Project Gutenberg's Corneille expliqué aux enfants, by Émile Faguet This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Corneille expliqué aux enfants Author: Émile Faguet Illustrator: Hubert-François Gravelot Release Date: January 3, 2013 [EBook #41769] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORNEILLE EXPLIQUÉ AUX ENFANTS *** Produced by Clarity, Catherine Lamy-Bergot and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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NOUVELLE COLLECTION
DES
CLASSIQUES POPULAIRES
PIERRE CORNEILLE
EN VENTE A LA MÊME LIBRAIRIE
DANS LA MÊME COLLECTION:
LA FONTAINE, par M. Emile Faguet.—Un joli vol. in-12 orné d'un portrait de La Fontaine, d'après Rigault, gravé par Edelinck, et de plusieurs reproductions de Fessard (graveur du XVIIIe siècle).
Prix, broché 1 50
EN PRÉPARATION:
VICTOR HUGO, par M. Ernest Dupuy, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, professeur de rhétorique au collège Rollin, à Paris.
CHATEAUBRIAND, par le même.
RACINE, par M. Jules Lemaître, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, professeur à la faculté des Lettres de Grenoble.
LAMARTINE, par le même.
COLLECTION DES CLASSIQUES POPULAIRES
PAR
Émile FAGUET
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
PROFESSEUR AGRÉGÉ DES LETTRES AU LYCÉE CHARLEMAGNE
DOCTEUR ÈS LETTRES
Ce volume est orné de deux portraits représentant le grand Corneille et
Thomas Corneille, son frère (Musée de Versailles), et de plusieurs
reproductions de Gravelot, graveur du XVIIIe siècle.
PARIS
LIBRAIRIE CLASSIQUE H. LECÈNE & H. OUDIN
17, RUE BONAPARTE, 17
1885
En publiant cette nouvelle Collection des Classiques populaires, nous avons eu la pensée de donner aux enfants et aux jeunes gens une première idée des grands écrivains français, et, du même coup, les premiers traits d'une grande morale, générale, large, profonde, vraiment humaine.
La première éducation morale de l'enfant se fait par les entretiens du foyer. Mais qui de nous ne sait que ces premiers entretiens, quand nous les tirons de notre fonds, manquent bien vite de matière?
Pour suppléer à notre insuffisance propre, nous devons inventer des livres pleins d'histoires ou de contes édifiants, que nous mettons entre les mains des enfants. Faible ressource! Ces contes sont souvent bien puérils et d'une cruelle insignifiance. Pourquoi ne s'est-on pas avisé qu'il faut du génie, et du plus grand, pour parler à l'enfance et à la p. vijeunesse? Mais les hommes de génie ont écrit pour des hommes; soit, aussi pour les confier à l'enfant, faut-il les expliquer. Le fond de la pensée de ces grands écrivains, c'est la vérité morale, qu'il suffit de démêler des ornements, ou des vérités particulières, dont ils l'ont entourée, pour donner aux jeunes gens la nourriture la plus forte, la plus simple, la plus accommodée et la seule qui soit digne d'eux.
C'est ce que nous avons essayé de faire. Ce qu'ont pensé, au fond, La Fontaine, Corneille, Bossuet, Molière, Fénelon, Racine, Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, sur l'homme, sur la vie, sur le travail, sur la douleur, sur la joie, sur le progrès, sur la nation, sur la patrie, tel est l'enseignement que nous avons voulu dégager des œuvres de ces écrivains pour le donner à l'enfant et au jeune homme. Cet enseignement, on le trouvera ici, sous une forme simple et pure, tantôt en lisant l'auteur lui-même, tantôt en suivant les résumés exacts et clairs que nous ferons de cet auteur.
L'enfant, à ce régime, aura à la fois formé son bon sens et son cœur, et il se trouvera, par surcroît, p. viiet sans y penser, être entré déjà dans la familiarité de grands génies dont il pourra plus tard étudier plus profondément les œuvres.
Quelle sera la méthode? Donnerons-nous d'abord une notice sur un grand écrivain, puis des extraits de ses œuvres reliés par des analyses? Il y aurait à craindre que la notice ne fût pas lue et que par suite les extraits ne fussent pas compris dans leur ensemble.
Ramenons toujours les choses pédagogiques à la pratique naturelle, c'est-à-dire à l'usage familial. Un père de famille cause avec ses enfants. Il leur parle de respect filial et songe au Cid. Que fera-t-il? Il dira qu'il y a eu un grand homme qui s'appelait Corneille, qu'il vivait à une certaine époque, qu'il a fait des pièces de théâtre nommées tragédies; qu'il y en a une, entre autres, très belle, qui s'appelle le Cid, et il racontera le sujet. Puis il prendra le livre, et, tout en indiquant la suite et la conduite de la pièce, il lira les passages les plus à la portée de l'enfance.
Voilà précisément ce que nous nous proposons de faire. Un entretien continu, où s'introduisent, chemin faisant, naturellement, et à leur place, p. viiianalyses, extraits et explications, tel est le plan que nous suivrons pour chaque volume de notre collection.
Tous les grands Ecrivains sont-ils susceptibles de cette adaptation? La plupart, assurément. Cependant nous avons pensé que nous devions restreindre notre cadre, et le limiter aux XVIIe et XIXe siècles, sauf à l'élargir plus tard. Les œuvres des écrivains appartenant à ces deux siècles conviennent particulièrement à l'enfance parce qu'elles sont empreintes, pour la plupart, d'un caractère de majestueuse sérénité.
Nous avons fait appel au concours très précieux et à la collaboration de plusieurs de nos collègues et camarades de l'Université, qui ont bien voulu nous prêter l'appui de leur talent et nous aider à atteindre le but que nous nous proposons:
Confier l'éducation de nos enfants aux grands écrivains populaires dont la france est fière, et, sur nos fils et nos filles, dès leur age tendre, faire tomber, selon l'expression de Victor Hugo:
«De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies.»
Emile Faguet
PIERRE CORNEILLE
Vous savez qu'il y a eu en France, à deux cents ans de nous environ, un beau temps, très glorieux, qui a eu ses misères, comme tous les temps, où les rois et les princes ont commis de grandes fautes, mais où la nation a rendu très grand le nom de notre pays, un temps où nous avons pris sur l'étranger, au midi le Roussillon, au nord l'Artois et une partie de la Flandre, à l'est la Lorraine et l'Alsace. Cette époque doit être chère à tous les cœurs français. C'est le XVIIme siècle; c'est le temps où, après le grand et bon roi Henri IV, la France a été gouvernée par Louis XIII, ou plutôt par le premier ministre de Louis XIII, Richelieu, et puis par Louis XIV, avec ses ministres, très intelligents aussi, très laborieux et très dévoués à leur patrie, Colbert, de Lionne, Louvois.
Mais c'est surtout le temps où les Français, qu'on accuse, vous le savez, d'être légers, frivoles, inconstants, ont été peut-être le plus sérieux, appliqués à leurs devoirs, énergiques et l'esprit tourné vers les grandes choses. Ils aimaient leur pays, quoique leur pays, alors, fût très pauvre, les temps très durs, les impôts lourds, la disette bien souvent à la porte, et quelquefois dans la maison. Eh bien, tout comme plus tard, mal vêtus et mal nourris, quand on leur mettait un fusil dans la main, quand le tambour battait à l'approche de l'ennemi, ils jetaient le pain qu'on venait de leur distribuer, pour courir plus vite au combat.
Pourquoi étaient-ils ainsi? D'abord parce que les Français ont toujours été braves, et de bon cœur à leur devoir, et qu'il est plus difficile de les corrompre que de les mener au bien. Ensuite parce qu'ils avaient de bons maîtres pour leur enseigner l'amour de la vertu, du courage, de la patience, et, ce qui contient tout, l'amour de la patrie.
Ces maîtres, c'étaient les auteurs, les écrivains qui composaient de beaux livres pour les enfants et pour les hommes, les historiens, les orateurs et les poètes. Ils lisaient beaucoup Plutarque, un ancien Grec traduit en très bon français par un auteur du siècle précédent, le bon Amyot. Ce livre renfermait toutes les plus belles histoires des plus honnêtes p. 3et des plus courageux personnages de l'antiquité, et il était si bon, si entraînant à bien faire que le roi Henri IV, qui se connaissait en courage, disait, à ce qu'on assure, que c'était pour lui comme une autre conscience.
Ils lisaient encore Tite Live, un Romain, celui-là, qui a raconté comment les citoyens de Rome ont mille fois mis en danger leurs biens et leur vie pour que leur patrie fût libre, grande et respectée du monde entier. Tout cela leur donnait une idée forte et élevée de ce que doit être un homme, pour mériter d'être appelé de ce nom, et un patriote, comme nous disons. Ce mot n'existait pas encore, mais la chose était commune, si bien que c'est précisément vers la fin de l'époque dont je vous parle que le mot a été inventé.
Que lisaient-ils encore?
Faut-il vous le dire? Ils lisaient des romans. Mais c'étaient de beaux romans que ceux de ce temps-là. C'étaient des livres où l'on racontait des histoires d'hommes héroïques, extraordinaires, grands guerriers, grands batailleurs, toujours prêts à faire de grandes entreprises et à donner, pour l'honneur et pour la gloire, de grands coups d'épée. Vous comprenez combien toutes ces lectures enflammaient les courages et donnaient des idées de glorieuses entreprises ou de vaillantes défenses.
Et voilà que, juste à cette époque-là, il est né un homme de beaucoup d'esprit et de beaucoup de cœur, ce qu'on appelle un homme de génie, qui a rendu tous ces beaux sentiments, mais plus beaux encore et plus purs, en très beaux vers, et qui a fait dire ces vers dans les théâtres, par la bouche de très bons acteurs. Jamais on n'avait encore entendu de si excellentes paroles, et qui fissent battre le cœur comme celles-là. C'étaient l'idée et le sentiment de tout le monde, que cet homme mettait en vers sublimes, c'est-à-dire en phrases sonores, harmonieuses, et si faciles à retenir que chacun s'en allait les répétant toute sa vie, rien que pour les avoir entendues une fois.
Cet homme, c'était un poète; ce qu'il faisait ainsi, c'était ce qu'on nomme des pièces de théâtre, des tragédies ou des comédies, et il s'appelait Pierre Corneille. Je vais vous expliquer ce qu'il a été et ce qu'il a fait, et vous comprendrez comment il a été cause, pour sa part, d'une partie des bonnes et belles actions qui ont été accomplies en son temps.
Corneille était né à Rouen, en Normandie, l'année 1606, dans une famille qui n'était pas riche, mais très honorable, et qui avait donné à sa province bon nombre de magistrats éclairés et justes. Il était très appliqué dans son enfance, et fit de très bonnes études dans le collège de sa ville. Quand il fut grand, on en voulut faire un avocat, pour qu'il devînt magistrat plus tard, comme beaucoup de ses parents. Mais il parlait mal et était timide de son naturel. Beaucoup de grands hommes sont ainsi dans leur jeunesse, et quelquefois toute leur vie. C'est pour cela qu'il ne faut pas tourner en ridicule la timidité d'un enfant ou quelque défaut dans sa manière de se faire entendre. Bien souvent ce ne sont pas les plus hardis et les plus assurés en paroles qui sont les meilleurs.
Pierre Corneille reconnut très vite qu'il ne réussirait pas au palais, et il se tourna d'un autre côté. Il fit d'abord, comme distraction et passe-temps, des comédies. Les comédies sont des pièces de théâtre pour faire rire. On y montre des p. 6hommes et des femmes qui ont des défauts, qui sont avares, ou perfides, ou menteurs, ou joueurs, ou gourmands, ou glorieux, et à qui il arrive des désagréments et des mésaventures risibles à cause de ces défauts. Quand un poète a de la bonne humeur et de la gaîté, ces pièces peuvent amuser honnêtement les honnêtes gens, et même les faire réfléchir sur les mauvaises inclinations qu'ils peuvent avoir, quand elles ne sont pas trop fortes et trop enracinées déjà dans le cœur.
Pierre Corneille, qui était jeune et gai, parce qu'il avait un cœur pur et une bonne conscience, fit donc quelques comédies. Elles n'étaient pas très bonnes, mais elles étaient assez amusantes; et elles réussirent, parce qu'on n'avait pas alors, comme on eut plus tard, quand Molière arriva, beaucoup de bonnes pièces comiques. Corneille sentit qu'il pouvait continuer sans crainte dans la carrière où il s'était hasardé, et il vint à Paris, où on le connaissait déjà comme un jeune écrivain, destiné à devenir un célèbre poète.
Il y avait alors un grand ministre, que j'ai nommé plus haut, et qui, tout en s'occupant de toutes ses forces à rendre la France plus riche, plus forte et p. 7plus grande, s'inquiétait du sort des écrivains, et voulait qu'il y en eût beaucoup de bons en France, et qu'ils y fussent honorés et respectés. Il faisait précisément des pièces de théâtre lui-même, et, comme il n'avait pas le temps de les faire tout seul, il se faisait aider par un certain nombre de poètes qui s'y entendaient. C'était le cardinal Richelieu. Richelieu connaissait Pierre Corneille et l'estimait fort. Il l'appela auprès de lui, et le fit entrer dans cette compagnie d'écrivains qui travaillaient avec lui. Pierre Corneille y fit la connaissance d'un bon poète, qui était un homme de grand cœur, Jean Rotrou, qu'il aima tout de suite et dont il resta l'ami jusqu'à ce qu'il lui fût enlevé par la mort.
Corneille aimait fort aussi et honorait comme il devait le cardinal Richelieu. Mais celui-ci était peu accommodant, et habitué à se faire obéir ponctuellement, il n'aimait pas qu'on eût d'autres idées que les siennes. Il donnait à ses écrivains familiers des plans de travail, et il fallait écrire sur ces plans, sans y rien changer. Pierre Corneille qui, tout en respectant le grand génie de Richelieu dans les choses de la politique, se sentait plus de génie que lui pour les pièces de théâtre, changeait quelquefois. Richelieu s'en plaignit, puis se piqua, et enfin Corneille crut devoir se retirer d'auprès de lui.
Il eut raison; car il n'est pas bon à un homme de génie d'écrire sous la direction d'un autre. On est doué pour les choses de l'esprit, et alors il faut se livrer à ses inspirations et ne demander conseil qu'après avoir écrit, à des amis éclairés et sincères; ou bien l'on n'est pas capable de faire de belles œuvres, et alors il ne faut pas écrire du tout, une œuvre médiocre ne valant pas la peine d'être mise sur le papier.
Corneille se retira donc. Richelieu lui en voulut, et quand Corneille, un peu plus tard, fit paraître une très belle tragédie, dont je vais vous parler, et qui s'appelait Le Cid, il se joignit aux jaloux qui déclaraient la pièce mauvaise, et la fit critiquer aussi sévèrement qu'il put par l'Académie française, qu'il venait de fonder. Cela n'est pas très honorable pour Richelieu.
Cependant il faut dire qu'il n'en rendit pas moins de grands services à Pierre Corneille dans diverses circonstances, notamment dans l'affaire de son mariage. Le père de la jeune fille que Corneille désirait épouser hésitait à consentir, ne trouvant pas Corneille d'assez bonne famille. Richelieu fit conférer des titres de noblesse aux parents de Corneille, et conseilla au père de la jeune fille de ne pas s'opposer à l'union. Un conseil de Richelieu était plus qu'un conseil, et le père, si difficile au choix d'un gendre, dut céder, comme vous p. 9pensez bien. C'est une petite comédie en action que fit là Richelieu, et vous pouvez croire que c'est la meilleure qu'il ait faite.
Jaloux d'un côté, bienfaisant de l'autre, voilà ce qu'a été Richelieu pour Corneille, et il faut bien que ce soit la vérité, pour que Corneille, homme incapable de dire rien qui ne fût vrai, écrivît, à la mort du cardinal, une petite pièce de vers qui se terminait ainsi:
«Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.»
Quoi qu'il en soit, le plus grand bienfaiteur de Corneille, sans jalousie et sans rancune celui-là, ce fut le public. Il avait accueilli avec faveur ses premières pièces, comédies ou fantaisies sans prétention, très gaies du reste, et où l'on sentait tout l'entrain de la jeunesse; il accueillit avec des transports ses grandes tragédies, que Corneille donna de l'âge de trente ans à celui de quarante, en pleine force de santé, d'énergie morale et de génie.
Il y en eut huit surtout qui plurent infiniment et qu'on a encore beaucoup de plaisir à voir reparaître sur le théâtre ou à relire. C'est le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, Nicomède, Don Sanche d'Aragon, Pompée et Sertorius. Savez-vous pourquoi?
C'est que, dans chacun de ces beaux ouvrages, Corneille mettait en lumière un des meilleurs sentiments de notre cœur, une forme particulière de ce qui est le plus cher aux Français, le courage. Dans le Cid, par exemple, il montrait le courage d'un jeune homme qui défend l'honneur de son p. 11père; dans Horace, le courage d'un père qui sacrifie ses enfants pour le salut de sa patrie; dans Polyeucte, le courage d'un homme qui sacrifie ses biens, son avenir et enfin sa vie pour ses convictions religieuses; dans Cinna, le courage d'un homme, cruel et vindicatif de son naturel, qui sait triompher de ses mauvais penchants, et pardonner à ses ennemis quand il pourrait les accabler; dans Nicomède, quelque chose que vos parents et vos maîtres auront à vous recommander bien souvent, le courage du plus faible contre le plus fort, la fierté du vaincu devant le vainqueur insolent, l'espoir invincible des revanches de la justice sur la force.
Voyez quelles grandes leçons ce poète donnait à ses contemporains, et comme on comprend bien que les illustres guerriers de cette époque, entre autres le prince de Condé, pleuraient à entendre ces belles choses au théâtre, et comme Voltaire a eu raison de dire: «Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille, c'est une époque bien importante dans l'histoire de l'esprit humain!»
C'est une belle histoire que celle du Cid. Elle se passe en Espagne, du temps que les Espagnols faisaient la guerre contre les Maures. Il y avait dans ce temps, à la cour d'un roi espagnol, un vieux général, qui s'appelait Don Diègue; il avait un fils nommé Rodrigue. A la suite d'une discussion, Don Diègue fut insulté et frappé d'un soufflet par un officier plus jeune que lui, nommé Don Gormas. Il voulut venger cet affront, et mit l'épée à la main; mais Don Gormas le désarma. Le vieillard allait rester déshonoré, si son fils n'eût pas été là. Vous pensez bien que ce jeune homme, Rodrigue, ne voulait pas laisser son vieux père sous le coup d'une pareille honte. Mais Don Gormas était bien redoutable; c'était le plus vaillant guerrier de toute l'Espagne. Eh bien, ce n'était rien encore: ce Gormas avec qui il fallait se battre, c'était le père d'une jeune fille nommée Chimène, à qui Rodrigue était fiancé. Se battre avec Gormas, ce n'était donc pas seulement risquer sa vie, c'était tout perdre à p. 13coup sûr; car Rodrigue vainqueur ne pouvait pas épouser Chimène.
Aussi, dans sa douleur, nous le voyons s'écrier:
Et voilà Rodrigue qui vient provoquer Gormas. Celui-ci regrettait bien sa mauvaise action, surtout en voyant le courage de ce jeune homme à qui il avait projeté d'unir sa fille. Mais il était trop tard. Il ne peut qu'admirer la vertu de Rodrigue et lui dire cette belle parole, qu'il faut retenir:
Et là-dessus, ils vont se battre. Rodrigue tue Gormas. Il est vengé, mais combien malheureux! Comment revoir Chimène maintenant, et que lui dire? Il la revoit pourtant, et lui adresse des p. 16paroles bien vraies et bien nobles. Il ne s'excuse pas, puisqu'il a fait ce qu'il devait. Il lui dit avec une profonde douleur:
«Mais, ajoute-t-il, je voudrais bien mourir, à présent que je suis quitte de mon devoir:
Chimène, de son côté, est bien malheureuse. Elle aussi a le cœur noble; elle comprend que Rodrigue a agi en homme de bien, et elle ne l'en estime que davantage. Mais pourtant elle a perdu son père, et il faut bien qu'elle demande qu'on punisse le meurtrier; car elle serait une fille dénaturée si elle ne le faisait pas. Elle va donc, la mort dans l'âme, comme vous pensez, demander au roi qu'il punisse Rodrigue, tout en craignant de l'obtenir, et en se disant que si l'on met Rodrigue à mort, sa vie, à elle aussi, est brisée.
Quelle affreuse aventure, et comme, de tout côté, on ne voit pour ces braves jeunes gens que des sujets de désespoir!
Mais en ce même temps les Espagnols sont en guerre avec les Maures. Pendant que le roi examine l'affaire de Rodrigue, les Maures attaquent la frontière, au milieu de la nuit. Rodrigue l'apprend, réunit ses compagnons, ses amis, des inconnus même qu'il trouve sur sa route, marche à l'ennemi, se bat toute la nuit, est vainqueur, et sauve l'Espagne.
Voici comment lui-même, au retour, raconte l'affaire à son roi:
Rodrigue n'est plus le jeune homme obscur de la veille, il est le sauveur du pays; il n'est plus même Rodrigue, il est le Chef, le Cid. Il ne peut donc plus être question de le punir. Le roi l'embrasse, et Chimène, qui n'a jamais cessé de l'estimer, et qui maintenant l'admire, Chimène attendra en silence que sa douleur se soit adoucie, et épousera plus tard le héros qui est si digne d'elle.
Voilà l'histoire du Cid. Elle nous apprend que les fils qui savent défendre leurs pères sont les plus hardis ensuite et les plus heureux à protéger, contre ceux qui la méprisent ou qui l'insultent, la mère commune, qui est la patrie.
Horace est une histoire aussi noble et aussi généreuse, mais plus triste. C'est pour cela qu'il faut la lire et la bien comprendre, pour apprendre que le devoir accompli n'a pas toujours une récompense aussi douce que tout à l'heure, et qu'il faut néanmoins le remplir, parce que la vraie récompense du bien que l'on fait, c'est la conscience qu'on a d'avoir bien agi.
Horace était un Romain des temps anciens, du temps que Rome était en guerre avec la ville d'Albe, sa voisine. Il avait trois fils, et, avant la guerre, il en avait marié un avec une jeune fille d'Albe, nommée Sabine, qui était de la famille des Curiaces. D'un autre côté, un jeune homme de la famille des Curiaces devait épouser une fille d'Horace, nommée Camille. Vous comprenez combien ces deux familles, unies par tant de liens, désiraient la fin de la guerre qui les séparait sans que pourtant elles pussent arriver à se haïr.
Précisément un sujet de joie, ou du moins d'espoir, se présente. Une trêve a été conclue, et l'on a décidé, pour en finir, que trois Romains p. 25combattraient pour tous contre trois Albains, et que la patrie des vaincus se soumettrait à celle des vainqueurs.
Mais voilà que ce sont justement les trois fils d'Horace qui sont choisis, et pour combattre contre qui? contre le Curiace, fiancé de Camille, et ses deux frères. On pleure dans la maison d'Horace. Sabine et Camille sont au désespoir. N'importe; la patrie ordonne, il faut marcher sans plainte où elle veut qu'on aille. Le jeune Horace dit au Curiace qui est son beau-frère:
et Horace, le père, les envoie au combat en les bénissant, avec ces paroles sublimes:
Ils font leur devoir.
Au premier choc, deux Horaces sont tués, les trois Curiaces blessés. On vient apprendre cette nouvelle au vieil Horace, et on ajoute que le seul survivant de ses trois fils a pris la fuite. Il refuse p. 26d'y croire. Un Horace fuir! ce n'est pas possible:
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois? lui demande-t-on.—«Qu'il mourût!» répond d'un ton sublime ce père, déjà privé de deux enfants, mais qui ne songe qu'à l'honneur du pays.
Cependant d'autres nouvelles arrivent. Le jeune Horace n'était pas un lâche. Sa fuite n'était qu'une ruse. Il comptait que les trois Curiaces blessés le poursuivraient, qu'en le poursuivant, étant blessés plus grièvement les uns que les autres, ils se sépareraient, et que lui, revenant sur eux, n'aurait affaire qu'à un seul à la fois, et pourrait les frapper l'un après l'autre.
Rome est victorieuse, Albe est sujette. Le vieil Horace éclate en transports de joie et d'orgueil.
Hélas! il n'est pas au bout de ses peines.
Camille, sa fille, a perdu son fiancé, tué par son frère. Quand celui-ci revient vainqueur, elle pleure devant lui cette victoire funeste, et peu à peu en vient à l'insulter. Le jeune Horace, tout chaud encore de la bataille et du triomphe, s'emporte, perd l'esprit, et frappe mortellement sa sœur.
Voilà le vieil Horace, en un seul jour, privé de trois de ses enfants par suite de la guerre qu'a faite sa patrie. Eh bien, il ne la maudit pas pour cela, il ne s'en plaint pas, il sait qu'on lui doit tout; il l'aime encore.
Son dernier fils passe en jugement pour avoir tué sa sœur; il le défend devant le roi et les Romains.
Savez-vous comme il le défend? Il ne supplie pas le roi de lui conserver ce dernier enfant, ce soutien de sa vieillesse. Il le conjure de le conserver à Rome, qui peut avoir encore besoin de ce bras et de ce sang. Il dit au roi:
Et puis le crime ne disparaît-il pas dans la grandeur du service rendu à la Patrie? La Patrie peut-elle permettre qu'on la prive ainsi de ses défenseurs?
Voilà le vrai patriotisme, celui qui donne sans compter, qui perd sans se plaindre, qui ne veut conserver que pour donner encore. Ce père méritait bien qu'on lui laissât son fils. On le lui rend en effet, et il rentre dans sa maison désolée, triste, mais la tête haute, et le cœur calme; car on est inébranlable aux coups du sort, quand on s'est attaché moins aux êtres les plus chéris, qui peuvent mourir, qu'à la patrie, qui ne meurt pas.
Cinna est l'histoire d'un beau mouvement de courage de l'empereur Auguste. Le courage ne consiste pas toujours à braver l'ennemi, à attaquer, parce que l'honneur le veut, un homme qui tient votre bonheur en sa main, à sacrifier ses enfants aux intérêts de son pays. Il consiste souvent à briser, à vaincre les mauvais sentiments qu'on a dans son cœur. C'est un courage intérieur, en quelque sorte, et obscur, qui n'a rien d'éclatant et de frappant, qui ne fait pas que les gens se retournent et vous applaudissent, mais qui n'en demande peut-être que plus d'effort et de fermeté.
Cet Auguste s'était emparé du pouvoir à Rome, grâce à beaucoup de perfidies et de violences. Il s'était montré affreusement cruel envers ses ennemis et envers ceux qu'il avait vaincus. C'était un homme habitué à la haine, à la rancune et à la vengeance. Des villes entières avaient été noyées dans le sang pour s'être opposées à ses desseins. p. 34Enfin il était devenu le maître, et il gouvernait sans obstacle.
Il était heureux, me direz-vous peut-être.
Non, il s'ennuyait. On n'est heureux que par le bonheur qu'on donne aux autres, et, ne s'étant occupé que du sien, il n'avait acquis que la puissance, et non la satisfaction, ce qui n'est pas du tout la même chose. Il était si dégoûté de sa fausse prospérité qu'il songeait à quitter ce haut rang qui lui avait tant coûté d'efforts, et qu'il le disait en ces termes à Cinna et à Maxime, qu'il croyait ses amis:
Tout à coup Auguste apprend que Cinna, un jeune Romain qu'il aurait pu frapper autrefois, car il était parent de ses ennemis, mais qu'au contraire il avait protégé et comblé de faveurs, forme un complot contre lui. Cet homme ardent, violent, si enclin à la vengeance, ne songe d'abord qu'à châtier l'ingrat. Il en avait le droit; car Cinna, ayant accepté ses bienfaits, était peut-être le seul à Rome à qui il fût interdit, en conscience, de se révolter contre Auguste. Il s'écrie:
Mais, à l'idée de relever encore la hache du bourreau, Auguste se trouble: «Ah! se dit-il, toujours du sang!»
Auguste est bien incertain encore et indécis. Il compte sur l'inspiration du moment, et fait appeler Cinna. Il le menace, lui montre l'horreur de sa conduite, s'échauffe et s'irrite à lui reprocher son crime.
Cinna se trouble, et répond en balbutiant qu'il est incapable d'une telle noirceur. Auguste l'arrête d'un geste méprisant, et lui dit d'un ton froid et dur:
Cinna reste interdit et muet. Auguste triomphe de sa confusion et lui dit rudement:
On croit qu'Auguste va laisser éclater cette fureur sanguinaire devant laquelle Rome entière p. 44a jadis tremblé. Non! D'un vigoureux effort de volonté, il se maîtrise, étouffe la cruauté qui gronde encore en lui, fait appel à son orgueil même pour triompher de son ressentiment et s'écrie:
Puis, se retournant vers Cinna, étonné de cette grandeur d'âme, il lui tend la main:
Et dès lors, savez-vous ce qui arrive? Cette tranquillité d'esprit qui fuyait Auguste au commencement, il l'a retrouvée. Cette satisfaction que la victoire et la puissance ne lui avaient pas donnée, le courage et la générosité la lui ont rendue; et il gardera le pouvoir, maintenant, sans p. 45accablement, sinon sans soucis, parce que, pour la première fois, il y a trouvé la seule chose qui peut faire qu'on y tienne, l'occasion de montrer un grand cœur; parce que, pour la première fois, il peut dire: «Je suis maître de moi comme de l'univers!»
Etre maître de soi, maître de ses mauvais instincts pour les étouffer, maître de ses bons sentiments pour les soutenir et leur faire produire tout leur effet; savoir dire je veux à soi-même: voilà le but qu'on doit poursuivre dès l'enfance pour s'habituer à marcher droit dans la vie, pour avoir la fermeté d'éviter les fautes, ou le courage de les réparer.
Vous voyez comme Corneille nous montre bien, les unes après les autres, toutes les choses qu'il faut aimer. Il faut aimer son honneur, l'honneur de sa famille; il faut aimer son pays; il faut aimer à se vaincre soi-même quand on se sent sur la pente du mal. Il y a une chose encore qu'il faut savoir aimer de tout notre cœur, ce sont nos convictions, nos croyances, ce que, après mûres réflexions et examen attentif, nous croyons juste et vrai. Nous pouvons nous tromper, et alors donner nos soins, nos peines, notre vie même pour la défense d'une erreur. C'est pour cela qu'il faut apprendre à réfléchir, se faire le jugement sain et l'esprit droit par de bonnes et fortes études. Mais quand nous sommes arrivés à l'âge d'homme, quand nous avons bien cultivé notre raison, qu'elle a mûri, il faut nous attacher fermement à nos opinions, ne pas les abandonner par ambition, ni les taire par crainte, ni les modifier par mollesse ou condescendance.
Ce n'est pas tant encore par respect pour ses p. 47croyances qu'il faut agir ainsi, c'est par respect de soi-même. Quand nous fléchissons sur ce que nous croyons bon et juste, ce n'est pas tant nos idées que nous altérons, que notre caractère. Nous nous habituons à être lâche, et l'homme qui trahit ses idées, c'est-à-dire ses devoirs envers lui-même, finira par trahir son devoir envers sa famille, ses concitoyens, sa patrie. C'est ce que Corneille nous apprend dans sa belle tragédie de Polyeucte.
Cette tragédie se passe à l'époque où les chrétiens n'étaient encore qu'une secte très faible et très méprisée, où ils adoraient le Christ en secret, dans l'ombre des souterrains ou dans quelque retraite écartée, et où ils étaient égorgés ou mis sur la croix dès qu'ils professaient ouvertement leur croyance. Il y avait dans ce temps un seigneur d'Arménie, nommé Polyeucte, qui venait d'épouser la fille du gouverneur d'Arménie. Depuis longtemps il avait étudié la religion nouvelle, et enfin, la trouvant juste et noble, il s'était fait baptiser chrétien. Sa femme, Pauline, l'ignorait, ainsi que son beau-père Félix.
Tout à coup Polyeucte apprend qu'un grand sacrifice est offert aux faux dieux par son beau-père et les magistrats de la province, en l'honneur des victoires remportées par l'empereur. Son cœur s'irrite à cette idée. Il lui semble honteux d'adorer le Christ en silence et comme en cachette, p. 48tandis que sa famille adore publiquement les faux dieux. Toute la ville peut croire, et croit en effet, qu'il les adore aussi. En pareil cas, le silence est un mensonge.
Emporté par ce sentiment, il rencontre un chrétien de ses amis, à qui il doit le baptême, et cette conversation s'engage entre eux:
Les deux amis se rendent en effet au temple, font un grand scandale parmi les païens, troublent la cérémonie, brisent les idoles. Voici comment un païen, spectateur de cette scène, raconte ce qu'ils ont fait:
On arrête Polyeucte, on le mène en prison; on traîne au supplice son ami.
Lui pourrait se sauver encore; car il est le gendre du gouverneur. On cacherait cet éclat à l'empereur. On ne lui demande que de se taire et de se tenir tranquille. Cette hypocrisie le révolte. Il préfère mourir. Il s'enivre à l'idée du sacrifice et des récompenses divines qui l'attendent. Saisi par l'enthousiasme religieux, il s'écrie:
Son beau-père, sa femme, que Polyeucte aime de toute son âme, le supplient de feindre seulement quelque temps. Sa femme lui dit:
Polyeucte lui répond:
Pauline s'est contenue jusque-là. Elle a allégué la raison, et l'intérêt de Polyeucte. Mais enfin, devant son obstination, elle s'irrite. Elle-même ne compte donc pas aux yeux de Polyeucte! Il ne la regrette donc point! Il n'a donc pour elle aucun attachement, qu'il la quitte si facilement, si froidement!
Elle s'écrie:
Polyeucte pleure en effet; car il aime Pauline, mais il aime son Dieu plus encore: «Oui, je verse des larmes, dit-il.
Polyeucte reste inflexible. Il est ému pourtant, il pleure; mais mentir, trahir ses amis, renier son compagnon qui est mort pour lui, surtout se trahir soi-même, il ne peut. Il mourra. Il le déclare à Félix et à Pauline.
C'en est trop: on le mène au supplice, et, tout à coup, émue par tant de courage et de constance, sa femme elle-même se fait chrétienne. Brusquement, elle demande à son père le supplice:
Devant tant de grandeur, le père lui-même se sent touché, et embrasse la religion qui inspire de tels dévouements et un tel esprit de sacrifice:
Corneille a voulu nous montrer par là combien sont puissants sur des cœurs, bons du reste et pitoyables, l'exemple du courage et la vertu du sacrifice.
Il nous a montré surtout, dans tout le cours de la pièce, ce que c'est qu'être attaché à sa foi, ce que c'est qu'avoir l'horreur des hypocrisies, des lâchetés, des défaillances de conscience. Nous n'aurons pas sans doute l'occasion de proclamer nos convictions au risque de notre vie, ni avec de grands éclats, comme Polyeucte. Mais nous aurons mille occasions de pratiquer le respect de nous-mêmes; nous aurons à triompher de cette fausse honte, ridicule et basse, qui nous porte à dissimuler une bonne pensée quand nous la voyons dédaignée ou raillée autour de nous. C'est alors qu'il faut nous rappeler Polyeucte, et, en bravant les p. 70petits martyres de la vie commune, qui sont les moqueries des méchants et les mépris des sots, montrer un peu de son courage et de son élévation de caractère.
Il faudrait que tous les Français lussent Nicomède et en apprissent par cœur les plus beaux passages. C'est celle des tragédies de Corneille qui est la plus capable d'élever notre âme, et de nous enseigner une chose difficile à bien savoir, l'attitude qui convient à des vaincus.
Partout ailleurs Corneille nous montre l'amour de la patrie. Mais aimer son pays puissant et glorieux n'est pas une chose difficile; un peu de fierté y suffit; c'est aimer son pays abaissé et vaincu qui est la vraie marque d'un bon cœur et d'un pur patriotisme.
C'est ce sentiment-là, si rare et si précieux, que la tragédie de Nicomède fait éclater à nos regards.
Figurez-vous que les Romains, ce peuple si puissant dont vous venez de voir que Corneille aime à nous rapporter les grandes actions, étaient maîtres de presque tout le bassin de la mer Méditerranée et d'une partie de l'Asie-Mineure. Or, en Asie-Mineure précisément, il y avait encore quelques rois indépendants, mais si effrayés de la p. 72puissance romaine qu'ils en étaient «comme stupides», pour me servir de l'expression énergique d'un écrivain du XVIIIe siècle, Montesquieu. C'étaient «des rois en peinture», comme dit Corneille lui-même.
L'un d'eux, Prusias, roi de Bithynie, se trouvait dans l'état que voici: sa femme, Arsinoé, était dévouée aux Romains et leur instrument en Bithynie; son fils, Attale, avait été élevé à Rome, comme otage, pour devenir plus tard une espèce de lieutenant des Romains en Bithynie sous le nom de roi; Prusias lui-même avait été forcé de livrer aux Romains leur vieil ennemi Annibal, qui s'était réfugié auprès de lui.
Voilà sans doute de mauvais modèles à nous proposer. Mais heureusement Prusias, d'un précédent mariage, a un autre fils, le vaillant Nicomède, qui est tout le contraire de son père et de sa belle-mère Arsinoé. Il y a aussi à la cour de Prusias sa pupille, Laodice, reine d'Arménie, qui a le caractère aussi haut et aussi généreux que Nicomède.
Ces deux jeunes gens sont les ennemis des Romains et savent parler d'une façon hautaine à leur ambassadeur Flaminius. Arsinoé, de concert avec Flaminius, cherche à faire tomber Nicomède dans un piège. Elle forme un complot contre lui, l'accuse de trahison auprès de Prusias, qui l'écoute trop; et Nicomède, malgré toutes les victoires qu'il a p. 73remportées, accusé par Arsinoé, chargé par Flaminius, vu avec défiance par son père, est comme traqué de toutes parts.
C'est plaisir de voir comme il tient tête de tous les côtés. A Arsinoé, sa belle-mère, il répond avec une fierté magnifique. Lui, traître et fourbe! Allons donc!
Quand, feignant pour Nicomède une amitié calculée, Arsinoé demande sa grâce à Prusias: «Grâce?» dit Nicomède...
A Flaminius, l'ambassadeur romain, Nicomède montre un visage intrépide, au moment même où son père l'abandonne et le livre à ces Romains si puissants et si terribles: «De quoi se mêle Rome?» s'écrie-t-il, «où prend-elle le droit d'imposer ses volontés au roi de Bithynie?»—«Ce sont là les leçons d'Annibal», réplique Flaminius; Nicomède répond froidement:
Flaminius le prend de haut à son tour. Rome est puissante, et pourrait bien ne pas permettre au jeune prince de lâcher ainsi la bride à ses projets aventureux—Nicomède ne répond qu'avec plus de fermeté:
Attale, qui vient d'arriver de Rome, ne connaît pas son frère Nicomède; il le rencontre avec Laodice, et l'entendant parler sans ménagement des Romains, lui dit: «Prenez garde! Rome peut tirer vengeance de vos propos sur elle.»
Prusias enfin, excellent homme, mais très faible, cherche à ramener son fils à des sentiments de douceur et de résignation. Sans perdre un instant le respect qu'il lui doit, Nicomède lui fait sentir la grandeur du rôle qu'il oublie, et les hauts devoirs que le titre de roi lui impose.
Cependant Arsinoé vient à bout de ses mauvais desseins. Nicomède est arrêté, enchaîné. Flaminius va le jeter sur un vaisseau qui est tout prêt, et l'emmener à Rome.
Mais le peuple, qui adore Nicomède, qui ne veut pas d'Attale pour «roi en peinture» et des Romains pour maîtres, le peuple se révolte, cerne le palais. Prusias, Arsinoé sont pâles de terreur. Laodice, qui est, elle aussi, aimée du peuple à cause de sa haine pour Rome, les prend généreusement sous sa protection. Mais Nicomède, qu'est-il devenu? Il a été sauvé. Au moment où on l'entraînait vers le vaisseau de Flaminius, un inconnu, suivi de quelques amis, s'est élancé, a poignardé le chef des gardes qui l'emmenaient, a mis en fuite les autres, a calmé la sédition en montrant au peuple Nicomède sauvé. Quel est cet inconnu?
C'est Attale, le faible et insignifiant Attale, à qui nous n'avons guère pris garde jusqu'à présent, qui a même été traité de très haut par Nicomède, mais qui, à écouter les mâles paroles de son grand frère, a senti peu à peu le noble désir de rivaliser de vaillance avec lui et même de le vaincre en générosité. Il se découvre comme sauveur de Nicomède, et celui-ci le remercie avec la chaleur généreuse qui lui est habituelle:
Et remarquez ce que peut la fermeté de cœur, et l'autorité que donne à un vaincu, presque à un captif, la dignité, la noblesse d'une courageuse attitude. Ce Nicomède est à la fin de la pièce comme le chef et le maître. Attale s'est fait son élève et son partisan. Arsinoé s'humilie devant lui; Prusias proclame «qu'avoir un fils si grand est sa plus grande gloire»; Flaminius lui-même lui parle avec respect. C'est qu'il n'y a rien qui impose comme le courage, comme p. 84l'âme énergique et obstinée qui espère contre toute espérance, et pour tout dire d'un mot, comme la volonté. C'est un homme du temps de Corneille, et qui l'admirait fort, qui a dit: «Rien n'est impossible: il y a des voies qui conduisent à toutes choses; et si nous avions assez de volonté, nous aurions toujours assez de moyens»[36].
La noblesse de cœur chez les hommes est chose admirable; elle est plus touchante encore et plus vénérable chez les femmes. Vous l'avez déjà vu par cette fière et courageuse Chimène. Cela éclate encore mieux par la simple histoire de Cornélie, qui est contenue dans la tragédie de Pompée. Cette tragédie devrait avoir pour titre «La Veuve de Pompée». Remarquez un instant comment Corneille a compris, d'ordinaire, la grandeur de la femme. Les hommes sont grands par leur dévouement à une grande idée ou à un grand sentiment. Tels Rodrigue, Horace, Auguste, Polyeucte, Nicomède. Les femmes sont grandes par le dévouement à la famille, par leur culte religieux de la maison où elles sont nées, ou de celle où elles sont entrées. La grandeur de Chimène est dans le dévouement à la mémoire de son père. La grandeur de Cornélie, veuve de Pompée, est dans son culte pour le souvenir de son époux.
Corneille, au moins dans ces deux pièces, et dans le rôle de Pauline aussi, a bien compris que p. 86les pensées de la fille ou de la femme doivent toujours se ramener au foyer, dont la femme est la gardienne, l'ornement et l'honneur, que hors de là, et s'attachant à un autre objet, la grandeur chez elles aurait quelque chose de forcé et peut-être de faux. Ce rôle de Cornélie est donc une chose très belle et très imposante. Et voyez comme les convenances y sont bien observées. Il ne convient pas qu'une femme ait un rôle bruyant et éclatant; il ne convient pas, pour dire la chose comme elle est, qu'elle parle beaucoup.
A ce compte, il ne faudrait pas de rôle de femmes dans les comédies. Faites attention pourtant. Une jeune fille dans sa famille, une femme à côté de son mari doit parler peu. Mais qu'une jeune fille dont le père est mort agisse et parle pour défendre et venger sa mémoire; cela est bien, et c'est le rôle de Chimène. Qu'une jeune femme dont le mari a commis une noble imprudence agisse et parle pour le sauver, et quand il est mort, pour l'honorer en l'imitant; cela est beau, et c'est le rôle de Pauline. Qu'une veuve agisse et parle pour défendre, faire respecter et faire craindre la mémoire de son mari; cela est touchant, et c'est le rôle de Cornélie. L'âme du Comte est passée dans celle de Chimène, celle de Polyeucte dans celle de Pauline, et celle de Pompée dans celle de Cornélie; et ce sont ces p. 87grandes ombres qui parlent par la bouche de ces nobles femmes. La noblesse de la femme est de s'appuyer sur le chef de famille, ou sur sa mémoire, et de porter dignement son nom, ou son souvenir.
Ce Pompée était un grand général romain, du temps des guerres civiles qui ont désolé la république romaine. Il avait été vaincu par son rival César, et avait cherché un asile en Egypte. Le roi de ce pays, qui était un scélérat, l'avait fait mettre à mort, pour flatter le ressentiment de César. Mais César avait des sentiments élevés. Quand il arrive, Ptolomée, le roi d'Egypte, se prosterne à ses pieds et lui apprend que, par ses soins, Pompée n'existe plus. César s'irrite et, avec le plus accablant mépris, montre au roi toute sa lâcheté.
Ptolomée s'excuse sur son dévouement à César. Mais ce n'est pas là le genre de dévouement que César exige de ses vrais amis. Il reprend avec plus d'éloquence encore:
Voilà un généreux, n'est-ce pas? Je le crois p. 91comme vous. Cependant remarquez que César est à l'aise pour étaler ces beaux sentiments maintenant qu'il n'a plus rien à redouter de son rival. Il y a une générosité plus certaine et plus éclatante, c'est celle qui, ayant tout à craindre et n'ayant rien à gagner, se montre cependant et jaillit du cœur. C'est celle-là que Cornélie va nous montrer. Elle rencontre César, et, loin de trembler devant lui, elle le brave en un magnifique langage.
César répond avec beaucoup de grandeur d'âme et de noblesse à ces nobles et fières paroles. On sent bien que cet homme parle déjà en maître du monde, en chef illustre de ces Romains auxquels Corneille aime toujours à prêter un cœur héroïque et un langage digne de leur cœur.
Mais voici la vraie et sublime grandeur d'âme. Un danger grave menace César, qui l'en avertit? Cornélie! Cornélie qui est bien l'ennemie de César, mais qui veut le combattre, le front haut, face à face, loyalement, non en profitant de ruses et de pièges ténébreux. Elle court à César brusquement, elle lui crie:
Cependant Philippe, un vieux serviteur fidèle de Pompée, a retrouvé son corps. Il lui a rendu les honneurs funèbres, comme on faisait alors, p. 98c'est-à-dire en le brûlant sur un bûcher et en enfermant les cendres dans une urne. Il apporte cette urne à Cornélie. La douleur de la veuve éclate en accents merveilleux de regret, de ressentiment, d'amertume:
Philippe raconte comment il a trouvé le corps de Pompée, son récit est très touchant et très beau. Ce Pompée n'est plus, et cependant c'est son souvenir illustre qui remplit toute la pièce; et voilà bien pourquoi la pièce porte son nom.
Cornélie ne croit pas, ou croit peu à la sincérité des regrets de César. Elle garde l'urne de Pompée, et, songeant que César l'a touchée avant elle, elle s'écrie:
Enfin César a triomphé du danger qu'il a couru. Le roi d'Egypte a été tué dans une rencontre, pris au piège même qu'il a tendu. César règne sans rivalité en Egypte comme à Rome. Il est tout-puissant. Cornélie ne désarme pas devant le succès. Elle a pu prémunir César contre un lâche complot; mais elle se réserve de le combattre ouvertement sur les champs de bataille. Les restes du parti de Pompée tiennent encore en Afrique. Elle ira les rejoindre. Elle continuera la guerre. Elle le dit en face à César, qui est digne, du reste, d'entendre un tel langage:
Ceci n'est pas le compte de Cornélie. Ce n'est pas à Rome qu'elle veut porter les cendres de Pompée, c'est au milieu des légions restées fidèles au souvenir du grand général, pour continuer la guerre et balancer encore les destins.
Et les deux grands adversaires se séparent, après avoir donné tous deux aux peuples lâches et perfides de l'Orient un exemple et une leçon de haute générosité et de noblesse de cœur; et l'on voit Cornélie s'éloigner à pas lents, l'urne de Pompée dans ses bras, «étonnant encore son ennemi victorieux de ses tristes et intrépides regards».
Vous avez lu des contes de fées, peut-être quelques histoires des Mille et une nuits. Ce sont des merveilles inventées pour amuser les petits enfants. Il y a toujours dans ces imaginations un peu monotones de beaux princes qui sont changés en vilaines bêtes, ou de pauvres gens qui se trouvent brusquement être les plus grands rois du monde, par le secours d'une fée bienfaisante. Cela fait des changements imprévus, de brusques métamorphoses, où l'on se récrie d'étonnement, et, parce que cela surprend, cela amuse. N'est-il pas vrai que cela n'amuse qu'un temps, et que ce temps n'est pas très long? On en est assez vite fatigué. Savez-vous pourquoi? parce qu'il n'y a rien dans ces récits qui fasse battre le cœur, rien qui nous donne ce plaisir particulier qu'on trouve à aimer les braves gens. On dit: «Oh! Peau-d'âne qui est princesse! Le Marchand de dattes qui est un sultan!» Mais on ne dit guère: «Quel bon cœur que la princesse! quel homme courageux que le marchand de dattes!»
Eh bien, pourquoi ne ferait-on pas des contes de fées où le sentiment de l'admiration pour les beaux caractères serait éveillé en même temps que cette agréable surprise qu'excitent les rapides changements de fortune? Ce que je demande là, on dirait que le bon Corneille y a songé. Il a écrit un beau conte de fées pour les petits et les grands enfants; mais un conte de fées où les personnages sont touchants et dignes d'admiration et de respect, où le changement de fortune, qui fait d'un soldat un roi, est mérité, et n'est que le digne prix d'une vie de dévouement et d'héroïsme. Il y a encore là une baguette de fée, ou quelque chose d'approchant, pour achever l'œuvre. Mais cette œuvre, c'est le courage personnel qui l'avait commencée, et la première baguette magique de Don Carlos, c'est son épée.
Ce Don Carlos était ce qu'on appelle un soldat de fortune. Fils d'un pêcheur, ou se croyant tel, il était monté de grade en grade, il était devenu général, avait défendu l'Aragon, la Castille, contre les Maures, qui étaient les grands ennemis des Espagnols au moyen âge, et, sans titre, et sans nom, était devenu, par les services rendus, le premier personnage des deux royaumes. La reine de Castille, Dona Isabelle, sans se l'avouer à elle-même, sentait bien qu'elle ne pouvait plus sagement faire que de le prendre pour époux. Mais une reine de Castille p. 109n'épouse pas un fils de pêcheur, même dans les contes de fées. Elle se résignait donc à épouser le comte Lope, ou Don Manrique, ou le marquis Alvar, tout en regrettant de ne pouvoir choisir selon ses sympathies. C'est justement de cette affaire du mariage de la reine qu'on délibère, lorsqu'un incident se produit. Don Carlos, qui est présent, au moment où la reine et les grands d'Espagne s'asseyent, voit un siège vide; il va le prendre. On l'arrête. Pour s'asseoir devant la reine il faut être comte ou marquis.—«Etes-vous noble, Carlos?»—Carlos répond fièrement:
«Donc, répliquent les seigneurs, restez debout.»
Et voilà le coup de baguette. Carlos est marquis, et comte, et gouverneur, et peut s'asseoir. Ce n'est pas tout. La reine, qui n'a de sympathie pour aucun des trois seigneurs qui aspirent à sa main, charge Carlos de choisir pour elle.
Marquis, prenez ma bague, dit-elle à Carlos, et donnez-la au plus digne. Carlos a été maltraité et insulté par les seigneurs. Il saisit avec empressement cette occasion—De les humilier?—Point du tout. De se battre avec eux. A peine la reine sortie, les seigneurs l'entourent, p. 112et voici le rapide entretien qui s'échange entre eux:
Quand la reine apprend ce coup de la tête chaude de Carlos, elle craint pour lui, et le supplie de retarder de quelques jours le combat qu'il a cherché. Pendant ce délai, elle trouvera un arrangement. C'est là un sacrifice que Carlos a beaucoup de peine à s'imposer. Il réfléchit, resté seul, sur son singulier destin, et il regrette son obscurité première, où de pareilles difficultés d'honneur et de conscience lui étaient au moins épargnées.
Ainsi Corneille place Don Carlos tour à tour dans toutes les situations où il montrera un nouveau côté de son âme, et une nouvelle forme de sa générosité. Nous l'avons vu tout à l'heure fier de son titre de soldat, puis hautain et superbe à venger l'injure qu'on lui fait; nous le voyons maintenant se plaindre du pénible état d'esprit où le jette sa double destinée d'homme obscur par le sang et p. 115important par sa gloire. Va-t-il en arriver à maudire sa naissance, comme il semble qu'il en prend le chemin?—Oh! non pas! Un bruit se répand par le royaume que Don Carlos n'est pas Don Carlos, fils de pêcheur anobli par la reine; il est Sanche d'Aragon, fils de roi, que les nécessités de la politique ont forcé de cacher, dès sa naissance, chez un pêcheur. Les grands seigneurs commencent à le féliciter. Il répond avec une hauteur triste:
La reine souhaiterait fort que Don Carlos fût le prince Sanche. Elle pourrait l'épouser. Elle se flatte, et le flatte aussi de cet espoir qui commence à poindre. Carlos repousse les suggestions de l'orgueil qui se font sentir en son cœur. A la fois mélancolique, et fier, et modeste, avouant qu'il serait heureux que le bruit qui court fût vrai, il se reproche de se laisser trop complaisamment aller à y croire; voyez comme il est beau et touchant, quand il dit à la reine d'Aragon:
Cependant le bruit s'accrédite. Personne ne doute plus que Carlos ne soit un prince déguisé longtemps, même à ses propres yeux. Tout à coup... Encore un coup de baguette: le vieux pêcheur, père de Carlos, arrive à la cour. Tout s'écroule. Une confidente de la reine de Castille lui raconte ainsi cet événement:
Comment Carlos a-t-il reçu ce coup de foudre? Avec la sérénité d'un cœur noble, et la hauteur aussi d'un homme qui sait que la vraie noblesse s'acquiert, mieux encore qu'elle ne se transmet. Il ne rougit que d'avoir un instant laissé séduire son cœur aux flatteurs appas de l'ambition. Il fait en quelques traits l'histoire de sa vie; il montre que, s'il n'est pas fils de roi, personne mieux que lui ne mériterait de l'être.
La reine porte sur Carlos et son caractère le vrai jugement qu'on en doit faire, en lui disant avec une bonté douce et une gravité pleine de respect:
Mais Carlos est-il donc réellement un fils de pêcheur? Ce bruit qui avait couru de sa grande naissance était donc faux? Vous connaissez assez les contes de fées, mes enfants, pour prévoir que tout finira bien par s'arranger au mieux du bonheur de tous. On retrouve, au dernier moment, un billet du feu roi d'Aragon qui explique que Carlos est bien Sanche, prince d'Aragon, confié tout enfant à la femme d'un pêcheur pour le dérober aux ennemis, et que le pêcheur même l'a toujours pris pour son fils. Carlos est roi d'Aragon et peut épouser la reine de Castille. C'est le dernier coup de baguette, et tout le monde se retire content. Nous surtout, qui, sous l'apparence et la forme d'une aventure romanesque, avons eu le plaisir de voir se révéler peu à peu sous nos yeux une grande et belle âme, tendre, fière, honnête, p. 124bonne et généreuse, et qui ne sommes point fâchés, même par le moyen d'événements un peu invraisemblables, que ceux qui méritent le bonheur finissent par l'obtenir, et que ceux qui sont princes par le cœur le deviennent aussi par le sceptre.
Avez-vous remarqué que beaucoup des histoires de Corneille finissent bien? Il aime assez que l'homme généreux, après mille traverses, ait une récompense dans le bonheur et la tranquillité.
Rodrigue finira par épouser Chimène, Auguste et Cinna seront réconciliés et heureux. Les Horaces ont eu bien des malheurs; mais le dernier qu'on craint pour eux leur est épargné. Polyeucte a la récompense céleste qui a été sa seule ambition. Don Sanche, Nicomède sont triomphants à la fin de la pièce.
C'est le goût naturel de Corneille, qui aime profondément les hommes de bien qu'il met en scène et qui désire leur bonheur même ici-bas. Il aurait été mauvais cependant que son théâtre tout entier fût entendu ainsi. Il faut consoler les honnêtes gens; mais il ne faut pas leur donner d'illusion, et c'est une illusion que de croire qu'en ce monde le bonheur est toujours réservé, en fin de compte, à la vertu. Cela n'est vrai que p. 126quelquefois, et l'homme de cœur n'y doit pas compter.
Sur quoi faut-il donc qu'il compte? Sur sa conscience, sur l'approbation de son propre cœur, sur ces bonnes paroles qui ne font pas de bruit, mais que nous entendons bien distinctement pourtant s'élever du fond de nous-mêmes, quand nous avons fait quelque chose de bien.
Il peut compter aussi sur quelque chose qui est moins important, mais flatteur encore, et touchant, sur l'admiration des gens de bien. L'homme sent une grande douceur à être aimé de ceux qui sont bons. Il est permis de faire le bien dans l'espoir et dans le désir que les braves gens auront un bon souvenir de nous.
Eh bien, Corneille nous montre quelquefois des généreux qui sont malheureux, qui succombent à leur noble tâche, qui meurent lâchement frappés par les méchants. Il nous fait voir cela, parce que cela est vrai, et qu'il ne faut point cacher la vérité aux hommes. Mais quand il lui arrive de nous présenter ces tristes spectacles, il ne manque jamais de nous montrer ces grands hommes de bien qui sont malheureux, tellement admirés, aimés, regrettés et pleurés des personnes les plus remplies d'honneur, qu'en vérité nous ne les trouvons plus à plaindre, mais à envier plutôt, et bien consolés au moins dans leur infortune.
Il y met comme une délicatesse charmante qui p. 127consiste à ne faire aimer les hommes de cœur que par des personnes bonnes et courageuses elles-mêmes. L'affection est toujours, dans ses écrits, mêlée d'admiration. Elle n'est presque pas autre chose que l'admiration pour la vertu.
C'est une idée bien consolante; c'est aussi une idée vraie. Les méchants croient aimer quelquefois, et souvent font croire qu'ils aiment. Ils trompent, ou ils se trompent. Ne croyez ni chez vous, ni chez les autres, à l'affection qui n'est point fondée sur l'estime. La vraie sympathie est toujours une admiration et une estime de ce qu'on aime. Nos semblants d'affection pour les gens indignes ne sont qu'illusion de notre faiblesse; les sympathies apparentes des gens indignes pour nous ne sont que piège, ou, quelquefois, effort illusoire de leurs repentirs.
Corneille a aimé la vérité. Il a peint des hommes de cœur malheureux, parce que cela arrive. Il les a montrés aimés, et aimés par les gens de bien qui les admirent, parce que c'est là le seul genre d'affection véritable, et qu'à tout prendre, il n'y a ici-bas que la vertu qui soit vraiment et profondément chérie.
C'est l'histoire de Sertorius, général romain.
Ce Sertorius était un partisan de la République, à l'époque où la République romaine n'existait plus que de nom. Deux hommes, Sylla et Pompée, p. 128Sylla chef suprême de Rome, Pompée alors son lieutenant, tenaient les Romains asservis sous leur puissance. Sertorius, ne pouvant pas défendre l'indépendance de ses concitoyens à Rome, s'était retiré en Espagne avec ses partisans, et luttait contre Sylla et Pompée. Il disait, pour bien marquer lui-même cette défense du pays sur une terre étrangère:
La reine d'Espagne, Viriate, aimait Sertorius, et eût désiré l'épouser.
De quelle affection l'aimait-elle? De celle que je vous disais plus haut, d'une sympathie profonde fondée sur l'admiration de ses vertus. Voici comment elle-même dépeignait à Thamire, sa dame d'honneur, ce qu'elle sentait pour le grand Romain:
C'est de ce ton qu'elle parle à sa confidente des desseins de son cœur.
C'est du même ton qu'elle en parle à Sertorius lui-même. Car les honnêtes gens qui ont un sentiment noble, dédaignent les misérables finesses, et n'ont rien à cacher de leur âme. Ils la montrent sans déguisement et sans scrupule. C'est leur p. 130gloire et c'est leur bonheur qu'ils n'ont point à dissimuler, parce qu'ils n'ont point à rougir.
Qui voulez-vous que j'épouse en Espagne? dit-elle à Sertorius...
Voilà comme Sertorius est aimé: par une reine, en homme qui est digne d'être roi.
Il montre en effet qu'il est digne de ces grandes affections où la confiance, l'estime, l'admiration et la gratitude se mêlent également, par la manière courageuse et magnanime dont il résiste aux séductions de son ennemi, Pompée.
Pompée commande, en Espagne, l'année opposée à Sertorius. Une trêve a été conclue entre les deux camps, et Pompée, dans une entrevue, apporte à Sertorius des propositions d'accommodement. Pompée, à l'époque où se passe la tragédie, est un jeune homme, général distingué, parleur habile et artificieux. Il cherche d'abord à séduire Sertorius en le flattant, en admirant ses grandes vertus guerrières et ses éclatants succès:
Sertorius répond de très haut, sans habiletés d'avocat et sans précautions d'homme d'affaires. C'est bien l'homme tout à son sentiment, qu'il connaît juste et grand, et tout au dessein qu'il a entrepris.
Pompée, réservé, prudent, à la fois désireux d'adoucir Sertorius, et tout plein de la pensée de son rôle futur dans l'Etat, répond plutôt en parlant de l'avenir que du présent. Ce qu'il veut, dit-il, c'est ménager le pouvoir, pour se le réserver à lui-même plus tard, et, alors, n'en user que pour le bien du peuple et le rétablissement de la liberté romaine:
Voilà un singulier moyen de servir la liberté, répond Sertorius. Vous voulez affranchir votre pays d'un pouvoir despotique...
Pompée est un peu étonné de cette franche et directe attaque, et, en avocat habile, il a recours à un détour ingénieux. On l'accuse d'être tyran après l'avoir accusé d'être esclave, ou plutôt on l'accuse d'être tyran en sous-ordre, et de commander à titre de serviteur. Mais Sertorius lui-même ne commande-t-il point? N'est-il point un despote à sa manière? n'exerce-t-il pas en Espagne un pouvoir absolu, comme Sylla fait à Rome?
Sertorius se révolte. Lui, tyran! Lui, despote! Lui, un autre Sylla! le Sylla de l'Espagne! Quelle est cette plaisante insinuation, ou cette outrageante comparaison? Pompée attend, dit-il, le moment où lui aussi sera maître pour décider sur le cas de Sertorius.—Mais, réplique Sertorius,
Oh! l'homme aimable que Pompée, et bien fait pour manœuvrer avec une souplesse enveloppante dans les réunions d'hommes politiques! «Vous ne commandez que par l'amour que vous inspirez», répond-il à Sertorius. Mais, ajoute-t-il avec un sourire moitié flatteur, moitié railleur,
L'effet des compliments insinuants et adroits sur les caractères énergiques et les cœurs fiers est de les enfoncer plus avant dans leurs p. 138résistances, et de leur faire embrasser leur dessein d'une plus forte attache.
On met en suspicion les vertus républicaines de Sertorius, et en doute la légitimité de son pouvoir, et, en même temps, on le flatte tout haut, par compensation de l'insulter tout bas; et encore on prononce par deux fois devant lui ce nom de Rome qui est toute son âme, pour insinuer qu'il a rompu les liens qui l'unissaient à elle. Il s'emporte tout franc alors, et éclate. Qu'est-ce donc qu'on appelle Rome?
Rome est ici, en Espagne, avec le Sénat proscrit, les patriotes chassés, les légions fidèles à la loi, avec Sertorius enfin.
Ce qui serait digne de Pompée, ce n'est pas de servir sous Sylla, ce n'est pas de chercher à p. 139séduire Sertorius, ce serait de s'unir aux patriotes, aux républicains, aux vrais Romains, pour briser un joug odieux, déshonorant pour Rome, inutile et funeste au monde.
Pompée, en venant pressentir Sertorius, avait une pensée de derrière la tête, un dernier argument en réserve, comme un général a une dernière troupe en arrière-garde qu'il ne fait donner qu'au moment suprême pour assurer la victoire.
Cette raison décisive est une proposition de Sylla, qui a autorisé Pompée à dire à Sertorius qu'il consentait à se démettre du pouvoir, si Sertorius consentait à mettre bas les armes.
C'est ce que Pompée se décide enfin à dévoiler à Sertorius:
Mais Sertorius aussi est général, et connaît les ruses de guerre. Il flaire un piège, et répond froidement: Sylla doit me tromper, puisqu'il vous a bien séduit vous-même:
Pompée est battu. Il n'a plus de corps de réserve à faire donner, et même il est forcé dans ses derniers retranchements. On lui a montré qu'il est un peu la dupe de Sylla, et tout à fait son prisonnier. Ainsi finit cette entrevue entre le lion et le renard.
Je vous ai cité toute cette scène, mes chers amis, d'abord parce qu'elle est très belle, bien entendu, ensuite parce que vous entendrez dire quelquefois que Corneille est souvent une espèce d'avocat dans p. 141ses tragédies, qu'il y fait de grands discours, et même des discours qui sentent le tribunal et la chicane, qu'il plaide enfin.
C'est très vrai, cela. Corneille aime à plaider envers, et plaide bien. Mais il ne faut peut-être pas lui en faire un très grand reproche, parce que, quand il met en présence deux de ses personnages comme deux avocats, ce n'est pas au meilleur avocat qu'il fait gagner le procès, c'est à la meilleure cause.
Dans la scène de tout à l'heure, le talent d'avocat, l'habileté, l'adresse, l'amabilité insinuante, et les ressources des mouvements tournants, c'est Pompée qui a tout cela. Sertorius va droit devant lui, dans sa pleine franchise, et le mouvement rude et fort de sa passion pour le bien. Et qui est battu? c'est Pompée. Qui s'en va intact, et victorieux, et assez dédaigneux? c'est Sertorius.
Il n'est pas défendu d'être habile. Mais Corneille sait très bien que la plus grande habileté humaine, c'est encore de penser toujours la même chose, une fois qu'on se sent dans le vrai, et que, contre cette obstination tranquille dans une idée juste, tout vient se briser, sans même qu'on mette grand effort dans la résistance. Remportez souvent de ces victoires-là.
Hélas! c'est la dernière que Sertorius aura remportée.
La vertu donne la bonne réputation toujours, la gloire quelquefois, l'influence sur les hommes souvent, la fierté d'une bonne conscience et la paix du cœur infailliblement. Elle ne donne pas toujours le succès définitif. Il n'importe; et Corneille, comme je vous le disais au commencement, a voulu justement prouver qu'il n'importe pas. Sertorius meurt au moment du triomphe de ses idées, ou, du moins, au moment où ce qu'il déteste le plus au monde, la tyrannie, va disparaître.
La proposition de Sylla n'était pas un piège. Sylla, réellement, voulait abdiquer, et, de fait, on apprend qu'il abdique. Mais, en même temps, on apprend que Sertorius a été tué. Perpenna, un de ses lieutenants, jaloux de lui, le trahissait. Il l'a fait périr. Il vient s'en faire honneur devant Viriate, en l'assurant qu'il a commis cette lâcheté par amour pour elle:
Viriate éclate en imprécations ironiques contre le misérable. Jamais Sertorius n'a paru si grand que dans cette noble et fière louange de ses vertus faite par celle qui l'aimait, et dans la confusion où son ennemi reste comme accablé:
Du reste, l'assassin sera puni comme il mérite de l'être. Pompée est un habile et un diplomate; mais il n'est pas un misérable. Il a grand cœur et sait estimer ses ennemis. Il fait jeter Perpenna au peuple ameuté, qui déchire le meurtrier du grand Sertorius.
En donnant cet ordre terrible mais juste, il dit, du grand ton dont il doit parler plus tard quand il sera maître du monde:
Puis, se retournant vers Viriate, désolée, mais toujours fière:
Viriate a une admirable réponse. Elle aimait Sertorius, et était l'ennemie des Romains à cause de lui. Magnifique hommage à la mémoire pure et grande de Sertorius. Sertorius mort, elle met bas les armes, renonce à la guerre, au mariage, à tout rôle politique.
Elle vieillira, grave et triste, enveloppée dans son deuil, et n'ayant plus d'autre entretien que le souvenir du grand patriote, du grand proscrit, du grand vaincu. Elle se considère comme la veuve de Sertorius, et la gardienne de sa tombe. Nous avons vu précédemment (chap. IX) Cornélie survivant à Pompée pour faire respecter sa mémoire et ne vivre que de son souvenir; Viriate est la Cornélie de Sertorius:
On est digne, quelquefois, de comprendre les sentiments qu'on est capable d'inspirer. Pompée, qui plus tard laissera à une Cornélie le souvenir ineffaçable de lui-même, comprend tout ce qu'il y a de noble dans le renoncement triste et désolé de Viriate. Il s'incline devant cette noble infortune et cette grande douleur, et répond:
«Honorer la vertu.» Ce n'est peut-être pas le Pompée de l'histoire qui parle ainsi; mais c'est Corneille. Quand Corneille ne couronne pas ses héros vertueux de gloire et de prospérité, il les couronne d'honneur et de respect après leur mort. p. 148Comme autour de Polyeucte, martyr de sa foi, il amenait Pauline enthousiaste et prête au sacrifice, Félix converti et repentant, Sévère respectueux et attendri: de même sur la tombe de Sertorius, martyr de son patriotisme, il réunit les deux ennemis, Viriate et Pompée, l'une vouée à un deuil éternel, l'autre respectueusement ému, dans une même pensée de regret, d'admiration, de vénération, et d'esprit de paix.
Vous voyez ce que c'est qu'une tragédie, et comme Corneille sait en faire une belle leçon à nous enseigner la patience, la sincérité, la clémence, l'honneur, le patriotisme. Il était si plein de ces grandes idées et de ces beaux sentiments que, même dans ses comédies, il a quelquefois touché, avec autant de puissance que dans ses autres ouvrages, ces nobles pensées. Je vous ai dit que les comédies étaient des pièces de théâtre pour faire rire innocemment les honnêtes gens. Corneille sait faire rire en effet; mais il déteste tant tout ce qui est bas, que, quand il rencontre, en écrivant sa comédie, un défaut honteux, il ne peut s'empêcher de prendre sa grande voix pour le flétrir. Ainsi il a fait une comédie qui s'appelle le Menteur.
Il y a dans cette comédie un jeune homme, nommé Dorante, un étudiant, qui n'est pas du tout un mauvais cœur, mais qui est léger et étourdi, et qui aime à inventer des histoires, un peu pour p. 150s'amuser, parce qu'il a l'imagination vive, un peu par vanité, et pour faire admirer les étonnantes aventures par où il veut faire croire qu'il a passé. Il arrive à Paris, et quelqu'un lui fait comprendre ce qu'est cette grande ville où il entre:
Notre jeune homme profite trop vite de ses conseils, et ne songe qu'à «paraître» et «se faire valoir». Il raconte à ses nouvelles connaissances une foule de brillantes affaires qui ne lui sont pas arrivées. Il a été à la guerre et s'y est très bien conduit.
A peine de retour à Paris, il a donné une fête superbe sur la Seine:
Pourquoi tous ces mensonges? lui demande son valet qui s'en effraie.—Pourquoi? pour donner de soi une idée avantageuse. On serait bien en air de cour si l'on disait tout naïvement qu'on est un étudiant en droit qui revient de Poitiers!
Voilà notre homme, et comme il dirige sa vie dans la ville nouvelle qu'il veut éblouir. Il n'y a pas grand mal, on peut le dire, tant qu'il débite ces sornettes à des jeunes gens aussi fous que lui. p. 154Mais prenez garde: ce qu'il y a de mauvais dans les mensonges, même désintéressés, et dans les paroles en l'air, c'est qu'on prend l'habitude de dire des faussetés, et qu'on en dit ensuite même dans les circonstances graves, même aux personnes à qui l'on doit respect, même à son père.
Le Menteur de la comédie de Corneille a fait un mensonge à son père. Il lui a dit qu'il était marié. Cette fois, l'auteur change de ton, et il met dans la bouche du vieillard offensé un des plus beaux discours contre le mensonge qui ait été écrit: «Etes-vous gentilhomme?» demande brusquement le père à ce fils irrespectueux.
Voilà comment Corneille savait, même dans une comédie, donner, en passant, une leçon de respect envers les êtres vénérables, et de respect aussi envers soi-même. Quand vous lirez les comédies, vous verrez qu'on s'y permet d'ordinaire un peu de libertés à cet égard. Comme c'est un ouvrage naturellement plaisant, il est admis qu'on y peut parler en badinant des choses sérieuses. Corneille le fait lui-même. Mais l'autorité du père, non, c'est une affaire trop grave; Corneille ne permet pas qu'on s'en amuse, et si un jeune homme de comédie, un étourdi, aimable d'ailleurs, pousse jusque-là la raillerie, vite il donne au père, à ce bon bourgeois de père, très simple jusqu'à ce moment, et très bonhomme, toute la dignité que vous avez vue chez Don Diègue et chez le vieil Horace, parce que pour un fils, tout père, quel qu'il soit, doit être ni plus ni moins qu'un Horace ou un Don Diègue.
Tel était ce Corneille, le poète en France qui a eu la plus haute idée de l'homme, et qui en a laissé, à vingt reprises, dans ses œuvres, la plus grande image. On l'appelait le Grand Corneille en son temps, et Voltaire a exprimé le sentiment de la postérité en disant: «Le Grand Corneille, ainsi nommé pour le distinguer, non de son frère, mais du reste des hommes.»
Et cet homme, si grand en effet, ne vous imaginez pas qu'il fût vain de ses succès et de sa gloire. Vous l'auriez vu, que vous ne l'auriez pas distingué du plus humble et obscur bourgeois de Paris. Il était trop humble même, timide et embarrassé dans les compagnies. Il parlait lentement et ne savait pas faire valoir, en les lisant, ses vers admirables.
Sa vie était celle de l'homme le plus simple et le plus ignoré, ajoutez le plus vertueux. Il la passait au milieu de sa femme, de ses enfants, de son frère et des enfants de celui-ci. Ce frère, Thomas Corneille, était poète aussi, beaucoup moins p. 161distingué, et il avait quelquefois plus de succès que lui. Jamais il n'y eut entre eux deux la moindre lueur de jalousie, ni le moindre commencement d'inimitié. On vivait en commun, partageant les joies et les chagrins. Quand Pierre avait besoin d'une rime qui lui échappait, il la demandait à son frère. Il aurait pu lui donner son génie, qu'il le lui aurait donné de bon cœur.
La vieillesse de Corneille ne fut pas heureuse. Sans être jamais tombé dans la misère, il était pauvre; car, dans ce temps-là, les pièces de théâtre étaient peu payées, et les plus grands triomphes des auteurs dramatiques rapportaient plus d'honneur que d'argent. Il vécut trop longtemps aussi pour son bonheur. A trente ans, il avait fait dire à son Don Diègue:
Il put se rappeler souvent ces beaux vers, et les appliquer amèrement à sa propre fortune. Vieilli, et fatigué par la production incessante d'une foule de chefs-d'œuvre, il n'avait plus, dans ses derniers ouvrages, la même verve et la même puissance qu'autrefois.
Les idées étaient aussi grandes, mais il y avait souvent dans la conduite et la suite de la pièce de l'obscurité et de l'embarras; et malgré de beaux vers encore, qui semblaient éclater de temps à autre comme des traits de feu, l'ensemble déplaisait, ou laissait froids les spectateurs.
Entre deux tragédies, l'une médiocre, l'autre mêlée d'obscurités pénibles et d'éclairs de génie, Corneille se reposait, se consolait peut-être, à des œuvres où les deux passions de sa vie, la piété et l'amour des vers, trouvaient une égale satisfaction. Il mettait en vers l'Imitation de Jésus-Christ.
Il y a dans ce livre, traduit par Corneille, des vers admirables encore, comme il faudrait en apprendre beaucoup, pour les réciter dans les moments de découragement ou de peine. Voyez ceux-ci, comme ils sont tendres et forts, et semblent prendre le cœur pour l'enlever bien haut, loin des ennuis et des bassesses:
Corneille faisait des vers de circonstance, pour p. 163ses amis, pour les gens qu'il estimait ou honorait. En voici qu'il fit pour le tombeau d'une personne charitable et sainte, assez obscure. Mais tout ce qu'il touche en devient grand.
Mais le goût du public n'était plus autant à Corneille. Les hommes de son temps, dont je vous p. 164ai indiqué le caractère hardi, noble, et porté aux grandes aventures, n'existaient plus. Leurs fils n'étaient point des efféminés, tant s'en faut; mais cependant ils préféraient, au théâtre, des pièces plus tendres, plus de douceur et d'amabilité que de grandeur et d'héroïsme. Ajoutez que, juste au moment où Corneille faiblissait, un autre grand poète, Jean Racine, était dans toute la vigueur de son génie et tout l'éclat de son succès.
Tout cela fit à Corneille une fin de carrière pénible. Il avait bon besoin pour vivre de sa pension du roi, qu'il avait bien gagnée, et qui lui était servie depuis de longues années. Dans les derniers temps de sa vie, cette ressource vint à lui manquer. Les malheurs de la France à cette époque forçaient le trésor à faire des économies, et l'on avait supprimé la pension, ou l'on en avait retardé le paiement. Un bon poète du temps, Boileau, qui était très honnête homme, mais qui n'aimait point passionnément Corneille, étant ami particulier de Racine, apprit que Corneille ne recevait plus sa pension. Il en fut indigné et navré, et, quoique n'étant pas des amis de Corneille, il court à Versailles, où étaient le roi et les ministres, parle aux ministres, se jette aux pieds du roi: «On n'a pas d'argent! s'écrie-t-il. Si, on en a! On a ma pension, à moi; qu'on la donne à Corneille, au grand Corneille; moi, je m'en p. 165passerai». On rendit enfin sa pension au pauvre vieux poète.
C'est là un trait touchant et charmant. Il prouve combien est grande la bonne influence des génies comme celui de Corneille sur les cœurs. Corneille ne se borne pas à peindre dans ses ouvrages des actes de générosité; il ne réussit pas seulement à les faire admirer; il en inspire. C'est l'honneur des hommes de génie qui sont des hommes de grand cœur; c'est aussi leur récompense.
Corneille ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur, ou plutôt de cet acte de réparation. Il mourut le 1er octobre 1684, à l'âge de 78 ans. L'Académie française, dont il faisait partie depuis 1647, se conduisit en cette circonstance avec beaucoup de délicatesse. Elle nomma, pour lui succéder, Thomas Corneille, son frère, celui que Boileau appelait un cadet de Normandie, et elle chargea Racine de prononcer l'éloge de son ancien rival. Racine le fit en des termes d'une rare élévation, et l'éloge de Corneille par Racine est une des plus belles pages qui soient dans la prose française. Vous le lirez tout entier plus tard. En voici du moins quelques lignes:
«.... Où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement, l'esprit? Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets! Quelle gravité dans les sentiments! Quelle dignité et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères! Parmi tout cela une magnificence d'expressions proportionnée aux maîtres du monde qu'il fait souvent parler; capable néanmoins de l'abaisser quand il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable... Personnage véritablement né pour la gloire de son pays... Aussi, lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration des siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles.... Il aimait, il cultivait les exercices de l'Académie: il y apportait surtout cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence même, si nécessaire pour entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on jamais vu se préférer à aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu vouloir tirer aucun avantage des applaudissements qu'il recevait dans le public? Au contraire, après avoir paru en maître, et, pour ainsi p. 167dire, régné sur la scène, il venait, disciple docile, chercher à s'instruire dans nos assemblées, et laissait ses lauriers à la porte de l'Académie......»
La postérité, comme le disait Racine, a ratifié le jugement de ses contemporains sur Corneille. Elle a même été plus loin qu'eux. Nous avons pour notre vieux poète une de ces admirations qui tiennent du respect et notre culte envers lui ne s'est jamais refroidi. Les hommes de son temps l'ont appelé le Grand Corneille. Nous lui avons conservé ce titre, et nous y avons ajouté quelque chose qui est peut-être plus flatteur encore.
Quand nous nous trouvons en présence d'un grand homme de bien, au cœur vaillant et ferme, dédaigneux des périls, et ne se souciant que de sa conscience, nous disons de lui que c'est un héros de Corneille. Quand nous lisons ou entendons une grande parole, pleine de fierté, vigoureuse et franche, nous disons que c'est un mot cornélien, une phrase cornélienne, un vers cornélien.
Voilà le plus grand honneur peut-être qu'un homme puisse acquérir: laisser son nom dans la langue de son pays avec une signification telle que p. 169ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur dans l'âme humaine ne se puisse exprimer que par ce mot. C'est un honneur pour l'homme, c'est un honneur aussi pour le pays. Il ne faut pas désespérer d'un peuple qui a produit des Corneilles, et qui n'a jamais cessé de les admirer. Il a conservé quelque chose de leur mâle génie, de leur cœur héroïque et simple. Corneille est Français; la France aussi est cornélienne.
FIN.
[1] Sans tirer ma raison, c'est-à-dire sans demander raison de l'outrage reçu.
[2] Allégeance, soulagement.
[3] Alfange.—Mot espagnol et portugais signifiant cimeterre ou sabre très recourbé. Au temps de Corneille, la langue espagnole était très en usage en France, et ce mot, sans doute, assez usité, ou, tout au moins, compris de tout le monde. Aucun autre auteur que Corneille ne l'a employé.
[4] Il eût laissé honorés mes cheveux gris.
[5] Ce récit s'adresse au vieil Horace.
[6] Celui qui accuse le jeune Horace, parce qu'il aimait Camille qu'Horace a tué.
[7] Tel qu'un Horace doit vivre.
[8] N'ayant plus où se prendre.—Ne sachant plus à quoi s'attacher.
[9] Sylla.—Célèbre général romain qui s'était fait maître dans Rome avec beaucoup de cruautés et de sang répandu. Vous le retrouverez dans la tragédie de Corneille intitulée: Sertorius. (Voir plus loin, p. 125)
[10] César.—Le fondateur de l'Empire à Rome. Auguste l'appelle: mon père, parce que César l'avait adopté.
[11] Agrippe. Agrippa, lieutenant d'Auguste et son principal ministre dans les commencements de son gouvernement.—Mécène. Ami et ministre aussi d'Auguste.
[12] Confie.
[13] Avant d'être empereur, Auguste s'appelait Octave.
[14] Antoine. Le rival principal d'Octave avant que celui-ci fût resté seul maître.
[15] Sextus Pompée, autre rival d'Octave.
[16] Pérouse. Ville de l'Italie Centrale, qu'Octave avait fait dévaster pendant les guerres civiles.
[17] L'hydre était un serpent fabuleux, à sept têtes; à chaque tête coupée, une autre tête renaissait.—Le mot hydre est pris ici au sens figuré.
[18] Brute. Brutus, un des meurtriers de César, le père adoptif d'Auguste.
[19] Maxime, ami de Cinna, et conjuré comme lui. C'est à lui et à Cinna qu'Auguste avait confié son dessein de quitter le pouvoir, ainsi que nous l'avons dit plus haut.
[20] Fille du tuteur d'Auguste et dont Cinna est amoureux.
[21] Dans le paganisme, la statue du dieu était toujours tournée vers l'occident, d'où il suit que le prêtre, pour l'adorer, assurait son aspect (son regard) vers l'orient.
[22] Jupiter était le roi des dieux dans la religion des païens.
[23] Oyez est l'impératif du verbe ouïr, qui signifie entendre, écouter.
[24] Peuple d'Orient qui habitait le pays formant maintenant la Russie méridionale, et qui était à cette époque en guerre avec les Romains.
[25] Favori de l'empereur Décie qui se trouve en Arménie en ce moment. C'est surtout lui que Félix redoute; c'est parce qu'il le craint qu'il se décide à frapper son gendre Polyeucte.
[26] Sur la terre.
[27] La fourberie.
[28] Annibal.—Célèbre général Carthaginois qui conquit l'Italie, fut sur le point de prendre Rome, et tint les Romains dans les plus grands dangers pendant vingt ans.
[29] Annibal, traqué par les Romains, s'était empoisonné pour n'être pas livré à eux.
[30] Par le père de Flaminius.
[31] Discordes.
[32] Scipion l'Africain, général Romain, qui fut le vainqueur d'Annibal, s'était résigné à n'être que le lieutenant de son frère, général obscur, dans une guerre en Asie.
[33] C'est près du lac de Trasimène, dans l'Italie septentrionale, qu'Annibal avait vaincu le père de Flaminius.
[34] Attale s'adresse à Laodice, reine d'Arménie.
[35] Me redoute.
[36] La Rochefoucauld. Il a écrit au XVIIe siècle des Maximes ou sentences morales, un peu tristes et amères, mais souvent d'une grande vérité et d'un style net et concis.
[37] Chez les rois.
[38] Mithridate, roi de Pont (Asie-Mineure), tint longtemps en péril la fortune romaine; il avait fait massacrer cent mille Romains en Asie-Mineure.
[39] Sœur de Ptolomée.
[40] Crasse.—Crassus (Licinius) avait été triumvir (un des trois chefs de Rome) avec César et Pompée. Il mourut dans une grande bataille contre les Parthes (Asie), où périrent trente mille Romains. Cornélie avait épousé Pompée un an après la mort de Crassus.
[41] C'est-à-dire la victoire de Pharsale. Pharsale était en Thessalie.
[42] Lieutenant de César.
[43] C'est-à-dire par sa veuve, que Corneille appelle sa moitié.
[44] Le mot foudre est employé au masculin et au féminin en poésie. Il signifie ici: la catastrophe, la destruction.
[45] C'est à Pharsale (Thessalie) que César avait vaincu Pompée.
[46] Ministre et conseiller de Ptolomée.—Achillas, dont nous verrons le nom plus loin, était lieutenant général des armées de Ptolomée.
[47] Accroît, augmente.
[48] Autant qu'il peut...
[49] En grande quantité.
[50] On appelait lustre un espace de cinq ans; deux lustres de guerre, ce sont dix ans de guerre.
[51] Si ce n'était que...
[52] Ma joie serait extrême, si je trouvais.....
[53] Aristie, de son vrai nom Antistie, était la première femme de Pompée.
[54] Se fait recevoir, se fait accueillir.
[55] S'estime.
[56] Objet est pris ici dans le sens de personne qu'on aime.
[57] Fusée volante qui tournoie.
[58] Noms de jurisconsultes; les ouvrages cités aux vers précédents sont des ouvrages de droit.
[59] Homme à paragraphe.—Homme qui cite l'article et le paragraphe où se trouve un texte de loi sur lequel il s'appuie.
[60] Généraux de l'empereur d'Allemagne Ferdinand III, pendant la guerre de Trente ans, qui n'était pas encore terminée quand Corneille écrivit ces vers.
[61] Cliton est le valet de Dorante.
[62] Clarice est la femme que Géronte veut faire épouser à son fils.
Pages. | |
Avant-propos | v |
Chap. I.—La France au temps de Corneille | 1 |
Chap. II.—Jeunesse de Corneille | 5 |
Chap. III.—Corneille grand homme | 10 |
Chap. IV.—Le Cid | 12 |
Chap. V.—Horace | 24 |
Chap. VI.—Cinna | 33 |
Chap. VII.—Polyeucte | 46 |
Chap. VIII.—Nicomède | 71 |
Chap. IX.—Pompée | 85 |
Chap. X.—Don Sanche d'Aragon | 106 |
Chap. XI.—Sertorius | 125 |
Chap. XII.—Le Menteur | 149 |
Chap. XIII.—Corneille chez lui.—Vieillesse et mort du poète | 160 |
Conclusion.—Corneille devant la postérité | 168 |
POITIERS.—TYPOGRAPHIE OUDIN.
End of Project Gutenberg's Corneille expliqué aux enfants, by Émile Faguet *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CORNEILLE EXPLIQUÉ AUX ENFANTS *** ***** This file should be named 41769-h.htm or 41769-h.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/4/1/7/6/41769/ Produced by Clarity, Catherine Lamy-Bergot and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.