurs." (_Collection generale des lois_, dite _du Louvre_, t. XI, p. 165. Le texte de ce decret manque au proces-verbal de la Legislative. Il a ete inexactement rapporte par le _Journal des debats et des decrets_, n deg. 346, p. 136.)--On voit que, dans ce decret, il n'y a rien qui autorise formellement et personnellement Fournier a mener les prisonniers dans le departement qu'il voudrait, pourvu que ce ne fut pas Paris. Il semble, d'apres des documents cites par M. Mortimer-Ternaux (III, 381-383), que Fournier recut une lettre de Roland qui l'autorisait a mener les prisonniers a Versailles. En tout cas, l'Assemblee legislative approuva implicitement cette translation. On lit, en effet, dans le proces-verbal de la seance du 7 septembre 1792 au soir (t. XV, p. 85): "Un membre rend compte des suites du decret relatif a la translation des prisonniers d'Orleans. Il dit que les dernieres lettres envoyees par le commandant des troupes qui accompagnent ces prisonniers et par les commissaires du pouvoir executif annoncent que ces troupes executeront le decret rendu, que les prisonniers ne seront pas rendus a Paris, mais a Versailles." Ce membre, qui etait Brissot, ajouta (d'apres le _Journal des debats et des decrets_, n deg. 347, p. 144) qu'on preparait des prisons a Versailles pour recevoir les prisonniers, et (d'apres le _Moniteur_, XIII, 645) cette communication fut applaudie.] Je fis assembler toute la troupe dans une eglise pour lui faire part de ces nouvelles dispositions. Mais il ne me fut presque pas possible de me faire entendre. De tous cotes on s'ecriait: "A Paris, a Paris, c'est a Paris qu'il faut aller! Et, si le general s'y oppose, il n'y a qu'a faire tomber sa tete." D'autres disaient: "Il n'y a qu'a le degrader, le chasser et en nommer un autre[98]." [Note 98: Ne pas donner tort a toute la troupe, seulement a quelques emportes; flatter la troupe. Elle n'avait pas de mauvaises intentions puisqu'elle a conduit les prisonniers avec tous les honneurs. Ils brulaient d'aller aux frontieres. Ils ne voulaient pas avoir fait 50 lieues et refaire encore 50 lieues. Si conduits (_sic_) a Paris, ils les eussent fait entrer en surete, mais Versailles qui connaissait tous les crimes des personnages.... (_Note marginale de Fournier_.)] J'etais bien resolu de mourir s'il le fallait pour l'execution de la loi; mais, provisoirement, je ne vis pas d'autre parti a prendre pour apaiser ces vociferations et attenuer cette terrible effervescence que de renvoyer tout le monde et de remettre l'assemblee au lendemain a 8 heures. Dans la nuit, je recus une seconde depeche du pouvoir executif, signee Roland, qui me recommandait sous ma responsabilite de ne point venir a Paris. La troupe assemblee a huit heures, je fis part de cette nouvelle depeche, et a l'unanimite, il fut decide que l'on irait a Versailles[99]. [Note 99: Une autre lettre: Roland me disait d'attendre, qu'il venait d'etre pris un arrete de tous les corps constitues reunis, pour que la commune et le departement aillent au-devant des prisonniers pour les amener a Paris, sous l'escorte des corps constitues pour proteger leur marche afin que rien n'arrive. (On savait donc ou l'on machinait pour qu'il arrive quelque chose?) Ici grandes reflexions: Voulaient provoquer la guerre civile, etc., etc.--Autre lettre qui ordonne d'aller a Versailles. On ne savait a quoi s'en tenir. On se resout pour Versailles. (_Note marginale de Fournier_.)] Nous partons en consequence pour Versailles avec les commissaires du pouvoir executif. J'allai en avant pour faire part de mes ordres au Conseil general de la Commune, et lui annoncer le depot que j'allais mettre sous sa sauvegarde. Alors le maire de Versailles, en consequence d'un arrete du departement, m'engagea d'aller avec lui sur toutes les places pour en faire la proclamation au peuple. Je trouvai assez etrange cette proclamation, qui disposa les esprits longtemps d'avance et donna le temps de concerter des projets qui n'eussent peut-etre pas eu lieu sans cette annonce prealable et faite avec le plus grand bruit. Quoi qu'il en soit, a la suite de la proclamation, le maire et plusieurs municipaux vinrent avec moi reconnaitre les prisonniers a Villejuif. C'est de la que, continuant avec eux la route, nous sommes entres dans Versailles. Arrives a la grille de l'Orangerie, toute notre artillerie passe et tout a coup cette grille se ferme, le maire de Versailles d'un cote et moi de l'autre. Le peuple se saisit de mon cheval et de moi, en disant que si je remue on me coupe aussitot la tete. Je suis conduit jusqu'au carrefour des Quatre-Bornes[100] ou l'on detelle les chevaux des voitures qui conduisaient les prisonniers. La, la troupe s'apercoit que ma vie est en danger. Elle fait casser la serrure de la grille a coups de hache par les sapeurs et vient avec la cavalerie a mon secours. Pendant ce mouvement, le peuple furieux saute sur les voitures, frappe les prisonniers et helas! offre aux yeux effrayes le spectacle epouvantable d'une extermination sans reserve[101]!! [Note 100: Ce carrefour etait situe au point d'intersection des rues de Satory et de l'Orangerie.] [Note 101: Voici en quels termes Fournier racontera les memes faits quelques annees plus tard: "Arrives a Versailles, nous traversames la ville. Lorsque j'eus, avec l'artillerie, depasse la grille de l'Orangerie, elle fut fermee precipitamment. Je fus assailli et jete a bas de mon cheval, saisi au collet et traine aux Quatre-Bornes. Au moment ou les assassins se disposaient a m'oter la vie, la cavalerie arriva, qui m'arracha de leurs mains. Le massacre des prisonniers eut lieu dans le meme temps. Je n'ai vu ni entendu porter aucun coup. Les auteurs et les instigateurs de ces horribles forfaits avaient pris leurs precautions pour me faire subir le meme sort, sans que la troupe que je commandais put s'y opposer, ni au massacre des prisonniers, puisqu'elle formait l'arriere-garde, dont une partie etait encore hors de la ville, au moment qu'on ferma la grille de l'Orangerie; l'autre etait repandue dans la ville, eloignee des prisonniers...." (_Massacres des prisonniers d'Orleans. Fournier, dit l'Americain, aux Francais_. Paris, 28 nivose an VIII, in-8 de 16 p.)] Quel parti prendre? Je fis battre mes bataillons en retraite. Aurais-je ete risquer le massacre de dix mille citoyens pour tenter le salut des malheureux conspirateurs[102]? [Note 102: Ici Fournier annonce en note une "liste des victimes qui ont peri dans cette effroyable et terrible egorgerie". Mais il ne la donne pas.] Je dois dire que je n'ai trempe en rien dans les barbares et tenebreuses manoeuvres qui ont amene la fin tragique de ces prisonniers. J'ai ete meme la dupe et le jouet de ce long systeme de perfidie, ainsi qu'on a pu voir dans le narre que je viens d'offrir. Que de reflexions ne sont point a faire sur les differentes circonstances de cette expedition? Mais de ces reflexions, on ne negligera pas sans doute la principale. C'est qu'en general la patience du peuple etait portee a bout dans ce moment, d'apres les trahisons de toute espece, dont la vengeance venait de lui couter tant de sang, et que cette meme patience etait lassee, impatientee par le scandale de ces grands coupables affichant pendant longtemps l'assurance de l'impunite, par la transformation de leur maison de detention en un lieu de delices et de plaisirs, ou ils se livraient sans contrainte a toutes les dissipations les plus recherchees, recevant sans cesse une nombreuse compagnie, entretenant hautement, et sans prendre la moindre peine pour s'en cacher, les plus actives correspondances avec tout ce qui etait connu de plus contre-revolutionnaire a Paris, dans les departements et au dela; et au milieu de toutes ces occupations, ayant l'air d'etre parfaitement d'accord avec tous les magistrats de la Haute-Cour, qui ne les distrayaient nullement, n'informaient, ni ne les les interrogeaient point: on a meme assure que plusieurs d'eux allaient habituellement faire leur partie, entendre les saltimbanques et partager tous les plaisirs de cette prison metamorphosee en asile de sybarites! Et une nation libre aurait pu contenir les effets de cette indignation a la vue de tant d'actes de perversite?... [Le manuscrit de Fournier est inacheve; il se termine par les phrases decousues qu'on va lire:] Piece de tragedie ou l'on jouait le tribunal. Cette piece a ete imprimee. Je me repentirai toute ma vie de n'avoir point arrete en meme temps le tribunal. La Haute-Cour coutait 1,500,000 francs par mois a la nation ou 35 millions (_sic_). Suis-je un conspirateur d'avoir fait cette epargne a la nation? Depot des effets precieux des prisonniers: argenterie et effets, bijoux, hardes, billets au porteur, etc. Inventaire en fut fait par des commissaires de la Commune. Scelle, depose a la Maison commune de Paris. Proces-verbaux detournes on ne sait par qui, malgre la surveillance et les perquisitions du Conseil general. On trouve quelques debris d'effets, mais les plus precieux sont disparus. J'ai retire decharge des depots dans le temps tant des commissaires de la Commune de Paris que du garde-magasin. C'est l'interet public qui m'a porte depuis a vouloir me faire rendre compte[103]. O Patrie, comme on te pille! etc., etc. [Note 103: Sur les faits auxquels Fournier fait ici allusion, voir notre introduction.] FIN DES MEMOIRES DE FOURNIER L'AMERICAIN TABLE DES MATIERES INTRODUCTION. Sec. 1er.--Biographie de Fournier l'Americain. Sec. 2.--Bibliographie des ecrits publies par Fournier. Sec. 3.--Valeur historique de ses Memoires. MEMOIRES SECRETS DE FOURNIER L'AMERICAIN. AVANT-PROPOS. CHAPITRE PREMIER.--30 juin 1789. Elargissement des gardes francaises enfermes a l'Abbaye par ordre du despotisme. CHAPITRE II.--12 juillet 1789. Lambesc aux Tuileries. CHAPITRE III.--13 juillet 1789. Premiere formation des citoyens en corps armes. J'en suis nomme le chef. CHAPITRE IV.--14 juillet 1789. Mon role a la Bastille. CHAPITRE V.--15 juillet 1789. J'acheve la destruction du tombeau de la tyrannie. J'en sauve les papiers. CHAPITRE VI.--16 juillet 1789. Je previens l'incendie des lettres a la poste. CHAPITRE VII.--5 octobre 1789. Voyage de Versailles. CHAPITRE VIII.--1789 (_sic_). Journee des poignards. Demolition de Vincennes. CHAPITRE IX.--1789 (_sic_). Troubles provoques par la voie des spectacles. CHAPITRE X.--Licenciement des troupes patriotes. CHAPITRE XI.--Projet d'un cercle d'education. CHAPITRE XII.--17 juillet 1791. CHAPITRE XIII.--20 juin 1792. Fameuse petition des sans-culottes. CHAPITRE XIV.--1792. Arrivee des Marseillais a Paris. Premier projet de revolution contre le pouvoir executif. Manque. CHAPITRE XV.--Juillet 1792. Second projet de revolution contre le pouvoir executif. Encore manque. CHAPITRE XVI.--Juillet 1792. Incident tres curieux. La Cour essaie de me corrompre. CHAPITRE XVII.--Journee du 10 aout 1792. CHAPITRE XVIII.--Aout et septembre 1792. Affaire des prisonniers d'Etat accuses du crime de lese-nation. Je suis charge de les transferer a Saumur. Leur massacre a Versailles. TABLE DES MATIERES. End of the Project Gutenberg EBook of Memoires secrets de Fournier l'Americain, by Claude Fournier *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MEMOIRES SECRETS DE FOURNIER *** This file should be named 7mmrs10.txt or 7mmrs10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 7mmrs11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 7mmrs10a.txt Distributed Proofreaders Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. 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