The Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Champlain, by Samuel de Champlain This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net Title: Oeuvres de Champlain Author: Samuel de Champlain Editor: Abbé C.-H. Laverdière, M.A. 1870 Release Date: December 8, 2005 [EBook #17258] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE CHAMPLAIN *** Produced by Renald Levesque. This file is made available by the BNQ (Bibliothèque Nationale du Québec) in pdf format [Illustration: Samuel de Champlain, Sam01.png] OEUVRES DE CHAMPLAIN PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE L'UNIVERSITÉ LAVAL PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A. PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ SECONDE ÉDITION TOME I QUÉBEC Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS 1870 i PRÉFACE Dès le moment que l'on commença à étudier plus intimement l'histoire du Canada, on sentit de suite la nécessité de recourir aux sources, et de s'appuyer sur des documents irréprochables. Naturellement, l'historien devait tout d'abord porter ses regards sur l'un des plus anciens, comme des plus fidèles témoins de nos origines canadiennes, sur celui que tout le pays peut à bon droit revendiquer comme son père et son fondateur, sur Champlain. La part immense qu'il prit aux premières fondations tant civiles que religieuses de ce pays, sa droiture, son intégrité, l'étendue et la variété de ses connaissances, la position avantageuse qu'il occupait vis-à-vis des personnages les plus influents de la cour de France, suffiraient sans doute pour donner à sa parole la plus haute autorité. Mais ce qui ajoute encore une valeur singulière aux écrits de Champlain, c'est qu'il est pour ainsi dire le seul de nos plus anciens auteurs que l'on puisse regarder comme source historique proprement dite. Que nous apprend Lescarbot, par exemple, en ii dehors de ce qui concerne l'Acadie? Presque tous les détails qu'il nous donne sur le fleuve Saint-Laurent, sur Québec et sur le reste du Canada, il les emprunte à Champlain, quand il ne cite pas Cartier. Sagard lui-même, à part les renseignements qu'il a pu recueillir de la bouche des religieux de son ordre, ne parle souvent que d'après le récit de Champlain, qu'il s'approprie sans lui en tenir compte. Sagard, d'ailleurs, ne fit que passer en Canada, par conséquent, dans bien des cas, il ne peut guères que parler sur le témoignage d'autrui, ce dont nous sommes loin, du reste, de lui faire un reproche. Tandis que Champlain est témoin oculaire de presque tout ce qu'il rapporte, et que son récit a l'immense avantage d'être comme un journal fidèle et régulier, où se trouvent consignées tour à tour les découvertes et les fondations, la narration pure et simple des événements, et l'appréciation des fautes ou des succès qui les accompagnèrent. La seule importance des ouvrages de Champlain suffisait donc pour en motiver une nouvelle édition. Mais à cette première raison venait s'en joindre une seconde: l'excessive rareté et par suite le prix exorbitant des éditions anciennes. On ne connaît qu'un seul exemplaire du Voyage de 1603, celui de la Bibliothèque Impériale de Paris. L'édition de 1613 est si iii rare, qu'à peine pourrait-on en trouver dix exemplaires dans tout le pays; encore n'y a-t-il que celui de la bibliothèque de l'Université Laval qui soit parfaitement complet, et qui renferme la grande carte de 1612, et les deux tirages de la petite carte. Nous avons nous-même, dans l'intérêt de la présente édition, payé cet exemplaire 500 fr. à Paris (somme que M. Desbarats a eu la générosité de nous rembourser plus tard). L'édition de 1619 est peut-être encore plus rare. Celle de 1632, que l'on trouve aussi très-difficilement, ne se vend pas moins de 200 fr., même sans la carte, et cette carte est si rare, qu'il n'y a, à notre connaissance, que l'exemplaire de la Bibliothèque Fédérale qui la renferme. Il devenait donc absolument nécessaire de rendre plus accessible une source aussi féconde. Mais comment trouver, en Canada, les moyens de reproduire dignement un travail si considérable, illustré de tant de dessins et de cartes? Pareille entreprise était, ce semble, réservée à quelque société littéraire ou scientifique. De fait, le président de la Société Littéraire et Historique de Montréal, M. l'abbé H. Verreau, Principal de l'école normale Jacques-Cartier, ami dévoué de notre histoire, admirateur sincère de Champlain, avait formé, à peu près en même temps que nous, le projet d'une publication qui fît honneur au père de la iv patrie. Mais il nous semblait que Québec devait se faire un devoir de publier les oeuvres de son fondateur, et la Société Historique de Montréal non-seulement n'y mit point d'obstacle, mais voulut même contribuer en quelque sorte à encourager cette entreprise, en nous permettant d'utiliser les matériaux qu'elle avait déjà commencé à réunir. C'était en 1858. Nous n'avions encore fait nous-même que quelques recherches préliminaires. Mais il était facile de prévoir dès lors deux difficultés, dont chacune pouvait à elle seule nous arrêter. Il fallait d'abord compter comme toujours avec les moyens pécuniaires; et, en second lieu, nous n'étions pas libre de disposer de tout le temps nécessaire à l'accomplissement d'une tâche aussi rude. Une pensée généreuse, due à l'un de ces hommes qui savent s'élever au-dessus des préjugés du vulgaire, pour ne chercher dans l'histoire que la pure et franche vérité, vint tout à coup aplanir les obstacles, et donner une nouvelle vie à toutes nos espérances. En 1864, M. John Langton, lauréat d'Oxford, président alors de la Société Littéraire et Historique de Québec, voulut lui aussi élever un monument à la mémoire de Champlain. La faiblesse des ressources que pouvait mettre à sa disposition la Société Historique, et plus encore peut-être un sentiment de délicatesse que nous v nous serions fait un reproche de n'avoir point apprécié, furent les seules causes, croyons-nous, qui empêchèrent M. Langton de réaliser le plan qu'il avait fort à coeur. Néanmoins, cette heureuse pensée ne fut pas perdue; elle fit naître au sein de la faculté des Arts de l'Université Laval la louable ambition de réaliser quelque chose de plus grand et de plus parfait. Il fut décidé que l'Université, secondée par le Séminaire de Québec, accorderait son patronage à la publication des oeuvres de Champlain telle que nous la méditions depuis plus de six ans. M. Geo.-E. Desbarats, qui avait déjà bien accueilli M. Langton, voulut dès lors ne rien épargner pour répondre à l'encouragement de l'Université. Obligé plus tard de quitter Québec, il poussa la libéralité jusqu'à laisser à notre disposition tout un matériel bien assorti de caractères antiques, avec le personnel nécessaire pour compléter l'oeuvre sous nos yeux. Enfin, la première édition était faite, les clichés transportés à Ottawa, l'impression presque terminée; lorsque un épouvantable incendie vint réduire en cendres l'atelier de M. Desbarats. Les seules épreuves tirées à Québec furent tout ce qui nous resta. Des pertes aussi sensibles étaient bien de nature à faire échouer complètement une entreprise qui paraissait devoir vi être si peu rémunérative. Mais voilà que tout à coup un redoublement de sympathie bien méritée vint ranimer le courage de M. Desbarats. Le 13 février 1869, il nous écrivait: «Cher monsieur, vos raisons et la conduite du Séminaire à mon égard, sont trop bonnes, pour que je ne cède pas, Champlain se réimprimera à Québec... Eh bien, Champlain m'aura coûté quelques trois mille louis» (60,000 fr).» Pour nous, nous avions un tel sentiment des difficultés de notre travail, que nous n'étions pas fâché d'avoir à le refaire, ou du moins à le revoir en entier, heureux de pouvoir encore profiter des judicieuses remarques de plusieurs amis; heureux surtout d'avoir une occasion de réparer des inexactitudes ou des omissions qui avaient échappé à nos premiers efforts. Nous avons maintenant à expliquer au lecteur la marche que nous avons cru devoir suivre dans cette réimpression des oeuvres de Champlain. 1° Après un examen attentif des diverses éditions des voyages de l'auteur, il nous a paru nécessaire de les publier toutes en entier, parce qu'elles se complètent et s'expliquent les unes les autres. C'est pour n'avoir pas eu sous les yeux les éditions complètes de Champlain, que bien des auteurs ne l'ont pas compris. 2° Nous nous sommes fait une loi, nous pourrions dire un vii scrupule, de reproduire le texte absolument tel qu'il est dans les anciennes éditions, sans nous permettre même de supprimer les notes marginales, qui pourtant ne paraissent pas avoir toujours été faites par l'auteur, et notre fidélité sur ce point nous a porté à respecter jusqu'aux irrégularités d'orthographe et de typographie, parce que ces irrégularités mêmes jettent souvent du jour sur certaines questions qui peuvent avoir leur intérêt et leur importance. 3° Chaque fois que nous avons constaté une faute, soit erreur typographique, soit méprise de l'auteur, nous avons jeté au bas de la page les notes nécessaires ou opportunes, en laissant le texte conforme à celui de l'édition originale. C'est ici la partie de notre travail qui nous a le plus coûté de temps et de recherches. Telle faute quelquefois sera facile à corriger; mais, que l'on tourne la page, il faudra, pour reprendre l'auteur, savoir non-seulement ce qu'il a voulu dire, mais encore où en était la science à son époque, si l'on ne veut pas s'exposer à être injuste. Il est vrai que nous n'avons point borné là notre tâche; nous nous sommes efforcé d'éclaircir certains passages obscurs, ou qui le sont devenus par le changement des circonstances et des temps. Rien de plus facile que de laisser passer inaperçues les difficultés de ce genre; mais viii approfondissez la question: il faut étudier les lieux, comparer les plans anciens et modernes, les concilier, les raccorder, recourir aux titres et aux documents primitifs; et, après un travail d'un grand mois, vous n'avez à mettre au bas de la page qu'une toute petite demi-ligne. Voilà, bien souvent, quels ont été la nature et le résultat de nos recherches. Qu'il nous soit maintenant permis d'offrir nos remerciements les plus sincères à un grand nombre d'amis qui ont bien voulu nous aider de leurs conseils, ou de leur puissant concours, en particulier à M. l'abbé Verreau, à M. J.-C. Taché, à M. l'abbé H.-R. Casgrain et à M. Ant. Gérin-Lajoie. Nous devons encore un large tribut de reconnaissance à la mémoire de deux personnes que nous avons bien des raisons particulières de regretter: M. l'abbé Ferland, sur les lumières et l'expérience duquel nous avions appris à compter, et M. l'abbé E.-G. Plante, qui a tant contribué à cette présente édition par la générosité avec laquelle il a toujours mis complètement à notre disposition sa riche collection d'ouvrages sur le Canada et l'Amérique. ix NOTICE BIOGRAPHIQUE DE CHAMPLAIN On peut dire que la vie de Champlain est tout entière dans ses oeuvres. Il semblera donc peut-être superflu de mettre sa notice biographique en tête de ses ouvrages, surtout quand déjà tant d'écrivains de mérite lui ont consacré des pages remarquables. Cependant, comme ces auteurs n'avaient à en parler que d'une manière plus ou moins incidente, suivant le cadre qu'ils s'étaient prescrit, nous avons cru devoir essayer de compléter leurs observations, et même de les corriger au besoin, tout en résumant ici ce qui se trouve trop épars dans nos notes, et en y ajoutant des remarques que le temps ou l'espace ne pouvaient alors nous permettre. Champlain naquit en l'année 1567, si l'on en croit la Biographie Saintongeoise. Il est regrettable que cet ouvrage n'indique pas la source où cette date a été puisée; car, jusque aujourd'hui, les chercheurs les plus infatigables x n'ont encore pu réussir à trouver son acte de naissance. Une chose digne de remarque, c'est que notre auteur, dans le cours de toutes ses oeuvres, à travers le récit de tant d'événements divers, n'ait pas une seule fois trouvé l'occasion, ou jugé à propos de parler de son âge, même lorsqu'il était opportun de faire valoir ou de rappeler ses services passés. Cependant, si l'on n'a pas de preuve directe de l'exactitude de cette date donnée par la Biographie Saintongeoise, on peut établir d'une manière au moins approximative, qu'elle n'est pas loin de la vérité. Champlain nous apprend lui-même [1] qu'il était maréchal des logis dans l'armée de Bretagne, sous le maréchal d'Aumont, qui mourut au mois d'août 1595. De là on peut conclure, que, peu de temps auparavant, vers 1592 peut-être, il devait avoir vingt-cinq ans ou environ; puisqu'il occupait déjà un poste de confiance qui d'ordinaire ne se donne qu'à une personne de quelque expérience. Suivant ce calcul, sa naissance aurait donc eu lieu vers 1567. [Note 1: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.] La différence d'âge entre Pont-Gravé et Champlain, vient encore ajouter un certain degré de probabilité à la date assignée par le même ouvrage. Cette différence, quoiqu'elle ne soit nulle part donnée positivement, peut se déduire avec assez d'exactitude de plusieurs passages et entre autres de celui-ci: Pour le sieur du Pont, dit Champlain en 1619, son âge me le ferait respecter comme mon père. Cette manière de s'exprimer donne évidemment à entendre que Pont-Gravé avait au moins dix ou douze ans de plus que lui. Or, d'après xi Sagard, Pont-Gravé avait alors environ soixante-cinq ans. Si l'on suppose que Champlain avait douze ans de moins, on trouve qu'il était, en 1619, âgé de cinquante-deux ans environ, ce qui reporte sa naissance à 1567. Champlain naquit à Brouage en Saintonge. Suivant la même _Biographie Saintongeoise_, il était issu d'une famille de pêcheurs. Si cette assertion est fondée, il faut en conclure que ses parents réussirent, par leur mérite personnel ou par leur industrie, à s'élever au-dessus de leur humble profession; car, dans le contrat de mariage de Champlain, passé en 1610, son père, Antoine de Champlain, est qualifié _capitaine, de la marine_[2]. Le même document nous apprend que sa mère s'appelait Marguerite Le Roy. Il reçut au baptême le nom de Samuel [3]; du moins, c'est le seul qu'il prenne dans le titre de ses ouvrages, et les documents contemporains s'accordent à ne lui en point donner d'autre. [Note 2: C'est là, suivant nous, toute la noblesse du père de Champlain. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ prétend que, si Henri IV anoblit le fils, il anoblit aussi le père; et, pour le prouver, il invoque le passage suivant du même contrat de mariage: _noble homme Samuel de Champlain... fils de feu Antoine de Champlain vivant capitaine de la Marine_, qu'il cite comme suit: _homme noble de Champlain, fils de Noble Antoine_. On remarquera que le texte du contrat ne dit pas _homme noble_, mais _noble homme_. A peu près toutes les familles du Canada, en recourant à leurs anciens titres, pourront constater qu'elles descendent de même d'un _noble homme_ qui ne reçut jamais de lettres de noblesse.] [Note 3: De ce que le nom de Samuel, donné à Champlain, était, parait-il, inusité alors chez les catholiques, et en honneur chez les protestants, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ insinue que Champlain aurait bien pu naître calviniste. Il y avait, ce semble, une insinuation plus naturelle à faire: c'est que, dans cette hypothèse, le père et la mère de Champlain avaient dû apostasier, car son père s'appelait Antoine, et sa mère Marguerite, deux noms tout à fait catholiques.] Dès ses premières années, Champlain se sentit une vocation particulière pour la carrière aventureuse de la navigation. «C'est cet art,» dit-il dans une épître adressée à la reine xii régente, et imprimée au commencement de son édition de 1613, «qui m'a dès mon bas âge attiré à l'aimer, et qui m'a provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impétueuses de l'océan.» Ce qui ne l'empêcha pas de profiter des occasions de s'instruire, comme le prouvent suffisamment ses écrits. On y trouve en effet, presque à toutes les pages, des observations judicieuses, qui attestent à la fois et de la variété de ses connaissances, et de la rectitude de son jugement. La faveur constante dont il jouissait à la cour dès 1603; la pension et les grades dont le roi se plut à l'honorer, l'amitié et la protection d'hommes aussi distingués que le commandeur de Chaste, le comte de Boissons, le Prince de Condé, le duc de Montmorency, le duc de Ventadour, le cardinal de Richelieu et beaucoup d'autres, montrent assez que son mérite et ses services ne tardèrent pas à être hautement appréciés. Avant même que le maréchal d'Aumont fût mort, c'est-à-dire, vers 1594, il était déjà maréchal des logis, et il continua à occuper ce poste sous les maréchaux de Saint-Luc et de Brissac, jusqu'à la pacification de la Bretagne en 1598[4]. [Note 4: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.] Se trouvant sans emploi, et dans un désoeuvrement qui n'allait guère à son âme active et aventurière, Champlain forma le projet de se rendre en Espagne, dans l'espérance d'y trouver l'occasion de faire un voyage aux Indes-Occidentales. Un de ses oncles, le capitaine Provençal, «tenu pour un des xiii bons mariniers de France, et qui pour cette raison avait été entretenu par le roi d'Espagne comme pilote général de ses armées de mer», se trouvait alors à Blavet, et venait de recevoir du maréchal de Brissac l'ordre de conduire en Espagne les navires qui devaient repasser la garnison que les Espagnols avaient alors dans cette place. Il résolut de l'y accompagner. La flotte étant arrivée en Espagne, le _Saint-Julien_, «reconnu comme fort navire et bon voilier», fut retenu au service du roi. Le capitaine Provençal en garda le commandement, et son neveu demeura avec lui. Les quelques mois que Champlain passa en Espagne ne furent point un temps perdu. Il avait déjà, dans le trajet, levé une carte soignée des lieux où la flotte avait fait escale, le cap Finisterre et le cap Saint-Vincent avec les environs, pendant son séjour à Cadix, il utilisa ses loisirs en traçant un plan exact de cette ville; ce qu'il fit également pour San-Lucar-de-Barameda, où il demeura trois mois. Pendant cet intervalle, le roi d'Espagne, ayant reçu avis que Porto-Rico était menacé par une flotte anglaise, ordonna une expédition de vingt vaisseaux, du nombre desquels devait être le _Saint-Julien_. Champlain, accompagnant son oncle, se voyait ainsi sur le point de pouvoir réaliser son projet; lorsque, au moment où la flotte allait faire voile, on reçut la nouvelle que Porto-Rico avait été pris par les Anglais. Il fallut donc attendre une autre occasion, pour faire le voyage des Indes. Dans le même temps, arriva à San-Lucar-de-Barameda le xiv général Dom Francisque Colombe, pour prendre le commandement des vaisseaux que le roi envoyait annuellement aux Indes. Voyant le _Saint-Julien_ tout appareillé, et connaissant ses excellentes qualités, il résolut de le prendre au fret ordinaire. Le capitaine Provençal, dont on requérait les services ailleurs, commit, de l'agrément du général, la charge de son vaisseau à Champlain. Le général espagnol en parut fort aise, il lui promit sa faveur, et n'y manqua point dans les occasions. Enfin au commencement de janvier 1599, Champlain partit pour l'Amérique espagnole. Le voyage dura deux ans et deux mois. Champlain dans cet intervalle, eut le loisir de visiter en détail les lieux les plus intéressants tant aux Antilles, qu'à la Nouvelle-Espagne. C'est ici que l'on commence à remarquer en notre auteur une qualité infiniment précieuse, celle d'observateur scrupuleux et intelligent, qui ne manque aucune occasion de servir la louable ambition de la science, aussi bien que les intérêts de la patrie. Non-seulement il tient journal comme s'il était déjà chef de l'expédition; mais encore il note sur son passage la position des lieux, les productions du pays, les moeurs et les coutumes des habitants. Le Mexique surtout paraît avoir captivé toutes ses affections. «Il ne se peut voir, dit-il, ni désirer un plus beau pays que ce royaume de la Nove-Espaigne: grandes campagnes unies à perte de vue, chargées d'infinis troupeaux de bestial, qui ont les pâtures toujours fraîches; décorées de fort beaux fleuves et rivières, qui traversent presque tout le royaume; xv diversifiées de belles forêts remplies des plus beaux arbres que l'on saurait souhaiter. Mais, ajoute-t-il, tous les contentements que j'avais eus à la vue de choses si agréables n'étaient que peu au regard de celui que je reçus, lorsque je vis cette belle ville de Mexique» (Mexico). Puis il fait une description détaillée de toutes les richesses naturelles de ce royaume. Le plan de Mexico (pris en 1599) n'est pas le moins intéressant des soixante et quelques dessins qui accompagnent le _Voyage aux Indes_. Champlain était de retour en Espagne vers le commencement de mars 1601. Le vaisseau dont il s'était chargé, dut être retenu encore quelque temps, avant de pouvoir faire voile pour un autre port. De manière qu'il ne rentra probablement en France que vers la fin de cette année, sinon au commencement de 1602. Le rapport consciencieux et fidèle de son voyage aux Indes-Occidentales, fut sans doute ce qui engagea le roi Henri IV à accorder une pension à Champlain [5], et ce fut peut-être aussi pour la même raison que le commandeur de Chaste jeta les yeux sur lui pour l'accomplissement des grands desseins qu'il avait formés, et «dont je pourrais, dit Champlain [6], rendre de bons témoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.» [Note 5: Il semble, en effet, qu'au moment de son départ pour l'Espagne, il s'était décidé de lui-même sans alléguer aucun motif d'obligation particulière pour le roi, comme il le fait quand il s'agit d'entreprendre le voyage de 1603, mais simplement «pour ne demeurer oisif, se trouvant sans aucune charge ni emploi.» Il est vrai qu'il s'était proposé d'en «faire rapport au vrai à Sa Majesté»; mais ce Pouvait être là précisément le moyen qui lui parût alors le plus propre à obtenir quelque faveur de la cour.] [Note 6: Édit. 1632, p. 45.] xvi Après la mort du sieur Chauvin, M. de Chaste, ayant obtenu une nouvelle commission, chargea Pont-Gravé de la conduite d'un premier voyage d'exploration, «pour en faire son rapport, et donner ordre ensuite à un second embarquement», auquel il se joindrait lui-même en personne, décidé à consacrer le reste de ses jours à l'établissement d'une bonne colonie chrétienne dans cette partie du nouveau monde. «Sur ces entrefaites, dit Champlain, je me trouvai en cour, venu fraîchement des Indes-Occidentales [7]. Allant voir de fois à autre le sieur de Chaste, jugeant que je lui pouvais servir en son dessein, il me fit cette faveur, comme j'ai dit, de m'en communiquer quelque chose, et me demanda si j'aurais agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, et ce que les entrepreneurs y feraient.» [Note 7: M. de Chaste dut commencer à s'occuper de son entreprise dès 1602, et Champlain ne fut probablement de retour en France que vers le commencement de cette même année.] Pareille démarche, de la part d'un homme de l'âge et de l'expérience du commandeur de Chaste, était un témoignage bien flatteur de l'estime qu'il faisait de son mérite. A cette demande, Champlain, à qui le roi avait depuis peu assuré une pension, répondit au commandeur que cette commission lui serait très-agréable, pourvu que Sa Majesté y donnât son consentement, ce que M. de Chaste se chargea volontiers d'obtenir. M. de Gesvre, secrétaire des commandements du roi, lui expédia en forme une lettre d'autorisation, «avec lettre adressante à Pont-Gravé, pour xvii que celui-ci le reçût en son vaisseau, lui fît voir et reconnaître tout ce qu'il pourrait, et l'assistât de ce qui lui serait possible en cette entreprise.» «Me voilà expédié, dit-il, je pars de Paris, et m'embarque dans le vaisseau de du Pont, l'an 1603.» Le vaisseau partit de Honfleur le 15 de mars, et relâcha au Havre-de-Grâce, d'où il put remettre à la voile dès le lendemain. Le voyage fut heureux jusqu'à Tadoussac, comme s'exprime l'édition de 1632, c'est-à-dire, que la traversée se fit sans accident ou sans malheur bien grave, car du reste elle fut passablement orageuse, et dura plus de deux mois, le vaisseau n'entra dans le havre de Tadoussac que le 24 de mai[8]. [Note 8: Édit. 1603, p. 1 et suivantes.] Quelques bandes de Montagnais et d'Algonquins, cabanes à la pointe aux Alouettes au bas d'un petit coteau, attendaient l'arrivée des Français. Pont-Gravé, dans un voyage précédent, avait emmené en France deux sauvages, et il les ramenait cette année, afin qu'ils fissent à leurs compatriotes le récit de tout ce qu'ils avaient vu au-delà du _grand lac_. Le lendemain, il alla, avec Champlain, les reconduire à la cabane du grand sagamo, Anadabijou. C'est ici que commence cette alliance que la plupart de nos historiens n'ont pas assez remarquée, alliance qui nous donne la clef d'une des grandes difficultés de notre histoire, et la raison véritable de l'intervention des armes françaises dans les démêlés des nations indigènes. «L'un des sauvages que nous avions amenés, dit Champlain, commença à faire sa harangue, de la bonne réception que leur xviii avait fait le Roi, et le bon traitement qu'ils avaient reçu en France, et qu'ils s'assurassent que sa dite Majesté leur voulait du bien, et désirait peupler leur terre, et faire paix avec leurs ennemis, qui sont les Iroquois, ou leur envoyer des forces pour les vaincre. Il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus.» Jusqu'ici, on pourrait croire que l'orateur n'agit que comme simple particulier, et que ce silence profond n'est que l'effet d'une curiosité toute naturelle. Mais, que l'on pèse bien toutes les circonstances du récit de Champlain, et l'on y verra autre chose que des discours de bienvenue. «La harangue achevée, le grand sagamo, l'ayant attentivement ouï, commença à prendre du petun, et en donner à Pont-Gravé et à Champlain, et à quelques autres sagamos qui étaient auprès de lui. Ayant bien petuné, il fit sa harangue à tous,» dans laquelle il insista sur les grands avantages que leur apporteraient l'amitié et la protection du grand chef des Français. Tout se termina par un grand festin, ou _tabagie_ et des danses solennelles. Ces harangues prononcées devant une assemblée de mille personnes[9], cette cérémonie surtout de la présentation du calumet, suivant la coutume des sauvages, sont des preuves évidentes, que l'on entendait, de part et d'autre, s'engager à une alliance offensive et défensive que l'on regardait comme les préliminaires indispensables d'une tentative d'établissement comme le voulait faire le commandeur de Chaste. [Note 9: Édit. 1603, p. 10.] xix Pont-Gravé et Champlain, avec quelques matelots, se jetèrent dans un petit bateau fort léger, et remontèrent le fleuve jusqu'au grand saut (Saint-Louis), afin d'examiner conjointement les lieux les plus favorables à une habitation, décidés à pousser leurs investigations, s'il était possible, jusqu'aux sources mêmes de la _grande, rivière de Canada_; ce qu'aucun européen n'avait encore pu exécuter. Malgré la résolution de nos voyageurs, leur esquif, si léger, qu'il fût, ne put franchir les bouillons impétueux du grand saut, et, il leur fallut mettre pied à terre pour en voir la fin. «Tout ce que nous pûmes faire, ajoute Champlain, en résumant lui-même ce voyage, fut de remarquer les difficultés, tout le pays, et le long de la dite rivière, avec le rapport des sauvages de ce qui était dans les terres, des peuples, des lieux, et origines des principales rivières, notamment du grand fleuve Saint-Laurent.» De retour à Tadoussac, comme la saison n'était pas encore bien avancée, Champlain voulut employer le temps qui lui restait, à explorer ce qu'il pourrait du bas du fleuve. En attendant que la traite fût terminée, il descendit à Gaspé, pour y recueillir quelques renseignements sur les mines de l'Acadie, et sur les différents postes de traite et de pêche. Ce petit voyage lui donna occasion de relever une bonne partie de la côte du nord depuis Moisie jusqu'au Saguenay. Enfin le 16 d'août, le vaisseau quitta le havre de Tadoussac, et arrêta à Gaspé, pour avoir le rapport du sieur Prévert, sur les mines qu'il s'était chargé d'aller examiner par lui-même. xx Arrivé à Honfleur, Champlain eut le chagrin d'apprendre la mort du commandeur de Chaste, dont les généreux desseins lui avaient donné de si belles espérances. «En cette entreprise, disait-il en 1632, avec son expérience de trente ans, je n'ai remarqué aucun défaut, pour avoir été bien commencée.» Il ne tarda pas à se rendre auprès du roi, pour lui présenter le rapport de son voyage, avec une carte, qui malheureusement ne se retrouve plus aujourd'hui. Henri IV l'accueillit fort bien, et lui promit non-seulement de ne point abandonner le Canada, mais encore de prendre l'affaire sous sa protection. Malheureusement, les jalousies et les rivalités menaçaient déjà, dès cette époque, de ruiner toute entreprise qui ne pourrait compter, pour se soutenir, que sur les profits de la traite. M. de Monts, successeur de M. de Chaste, fut le premier à en faire la triste expérience. Le voyage qu'il avait fait avec M. Chauvin dès 1599; les souffrances et les privations auxquelles avaient été condamnés les quelques malheureux qui avaient consenti à hiverner à Tadoussac, l'avaient décidé à chercher un climat moins rigoureux. Champlain, qui avait encore présentes à son souvenir toutes les beautés du Mexique et des Antilles, ne dut pas être loin d'approuver ses idées. «M. de Monts, dit-il, me demanda si j'aurais agréable de faire ce voyage avec lui. Le désir que j'avais eu au dernier, s'était accru en moi, ce qui me fit lui accorder, avec la licence que m'en xxi donnerait Sa Majesté, qui me le permit, pour toujours lui en faire fidèle rapport.» Au printemps de 1604, Champlain fut donc chargé de conduire la petite colonie vers des régions plus méridionales, et M. de Monts, pour mieux assurer son choix, voulut suivre l'expédition en personne. Le temps fut si favorable, qu'au bout d'un mois on était au cap de La Hève. Mais, M. de Monts n'ayant pas eu, comme M. de Chaste, la précaution de faire explorer les lieux à l'avance, la grande moitié de l'été se passa à chercher un lieu qui fût du goût de tout le monde. Enfin, après avoir parcouru avec l'auteur toutes les côtes d'Acadie, pénétré jusqu'au fond de la baie Française (Fundy), il s'arrêta à une petite île «qu'il jugea d'assiette forte et à proximité d'un terroir qui paraissait très-bon[10].» Mais le manque d'eau douce et les ravages du scorbut le firent bientôt changer de résolution, et transporter ses colons au port Royal, dont il avait déjà, avec l'auteur, remarqué les avantages et les beautés naturelles. [Note 10: Cette île est située à quelques milles au-dessus de l'embouchure de la rivière Scoudic. On donna le nom de Sainte-Croix tant à l'île qu'à la rivière.] Pendant les trois années qu'il passa à l'Acadie, Champlain donna de nombreuses preuves de l'infatigable activité de son esprit. Dès l'automne de 1604, il avait visité, avec M. de Monts lui-même, la côte des Etchemins, c'est-à-dire, une bonne partie du littoral de la Nouvelle-Angleterre. Le printemps suivant, il continua cette exploration jusqu'au-delà du cap Cod. Mais, dans toute cette étendue de xxii pays, M. de Monts ne trouva rien de préférable au port Royal, où dès lors il résolut de transporter son habitation (1605). L'année suivante, Champlain recommença le même voyage avec M. de Poutrincourt, qui trouvait peut-être M. de Monts trop difficile, et qui voulait du reste pousser les découvertes encore plus loin. Cette fois, nos voyageurs doublèrent le cap de Malbarre, et s'en revinrent sans être guère plus avancés. L'hiver passé à Port-Royal fut beaucoup moins pénible, grâce aux précautions que l'on prit, et au bon ordre qui régna constamment dans l'habitation. «Nous passâmes, dit Champlain, cet hiver fort joyeusement, et fîmes bonne chère, par le moyen de l'ordre de Bon-Temps que j'y établis, que chacun trouva utile pour la santé, et plus profitable que toutes les médecines dont on eût pu user.» Cet ordre consistait à faire passer à tour de rôle par la charge de maître-d'hôtel tous ceux de la table de M. de Poutrincourt, ce qui ne manqua pas de créer une espèce d'émulation, à qui ferait à la compagnie le meilleur traitement. Malheureusement pour M. de Monts, les affaires n'allaient pas si bien de l'autre côté de l'Océan. Son privilège lui avait suscité un orage auquel il était moralement impossible de résister. Les Bretons et les Basques se répandirent en plaintes amères, prétendant qu'on allait ruiner le commerce et la navigation, amoindrir le revenu des douanes du royaume, et réduire à la mendicité un grand nombre de familles qui n'avaient point d'autre moyen de subsistance. «Le sieur de Monts ne sut si bien faire, que la volonté du xxiii roi ne fût détournée par quelques personnages qui étaient en crédit, qui lui avaient promis d'entretenir trois cents hommes au dit pays. Donc, en peu de temps, sa commission Fut révoquée, pour le prix de certaine somme qu'un certain personnage eut sans que Sa Majesté en sût rien.» Comme compensation de plus de cent mille livres qu'il avait dépensées depuis trois ans, et des peines infinies qu'il s'était données pour fonder un établissement solide et durable en Amérique, «il lui fut accordé six mille livres, à prendre sur les vaisseaux qui iraient trafiquer des pelleteries. C'était, remarque Champlain, lui donner la mer à boire, la dépense devant surmonter la recette. Hé, bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout se révoque de la façon, sans juger mûrement des affaires, premier que d'en venir là?» De retour en France en 1607, Champlain alla trouver M. de Monts, lui fit un rapport fidèle de ses voyages et de tout ce qui s'était passé à Port-Royal depuis son départ. Il avait pris un plan de l'habitation de Sainte-Croix, de celle de Port-Royal, et fait en même temps la carte de tous les lieux les plus remarquables qu'il avait visités, tant avec lui qu'avec M. de Poutrincourt: l'île Sainte-Croix, le port Royal, le port aux Mines (Havre-à-l'Avocat), l'entrée de la rivière Saint-Jean et du Kénébec, la baie de Saco, de Gloucester, de Plymouth, de Nauset et de Chatam, sans compter plusieurs havres de la côte d'Acadie, comme La Hève, le port au Mouton et le port Rossignol. Malgré toutes ses pertes et ses désappointements, M. de xxiv Monts ne se découragea point. Il fit part à Champlain des nouveaux desseins qu'il avait formés. Celui-ci, qui avait maintenant une juste idée de la position des lieux et des avantages qu'on pouvait y trouver, lui conseilla cette fois «de s'aller loger dans le grand fleuve Saint-Laurent, où le commerce et trafic pouvaient faire beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal aisée à conserver à cause du nombre infini de ses ports, qui ne se pouvaient garder que par de grandes forces; joint qu'il y a peu de sauvages, et que l'on ne pourrait, de ce côté, pénétrer jusque parmi les nations sédentaires qui sont dans l'intérieur du pays, comme on pourrait faire par le Saint-Laurent.» M. de Monts, reconnaissant la sagesse de cet avis, suivit le parti que lui proposait Champlain. Le privilège exclusif de la traite lui fut accordé de nouveau, quoique pour un an seulement, et, au printemps de 1608, il équipa deux vaisseaux. Pont-Gravé, «député pour les négociations avec les sauvages du pays, prit les devants pour aller à Tadoussac; Champlain, que M. de Monts honora de sa lieutenance, partit après lui avec toutes les choses nécessaires à une habitation.» Champlain arriva à Québec le 3 juillet; «où étant, dit-il, je cherchai lieu propre pour notre habitation; mais je n'en pus trouver de plus commode, ni de mieux situé, que la pointe de Québec [11], ainsi appelé des sauvages, laquelle était remplie de noyers.» [Note 11: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_, tome I, p. 125 et suivantes, prétend que «Champlain se fût Probablement établi à Montréal en 1608, s'il en eût connu alors les avantages.»--Sans doute, Champlain ne pouvait connaître à fond dès cette époque, tous les avantages et la richesse naturelle de Montréal, ou du Grand-Saut, comme on disait alors. Cependant nous croyons qu'il en savait assez pour se décider sagement sur le choix qu'il avait à faire. «L'air. dit-il entre autres choses des 1603, y est plus doux et tempéré, et de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse vu.» Il est donc évident que, s'il eût cherché avant tout un terroir uni et facile à cultiver, il suffisait de remonter soixante lieues plus haut; mais, comme il fallait tenir compte de bien D'autres difficultés, il jugea que Québec était déjà assez loin de Tadoussac, et présentait d'ailleurs une position unique pour s'y fortifier et s'y maintenir contre un coup de main. Ces raisons seules étaient d'un grand poids, et Champlain en avait peut-être encore bien d'autres que nous ne pouvons qu'entrevoir, ou même que nous ne connaissons pas.] xxv Aussitôt une partie des ouvriers est employée à abattre les arbres pour y faire l'habitation, à scier le bois, à creuser les caves et les fossés; les autres furent envoyés à Tadoussac, pour en rapporter le reste des approvisionnements. Pendant qu'on jetait ainsi les fondations de la ville de Québec, un malheureux complot faillit étouffer la colonie dès son berceau. Un serrurier normand, nommé Jean Duval, mécontent de la nourriture et dégoûté du travail, forma le projet d'assassiner Champlain, et d'aller ensuite se donner «aux Basques ou Espagnols qui étaient pour lors à Tadoussac.» Il réussit à s'assurer le concours de quatre autres, «qui promirent chacun de faire en sorte d'attirer le reste à leur dévotion.» Ils en étaient à chercher l'occasion favorable, lorsqu'un des conjurés, Antoine Natel, découvrit toute la trame. On saisit les quatre coupables, Champlain institua une espèce de jury, composé de Pont-Gravé, du capitaine du vaisseau, du chirurgien, du maître, du contre-maître et de quelques autres. Le chef de la conspiration fut exécuté, pour servir d'exemple, et les autres renvoyés en France, pour y subir leur procès. «Depuis qu'ils furent hors, tout le reste se comporta sagement en son devoir.» xxvi Pont-Gravé reconduisit les vaisseaux en France, et Champlain demeura avec vingt-sept ou vingt-huit personnes pour continuer les travaux commencés. «Le site que choisit Champlain, dit M. l'abbé Ferland, convenait admirablement à son dessein de créer et d'organiser une France Nouvelle dans l'Amérique. Placé à cent trente lieues de l'embouchure du Saint-Laurent, Québec possède un havre magnifique, qui peut contenir les flottes les plus nombreuses, et où les plus gros vaisseaux peuvent arriver facilement de la mer. A ses pieds coule le grand fleuve, qui fournit une large voie pour pénétrer jusqu'au centre de l'Amérique Septentrionale. Sur ce point, le Saint-Laurent se rétrécit considérablement, n'ayant au plus qu'un mille de largeur; de sorte que les canons de la ville et de la citadelle peuvent foudroyer les vaisseaux qui tenteraient de franchir le passage. Québec est donc la clef de la vallée du grand fleuve, dont le cours est de près de huit cents lieues; il est la sentinelle avancée de l'immense empire français que rêva Louis XIV, et qui devait se prolonger depuis le détroit de Belle-Isle jusques au golfe du Mexique.» Québec avait encore une autre épreuve à subir. Le scorbut et la dissenterie lui enlevèrent, pendant l'hiver, les trois quarts de ses premiers fondateurs. Quand les vaisseaux revinrent au printemps, vingt personnes avaient succombé à cette cruelle maladie. Le 7 juin 1609, Champlain, laissant pour commander à sa place le sieur Desmarais, alla rejoindre Pont-Gravé à Tadoussac. xxvii Ce n'était pas tout d'avoir fondé, à plus de cent lieues dans le fleuve, une frêle habitation qu'un souffle pouvait anéantir; il fallait étudier le pays, lier de nouvelles connaissances avec les tribus environnantes, sans l'amitié ou le concours desquelles tout essai d'établissement était absurde et impossible. C'est pourquoi, dès l'arrivée des vaisseaux, Champlain ne voulut rien entreprendre sans avoir l'avis de Pont-Gravé, dont il connaissait mieux que personne la longue expérience. Il fut résolu qu'il suivrait, avec une chaloupe de vingt hommes, les Montagnais et les nations alliées jusqu'au pays des Iroquois, tant pour les assister contre ces ennemis irréconciliables, que pour continuer les découvertes commencées. Les Montagnais ne manquèrent pas de représenter à Champlain, qu'on leur avait promis solennellement (dès 1603) du secours contre les Iroquois. En 1608, il en avait été empêché par les travaux qu'il fallait surveiller; mais, cette année, les Algonquins et les Hurons se joignirent aux Montagnais pour lui rappeler que Pont-Gravé et lui leur avaient témoigné, il n'y avait pas encore dix lunes, le désir de les assister dans une guerre regardée comme indispensable. C'était en effet le moment ou de se concilier ces nombreuses et puissantes tribus, ou de se les aliéner peut-être pour toujours. Champlain les suivit donc avec ses quelques xxviii français [12]. La petite armée remonta la rivière des Iroquois (ou de Sorel), et s'avança avec précaution jusqu'à une assez grande distance dans le lac qui depuis a toujours porté le nom de Champlain. [Note 12: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_ suppose à Champlain, dans cette expédition et les suivantes, des motifs qu'on ne prêterait pas même à un marchand honnête. «On ne sera pas étonné, dit-il, que l'intérêt des marchands l'ait détermine à s'armer contre ces barbares, si l'on considère ce qu'il raconte lui-même à l'occasion du vaisseau rochelois... qui se perdit, et _qui n'aurait pu être pris_, dit Champlain, _qu'avec la perte de nombre d'hommes_. Si, pour quelques pelleteries, on était résolu de verser le sang français, il n'est pas étonnant que, dans l'espérance de s'assurer le commerce de cette sorte de marchandise, Champlain n'ait pas craint de répandre le sang des sauvages.» Puis, au lieu de résumer impartialement ces deux expéditions, il n'en cite isolément que juste deux passages, qui, séparés du contexte, sont de nature À laisser croire au lecteur, que Champlain était allé à la guerre autant pour le plaisir cruel de répandre le sang, que pour remplir un devoir envers les nations alliées.--Nous avons relevé en son lieu (Édit. 1632, première partie, p. 239) l'injuste appréciation que cet auteur fait du passage dont il s'appuie. Qu'il nous suffise ici de faire une comparaison qui, suivant nous, ne manque pas de justesse. Le commandant de la _Canadienne_ est chargé de croiser dans le golfe tout l'été pour y protéger nos pêcheries; s'il attaque un vaisseau pris en flagrant délit, ou méprisant son droit et son autorité, dira-t-on qu'il Est prêt à verser le sang américain pour l'appât de quelques morues? Il est une chose, au reste, qu'on ne devrait pas oublier, quand il s'agit des premières tentatives d'établissement en Amérique: c'est que le commerce de la pêche et de la traite des pelleteries était alors le seul moyen de soutenir de pareilles entreprises. La France, à cette époque, ne s'occupait guère plus du Canada, que le Canada lui-même ne se préoccupe aujourd'hui de fonder une colonie à la baie d'Hudson; et, si l'on accorda des commissions à M. Chauvin, à M. de Chaste, à M. de Monts, c'est uniquement parce qu'ils le demandèrent.] Le soir du 29 juillet, sur les dix heures, on rencontra l'ennemi. Les Iroquois mirent à terre, et se barricadèrent de leur mieux, les alliés rangèrent leurs canots attachés les uns contre les autres, et gardèrent l'eau, à portée d'une flèche, jusqu'au lendemain matin. «La nuit se passa en danses et chansons, avec une infinité d'injures de part et d'autre.» Le jour venu, on prit terre, en cachant toujours soigneusement les français, pour ménager une surprise. Les Iroquois, au nombre de deux cents hommes forts et robustes, s'avancèrent avec assurance, au petit pas, trois des principaux chefs à leur tête. Les alliés, de leur côté, marchaient pareillement en bon ordre, ils comptaient avant tout sur l'effet foudroyant des armes à feu, dont les Iroquois n'avaient encore aucune idée. Champlain «leur xxix promit de faire ce qui serait en sa puissance, et de leur montrer, dans le combat, tout son courage et sa bonne volonté; qu'indubitablement ils les déferaient tous.» Quand les deux armées furent à la portée du trait, l'armée alliée ouvrit ses rangs. Champlain s'avança jusqu'à trente pas des ennemis, qui demeurèrent interdits à la vue d'un guerrier si étrange pour eux. Mais leur surprise fut au comble, quand, du premier coup d'arquebuse, ils virent tomber deux de leurs chefs, avec un autre de leurs compagnons grièvement blessé. Champlain n'avait pas encore rechargé, qu'un des français caché dans le bord du bois, tira un second coup, et les jeta dans une telle épouvante, qu'ils prirent la fuite en désordre. Les alliés firent dix à douze prisonniers, et n'eurent que quinze ou seize des leurs de blessés. M. de Monts avait écrit à Champlain toutes les difficultés que lui suscitaient les marchands bretons, basques, rochelois et normands; l'habitation, du reste, lui demeurait, par convention faite avec ses associés. Champlain crut donc à propos de repasser en France, et laissa à Québec, de l'avis de Pont-Gravé, «un honnête homme appelé le capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander en sa place.» La commission de M. de Monts venait d'être une seconde fois révoquée. Cependant, il ne se rebuta pas encore, le rapport que lui fit Champlain de ses nouvelles découvertes, et des heureuses dispositions des sauvages, l'engagea à ne point renoncer à un si noble dessein. «Il se délibéra d'aller à xxx Rouen trouver ses associés, les sieurs Collier et Legendre, pour aviser à ce qu'ils avaient à faire l'année suivante. Ils résolurent de continuer l'habitation, et parachever de découvrir dans le grand fleuve Saint-Laurent, suivant les promesses des Ochatéguins (ou Hurons), à la charge qu'on les assisterait en leurs guerres, comme on leur avait promis.» M. de Monts s'en retourna à Paris avec Champlain, et essaya d'obtenir privilège au moins pour les «nouvelles découvertes que l'on venait de faire, où personne auparavant n'avait encore traité; ce qu'il ne put gagner, quoique les demandes et propositions fussent justes et raisonnables. Il ne laissa pas pourtant de poursuivre son dessein, pour le désir qu'il avait que toutes choses réussissent au bien et honneur de la France.» Avant de repartir pour le Canada, Champlain voulut savoir de M. de Monts s'il n'était point d'avis qu'il hivernât à Québec; celui-ci remit le tout à sa discrétion. Il s'embarqua à Honfleur dès le 7 de mars 1610, «avec quelque nombre d'artisans.» Les Montagnais l'attendaient à Tadoussac, impatients de savoir s'il les accompagnerait dans une nouvelle campagne contre les Iroquois. Il les assura qu'on était toujours dans la disposition de leur prêter main-forte, pourvu que de leur côté ils tinssent la parole qu'ils lui avaient donnée, «de le mener découvrir les Trois-Rivières, jusqu'à une grande mer dont ils lui avaient parlé, pour revenir par le Saguenay à Tadoussac.» Ils répondirent qu'ils avaient encore cette volonté, mais que ce xxxi voyage ne pouvait se faire que l'année suivante. Ce retard Contrariait Champlain. «Toutefois, dit-il, j'avais deux cordes à mon arc, les Algonquins et les Ochatéguins m'ayant aussi promis de me faire voir leur pays, le grand lac, quelques mines de cuivre et autres choses, si je consentais à les aider dans leurs guerres.» Il monta donc aux Trois-Rivières, où étaient déjà rendus les Montagnais. Un parti d'Algonquins devait venir les rejoindre à la rivière des Iroquois. Cette fois, on trouva les ennemis fortifiés, et entourés d'une barricade «faite de puissants arbres arrangés les uns sur les autres en rond.» La résistance fut longue et vigoureuse. Champlain, dès le commencement du combat, fut blessé d'un coup de flèche, qui lui fendit le bout de l'oreille, et pénétra dans le cou, ce qui ne l'empêcha pas cependant «de faire le devoir.» Enfin nos guerriers, encouragés par un renfort que leur amena le brave Des Prairies, parvinrent à rompre la barricade, tout fut tué, ou noyé dans la rivière, à la réserve de quinze, qui furent faits prisonniers[13]. [Note 13: Qui croirait qu'un auteur s'est bien donné la peine de faire toute une dissertation pour prouver, ou du moins pour faire semblant de prouver, «comment on peut justifier Champlain du meurtre des Iroquois», dans ces deux premières expéditions?--Voir _Hist. de la Colonie française en Canada_, tome I, p. 138 et suiv.] Les Algonquins consentirent à emmener avec eux un jeune français, à condition que Champlain accepterait en échange un jeune sauvage, nommé Savignon, pour lui faire voir la France. Après avoir fait achever la palissade de l'habitation, Champlain, qui avait appris la nouvelle des troubles arrivés xxxii à Brouage, et de la mort du roi (Henri IV), se décida à repasser la mer encore cette année. Du Parc, qui avait déjà hiverné avec le capitaine Pierre Chavin, demeura commandant de la place. Toute sa garnison se composait de seize hommes. Dans les derniers jours de l'année 1610, Champlain, engagé depuis plus de dix ans dans de longs voyages ou des expéditions aventureuses, conclut une alliance qui semble avoir été ménagée par le concours de M. de Monts. «Le 27 décembre, il signa à Paris son contrat de mariage avec demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé, secrétaire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. A cet acte assistèrent, comme témoins, le sieur de Monts, qui portait encore le titre de lieutenant-général du roi, et plusieurs membres de sa compagnie qui avaient contribué à la fondation de Québec. Le mariage se fit probablement vers le commencement de l'année 1611. Hélène Boullé n'avait encore que douze ans, et elle avait été élevée dans le calvinisme, tandis que Champlain était parvenu à un âge mûr, et se faisait gloire d'être catholique sincère; cette union fut cependant heureuse. Il instruisit lui-même la jeune personne, et eut le bonheur de la convertir à la foi catholique, à laquelle elle demeura toujours fermement attachée pendant le reste de sa vie. A cause de son extrême jeunesse, elle demeura à Paris auprès de ses parents, et ce ne fut que dix ans plus tard qu'elle suivit son mari au Canada»[14]. [Note 14: Ferland, cours d'Hist. du Canada.--Voir Pièces justificatives, n. xxxi, et Chroniques de l'Ordre des Ursulines, Vie de madame de Champlain.] xxxiii Dès le premier mars 1611, Champlain et Pont-Gravé repartirent pour le Canada. La traversée fut longue et périlleuse. En approchant du Grand-Banc, le vaisseau se trouva enveloppé de brumes épaisses, au milieu d'énormes banquises de glaces. Nos voyageurs furent ainsi entre la mort et la vie pendant plus de deux mois, et n'arrivèrent à Tadoussac que le 13 de mai. A Québec, Du Parc et ses compagnons avaient passé un fort bon hiver, sans maladie, ni accident. Champlain se rendit immédiatement au Grand-Saut, où il arriva le 28, ramenant avec lui Savignon. Les Algonquins devaient y être rendus dès le 20, mais n'arrivèrent que le 13 de juin. Les traiteurs, qui, l'année précédente, étaient montés au-devant des sauvages, jusqu'au cap de la Victoire [15], se rendirent cette année (1611) jusqu'au Grand-Saut. Une des raisons qui les fit aller si loin, fut sans doute d'épargner à ceux qui descendaient à la traite les dangers d'un long voyage et les attaques des Iroquois; mais la rivalité des marchands était surtout ce qui les faisait courir à la rencontre de ces barbares, pour enlever plus tôt leurs riches pelleteries. [Note 15: Ainsi a-t-on désigné longtemps l'une des pointes voisines de Sorel du coté de l'ouest, et, par extension, les environs de Sorel. C'était apparemment en mémoire de la victoire de 1610, remportée à une Petite distance de l'entrée de la rivière.] En attendant l'arrivée des sauvages, Champlain s'occupa à faire une exploration plus complète des environs du Grand-Saut, «afin de trouver un lieu convenable pour la situation d'une habitation, et d'y préparer une place pour y xxxiv bâtir [16]. Je considérai, dit-il, fort particulièrement le pays; mais en tout ce que je vis, je ne trouvai point de lieu plus propre, qu'un petit endroit qui est jusques où les barques et chaloupes peuvent monter aisément, néanmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant d'eau; car, plus haut que le dit lieu (qu'avons nommé la Place-Royale), y a quantité de petits rochers, et basses qui sont fort dangereuses... Ayant donc reconnu fort particulièrement et trouvé ce lieu un des plus beaux qui fût en cette rivière, je fis aussitôt couper et défricher le bois de la dite Place-Royale, pour la rendre unie et prête à y bâtir.» [Note 16: Édit. 1613, p. 242.] Sans paraître regretter sa fondation première, Champlain prévoyait le moment où il deviendrait nécessaire d'établir de nouvelles habitations; et, en désignant d'avance l'emplacement de la florissante ville de Montréal, il ne montra pas moins de sagesse et de hauteur de vue que dans son premier choix. Malheureusement, l'état de dénuement dans lequel on le laissa pendant plus de vingt ans, ne lui permit pas de réaliser toute la grandeur de ses projets. L'affection et la confiance que lui témoignèrent, cette année, tous les sauvages qui vinrent à la traite, est une preuve frappante que la conduite qu'il avait tenue, était en effet le vrai moyen de s'attacher ces nations, et par suite de les amener insensiblement à la connaissance de l'évangile, et à la lumière de la civilisation. Aussitôt arrivé en France, Champlain se hâta d'aller trouver xxxv M de Monts, pour lui faire connaître les belles espérances qu'on pouvait se promettre des Algonquins et des Hurons, pourvu qu'on leur prêtât du secours dans leurs guerres, comme il leur avait été promis. Mais les associés, fatigués des dépenses, ne voulurent plus continuer l'association, parce que, sans privilège, le commerce devenait ruineux. «M. de Monts convint alors avec eux de ce qui restait en l'habitation de Québec, moyennant une somme de deniers qu'il leur donna pour la part qu'ils y avaient, et envoya quelques hommes pour la conservation de la place, en attendant qu'il pût obtenir une commission. Mais des affaires de conséquence lui firent abandonner sa poursuite,» et il remit la chose entre les mains de Champlain. Sur ces entrefaites, arrivèrent les vaisseaux de la Nouvelle-France (1612). Ils rapportèrent que les sauvages, cette année, étaient descendus au saut Saint-Louis au nombre de plus de deux cents, avec l'espérance d'y rencontrer l'auteur; qu'ils avaient paru fort contrariés de ne pas l'y voir, après les espérances qu'il leur avait données. On les avait assurés qu'il tiendrait sa promesse, et reviendrait l'année suivante, ce qu'il fit en effet. Mais certains traiteurs, poussés par la jalousie et l'esprit de lucre, ne manquèrent pas de profiter de cette circonstance, pour faire courir de faux bruits, et allèrent jusqu'à assurer à ces peuples que Champlain était mort, et qu'ils ne devaient plus compter sur son retour. Champlain, cependant, travaillait activement à remédier à xxxvi tous ces désordres. Il jugea que le plus sûr moyen de faire réussir une entreprise qui intéressait l'honneur de la religion et de la France, était de mettre la nouvelle colonie sous la protection de quelque personnage d'influence, et s'adressa au comte de Soissons, «prince pieux et affectionné en toutes saintes entreprises, lui remontrant l'importance de l'affaire, les moyens de la régler, et la ruine totale dont elle était menacée au grand déshonneur du nom français, si Dieu ne suscitait quelqu'un qui la voulût relever. Le comte promit, sous le bon plaisir du roi, d'en prendre la protection.» Champlain présenta, en conséquence, une requête au roi et à son conseil; et obtint que le comte de Soissons serait nommé gouverneur et lieutenant-général de la Nouvelle-France. Celui-ci reçut ses lettres de commission en date du 8 octobre 1612[17], et, le 15 du même mois, l'auteur était nommé son lieutenant. Malheureusement, le comte de Soissons mourut quelques jours après, et le prince de Condé, qui lui succéda, était trop impliqué dans les troubles politiques, pour être bien utile à l'avancement de la colonie. [Note 17: Moreau de Saint-Méry, Lettres du duc d'Anville. (Voir Édit. 1613, p. 285, note I.)] De nouvelles difficultés, suscitées «par quelques brouillons, qui n'avaient cependant aucun intérêt en l'affaire,» retardèrent tellement la publication du privilège et des règlements de la nouvelle association, qu'il fut impossible à Champlain de rien faire encore cette année (1613) pour l'habitation de Québec, «dans laquelle il xxxvii désirait mettre des ouvriers pour la réparer et l'augmenter.» De sorte, qu'il fallut, pour le moment, se contenter de passeports, que le prince donna pour quatre vaisseaux prêts à faire voile, lesquels s'engageaient à fournir chacun quatre hommes pour la continuation des découvertes. Le voyage de 1613 fut pour l'auteur une déception, quoiqu'il n'ait pas été un des moins utiles. Champlain eut un moment l'espoir de trouver enfin le fameux passage du Nord-Ouest tant cherché par tous les navigateurs. Un de ceux qui étaient retournés du Canada en 1612, nommé Nicolas de Vignau, lui assura que le lac où l'Outaouais prenait sa source, se déchargeait dans la mer du Nord, sur le rivage de laquelle il disait avoir vu de ses propres yeux les débris d'un vaisseau et les chevelures de quatre-vingts anglais qui formaient l'équipage. Ce récit paraissait d'autant plus vraisemblable, que les Anglais avaient tout récemment poussé leurs courses aventureuses jusque dans les profondeurs de la baie d'Hudson. Le chancelier de Sillery, le maréchal de Brissac, le président Jeannin et autres personnes graves, furent d'avis que Champlain ne devait pas négliger de voir la chose en personne. Il partit donc de l'île Sainte-Hélène le 27 de mai 1613 avec quatre français et un sauvage, et remonta l'Outaouais jusqu'à la résidence de Tessouat, chef des Algonquins de l'isle, c'est-à-dire jusqu'à l'île des Allumettes. Tessouat, qui avait déjà fait la connaissance de l'auteur les années xxxviii précédentes, reçut cette visite inattendue et inespérée avec toutes les marques de la plus vive satisfaction. Il prépara un grand festin, pour souhaiter la bienvenue à ces hôtes extraordinaires. Tous les principaux chefs devaient s'y trouver, et là Champlain leur ferait connaître ses intentions et le but de son voyage. Le repas fini, il fallut, suivant la coutume, fumer le calumet pendant une demi-heure, après quoi, Champlain leur exposa, qu'il était venu d'abord pour les visiter et lier avec eux une amitié encore plus durable, mais aussi pour leur demander ce qu'ils lui avaient déjà promis, c'est-à-dire, de lui faciliter le voyage de la mer du Nord, que de Vignau prétendait avoir vue l'année précédente. De Vignau, qui n'avait jamais été plus loin que la cabane de Tessouat, ne pouvait plus échapper à une conviction des plus humiliantes et des plus terribles. Tessouat et les autres capitaines, indignés d'une si impudente imposture, s'écrièrent «qu'il le fallait faire mourir, ou qu'il dît celui avec lequel il y avait été, et qu'il déclarât les lacs, rivières et chemins par lesquels il avait passé.» De Vignau n'avait garde d'accepter un pareil défi, il avait toujours compté que les difficultés incroyables d'un pareil voyage effraieraient Champlain, où qu'enfin quelque obstacle insurmontable finirait par lasser son courage, et qu'ainsi, après avoir fait sans dépense le voyage du Canada, il n'en toucherait pas moins la récompense promise à sa prétendue découverte. xxxix «Après avoir songé à lui,» il se jeta à genoux aux pieds de Champlain, et demanda son pardon. «Ainsi transporté de colère, dit l'auteur, je le fis retirer, ne le pouvant plus endurer devant moi.» Les Algonquins voulaient absolument en faire bonne justice, et, si Champlain ne leur eût défendu de lui faire aucun mal, ils l'eussent infailliblement mis en pièces. Cette expédition, quoique manquée dans son objet principal, eut néanmoins un excellent résultat. Tous ces peuples, l'année précédente, avaient été si mécontents des traiteurs, qu'ils avaient pris la résolution de ne plus descendre; et il fallut tout l'ascendant que Champlain avait sur eux pour les ramener à de meilleures dispositions. De retour en France, Champlain s'occupa de mener à bonne fin les négociations qui n'avaient pu se terminer avant le départ des vaisseaux, et réussit enfin à former une puissante compagnie, qui devait se composer des marchands de Saint-Malo, de Rouen et de la Rochelle; mais les Rochelois furent si longtemps à accepter les conditions, qu'on les laissa de côté; les Normands et les Bretons «prirent l'affaire moitié par moitié.» A peine cette société des marchands était-elle formée, que quelques malouins incommodes, fâchés de ne s'être pas présentés à temps, et ne pouvant contester les droits de la compagnie, eurent l'adresse de faire insérer «au cahier général des états» un article demandant que la traite fût libre pour toute la province. Champlain, voyant encore sur le point d'échouer un projet qui semblait promettre un xl meilleur avenir à sa chère colonie, alla trouver le prince de Condé, et lui représenta l'intérêt qu'il avait à ne point laisser annuler un privilège aussi nécessaire. Il plaida si bien la cause, que la société fut maintenue dans ses droits. Non content d'assurer le progrès matériel de la Nouvelle-France, Champlain s'occupait en même temps à lui procurer un bien encore plus précieux que tous les avantages temporels. Le spectacle de tant de peuples sans foi, ni loi, sans dieu et sans religion, comme il avait pu le constater dans tous ses voyages, avaient excité dans son âme une immense compassion pour ces pauvres et malheureux infidèles. «Je jugeai à part moi, dit-il, que ce serait faire une grande faute, si je ne m'employais à leur préparer quelque moyen pour les faire venir à la connaissance de Dieu.» Ce qui l'avait empêché jusque-là d'exécuter ce saint projet, «c'est qu'il fallait faire une dépense qui eût excédé ses moyens», et il comprenait mieux que personne la difficulté de pourvoir aux frais et à l'entretien d'une mission, surtout avec une compagnie dont plusieurs des membres étaient calvinistes. Ayant eu occasion de s'en ouvrir à plusieurs, et entre autres au sieur Houel, celui-ci lui suggéra de s'adressa aux Récollets, lui promettant son appui et toute l'influence qu'il pouvait avoir auprès du provincial, le P. du Verger. Afin de faciliter cette bonne oeuvre, Champlain alla lui-même trouver les cardinaux et les évêques qui s'étaient rendus à Paris pour la tenue des états généraux, et réussit à recueillir une somme de près de quinze cents livres pour l'achat des choses les plus nécessaires. xli Toute l'année 1614 fut ainsi employée à consolider les règlements de la compagnie des marchands, et à préparer les voies aux missionnaires. Enfin, au printemps de 1615, Champlain repartit de France avec quatre religieux récollets: le P. Denis Jamay, commissaire, le P. Jean Dolbeau, le P. Joseph le Caron et un frère, nommé Pacifique du Plessis. Ils arrivèrent à Tadoussac le 25 de mai. Aussitôt que les barques furent prêtes, Champlain se rendit à Québec, où, de concert avec le P. Dolbeau, il détermina l'emplacement de la première église du pays, et du logement des Pères qui devaient la desservir. L'habitation occupait tout le milieu de la pointe de Québec, c'est-à-dire, le terrain renfermé entre la Place et les rues Notre-Dame, Sous-le-Fort et Saint-Pierre. Impossible de loger une chapelle dans l'enceinte; elle contenait déjà le magasin, trois corps de logis et quelques petites dépendances, et la plus petite bâtisse eût complètement absorbé tout l'espace qui servait de cour intérieure. Du côté du fleuve, il ne restait guères que la largeur de la rue Saint-Pierre, en arrière il fallait laisser un passage. Enfin du côté du Saut-au-Matelot, il n'y avait qu'une petite lisière de terre qui venait mourir au pied de la côte actuelle de la basse ville, une chapelle, placée de ce côté eût obstrué les défenses de la place, sans compter qu'elle eût été sérieusement exposée à nos trop fréquentes tempêtes de nord-est. Il n'y avait donc qu'un seul endroit convenable; Panse du Cul-de-Sac, dans le voisinage du jardin xlii de Champlain, offrait un assez joli fonds, retiré et solitaire, comme il convient à la maison de Dieu. Moins d'un mois après, le 25 de juin 1615, le P. Dolbeau y disait la première messe, et les offices continuèrent à s'y célébrer régulièrement tous les dimanches. Cette année enfin, après tant de retards et de désappointements, Champlain put réaliser et compléter ce qu'il n'avait pour ainsi dire qu'ébauché en 1613, l'exploration des pays de l'ouest, et un commencement de colonie chez les Hurons. Toutes ces entreprises, cependant, ne pouvaient être menées à bonne fin, que par le moyen et le concours des nations indigènes. Cette année, plus que jamais, les sauvages descendus à la traite, représentèrent vivement à Champlain, que, si on ne leur prêtait un secours efficace, il devenait de plus en plus impossible de quitter leur pays, pour venir de si loin s'exposer aux embûches que leur tendaient continuellement les Iroquois. «Sur quoi, dit l'auteur, le sieur du Pont et moi avisâmes qu'il était très-nécessaire de les assister, tant pour les obliger davantage à nous aimer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises et découvertures, qui ne se pouvaient faire en apparence que par leur moyen, et aussi que cela leur serait comme un acheminement et préparation pour venir au christianisme [18].» [Note 18: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_ a bien soin de tronquer ce texte, et d'en retrancher ce qui non-seulement justifie Champlain, mais encore est tout à sa louange. On conçoit qu'avec de pareils moyens, il est facile de tirer des conclusions comme celle-ci: «Cette campagne avait été entreprise pour un motif d'intérêt particulier, et elle tourna au grand désavantage de la religion et à celui de la France» (t. I, p. 141); et cela, suivant le même auteur, parce que «les Français étaient allés attaquer les Iroquois avec des armes à feu, incendier leur village» (jusqu'alors aucun village iroquois n'avait été incendié), «et répandre le sang des Iroquois, sans que ceux-ci leur eussent jamais fait aucun mal ni donné quelque juste sujet de plainte.» L'injustice de cette remarque est trop palpable, pour qu'il soit nécessaire de la réfuter.] xliii Le chemin à suivre pour éviter les embûches des Iroquois, était excessivement long et pénible. Il fallait remonter l'Outaouais avec ses rapides, passer par le lac Nipissing, pour prendre ensuite le cours de la rivière des Français. Le pays des Hurons était, comme on sait, situé au fond de la baie Géorgienne, à l'ouest du lac Simcoe. Champlain rejoignit au pays des Hurons les quelques français qui étaient partis un peu auparavant avec le P. le Caron. Pendant les longs préparatifs de l'expédition projetée contre les Iroquois, il parcourut toutes les bourgades huronnes, observant attentivement les beautés du pays et les moeurs et coutumes des habitants. L'armée partit de Cahiagué le premier de septembre, et prit la direction de la rivière Trent et de la baie de Quinte. Quand on eut traversé le lac des Entouoronon (le lac Ontario), on cacha soigneusement les canots. Après avoir fait, à travers le pays des Iroquois, environ une trentaine de lieues, les alliés arrivèrent enfin devant le fort des ennemis. Un corps de cinq cents guerriers carantouanais qui devait venir faire diversion par un autre côté, n'arriva que plusieurs jours après le temps convenu. L'attaque eut lieu cependant; mais les sauvages se ruèrent sur le fort sans aucun ordre, et Champlain ne put jamais réussir à se faire entendre dans la chaleur du combat; ce premier assaut fut inutile. xliv Le soir, dans un conseil, Champlain proposa de construire, pour le lendemain, un cavalier, du haut duquel les arquebusiers français auraient plus d'avantage à tirer, et une espèce de mantelet pour protéger les assaillants contre les flèches et les pierres lancées de dessus les palissades. Quelques-uns voulaient qu'on attendît le renfort des Carantouanais; mais l'auteur, voyant que l'armée alliée était assez forte pour emporter la place, craignant d'ailleurs qu'un retard ne donnât aux ennemis le temps de se fortifier davantage, fut d'avis qu'on livrât de suite un second assaut. L'indiscipline des sauvages fit tout manquer; il fallut songer à la retraite. Champlain avait reçu deux blessures à la jambe et au genou. Quand les alliés furent de retour au lac Ontario, Champlain demanda qu'on le reconduisît à Québec. Mais les Hurons, qui avaient intérêt à le garder avec eux, firent en sorte qu'il n'y eût point de canot disponible; et il dut se résigner à passer l'hiver en leur pays. L'armée fut de retour à Cahiagué dans les derniers jours de décembre. Champlain, après s'être reposé quelques jours chez son hôte Darontal (ou Atironta), se rendit à Carhagouha pour y revoir le P. le Caron. Ils partirent tous deux ensemble le 15 février, et allèrent visiter la nation du Petun (les Tionnontatés), qui demeuraient plus au sud-ouest. De là, ils poussèrent jusqu'au pays des Andatahouat ou Cheveux-Relevés, et, si on ne les en eût détournés, ils voulaient se rendre jusqu'à la nation Neutre (les Attiouandaronk). xlv Enfin, le printemps venu, Champlain, se fit reconduire à Québec, où l'on était fort inquiet sur son sort. Avant le départ des vaisseaux, il fit agrandir l'habitation de plus d'un tiers, et en augmenta les fortifications. «Nous fîmes, dit-il, le tout bien bâtir de chaux et sable, y en ayant trouvé de très-bonne en un lieu proche de la dite habitation.»[19] [Note 19: Il est probable que le fourneau dont on se servit pour cuire la chaux à cette époque, est le même que celui dont fait mention un acte de concession du 20 septembre 1649 (Acte de conc. à Dame Gagner). Ce fourneau paraît avoir été situé entre l'ancien cimetière et le terrain actuel de la Chambre d'Assemblée.] Le prince de Condé venait d'être arrêté, le premier de Septembre 1616. Champlain se douta bien que les ennemis de la société profiteraient de sa détention, pour exciter de nouveaux troubles et faire annuler la commission. Il ne cessait de remontrer aux marchands, que, si l'on ne prenait les moyens d'augmenter et de fortifier Québec, la traite finirait par leur être enlevée de force. Les associés objectaient, que les dépenses annuelles étaient énormes, et que, dans un moment de trouble comme on était alors en France, la compagnie, d'une année à l'autre, pouvait avoir le même sort que celle de M. de Monts, et qu'ils en seraient pour leurs frais. Champlain leur représenta que les circonstances étaient bien changées: M. de Monts n'était qu'un simple «gentilhomme, qui n'avait pas assez d'autorité pour se maintenir en cour contre l'envie, dans le conseil de Sa Majesté, mais que maintenant ils avaient pour protecteur et vice-roi du pays un prince qui les pouvait protéger envers et contre tous sous le bon plaisir du roi.» xlvi Deux années se passèrent, sans qu'il se fît beaucoup de progrès. En 1617 et en 1618, Champlain revint au Canada. Mais le manque de secours laissait toujours l'habitation dans le même état de langueur. A force de persévérance, il obtint enfin, pour l'année 1619, quelques munitions de guerre, et des provisions de bouche; la compagnie s'engageait à envoyer quatre-vingts personnes, «y compris le chef, trois pères récollets, commis, officiers, ouvriers et laboureurs.» L'année 1619 s'écoula, et, de toutes ces promesses de secours et d'hommes, aucune ne fut tenue. Cependant, on se plaignait partout de la compagnie, qui, jouissant d'un privilège fort avantageux, ne remplissait point ses engagements envers la colonie. D'une autre part, la concorde était loin de régner parmi les associés. Les huguenots avaient à coeur de ne pas voir la religion catholique s'enraciner dans le Canada; tandis que les catholiques se réjouissaient des efforts qu'on faisait pour l'y établir. De là naissaient des divisions et des procès; chaque parti se défiait de l'autre, et entretenait son commis particulier, chargé d'examiner tout ce qui se passait à Tadoussac et à Québec [20]. [Note 20: Ferland, Cours d'Hist, du Canada.] Franc, loyal et honnête, Champlain ne leur ménageait aucun reproche, au sujet de leur conduite. Aussi voulurent-ils se délivrer d'un censeur incommode, en l'obligeant à s'occuper de découvertes, pendant que Pont-Gravé resterait à Québec, revêtu du commandement, et chargé de la traite. Ils xlvii espéraient que ce dernier serait plus souple et plus traitable. Champlain leur répondit que, comme lieutenant-général du vice-roi, il avait l'autorité sur tous les hommes de l'habitation; qu'il l'exerçait partout, excepté dans leur magasin, où était placé leur premier commis; que le sieur de Pont-Gravé était son ami, qu'il le respectait comme son père, à cause de son âge, mais qu'il ne lui céderait jamais aucun de ses droits[21]; «qu'il n'entendait faire le voyage qu'avec la même autorité qu'il avait eue auparavant, autrement, qu'il protestait tous dépens, dommages et intérêts contre eux, à cause de son retardement.» [Note 21: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.] La-dessus, il leur présenta une lettre dans laquelle le roi insistait sur l'exécution de ce qu'ils avaient promis, et leur marquait sa volonté expresse que la compagnie fournît à Champlain ce qui lui serait nécessaire, tant pour l'habitation, que pour les découvertes. Les marchands s'obstinèrent, et Champlain, qui s'était préparé à passer au Canada avec sa famille, se vit contraint de retourner à Paris, après avoir fait sa protestation. «Nous voilà à chicaner,» dit-il; et, avec son activité et son énergie ordinaires, il se rend à Tours, pour y suivre l'affaire devant le conseil. «Après avoir bien débattu, ajoute-t-il, j'obtiens un arrêt de messieurs du conseil, par lequel il était dit que je commanderais tant à Québec, qu'autres lieux de la Nouvelle-France, et défenses aux xlviii associés de me troubler ni empêcher en la fonction de ma charge; lequel arrêt je leur fais signifier en pleine bourse de Rouen.» Le prince de Condé ne pouvait guère s'occuper de la Nouvelle-France; il céda facilement tous ses titres au duc de Montmorency. Champlain, qui avait contribué à cette transaction [22], fut nommé son lieutenant, et se disposa à partir avec sa famille (1620). La compagnie, voyant ce changement d'un mauvais oeil, suscita encore de nouvelles tracasseries au sujet des pouvoirs qu'il devait exercer. Mais il n'eut qu'un mot à écrire au nouveau vice-roi; les associés reçurent un ordre formel et absolu du roi, de se désister de leurs poursuites. [Note 22: Édit. 1632, première partie, p. 327.] Champlain partit enfin vers le 8 de mai, et arriva au moulin Baudé, après une traverse de deux mois. Son beau-frère, Eustache Boullé, fut agréablement surpris et étonné de voir que sa soeur avait eu le courage de braver les fureurs de l'Océan, pour venir se fixer dans un pays encore sauvage et dénué de tout. Le 11 juillet, Champlain partit de Tadoussac pour monter à Québec, où, en arrivant, il «se rendit à la chapelle, pour y rendre grâces à Dieu de l'avoir préservé, lui et sa famille, de tous les dangers d'un si long et si pénible voyage.» Le lendemain, après la messe, un des Pères fit une exhortation de circonstance, et, au sortir de la chapelle, on lut publiquement les lettres de commission royale, et celles du vice-roi. Chacun cria: _Vive le roi_; le canon fut tiré en signe d'allégresse, «et ainsi, dit Champlain, je pris xlix possession de l'habitation et du pays au nom de mon dit seigneur le vice-roi.» Champlain trouva de quoi exercer son zèle. «Je trouvai, dit-il, cette pauvre habitation si désolée et ruinée, qu'elle me faisait pitié. Il y pleuvait de toutes parts, l'air entrait par toutes les jointures du plancher; le magasin s'en allait tomber, la cour si sale et orde, que tout cela semblait une pauvre maison abandonnée aux champs où les soldats avaient passé.» En peu de temps, néanmoins, tout fut réparé, grâce à la diligence qu'il y mit. Un de ses premiers soins fut ensuite de faire commencer, sur le coteau qui dominait l'habitation, un petit fort, qu'il jugea plus que jamais nécessaire «pour éviter aux dangers qui peuvent advenir en un pays éloigné presque de tout secours. J'établis, dit-il, cette demeure en une situation très-bonne, sur une montagne qui commandait sur le travers du fleuve Saint-Laurent, qui est un des lieux des plus étroits de la rivière. Cette maison ainsi bâtie ne plaisait point à nos associés; mais pour cela il ne faut pas que je laisse d'effectuer le commandement de Mgr le Vice-roi; et ceci est le vrai moyen de ne point recevoir d'affront.» Le duc de Montmorency, voyant avec peine la mauvaise volonté de la compagnie des marchands, avait résolu de mettre un terme à un état de choses si préjudiciable aux intérêts de la colonie. Au printemps de 1621, on apprit, par le premier vaisseau, qu'il avait formé une compagnie nouvelle. M. Dolu, intendant des affaires du pays, fut chargé d'expédier à l Champlain copie des nouvelles commissions, pour le prévenir que le vice-roi avait remis entre les mains des sieurs de Caen la gestion de tout ce qui regardait la traite, et que c'était son désir qu'il ne se fît aucune innovation avant son arrivée. Malheureusement, le vaisseau de M. de Caen ne paraissait point. Les commis de l'ancienne société n'étaient pas d'humeur à lâcher prise si facilement, à moins que Champlain n'exhibât des ordres du roi; ce qu'il ne pouvait faire pour le moment. L'arrivée de Pont-Gravé et de plusieurs des anciens commis vint encore rendre la position plus critique. Il fallait agir avec une grande circonspection. Le petit fort que Champlain venait de commencer et qu'il se hâta de terminer de son mieux, fut en ce moment le salut de la patrie. Il y mit Dumais et son beau-frère avec seize hommes, et y jeta les armes et provisions nécessaires. «En cette façon, dit-il, nous pouvions parler à cheval.» Lui-même se chargea de la garde de l'habitation. Les commis de l'ancienne société furent contraints d'accepter un compromis, et d'attendre que M. de Caen fût arrivé. Enfin, après des allées et venues et des pourparlers qui durèrent jusqu'au mois d'août, Champlain, secondé par le P. George le Baillif, vint à bout de faire la paix entre les deux partis. Les habitants de Québec, alarmés d'un état de choses si déplorable, se réunirent dans une assemblée publique, Champlain à leur tête, pour signer et adresser au roi une humble pétition, afin que Sa Majesté voulût bien mettre un terme aux funestes divisions qui menaçaient de ruiner tout li le pays. Champlain ne pouvant s'absenter sans inconvénient et pour sa famille et pour l'intérêt de tous, on choisit pour cette mission le P. Georges le Baillif. Ce sage religieux vint à bout d'obtenir les principaux articles de son «cahier,» et un arrêt du conseil d'état réunit les deux compagnies en une seule (1622). Pendant les quatre ans que Champlain passa à Québec avec sa famille, son occupation principale fut de faire travailler à l'habitation, au fort et au château Saint-Louis; il saisit en même temps toutes les occasions de faire avec les Montagnais une alliance de plus en plus étroite. Un des moyens qui lui parût le plus propre à atteindre ce but, fut de conférer à quelqu'un de leurs capitaines certaines faveurs ou certains grades qui devaient naturellement les attacher aux Français. Le capitaine Miristou fut le premier à qui l'on accorda cet honneur. Il prit à cette occasion le nom de Mahigan-Atic (loup-cerf), pour donner à entendre, que, doux comme le cerf, il saurait, quand il serait nécessaire, avoir le courage et même la fureur du loup. Champlain, en 1624, se décida à reconduire sa femme en France. Accoutumée aux douceurs de la vie de Paris, elle avait dû souffrir beaucoup de la privation des choses considérées comme indispensables à son état. Son mari et son frère étant fort souvent absents, elle se trouvait ainsi exposée à bien des ennuis. lii L'année 1624 fut une époque d'améliorations pour Québec: Champlain ouvrit un chemin commode, conduisant du magasin au fort Saint-Louis sur la hauteur, afin de remplacer le sentier étroit et difficile dont on s'était servi jusqu'alors. Les ouvriers continuaient en même temps les travaux du fort. Reconnaissant le mauvais état de l'habitation, et désespérant de la pouvoir réparer convenablement, il entreprit d'en bâtir une nouvelle. Vers les premiers jours du mois de mai, il fit abattre tous les vieux bâtiments, à l'exception du magasin, et les fondations furent posées. Pour conserver la mémoire de cette reconstruction, l'on enfouit une pierre sur laquelle, étaient gravées les armes du roi, ainsi que celles du vice-roi, avec la date et le nom de Champlain, lieutenant du duc de Montmorency. Ces bâtiments devaient consister en un corps de logis, long de cent huit pieds, avec deux ailes de soixante pieds, et quatre petites tours aux quatre angles de l'édifice. Devant l'habitation et au bord du fleuve, était un ravelin, sur lequel on disposa des pièces de canon, le tout était environné de fossés, que traversaient des ponts-lévis[23]. [Note 23: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.] Le sieur Émeric de Caen demeura à Québec pour y commander. Champlain en partit le 15 août, et arriva à Dieppe le premier octobre. Il se rendit de là à Paris, afin de donner au roi et à M. de Montmorency des détails sur ce qui s'était passé dans la Nouvelle-France depuis quatre ans. De nouvelles contestations entre les anciens et les nouveaux associés achevèrent de dégoûter le duc de Montmorency de sa liii charge de vice-roi, «qui lui rompait plus la tête, que ses affaires plus importantes.» Il la céda à son neveu Henri de Lévis, duc de Ventadour. Celui-ci continua Champlain dans sa charge de lieutenant, et lui en expédia les lettres le 13 février 1625. Le nouveau vice-roi, plein de zèle pour les intérêts de la colonie et pour l'avancement des missions, voulut d'abord que Champlain demeurât cette année auprès de lui pour l'instruire plus particulièrement des besoins du pays dorénavant soumis à sa juridiction, puis il encouragea de toutes ses forces le projet qui venait de se former, d'envoyer des missionnaires jésuites au Canada, pour venir en aide aux premiers missionnaires, les Récollets. M. de Caen fut chargé du voyage de 1625. A son retour, il y eut contre lui des récriminations graves, qui entraînèrent un procès. Il sut néanmoins se tirer d'affaire assez bien, l'arrêt du conseil lui alloua «trente-six pour cent d'intérêt sur un fonds de soixante mille livres, mais à condition qu'il exécuterait tous les articles auxquels la société s'était obligée envers le roi; qu'il donnerait caution dans trois jours, et nommerait un catholique au commandement de la flotte du Canada.» Le printemps venu, M. de Caen ne s'étant pas conformé aux décisions de la cour, les anciens associés le protestèrent. Il les appelle une seconde fois devant le conseil, et un nouvel arrêt lui accorde encore gain de cause, à condition toutefois qu'il donnera caution dans Paris, et qu'il nommera, en l'absence du vice-roi, un amiral catholique, lui-même ne devant point faire le voyage. liv Les vaisseaux appareillèrent à Dieppe. Champlain s'y embarqua, avec le sieur Destouches et son beau-frère, nommé son lieutenant, à bord de la _Catherine_, vaisseau de cent cinquante tonneaux. Émeric de Caen était vice-amiral, et commandait la _Flèque_. Champlain n'arriva à Québec que le 5 de juillet. Tous les _hivernants_ se portaient bien, même Pont-Gravé, qui avait pensé mourir de la goutte pendant l'hiver. Quoiqu'il eût, avant son départ, laissé «nombre de matériaux prêts,» il ne trouva pas les logements si avancés qu'il se l'était promis. Le fort était encore au point où il l'avait quitté en 1624; le château, qui renfermait quelques ménages, n'avait pas été terminé, quoiqu'il y eût du bois d'assemblé depuis deux ans. Une des raisons qui retardaient les travaux du fort et de l'habitation, c'est que les ouvriers étaient employés, «aux plus beaux et longs jours de l'année,» à l'entretien du bétail. Il fallait aller faire les foins à près de dix lieues de Québec, aux prairies naturelles du cap Tourmente, ce qui prenait quelquefois jusqu'à deux mois et demi. Pour obvier à cet inconvénient, Champlain établit une habitation auprès du Petit-Cap, au lieu même où sont aujourd'hui les bâtisses de la Petite-Ferme. Comme on était déjà au mois de juillet, il employa tous les ouvriers à y construire deux logis et une étable de soixante pieds de long. A partir de ce moment, le soin des bestiaux ne demandait plus que lv quelques personnes. Au mois de septembre, Champlain y envoya le sieur Foucher avec cinq ou six hommes, une femme et une petite fille. Considérant, d'un autre côté, que le fort de Québec «était bien petit, pour y retirer, dans un besoin, tous les habitants de la place, il résolut de l'abattre et de l'agrandir; ce que je fis, dit-il, jusqu'au pied, pour suivre mieux le dessein que j'avais; auquel j'employai quelques hommes qui y mirent toute sorte de soin.» Il y ménagea, «selon l'assiette du lieu, deux petits demi-bastions bien flanqués. La ruine du petit fort servit en partie à refaire le plus grand.» Il se composait de fascines, et de terrassements, en attendant un jour qu'on le fît revêtir de murailles. Après les travaux du fort, les logements de l'habitation et le magasin réclamaient la plus large part de son attention. Il fit couvrir la moitié du grand corps de logis, commencé depuis si longtemps, et faire quelques menues réparations. L'hiver de 1626 à 1627 fut un des plus longs que l'auteur eût passés dans le pays, et il fut marqué par la perte du premier habitant de Québec, Louis Hébert, qui mourut des suites d'une chute. Pendant ce même hiver, quelque nation voisine des établissements Flamands, à laquelle les Iroquois avaient tué vingt-quatre hommes (sans compter cinq flamands), parce qu'elle n'avait pas voulu leur donner passage pour aller faire la guerre aux Loups, offrirent des présents considérables aux sauvages alliés pour les engager dans une grande coalition contre ces ennemis implacables. Plusieurs lvi chefs montagnais, algonquins et autres les avaient acceptés, et l'on était sur le point de rassembler les forces suffisantes. Champlain en témoigna son mécontentement à Mahigan-Atic, qui lui fit part de ce projet. Il lui dit qu'il lui savait bon gré de son avis, mais qu'il trouvait fort mauvais que le Réconcilié et autres chefs eussent accepté ces présents, et se fussent engagés dans cette guerre sans l'en prévenir, vu qu'il s'était lui-même entremêlé de faire la paix pour eux avec les Iroquois, qu'ils allaient rompre un traité qu'on avait eu tant de peine à conclure, juste au moment où l'on commençait à en ressentir les heureux effets, et qu'il regarderait comme ses ennemis tous ceux qui prendraient part à cette malheureuse expédition. Mahigan-Atic comprit qu'ils avaient fait une grande faute, et il conseilla d'envoyer quelqu'un aux Trois-Rivières pour arrêter le coup. Champlain chargea son beau-frère de cette mission délicate. Boullé était digne de cette confiance; il réussit à convaincre les sauvages de l'imprudence de leur démarche, et il fut convenu qu'on ne ferait rien jusqu'à ce que tous les vaisseaux fussent arrivés, et que les autres nations qui devaient descendre fussent toutes assemblées. Aussitôt qu'Émeric de Caen fut prêt à monter à la traite, Champlain lui recommanda de faire tous ses efforts pour achever l'oeuvre de pacification si bien commencée. «Mais, ajoute l'auteur, il ne sut tant faire, ni tous les sauvages qui étaient là, que neuf ou dix jeunes hommes écervelés n'entreprissent d'aller à la guerre.» Ils revinrent avec lvii deux iroquois, que l'on fit passer par tous les tourments ordinaires. Voilà la paix rompue. Émeric de Caen crut devoir en écrire aussitôt à Champlain, lui mandant que sa présence était nécessaire pour arrêter ces désordres, et en prévenir les fâcheuses conséquences. Celui-ci partit sur le champ avec Mahigan-Atic. Dès qu'il y fut arrivé, on assembla un grand conseil. Champlain leur représenta qu'ils venaient de faire, en compromettant ainsi la paix, une démarche qui pourrait leur coûter bien cher, si l'on n'y trouvait quelque remède. Il se ferait un devoir de les assister en frère, comme il l'avait déjà fait, lorsque les Iroquois leur feraient la guerre mal à propos; mais il ne pouvait approuver qu'on allât ainsi les attaquer en pleine paix sans qu'ils eussent rien entrepris contre eux. Après que chaque capitaine eut fait sa harangue, il fut résolu, d'un consentement unanime, que l'on renverrait l'un des prisonniers, avec le Réconcilié et deux autres sauvages, et, «afin de mieux faire valoir leur ambassade, ils demandèrent un français pour les accompagner.» Il s'en présenta deux ou trois, entre autres Pierre Magnan, qui fut agréé de part et d'autre. Quelques semaines après, un sauvage apporta la nouvelle que les ambassadeurs avaient été cruellement massacrés. On sut plus tard qu'un algonquin de l'isle, pour satisfaire une vengeance personnelle, avait malicieusement fait croire aux Iroquois que cette députation n'était que pour les mieux trahir. Les vaisseaux, à leur départ en 1627, laissèrent lviii l'habitation assez mal approvisionnée. Il demeura à Québec cette année cinquante-cinq personnes, tant hommes que femmes et enfants, «sans comprendre les habitants du pays.» Sur ce nombre, il n'y avait que dix-huit ouvriers. Il en fallait plus de la moitié pour les travaux du cap Tourmente; l'habitation de Québec n'était point achevée. La compagnie et M. de Caen avaient promis dix hommes pour faire travailler au fort; mais, pour eux, l'habitation devait passer avant tout, et Champlain se vit réduit à ne pouvoir employer aux fortifications que les hommes qui étaient pour ainsi dire de reste. «Je jugeai dès lors, dit l'auteur, que la plus grande part des associés ne s'en souciaient beaucoup, pourvu qu'on leur donnât d'intérêt les quarante pour cent.» Il en dit son sentiment à M. de la Ralde, qui se trouvait lié par ses engagements; «c'est en un mot, ajoute-t-il, que ceux qui gouvernent la bourse font et défont comme ils veulent.» Il en écrivit au vice-roi, et, en attendant, il continua d'employer au fort tous les hommes dont il put disposer, sans toutefois négliger l'habitation. Quelque temps après le départ des vaisseaux, deux français, Henri, domestique de Madame Hébert, et un autre nommé Dumoulin, auxquels Champlain avait donné commission d'amener par terre quelques bestiaux du cap Tourmente, furent lâchement assassinés par un montagnais à qui l'on avait refusé un morceau de pain. Un semblable meurtre avait été commis vers le cap Tourmente quelques années auparavant, sans qu'on eût pu faire justice rigoureuse. lix Cette fois, Champlain jugea que ce serait une faiblesse que de ne point sévir contre de pareils attentats. Il mande à l'habitation les principaux chefs, leur remontre l'atrocité du crime commis par un de leur nation, et leur déclare nettement qu'il exige qu'on lui livre les auteurs de l'assassinat; en attendant, on garderait comme otage un certain montagnais, sur lequel on avait des soupçons, et que dorénavant on serait obligé de se tenir en garde contre leur perfidie. Les sauvages parurent, en cette occasion, réellement chagrins et mortifiés d'un événement si fâcheux; mais il n'y eut pas moyen de constater au juste quel était le coupable. Avant de partir pour la chasse, les Montagnais voulurent donner à Champlain un témoignage singulier de leur estime. Ils envoyèrent Mécabau, appelé Martin par les Français, demander au P. le Caron quel présent il leur conseillait de faire. «Il me souvient, lui dit Mécabau, qu'autrefois monsieur de Champlain a eu désir d'avoir de nos filles pour mener en France, et les faire instruire en la loi de Dieu et aux bonnes moeurs; s'il voulait à présent, nous lui en donnerions quelqu'unes; n'en serais-tu pas bien content?» Le Père répondit que oui, et qu'il fallait lui en parler. «Ce que les sauvages firent de si bonne grâce, ajoute Sagard, que le sieur de Champlain, voulant être utile à quelque âme, en accepta trois. Plusieurs croyaient que les sauvages n'avaient donné ces filles au sieur de Champlain que pour s'en décharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se lx trompaient, car Chomina même, à qui elles étaient parentes, désirait fort de les voir passer en France, non pour s'en décharger, mais pour obliger les Français et en particulier le sieur de Champlain.» [24] [Note 24: Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.] On était rendu à la fin de juin 1628, et les vaisseaux ne paraissaient point. Les vivres commençaient à faillir, et ce qu'il y avait de plus embarrassant, c'est que le sieur de la Ralde n'avait laissé aucune barque à Québec; en outre l'habitation était sans matelot ni marinier. «De brai, voiles et cordages, dit Champlain, nous n'en avions point; ainsi étions dénués de toutes commodités, comme si l'on nous eût abandonnés.» Tel était, par le mauvais vouloir des marchands, l'état de gêne où se trouvait la colonie, quand une flotte anglaise, conduite par un renégat français, vint encore augmenter l'embarras de Champlain. Trois frères huguenots, David, Louis et Thomas Kertk, dont la famille avait quitté la France pour passer au service de l'Angleterre, s'étaient chargés de détruire les établissements français du Canada. Au moment où l'on préparait une petite embarcation pour aller à Tadoussac chercher une barque, avec laquelle on pût aller à Gaspé, deux hommes arrivèrent en toute hâte du cap Tourmente, et apportèrent la triste nouvelle que les Anglais y avaient détruit et ruiné de fond en comble l'habitation qu'on venait d'y fonder. Champlain, ainsi assuré de la présence de l'ennemi, fit réparer à la hâte les retranchements de l'habitation, et lxi dresser des barricades autour du fort, dont il n'avait pu terminer les remparts. Il distribua ensuite sa petite garnison aux quartiers les plus exposés, de façon que chacun connût son poste, et y accourût au besoin. Le lendemain, 10 juillet, sur les trois heures de l'après-midi, l'on aperçut dans la rade une voile qui faisait mine de vouloir entrer dans la rivière Saint-Charles. Quoique une chaloupe seule ne pût faire un grand exploit, Champlain ne négligea pas de surveiller ses mouvements, il envoya de suite quelques arquebusiers au rivage. On reconnut que c'étaient des basques, auxquels les Kertk avaient confié la charge de ramener à Québec le sieur Pivert avec sa femme et sa petite nièce, faits prisonniers au cap Tourmente. Ils étaient en même temps porteurs d'une lettre par laquelle David Kertk invitait le commandant du fort à lui livrer la place. Champlain lut cette lettre devant Pont-Gravé «et les principaux habitants.» La conclusion fut, dit notre auteur, que, si l'Anglais «avait envie de nous voir de plus près, il devait s'acheminer, et non menacer de si loin.» Quoique chacun fût réduit à une ration de sept onces de farine de pois par jour, et qu'il n'y eût pas cinquante livres de poudre au magasin, Champlain fit une réponse si fière, que les Kertk, croyant l'habitation mieux approvisionnée qu'elle ne l'était, jugèrent prudent de ne pas aller plus loin, et se retirèrent après avoir brûlé ou emmené toutes les barques qui avaient été laissées à Tadoussac. lxii Le Canada était sauvé, si les vaisseaux de la nouvelle compagnie [25] avaient su éviter la rencontre de la flotte anglaise. Malheureusement, M. de Roquemont, qui les conduisait, au lieu de se réfugier dans un des nombreux havres du golfe, où il pouvait attendre en sûreté que les Anglais fussent partis, remonta le fleuve, et se vit bientôt dans la nécessité de livrer un combat inégal, où il perdit du coup toute la ressource d'une colonie déjà prête à succomber. [Note 25: Cette nouvelle compagnie, formée (1627) par le cardinal de Richelieu, avait pris le titre de Compagnie de la Nouvelle-France; on l'a appelée aussi compagnie des Cent-Associés. Fondée sur des bases plus larges que les précédentes, cette puissante société donna, dès que le Pays fut remis à la France, un nouvel élan à la colonisation, au défrichement des terres, et à la conversion des sauvages. Champlain en fit partie plus Tard. (Du Creux, _Hist. Canadensis._)] Cette défaite jeta Champlain dans une grande perplexité. Québec se voyait menacé de la plus cruelle famine; l'on ne pouvait maintenant espérer de secours que dans dix mois, et les sauvages avaient peine à suffire à leur propre subsistance. Cependant il ne se laissa point décourager. Il exhortait ses compagnons à la patience, et leur donnait lui-même l'exemple de l'abnégation, en se soumettant au même régime que les autres. Le peu de grain récolté par les Pères Récollets, par les Jésuites, par la famille Hébert, avec le produit de la pêche et de la chasse, procurèrent assez de vivres pour empêcher les habitants de mourir de faim pendant l'hiver. Afin que les pois et autres légumes pussent donner plus de nourriture, Champlain, ingénieux à profiter de tout, imagina de les faire piler dans des mortiers de bois. Le travail était long et pénible, pour des hommes exténués lxiii par la disette, il eut la pensée de faire construire un moulin à bras. Mais, comme il n'avait point de meule, celles de la compagnie étant restées à Tadoussac, il chargea le serrurier de l'habitation de chercher de la pierre propre à en faire; celui-ci fut assez heureux pour en trouver. Un menuisier entreprit de monter une moulange; «de sorte que, dit Champlain, cette nécessité nous fit trouver ce qu'en vingt ans l'on avait cru être impossible.» Voyant le soulagement qu'apportait déjà cette première invention, il résolut de faire bâtir un moulin plus considérable, et de le faire mouvoir par l'eau. Ce plan, tout en soulageant la main-d'oeuvre, devait avoir le bon effet d'encourager les habitants à faire de plus grosses semences, et de les accoutumer à compter davantage sur leur industrie et sur les produits de la terre. Au printemps (1629), un sauvage appelé Érouachit, qui arrivait du pays des Abenaquis, soumit à Champlain, de la part de ces peuples, un projet dont celui-ci n'eût pas manqué de profiter, si les munitions n'avaient pas été aussi rares que les vivres. Cette nation demandait le secours des armes françaises contre l'ennemi commun, les Iroquois. Il était inutile de songer à prêter main-forte aux autres, quand on était réduit à un pareil état de faiblesse. Champlain voulut cependant tirer tout le parti possible de l'amitié de ces peuples, et se décida à leur envoyer une ambassade. Son beau-frère était bien l'homme de confiance à charger de cette commission, mais le besoin qu'il avait de ses services, dans la prévision du retour des Anglais, l'engagea à le retenir lxiv auprès de lui. Celui qui fut délégué à sa place, devait assurer les Abenaquis qu'on les assisterait contre leurs ennemis dès que les vaisseaux auraient rapporté l'abondance, pourvu qu'en attendant ils voulussent bien donner aux Français quelques secours en vivres. Champlain lui avait en même temps recommandé de bien observer les lieux, la qualité des terres et la bonté du pays. Voyant la saison déjà passablement avancée, Champlain prit le parti d'envoyer son beau-frère à Gaspé avec une trentaine d'autres, vingt d'entre eux consentirent d'avance à demeurer là avec les sauvages, et les autres préférèrent courir leur risque. La barque, avant d'arriver à Gaspé, rencontra le vaisseau d'Émeric de Caen, qui venait chercher une partie des hommes de la compagnie destituée, et apportait en même temps des vivres pour l'habitation. Ainsi assuré d'un prompt secours, Boullé prit quelques provisions, et se remit en route pour Québec. Malheureusement, il tomba entre les mains des Anglais avant d'avoir passé Tadoussac. Les Kertk étaient revenus cette année avec six vaisseaux et deux pinasses, décidés à faire un dernier effort pour achever leur conquête. A force de questionner les prisonniers, ils ne tardèrent pas à connaître au juste le triste état où était réduit Québec. Pendant ce temps-là, Champlain était dans une mortelle inquiétude. Les vivres manquaient, la saison était déjà bien avancée, et l'on commençait à désespérer de voir arriver des vaisseaux. Les sauvages, depuis l'arrestation de lxv Mahigan-Atic-Ouche, soupçonné d'avoir commis le meurtre des deux français, se tenaient sur la réserve, et, à l'exception du fidèle Chomina, on ne pouvait guère compter sur eux en ce moment. Pont-Gravé, à cause de son âge et de ses infirmités, causait à Champlain beaucoup plus d'embarras, qu'il ne pouvait lui être de service. Comprenant lui-même la délicatesse de sa position, il avait pris la résolution de descendre comme il pourrait à Gaspé, pour y chercher un vaisseau et se faire repasser en France. Le voyage préparé, il demanda à l'auteur s'il aurait agréable qu'il fît lire la commission que lui avait donnée M. de Caen, afin que celui-ci ne pût lui contester ses gages. Champlain ne voulut pas lui refuser cette satisfaction; mais il crut devoir lui observer, que M. de Caen «s'attribuait des honneurs et commandements qui ne lui appartenaient pas, anticipant sur les charges de vice-roi; que, pour le commerce des pelleteries, les articles de Sa Majesté lui donnaient tout pouvoir;» mais que, pour le reste, les commissions royales ne lui permettaient pas de s'en mêler. «Le lendemain, qui était un dimanche, au sortir de la sainte messe, Champlain, devant tout le peuple assemblé, fit lire les commissions,» celle que Pont-Gravé tenait du sieur de Caen, et celle qu'il tenait lui-même du vice-roi, en expliquant à tous la différence qu'il fallait mettre «entre le pouvoir que pouvait donner le dit sieur de Caen, et celui qui lui était conféré à lui-même par les lettres royales. Je vous fais commandement, dit-il à ceux qui composaient lxvi l'assemblée, de par le Roi et Mgr le Vice-Roi, que vous ayez à faire tout ce que vous commandera le sieur du Pont, pour ce qui touche le trafic et commerce des marchandises, suivant les articles de Sa Majesté que je vous ai fait lire; et, du reste, de m'obéir en tout et partout en ce que je commanderai, et où il y aura de l'intérêt du Roi et de mon dit Seigneur.»--«Je vois bien, dit Pont-Gravé, que vous protestez ma commission de nullité.»--«Oui, en ce qui heurte l'autorité du Roi et de Mgr le Vice-Roi, pour ce qui est de votre traite et commerce, suivant les articles de Sa Majesté, à quoi il se faut tenir.» «Cela se passa ainsi,» dit Champlain. Un jour que la plupart des habitants de Québec étaient occupés les uns à la pêche et les autres à chercher des racines, on vit paraître des vaisseaux derrière la pointe Lévis. Sur le flot, une chaloupe s'avança avec un pavillon blanc. Champlain fit mettre au fort un drapeau de même couleur. La chaloupe aborde, et un gentilhomme anglais s'en vient courtoisement lui présenter une lettre des deux frères Louis et Thomas Kertk, qui le sommaient de rendre la place, lui offrant une composition honorable. Champlain répondit, que l'état d'abandon où il se trouvait ne lui permettait pas de faire la même résistance que l'année précédente; que cependant les vaisseaux fissent attention de n'approcher à la portée du canon que lorsque la capitulation serait entièrement réglée. Sur le soir, le capitaine Louis Kertk renvoya la chaloupe lxvii pour avoir les articles de la composition, qui portait, en résumé: qu'on donnerait aux Français un vaisseau pour repasser en France; que les officiers au service de la compagnie pourraient emporter leurs armes, leurs habits et leurs pelleteries; aux soldats l'on accordait leurs habits avec une robe de castor, et aux religieux leurs robes et leurs livres. Ces conditions, signées de Louis et de Thomas Kertk, furent acceptées le dix-neuf juillet par Champlain et Pont-Gravé, et approuvées ensuite à Tadoussac par l'amiral David Kertk [26]. [Note 26: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.] Le capitaine Louis cependant avait mis une restriction, au sujet des petites sauvagesses que Champlain désirait emmener; le lendemain, les trois vaisseaux anglais étant entrés dans la rade, Champlain se rendit auprès de lui, anxieux de savoir pourquoi on ne voulait pas lui permettre de garder ces deux petites filles, qu'il instruisait avec soin depuis deux ans, et qui lui étaient fort attachées. Louis Kertk finit par lui accorder sa demande; ce que le général David cependant ne voulut jamais ratifier, quelque supplication que lui en fît l'auteur. Avant de livrer la place, Champlain demanda quelques soldats pour empêcher qu'on ne ravageât rien en la chapelle, chez les Pères Récollets, les Pères Jésuites, la veuve Hébert, et en quelques autres lieux; ce qui fut libéralement accordé. Le capitaine Louis descendit à terre avec cent cinquante hommes, et prit possession de l'habitation et du fort. «Voulant déloger de mon logis, dit Champlain, jamais il ne lxviii le voulut permettre, que je ne m'en allasse tout à fait hors de Québec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvait s'imaginer.» Il lui permit encore de continuer à faire célébrer la sainte messe, et lui donna «un certificat de tout ce qui était tant au fort qu'à l'habitation.» Le dimanche, 22 juillet, le capitaine Louis «fit planter l'enseigne anglaise sur un des bastions, battre la caisse, et assembler ses soldats, qu'il mit en ordre sur les remparts, faisant tirer le canon des vaisseaux; après, il fit jouer toute l'escopetterie de ses soldats, le tout en signe de réjouissance.» «Depuis que les Anglais eurent pris possession de Québec, dit Champlain, les jours me semblaient des mois.» Louis Kertk lui permit de descendre à Tadoussac, en attendant le départ des vaisseaux. Il laissa au capitaine anglais une partie de son ameublement, et s'embarqua sur le vaisseau de Thomas Kertk. Au moment où Champlain allait partir, Guillaume Couillard, gendre de la veuve Hébert, et quelques autres qui avaient leur famille, voyant que les Anglais les traitaient bien et voulaient les engager à rester à Québec, vinrent le trouver pour lui demander son avis. Il leur représenta qu'ils devaient avant tout considérer l'intérêt et le salut de leurs âmes; que, pour cette année, cependant, s'il était à leur place, il ferait la cueillette des grains, et, après en avoir tiré le meilleur parti possible, il s'en reviendrait en France, si toutefois le Canada n'était rendu à ses premiers maîtres. «Ils me remercièrent, dit-il, du conseil lxix que je leur donnai; qu'ils le suivraient, espérant néanmoins nous revoir la prochaine année avec l'aide de Dieu.» [27] [Note 27: Les familles qui restèrent à Québec étaient au nombre de cinq (voir Édit. 1632, deuxième partie, p. 249, note 2). Ce sont ces familles que l'auteur appelle quelquefois _habitants_, par opposition au personnel de la traite, qui formait une population flottante et mobile. Toutes les personnes qui n'étaient ici que pour le service de la compagnie, retournèrent en France; les habitants demeurèrent.] Champlain quitta Québec le 24 juillet, avec Thomas Kertk. Le lendemain, comme on était par le travers de la Malbaie, on aperçut, du côté du nord, un vaisseau qui mettait sous voile, et tâchait de gagner le vent, pour éviter la rencontre. Il se trouva que c'était Émeric de Caen. Le capitaine anglais commanda d'approcher, pour le saluer de quelques canonnades, «qui lui furent aussitôt répondues par autres coups de meilleure amonition.» Comme il voulait en venir à l'abordage, il fit descendre Champlain et les autres français sous le tillac, et clouer les panneaux sur eux. Le vaisseau anglais aborda de bout, et cramponna une patte de son ancre à celui d'Émeric de Caen; de manière que les assaillants ne pouvaient entrer que par le beaupré, un à un, et ceux qui risquaient le passage étaient sûrs de se faire massacrer les uns après les autres. En attendant, l'équipage de Kertk se faisait foudroyer. Une partie de ses hommes se jetèrent au fond du vaisseau, et il se vit obligé de les faire remonter à coups de plat d'épée. Enfin Émeric de Caen, craignant peut-être de ne pouvoir conserver longtemps l'avantage de sa position, voyant d'ailleurs approcher les deux pataches anglaises, cria: Quartier! quartier! Thomas Kertk ne se fit pas prier; le combat cessa de part et d'autre. lxx Émeric de Caen, apprenant que Champlain était à bord du vaisseau anglais, demanda à lui parler. On fait ouvrir les panneaux, et Kertk, d'un ton un peu embarrassé, dit à l'auteur: «Assurez-vous que si l'on tire du vaisseau, vous mourrez. Dites-leur qu'ils se rendent; je leur ferai pareil traitement qu'à votre personne; autrement, ils ne peuvent éviter leur ruine, si les deux pataches arrivent plus tôt que la composition ne soit faite.»--«Il vous est facile, répondit Champlain, de me faire mourir en l'état que je suis. Vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à votre promesse et à celle de votre frère. Je ne puis commander à ces personnes-là, et ne peux empêcher qu'ils ne fassent leur devoir.» Il consentit néanmoins à les engager à accepter une composition équitable; ce qui se fit fort à propos, car, un moment après, les deux pataches arrivaient sur eux. Kertk leur fit défense de rien faire au vaisseau français. «L'exécution faite, dit l'auteur, nous nous en allâmes à la rade de Tadoussac, trouver le général Kertk.» Celui-ci, content de cette prise, fit à Champlain un fort bon accueil. Pendant son séjour à Tadoussac, Champlain eut occasion de faire de sévères remontrances aux perfides truchements Étienne Brûlé, Nicolas Marsollet et quelques autres, en particulier au traître Jacques Michel, qui s'était vendu aux Anglais, et s'était chargé de les piloter dans le fleuve. L'amiral David blâma fortement son frère Louis, d'avoir donné si facilement le certificat que lui avait demandé Champlain, et qui contenait l'inventaire de tout ce qui lxxi avait été trouvé à l'habitation de Québec, prétendant qu'il ne l'avait autorisé qu'à accepter les articles de la capitulation. La flotte anglaise quitta la rade de Tadoussac au mois de septembre, et repassa en France avec Champlain et tous ceux qui ne voulurent point rester à Québec, c'est-à-dire, Pont-Gravé et les employés de la traite, les religieux récollets et jésuites, et ceux qui, n'ayant point leur famille, n'avaient aucune raison de sympathiser avec de nouveaux maîtres. Le 27 octobre, Kertk était à Douvre, d'où Champlain écrivit à M. de Lauson pour le prévenir qu'il allait se rendre à Londres auprès de l'ambassadeur français, et qu'il prît des mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de la société et du roi. En arrivant à Plymouth, l'amiral Kertk fut bien fâché d'apprendre que la paix avait été conclue entre la France et l'Angleterre avant la prise de Québec. Champlain demeura près de cinq semaines à Londres, auprès de l'ambassadeur. «Je donnai, dit-il, des mémoires, et le procès-verbal de ce qui s'était passé en ce voyage, l'original de la capitulation et une carte du pays pour faire voir aux Anglais les découvertures et possession qu'avions prise du dit pays de la Nouvelle-France premier que les Anglais.» Trouvant enfin que les négociations traînaient en longueur, il obtint de l'ambassadeur de pouvoir se rendre en France. M. de Châteauneuf le laissa partir avec l'assurance que le roi d'Angleterre consentirait à rendre le fort et l'habitation de Québec. lxxii Ce ne fut qu'au printemps de 1632, le 29 mars, que les difficultés furent définitivement réglées par le traité de Saint-Germain-en-Laye. Le temps que Champlain passa en France, fut employé à publier une nouvelle édition de tous ses Voyages, ou plutôt une histoire complète de tout ce qui s'était passé en Canada depuis la fondation de cette colonie. Comme la prise de Québec par les Anglais avait causé à M. de Caen de graves dommages, il semblait juste de lui fournir l'occasion de réparer ses pertes. En conséquence, le roi lui accorda la jouissance des revenus du pays pendant une année, après laquelle Champlain devait reprendre son ancienne charge. Émeric de Caen fut donc envoyé à Québec, comme commandant non-seulement de la flotte, mais encore de toute la colonie. Sous ses ordres fut placé le sieur du Plessis-Bochart, dont la présence était propre à contre-balancer les tendances calvinistes du chef[28]. [Note 28: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.] Au moment où elle allait prendre la direction de la colonie, la compagnie des Cent-Associés crut devoir user de beaucoup de prudence dans le choix de celui qu'on enverrait pour la gouverner. Personne ne parut plus propre que Champlain à remplir cette charge importante. Il fut donc présenté par les associés au cardinal de Richelieu, qui, par une commission en date du premier mars 1633, le nomma son lieutenant «en toute l'étendue du fleuve Saint-Laurent et autres.» Champlain partit de Dieppe le 23 mars 1633, avec trois lxxiii vaisseaux bien équipés, le _Saint-Pierre_, le _Saint-Jean_ et le _Don-de-Dieu_. La petite flotte portait près de deux cents personnes, tant mariniers que colons, les Pères Ennemond Massé et Jean de Brebeuf, une femme et deux petites filles. Au moment d'entrer dans le golfe, une violente tempête de nord-ouest l'obligea de relâcher à Sainte-Anne du Cap-Breton; peu après, une seconde bourrasque la contraignit d'aller chercher un refuge à l'île de Saint-Bonaventure. Enfin, au bout de deux mois jour pour jour, le vaisseau qui portait Champlain mouilla devant Québec, le 23 mai[29]. [Note 29: Mercure français, t. xix. La Relation de 1633 fait arriver Champlain le 22.] La joie des habitants du pays fut grande quand ils virent arriver le fondateur de la colonie. «Ce jour, dit le P. le Jeune, nous a été l'un des bons jours de l'année.» Tous connaissaient sa sagesse, son expérience et son admirable dévouement. On voyait renaître toutes les espérances du passé. Aussi l'on peut dire que dès lors la Nouvelle-France, si cruellement éprouvée, prit comme une nouvelle naissance, et se trouva bientôt assez forte pour vivre de sa propre vie, au milieu de ces grandes forêts du Nouveau-Monde. Aussitôt que le _Saint-Jean_ eut mouillé l'ancre dans la rade, Champlain fit sommer le sieur Émeric de Caen de remettre le fort et l'habitation entre les mains de M. du Plessis-Bochard, en vertu du commandement qui lui était fait de la part du cardinal de Richelieu. L'après-midi, le sieur de Caen quitta le fort avec ses hommes, et M. du Plessis-Bochard y entra avec les siens. Le lxxiv jour suivant, 24 de mai, les clefs furent remises entre les mains de Champlain. M. du Plessis prit alors la charge d'amiral de la flotte. Champlain, en possession de son nouveau gouvernement, s'occupa d'abord des affaires de la traite, qui pressaient davantage. Il venait d'arriver des Trois-Rivières dix-huit canots algonquins, et l'on savait que les Anglais avaient trois vaisseaux à Tadoussac, d'où ils étaient même monté jusqu'au Pilier. Champlain, se doutant que les sauvages pourraient aller les trouver jusque là, tint conseil avec eux, et leur fit entendre, par la bouche de l'interprète Olivier le Tardif, qu'ils prissent bien garde à ce qu'ils avaient à faire: ces Anglais étaient des usurpateurs, qui ne faisaient que passer; tandis que les Français demeuraient au pays d'une manière permanente, et qu'il était de l'intérêt de tous que leur ancienne amitié continuât toujours. Le chef algonquin répondit par une harangue aussi fine et délicate, que pleine d'une mâle éloquence. «Tu ne veux pas, dit-il en finissant, que nous allions à l'Anglais: je vais dire à mes gens qu'on n'y aille point; si quelqu'un y va, il n'a pas d'esprit. Tu peux tout: mets des chaloupes aux avenues, et prends les castors de ceux qui iront.» Afin d'ôter aux sauvages d'en haut la pensée de descendre au-devant des Anglais, Champlain établit un nouveau poste, sur l'îlet de Richelieu, qui commande l'un des passages où le chenal du fleuve est le plus étroit; ce lieu avait en outre l'avantage d'être assez rapproché de Québec pour que l'on pût, au besoin, faire monter dans quelques heures les marchandises et les objets nécessaires à la traite. lxxv Non content de veiller aux intérêts de la compagnie, Champlain, dès son arrivée, déploya toute l'ardeur de son zèle pour l'honneur du culte et le progrès des missions. Il se donna une peine infinie pour décider les Hurons à emmener avec eux quelqu'un des Pères qui avaient déjà commencé à instruire leur nation. A peine la traite finie, il voulut accomplir un voeu qu'il avait fait depuis la prise de Québec par les Anglais. Il érigea, tout près de l'esplanade du fort, à l'endroit où est aujourd'hui le maître autel de Notre-Dame de Québec, une nouvelle chapelle, qui fut appelée _Notre-Dame de Recouvrance_, tant en mémoire du _recouvrement_ du pays, que parce qu'on y plaça un tableau _recouvré_ d'un naufrage. Se voyant secondé de plus en plus efficacement par les bonnes dispositions de la compagnie, il entreprit une autre fondation, où l'on se promettait que les missionnaires pourraient faire un grand fruit; il envoya le sieur La Violette aux Trois-Rivières, pour y établir une habitation et un fort; ce qui fut commencé le 4 juillet 1634. Le P. le Jeune et le P. Buteux allèrent y résider aussitôt que le logement fut prêt à les recevoir. Enfin, après avoir donné à sa chère colonie, de nombreux témoignages d'un dévouement sans bornes et d'une piété aussi ardente qu'éclairée, «Champlain, comme dit si bien le P. le Jeune, prit une nouvelle naissance au Ciel le jour même de la naissance de notre Sauveur en terre;» il mourut le jour de Noël, 25 décembre 1635, aimé et respecté de tous ceux qui l'avaient connu. lxxvi «Nous pouvons dire, continue le même Père, que sa mort a été remplie de bénédictions. Je crois que Dieu lui a fait cette faveur en considération des biens qu'il a procurés à la Nouvelle-France. Il avait vécu dans une grande justice et équité, dans une fidélité parfaite envers son roi et envers Messieurs de la Compagnie; mais, à la mort, il perfectionna ses vertus, avec des sentiments de piété si grands, qu'il nous étonna tous. Quel amour n'avait-il point pour les familles d'ici! disant qu'il les fallait secourir puissamment, et les soulager en tout ce qu'on pourrait en ces nouveaux commencements, et qu'il le ferait si Dieu lui donnait la santé. Il ne fut pas surpris dans les comptes qu'il devait rendre à Dieu: il avait préparé de longue-main une confession générale, qu'il fit avec une grande douleur au P. Lalemant, qu'il honorait de son amitié. Le Père le secourut en toute sa maladie, qui fut de deux mois et demi, ne l'abandonnant point jusques à la mort. On lui fit un convoi fort honorable, tant de la part du peuple, que des soldats, des capitaines et des gens d'église. Le P. Lalemant y officia, et l'on me chargea de l'oraison funèbre, où je ne manquai point de sujet. Ceux qu'il a laissés après lui ont occasion de se louer; que s'il est mort hors de France, son nom n'en sera pas moins glorieux à la postérité.» PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION du Voyage aux Indes i/1 Il y a à peine quinze ans, on ignorait, en Canada, l'existence du manuscrit dont nous donnons aujourd'hui la première édition française. Dans une lettre, en date du 15 décembre, 1855, M. de Puibusque racontait à feu le Commandeur Viger, comment il avait découvert, à Dieppe, cet écrit de Champlain, dont il n'avait jamais entendu parler auparavant. «Ce manuscrit, ajoute-t-il, est la propriété de M. Féret, le plus honnête républicain de France, ex-maire de 1848, antiquaire et poète, qui occupait, il y a un an à peine, la place de bibliothécaire de la ville, Quoique d'un abord assez froid et très-réservé avec les étrangers, comme le sont en général les Normands, M. Féret s'est montré d'une obligeance, extrême; il m'a confié son manuscrit, en m'autorisant à le copier, et à faire de ma copie tel usage que je voudrais. Informé par lui-même qu'un français et un américain avaient déjà joui d'un privilège semblable, j'aurais pu, sans indiscrétion, en user aussi; il m'a paru ii/2 de meilleur goût de m'imposer la restriction qu'on ne m'imposait pas; je me suis borné à résumer la relation inédite, ne citant çà et là le texte de divers passages, que pour caractériser plus fidèlement la pensée et le style de Champlain.» C'est ce résumé qui fut envoyé alors au Commandeur Viger. M. l'abbé Verreau, devenu propriétaire de ce travail, l'a libéralement laissé à notre disposition tout le temps que nous avons voulu. Plein de sympathie pour tout ce qui était canadien, M. de Puibusque avait eu un instant l'espérance de faire l'acquisition du manuscrit de Dieppe, pour procurer à la ville de Québec un souvenir et comme une relique de son fondateur. «J'ai senti, dit-il en cette même lettre, qu'il y avait là une conquête inappréciable à faire pour le Canada, et j'ai osé l'entreprendre. D'abord, M. Féret semblait assez disposé à céder son manuscrit, qui n'a réellement aucun intérêt pour sa ville natale; je î'ai prié d'en fixer le prix, en m'engageant à le payer immédiatement de mes propres deniers, ou, s'il le préférait, à le mettre directement en rapport avec M. Faribault. Je promis en outre que, si mon offre était agréée, je ferais cession gratuite de mon acquisition à la ville de Québec. A mon grand étonnement, M. Féret, qui s'était avancé, recula; ses réponses évasives me firent soupçonner un obstacle caché; je ne me trompais pas...» iii/3 L'analyse de M. de Puibusque était sans doute précieuse par elle-même; mais nous avons trop bien connu M. Viger pour croire qu'il approuvât complètement le motif de délicatesse qui ne lui valut qu'un résumé. Sous ce rapport, nous nous sentons l'âme un peu faite comme celle du Commandeur; nous aimons singulièrement les oeuvres complètes et les reproductions intégrales. Il nous en eût coûté beaucoup de ne publier qu'un compte-rendu, si bien fait qu'il puisse être, du premier voyage de Champlain, le seul peut-être qui ait échappé à la main d'un retoucheur. La providence se chargea d'arranger les choses. Une indisposition assez grave vint mettre notre ami M. l'abbé R. Casgrain dans une espèce de nécessité d'aller demander à l'Europe une distraction et un soulagement à sa santé délabrée. Il fut accueilli à Dieppe avec la même bienveillance que M. de Puibusque. M. Faret lui permit volontiers de copier non-seulement le texte, mais les soixante et quelques dessins dont il est illustré. Ici, nous ne savons auquel des deux nous devons plus de reconnaissance, ou à M. l'abbé Casgrain, qui n'a pas craint de s'exposer à aggraver ses souffrances, en s'astreignant à copier de sa main et à collationner avec un soin infini le précieux document, ou à M. Féret, qui a donné à notre ami et compatriote une pareille marque de confiance et un si beau témoignage de sa libéralité. Voici la description que M. de Puibusque fait du manuscrit: iv/4 «Son format est in-quarto; il a 115 pages et 62 dessins faisant corps avec le texte, coloriés et encadrés de lignes bleues et jaunes. La couverture est en parchemin très-fatigué; le plat inférieur est déchiré, les derniers feuillets sont racornis, et la main d'un enfant y a tracé de gros caractères sans suite. L'écriture nette et bien rangée ressemble à celle des lettres conservées aux archives des Affaires Étrangères; cependant, ces dernières sont moins soignées, et il est aisé de remarquer la différence naturellement produite par l'âge après un intervalle de trente-cinq ans. Le manuscrit en effet est de 1601 à 1603. M. Féret en a fait l'acquisition, il y a longtemps et par hasard, d'une personne qu'il suppose descendant collatéral du Commandeur de Chaste.» L'original de cette lettre dont nous venons de donner quelques extraits, appartient aussi à M. l'abbé H. Verreau. L'excellente traduction que M. Alice Wilmere a faite du _Voyage aux Indes_, pour la Société Hakluyt, nous a été d'un grand secours, et nous avons abondamment puisé dans les curieuses et savantes notes de l'éditeur M. Norton Shaw. Le Canada doit savoir gré à cette société, d'avoir si bien apprécié le mérite de Champlain. 1/5 [Illustration] BRIEF DISCOURS DES CHOSES PLUS REMARQUABLES QUE SAMMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE A reconneues aux Indes Occidentalles _Au voiage qu'il en a faict en icelles en l'année mil vc iiij.xx xix. & en l'année mil vjc.j. [30] comme ensuit._ [Note 30: En l'année 1599 et en l'année 1601. Dans le manuscrit original, ces deux dates, écrites d'une manière assez peu usitée, sont presque illisibles. La traduction anglaise de la société Hakluyt porte: _in the years one thousand five hundred and ninety-nine to one thousand Six hundred and two_. Mais quiconque examinera le manuscrit avec attention, se convaincra qu'il faut lire: 1599 et 1601, comme nous le figurons ici dans le titre. Du reste, ce sont les seuls chiffres qui s'accordent avec le texte.] ==================================================================== Ayant esté employé en l'armée du Roy qui estoit en Bretaigne soubz messieurs le Mareschal d'Aumont[31], de St Luc [32], & Mareschal de Brissac[33], en qualité de Mareschal des logis de la dicte armée durant quelques années, & jusques à ce que Sa Majesté eust en l'année 1598, reduict en son obeissance ledict païs de Brestaigne, & licencié son armée, me voyant par ce moyen sans aucune charge ny employ, je me resolus, pour ne demeurer oysif, de trouver moyen de faire ung voiage 2/6 en Espaigne, y estant pratiquer & acquérir des cognoissances pour par leur faveur & entremise faire en sorte de pouvoir m'enbarquer dans quelqu'un des navires de la flotte que le Roy d'Espaigne envoye tous les ans aux Indes Occidentalles, affin d'y pouvoir m'y enbarquer[34] des particuliarités qui n'ont peu estre recongneues par aucuns Françoys, à cause qu'ils n'y ont nul accès libre, pour à mon retour en faire rapport au vray à Sa Majesté. Pour donc parvenir à mon desseing, je m'en allay à Blavet[35], où lors il y avoit garnison d'Espaignolz, auquel lieu je trouvay ung mien oncle nommé le Cappitainne Provençal, tenu pour ung des bons mariniers de France, & qui en ceste qualité avoit esté entretenu par le Roy d'Espaigne comme pillotte général en leurs armées de mer. Mon dict oncle ayant receu commandement de monsieur le Mareschal de Brissac de conduire les navires dans lesquels l'on feist embarquer les Espaignols de la garnison dudict Blavet, pour les repasser en Espaigne, ainsi qu'il leur avoit esté promis, je m'enbarquay avec luy dans ung grand navire du port de cinq cents thonneaux, nommé le St Julian, qui avoit esté pris & arresté pour ledict voiage, où estant partis dudict Blavet au commencement du moys d'aoust, nous arrivasmes dix jours après proche du cap Finneterre[36], que nous ne peusmes reconnoistre à cause 3/7 d'une grande brume qui s'éleva de la mer, au moyeu de laquelle tous nos vaisseaux se separerent, & mesme nostre admirande de La flotte se pensa perdre, ayant touché à une roche, & pris force eau, dans lequel navire & à toute la flotte commandoit le général Soubriago[37], qui avoit esté envoié par le Roy d'Espaigne à Blavet pour cest effect: le lendemain le temps s'estant esclarcy, tous nos mariniers se rejoignirent ensemble, & feusmes aux isles de Bayonne en Gallice, pour faire radouber ledict navire admiral qui s'estoit fort offensé. [Note 31: Jean d'Aumont, né en 1522, et crée maréchal en 1579 par Henri III; il périt d'un coup de mousqueton, le 19 août 1595.] [Note 32: François d'Espinay de Saint-Luc, beau-frère du maréchal d'Aumont. Il fut nommé, en 1596, grand-maître de l'artillerie, et fut tué d'un boulet de canon le 8 septembre 1597.] [Note 33: Charles de Cossé-Brissac, second du nom, maréchal de France, auquel Louis XIII donna le titre de duc en 1612.] [Note 34: Enquérir.] [Note 35: Blavet, dernier poste occupé par les Espagnols en Bretagne, fut rendu à la France par le traité de Vervins, en juin 1598. Cette forteresse (aujourd'hui Port-Louis) était située à l'embouchure de la rivière de Blavet. Ruinée pendant les guerres de la Ligue, elle fut rebâtie avec les anciens matériaux, et fortifiée de nouveau par Louis XIII, Qui lui donna son nom.] [Note 36: Voir Planche I.] [Note 37: Nom évidemment défiguré. (Note de M. de Puibusque.)] Ayant sejouré six jours auxdictes isles, feismes voille, & allasmes reconnoistre le cap de Sainct Vincent troys jours après: ledict cap est figuré en la page suivante[38]. Le dict cap estant doublé nous allasmes au port de Callix[39], dans lequel estant entrés, les gens de guerre furent mis à terre, après laquelle descente les navires françoys qui avoient esté arrestés pour traict furent congédiez & renvoyez chacun en son lieu, hors mis ledict navire sainct Julian, qui ayant esté reconnu par ledict Soubriago général ung fort navire & bon de voille, fust par luy arresté pour faire service au Roy d'Espaigne, & par ainsy ledict cappitaine Provençal mon oncle demeura tousjours en iceluy, & sejournasmes audict lieu de Callis un moys entier, durant lequel j'eu le moyen de reconnoistre l'isle dudict Callis, dont la figure en suit [40]. [Note 38: Voir Planche II.] [Note 39: Cadix.] [Note 40: Voir Planche III.] 4/8 Partant dudict Callix nous fusmes à St Luc de Baramedo[41], qui est à l'entrée de la riviere de Siville, où nous demeurames troys moys, durant lesquels je feus à Siville, en pris le dessin, & de l'autre, que j'ay jugé à propos de representer au mieux qu'il m'a esté possible en ceste page & en la suivante[42]. [Note 41: San-Lucar de Barameda.] [Note 42: Voir Planches. IV et V.] Pendant les troys moys que nous fusmes de sejour audict St Luc de Baramedo il y arriva une patache d'advis, venant de Portoricco, pour advertir le Roy d'Espaigne que l'armée d'Angleterre estoit en mer avec desseing d'aller prendre ledict Portoricco: sur lequel advis ledict Roy d'Espaigne, pour le secourir, fist dresser une armée du nombre de vingt vaisseaux & de deux mille hommes, tant soldats que mariniers, entre lesquels navires celuy nommé le St Julian fust reteneu, & fust commandé à mon oncle de faire le voiage en iceluy, dont je receus une extresme joye, me promettant par ce moien de satisfaire à mon desir, & pour ce je me resolus fort aisement d'aller avec luy, mais quelque diligence que l'on peut faire à radouber, avitaller & esquipper lesdicts vaisseaux, avant que pouvoir estre mis à la mer, & sur le point que nous debvions partir pour aller audict Portoricco, il arriva des nouvelles par une patache d'advis qu'il avoit esté pris des Anglois, au moien de quoy ledict voiage fust rompu à mon grand regret pour me voir frustré de mon esperance. 5/9 Or en mesme temps l'armée du Roy d'Espaigne, qui a accoustumé d'aller tous les ans aux Indes, s'appareilloit audict St Luc, il vint de la part dudict Roy ung seigneur nommé Domp Francisque Colombe, Chevalier de Malte, pour estre général de ladicte armée, lequel voiant nostre vaisseau appareillé & prest à servir, & sachant par le rapport qu'on luy avoit faict, qu'il estoit fort bon de voille pour son port, il resolut de s'en servir, & le prendre au fraict ordinaire, qui est ung escu pour Thonniau par mois, de sorte que j'eus occasion de me resjouir voiant naistre mon esperance, d'autant mesme que le Cappitaine Provençal mon oncle ayant esté reteneu par le général Soubriago pour servir ailleurs, & ne pouvant faire le voiage, me commist la charge dudict vaisseau pour avoir esgard à iceluy, que j'acceptay fort volontiers, & sur ce nous fusmes trouver ledict sieur général Colombe pour savoir s'il auroit agréable que je fisses le voiage, ce qu'il me promist librement, avec des tesmoignages d'en estre fort aise, m'ayant promis sa faveur & assistance, qu'il ne m'a depuis desniés aux occasions. La dicte armée fist à la voille au commencement du mois de janvier de l'an 1599, & trouvant tousjours le vent fort aigre, dans six jours nous reconusmes les illes Canaries. Partant desdictes illes Canaries nous allasmes passer par le goulphe de Las Damas, aiant vent en pouppe, qui nous continua de façon que deux mois six jours après nostre partement de St Luc nous eusmes la veue d'une ille nommée La Defeade, qui est la première ille qui faut que les pillottes 6/10 recognoissent nesessairement pour aller en toutes les autres illes & ports des Indes. Ceste ille est ronde, assez hault en mer, & contient en rond sept lieues, plaine de bois & inhabitée, mais il y a bonne radde à la bande de l'est. De la dicte Ille nous feusmes à une autre ille nommée La Gardalouppe, qui est fort montaigneuse, habitée de sauvages[43], en laquelle il y a quantité de bons ports, à l'un desquels nommé Nacou nous feusmes prendre de l'eau, & comme nous mettions pied à terre veismes plus de trois cents sauvaiges qui s'en fuirent dedans les montaignes sans qu'il fust à nostre puissance d'en attrapper un seul, estant plus disposts à la course que tous ceux des nostres qui les voulurent suivre. Ce que voiant, nous en retournasmes dans nos vaisseaux après avoir pris de l'eau & quelques refreschissements, comme chair & fruicts de plaisans goust: ceste ile contient environ vingt lieux de long & douze de large, dont la forme est telle que la figure suivante[44]. [Note 43: Le premier établissement à la Guadeloupe fut fait par les Français en 1635, par les sieurs DuPlessis et Olive. (Note de l'éd. Soc. Hakl.)] [Note 44: Voir Planche VIII.] Apres avoir demeuré deux jours audict port de Nacou, le troisiesme jour nous nous remismes à la mer, & passasmes entre des iles que l'on nomme Las Virgines, qui sont en telle quantité que l'on n'en a peu dire le nombre au certain; mais bien qu'il y en a plus de huict cents descouvertes, elles sont toutes desertes & inhabitées, la terre fort haulte, plaine de bois, mesmes de palmes & ramasques qui y sont communes comme les chesnes & ormeaux 7/11 par deçà: il y a grande quantité de bons ports & havres entre lesdictes illes qui sont icy aucunement figurées[45]. [Note 45: Voir Planche IX.] D'icelles illes nous feusmes à l'isle de La Marguerite[46], où se peschent les perles: dans cette ile y a une bonne ville que l'on appelle du mesme nom La Marguerite. Elle est fort fertille en bleds & fruicts. Il sort tous les jours du port de ladicte ville plus de trois cents canaulx qui vont à une lieue à la mer pescher lesdictes perles à dix ou douze brasses d'eau. Ladicte pesche se faict par les naigres esclaves du Roy d'Espaigne, qui prennent ung petit panier soubs le bras, & avec iceluy plongent au fond de la mer, & l'enplissent d'ostrormes qui semblent d'huistres, puis remontent dans ledict port se descharger au lieu à ce destiné, où sont les officiers dudict Roy qui les reçoivent[47]. [Note 46: Voir Planche XI,] [Note 47: Voir Planche X.] De ladicte ille nous allasmes à Portoricco [48], que nous trouvasmes fort desolé, tant la ville que le chatiau ou forteresse qui est fort bonne, & le port bien bon & à l'abry de tous vents fors de nordest qui donne droict dans ledict port. La ville est marchande: elle avoit esté puis peu de tems pillée des Anglois, qui avoient laissé des marques de leur veneue. La plus part des maisons estoient brûlées, & ne s'y trouva pas quatre personnes outre quelques naigres qui nous dirent que les marchands dudict [lieu] avoient esté la plus part enmenés prisonniers par les Anglois, & les autres 8/12 qui avoient peu s'estoient sauvés dans les montaignes, d'où ils n'avoient encor osé sortir pour la prehension qu'ils avoient du retour des Anglois, lesquels avoient chargé tous les douze navires dont leur armée estoit composée, de sucres, cuirs, Gingembre, or & argent, car nous trouvasmes encor en ladicte Ville quantité de sucres, gingembre, canisiste[49], miel de cannes[50] & conserve de gingembre que les Anglois n'avoient peu charger. Ils emportèrent aussy cinquante pièces d'artillerie de fonde qu'ils prindrent dans la forteresse en laquelle nous fusmes, & trouvasmes toute ruinée & les ranparts abbatus. Il y avoit quelques Indiens qui s'y estoient retirés, & qui commencoient à relever lesdicts ranparts: le général s'informa d'eux comme ceste place avoit esté prise en sy peu de temps. L'un d'iceux, qui parloit assez bon espaignol, luy dict que le gouverneur dudict chasteau de Portoricco ny les plus anciens du païs ne pensoient pas que à deux lieux de là y eust aucune descente, selon le rapport qui leur en avoit esté fait par les pillottes du lieu, qui asseuroient mesmes que à plus de six lieux du dict chasteau il n'y avoit aucun endrois où les ennemis peussent faire descente, ce qui fust cause que ledict gouverneur se tint moins sur ses gardes, en quoy il fust fort deceu, car demye lieue dudict chasteau, à la bande de l'est, il y a une descente où les Anglois mirent pied à terre fort commodément, laissant leurs vaisseaux qui 9/13 estoient du port de deux cents, cent cinquante & cent thonneaux en la radde en ce mesme lieu, & prindrent le temps sy à propos qu'ils vindrent de nuict à ladicte rade sans estre apperceus, à cause que l'on ne se doubtoit de cela. Ils mirent six cents hommes à terre avec dessainct de piller la ville seulement, n'ayant pas pensé de fere plus grand effet, tenant le chasteau plus fort & mieux gardé. Ils menèrent avec eux troys coulevreinnes pour batre les deffences de la ville, & se trouverent au point du jour à une portée de mousquet d'icelle, avec ung grand estonnement des habitans. Lesdicts Anglois mirent deux cents hommes à ung passage d'une petitte riviere qui est entre la ville & le chasteau, pour empescher, comme ils firent, que les soldats de la garde dudict château qui logeroient en la ville ny les habitans s'en fuiant n'entrassent en iceluy, & les autres quatre cents hommes donnèrent dans la ville, où ils trouverent aucune resistance[51] de façon que en moins de deux heures ils furent maistres de la ville: & ayant sceu qu'il n'y avoit aucuns soldats audict chasteau ny aucunne munition de vivre à l'occasion que le Gouverneur avoit envoyé celles qui y estoient par commandement du Roy d'Espaigne à Cartagenes, où l'on pensoit que l'ennemy feroit dessente, esperant en avoir d'autres d'Espaigne, estant le plus proche port où viennent les vaisseaux, les Anglois firent sommer le Gouverneur, & firent offrir bonne 10/14 composition s'il se vouloit rendre, sinon qu'ils luy feroient esprouver toutes les rigueurs de la guerre, dont ayant crainte ledict Gouverneur, il se rendict la vie sauve, & s'enbarqua avec lesdicts Anglois, n'osant retourner en Espaigne. Il n'y avoit que quinze jours que lesdicts Anglois estoient partis de Ladicte ville où ils avoient demeuré ung mois: après le Partement desquels, lesdicts Indiens s'estoient raliés, & S'eforçoient de reparer ladicte forteresse, attendant l'arrivée Dudict général, lequel fit faire une information du récit Desdicts Indiens, qu'il envoya au Roy d'Espaigne, & commanda Aux dicts Indiens qui portoient la parolle d'aller chercher Ceux qui s'estoient fuis aux montagnes, lesquels sur la parolle retournèrent en leurs maisons, recevant tel contentement de voir ledict général & d'estre delivrés des Anglois, qu'ils oublièrent leurs pertes passées. Ladicte ille de Portoricco est assez agréable combien qu'elle soit un peu montaigneuse, comme la figure suivante le montre[52]. [Note 48: Voir Planche XII.] [Note 49: _Canijiste_, de _Caneficier_, nom donné, dans les Antilles, au Cassia (_Cassia fistula_, LINN.) le _Keleti_ des Caraïbes, qui produit le Cassia nigra du commerce. (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 50: La mélasse.] [Note 51: La traduction de la Société Hakluyt rend ces mots «aucune résistance» par _no résistance_, ce qui fait un contre-sens; car _aucune résistance_, sans la négative ne, équivaut à quelque résistance, ou certaine résistance. C'est ce qui explique pourquoi l'éditeur trouve Champlain en contradiction avec d'autres auteurs. (_Narrative of Champlain's Voyage to the Western Indies_, p. 10, note I.)] [Note 52: Voir Planche XII.--«La ville de Porto-Rico fut fondée en 1510. Elle fut attaquée par Drake et Hawkins en 1595, mais les Espagnols, informés de leur approche, avaient fait de tels préparatifs, que Drake fut forcé de se retirer, après avoir brûlé les vaisseaux espagnols qui étaient Dans le havre. En 1598, George Clifford, comte de Cumberland, fit une expédition, pour s'emparer de l'île. Il débarqua ses hommes secrètement, et attaqua la ville; quand, suivant les rapports espagnols, il rencontra de la part des habitants une vigoureuse résistance; le rapport de Champlain D'après des Témoins oculaires qui en avaient été les victimes, est bien différent. (Voir la note précédente.) «Mais en peu de jours, la garnison de quatre cents hommes se rendit, et toute l'île se soumit aux Anglais. La possession de l'île étant jugée de grande importance, le comte adopta la Cruelle mesure d'exiler les habitants à Carthagene, et, en dépit des protestations et remontrances des malheureux Espagnols, le plan fut mis à exécution; il N'en échappa que fort peu. Cependant les Anglais se trouvèrent bientôt dans L'impossibilité de garder l'île; une griève maladie Emporta les trois quarts des troupes. Cumberland, déçu dans ses espérances, retourna en Angleterre, laissant le commandement à Sir John Berkeley. La mortalité, faisant de jour en jour de plus grands ravages, força les Anglais à évacuer l'île, et les Espagnols, bientôt après, reprirent possession de leurs demeures.--Le rapport que fait Champlain de l'état De l'île après le départ des Anglais, et de la couardise du gouverneur, est curieux; il y a cependant quelque confusion dans ses dates, et relativement à la durée de l'occupation de l'île par les Anglais.» (Ed. Soc. Hakl.)] 11/15 Ladicte ille est emplye de quantité de beaux arbres, comme cèdres, palmes, sappins, palmistes, & une manière d'autres arbre que l'on nomme sonbrade.[53], lequel comme il croit, le sommet de ses branches tombant à terre prend aussy tost racine, & faict d'autres branches qui tombent & prennent racine en la mesme sorte, & ay veu tel [de] ces arbres de telle estendue qu'il tenoit plus d'une lieue & quart: il n'apporte aucun fruict, mais il est fort agréable, ayant la feuille semblable à celle du laurier, un peu plus tendre. [Note 53: De l'espagnol _sombra_, «ombre feuillue.» _Ficus americana maxima_, le _Clusea rosea_ de Saint-Domingue, ou Figuier maudit marron, (Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche XIII.] Il y a aussy en ladicte Ile quantité de bons fruicts, à sçavoir plantes[54], oranges, citrons d'estrange grosseur, citroulles de la terre qui sont très bonnes, algarobbes[55], pappittes[56], & un fruict nommé coraçon[57], à cause qu'il est en forme de coeur, de la grosseur du poing, de couleur jaulne & rouge, la peau fort delicatte, & quand on le presse il rend une humeur odoriferente, & ce qu'il y a de bon dans ledit fruict est comme de la bouillye, & a le goust comme de la crème sucrée. Il y a beaucoup d'autres fruicts dont ils ne font pas grand cas, encores qu'ils soient bons: il y a aussy d'une racine qui s'appelle cassave[58], que les 12/16 Indiens mangent en lieu de pain. Il ne croit ne blee ny vin dans toute ceste ile, en laquelle il y a grande quantité de caméléons, que l'on dict qu'ils vivent de l'air, ce que je ne puis asseurer, combien que j'en aye veu par plusieurs fois: il a la taiste assez pointue, le corps assez long pour sa grosseur assavoir ung pied & demy, & n'a que deux jambes qui sont devant, la queue fort pointue, meslée de couleurs grise jaunastre. Le dict cameleon est cy representé [59]. [Note 54: Fruit du Plantanier, appelé aux Canaries _Plantano_,--Voir Planche XLII.] [Note 55: _Algaroba_, ou _Algarova_, nom donné par les Espagnols à certaine espèce d'Acacia du nouveau monde, à cause de sa ressemblance avec l'algarobe, caroubier ou fève de Saint-Jean, dont la gousse fournit une Excellente nourriture pour les bestiaux. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche XXXVI.] [Note 56: Pappitte--_Curica papaya_ (LINN.), papayer. (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 57: Coraçon. _Anona muricata_, ou Corassol, de l'espagnol _corazon_, coeur, ainsi nommé de la forme du fruit. Quelques écrivains font dériver ce nom de Curaçoa, supposant que la graine fut apportée par les Danois. Le nom donné dans le pays était _memin_. (Ed. Soc. Hakl.) Voir Planche XIV.] [Note 58: Cassava.--_Jatropha Manihot_. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche XXXIII.] [Note 59: Voir Planche XV.] Les meilleures marchandises qui sont dans ladicte Ile sont sucres, gingembre, canisiste, miel de cannes, tabaco, quantité de cuirs, boeufs, vaches & moutons: l'air y est fort chaud, & y a de petits oyseaux qui resemblent à perroquets, que l'on nomme sus le lieu perriquites, de la grosseur d'un moineau, la queue ronde, que l'on apprend à parler, & y en a grande quantité en ceste ile[60]: laquelle ile contient environ soixante dix lieus de long, & de large quarante lieus, environnée de bons ports & havres, & gist est & ouest. Nous demeurâmes audict Portoricco environ un moys: le général y laissa environ troys cents soldats en garnison dans la forteresse, où il fist mestre quarante six pièces de fonte verte qui estoient à Blavet. [Note 60: Voir Planche XVI.] Au partir dudict Portoricco nostre général separa nos galions en troys bandes: il en retint quatre avec luy, en envoya troys à Petronella & trois à la Neufve Espaigne, du nombre desquels estoit le navire où j'estois, & chacun galion avoit sa patache. Ledict général s'en alla à 13/17 Terre-Ferme, & nous costoyames toute l'ille de St Domingue de la bande du nord, & fusmes à ung port de ladicte ile nommé Porto Platte, pour prendre langue s'il y avoit en la coste aucuns vaesseaux estrangers, parce qu'il n'est permis à aucuns estrangers d'y traffiquer, & ceux qui y vont courent fortune d'estre pendus ou mis aux galleres & leurs vaisseaux confisqués: & pour les tenir en plus grande crainte d'aborder ladicte terre, le Roy d'Espaigne donne liberté aux naigres qui peuvent descouvrir ung vaisseau estranger, & en donner advis au général d'armée ou gouverneur, & y a tel naigre qui fera cents cinquante lieus à pied nuict & jour pour donner semblable advis & acquérir sa liberté. Nous mismes pied à terre audict Porto Platte, & fusmes environ une lieue dans la terre sans trouver aucune personne sinon un naigre qui se preparoit pour aller donner advis; mais nous rencontrant, il ne passa pas plus outre, & donna advis à nostre admirande qu'il y avoit deux vaisseaux françois au port de Mancenille, où ledict admirande se resolut d'aller, & pour ceste effect nous partismes du dict lieu de Porto Platte, qui est un bon port, à l'abry de tous vents, où il y a troys, quatre & cinq brasses d'eau, comme il est icy figuré [61]. [Note 61: Voir Planche XVII.] Du dict port de Platte, nous vinsmes au port de Mancenille, qui est icy representé [62], auquel port de Mancenille sceusmes que lesdicts deux vaisseaux estoient au port aux Mousquittes [63], près la Tortue, qui est une petitte isle 14/18 ainsy nommée qui est devant l'enboucheure dudict port, auquel estans arivés le lendemain sur les trois heures du soir, nous apperçumes les dicts deux vaisseaux qui mettoient à la mer pour fuir de nous, mais trop tard: ce qu'eux recognoissans, & Qu'ils n'avoient aucun moien de fuir, tous l'esquippage de L'un des vaisseaux qui estoit bien une lieue dans la mer, abandonnèrent leur dict vaisseau, & s'estant jetté dans leur bateau se sauverent à terre: l'autre navire alla donner du bout à terre & se brisa en plusieurs pièces, & en mesme temps l'esquippage se sauva à terre comme l'autre, & demeura seulement ung marinier qui ne s'estoit peu sauver à cause qu'il estoit boiteux & ung peu malade, lequel nous dit que les dicts vaisseaux perdeus estoient de Dieppe. Il y a fort belle entrée au dict port de Mousquitte de plus de deux mille pas de large, & y a ung banc de sable à ouvert, de façon qu'il faut ranger la grand terre du costé de l'est pour entrer audict port, auquel il y a bon ancreage: & y a une isle dedans où l'on se peut mettre à l'abry du vent qui frappe droict dans le dict port. Ce lieu est assez plaisant pour la quantité des arbres qui y sont: la terre est assez haulte; mais il y a telle quantitté de petites mouches, comme chesons ou coufins qui piquent de si estrange façon, que sy l'on s'endormoit & que l'on en fust picqué au visage, il esleveroit au lieu de la piqueure des bussolles enflés de couleur rouge, qui rendroient la personne difforme. [Note 62: Voir Planche XVIII.] [Note 63: Voir Planche XIX.] Ayans apprins de ce marinier boiteux pris dans ledict navire françois, qu'il y avoit traize grands vaisseaux tant 15/19 françois, anglois que flaments, armés moitye en guerre moitye en marchandise, nostre admiral se resolut de les aller prendre au port St Nicolas, où ils estoient, & pour ce se prépara avec trois galions du port de cinq cents thonneaux chacun & quatre pataches, & allasmes le soir mouiller l'ancre à une radde que l'on nomme Monte Cristo, qui est fort bonne & à l'abry du su, de l'est & de l'ouest, & est remarquée d'une montaigne qui est Droit devant ladicte radde, sy haulte que l'on la descouvre de quinze lieux à la mer: la dicte montaigne fort blanche & reluisante au soleil, & deux lieux autour dudict port est terre assez basse, couverte de quantité de bois, & y a fort bonne pescherye & ung bon port au dessoubs du dict Monte Cristo, qui est figuré en la page suivante[64]. [Note 64: Voir Planche XX.] Le lendemain matin nous feusmes au cap St Nicolas pour y trouver les dicts vaisseaux, & sur les trois heures nous arrivasmes dans la baye dudict cap, & mouillasmes l'ancre le plus près qu'il nous feust possible, ayant le vent contraire pour entrer dedans[65]. [Note 65: Voir Planche XXI.] Ayant mouillé l'ancré nous apperceusmes les vaisseaux desdicts marchands dont nostre admirante se pesiouit fort, s'asseurant de les prendre. Toutte la nuict nous fismes tout ce qu'il estoit possible pour essayer d'entrer dans ledict port, & le matin veneu l'admirante print conseil des cappitaines & pillottes de ce qui estoit à faire: ils luy dirent qu'il falloit juger au pire de ce que l'ennemy pouroit faire pour se sauver, qu'il estoit impossible de 16/20 fuir sinon à la faveur de la nuict, ayant le vent bon, ce qu'ils ne se hazarderoient pas de fere le jour, voiant les sept vaisseaux d'armes, & qu'aussy s'ils vouloient faire resistance Qu'ils se tiendroient à l'entrée dudict port, leurs navires Amarés devant & derrière, tous leurs canons d'une bande & leurs hauts bien pavoisés de cables & de cuirs, & que s'ils se voioient avoir du pire, ils abandonneroient leurs navires & se jetteroient en terre, pour à quoy remédier ledict admirante debvoit faire advancer ses vaisseaux le plus près du port qu'il pourroit pour les batre à coups de canon, & faire désendre cent des meilleurs soldats à terre pour empescher les ennemis de s'y sauver. Cela fust resolu, mais leurs ennemis ne firent pas ce que l'on avoit pensé: ains ils se préparèrent toute la nuict, & le matin veneu ils se mirent à la voille, vindrent pour nous gaigner le vent droict à nos vaisseaux, contre lesquels il leur falloit necessairement passer. Cette resolution fist changer de courage aux Espaignols & adoucir leurs rodomontades: ce fust donc à nous à lever l'ancre avec telle promptitude que dans le navire de l'admirande l'on couppa le câble sur les escubbiers, n'ayans loisir de lever leur ancre: ainsy nous fismes aussy à la voille, chargeants & estants chargés de canonnades. En fin ils nous gaignerent le vent, nous ne laissant pas de les suivre tout le jour & la nuict ensuivant jeusques au matin que nous les vismes à quatre lieux de nous: ce que voiant notre admirante il laissa ceste poursuitte pour continuer nostre route; mais il est bien certain que s'il eust voulu il les eust pris, ayant 17/21 de meilleurs vaisseaux, plus d'hommes & de munitions de guerre: & ne furent les vaisseaux estrangers preservez que par la faute de courage des Espaignols. Durant ceste chasse, il ariva vue chose digne de rizée qui mérite d'estre recitée. C'est que l'on vist une patache de quatre ou cinq thonneaux mellée parmy nos vaisseaux: l'on demanda plusieurs foys d'où elle estoit, avec commandement d'amener leurs voilles; mais l'on n'eust aucune responce, combien que l'on luy eust tiré des coups de canon, ains allans tousjours au gré du vent, ce qui meut nostre amirande de la faire chasser par deux de nos pataches, qui en moins de deux heures furent à elle & l'abordèrent, criant tousjours que l'on amenast leurs voilles sans avoir aucune response, ny sans que leurs soldats voulussent se jeter dedans, encores que l'on ne vist personne sur le tillac. En fin leur cappitainne de nos pataches, qui disoient que ce petit vaisseau estoit gouverné par ung diable, y firent entrer par menaces des soldats jusques à vingt, qui n'y trouverent rien, & prindrent seulement leurs voilles & laisserent le corps de ceste patache à la mercy de la mer. Ce rapport faict à l'admirante, & la prehension que les soldats avoient eu donna matière de rire à tous. Laissant ladicte Ille St Domingue, nous continuasmes nostre route à la Neufve Espaigne. Ladicte Isle sera figurée en la page suivante[66]. [Note 66: Voir Planche XXII.] La dicte isle de St Domingue est grande, ayant cent cinquante lieues de long & soixante de large, fort fertille 18/22 en fruicts, bestail & bonnes marchandizes, comme sucre, canisiste, gingenbre, miel de cannes, coton, cuir de boeuf & quelques foureures. Il y a quantité de bons ports & bonnes raddes, & seullement une seulle ville nommée l'Espaignolle[67], habitée d'Espaignolz; le reste du peuple sont Indiens, gens de bonne nature & qui ayment fort la nation françoise, avec laquelle ils trafficquent le plus souvent qu'ils peuvent en fere, toutesfois c'est à desçu des Espaignolz. C'est le lieu aussy ou les François traffiquent le plus en ces quartiers là, & là où ils ont le plus d'accès, quoy que peu libre. [Note 67: Aujourd'hui Saint-Domingue.] Ceste terre est assez chaude, en partie montaigneuse; il n'y a aucunne mines d'or ny d'argent, mais seullement de cuivre [68]. [Note 68: Voir Planche XXIII.] Partant donc de ceste isle, nous allasmes costoyer l'isle de Cuba, à la bande du su, terre assez haulte. Nous allasmes reconnoistre de petites isles qui s'appellent les Caymanes[69], au nombre de six ou sept: en trois d'iscelles il y a trois bons ports, mais c'est ung dangereux passage, pour les basses & bancs qu'il y a, & ne faict bon s'y advanturer qui ne sçait bien la routte. [Note 69: Voir Planche XXV.] Nous mouillasmes l'ancre entre les isles, & y fusmes ung jour: je mis pied à terre en deux d'icelles, & vis ung très beau havre fort agréable. Je cheminay une lieue dans la terre au travers des bois qui sont fort espais, & y prins des lappins[70] qui y sont en grande quantité, quelques oiseaux, & un lézard gros comme la cuisse, de couleurs grise & feuille morte. [Note 70: Voir Planche XXIV.] 19/23 Ceste isle est fort unie, & toutes les autres de mesmes: nous feusmes aussy en terre en l'autre qui n'est pas sy agréable, mais nous en apportasmes de très bons fruicts, & y avoit telle quantité d'oiseaux, qu'à nostre entrée il s'en leva tel nombre qu'à plus de deux heures après l'air en estoit remply, & d'autres qui ne peuvent voller, de façon que nous en prenions assez aisement: ils sont gros comme une oye, la teste fort grosse, le bec fort large, bas sur les jambes, les pieds sont comme ceux d'une poulle d'eau. Quand les oyseaux sont plusmés, il n'y a pas plus gros de chair qu'une turtre, & est de fort mauvais goust[71]. Nous levasmes l'ancre le mesme jour au soir avec fort bon vent, & le lendemain sur les trois heures après midy nous arivasmes à ung lieu qui s'appelle La Sonde [72], lieu très dangereux, car à plus de cinq lieues de là ce ne sont que basses, fors ung canal qui contient... [73] lieues de long & trois de large. Quand nous fusmes au milieu du dict canal, nous mismes vent devant, & les mariniers jetterent leurs lignes hors pour pescher du poisson dont ils pescherent si grande quantité que les mariniers ne pouvoient fournir à mettre dans le bord des vaisseaux: ce poisson est de la grosseur d'une dorée [74], de couleur rouge, fort bon sy on le mange frais, car il ne se garde & saumure, & se pourit incontinent. Il faut avoir tousjours la sonde en la main en passant ce canal, à la sortye duquel l'une de nos pataches 20/24 se périt en la mer sans que nous en peussions sçavoir l'occasion: les soldats & mariniers se sauverent à la nage, les uns sur des planches, autres sur des advirons, autres comme ils pouvoient, & revindrent de plus de deux lieues [75] à nostre vaisseau, qu'il trouverent bien à propos, & les fimes recepvoir par nos bateaux qui alloient au devant d'eux. [Note 71: Voir Planche XXIV.] [Note 72: Voir Planche XXVI.] [Note 73: Lacune dans le ms. D'après la carte de l'auteur, ce canal a plus de trente lieues de long.] [Note 74: _Sparus aurata_ (LINN.), Brame de mer. Celui de Bahama s'appelle «porgy.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 75: M. de Puibusque et le traducteur de la Société Hakluyt ont trouvé ici une lacune; la feuille du manuscrit original n'était que repliée.] Huict jours après nous arivasmes à St Jean de Luz [76], qui est le premier port de la Neufve Espaigne, où les gallions du Roy d'Espaigne vont tous les ans pour charger l'or, l'argent, pierreries & la cochenille, pour porter en Espaigne. Ce dict port de St Jean de Luz est bien à quatre cents lieues de Portoricco. En ceste isle il y a une fort bonne forteresse, tant pour la situation que pour les bons ramparts, bien munie de tout ce qu'il luy est necessaire, & y a deux cents soldats en garnison, qui est assez pour le lieu. La forteresse comprend toute l'ille, qui est de six cents pas de long & de deux cents cinquante pas de large: 21/25 outre laquelle forteresse y a des maisons basties sur pilloties dans l'eau, & plus de six lieues à la mer, & ne sont que basses qui est cause que les vaisseaux ne peuvent entrer en ce port s'ils ne sçavent bien l'entrée du canal, pour laquelle entrée faut mettre le cap au surouest, mais est bien le plus dangereux port que l'on sçauroit trouver, qui n'est à aucun abry que de la forteresse du costé du nord, & y a aux muralles de la forteresse plusieurs boucles de bronze où l'on amare des vaisseaux qui sont quelque fois sy pressez les ungs contre les autres, que quand il vente quelque vent de nord, qui est fort dangereux, que les dicts vaisseaux se froissent, encor qu'ils soient amarés devant & derrière. Le dict port ne contient que deux cents pas de large & deux cents cinquante de long. Et ne tiennent ceste place que pour la commodité des gallions qui viennent comme dit est, d'Espaigne, pour charger les marchandises or & argent qui se tirent de la Neufve Espaigne. [Note 76: Voir Planche XXVIII.--Évidemment, il est question du fort et château de Saint-Jean d'Ulloa; mais portait-il ce nom quand Champlain y alla, ou bien Champlain a-t-il confondu Saint-Jean de Luz avec San Juan d'Ulloa? c'est un point contesté. Dans les cartes de Mercator et de Hondius, Amsterdam 1628, 10e édition, Saint-Jean d'_Ulloa_ est placé sur le vingt-sixième degré de latitude nord, à l'embouchure de la rivière De _Lama_ (Rio del Norte). Villa-Rica est mis à la place actuelle de Vera-Cruz; mais il n'y est fait aucune mention soit de Saint-Jean d'Ulloa, Soit de Saint-Jean de Luz; et, dans le Voyage de Gage 1625, cette ville est appelée San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz. «Le vrai nom de la ville est San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz, de celui du Vieux havre de Vera-Cruz, qui en est à six lieues. Mais le havre de l'ancien Vera-Cruz, ayant été trouvé trop dangereux pour les vaisseaux, à cause de La violence du vent de nort, fut entièrement abandonné par les Espagnols, qui se retirèrent à San Juan d'Ulhua, où leurs navires trouvèrent bon ancrage, grâce à un rocher qui sert de forte défense contre les vents; et, pour perpétuer la mémoire de cet heureux événement, qui arriva le Vendredi-Saint, ils ajoutèrent au nom de San Juan d'Ulhua, celui de la Vraie-Croix, emprunté au premier havre, qui fut découvert le Vendredi-Saint de l'année 1519.» (Gage, _Voy. Mexico_, 1625.)--Ed. Soc. Hakl.] Il y a de l'autre costé du chasteau, à deux mille pas d'iceluy en terre ferme, une petite ville nommée Bouteron[77], fort marchande. A quatre lieues du dict Bouteron il y a encores une autre ville qui s'appelle Verracrux[78], qui est en fort belle situation & à deux lieues de la mer. [Note 77: Voir Planche XXV III.] [Note 78: «Lavelle Croux,» dans la carte. Planche XXVII.] Quinze jours après nostre arrivée au dict St Jean de Luz, je m'en allay avec congé de nostre dict admiral, à Mechique [79], distant dudict lieu de cent lieux tousjours avant en terre. Il ne se peult veoir ny desirer ung plus beau païs 22/26 que ce royaulme de la Nove Espaigne, qui contient trois cents lieues de long & deux cents de large. [Note 79: Mexico.] Faisant ceste traverse à Meschique, j'admirois les belles forests que l'on rencontre, remplie des plus beaux arbres que l'on sçauroit souhaitter, comme palmes, cèdres, lauriers, oranges, citronneles, palmistes, goujaviers, accoyates, bois d'ebene[80], Bresil[81], bois de campesche[82], qui sont tous arbres communs en ce pays là, avec une infinitté d'autres différentes sortes que je ne puis reciter pour la diversité, & qui donnent tel contentement à la veue qu'il n'est pas possible de plus, avec la quantité que l'on veoit dans les forests d'oiseaux de divers plumages. Apres l'on rencontre de grandes campaignes unies à perte veue, chargées de infinis trouppeaux de bestial, comme chevaux, mulets, boeufs, vaches, moutons & chevres, qui ont les pastures tousjours fraîches en toutes saisons, n'y ayant hiver, ains un air 23/27 fort tempéré, ny chaud ny froid: il n'y pleut tous les ans que deux fois, mais les rozées sont sy grandes la nuict que les plantes en sont suffisamment arrozées & nourries. Outre cela, tout ce pays là est décoré de fort beaux fleuves & rivieres, qui traversent presque tout le royaulme, & dont la pluspart portent batteaux. La terre y est fort fertille, rapportant le bled deux fois en l'an & en telle quantité que l'on sçauroit desirer, & en quelque saison que ce soit il se trouve tousjours du fruicts nouveaux très bons dans les arbres, car quand un fruict est à maturité, les autres viennent & se succedent ainsy les ungs aux autres, & ne sont jamais les arbres vuides de fruicts, & tousjours verds. Sy le Roy d'Espaigne vouloit permettre que l'on plantast de la vigne au dict royaulme, elle y fructiffiroit comme le bled, car j'ay veu des raizins provenans d'un cep que quelqu'un avoit planté pour plaisir, dont chacun grain estoit aussy gros qu'un pruniau, & long comme la moitye du poulce, & de beaucoup meilleurs que ceux d'Espaigne. Tous les contentements que j'avois eus à la veue des choses sy agréables n'estoient que peu de chose au regard de celuy que je receus lors que je vie ceste belle ville de Mechique, que je ne croiois sy superbement bastye de beaux temples, pallais & belles maisons, & les rues fort bien compassées, où l'on veroit de belles & grandes boutiques de marchands, plaines de toutes sortes de marchandises très riches. Je crois, à ce que j'ay peu juger, qu'il y a en ladicte ville douze à quinze mil Espaignols habitans, & six fois autant d'Indiens, qui sont crestiens aussy habitans, outre grand nombre de naigres esclaves. Ceste ville est environnée d'un 24/28 estang presque de tous costés, hors mis en ung endroit qui peut contenir viron trois cents pas de long, que l'on pourroit bien coupper & fortiffier, n'ayant à craindre que de ce costé, car de tous les autres il y a plus d'une lieue jusques aux bords dudict estang, dans lequel il tombent quatres grandes rivieres qui sont fort avant dans la terre, & portent batteaux: l'une s'appelle riviere de Terre-Ferme, une autre riviere de Chille, l'autre riviere de Caiou, & la quatriesme riviere de Mechique, dans laquelle se pesche grande quantité de poissons de mesmes especes que nous avons par deçà, & fort bon. Il y a le long de ceste riviere grande quantité de beaux jardins & beaucoup de terres labourables fort fretille[83]. [Note 80: Voir, plus loin. Planche LVI. Le traducteur de la Société Hakluyt a rendu par _good Bresil_ ces mots _bois d'ebene Bresil_. Il a lu sans doute _bois de bon Bresil_.] [Note 81: Coesalpinia. Il y a deux espèces de bois de Brésil employés dans la teinture: _Coes. Echinata_ (LAMARCK), et _Coes. Sappan_ (LINN.) Le premier est le Brésil, ou Brasillette de Pernambouc, grand arbre qui Croît naturellement dans l'Amérique du Sud, employé dans le commerce pour la teinture rouge. Le second se retrouve dans l'Inde, où l'on s'en sert pour le même usage, et il est connu dans le commerce sous le nom de Brasillette des Indes, ou bois de Sappan. Plusieurs auteurs ont avancé que le nom de Brésil a été donné à ce bois de teinture parce qu'il vient du Brésil; malheureusement pour cette théorie, ce mot était employé bien avant la découverte du pays qui porte le même nom. «Le Brésil, dit Barros, porta d'abord le nom de Sainte-Croix, à cause de la croix qui y fut érigée; mais le démon, qui perd, par cet étendard de la croix, L'empire qu'il a sur nous et qui lui avait été enlevé par les mérites de Jésus-Christ, détruisit la croix, et fit appeler ce pays Brésil du nom d'un bois de couleur rouge. Ce nom a passé dans toutes les bouches, et celui de la sainte croix s'est perdu, comme s'il était plus important qu'un nom vînt d'un bois de teinture, plutôt que de ce bois qui donne la vertu à tous les sacrements, instruments de notre salut, parce qu'il fut teint du sang de Jésus-Christ qui y fut répandu.» Il est donc évident que le nom de Brésil fut donné au pays par les Portugais, après la découverte de Cabrai, à cause de la quantité de bois rouge qui y abonde. (Ed. Soc. Hakl. En substance.)] [Note 82: Hoematoxyllum Campechianum. (LINN.) Ed. Soc. Hakl.] [Note 83: Voir Planche XXIX.] A deux lieues dudict Mexique il y a des mines d'argent que le Roy d'Espaigne a affermés à cinq millions d'or par an, & s'est reservé d'y emploier ung grand nombre d'esclaves pour tirer à son proffis tous ce qu'ils pouront des mines, & outre tire le dixiesme de tout ce que tirent les fermiers, par ainsy ces mines font de très bon revenu audict Roy d'Espaigne [84]. [Note 84: Voir Planche XXX.] L'on receulle audict païs quantité de cochenille qui croist dans les champs, comme font les pois de deçà, & vient d'un fruict gros comme une nois, qui est plain de graine par dedans. On le laisse venir à maturité jusques à ce que ladicte graine soit seche, & lors on la couppe comme du bled, & puis on la bat pour avoir la graine, dont ils 25/29 resement après pour en avoir d'autre. Il n'y a que le Roy d'Espaigne qui puisse faire servir & receullir ladicte cochenille, & faut que les marchands l'achaptent de ses officiers à ce commis, car c'est marchandise de grand prix & a l'estime de l'or & de l'argent. J'ay faict: icy une figure de la plante qui apporte la dicte cochenille [85]. [Note 85: Planche XXXI.--«_Cactus Opuntia_. La croyance que la cochenille était la graine d'une plante subsistait encore longtemps après la conquête du Mexique. Dans le dessin que Champlain nous donne de cette plante, les graines sont figurées exactement comme les insectes s'attachent aux feuilles pour s'en nourrir. La jalousie du gouvernement espagnol, et le sévère monopole qu'il faisait de ce produit, empêchèrent qu'on en connût la vraie nature et son mode de propagation, et donnèrent naissance à diverses fables et conjectures.» (Ed. Soc. Hakl.)] Il y a ung arbre au dict pays que l'on talle comme la vigne, & par l'endroit où il est tallé il distille une huille qui est une espece de baume, appellée huille de Canime, du nom de l'arbre qui se nomme ainsy [86]. Ceste huille est singulliere pour toutes playes & couppures, & pour oster les douleurs, principallement des gouttes. Ce bois a l'odeur du bois de sappin. L'once de la dicte huille vault en ce pays là deux escus. Le dict arbre est icy figuré[87]. [Note 86: _Canimé_, ou _Animé_. Johnston en distingue deux espèces: l'_animé Oriental_, et l'_animé Occidental_, appelé, dit-il, par les Espagnols _Canimé_, Moquin-Tandon (Botanique Médicale) en distingue aussi deux espèces: 1° le Courbaril diphylle, _Hymenoea Courbaril_ (LINN.), qui fournit une grande quantité de résine transparente, appelée _résine animé occidentale_, ou _Copal d'Amérique_; 2° le Courbaril verruqueux, _Hymenoea verrucosa_ (GAERTN.), _résine animé orientale_, vulgairement appelée _Copal d'Orient_.] [Note 87: Planche XXXII.] Il y a ung autre arbre que l'on nomme cacou, dont le fruict est fort bon & utille à beaucoup de choses, & mesmes sert de monnoye entre les Indiens, qui donnent soixante pour une realle. Chacun fruict est de grosseur d'un pinon & de la 26/30 mesme forme, mais il n'a pas la cocque sy dure: plus il est vieux & milleur est. Quand l'on veut achapter des vivres, comme pain, chairs, fruicts, poissons ou herbes, ceste monnoye peult servir, voire pour cinq ou six pièces l'on peult avoir de la marchandise pour vivre des Indiens seulement, car il n'a point cours entre les Espaignols, ny pour achapter marchandise autre que des fruicts. Quand l'on veult user de ce fruict, l'on le reduict en pouldre, puis l'on en faict une paste que l'on destrempe en eau chaude, où l'on mesle du miel qui vient du mesme arbre, & quelque peu d'espice, puis le tout estant cuit ensemble, l'on en boit au matin, estant chauffé, comme les mariniers de deçà prennent de l'eau de vye, & se trouvent sy bien après avoir beu de ceste eau, qu'ils se pourroient passer tout ung jour de manger sans avoir grand appétit. Cest arbre a quantité d'espinnes qui sont fort pointues, que quand on les arrache il vient ung fil, l'escorche du dict arbre, lequel l'on file sy delyé que l'on veult, & de ceste espine & du fil qui y est attaché, l'on peult coudre aussi proprement que d'une esguille & d'autre fil; les Indiens en font du fil fort beau & fort delyé, & neantmoins sy fort, qu'un homme n'en pourroit pas rompre deux brins ensemble, encores qu'ils soient delyés comme cheveux. La livre de ce fil, nommé fil de pitte[88], vaut en Espaigne huict escus la livre, & en font des dantelles & autres ouvrages: d'avantage de l'escorche dudict arbre l'on faict du vinaigre fort comme celuy de vin, & prenant du coeur de l'arbre qui est 27/31 mouelleux, & le pressant, il en fort du tresbon miel, puis faisant seicher la mouelle ainsi esprainte au soleil, elle sert pour allumer le feu. Outre plus pressant les feuilles de cest arbre, qui sont comme celles de l'olivier, il en sort du jut dont les Indiens font un breuvage. Ledict arbre est de la Grandeur d'un olivier, dont vous en verrez icy la figure [89]. [Note 88: Champlain décrit ici évidemment le Cacao et le _Metl_, ou _Maguey_ (_Aloes Pitta, Aloes disticha, Agave Americana_), auquel se rapporte presque toute la dernière partie de sa description, excepté «les feuilles qui sont comme celles de l'olivier.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 89: Planche XXXIII.] J'ay cy devant parlé d'un arbre qui s'appelle gouiave[90], qui croist fort communement audict pays, qui rend ung fruict que l'on nomme aussy gouiave, qui est de la grosseur d'une pomme de capendu [91], de couleur jaulne, & le dedans semblable aux figues verdes; le jut en est assez bon. Ce fruict a telle propriété, que sy une personne avoit ung flux de ventre, & qu'il mangeast dudict fruict sans la peau, il seroit guery dans deux heures, & au contraire à ung homme qui seroit constipé, mangeant l'escorche seulle sans le dedans du fruict, il luy lâchera incontinent le ventre, sans qu'il soit besoing d'autre médecine. Figure du dict arbre [92]. [Note 90: «_Psidium_ (LINN.) Sa qualité est de resserrer le ventre, estant mangé vert, dont aussi plusieurs s'en servent contre le flux de sang; mais estant mangé meur il a un effet tout contraire.»--De Rochefort, _Hist. des Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 91: «Espèce de pomme commune en Normandie, principalement au pays de Caux.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 92: Planche XXXIV] Il y a aussy ung fruict qui s'appelle accoiates[93], de la grosseur de grosses poires d'hiver, fort verd par dessus, & comme l'on a levé la peau, l'on trouve de la chair fort espaisse que l'on mange avec du sel, & a le goust de 28/32 cherneaux, ou nois vertes: il y a ung noyau dedans de la grosseur d'une nois, dont le dedans est amer. L'arbre où croit ledict fruict est icy figuré, ensemble ledict fruict[94]. [Note 93: «_Ahuacahuitl_, nom indigène, dont on a fait par corruption _Agouacat_, l'Avogade ou _Avogada_ des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 94: Planche XXXV.] Aussy il y a d'un fruict que l'on nomme algarobe[95], de la grosseur de prunes Dabtes, long comme cosses de febves, qui a une coque plus dure que celle de la casse, de couleur de chataigner. L'on trouve dedans ung petit fruict comme une grosse febve verte, qui a ung noiau, & est fort bon. Il est icy figuré [96]. J'ay veu ung autre fruict qui s'appelle carreau [97], de la grosseur du poing, dont la peau est fort tendre & orengée, & le dedans est rouge comme sang, & la chair comme de prunes, & tache où il touche comme les meures, il est de fort bon goust, & dit-on qu'il est tresbon pour guérir les morceures de bestes venimeuses[98]. [Note 95: Voir plus haut, page 11, note 3.] [Note 96: Planche XXXVI.] [Note 97: Le fruit d'une des variétés du _Cactus Opuntia_, le Nuchtli des Mexicains, appelé par les Français _raquette_, à cause de la forme de ses feuilles. «Ce que nos François appellent _raquette_ à cause de la figure de ses feuilles: sur quelques-unes de ces feuilles, longues & herissées, croist un fruict de la grosseur d'une prune-datte; quand il est meur, il est rouge dedans, & dehors comme de vermillon. Il a ceste propriété, qu'il teint l'urine en couleur de fang aussi tost qu'on en a mangé, de sorte que ceux qui ne savent pas ce secret, craignent de s'estre rompu une veine, & il s'en est trouvé qui, aians apperceu ce changement, se sont mis au lit, & ont creu estre dangereusement malades.»--De Rochefort, _Voyage aux Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 98: Planche XXXVII.] Il y a encore d'un autre fruict qui se nomme serolles [99], de la grosseur d'une prune, & est fort jaulne, & le goust comme de poires muscades [100]. [Note 99: De l'espagnol Ciruela, prune. (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 100: Planche XXXVIII.] J'ay aussy parlé d'un arbre que l'on nomme palmiste, que je 29/33 representeray icy [101], qui a vingt pas de hault, de la grosseur d'un homme, & neantmoins sy tendre que d'un bon coup d'espée on le peut couper tout à travers, parce que le dessus est tendre comme un pied de chou, & le dedans plain de mouelle qui est très bonne, & tient plus que le reste de l'arbre, & a le goust comme du succre, aussy doux & meilleur: les Indiens en font du breuvage meslé avec de l'eau, qui est fort bon. [Note 101: Planche XXXIX.--«Au temps de Champlain, il n'y avait de connues que deux espèces de Palmistes (excepté le cocotier, que l'on appelait Palmiste par excellence): le Palmiste franc, _Areca oleracea_ (LINN.), et le Palmiste épineux, _Areca spinosa_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)] J'ay veu d'un autre fruict que l'on nomme cocques[102], de la grosseur d'une nois d'Inde, qui a la figure approchant de la teste d'un homme, car il y a deux troux qui representent les deux yeux, & ce qui s'avance entre ces deux troux semblent de nez, au dessoubs duquel il y a ung trou ung peu fendu que l'on peult prendre pour la bouche, & le hault dudict fruict est tout crespé comme cheveux frisez: par lesdicts troux il sort d'une eau dont ils se servent à quelque médecine. Ce fruict n'est pas bon à manger; quand ils l'ont cueilly, ils le laissent seicher & en font comme de petittes bouteilles ou tasses comme de nois d'Inde qui viennent du palmé[103]. [Note 102: «Le _Cocos lapidea_ de GAERTNER, dont le fruit est plus petit que le coco ordinaire, et dont on fait de petits vases ou tasses, etc.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 103: Planche XL.] Puisque j'ay parlé de palmes [104], encor que ce soit ung arbre assez commun, j'en representeray icy une figure [105]. C'est un des plus haults & droicts arbres qui se voient, son fruict, que l'on appelle nois d'Inde, vient tous au plus hault de l'arbre, & sont grosses comme la teste d'un homme, & y a une grosse escorce verte sur la dicte nois, laquelle 30/34 escorce ostée, se trouve la nois, de la grosseur de deux poings ou environ: ce qui est dedans est fort bon à manger, & a le goust de cerneaux, il en sort une eau qui sert de fart Aux dames [106]. [Note 104: «_Cocos nucifera_.» (Ed. Soc, Hakl.)] [Note 105: Planche XLI.] [Note 106: «C'est ceste eau qui, entre ses autres vertus, a la propriété d'effacer toutes les rides du visage, & de luy donner une couleur blanche & vermeille, pourveu qu'on l'en lave aussi-tost que le fruict est tombé de l'arbre.»--(De Rochefort.)] Il y a un autre fruict qui s'appelle plante [107], dont l'arbre peult avoir de hault vingt ou vingt cinq pieds, qui a la feuille sy large qu'un homme s'en pourroit couvrir. Il vient une racine dudict arbre où sont en quantité desdictes plantes, chacun desquelles est de la grosseur du bras, longue d'un pied & demy, de couleur jaulne & verd, de très bon goust, & sy sain que l'on en peult manger tant que l'on veult sans qu'il face mal [108]. [Note 107: La Banane.] [Note 108: Planche XLII.] Les Indiens se servent d'une espece de bled qu'ils nomment mammaix[109], qui est de la grosseur d'un poys, jaulne & rouge, & quand ils le veulent manger, ils prennent une pierre cavée comme ung mortier, & une autre ronde en forme de pillon, & après que le dict bled a trempé une heure, ils le meullent & reduisent en farine en ladicte pierre, puis le petrissent & le font cuire en ceste manière: ils ont une platine de fer ou de pierre qu'ils font chauffer sur le feu, & comme elle est bien chaude, ils prennent leur paste & l'estendent dessus assez tenue, comme tourteaux, & l'ayant fait ainsy cuire, le mangent tout chaud, car il ne vault rien froid ny gardé[110]. [Note 109: Ou Maïs.] [Note 110: Planche XLIII.] 31/35 Ils ont aussy d'une autre racine qu'ils nomment cassave, dont ils se servent pour faire du pain, mais sy quelqu'un en mangeoit de cru, il mourroit[111]. [Note 111: Planche XLIV--Voir, ci-dessus, p. 11, note 6.--«Pour faire la Cassave, qui est le pain ordinaire du pays, après avoir arraché le Manyoc, on ratisse ses racines comme on fait les naveaux, lorsqu'on les veut mettre au pot; puis on esgruge toutes ses racines sur des râpes de cuivre percées... & attachées sur des planches dont on met le bas dans un vaisseau; & appuyant le haut contre l'estomac, l'on frotte à deux mains la racine dessus la râpe, & tout le marc tombe dans le vaisseau… Quand tout est égrugé ou rapé, on le met à la presse dans des sacs de toile, & on en exprime tout le suc, en sorte qu'il ne demeure que la farine toute seiche... Le suc qui en sort est estimé du poison par tous les habitans, & mesme par tous les autheurs qui en ont écrit...» (Du Tertre, _Hist. des Antilles_.)] Il y a d'une gomme qui se nomme copal[112], qui sort d'un arbre qui est comme le pin; ceste gomme est fort bonne pour les goustes & douleurs [113]. [Note 112: «_Rhus Copallinum_ (LINN.) Les Mexicains donnaient le nom de _copal_ à toutes les résines et gommes odoriférantes. Le Copal par excellence est une résine blanche et transparente, qui coule d'un arbre dont la feuille ressemble à celle du chêne, quoique plus longue; cet arbre s'appelle _copal-quahuitl_, ou arbre qui porte le copal. Ils ont aussi le _copal-quahuitl-petlahuae_, dont les feuilles sont les plus grandes de l'espèce, et semblables à celles du sumac, le _copal-quauhxiotl_, à feuilles longues et étroites; le _tepecopulli-quahuitl_, ou copal des montagnes, dont la résine est comme l'encens du vieux monde appelé par les Espagnols _incensio de las Indias_, et quelques autres espèces inférieures.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 113: Planche XLIV.] Il y a aussy d'une racine que l'on nomme patates [114], que l'on fait cuire comme des poires au feu, & a semblable goust aux chastaignes [115]. [Note 114: «Il y a huit ou dix sortes de patates, différentes en goust, en couleur & en feuilles. Pour ce qui regarde les feuilles, la différence est petite; car elles ont presque toutes la forme de coeur… Il suffit d'en nommer les plus communes, qui font les _Patates vertes, les Patates à l'oignon, les Patates marbrées, les Patates blanches, les Patates rouges, Les Patates orangées, les Patates à suif, les Patates souffrées_...» (Du Tertre, _Hist. des Antilles_.)] [Note 115: Planche XLIV.] Il y a audict pays nombre de melons d'estrange grosseur, qui sont très bons, la chair en est fort orangée, & y en a d'une autre sorte qui ont la chair blanche, mais ils ne sont de sy bon goust que les autres. Il y a aussy quantité de cocombres 32/36 très bons, des artichauts, de bonnes lettues, qui sont comme celles que l'on nomme rommainnes, choux à pome, & force autres herbes potagères, aussy des citrouilles qui ont la chair orengée comme les melons. Il y a des pomes qui ne sont pas beaucoup bonnes, & des poires d'assez bon goust, qui sont creues naturellement à la terre. Je croy que qui voudroit prendre la paine d'y planter des bons fruittiers de par deçà, ils y viendroient fort bien[116]. [Note 116: Planche XLV.] Par toute la Nove Espaigne il y a d'une espece de couleuvres [117], qui sont de la longeur d'une picque & grosse comme le bras, la teste grosse comme ung oeuf de poulle, sur laquelle elles ont deux plumes. Au bout de la queue elles ont une sonnette qui faict du bruit quand elles se traînent: elles sont fort dangereuses de la dent & de la queue, néantmoins les Indiens les mangent, leur ayant osté les deux extrémités [118]. [Note 117: «Champlain parle évidemment da Serpent à sonnettes (_Crotulus_); mais il paraît l'avoir confondu avec le serpent à cornes (_horned snake_), à cause des _plumes de la tête_.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 118: Planche XLVI.] Il y a aussy des dragons d'estrange figure, ayants la teste approchante de celle d'un aigle, les ailles comme une chauvesouris, le corps comme ung lézard, & n'a que deux pieds assez gros, la queue assez escailleuse, & est gros comme ung mouton: ils ne sont pas dangereux, & ne font mal à personne, combien qu'à les voir l'on diroit le contraire [119]. [Note 119: Planche XLVII.] J'ai veu ung lézard de sy estrange grosseur, que s'il m'eust esté recité par ung autre, je ne l'eusse pas creu, car je 33/37 vous asseures qu'ils sont gros comme ung quart de pippe. Ils sont comme ceux que nous voions icy quand à la forme, de couleur de verd brun, & vert jaulne sous le ventre; ils courent fort viste, sifflent en courant; ils ne sont poinct mauvais aux hommes, encore qu'ils ne fuient pas d'eux sy on ne les poursuit. Les Indiens les mangent & les trouvent fort bons[120]. [Note 120: Planche XLVIII.--«Probablement _Lacerta Iguana_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)] J'ay veu aussy par plusieurs fois, en ce païs là, des animaux qu'ils appellent des caymans, qui sont, je croy, une espece de cocodrille, sy grands, que tels des dicts caymans a vingt cinq & trente pieds de long, & est fort dangereux, car s'il trouvoit ung homme à son advantaige, sans doute il le devoreroit: il a le dessoubs du ventre jaulne blanchastre, le dessus armé de fortes escailles de couleur de verd brun, ayant la teste fort longue, les dents estrangement aiguës, la geulle fort fendue, les yeux rouges, fort flamboiant: sur la teste il a une manière de coronne. Il a quatre jambes fort courtes, le corps de la grosseur d'une barique: il y en a aussy de moindres. L'on tire de dessoubs les cuisses de derrière du musq excelent, ils vivent dans les estangs & mares, & dans les rivieres d'eau doulce. Les Indiens les mangent[121]. [Note 121: Planche XLIX.] J'ay aussy veu des tortues d'esmerveillable grosseur, & telle que deux chevaux auroient affaire à en traîner une. Il y en a qui sont sy grosses, que dedans l'escaille qui les couvre trois hommes se pourroient mettre & y nager comme dedans ung batteau: elles se peschent à la mer, la chair en 34/38 est très bonne, & resemblent à chair de boeuf. Il y en a fort grande quantité en toutes les Indes: l'on en voit souvent qui vont paistre dans les bois[122]. [Note 122: Planche L.] Il y a aussy quantité de tigres [123], des fourreures desquels l'on faict grand estat: ils ne se jettent poinct aux hommes sy on ne les poursuit. [Note 123: Planche LII.--«_Tigris Americana_ (LINN.)--Jaguar.» (Ed. Soc. Hakl.)] Il se void aussy au dict pays quelques sivettes [124] qui viennent du Pérou, où il y en a quantité. Elles sont meschantes & furieuses, & combien que l'on en voye icy ordinairement, je ne laisse pas d'en faire icy une figure [125]. [Note 124: «_Viverra Civetta_ (LINN.) Le _Gato de Algalia_ des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 125: Planche LI.] Il vient du Pérou à la Nove Espaigne une certainne espece de moutons, qui portent fardeaux comme chevaux, plus de quatre cents livres à journée. Ils sont de la grandeur d'un asne, le col fort long, la teste menue, la laine fort longue, & qui resemble plus à du poil comme à celuy des chevres qu'à de la layne: ils n'ont point de cornes comme les moutons de deçà. Ils sont fort bons à manger, mais ils n'ont pas la chair sy delicatte comme les nostres [126]. [Note 126: Planche LIII.--Le _Llama_.] Le pays est fort peuplé de cerfs, biches, chevreux, sangliers, renars, lievres, lappains, & autres animaux que nous avons par deçà, dont ils ne sont aucunement différends [127]. [Note 127: Planche LIV.] Il y a d'une sorte de petits animaux [128] gros comme des 35/39 barbots, qui voilent de nuict, & font telle clarté en l'air, que l'on diroit que ce sont autant de petittes chandelles. Sy l'on avoit trois ou quatres de ces petits animaux, qui ne sont pas plus gros que des noisettes, l'on pourroit aussy bien lire de nuict qu'avec une bougie. [Note 128: «_Fulgora suternaria_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)] Il se voict dans les bois & dans les campaignes grand nombre de chancres [129], semblables à ceux qui se trouvent en la mer, & sont aussy communément dans le païs comme à la mer de deçà. [Note 129: «_Gecarcinus, Cancer ruricolor_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)] Il y a une autre petite espece d'animaulx faicts comme des escrevisses, hors mis qu'ils ont le derrière devestu de coquilles, mais ils ont ceste proprietté de chercher des coquilles de limassons vuides, & logent dedans ce qu'ils ont de descouvert, traisnant tousjours ceste coquille après soy, & n'en délogent poinct que par force [130]. Les pescheurs vont receullir ces petittes bestes par les bois, & s'en servent pour pescher, & quand ils veulent prendre le poisson, ayant tiré ce petit animal de dedans sa coque, ils l'attachent par le travers du corps à leur lingne au lieu d'ameçon, puis le jette à la mer, & comme les poissons les pensent engloutir, ils pinsent les poissons des deux maistresses pattes, & ne les quitte point: & par ce moien les pescheurs prennent le poisson mesme de la pesanteur de cinq ou six livres. [Note 130: «_Pagurus streblany_ (LEACH); _Pagurus Bernardus_. (FABRICIUS); _Cancellus marinus et terrestris_; Bernard l'hermite; _Caracol soldada_ des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)] J'ay veu ung oyseau qui se nomme pacho del ciello [131], 36/40 c'est à dire oyseau du ciel, lequel nom luy est donné parce qu'il est ordinairement en l'air sans jamais venir à terre que quand il tombe mort. Il est de la grosseur d'un moyneau: il a la teste fort petite, le bec court, partye du corps de couleur vert brun, le reste roux, & a la queue de plus de deux piez de long, & sont presque comme celle d'une aigrette, & grosse estrangement au respect du corps: il n'a point de piedz. L'on dict que la femelle pont ung oeuf seulement sur le dos du malle, par la chaleur duquel ledict oeuf s'esclot, & comme l'oyseau est sorty de la coque, il demeure en l'air, dont il vit comme les autres de ceste espece: je n'en ay veu qu'un que nostre général achepta cent cinquante escus. On dît que l'on les prend vers la coste de Chille, qui est un contient de terre ferme, qui tient depuis le Pérou jusques au destrois de Magelano, que les Espaignols vont descouvrant & ont guerre avec les sauvages du pays, auquel l'on dit que l'on descouvre Des mines d'or & d'argent. J'ay mis icy la figure du dict oyseau[132]. [Note 131: «_Pacho del ciello.--Paradisia_, Oiseau du Paradis. On a cru longtemps que cet oiseau vivait constamment en l'air, et n'avait point de pieds. Les spécimens envoyés en Europe sont ordinairement dépouillés des pattes, le corps et la queue étant les seules parties employées à former les plumets et les aigrettes; de là la croyance que ces oiseaux n'ont point de pieds.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 132: Planche LV.] J'ay pensé qu'il n'est pas hors de propos de dire que le bois d'ebene vient d'un arbre fort hault comme le chesne; il a le dessus de l'escorche comme blanchastre, & le coeur fort noir, comme vous le verrez de l'autre part representé[133]. [Note 133: Planche LVI.] Le bresil est arbre fort gros au respect du bois d'ebene, & de mesme hauteur, mais il n'est sy dur. Le dict arbre de bresil porte comme une manière de nois qui croissent à la 37/41 grosseur des nois de galle, qui viennent dedans des ormeaux. Apres avoir parlé des arbres, plantes & animaux, il faut que je face ung petit récit des Indiens & de leur nature, moeurs & créance. La plus part desdicts Indiens, qui ne sont point soubs la domination des Espaignols, adorent la lune comme leur dieu, & quand ils veulent faire leurs cérémonies, ils s'assemblent tant grands que petits au milieu de leur village & se mettent, en rond, & ceux qui ont quelque chose à manger l'apportent, & mettent toutes les vivres ensemble au milieu d'eux, & font la milleure chère qui leur est possible. Apres qu'ils sont bien rasassiés, ils se prennent tous par la main, & se mettent à danser, avec des cris grands & estranges, leur chant n'ayant aucun ordre ny suitte. Apres qu'ils ont bien chanté & dansé, ils se mettent le visage en terre, & tout à ung coup tous ensemble commencent à crier & pleurer en disant: O puissante & claire lune, fay que nous puissions vaincre nos ennemis, & que les puissions manger, à cette fin que ne tombions entre leurs mains, & que mourans nous puissions aller avec nos parents nous resjouir. Apres avoir faict ceste prière, il se relevent & se mettent à danser tous en rond & dure leur feste ainsy dansans, pryans & chantans environ six heures. Voila ce que j'ay appris de cérémonies & créances de ces pauvres peuples, privés de la raison, que j'ay icy figurés [134]. [Note 134: Planche LIX.] Quant aux autres Indiens qui sont soubs la domination du Roy d'Espaigne, s'il n'y donnoit ordre, ils seroient en aussy barbare créance comme les autres. Au commencement de ses 38/42 conquestes, il avoit establi l'inquisition entre eux, & les rendoit esclaves ou faisoit cruellement mourir en sy grand nombre, que le récit seulement en faict pityé. Ce mauvais traittement estoit cause que les pauvres Indiens, pour la prehension d'iceluy, s'enfuioient aux montaignes comme desesperés, & d'autant d'Espaignols qu'ils attrapoient, ils les mangeoient; & pour ceste occasion lesdicts Espaignols furent contraints leur oster ladicte inquisition, & leur donner liberté de leur personne, leur donnant une reigle de vivre plus doulce & tolerable, pour les faire venir à la cognoissance de Dieu & la créance de la saincte Eglise: car s'ils les vouloient encor chatier selon la rigeur de ladicte inquisition, ils les feroient tous mourir par le feu. L'ordre dont ils usent maintenant est que en chacun estance[135] qui sont comme vilages, il y a ung prestre qui les instruict ordinerement, ayant le prestre ung rolle de noms & surnoms de tous les Indiens qui habitent au village soubs sa charge. Il y a aussy ung Indien qui est comme procureur du village, qui a ung autre pareil rolle, & le dimanche, quand le prestre veult dire la messe, tous lesdicts Indiens sont teneus se presenter pour l'ouir, & avant que le prestre la Commence, il prend son rolle, & les appelle tous par leur nom & surnom, & sy quelqu'un deffault, il est marqué sur Ledict rolle, puis la messe dite, le prestre donne charge à l'Indien qui sert de procureur de s'informer particullierement où sont les defaillans, & qui les face revenir à l'église, où estant devant ledict 39/43 prestre, il leur demande l'occasion pour lequel ils ne sont pas veneus au service divin, dont ils allèguent quelques excuses s'ils peuvent en trouver, & sy elles ne sont trouvés véritables ou raisonnables, ledict prestre commande audict procureur Indien qui aye à donner hors l'eglise, devant tout le peuple, trente ou quarante coups de baston aux défaillants. Voilla l'ordre que l'on tien à les maintenir en la religion, en laquelle ils vivent partye pour crainte d'estre battus: il est bien vray que s'ils ont quelque juste occasion qui les empesche de venir à la messe, ils sont excusés. [Note 135: De l'espagnol estancia, demeure.] Tous ces Indiens sont d'une humeur fort melancholique, & ont neantmoins l'esprit fort vif, & comprennent en peu de temps ce qu'on leur montre, & ne s'ennuient poinct pour quelque chose ou injure qu'on leur face ou dye. J'ay figuré, en ceste page & la suivante, ce qui se peult bien representer de ce que j'en ay discouru cy dessus[136]. [Note 136: Planche LX et LXI.] La pluspart des dicts Indiens ont leur logement estrange, & sans aucun arrest, car ils ont une manière de coches qui sont couvertes d'escorche d'arbres, attelés de chevaux, mulets ou boeufs, & ont leurs femmes & enfants dedans lesdicts coches, & sont ung mois ou deux en ung endroict [du] païs, puis s'en vont en ung autre lieu, & sont continuellement ainsy errans parmy le pays. Il y a une manière d'Indiens qui vivent & font leurs demeures en certains villages qui appartiennent aux seigneurs ou marchands, & cultivent les terres [137]. [Note 137: Planche LXII.] 40/44 Or pour revenir au discours de mon voiage, après avoir demeuré ung mois entier à Mechique, je retournay à St Jean de Luz, auquel lieu je m'enbarquay dans une patache qui alloit à Portovella[138], où il y a quatre cents ou cinq cents lieues. Nous feusmes trois sepmaines sur la mer avant que d'ariver au dict lieu de Portovella, où je trouvay bien changement de contrée, car au lieu d'une très bonne & fertille terre que j'avois trouvé en la Nove Espaigne, comme j'ay recité cy dessus, je rencontray bien une mauvaise terre, estant ce lieu de Portovella, la plus meschante & malsaine demeure qui soit au monde: il y pleut presque tousjours, & sy la pluye cesse une heure, il y faict sy grande chaleur que l'eau en demeure toute infectée, & rend l'air contagieux, de telle sorte que la pluspart des soldats ou mariniers nouveaux venneus y meurent. Le pays est fort montaigneux, remply de bois de sappins, & où il y a sy grande quantité de singes, que c'est chose estrange à voir. Neantmoins ledict port de Portovella est très bon; il y a deux chasteaux à l'entrée qui sont assez forts, dans lesquels il y a trois cents soldats en garnison. Joignant ledict port, où sont les forteresses, il y en a ung autre qui n'en est aucunement commandé, & où une armée pourroit descendre seurement. Le Roy d'Espaigne tient ce port pour une place de consequence, estant proche du Pérou, car il n'y a que dix sept lieues jusque à Bahama, qui est à la bande du sur. [Note 138: Porto-Bello.] 41/45 Ce port de Panama, qui est sur la mer du [139], est très bon, & y a bonne radde, & la ville fort marchande, dont la figure ensuit [140]. [Note 139: Lacune dans l'original.] [Note 140: A partir d'ici, l'auteur annonce des figures qui manquent dans l'original.] En ce lieu de Panama s'assemble tout l'or & l'argent qui vient du Pérou, où l'on les charges, & toutes les autres richesses sur une petite riviere qui vient des montaignes, & qui descend à Portovella, laquelle est à quatre lieues de Panama, dont il faut porter l'or, l'argent & marchandises sur mulets: & estans enbarqué sur ladicte riviere, il y a encor dix huict lieues jusques à Portovella. L'on peult juger que sy ces quatre lieues de terre qu'il y a de Panama à ceste riviere estoient couppés, l'on pourroit venir de la mer du su en celle de deçà, & par ainsy l'on accourciroit le chemin de plus de quinze cents lieues[141]; & depuis Panama jusques au destroit de Magellan ce seroit une isle, & de Panama jusques aux Terres noeusves une autre isle, de sorte que toute l'Americque seroit en deux isles. [Note 141: «La jonction de l'océan Atlantique et de l'océan Pacifique à travers l'isthme de Panama, n'est pas, comme on voit, une idée moderne. Champlain a peut-être le mérite de l'avoir émise le premier.» (Ed. Soc. Hakl.)] Sy ung ennemy du Roy d'Espaigne tenoit ledict Portovella, il empescheroit qu'il ne sortist rien du Pérou, qu'à grande difficulté & risque, & plus de despens qu'il ne reviendroit de proffit. Drac [142] fust au dict Portovella pour le surprendre, mais il faillit son entreprise, ayant esté 42/46 descouvert, dont il mourut de desplaisir, & commanda en mourant qu'on le mist en ung tombeau, & qu'on le jettast entre une isle & le dict Portovella. Ensuit la figure de ladicte riviere & plan du pays[143]. [Note 142: «Sir Francis Drake, après son infructueuse tentative sur Porto-Rico, poursuivit son voyage à Nombre-de-Dios, où, ayant débarqué ses hommes, il essaya de s'avancer jusqu'à Panama, dans le dessein de ravager la place, ou, s'il trouvait la chose praticable, la garder et la fortifier; mais il n'y rencontra pas les mêmes facilités que dans ses premières entreprises. Les Espagnols avaient fortifié les passages, et posté, dans les bois, des troupes qui incommodaient tellement les Anglais par des escarmouches et des alarmes continuelles, que ceux-ci furent contraints de s'en retourner sans rien faire. Drake lui-même, par suite des intempéries du climat, des fatigues du voyage, et des chagrins du désappointement, fut saisi d'une indisposition dont il mourut peu après. (Voir Hume's _Hist. of England_, ann. 1597. Drake mourut le 30 décembre 1596, vieux style, ou le 9 janvier 1597, style neuf.) L'on disposa de son corps de la manière mentionnée par Champlain.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 143: Cette figure manque dans l'original.] Ayant demeuré ung moys audict Portovella, je m'en revins à St Jean de Luz, où nous sejournasmes quinze jours, en attendant que l'on fist donner carenne à nos vaisseaux pour aller à la Havanne, au rendez vous des armées & flottes. Et estants partis pour cest effect dudict St Jean de Luz, comme nous feusmes vingt lieues en mer, ung houracan nous prist de telle furye d'un vent de nord, que nous nous pensasmes tous perdre, & feusmes tellement escartés les ungs des autres, que nous ne nous peusmes rallier que à la Havanne; d'autre part nostre vaineau faisoit telle quantité d'eau, que nous ne pensions pas eviter ce péril, car sy nous avions une demye heure de repos sans tirer l'eau, il falloit travaller deux heures sans relache, & sans la rencontre que nous fismes d'une patache, qui nous remist à nostre route, nous allions nous perdre à la coste de Campesche, en laquelle coste de Campesche il y a quantité de sel qui se faict & engendre sans art, par retenue d'eau qui demeure après les grandes marés, & se congele au soleil. Nostre pillotte avoit perdu toute la cognoissance de la navigation, mais par la grâce de Dieu, [qui] nous envoya rencontre de ceste patache, 43/47 nous nous rendismes à la Havanne, dont avant que de parler je reprefenteray icy ladicte coste de Campesche [144]. [Note 144: Cette carte manque également dans l'original.] Arivames à la Havanne, nous y trouvasmes nostre général, mais nostre admirante n'y estoit pas encores arrivé, qui nous faisoit croire qu'il estoit perdu; toutesfoys il se rendict bien tost après avec le reste de ses vaisseaux. Dix huict jours après nostre arrivée audict lieu de la Havanne, je m'enbarquay en ung vaisseau qui alloit à Cartage[145], & feusmes quinze jours à faire ledict voiage. Ce lieu est ung très bon port, où il y a belle entrée, à l'abry de tous vents, fors du nord norouest, qui frape dans ledict port, dans lequel il y a troys isles: le Roy d'Espaigne y entretient deux galleres. Ledict lieu est en païs que l'on appelle terre ferme, qui est très bon, bien fretille, tant en bledz, fruict, que autres choses necessaires à la vye, mais non pas en telle abondance qu'en la Neufve Espaigne, & en recompense, il se tire aussy plus grand nombre d'argent audict lieu de terre ferme. Je demeuray ung mois & demy audict lieu de Cartagenes, & pris ung portraict de la ville & du port que j'ay icy raporté [146]. [Note 145: Carthagènes.] [Note 146: Le plan manque dans l'original.] Partant dudict lieu de Cartagene, je m'en retournay à la Havanne trouver nostre général, qui me fist fort bonne reception, pour avoir veu par son commandement les lieux où j'avois esté. Ledict port de la Havanne est l'un des plus beaux que j'aye veu en toutes les Indes, il a l'entrée fort estroitte, très bonnes, & bien munies de ce qui est 44/48 necessaire pour le conserver, & d'un fort à l'autre il y a une chaine de fer qui traverse l'entrée du port. La garnison desdictes forteresses est de six cents soldats: à sçavoir, en l'une nommée le More, du costé de l'est, quatre cents, & en l'autre forteresse, qui s'appelle le fort neuf, & en la ville deux cents. Au dedans dudict port il y a une baye qui contient en rondeur plus de six lieues, ayant une lieue de large, où l'on peult mouller l'ancre en tous endroicts, à troys, quatre, six, huict, dix, quinze & saize brasses d'eau, & y peuvent demeurer grand nombre de vaisseaux: il y a une très bonne ville & fort marchande, laquelle est figurée en la page suivante [147]. [Note 147: Le plan manque dans l'original.] L'isle en laquelle sont ledict port & la ville de la Havanne s'appelle Cuba, & est fort montaigneuse, il n'y a aucune mine d'or ou d'argent, mais plusieurs mines de mestail, dont ils font des pièces d'artillerye en [148] la ville de la Havanne. Il ne croist ny bled ny vin dans ladicte isle: celuy qu'ils mangent vient de la Neufve Espaigne, de façon que quelque fois il y est fort cher. [Note 148: Le manuscrit porte _et_, ou quelque chose de semblable; pour former un sens raisonnable, nous avons cru pouvoir mettre _en_. Le traducteur de la Société Hakluyt a rendu ce petit mot par _for_, pour.] Il y a en ladicte isle quantité de fruicts fort bons, entre autres ung qui s'appelle pines [149], qui ressemble parfaidement aux pins de par deçà. Ils ostent l'escorche, puis le couppent par la moityé, comme pommes, & a ung très bon goust, fort doux, come sucre. [Note 149: Pina de Indias (espagnol), l'ananas. «Nos habitans, dit le P. du Tertre (Hist. des Antilles), en distinguent de trois sortes, ausquelles se peuvent rapporter toutes les autres: à sçavoir, le gros Ananas blanc, le pain de sucre, & la pomme de rainette. Le premier a Quelquefois huit ou dix pouces de diamettre, & quinze ou seize pouces de haut... Quoy qu'il toit plus gros & plus beau que les autres, son goust n'est pas si excellent; aussi n'est-il pas tant estimé... Le second porte le nom de sa forme, parce qu'il est tout semblable à un pain de sucre... Le troisième est le plus petit; mais c'est le plus excellent... Tous conviennent en ce qu'ils croissent d'une mesme façon, portent tous le bouquet de feuilles ou la couronne sur la teste, & ont l'escorce en forme de pomme de pin, laquelle se leve pourtant & se coupe comme celle d'un melon.»] 45/49 Il y a quantité de bestial, comme boeufs, vaches & pourceaux, qui est la milleure viande de toutes les autres en ce pays-là. En toutes ces Indes, ils tiennent grande quantité de boeufs, plus pour en avoir les cuirs que pour les chairs. Pour les prendre ils ont des naigres qui courent à cheval après ces boeufs, & avec des astes[150], où il y a un croissant au bout fort tranchant, couppent les jarets des boeufs, qui sont aussy tost escorchés, & la chair sy tost consommé, que vingt quatre heures après l'on n'y en recognoist, estant devoré de grand nombre de chiens sauvages qui sont audict pays, & autres animaux de proye. [Note 150: _Hastes_, lances ou piques.] Nous feusmes quatre mois à la Havanne, & partant de là, avec toute la flotte des Indes qui s'y estoit assemblée de toutes parts, nous allâmes pour passer le canal de Bahan[151], qui est un passage de consequence, par lequel il faut necessairement passer en retournant des Indes. A l'un des costés d'iceluy passage, au nord, gist la terre de la Floride, & au su la Havanne: la mer court dans ledict canal de grande impetuosité. Ledict canal a quatre vingt lieues de long, & de large huict lieues, comme il est cy après figuré, ensemble ladicte terre de la Flouride, au moins ce que l'on recognoist de la coste[152]. [Note 151: Bahama.] [Note 152: Cette carte manque dans l'original.] 46/50 En sortant dudict canal l'on va recognoistre la Bermude, qui est une isle montaigneuse, de laquelle il faict mauvais approcher, à cause des dangers qui sont autour d'icelle: il y pleut presque tousjours, & y tonne sy souvent, qu'il semble que le ciel & la terre se doibvent assembler; la mer est fort tempestueuse au tour de la dicte isle, & les vagues haultes comme les montaignes. Ladicte isle est icy figurée [153]. [Note 153: Cette figure manque également dans l'original.] Ayant passé le travers de ladicte isle, nous vismes telles quantité de poissons vollants [154], que c'est chose estrange: nous en primes quelques uns qui vindrent sur nos vaisseaux, ils ont la forme comme ung harents, les ailles plus grandes, & sont très bons à manger. [Note 154: «_Exocetus volitans_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)] Il y a certains poissons qui sont gros comme bariques, que l'on appelle tribons[155], qui courent après lesdicts poissons vollants pour les manger; & quand lesdicts poissons vollants voient qu'ils ne peuvent fuir autrement, ils se lancent sur l'eau, & vollent environ cinq cents pas, & par ce moien ils se guarantissent dudict tribon, qui est cy dessoubs figuré[156]. [Note 155: «_Tiburon_ (esp.) requin, confondu probablement avec le _bonito_, lequel, avec la dorade (_Sparus aurata_), est l'ennemi mortel du poisson volant.» (Ed. Soc. Hakl.)] [Note 156: La figure manque dans l'original.] Il faut que je dye encore qu'à costé dudict canal de Bahan, au sudsuest, l'on voict l'isle St Domingue, dont j'ay parlé cy dessus, qui est fort bonne & marchande en cuirs, gingembre & caffé, tabac, que l'on nomme autrement petung, ou herbe à la Royne, que l'on faict seicher, puis l'on en 47/51 faict des petits tourteaux. Les mariniers, mesme les Anglois, & autres personnes en usent & prennent la fumée d'iceluy à l'imitation des sauvaiges, encores que j'aye cy dessus representé ladicte isle de St Domingue, je figureray neantmoins icy la coste d'icelle vers le canal de Bahan[157]. [Note 157: Cette carte manque dans l'original.] J'ay parlé cy dessus de la terre de Flouride: je diray encores icy que c'est l'une des bonnes terres que l'on sçauroit desirer, estant très fretille sy elle estoit cultivée; mais le Roy d'Espaigne n'en fait pas d'estat, pour ce qu'il n'y a point de mines d'or ou d'argent. Il y a grande quantité de sauvaiges, lesquels font la guerre aux Espaignols, lesquels ont ung fort sur la pointe de ladicte terre, où il y a ung bon port. Ceste terre basse, la plus part, est fort agréable. Quatre jours après que nous eusmes passé la Bermude, nous eusmes une sy grande tourmente, que toute nostre armée fust plus de six jours sans se pouvoir rallier. Apres lesdicts six jours passés, le temps estant devenu plus beau, & la mer plus tranquille, nous nous rassemblasmes tous, & eusmes le vent fort à propos, jusques à la recognoissance des Essores mesme l'isle Terciere [158] cy figuré [159]. [Note 158: Terceire, ou Tercère, l'une des Açores.] [Note 159: La figure manque dans l'original.] Il faut necessairement que tous les vaisseaux qui s'en reviennent des Indes recognoissent lesdictes isles des Essores, pour prendre là leur hauteur, autrement ils ne pourroient seurement parachever leur routte. 48/52 Ayants passé lesdictes isles des Essores, nous feusmes recognoistre le cap St Vincent, où nous prismes deux vaisseaux Anglois qui estoient en guerre, que nous menames en la riviere de Seville, d'où nous estions partis, & où fust l'achevement de nostre voiage, Auquel je demeuray depuis nostre partement de Seville, tant sur mer que sur terre, deux ans[160] deux mois. [Note 160: A compter du départ de la flotte, qui fit voile de San Lucar de Barameda dans les premiers jours de janvier 1599, l'auteur aurait été de retour vers le commencement de mars 1601. Cependant, les détails de l'expédition ne permettent guère de supposer que le voyage ait duré plus de deux ans; et alors il faut admettre que Champlain fait entrer en ligne de compte le temps qui s'écoula entre son départ de Séville et le départ de la flotte. Dans tous les cas, nous ne voyons pas comment le traducteur de la Société Hakluyt peut justifier la correction qu'il fait au texte dans ce passage, en mettant _trois ans et deux mois_, au lieu de _deux ans deux mois_ que porte l'original; si ce n'est qu'il fallait mettre le texte en harmonie avec le titre tel qu'il l'avait lu.] FIN du Tome I. 49/53 [Illustrations: Planches N° I à LXII.] (La prochaine page est 54, qui est la page titre du Tome II). ii/54 OEUVRES DE CHAMPLAIN PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE L'UNIVERSITÉ LAVAL PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A. PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ SECONDE ÉDITION TOME II QUÉBEC Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS 1870 iii/55 _La première édition du_ Voyage de 1603 _est d'une excessive rareté. Il n'y en a, jusqu'à ce jour, qu'un seul exemplaire de connu; c'est celui de la Bibliothèque Impériale de Paris. Nous devons à l'extrême obligeance de M. l'abbé Verreau, la copie qui a servi à cette présente édition._ Des Sauvages: _tel est le titre que l'auteur donna à sa première publication; tandis que ses autres relations sont intitulées_ Voyages. _L'auteur a-t-il choisi ces mots uniquement pour piquer la curiosité du lecteur, à une époque ou l'on n'avait encore sur les sauvages que quelques récits plus ou moins fabuleux? ou bien a-t-il voulu donner à entendre par là, qu'il ne publiait cet opuscule que comme un épisode d'un voyage dont il n'avait pas le commandement en chef? Cette dernière supposition expliquerait un peu pourquoi le nom de Pont-Gravé ne figure ni dans le titre, ni dans les préliminaires, bien qu'il fût officiellement chargé iv/56 de la conduite de l'expédition. Quoiqu'il en soit, il semble Que la chose ait été remarquée dans le temps; car la Chronologie Septénaire, qui reproduit ce voyage, a presque l'air de vouloir tirer une petite vengeance en ne mentionnant que le nom de Pont-Gravé, sans dire même que la relation fût de Champlain. L'auteur, dans son édition de 1632, a peut-être voulu réparer cette omission, qui était de nature à blesser un peu la susceptibilité de celui_ qu'il respectait comme son père. _«Après la mort du sieur Chauvin, dit-il, le Commandeur de Chaste obtint nouvelle commission de Sa Majesté, et, d'autant que la dépense était fort grande, il fit une société avec plusieurs gentilshommes et principaux marchands de Rouen et d'autres lieux... Le dit Pont-Gravé, avec commission de Sa Majesté (comme personne qui avait déjà fait le voyage, et reconnu les défauts du passé), fut élu pour aller à Tadoussac, et promet d'aller jusques au saut Saint-Louis, le découvrir et passer outre, pour en faire son rapport à son retour, et donner ordre à un second embarquement.» C'était donc Pont-Gravé qui était commissionné pour ce voyage, et ce n'était que justice de le mentionner._ (Il n'y a pas de page 57) ii/58 DES SAUVAGES OU VOYAGE DE SAMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE, FAIT EN LA FRANCE NOUVELLE, L'an mil six cens trois: Contenant: Les moeurs, façon de vivre, mariages, guerres & habitation des Sauvages de Canadas. De la descouverte de plus de quatre cens cinquante lieues dans le païs des Sauvages. Quels peuples y habitent; des animaux qui s'y trouvent; des rivieres, lacs, isles & terres, & quels arbres & fruicts elles produisent. De la coste d'Arcadie, des terres que l'on y a descouvertes, & de plusieurs mines qui y sont, selon le rapport des Sauvages. A PARIS, Chez CLAUDE DE MONSTR'OEIL, tenant sa boutique en la cour du Palais au nom de Jésus. ================================================= _Avec privilége du Roy._ iii/59 EPISTRE TRES NOBLE HAUT & PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE CHARLES DE MONTMORENCY, Chevalier des Ordres du Roy, Seigneur d'Ampville & de Meru, Comte de Secondigny, Vicomte de Meleun, Baron de Chateauneuf & de Gonnort, admiral de France & de Bretagne. _Monseigneur, Bien que plusieurs ayent escript quelque chose du pays de Canadas, je n'ay voulu pourtant m'arrester à leur dire, & ay expressement esté sur les lieux pour pouvoir rendre fidèle tesmoignage de la vérité, laquelle vous verrez (s'il vous plaît) au petit discours que je vous adresse, lequel je iv/60 vous supplie d'avoir pour agreable, & ce faisant, je prieray Dieu, Monseigneur, pour votre grandeur & prosperité, & demeureray toute ma vie_ Votre très humble & obeïssant serviteur S. CHAMPLAIN. v/61 LE SIEUR DE LA FRANCHISE AU DISCOURS DU SIEUR CHAMPLAIN. Muses, si vous chantez, vraiment ije vous conseille Que vous louiez Champlain, pour estre courageux: Sans crainte des hasards, il a veu tant de lieux, Que ses relations nous contentent l'oreille. Il a veu le Pérou [1], Mexique & la Merveille Du Vulcan infernal qui vomit tant de feux, Et les saults Mocosans [2], qui offensent les yeux De ceux qui osent voir leur cheute nonpareille. Il nous promet encor de passer plus avant, Réduire les Gentils, & trouver le Levant, Par le Nort, ou le Su, pour aller à la Chine. C'est charitablement tout pour l'amour de Dieu. Sy des lasches poltrons qui ne bougent d'un lieu! Leur vie, sans mentir, me paroist trop mesquine._ DE LA FRANCHISE. [Note 1: Champlain a bien été jusqu'à Mexico, comme on peut le voir dans son Voyage aux Indes Occidentales; mais il ne s'est pas rendu au Pérou, que nous sachions.] [Note 2: Mocosa est le nom ancien de la Virginie. Cette expression, _saults Mocosans_, semble donner à entendre que, dès 1603 au moins, l'on avait quelque connaissance de la grande chute de Niagara.] vi/62 EXTRAICT DU PRIVILEGE. Par privilege du Roy donné à Paris le 15 de novembre 1603, signé Brigard. Il est permis au Sieur de Champlain de faire imprimer par tel imprimeur que bon luy semblera un livre par luy composé, intitulé. _Des Sauvages, ou Voyage du Sieur de Champlain, fait en l'an 1603_, & sont faictes deffenses à tous libraires & imprimeurs de ce Royaume, de n'imprimer, vendre & distribuer ledict livre, si ce n'est du consentement de celuy qu'il aura nommé & esleu, à peine de cinquante escus d'amende, de confiscation & de tous despens, ainsi qu'il est plus amplement contenu audit privilege. Ledict Sieur de Champlain, suivant son dit privilege, a esleu & permis à Claude de Monstr'oeil, libraire en l'université de Paris, d'imprimer le susdict livre, & luy a cédé & transporté son dit privilege, sans que nul autre le puisse imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer, durant le temps de cinq années, sinon du consentement dudict Monstr'oeil, sur les peines contenues audit privilege. vii/63 TABLE DE CHAPITRES. Bref du discours, où est contenu le Voyage depuis Honfleur en Normandie jusques au port de Tadousac en Canadas. Chap. I. Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des Sauvages de Canada, leurs festins & dances, la guerre qu'ils ont avec les Irocois, la façon & de quoy sont faicts leurs canots & cabanes: avec la description de la poincte de Sainct Mathieu. Chap. II. La rejouissance que font les Sauvages après qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs; endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions; parlent aux diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges, avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts. Chap. III. Riviere du Saguenay, & son origine. Chap. IV. Partement de Tadousac pour aller au Sault; la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans & de plusieurs autres isles, & de nostre arrivée à Québec. Chap. V. De la poincte Saincte Croix, de la riviere de Batiscan, des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Québec jusques aux Trois-Rivieres. Chap. VI. Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on voit dans le pays de la riviere des Irocois, & de la forteresse des Sauvages qui leur font la guerre. Chap. VII. Arrivée au Sault, sa description, & ce qui s'y void de remarquable, avec le rapport des Sauvages de la fin de la grande riviere. Chap. VIII. Retour du Sault à Tadousac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & commencement de la riviere de Canadas; du nombre des saults & lacs qu'elle traverse. Chap. IX. Voyage de Tadousac en l'isle Percée; description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouvent plusieurs sortes de mines. Chap. X. Retour de l'isle Percée à Tadousac, avec la description des anses, ports, rivieres, isles, rochers, saults, bayes & basses, qui sont le long de la coste du Nort. Chap. XI. viii/64 Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la guerre: Des Sauvages Almouchicois & de leurs monstrueuses formes. Discours du sieur Prevert de Sainct Malo, sur la descouverture de la coste d'Arcadie, quelles mines il y a, & de la bonté & fertilité du pays. Chap. XII. D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. Chap. XIII. 1/65 DES SAUVAGES ou VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN faict en l'an 1603. _Bref discours où est contenu le voyage depuis Honfleur en Normandie, jusques au port de Tadousac en Canadas._ CHAPITRE PREMIER. Nous partismes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit jour, nous relaschasmes à la rade du Havre de Grace, pour n'avoir le vent favorable. Le dimanche ensuyvant, 16e jour dudit mois, nous mismes à la voille pour faire nostre route. Le 17 ensuyvant, nous eusmes en veue D'orgny & Grenesey [3], qui sont des isles entre la coste de Normandie & Angleterre. Le 18 dudit mois, eusmes la congnoissance de la coste de Bretagne. Le 19 nous faisions estat, à 7 heures du soir estre le travers de Ouessans. Le 21, à 17 heures[4] du matin, nous rencontrasmes 7 vaisseaux flamans, qui, à nostre 2/66 jugement, venoient des Indes. Le jour de Pasques, 30 dudit mois, fusmes contrariez d'une grande tourmente, qui paroissoit estre plustost foudre que vent, qui dura l'espace de dix-sept jours, mais non si grande qu'elle avoit faict les deux premiers jours, & durant cedict temps, nous eusmes plus de déchet que d'advancement. Le 16e jour d'apvril, le temps commença à s'adoucir, & la mer plus belle qu'elle n'avoit esté, avec contentement d'un chacun; de façon que continuans nostre dicte route jusques au 28e jour dudit mois, que rencontrasmes une glace fort haulte. Le lendemain, nous eusmes congnoissance d'un banc de glace qui duroit plus de 8 lieues de long, avec une infinité d'autres moindres, qui fut l'occasion que nous ne pusmes passer; & à l'estime du pilote les dittes glaces estoient à quelque 100 ou 120 lieues de la terre de Canadas, & estions par les 45 degrez 2/3, & vinsmes trouver passage par les 44. [Note 3: Avrigny et Guernesey.] [Note 4: Il est évident qu'il faut lire «7 heures,» vu qu'il n'est point question d'une observation astronomique; d'ailleurs, même dans son Traité de la Marine, Champlain sépare le jour en deux fois douze heures.] Le 2 de may, nous entrasmes sur le Banc à unze heures du jour par les 44. degrez 2/3. Le 6 dudict mois, nous vinsmes si proche de terre, que nous oyons la mer battre à la coste; mais nous ne la peusmes recongnoistre pour l'espaisseur de la brume dont ces dittes costes sont subjectes, qui fut cause que nous mismes à la mer encores quelques lieues, jusques au lendemain matin, que nous eusmes congnoissance de terre, d'un temps assez beau, qui estoit le cap de Saincte Marie [5]. [Note 5: Jean Alphonse mentionne ce nom, de même que celui des îles Saint-Pierre, dès l'année 1545, dans sa Cosmographie. (Biblioth. impériale, _ms. fr. 676._)] 3/67 Le 12e jour ensuyvant, nous fusmes surprins d'un grand coup de vent, qui dura deux jours. Le 15 dudict mois, nous eusmes congnoissance des isles de Sainct Pierre. Le 17 ensuyvant, nous rencontrasmes un banc de glace, prés du cap de Raie, qui contenoit six lieues, qui fut occasion que nous amenasmes toute la nuict, pour éviter le danger où nous pouvions courir. Le lendemain, nous mismes à la voille, & eusmes congnoissance du cap de Raye, & isles de Sainct Paul, & cap de Sainct Laurens[6], qui est terre ferme à la bande du Su; & dudict cap de Sainct Laurens jusques audict cap de Raie il y a dix-huict lieues, qui est la largeur de l'entrée de la grande baie de Canadas [7]. Ce dict jour, sur les dix heures du matin, nous rencontrasmes une autre glace qui contenoit plus de huict lieues de long. Le 20 dudict mois, nous eusmes congnoissance d'une isle qui a quelque vingt-cinq ou trente lieues de long, qui s'appelle Anticosty[8], qui est l'entrée de la riviere de Canadas [9]. 4/68 Le lendemain, eusmes congnoissance de Gachepé[10], terre fort haulte, & commençasmes à entrer dans la dicte riviere de Canadas, en rangeant la bande du Su jusques à Mantanne[11], où il y a, dudict Gachepé, soixante-cinq lieues. Dudict Mantanne, nous vinsmes prendre congnoissance du Pic [12], où il y a vingt lieues, qui est à laditte bande du Su; dudict Pic, nous traversasmes la riviere jusques à Tadousac, où il y a quinze lieues. Toutes ces dittes terres sont fort haultes élevées, qui sont sterilles, n'apportant aucune commodité. [Note 6: Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproché du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est éloigné de deux lieues.] [Note 7: Cette expression «baie de Canada», pour désigner le golfe Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont été employés simultanément; car on voit, par la carte de Thévet, que le golfe Saint-Laurent portait, dès 1575, le même nom qu'aujourd'hui. Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accordés à appeler communément _la Grande-Baie_, est cette partie du golfe comprise entre la côte du Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve.] [Note 8: L'île d'Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom d'Anticosti, de même que ceux de Gaspé, de Matane, de Tadoussac et autres, était déjà suffisamment connu à cette époque, pour que Champlain se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, dès l'année 1586, Thévet, dans son Grand Insulaire, dit «que les sauvages du pays L'appellent _Naticousti_»; ce que confirme Lescarbot du temps même de Champlain: «Cette ile est appellée, dit-il, par les Sauvages du païs _Anticosti_.» D'un autre côté, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans doute des voyageurs qu'il cite, l'appelle _Natiscotec_, et Jean de Lact adopte, sans dire pourquoi, l'orthographe de Hakluyt. «Elle est nommée, dit-il, en langage des sauvages _Natiscotec_.» Ce dernier nom se rapproche davantage de celui de _Natascoueh_ (où l'on prend l'ours), que lui donnent aujourd'hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui donna le nom d'_Ile de l'Assomption_. Soit erreur, soit antipathie pour le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse l'appellent _Ile de l'Ascension_. Thévet la mentionne, dans sa Cosmographie universelle, sous le nom de _Laisple_, et, dans son Grand Insulaire, il l'appelle, comme Cartier, «Isle de l'Assomption, laquelle, ajoute-t-il, d'autres nomment _de Laisple_.»] [Note 9: Le fleuve Saint-Laurent.] [Note 10: Ou Gaspé. Suivant M. l'abbé J.-A. Maurault, ce nom serait une contraction du mot abenaquis «_Katsepisi_, qui est séparément, qui est séparé de l'autre terre.» On sait, en effet, que le Forillon, aujourd'hui miné par la violence des vagues, était un rocher remarquable séparé du cap de Gaspé.] [Note 11: Ou Matane. Jean Alphonse l'appelle rivière de Caën.] [Note 12: Le Bic. Au temps de Jean Alphonse, on l'appelait Cap de Marbre. Jacques Cartier, en 1535, avait donné au havre du Bic le nom d'Isleaux Saint-Jean, parce qu'il y était entré le jour de la Décollation de saint Jean.] Le 24 dudict mois, nous vinsmes mouiller l'ancre devant Tadousac [13], & le 26 nous entrasmes dans le dict port qui est faict comme une anse, à l'entrée de la riviere du Sagenay, où il y a un courant d'eau & marée fort estrange pour sa vitesse & profondité, où quelques fois il vient des vents impétueux [14] à cause de la froidure qu'ils amènent avec eux. L'on tient que laditte riviere a quelque 5/69 quarante-cinq ou cinquante lieues jusques au premier sault, & vient du costé du Nort-Norouest. Ledict port de Tadousac est petit, où il ne pourroit[15] que dix ou douze vaisseaux; mais il y a de l'eau assés à l'Est, à l'abry de la ditte riviere de Sagenay, le long d'une petite montaigne qui est Presque coupée de la mer. Le reste, ce sont montagnes Haultes élevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & Sable remplis de bois de pins, cyprez[16], sapins, & quelques manières d'arbres de peu. Il y a un petit estang proche dudit port, renfermé de montaignes couvertes de bois. A l'entrée dudict port, il y a deux poinctes: l'une, du costé de Ouest, contenant une lieue en mer, qui s'appelle la poincte de Sainct Matthieu[17]; & l'autre, du costé de Su-Est, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la poincte de tous les Diables [18]. Les vents du Su & Su-Suest & Su-Sorouest frappent dedans ledict port. Mais, de la pointe de Sainct Matthieu jusques à la pointe de tous les Diables, il y a prés d'une lieue, l'une & l'autre pointe asseche de basse mer. [Note 13: Le P. Jérôme Lalemant (Relation 1646) dit que les sauvages appelaient Tadoussac _Sadilege_; d'un autre côté, Thévet, dans son Grand Insulaire, affirme que les sauvages de son temps appelaient le Saguenay _Thadoyseau_. Il est probable qu'à ces diverses époques, comme encore aujourd'hui, on prenait souvent l'un pour l'autre. Ce qui est sûr, c'est que ces deux noms sont sauvages: _Tadoussac_ ou _Tadouchac_, veut dire _mamelons_, (du mot _totouchac_, qui en montagnais veut dire _mamelles_), et Saguenay signifie _eau qui sort_ (du montagnais _saki-nip_).] [Note 14: La copie originale portait probablement «importuns». Lescarbot, qui reproduit ce voyage à peu près textuellement, a mis: «des vents impétueux lesquels amènent avec eux de grandes froidures.»] [Note 15: Le verbe _pouvoir_ s'employait alors activement, en parlant de la capacité des objets.] [Note 16: Comme il n'y a pas de vrai cyprès en Canada, on pourrait croire d'abord que Champlain veut parler ici du pin gris, que nos Canadiens appellent vulgairement cyprès, et que l'on trouve surtout dans les environs du Saguenay, mais, outre que Champlain mentionne ici le pin d'une manière générale, si l'on compare les différents endroits où il parle du cyprès, on en viendra à la conclusion qu'il a voulu par ce terme désigner notre cèdre (_thuja_), qui est un arbre très-commun dans toutes les parties du pays; tandis que le pin gris ne s'y rencontre pas partout. La chose devient évidente, si l'on fait attention que les feuilles du thuja ont beaucoup de ressemblance avec celles du cyprès. «Ses feuilles, dit Du Hamel, en parlant du _thuja_ (Traité des Arbres et Arbustes), sont petites, comme articulées les unes aux autres, et elles ressemblent à celles du cyprès.»] [Note 17: Dans l'édition de 1613, Champlain l'appelle encore pointe Saint-Matthieu, «ou autrement aux Alouettes.» Aujourd'hui elle n'est plus connue que sous ce dernier nom.] [Note 18: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Cette pointe a changé de nom du vivant même de l'auteur. Dans l'édition de 1632, elle est appelée _pointe aux roches_; mais il nous semble évident que ce dernier nom doit être attribué à l'inadvertance de l'imprimeur: car Sagard, qui publiait, cette année-là même, son Grand Voyage au pays des Hurons, mentionne cette pointe à plusieurs reprises, et l'appelle absolument comme nous l'appelons aujourd'hui, la pointe aux Vaches. D'ailleurs la ressemblance que peuvent avoir, dans un manuscrit, les deux mots _roches_ et _vaches_, rend l'erreur tout à fait vraisemblable.] 6/70 _Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des Sauvages de Canadas, leurs festins & danses, la guerre qu'ils ont avec les Iroquois, la façon & de quoy sont faits leurs canots & cabannes: avec la description de la poincte de Sainct Matthieu._ CHAPITRE II. LE 27e jour, nous fusmes trouver les Sauvages à la poincte de Sainct Matthieu, qui est à une lieue de Tadousac, avec les deux sauvages que mena le Sieur du Pont, pour faire le rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne réception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied à terre, nous fusmes à la cabanne de leur grand Sagamo [19], qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvasmes avec quelque quatre-vingts ou cent de ses compagnons qui faisoient tabagie (qui veut dire festin), lequel nous receut fort bien selon la coustume du pays, & nous feit asseoir auprés de luy, & tous les sauvages arrangez les uns auprés des autres des deux costez de la ditte cabanne. L'un des sauvages que nous avions amené commença à faire sa harangue de la bonne réception que leur avoit fait le Roy, & le bon traictement qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que 7/71 saditte Majesté leur voulloit du bien, & desiroit peupler leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les Irocois), ou leur envoyer des forces pour les vaincre: en leur comptant aussy les beaux chasteaux, palais, maisons & peuples qu'ils avoient veus, & nostre façon de vivre. Il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus. Or, après qu'il eut achevé sa harangue, ledict grand Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouy, il commença à prendre du Petun, & en donner audict Sieur du Pont-Gravé de Sainct Malo & à moy, & à quelques autres Sagamos qui estoient auprés de luy. Avant bien petunné, il commença à faire sa harangue à tous, parlant pozément, s'arrestant quelquefois un peu, & puis reprenoit sa parolle en leur disant, que véritablement ils devoient estre fort contents d'avoir saditte Majesté pour grand amy. Ils respondirent tous d'une voix: _Ho, ho, ho,_ qui est à dire _ouy, ouy_. Luy, continuant tousjours saditte harangue, dict qu'il estoit fort aise que saditte Majesté peuplast leur terre, & fist la guerre à leurs ennemis; qu'il n'y avoit nation au monde à qui ils voullussent plus de bien qu'aux François. Enfin il leur fit entendre à tous le bien & l'utilité qu'ils pourroient recevoir de saditte Majesté. Après qu'il eut achevé sa harangue, nous sortismes de sa cabanne, & eux commencèrent à faire leur tabagie ou festin, qu'ils font avec des chairs d'orignac, qui est comme boeuf, d'ours, de loups marins & castors, qui sont les viandes les plus ordinaires qu'ils ont, & du gibier en quantité. Ils avoient huict ou dix chaudieres pleines de viandes, au 8/72 milieu de laditte cabanne, & estoient esloignées les unes des autres quelques six pas, & chacune a son feu. Ils sont assis des deux costez (comme j'ay dict cy-dessus), avec chascun son escuelle d'escorce d'arbre: & lorsque la viande est cuitte, il y en a un qui fait les partages à chascun dans lesdittes escuelles, où ils mangent fort salement; car, quand ils ont les mains grasses, ils les frottent à leurs cheveux ou bien au poil de leurs chiens, dont ils ont quantité pour la chasse. Premier que leur viande fust cuitte, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en alla saulter autour desdittes chaudières d'un bout de la cabanne à l'autre. Estant devant le grand Sagamo, il jetta son chien à terre de force, & puis tous d'une voix ils s'escrierent: _Ho, ho, ho_: ce qu'ayant faict, s'en alla asseoir à sa place. En mesme instant, un autre se leva, & feit le semblable, continuant tousjours jusques à ce que la viande fut cuitte. Or, après avoir achevé leur tabagie, ils commencèrent à danser, en prenant les testes de leurs ennemis, qui leur pendoient par derrière, en signe de resjouïssance. Il y en a un ou deux qui chantent en accordant leurs voix par la mesure de leurs mains, qu'ils frappent sur leurs genoux; puis ils s'arrestent quelquefois en s'escriant: _Ho, Ho, ho_, & recommencent à danser, en tournant comme un homme qui est hors d'haleine. Ils faisoient cette resjouïssance pour la victoire par eux obtenue sur les Irocois, dont ils avoient tué quelque cent, aux quels ils coupèrent les testes qu'ils avoient avec eux pour leur cérémonie. Ils estoient trois nations quand ils furent à la guerre, les Estechemins, Algoumequins & 9/73 Montagnez [20], au nombre de mille, qui allèrent faire la guerre auxdicts Irocois, qu'ils rencontrèrent à l'entrée de la riviere desdicts Irocois [21], & en assommerent une centaine. La guerre qu'ils font n'est que par surprise; car autrement ils auroient peur, & craignent trop lesdicts Irocois, qui sont en plus grand nombre que lesdicts Montagnés, Estechemins & Algoumequins. [Note 19: Sagamo veut dire en montagnais grand chef. D'après Mgr Laflèche, ce mot est composé de _tchi_, grand (pour _kitchi_), et de _okimau_, chef; _tchi okinau_, grand chef.] [Note 20: Les Etchemins, appelés plus tard Malécites, habitaient principalement le pays situé entre la rivière Saint-Jean et celle de Pentagouet ou Pénobscot. Les Algonquins qui se trouvaient en ce moment à Tadoussac, y étaient descendus probablement pour la traite; car leur Pays était situé sur l'Outaouais et au-delà. Les Montagnais, à proprement parler, étaient chez eux; car ils habitaient surtout le Saguenay et les pays environnants.] [Note 21: La rivière de Sorel.] Le 28e jour dudict mois, ils se vindrent cabanner audict port de Tadousac, où estoit nostre vaisseau. A la poincte du jour, leur dict grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant autour de toutes les autres cabannes, en criant à haulte voix, qu'ils eussent à desloger pour aller à Tadousac, où estoient leurs bons amis. Tout aussy tost un chascun d'eux deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledict grand capitaine le premier commença à prendre son canot, & le porter à la mer, où il embarqua sa femme & ses enfants, & quantité de fourreures, & se meirent ainsy prés de deux cents canots, qui vont estrangement; car encore que nostre chalouppe fust bien armée, si alloient-ils plus vite que nous. Il n'y a que deux personnes qui travaillent à la nage, l'homme & la femme. Leurs canots ont quelques huict ou neuf pas de long, & large comme d'un pas ou pas & demy par le milieu, & vont tousjours en amoindrissant par les deux 10/74 bouts. Ils sont fort subjects à tourner si on ne les sçait bien gouverner, car ils sont faicts d'escorce d'arbres appellée bouille[22], renforcez par le dedans de petits cercles de bois bien & proprement faicts, & sont si légers qu'un homme en porte un aisément, & chaqu'un canot peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre, pour aller à quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. [Note 22: Écorce de bouleau.] Leurs cabannes sont basses, faictes comme des tentes, couvertes de laditte escorce d'arbre, & laissent tout le haut descouvert comme d'un pied, d'où le jour leur vient, & font plusieurs feux droit au millieu de leur cabanne, où ils sont quelques fois dix mesnages ensemble. Ils couchent sur des peaux, les uns parmy les autres, les chiens avec eux. Ils estoient au nombre de mille personnes, tant hommes que femmes & enfans. Le lieu de la poincte de Sainct Matthieu, où ils estoient premièrement cabannez, est assez plaisant. Ils estoient au bas d'un petit costeau plein d'arbres, de sapins & cyprès. A laditte poincte, il y a une petite place unie, qui descouvre de fort loin; & au dessus dudict costeau, est une terre unie, contenant une lieue de long, demye de large, couverte d'arbres; la terre est fort sablonneuse, où il y a de bons pasturages. Tout le reste, ce ne sont que montaignes de rochers fort mauvais. La mer bat autour dudict costeau, qui asseiche prés d'une grande demy lieue de basse eau. 11/75 _La resjouïssance que font les Sauvages après qu'ils ont eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs, endurent la faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions, parlent aux Diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges; avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs morts._ CHAPITRE III. LE 9e jour de Juin, les Sauvages commencèrent à se resjouïr tous ensemble & faire leur tabagie, comme j'ay dict cy-dessus, & danser, pour laditte victoire qu'ils avoient obtenue contre leurs ennemis. Or, aprés avoir faict bonne chère, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent de leurs cabannes, & se retirèrent à part dans une place publique, feirent arranger toutes leurs femmes & filles les unes prés des autres, & eux se meirent derrière, chantant tous d'une voix comme j'ay dict cy devant. Aussi tost toutes les femmes & filles commencèrent à quitter leurs robbes de peaux, & se meirent toutes nues, monstrans leur nature, neantmoins parées de matachias, qui sont patenoftres & cordons entrelacez, faicts de poil de porc-espic, qu'ils teignent de diverses couleurs. Après avoir achevé leurs chants, ils dirent tous d'une voix, _ho, ho, ho_; à mesme instant, toutes les femmes & filles se couvroient de leurs robbes, car elles sont à leurs pieds, & s'arrestent quelque peu, & puis aussi tost recommençans à chanter, ils laissent 12/76 aller leurs robbes comme auparavant. Ils ne bougent d'un lieu en dansant, & font quelques gestes & mouvemens du corps, levans un pied, & puis l'autre, en frappant contre terre. Or, en faisant ceste danse, le Sagamo des Algoumequins, qui s'appelle Besouat[23], estoit assis devant lesdittes femmes & filles, au millieu de deux bastons où estoient les testes de leurs ennemis pendues; quelques fois il se levoit, & s'en alloit haranguant & disant aux Montagnés & Estechemins: «Voyez comme nous nous resjouïssons de la victoire que nous avons obtenue sur nos ennemis: il faut que vous en fassiez autant, affin que nous soyons contens.» Puis tous ensemble disoient, _ho, ho, ho_. Retourné qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avecque tous ses compaignons despouillerent leurs robbes, estans tous nuds hormis leur nature, qui est couverte d'une petite peau, & prindrent chascun ce que bon leur sembla, comme matachias, haches, espées, chauldrons, graisses, chair d'orignac, loup-marin, bref chascun avoit un present, qu'ils allèrent donner aux Algoumequins. Aprés toutes ces cérémonies, la danse cessa, & lesdicts Algoumequins, hommes & femmes, emportèrent leurs presens dans leurs cabannes. Ils feirent encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos, qu'ils feirent courir, & celuy qui fut le plus viste à la course eut un present. [Note 23: Probablement le même que Tessouat, grand sagamo des Algonquins de l'Isle ou Kichesipirini. Quelques années plus tard, en 1613, ce chef accueille l'auteur comme une vieille connaissance; et cependant ils n'avaient pas dû se rencontrer depuis 1603; car on ne voit pas que Tessouat ait pris part aux expéditions contre les Iroquois, ni qu'il soit descendu à la traite en 1611. D'ailleurs, dans un manuscrit, _tesouat_ peut très-bien se prendre pour _besouat_.] 13/77 Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez joyeuse; ils rient le plus souvent; toutes fois ils sont quelque peu saturniens. Ils parlent fort pozément, comme se voullant bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost, en songeant une grande espace de temps, puis reprennent leur parolle. Ils usent bien souvent de ceste façon de faire parmy leurs harangues au conseil, où il n'y a que les plus principaux, qui sont les anciens, les femmes & enfants n'y assistent poinct. Tous ces peuples patissent tant quelques fois, qu'ils sont presque constraints de se manger les uns les autres, pour les grandes froidures & neiges, car les animaux & gibier dequoy ils vivent se retirent aux pays plus chauts. Je tiens que qui leur monstreroit à vivre, & enseigneroit le labourage des terres & autres choses, ils l'apprendroient fort bien; car je vous asseure qu'il s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent assez bien à propos sur ce que l'on leur pourroit demander. Ils ont une meschanceté en eux, qui est user de vengeance, & estre grands menteurs, gens en qui il ne fait pas trop bon s'asseurer, sinon qu'avec raison & la force à la main; promettent assez, & tiennent peu. Ce font la plus part gens qui n'ont point de loy, selon que j'ay pu veoir & m'informer audict grand Sagamo, lequel me dict qu'ils croyoient véritablement qu'il y a un Dieu, qui a créé toutes choses. Et lors je luy dy: Puisqu'ils croyoient à un seul Dieu, comment est-ce qu'il les avoit mis au monde, & d'où ils estoient venus? Il me respondit: «Aprés que Dieu eut fait toutes choses, il print quantité de flesches, & les 64/78 meit en terre; d'où il sortit hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusques à prêtent, & sont venus de ceste façon.» le luy respondy, que ce qu'il disoit estoit faux; mais que véritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit créé toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes ces choses si parfaictes, sans qu'il y eust personne qui gouvernast en ce bas monde, il print du limon de la terre, & en créa Adam nostre premier père. Comme Adam sommeilloit, Dieu print une coste dudict Adam, & en forma Eve, qu'il luy donna pour compagnie, & que c'estoit la vérité qu'eux & nous estions venus de ceste façon, & non de flesches comme ils croyent. Il ne me dict rien sinon, qu'il advoüoit plustost ce que je luy disois, que ce qu'il me disoit. Je luy demandis aussi, s'ils ne croyoient point qu'il y eust autre qu'un seul Dieu. Il me dict que leur croyance estoit, qu'il y avoit un Dieu, un Fils, une Mère & le Soleil, qu'estoient quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous, mais que le fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils recevoient; mais la mère ne valloit rien, & les mangeoit, & que le père n'estoit pas trop bon. Je luy remonstray son erreur selon nostre foy, enquoy il adjousta quelque peu de créance. Je luy demandis, s'ils n'avoient point veu ou ouy dire à leurs ancestres que Dieu fust venu au monde. Il me dict qu'il ne l'avoit point veu; mais qu'anciennement il y eut cinq hommes qui s'en allèrent vers le soleil couchant, qui rencontrèrent Dieu, qui leur demanda: «Ou allez-vous?» Ils dirent: «Nous allons chercher nostre vie.» Dieu leur 15/79 respondit: «Vous la trouverez icy.» Ils passèrent plus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dict, lequel print une pierre, & en toucha deux, qui furent transmuez en pierre, & dict de rechef aux trois autres: «Où allez-vous?» Et ils respondirent comme à la première fois, & Dieu leur dit de rechef: «Ne passez plus outre: vous la trouverez icy.» Et voyant qu'il ne leur venoit rien, ils passerent outre, & Dieu print deux bastons, & il en toucha les deux premiers, qui furent transmuez en bastons, & le cinquiesme s'arresta, ne voullant passer plus outre. Et Dieu lui demanda de rechef: «Où vas-tu?»--«Je vais chercher ma vie.»--«Demeure, & tu la trouveras.» Il demeura sans passer plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea. Après avoir faict bonne chère, il retourna avecque les autres sauvages, & leur raconta tout ce que dessus. Il me dict aussy qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de tabac (qui est une herbe dequoy ils prennent la fumée), & que Dieu vint à cet homme, & luy demanda où estoit son petunoir; l'homme print son petunoir, & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup. Après avoir bien petuné, Dieu rompit ledict petunoir en plusieurs pièces, & l'homme luy demanda: «Pourquoy as-tu rompu mon petunoir? eh tu vois bien que je n'en ay point d'autre.» Et Dieu en print un qu'il avoit, & le luy donna, luy disant: «En voilà un que je te donne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose 16/80 quelconque, ny tous ses compagnons.» Le dict homme print le petunoir, qu'il donna à son grand Sagamo; lequel tandis qu'il l'eut, les sauvages ne manquèrent de rien du monde; mais que du depuis le dict Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques fois parmy eux. Je luy demandis s'il croyoit tout cela; il me dict qu'ouy, & que c'estoit vérité. Or je croy que voilà pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy repliquay, & luy dis, Que Dieu estoit tout bon, & que sans doubte c'estoit le Diable qui s'estoit montré à ces hommes-là, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ils ne manqueroient de ce qu'ils auraient besoing; que le soleil qu'ils voyaient, la lune & les estoilles, avoient esté créez de ce grand Dieu, qui a faict le ciel & la terre, & n'ont nulle puissance que celle que Dieu leur a donnée; que nous croyons en ce grand Dieu, qui par sa bonté nous avoit envoyé son cher fils, lequel, conceu du Sainct Esprit, print chair humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant esté trente-trois ans en terre, faisant une infinité de miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades, chassant les Diables, illuminant les aveugles, enseignant aux hommes la volonté de Dieu son père, pour le servir, honorer & adorer, a espandu son sang, & souffert mort & passion pour nous & pour nos péchez, & rachepté le genre humain, estant ensevely est ressuscité, descendu aux enfers, & monté au ciel, où il est assis à la dextre de Dieu son 17/81 pere[24]. Que c'estoit là la croyance de tous les chrestiens, qui croyent au Père, au Fils & au Saint Esprit, qui ne sont pourtant trois dieux, ains un mesme & un seul dieu, & une trinité en laquelle il n'y a point de plus tost ou d'après, rien de plus grand ne de plus petit; que la Vierge Marie, mère du fils de Dieu, & tous les hommes & femmes qui ont vescu en ce monde faisans les commandemens de Dieu, & enduré martyre pour son nom, & qui par la permission de Dieu ont faict des miracles & sont saincts au ciel en son paradis, prient tous pour nous ceste grande majesté divine de nous pardonner nos fautes & nos péchez que nous faisons contre sa loy & ses commandemens. Et ainsi, par les prières des saincts au ciel & par nos prières que nous faisons à sa divine majesté, ils nous donne ce que nous avons besoing, & le Diable n'a nulle puissance sur nous, & ne peut faire de mal; que s'ils avoient ceste croyance, qu'ils feroient comme nous, que le Diable ne leur pourroit plus faire de mal & ne manqueroient de ce qu'ils auroient besoing. [Note 24: Lescarbot fait sur ce passage la remarque suivante: «Je ne croy point que cette théologie se puisse expliquer à ces peuples, quand même on sçauroit parfaitement leur langue.» Il nous semble cependant que cette théologie n'a rien qui soit beaucoup plus difficile à entendre que la fable rapportée par le sagamo, puisque Champlain ne fait guère que lui raconter des faits historiques qui ont au moins en leur faveur le mérite de la vraisemblance. Supposé, au reste, que ce discours ne fût pas tout à fait à la portée de son interlocuteur, il n'en serait pas moins une preuve du zèle et des bonnes intentions de Champlain.] Alors ledict Sagamo me dict qu'il advouoit ce que je disois. Je luy demandis de quelle cérémonie ils usoient à prier leur Dieu. Il me dict, qu'ils n'usoient point autrement de cérémonies, sinon qu'un chascun prioit en son coeur comme il 18/82 voulloit. Voilà pourquoy je croy qu'il n'y a aucune loy parmy eux, ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, & vivent la plus part comme bestes brutes, & croy que promptement ils seroient reduicts bons chrestiens, si l'on habitoit leur terre; ce qu'ils desireroient la plus part. Ils ont parmy eux quelques sauvages, qu'ils appellent Pilotoua [25], qui parlent au Diable visiblement; & leur dict ce qu'il faut qu'ils fassent tant pour la guerre que pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque entreprise, ou tuer un François, ou un autre de leur nation, ils obeïroient aussi tost à son commandement. [Note 25: Quoique Champlain ait pu tenir des sauvages le mot _pilotoua_ ou _piletois_, il paraît cependant qu'il leur est venu de la langue des Basques; c'est du moins ce que dit le P. Biard (Relat. de la Nouv. Fr., édit. 1858, p. 17), en parlant de l'_aoutmoin_, «que les Basques, dit-il, appellent Pilotois, c'est-à-dire, sorcier.»] Aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font sont véritables; & de faict il y en a beaucoup qui disent aveoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais, pour en parler avec vérité, ce sont visions du Diable, qui les trompe & seduict. Voilà toute la créance que j'ay pu apprendre d'eux, qui est bestiale. Tous ces peuples, ce sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans aucune difformité; ils sont dispos, & les femmes bien formées, remplies & potelées, de couleur basanée, pour la quantité de certaine peinture dont ils se frottent, qui les faict devenir olivastres. Ils sont habillez de peaux; une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie descouverte. Mais l'hyver ils remédient à tout, car ils sont 19/83 habillez de bonnes fourrures, comme d'orignac, loutre, castors, ours-marins, cerfs biches qu'ils ont en quantité. L'hyver, quand les neiges sont grandes, ils font une manière de raquette qui est grande deux ou trois fois comme celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans les neiges sans enfoncer, car autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une forme de mariage, qui est que quand une fille est en l'aage de quatorze ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs & amis, & aura compagnie avec tous ceux que bon luy semblera; puis au bout de quelques cinq ou six ans, elle prendra lequel il luy plaira pour son mary, & vivront ainsi ensemble jusques à la fin de leur vie, si ce n'est qu'après avoir esté quelque temps ensemble ils n'ont enfans, l'homme se pourra desmarier & prendre autre femme disant que la sienne ne vaut rien. Pour ainsi les filles sont plus libres que les femmes; or, despuis qu'elles sont mariées, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens au père ou parens de la fille qu'ils auront espousée. Voilà la cérémonie & façon qu'ils usent en leurs mariages. Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou femme meurt, ils font une fosse, ou ils mettent tout le bien qu'ils auront, comme chaudrons, fourrures, haches, arcs & flesches, robbes & autres choses; & puis ils mettent le corps dedans la fosse, & le couvrent de terre, où ils mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & un bois 20/84 debout qu'ils peignent de rouge par le haut. Ils croyent l'immortalité des âmes & disent qu'ils vont se resjouïr en d'autres pays avec leurs parents & amis, quand ils sont morts. _Riviere du Saguenay & son origine._ CHAPITRE IV. Le 11e jour de juin, je fus à quelques douze ou quinze lieues dans le Saguenay, qui est une belle riviere, & a une profondeur incroyable: car je croy, selon que j'ay entendu deviser d'où elle procède, que c'est d'un lieu fort hault, d'où il descend un torrent d'eau [26] d'une grande impetuosité; mais l'eau qui en procède n'est point capable de faire un tel fleuve comme celuy-là, qui néantmoins ne tient que depuis cedict torrent d'eau, où est le premier sault, jusques au port de Tadousac, qui est l'entrée de la ditte riviere du Saguenay, où il y a quelques quarante-cinq ou cinquante lieues, & une bonne lieue & demye de large au plus, & un quart au plus estroict; qui faict qu'il y a grand courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu, ce ne sont que montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de sapins, cyprez & boulle, terre fort malplaisante, où je n'ay point trouvé une lieue de terre plaine tant d'un costé que d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & isles en 21/85 laditte riviere, qui sont haultes eslevées. Enfin ce sont de vrais deserts inhabitables d'animaux & d'oiseaux; car je vous asseure qu'allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit sinon de petits oiseaux, qui sont comme rossignols & airondelles, lesquelles viennent en esté, car autrement je croy qu'il n'y en a point, à cause de l'excessif froid qu'il y faict, ceste riviere venant de devers le Norouest. [Note 26: On serait porté à croire d'abord qu'il est ici question de la décharge du lac Saint-Jean; mais le contexte indique assez que les sauvages lui ont décrit la route ordinaire des voyageurs, c'est-à-dire, la rivière Chicoutimi, les lacs Kinogomi, Kinogomichiche et la Belle-Rivière; et alors il est tout naturel que Champlain n'ait pas trouvé de proportion entre la Décharge et le Saguenay.] Ils me firent rapport qu'ayant passé le premier sault, d'où vient ce torrent d'eau, ils passent huict autres saults, & puis vont une journée sans en trouver aucun, puis passent autres dix saults, & viennent dedans un lac[27], où ils sont deux jours à rapasser; en chasque jour ils peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieues. Audict bout du lac, il y a des peuples qui sont cabannez[28], puis on entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre journées dans chascune; ou, au bout desdittes rivieres, il y a deux ou trois manières de lacs, d'où prend la source du Saguenay, de laquelle source jusques audict port de Tadousac il y a dix journées de leurs canots [29]. Au bord desdittes 22/86 rivieres, il y a quantité de cabannes, où il vient d'autres nations du costé du Nort, trocquer avec lesdicts Montagnés des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que donnent les vaisseaux françois aux dicts Montagnés. Lesdicts sauvages du Nort disent qu'ils voyent une mer qui est salée. Je tiens que si cela est, que c'est quelque goulfe de ceste mer qui desgorge par la partie du Nort dans les terres [30]; & de vérité il ne peut estre autre chose. Voylà ce que j'ay apprins de la riviere du Saguenay. [Note 27: Le lac Saint-Jean, que les sauvages appelaient _Piécouagami_.] [Note 28: La nation du Porc-Épic (ou des Kakouchaki) demeurait au lac Saint-Jean probablement dès ce temps-là.] [Note 29: «Voilà,» dit Lescarbot (liv. III, ch. IX) «ce qu'a écrit Champlain dés l'an six cens cinq» (lisez mil six cent trois) «de la rivière de Saguenay. Mais depuis il dit en sa dernière relation que du port de Tadoussac jusques à la mer que les Sauvages de Saguenay descouvrent au nort, il y a quarante à cinquante journées; ce qui est bien éloigné des dix que maintenant il a dit.» Si Lescarbot avait examiné les choses plus attentivement, il aurait remarqué que Champlain ne dit pas qu'il y ait dix journées de Tadoussac à cette mer du nord qui est salée, c'est-à-dire, à la baie d'Hudson, mais bien seulement de Tadoussac à la source du Saguenay; ce qui est tout différent.] [Note 30: La bonne foi avec laquelle Champlain consulte les sauvages pour en apprendre ce qu'il ne pouvait reconnaître de ses yeux, contraste singulièrement avec l'incrédulité de Lescarbot. Champlain, sur le simple récit des sauvages, avait assez bien compris la position de la baie d'Hudson, et Lescarbot, plusieurs années après la découverte faite, disait encore: «Toutesfois je ne voudrois aisément croire lesdits Anglois disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquantième degré: car il y a longtemps qu'elle seroit découverte, étant si voisine de Tadoussac, & en même élévation» (liv. III, ch. IX).] _Partement de Tadousac pour aller au Sault, la description des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans, & de plusieurs autres isles & de nostre arrivée à Quebec._ CHAPITRE V. Le mercredy, dix-huictiesme jour de juin, nous partismes de Tadousac, pour aller au Sault[31]. Nous passasmes prés d'une isle qui s'appelle l'Isle au Lievre[32] qui peut estre à deux lieues de la terre de la bande du Nort, & à quelques sept lieues dudict Tadousac, & à cinq lieues [33] de la terre du Su. [Note 31: Le saut Saint-Louis.] [Note 32: Cette île fut ainsi appelée par Jacques Cartier, parce que, à son retour en 1536, il y trouva quantité de lièvres. Elle porte encore le même nom aujourd'hui.] [Note 33: Environ deux lieues et demie. La côte du sud, beaucoup moins élevée que celle du nord, paraît être à une bien plus grande distance qu'elle n'est réellement.] 23/87 De l'Isle au Lievre, nous rangeasmes la coste du Nort environ demye lieue [34], jusques à une poincte qui advance à la mer, où il faut prendre plus au large. Laditte poincte est à une lieue d'une isle qui s'appelle L'Isle au Coudre, qui peut tenir environ deux lieues de large, & de laditte isle à la terre du Nort, il y a une lieue. Laditte isle est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les deux bouts, au bout de l'Ouest, il y a des prairies [35] & poinctes de rochers qui advancent quelque peu dans la riviere. Laditte isle est quelque peu agréable pour les bois qui l'environnent. Il y a force ardoise, & la terre quelque peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui advance à la mer environ demye lieue. Nous passasmes au Nort de laditte isle, distante de l'Isle au Lievre de douze lieues. [Note 34: Par ce qui suit, on voit qu'il faut lire ici dix ou douze lieues: car cette pointe, qui avance à la mer et qui est à une lieue, ou un peu plus, de l'île aux Coudres, ne peut être que le cap aux Oies.] [Note 35: Cette partie de l'île s'appelle encore aujourd'hui les Prairies.] Le jeudy suyvant, nous en partismes, & vinsmes mouiller l'ancre à une anse dangereuse du costé du Nort, où il y a quelques prairies & une petite riviere[36] où les sauvages cabannent quelques-fois. Cedict jour, rangeant tousjours laditte coste du Nort jusques à un lieu où nous relaschasmes pour les vents qui nous estoient contraires, où il y avoit force rochers & lieux fort dangereux, nous fusmes trois jours en attendant le beau temps. Toute ceste coste n'est que montaignes tant du costé du Su, que du costé du Nort, la pluspart ressemblant à celle du Saguenay. [Note 36: La Petite-Rivière a toujours gardé son nom depuis.] 24/88 Le dimanche, vingt-deuxiesme jour dudict mois, nous en partismes pour aller à l'isle d'Orléans [37], où il y a quantité d'isles à la bande du Su, lesquelles sont basses & couvertes d'arbres, semblans estre fort agréables, contenans (selon ce que j'ay pu juger) les unes deux lieues & une lieue, & autres demye; autour de ces isles ce ne sont que rochers & basses fort dangereux à passer, & sont esloignées quelques deux lieues de la grand'terre du Su. Et de là, vinsmes ranger à l'isle d'Orléans, du costé du Su. Elle est à une lieue de la terre du Nord, fort plaisante & unie, contenant de long huict lieues [38]. Le costé de la terre du Su est terre basse, quelques deux lieues avant en terre; lesdittes terres commencent à estre basses à l'endroict de laditte isle, qui peut estre à deux lieues de la terre du Su. A passer du costé du Nort, il y faict fort dangereux pour les bancs de sables, rochers qui sont entre laditte isle & la grand'terre, & asseiche presque toute de basse mer. [Note 37: Cette île, suivant Thévet (Grand Insulaire), était appelée par les sauvages _Minigo_ (peut-être _Ouinigo_, de l'Algonquin _Ouindigo_, ensorcelé). «J'avois oublié à vous dire, que une isle nommée des françoys Orléans & des sauvages _Minigo_, est l'endroit où la rivière est la plus estroicte...... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple de ce pays, pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs ennemis...... Les François,» ajoute-t-il plus loin, «la nommèrent Isle d'Orléans, en l'honneur d'un fils de France, qui lors vivoit, & se nommoit lors de Valois, Duc D'Orléans, fils de ce grand Roy Françoys de Valois, premier du nom.» Si ce nom d'Orléans remonte, comme l'affirme Thévet, à un fils de François I, ce ne peut être que Henri II, qui porta le titre de Duc d'Orléans jusqu'à la mort de son frère aîné François, c'est-à-dire, jusqu'à l'année 1536; car, cette année-là même, Jacques Cartier, en retournant de son second voyage, dit «vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans, environ douze lieues de Saincte Croix.» Il faut donc supposer ou bien que le nom de _Bacchus_, donné à cette île par Cartier lui-même l'automne précédent, aura été changé pendant l'hiver que les Français passèrent ici, ou bien que cette île avait déjà reçu son nom de quelque voyageur inconnu; ce qui n'est guère probable, puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le fleuve qu'en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un nom assez indifférent en lui-même, à celui d'un fils de France, du fils de son bienfaiteur.] [Note 38: Sept lieues.] 25/89 Au bout de laditte isle, je vy un torrent d'eau [39], qui desbordoit de dessus une grande montaigne[40] de laditte riviere de Canadas, & dessus laditte montaigne est terre unie & plaisante à veoir, bien que dedans lesdittes terres l'on voit de haultes montaignes, qui peuvent estre à quelques vingt ou vingt-cinq lieues dans les terres [41], qui sont proches du premier sault du Saguenay. [Note 39: L'auteur donna plus tard à ce torrent d'eau le nom de Montmorency, qu'il porte encore aujourd'hui. Dans la carte des environs de Québec qu'il publia en 1613, il l'appelle «le grand sault de Montmorency.» Dans l'édition de 1632, il ajoute: «Que j'ay nommé le sault de Montmorency.»] [Note 40: C'est-à-dire, un côteau très-escarpé, haut d'environ 300 pieds.] [Note 41: Ces montagnes, qui forment la chaîne des Laurentides, ne sont pas aussi éloignées; mais elles s'étendent en effet jusqu'au bassin du Saguenay.] Nous vinsmes mouiller l'ancre à Québec [42], qui est un destroict de laditte riviere de Canadas, qui a quelque trois cens pas de large [43]. Il y a à ce destroict, du costé du Nort, une montaigne assez haulte, qui va en abaissant des 26/90 deux costez; tout le reste est pays uny & beau, où il y a de bonnes terres pleines d'arbres, comme chesnes, cyprès, boulles, sapins & trembles, & autres arbres fruictiers sauvages, & vignes, qui faict u'à mon opinion, si elles estoient cultivées, elles seroient bonnes comme les nostres. Il y a, le long de la coste dudict Québec, des diamants dans des rochers d'ardoyse, qui sont meilleurs que ceux d'Alençon. Dudict Québec jusques à l'isle au Coudre, il y a 29 lieues [44]. [Note 42: C'est ici la première fois que l'on rencontre le nom de Québec, pour désigner ce que Jacques Cartier appelle tantôt Stadaconé, tantôt Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s'exclure, expriment, suivant la langue et le génie des sauvages, comme une nuance particulière du tableau pittoresque que présente le site de Québec. Stadaconé était bâti sur l'_aile_ que forme la pointe du cap aux Diamants; or, suivant Mgr Laflèche, _stadaconé_, dans le dialecte cris ou algonquin, veut dire _aile_, quoique d'autres linguistes prétendent reconnaître dans ce mot une origine huronne (voir _Hist. de la Colonie française en Canada_, I, 532, note **). Le mot Canada, dont Cartier nous donne lui-même la signification («ils appellent une ville canada»), semble avoir désigné l'importance relative que devait avoir Stadaconé par l'avantage même de sa position. Enfin, il est naturel de supposer que les sauvages, après la disparition ou le déplacement de Stadaconé, n'aient pas trouvé, pour désigner le même lieu, d'expression plus juste que celle de Kébec ou Québec, qui veut dire, comme le remarque ici Champlain, _détroit, rétrécissement_, et même quelque chose de plus expressif, _c'est bouché_. Ce passage resserré entre deux côtes escarpées, est peut-être ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte le Saint-Laurent, jusque là si large et si majestueux. Or les sauvages du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore actuellement du même mot _Kebec_, pour signifier un lieu _ou l'eau se rétrécit ou se referme_. Inutile de réfuter ici les opinions plus ou moins ingénieuses, qui Veulent trouver l'origine du nom de Québec dans l'exclamation d'un matelot normand, _quel bec!_ c'est-à-dire, quel cap! ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de toutes ces suppositions, il y a toujours les témoignages imposants de Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir le Cours d'Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)] [Note 43: Le fleuve, devant Québec, a un quart de lieue de large.] [Note 44: Ce chiffre est de beaucoup trop fort; la copie originale portait probablement 19. Il y a environ 18 lieues.] _De la poincte Sainte Croix, de la riviere de Batiscan; des rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes & beaux pays qui sont depuis Quebec, jusques aux Trois Rivieres._ CHAPITRE VI. Le lundy, 23. dudict mois, nous partismes de Québec, ou la riviere commence à s'élargir quelques-fois d'une lieue, puis de lieue & demye ou deux lieues au plus. Le pays va de plus en plus en embellissant; ce sont toutes terres basses, sans rochers, que fort peu. Le costé du Nort est remply de rochers & bancs de sable, il faut prendre celuy du Su comme d'une demy lieue de terre. Il y a quelques petites rivieres qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots des sauvages, auxquelles il y a quantité de saults. Nous vinsmes mouiller l'ancre jusques à Saincte Croix [45], 27/91 distante de Québec de quinze lieues; c'est une poincte basse, qui va en haulsant des deux costez. Le pays est beau & uny, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu, avec quantité de bois, mais fort peu de sapins & cyprès. Il s'y trouve en quantité des vignes, poires, noysettes, cerises, groiselles rouges & vertes, & de certaines petites racines de la grosseur d'une petite noix ressemblant au goust comme truffes, qui sont très-bonnes rôties & bouillies. Toute ceste terre est noire, sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantité d'ardoise; elle est fort tendre, & si elle estoit bien cultivée, elle seroit de bon rapport. [Note 45: Champlain nous fait connaître lui-même (édit. 1613, liv, II, ch. IV) l'origine de ce nom de Sainte-Croix. «Dés la première fois,» dit-il, «qu'on me dit qu'il (Cartier) avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort.... Ce que l'on appelle aujourd'huy Saincte Croix s'appeloit lors Achelacy, destroit de la riviere fort courant & dangereux... Or en toute ceste riviere, n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle Saincte Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre...» D'où l'on voit 1° que les navigateurs qui ont précédé Champlain croyaient que c'était en ce lieu qu'avait hiverné Cartier de 1535 à 1536; 2° que c'est ce qui leur a fait donner à ce même lieu le nom de Sainte-Croix. La cause probable de cette erreur est la ressemblance qu'on a cru voir entre le rapide du Richelieu, et ce «destroict dudict fleuve fort courant & parfond» dont parle Cartier, et qu'il faut entendre de Québec.] Du costé du Nort, il y a une riviere qui s'appelle Batiscan, qui va fort avant en terre, par où quelques-fois les Algoumequins viennent; & une autre [46] du mesme costé, à trois lieues dudict Saincte Croix sur le chemin de Québec, qui est celle où fut Jacques Cartier au commencement de la descouverture qu'il en feit, & ne passa point plus outre [47]. Laditte riviere est plaisante, & va assez avant dans les terres. Tout ce costé du Nort est fort uny & aggreable. [Note 46: La rivière Jacques-Cartier, qui en effet se jette dans le fleuve à trois lieues environ de ce qu'on appelait alors la _pointe de Sainte-Croix_, aujourd'hui le Platon.] [Note 47: L'auteur, qui probablement n'avait point encore vu les relations de Cartier, parle ici d'après les traditions ou les idées de ceux qui le pilotaient, et vraisemblablement de Pont-Gravé en particulier; car la Chronologie Septénaire, qui semble prendre les intérêts de celui-ci, enchérit encore sur ce passage, et ajoute: «ny autre après luy qu'en ce voyage.» Mais Champlain était trop bon observateur pour ne pas concevoir quelques doutes sur la vérité de ces faits, «ne voyant, comme il dit, apparence de riviere pour mettre vaisseaux» (édit. 1613, liv. II, ch. IV). Aussi prouve-t-il, au même endroit, que Cartier n'a pu hiverner ailleurs que dans la rivière Saint-Charles. Au reste il n'a pas pu s'imaginer qu'il était le premier à remonter le fleuve au-dessus de Sainte-Croix, comme l'insinue Lescarbot, puisqu'il était avec Pont-Gravé, qui connaissait les Trois-Rivières depuis au moins cinq ou six ans.] 28/92 Le mercredy, 24e jour[48] dudict mois, nous partismes dudict Saincte Croix, où nous retardasmes une marée & demye, pour le lendemain pouvoir passer de jour, à cause de la grande quantité de rochers qui sont au travers de laditte riviere, (chose estrange à veoir) qui asseiche presque toute de basse mer. Mais à demy flot, l'on peut commencer à passer librement; toutesfois il faut y prendre bien garde, avec la sonde à la main. La mer y croist prés de trois brasses & demye. [Note 48: Le 24 était un mardi, et le contexte fait voir suffisamment qu'on était au mardi.] Plus nous allions en avant, & plus le pays est beau. Nous fusmes à quelques cinq lieues & demye mouiller l'ancre à la bande du Nort. Le mercredy ensuyvant, nous partismes de cedict lieu, qui est pays plus plat que celuy de devant, plein de grande quantité d'arbres, comme à Saincte Croix. Nous passasmes prés d'une petite isle, qui estoit remplye de vignes, & vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Su, prés d'un petit costeau; mais, estant dessus, ce sont terres unies. Il y a une autre petite isle [49], à trois lieues de Saincte Croix, proche de la terre du Su. Nous partismes le jeudi ensuyvant dudict costeau, & passasmes prés d'une 29/93 petite isle, qui est proche de la bande du Nort, où je fus, à quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui peuvent porter bateau assez avant, & une autre[50] qui a quelques trois cens pas de large, à son entrée il y a quelques isles; elle va fort avant dans la terre, est la plus creuse de toutes les autres; lesquelles sont fort plaisantes à veoir, les terres estans pleines d'arbres qui ressemblent à des noyers, & en ont la mesme odeur, mais je n'y ay point veu de fruict, ce qui me met en doubte. Les sauvages m'ont dict qu'il porte son fruict comme les nostres. [Note 49: Cette île ne peut être que celle à laquelle il donna plus tard le nom de Richelieu, et que l'on a appelée simplement île de Sainte-Croix jusqu'en 1633. «Ce mesme jour» (3 juin 1633), dit le Mercure français, t. XIX, p. 822, «le sieur de Champlain partit pour aller à Saincte Croix faire porter des commoditez, pour édifier une cabanne à faire la traitte, y arriva le jour ensuyvant, & le dimanche 5 de juin alla recognoistre l'isle dés le soir... Le lundy 6, ledit sieur envoya des hommes à terre pour commencer à faire la cabanne pour la traitte.» Et un peu plus loin: «Les ouvriers qui sont icy sont employez aux habitations & fortifications qu'il faut faire à l'isle de Richelieu & Trois Rivieres.» Suivant le P. Le Jeune (Rel. 1635, p. 13, édit. 1858), les sauvages appelaient cette île, _Ka ouapassiniskakhi_.] [Note 50: La rivière de Sainte-Anne, dont il dit, dans son édit. de 1613, liv. II, ch. VII, «& l'avons nommée la riviere Saincte-Marie.»] Passant plus outre, nous rencontrasmes une isle qui s'appelle Sainct Eloy[51], & une autre petite isle, laquelle est tout proche de la terre du Nort. Nous passasmes entre laditte isle & laditte terre du Nort, où il y a de l'un à l'autre quelques cent cinquante pas. De laditte isle jusques à la bande du Su une lieue & demye, passasmes proche d'une riviere où peuvent aller les canots. Toute ceste coste du Nort est assez bonne; l'on y peut aller librement, néantmoins la sonde à la main, pour esviter certaines poinctes. Toute ceste coste que nous rangeasmes est sable mouvant; mais, entrant quelque peu dans les bois, la terre est bonne. [Note 51: La Chronologie Septénaire, dit: «qu'ils appellerent Sainct-Eloy.» Cette île, située en face de l'église actuelle de Batiscan, n'est plus guère connue sous ce nom; mais le petit chenal qui la sépare de la terre ferme porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Éloi.] Le vendredy ensuyvant, nous partismes de ceste isle, 30/94 costoyant tousjours la bande du Nort tout proche terre, qui est basse & pleine de tous bons arbres, & en quantité, jusques aux Trois Rivieres, où il commence d'y avoir température de temps quelque peu dissemblable à celuy de Saincte Croix, d'autant que les arbres y sont plus advancez qu'en aucun lieu que j'eusse encores veu. Des Trois Rivieres jusques à Saincte Croix il y a quinze lieues. En cette riviere[52], il y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelques cinq à six cens pas de long, fort plaisantes, & fertilles pour le peu qu'elles contiennent. Il y en a une au milieu de laditte riviere qui regarde le passage de celle de Canadas, & commande aux autres esloignées de la terre, tant d'un costé que d'autre de quatre à cinq cens pas. Elle est eslevée du costé du Su, & va quelque peu en baissant du costé du Nort. Ce seroit à mon jugement un lieu propre à habiter, & pourroit-on le fortifier promptement, car sa scituation est forte de soy, & proche d'un grand lac [53] qui n'en est qu'à quelques quatre lieues; lequel joinct presque la riviere de Saguenay[54], selon le rapport des sauvages, qui vont prés de cent lieues 31/95 au Nort, & passent nombre de saults, puis vont par terre quelques cinq ou six lieues, & entrent dedans un lac[55], d'où ledict Saguenay prend la meilleure part de sa source, & lesdicts sauvages viennent dudict lac à Tadousac. Aussi que l'habitation des Trois Rivieres seroit un bien pour la liberté de quelques nations, qui n'osent venir par là, à cause desdicts Irocois leurs ennemis, qui tiennent, toute laditte riviere de Canadas bordée, mais, estant habitée, on pourroit rendre lesdicts Irocois & autres sauvages amis, ou à tout le moins, sous la faveur de laditte habitation, lesdicts sauvages viendroient librement sans crainte & danger, d'autant que ledict lieu des Trois Rivieres est un passage. Toute la terre que je vis à la terre du Nort est sablonneuse. Nous entrasmes environ une lieue dans laditte riviere, & ne pusmes passer plus outre à cause du grand courant d'eau. Avec un esquif, nous fusmes pour veoir plus avant, mais nous ne feismes pas plus d'une lieue, que nous rencontrasmes un sault d'eau fort estroict, comme de douze pas, ce qui fut occasion que nous ne peusmes passer plus outre. Toute la terre que je veis aux bords de laditte riviere, va en haussant de plus en plus, qui est remplie de quantité de sapins & cyprez, & fort peu d'autres arbres. [Note 52: Le Saint-Maurice, auquel les auteurs ont le plus souvent donné le nom de Trois-Rivières, parce que les deux îles principales qui se trouvent à son embouchure le séparent en trois branches, appelées les _Chenaux_. «Nous nommasmes icelle riviere,» dit Jacques Cartier, «_riviere de Fouez_,» et Lescarbot ajoute entre parenthèses: «Je croy qu'il veut dire Foix» (Lesc., liv. III, ch. XVIII). Comme poste de traite, les Trois-Rivières étaient déjà connues, sous ce nom, depuis au moins 1598: car, en 1599, lorsque M. Chauvin voulut s'établir à Tadoussac, Pont-Gravé «remonstra audit sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux Trois Rivieres pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux» (édit. 1632, liv. I, ch. VI). Le nom sauvage des Trois-Rivières était _Metaberoutin_.] [Note 53: Le lac Saint-Pierre.] [Note 54: Le Saint-Maurice a sa source sur les mêmes hauteurs que plusieurs des rivières qui se déchargent dans le lac Saint-Jean, considéré comme la source du Saguenay.] [Note 55: Le lac Saint-Jean.] 32/96 _Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on void dans le pays, de la riviere des Irocois, & de la forteresse des sauvages qui leur font la guerre._ CHAPITRE VII. Le samedy ensuyvant, nous partismes des Trois Rivieres, & vinsmes mouiller l'ancre à un lac, où il y a quatre lieues. Tout ce pays depuis les Trois Rivieres jusques à l'entrée dudict lac, est terre à fleur d'eau, & du costé du Su quelque peu plus haulte. Laditte terre est très bonne, & la plus plaisante que nous eussions encores veuë. Les bois y sont assez clairs, qui faict que l'on pourroit y traverser aisément. Le lendemain, 29 de juin[56], nous entrasmes dans le lac, qui a quelques quinze lieues de long [57], & quelques sept ou huict lieues de large. A son entrée du costé du Su environ une lieue, il y a une riviere [58] qui est assez grande, & va dans les terres quelques soixante ou quatre-vingts lieues, & continuant du mesme costé, il y a une autre petite riviere qui entre environ deux lieues en terre, & fort de dedans un autre petit lac [59] qui peut contenir quelques trois ou 33/97 quatre lieues. Du costé du Nort, où la terre y paroist fort haulte, on void jusques à quelques vingt lieues; mais peu à peu les montaignes viennent en diminuant vers l'Ouest comme païs plat. Les sauvages disent que la pluspart de ces montaignes sont mauvaises terres. Ledict lac a quelques trois brasses d'eau par où nous passasmes, qui fut presque au millieu. La longueur gist d'Est & Ouest, & de la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les especes que nous avons par deçà. Nous le traversasmes ce mesme jour, & vinsmes mouiller l'ancre environ deux lieues dans la riviere qui va au hault, à l'entrée de laquelle il y a trente petites isles[60]. Selon ce que j'ay pu veoir, les unes sont de deux lieues, d'autres de lieue & demye, & quelques unes moindres, lesquelles sont remplies de quantité de noyers, qui ne sont gueres differens des nostres, & croy que les noix en sont bonnes à leur saison; j'en veis en quantité sous les arbres, qui estoient de deux façons, les unes petites, & les autres longues comme d'un pouce; mais elles estoient pourries. Il y a aussi quantité de vignes sur le bord desdittes isles; mais quand les eaux sont grandes, la pluspart d'icelles sont couvertes d'eau. Et ce païs est encores meilleur qu'aucun autre que j'eusse veu. [Note 56: Le jour de la Saint-Pierre. C'est pour cette raison sans doute que ce lac a été appelé lac Saint-Pierre. Il avait porté précédemment le nom d'Angoulême (Thévet, Cosmographie Universelle, t. II).] [Note 57: Dans sa plus grande longueur il n'a que neuf ou dix lieues.] [Note 58: Probablement la rivière de Nicolet; mais elle ne va pas si loin dans les terres.] [Note 59: Il semble ici que l'auteur parle de ce que nous appelons aujourd'hui baie de La Valière.] [Note 60: Les îles de Sorel, que l'on a appelées aussi îles de Richelieu.] Le dernier de juin, nous en partismes, & vinsmes passer à l'entrée de la riviere des Iroquois, où estoient cabannez & fortifiez les sauvages qui leur alloient faire la guerre. Leur forteresse est faicte de quantité de bastons fort 34/98 pressez les uns contre les autres, laquelle vient joindre d'un costé sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrangez les uns contre les autres sur le bord pour pouvoir promptement fuyr, si d'adventure ils sont surprins des Iroquois: car leur forteresse est couverte d'escorces de chesnes, & ne leur sert que pour avoir le temps de s'embarquer. Nous fusmes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou six lieues [61], & ne peusmes passer plus outre avec nostre barque, à cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi que l'on ne peut aller par terre, & tirer la barque, pour la quantité d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir advancer davantage, nous prinsmes nostre esquif, pour veoir si le courant estoit plus adoucy; mais, allant à quelques deux lieues, il estoit encores plus fort, & ne peusmes advancer plus avant. Ne pouvant faire autre chose, nous nous en retournasmes en notre barque. Toute cette riviere est large de quelques trois à quatre cens pas, fort saine. Nous y veismes cinq isles, distantes les unes des autres d'un quart ou demye lieue ou d'une lieue au plus, une desquelles contient une lieue, qui est la plus proche, & les autres sont fort petites. [Note 61: Champlain aurait donc, dès cette année 1603, remonté la rivière de Chambly jusqu'au-delà de l'endroit où l'on a construit la dame de Saint-Ours, laquelle a fait disparaître les rapides que Champlain trouva plus haut.] Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses comme celles que j'avois veuës auparavant; mais il y a plus de sapins & de cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne, bien qu'elle soit quelque peu sablonneuse. Ceste riviere va comme au Sorouest[62]. [Note 62: Il faudrait: comme au Sud.] 35/99 Les sauvages disent qu'à quelques quinze lieues d'où nous avions esté, il y a un sault [63] qui vient de fort hault, où ils portent leurs canots pour le passer environ un quart de lieue, & entrent dedans un lac [64], où à l'entrée il y a trois isles, & estans dedans, ils en rencontrent encores quelques unes. Il peut contenir quelques quarante ou cinquante lieues de long, & de large quelques vingt-cinq lieues, dans lequel descendent quantité de rivieres, jusques au nombre de dix, lesquelles portent canots assez avant. Puis, venant à la fin dudict lac, il y a un autre sault, & rentrent dedans un autre lac [65], qui est de la grandeur dudict premier [66], au bout duquel sont cabannez les Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere[67] qui va rendre à la coste de la Floride, d'où il y peut aveoir dudict dernier lac quelques cent ou cent quarante lieues. Tout le pays des Iroquois est quelque peu montagneux, neantmoins païs très bon, tempéré, sans beaucoup d'hyver, que fort peu. [Note 63: Le rapide de Chambly.] [Note 64: Champlain découvrit lui-même ce lac six ans plus tard, et lui donna son nom.] [Note 65: Les Iroquois l'appelaient _Andiatarocté (là où le lac se ferme)_. Le P. Jogues le nomma _Saint-Sacrement_ en 1646; il est connu aujourd'hui sous le nom de lac George.] [Note 66: Les Sauvages qui donnaient à Champlain ces renseignements s'étaient exagéré la grandeur de ce lac; car le lac Champlain a quarante lieues de long, et le lac George n'en a que onze.] [Note 67: L'Hudson, qui a à peu près cent vingt lieues de long. C'était en effet la meilleure route à suivre pour aller à la côte de la Floride, qui alors était regardée comme voisine du Canada.] 36/100 _Arrivée au Sault, sa description, & ce qu'on y void de remarquable, avec le rapport des sauvages de la fin de la grande riviere._ CHAPITRE VIII. Partant de la riviere des Iroquois, nous fusmes mouiller l'ancre à trois lieues de là, à la bande du Nort. Tout ce pays est une terre basse, remplie de toutes les sortes d'arbres que j'ay dict cy-dessus. Le premier jour de juillet, nous costoyasmes la bande du Nort, où le bois y est fort clair, plus qu'en aucun lieu que nous eussions encore veu auparavant, & toute bonne terre pour cultiver. Je me meis dans un canot à la bande du Su, où je veis quantité d'isles, lesquelles sont fort fertilles en fruicts, comme vignes, noix, noysettes, & une manière de fruict qui semble à des chastaignes, cerises, chesnes, trembles, pible [68], houblon, fresne, érable, hestre, cyprez, fort peu de pins & sapins. Il y a aussi d'autres arbres que je ne cognois point, lesquels sont fort aggreables. Il s'y trouve quantité de fraises, framboises, groizelles rouges, vertes & bleues, avec force petits fruicts qui y croissent parmy grande quantité d'herbages. Il y a aussi plusieurs bestes sauvages comme orignas, cerfs, biches, dains, ours, porcs-espics, lapins, regnards, castors, loutres, rats musquets, & quelques autres sortes d'animaux que je ne cognois point, lesquels sont bons à manger, & dequoy vivent les sauvages. [Note 68: Ce mot n'est, sans doute, qu'une contraction de _piboule_, qui désigne une variété du peuplier.] 37/101 Nous passasmes contre une isle qui est fort aggreable, & contient quelques quatre lieues de long, & environ demye de large [69]. Je veis à la bande du Su deux hautes montaignes, qui paroissoient comme à quelques vingt lieues dans les terres, les sauvages me dirent que c'estoit le premier sault de laditte riviere des Iroquois. [Note 69: L'auteur semble avoir pris ici pour une seule île les îles de Verchères.] Le mercredy ensuyvant, nous partismes de ce lieu, & feismes quelques cinq ou six lieues. Nous veismes quantité d'isles, la terre y est fort basse, & sont couvertes de bois ainsi que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuyvant, nous feismes quelques lieues, & passasmes aussi par quantité d'autres isles qui sont très bonnes & plaisantes, pour la quantité des prairies qu'il y a, tant du costé de terre ferme que des autres isles; & tous les bois y sont fort petits, au regard de ceux que nous avions passé. Enfin nous arrivasmes cedict jour à l'entrée du sault, avec vent en poupe, & rencontrasmes une isle [70] qui est presque au milieu de laditte entrée, laquelle contient un quart de lieue de long, & passasmes à la bande du Su de laditte isle, où il n'y avoit que de trois à quatre ou cinq pieds d'eau, & aucunes fois une brasse ou deux; & puis tout à un coup n'en trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers & petites isles où il n'y a point de bois, & sont à fleur d'eau. Du commencement de la susditte isle, qui est au milieu de laditte entrée, l'eau commence à venir de grande force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne 38/102 peusmes-nous, en toute nostre puissance, beaucoup advancer; toutesfois nous passasmes laditte isle qui est à l'entrée dudict sault. Voyant que nous ne pouvions avancer, nou vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Nort, contre une petite isle[71] qui est fertille en la pluspart des fruicts que j'ay dict cy-dessus. Nous appareillasmes aussi tost nostre esquif, que l'on avoit fait faire exprés pour passer ledict sault, dans lequel nous entrasmes ledict Sieur du Pont & moy, avec quelques autres sauvages que nous avions menez pour nous montrer le chemin. Partant de nostre barque, nous ne fusmes pas à trois cens pas, qu'il nous fallut descendre, & quelques matelots se mettre à l'eau pour passer nostre esquif. Le canot des sauvages passoit aysément. Nous rencontrasmes une infinité de petits rochers, qui estoient à fleur d'eau, où nous touschions souventes fois. [Note 70: L'île qu'il appela lui-même plus tard Sainte-Hélène, du nom d'Hélène Boullé, sa femme.] [Note 71: Cette petite île, située dans le port de Montréal, est maintenant réunie à la terre ferme par des quais.] Il y a deux grandes isles: une du costé du Nort [72], laquelle contient quelques quinze lieues de long, & presque autant de large, commence à quelque douze lieues dans la riviere de Canada, allant vers la riviere des Iroquois, & vient tomber par delà le Sault, l'isle qui est à la bande du Su a quelques quatre lieues de long, & demye de large [73]. Il y a encore une autre isle[74] qui est proche de celle du Nort, laquelle peut tenir quelque demye lieue de long, & un 39/103 quart de large, & une autre petite isle, qui est entre celle du Nort, & l'autre plus proche du Su, par où nous passasmes l'entrée du Sault[75]. Estant passé, il y a une manière de lac, où sont toutes ces isles, lequel peut contenir quelques cinq lieues de long, & presque autant de large, où il y a quantité de petites isles, qui sont rochers. Il y a, proche dudict Sault, une montagne [76] qui descouvre assez loing dans lesdittes terres, & une petite riviere [77] qui vient de laditte montaigne tomber dans le lac. L'on void du costé du Su, quelques trois ou quatre montaignes, qui paroissent comme à quinze ou seize lieues dans les terres. Il y a aussi deux rivieres: l'une [78] qui va au premier lac de la riviere des Iroquois, par où quelquefois les Algoumequins leur vont faire la guerre; & l'autre [79] qui est proche du Sault, qui va quelques pas dans les terres. [Note 72: Il paraît bien évident que Champlain veut ici parler de l'île de Montréal, qui cependant n'a que dix lieues de long, et environ trois lieues de large.] [Note 73: L'île Perrot, qui n'a pas tout à fait les dimensions que lui donne l'auteur, est située rigoureusement au sud de l'île de Montréal.] [Note 74: L'île Saint-Paul.] [Note 75: C'est-à-dire, «qui est entre l'île de Montréal et l'île Sainte-Hélène par où nous passâmes l'entrée du saut.» Cette petite île est l'île Ronde.] [Note 76: La Montagne que Jacques Cartier appela Mont-Royal (Montréal).] [Note 77: La petite rivière de Saint-Pierre.] [Note 78: La rivière de Saint-Lambert. De cette rivière, on tombe dans celle de Montréal, qui se jette dans le bassin de Chambly; c'est ce bassin que l'auteur appelle «premier lac de la rivière des Iroquois.»] [Note 79: La rivière de la Tortue.] Venans à approcher dudict Sault avecq nostre petit esquif & le canot, je vous asseure que jamais je ne veis un torrent d'eau desborder avec une telle impetuosité comme il faict, bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'estant en d'aucuns lieux que d'une brasse ou de deux, & au plus de trois. Il descend comme de degré en degré, & en chasque lieu où il y a quelque peu de hauteur, il s'y fait un esbouillonnement estrange de la force & roideur que va l'eau en traversant 40/104 ledict Sault, qui peut contenir une lieue. Il y a force rochers de large, & environ le millieu, il y a des isles qui sont fort estroittes & fort longues, où il y a sault tant du costé desdittes isles qui sont au Su, comme du costé du Nort, où il fait si dangereux, qu'il est hors de la puissance d'homme d'y passer un bateau, pour petit qu'il soit. Nous fusmes par terre dans les bois, pour en veoir la fin, où il y a une lieue, & où l'on ne voit plus de rochers, ny de saults; mais l'eau y va si viste, qu'il est impossible de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre lieues; de façon que c'est en vain de s'imaginer que l'on peust faire passer aucuns bateaux par lesdicts saults. Mais qui les voudroit passer, il se faudroit accommoder des canots des sauvages, qu'un homme peut porter aisément: car de porter bateau, c'est chose laquelle ne se peut faire en si bref temps comme il le faudroit pour pouvoir s'en retourner en France, si l'on y hyvernoit. Et en outre ce sault premier, il y en a dix autres, la plus part difficiles à passer; de façon que ce seroit de grandes peines & travaux pour pouvoir voir & faire ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce n'estoit à grand frais & despens, & encore en danger de travailler en vain. Mais avec les canots des sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes. Si bien qu'en se gouvernant par le moyen desdicts sauvages & de leurs canots, l'on pourra veoir tout ce qui se peut, bon & mauvais, dans un an ou deux. Tout ce peu de païs du costé dudict sault que nous traversasmes par terre, est bois fort clair, où l'on peut 41/105 aller aysément avecque armes, sans beaucoup de peines, l'air y est plus doux & tempéré; & de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse veu, où il y a quantité de bois & fruicts, comme en tous les autres lieux cy dessus, & est par les 45. degrez & quelques minutes. Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en retournasmes en nostre barque, où nous interrogeasmes les sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que je leur feis figurer de leurs mains, & de quelle partie procedoit sa source. Ils nous dirent que passé le premier sault que nous avions veu, ils faisoient quelques dix ou quinze lieues [80] avec leurs canots dedans la riviere, où il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins [81], qui sont à quelques soixante lieues esloignez de la grand'riviere, & puis ils venoient à passer cinq saults[82], lesquels peuvent contenir du premier au dernier huict lieues [83], desquels il y en a deux où ils portent leurs canots pour les passer. Chasque sault peut tenir quelque demy quart de lieue, ou un quart au plus, & puis ils viennent dedans un lac [84], qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de long. Delà ils rentrent dedans une riviere [85] qui peut contenir une lieue de large, & font quelques lieues dedans; & puis rentrent dans un autre lac [86] de quelques quatre ou 42/106 cinq lieues de long, venant au bout duquel, ils passent cinq autres saults, distans du premier au dernier quelque vingt-cinq ou trente lieues [87], dont il y en a trois où ils portent leurs canots pour les passer, & les autres deux, il ne les font que traisner dedans l'eau, d'autant que le cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous ces saults, aucun n'est si difficile à passer, comme celuy que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans un lac [88] qui peut tenir quelques 80 lieues de long, où il y a quantité d'isles; & que au bout d'iceluy l'eau y est salubre & l'hyver doux. A la fin dudit lac, ils passent un sault[89] qui est quelque peu élevé, où il y a peu d'eau, laquelle descend. Là, ils portent leurs canots par terre environ un quart de lieue pour passer ce sault; de là entrent dans un autre lac [90] qui peut tenir quelques soixante lieues de long, & que l'eau en est fort salubre. Estant à la fin ils viennent à un destroict[91] qui contient deux lieues de large, & va assez avant dans les terres. Qu'ils n'avoient point passé plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac [92] qui est à quelques quinze ou seize lieues d'où ils sont esté, ny que ceux qui leur avoient dict eussent veu homme qui le l'eust veu; d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne se bazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque tourmente ou coup de vent ne les surprinst. Disent qu'en 43/107 esté le soleil se couche au nord dudict lac, & en l'hyver il se couche comme au milieu, que l'eau y est très mauvaise, comme celle de ceste mer. [Note 80: Cinq ou six lieues, c'est-à-dire, la longueur du lac Saint-Louis.] [Note 81: C'est pour cette raison même qu'elle a été longtemps appelée la rivière des Algonquins; plus tard, pour une raison analogue, on lui a donné le nom d'Outaouais.] [Note 82: Ce sont les Cascades, les Cèdres, et les rapides du Côteau-du-Lac, qui se subdivisent en deux ou trois, suivant le chemin que l'on prend.] [Note 83: Du pied des Cascades au Côteau-du-Lac, il y a cinq ou six lieues.] [Note 84: Le lac Saint-François, qui a environ douze lieues de long.] [Note 85: Le Long-Saut.] [Note 86: C'est-à-dire, un espace où le fleuve est tranquille et sans rapide.] [Note 87: Depuis le rapide aux Citrons, ou les rapides Plats, jusqu'aux Gallots, il y a en effet cinq rapides; mais cette distance de vingt-cinq à trente lieues doit s'entendre de tout le trajet jusqu'au lac Ontario.] [Note 88: Le lac des Entouhoronons, ou Ontario.] [Note 89: La chute de Niagara.] [Note 90: Le lac Erié, ou des Eriehoronons (nation du Chat).] [Note 91: La rivière du Détroit, qui est une partie du Saint-Laurent.] [Note 92: Le lac Huron, ou mer Douce.] Je leur demandis si depuis cedict lac dernier qu'ils avoient veu, si l'eau descendoit tousjours dans la riviere venant à Gaschepay: ils me dirent que non; que depuis le troisiesme lac elle descendoit seulement, venant audict Gaschepay; mais que depuis le dernier sault, qui est quelque peu hault, comme j'ay dict, que l'eau estoit presque pacifique, & que ledict lac pouvoit prendre cours par autres rivieres, lesquelles vont dedans les terres, soit au Su, ou au Nort, dont il y en a quantité qui y refluent, & dont ils ne voyent point la fin. Or, à mon jugement, il faudroit que si tant de rivieres desbordent dedans ce lac, n'ayant que si peu de cours audict sault, qu'il faut par necessité qu'il refflue dedans quelque grandissime riviere. Mais ce qui me faict croire qu'il n'y a point de riviere par où cedict lac refflue, veu le nombre de toutes les autres rivieres qui reffluent dedans, c'est que les sauvages n'ont vu aucune riviere qui prinst son cours par dedans les terres, qu'au lieu où ils ont esté: ce qui me faict croire que c'est la mer du Su, estant sallée[93], comme ils disent. Toutesfois il n'y faut pas tant adjouster de foy, que ce soit avec raisons apparentes, bien qu'il y en aye quelque peu. [Note 93: Eau mauvaise ou salée était la même chose pour les sauvages.] Voylà au certain tout ce que j'ay veu cy-dessus, & ouy dire aux sauvages sur ce que nous les avons interrogez. 44/108 _Retour du Sault à Tadoussac, avec la confrontation du rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & le commencement de la grande riviere de Canadas, du nombre des saults & lacs qu'elle traverse._ CHAPITRE IX. Nous partismes dudict sault, le Vendredy, quatriesme jour de Juin [94], & revinsmes cedict jour à la riviere des Irocois. Le Dimanche, sixiesme jour de juin, nous en partismes & vinsmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundy ensuyvant, nous fusmes mouiller l'ancre au Trois Rivieres. Cedict jour nous feismes quelques quatre lieues par delà lesdictes Trois Rivieres. Le Mardy ensuyvant, nous vinsmes à Québec, & le lendemain, nous fusmes au bout de l'isle d'Orléans, où les sauvages vindrent à nous, qui estoient cabannez à la grande terre du Nort. Nous interrogeasmes deux ou trois Algoumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec ceux que nous avions interrogez touchant la fin & le commencement de ladicte riviere de Canadas. [Note 94: Dans cette phrase et la suivante, l'édition originale met, par inadvertance, le mois de juin au lieu dejuillet.] Ils dirent comme ils l'ont figuré, que, passé le sault que nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une riviere en leur demeure, qui est en la bande du Nort, continuant le chemin dans ladicte grande riviere, ils passent un sault, où ils portent leurs canots, & viennent à passer cinq autres saults, lesquels peuvent contenir du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que 45/109 lesdicts saults ne sont point difficiles à passer, & ne font que traîner leurs canots en la pluspart desdicts saults, hormis à deux, où ils les portent. De là, viennent à entrer dedans une riviere qui est comme une manière de lac, laquelle peut contenir comme six ou sept lieues; & puis passent cinq autres saults, où ils traînent leurs canots comme auxdicts premiers, hormis à deux, où ils les portent comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a quelques vingt ou vingt-cinq lieues. Puis viennent dedans un lac qui contient quelque cent cinquante lieues de long [95]; & quelques quatre ou cinq lieues à l'entrée dudict lac, il y a une riviere [96] qui va aux Algoumequins vers le Nort, & une autre [97] qui va aux Irocois; par où lesdicts Algoumequins & Irocois se font la guerre. Et un peu plus haut à la bande du Su dudict lac, il y a une autre riviere[98] qui va aux Irocois; puis venant à la fin dudict lac, ils rencontrent un autre sault, où ils portent leurs canots, delà ils entrent dedans un autre très grand lac, qui peut contenir autant comme le premier. Ils n'y ont esté que fort peu dans ce dernier, & ont ouy dire qu'à la fin dudict lac, il y a une mer dont ils n'ont veu la fin, ne ouy dire qu'aucun l'aye veu; mais que là où ils ont esté, l'eau n'est point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point advancé plus haut; & que le cours de l'eau vient du costé du soleil 46/110 couchant venant à l'Orient, & ne sçavent si passé le dits lacs qu'ils ont veu il y a autre cours d'eau qui aille du costé de l'Occident; que le soleil se couche à main droite dudict lac, qui est, selon mon jugement, au Norouest peu plus ou moins; & qu'au premier lac l'eau ne gelle point, ce qui me fait juger que le temps y est tempéré. Et que toutes les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort peu de bois; & du costé des Irocois est terre montaigneuse; neantmoins elles sont très bonnes & fertiles, & meilleures qu'en aucun endroict qu'ils ayent veu. Les Irocois se tiennent à quelque cinquante ou soixante lieues dudict grand lac. Voilà au certain ce qu'ils m'ont dist avoir veu, qui ne diffère de bien peu au rapport des premiers. [Note 95: Jusqu'ici, ce second rapport s'accorde passablement avec le premier, sauf les distances, qui diffèrent un peu.] [Note 96: La rivière Trent et la baie de Quinte.] [Note 97: La rivière Noire.] [Note 98: La rivière de Cliouaguen, ou Oswego,] Cedict jour, nous fusmes proche de l'isle aux Coudres, comme environ trois lieues. Le Jeudy dudict mois, nous vinsmes à quelque lieue & demye de l'isle au Lievre, du costé du Nort, où il vint d'autres sauvages en notre barque, entre lesquels il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort voyagé dedans ledict grand lac: nous l'interrogeasmes fort particulièrement comme nous avions fait les autres sauvages. Il nous dict que, passé ledict sault que nous avions veu, qu'à quelques deux ou trois lieues il y a une riviere qui va ausdicts Algoumequins, où ils sont cabannez; & qu'allant en ladicte grande riviere, il y a cinq saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelque huict ou neuf lieues, dont il y en a trois où ils portent leurs canots, & deux autres où ils les traînent, que chascun desdicts saults peut tenir un quart de lieue de long. Puis viennent dedans un lac qui peut contenir quelque quinze lieues. Puis ils passent 47/111 cinq autres saults, qui peuvent contenir du premier au dernier quelques vingt à vingt-cinq lieues, où il n'y a que deux desdicts saults qu'ils passent avec leurs canots; aux autres trois ils ne les font que traîner. Delà ils entrent dedans un grandissime lac qui peut contenir quelques trois cents lieues de long[99]. Advançant quelque cent lieues dedans ledict lac, ils rencontrent une isle qui est fort grande, où, audelà de ladicte isle, l'eau est salubre; mais que passant quelques cent lieues plus avant, l'eau est encore plus mauvaise; arrivant à la fin dudict lac, l'eau est du tout salée. Qu'il y a un sault qui peut contenir une lieue de large, d'où il descend un grandissime courant d'eau dans le dict lac[100]; que passé ce sault, on ne voit plus de terre ny d'un costé, ne d'autre, sinon une mer si grande qu'ils n'en n'ont point veu la fin, ny ouy dire qu'aucun l'aye veu. Que le soleil se couche à main droite dudict lac, & qu'à son entrée il y a une riviere qui va aux Algoumequins, & l'autre aux Irocois, par où ils se font la guerre. Que la terre des Irocois est quelque peu montaigneuse, neantmoins fort fertile, où il y a quantité de bled d'Inde, & autres fruicts qu'ils n'ont point en leur terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile. [Note 99: Quelque trois cents lieues de tour, et encore ce serait beaucoup.] [Note 100: Malgré les inexactitudes qui précèdent, on ne peut s'empêcher de reconnaître ici la chute de Niagara.] Je leur demandis s'ils n'avoient point cognoissance de quelques mines. Ils nous dirent qu'il y a une nation qu'on appelle les bons Irocois [101], qui viennent pour troquer 48/112 des marchandises que les vaisseaux françois donnent aux Algoumequins; lesquels disent qu'il y a à la partie du Nort une mine de franc cuivre, dont ils nous en ont montré quelques bracelets qu'ils avoient eu desdicts bons Irocois. Que si l'on y voulloit aller, ils y meneroient ceux qui seroient depputez pour cest effect. [Note 101: Les bons Iroquois étaient sans doute les Hurons, qui parlaient un dialecte de la même langue.] Voilà tout ce que j'ay pu apprendre des uns & des autres, ne se differant que bien peu, sinon que les seconds qui furent interrogez, dirent n'avoir point beu de l'eau salée, aussi ils n'ont pas esté si loing dans ledict lac comme les autres, & different quelque peu du chemin, les uns le faisant plus court, & les autres plus long: de façon que selon leur rapport, du sault où nous avons esté, il y a jusques à la mer salée, qui peut estre celle du Su, quelques quatre cents lieues. Sans doubte, suyvant leur rapport, ce ne doibt estre autre chose que la mer du Su, le soleil se couchant où ils disent. Le Vendredy, dixiesme [102] dudict mois, nous fusmes de retour à Tadousac, où estoit nostre vaisseau. [Note 102: Le vendredi était le 11 du mois de juillet.] _Voyage de Tadousac en l'isle Percée, description de la baye des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la Baye de Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouve plusieurs sortes de mines._ CHAPITRE X. Aussitost que nous fusmes arrivez à Tadousac, nous nous embarquasmes pour aller à Gachepay, qui est distant dudict Tadousac environ cent lieues. Le treiziesme jour dudict 49/113 mois, nous rencontrasmes une troupe de sauvages qui estoient cabannez du costé du Su, presque au milieu du chemin de Tadousac à Gachepay. Leur Sagamo qui les menoit s'appelle Armouchides, qui est tenu pour l'un des plus advisez & hardis qui soit entre les sauvages. Il s'en alloit à Tadousac pour troquer des flesches, & chairs d'orignac, qu'ils ont pour des castors & martres des autres sauvages Montaignes, Estechemains & Algoumequins. Le 15e jour dudict mois, nous arrivasmes à Gachepay, qui est dans une baye, comme à une lieue & demye du costé du Nort[103]; laquelle baye contient quelque sept ou huict lieues de long, & à son entrée quatre lieues de large. Il y a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres; puis nous vismes une autre baye, que l'on appelle la Baye des Moluës[104], laquelle peut tenir quelques trois lieues de long, autant de large à son entrée. De là l'on vient à l'Isle Percée, qui est comme un rocher fort haut, eslevée des deux costez, où il y a un trou par où les chaloupes & basteaux peuvent passer de haute mer; & de base mer, l'on peut aller de la grand'terre à laditte isle, qui n'en est qu'à quelques quatre ou cinq cens pas. Plus il y a une autre isle, comme au suest de l'isle Percée environ une lieue, qui s'appelle l'isle de Bonne-adventure, & peut tenir de long 50/114 une demye lieuë. Tous cesdits lieux de Gachepay, Baye des Moluës & Isle Percée, sont les lieux où il se fait la pesche du poisson sec & verd. [Note 103: C'est-à-dire, comme à une lieue et demie du côté du nord de la baie.] [Note 104: Cette baie est au sud de celle de Gaspé; on l'appelle aujourd'hui la Malbaie. Ce mot paraît être une corruption de l'expression anglaise _Molue Bay_. Dès 1545, Jean Alphonse parle de la baie des Molues et de toute cette côte, comme d'un lieu fréquenté depuis longues années pour l'abondance et l'excellente qualité de la pêche. «Et se est le poisson, dit-il, bien meilleur que celui de la dicte terre neufve.» (Cosmogr. univ.)] Passant l'Isle Percée, il y a une baye qui s'appelle la Baye de Chaleurs [105], qui va comme à l'ouest-sorouest quelques quatre vingts lieues [106] dedans les terres, contenant de large en son entrée quelques quinze lieues. Les sauvages Canadiens disent qu'à la grande riviere de Canadas, environ quelques soixante lieues rangeant la coste du Su, il y a une petite riviere qui s'appelle Mantanne, laquelle va quelques dix huict lieues dans les terres, & estans au bout d'icelle, ils portent leurs canots environ une lieue par terre, & se viennent rendre à laditte baye de Chaleurs, par où ils vont quelquefois à l'isle Percée. Aussi ils vont de laditte baye à Tregate [107] & à Misamichy [108]. [Note 105: Ainsi nommée par Jacques Cartier en 1534. «Nous nommâmes laditte baye, la Baye de Chaleurs.» (Prem. Voy. de Cartier, Relat. originale, Paris, 1867.)] [Note 106: Environ trente lieues.] [Note 107: Tregaté, ou Tracadie. Ce lieu, qu'il ne faut pas confondre avec celui qui porte le même nom dans la Nouvelle-Écosse, est situé à mi-chemin environ entre la baie des Chaleurs et celle de Miramichi.] [Note 108: Aujourd'hui, on dit _Miramichi_.] Continuant ladicte coste, on range quantité de rivieres, & vient-on à un lieu où il y a une riviere qui s'appelle Souricoua[109], où le sieur Prevert a esté pour descouvrir une mine de cuivre. Ils vont avec leurs canots dans cette riviere deux ou trois jours, puis ils traversent quelque deux ou trois lieues de terre, jusques à laditte mine, qui est sur le bord de la mer du costé du Su. A l'entrée de laditte riviere, on trouve une isle [110] environ une lieue 51/115 dans la mer; de laditte isle jusqu'à l'Isle Percée, il y a quelque soixante ou septante lieues. Puis continuant laditte coste, qui va devers l'Est, on rencontre un destroict qui peut tenir deux lieues de large & vingt-cinq de long[111]. Du costé de l'Est est une isle qui s'appelle Sainct Laurens [112], où est le Cap-Breton, & où une nation de sauvages appelez les Souricois hyvernent. Passant le destroit de l'isle de Sainct Laurens, costoyant la coste d'Arcadie[113], on vient dedans une baye [114] qui vient joindre laditte mine de cuivre. Allant plus outre, on trouve une riviere [115] qui va quelques soixante ou quatre vingts lieues dedans les terres, laquelle va proche du lac des Irocois, par où lesdicts sauvages de la coste d'Arcadie leur vont faire la guerre. Ce serait un grand bien, qui pourroit trouver à la coste de la Floride quelque passage qui allast donner proche du susdict grand lac, où l'eau est salée, tant pour la navigation des vaisseaux, lesquels ne seroient subjects à tant de périls, comme ils sont en Canada, que 52/116 pour l'accourcissement du chemin de plus de trois cens lieues. Et est très certain qu'il y a des rivieres en la coste de la Floride que l'on n'a point encore descouvertes; lesquelles vont dans les terres, où le pays y est très bon & fertille, & de fort bons ports. Le pays & coste de la Floride peut avoir une autre température de temps, plus fertille en quantité de fruicts & autres choses, que celuy que j'ay veu; mais il ne peut y avoir des terres plus unies ny meilleures que celles que nous avons veuës. [Note 109: Vraisemblablement, la rivière de Gédaïc, ou _Chédiac_. On l'appelait alors Souricoua, sans doute parce que c'était le chemin des Souriquois.] [Note 110: L'île de Chédiac.] [Note 111: Par le contexte, on voit que l'auteur parle du détroit de Canseau, qui n'a cependant ni autant de longueur, ni autant de largeur.] [Note 112: Le nom de Cap-Breton a prévalu.] [Note 113: Acadie. Il est possible que Champlain ait cru retrouver, dans ce mot, un nom de la vieille Europe; mais il ne tarda pas à revenir de cette idée, si toutefois ce n'est point ici une simple faute de typographie. La commission de M. de Monts, qui est du 8 novembre de cette année 1603, renferme, entre autres, le passage suivant: «Nous étans dés long temps a, informez de la situation & condition des païs & territoire de la Cadie...» On lit, dans Jean de Laet, en tête d'un chapitre de sa Description des Indes Occidentales: «_Contrées de la Nouvelle-France qui regardent le Sud, lesquelles les François appellent Cadie ou Acadie._» Si nous tenons ce nom des premiers voyageurs français, il est très-probable qu'ils le tenaient eux-mêmes des sauvages du pays: car ce mot se retrouve dans plusieurs noms de l'endroit ou des environs, comme Tracadie, Choubenacadie, qui sont certainement d'origine sauvage.] [Note 114: La baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy.] [Note 115: La rivière Saint-Jean, que les sauvages appelaient _Ouigoudi_. (Voir édit. 1613, ch. III).] Les sauvages disent qu'en laditte grande baye de Chaleurs il y a une riviere qui a quelques vingt lieues dans les terres, où au bout est un lac[116] qui peut contenir quelques vingt lieues, auquel y a fort peu d'eau; qu'en esté il asseiche, auquel ils trouvent dans la terre environ un pied ou un pied & demy, une manière de metail qui ressemble à de l'argent que je leur avois monstré; & qu'en un autre lieu proche dudict lac, il y a une mine de cuivre. Voilà ce que j'ay appris desdicts sauvages. [Note 116: Probablement le lac Métapédiac. (Voir la carte de 1612.)] _Retour de l'Isle Percée à Tadousac, avec la description des ances, ports, rivieres, isles, rochers, ponts, bayes & basses qui sont le long de la coste du Nort._ CHAPITRE XI. Nous partismes de l'Isle Percée le dix neuf jour du dict mois pour retourner à Tadousac. Comme nous fusmes à quelques trois lieues du Cap l'Evesque [117], nous fusmes contrariez 53/117 d'une tourmente, laquelle dura deux jours, qui nous feist relascher dedans une grande anse, en attendant le beau temps. Le lendemain, nous en partismes, & fusmes encores contrariez d'une autre tourmente. Ne voullant relascher, & pensant gaigner chemin, nous fusmes à la coste du Nort, le 28e jour de juillet, mouiller l'ancre à une anse qui est fort mauvaise à cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette anse[118] est par les 51e degré & quelques minutes [119]. [Note 117: La tradition, relativement à ce cap, ne paraît pas s'être bien conservée; on ne le trouve même pas mentionné dans la plupart de nos cartes modernes. Parmi les anciens géographes, les uns le placent à peu près à mi-chemin entre le cap des Rosiers et Matane, et les autres à quinze ou vingt lieues environ à l'est du cap Chate.] [Note 118: Vraisemblablement la baie Moisie, à l'ouest de laquelle il y a un banc de rochers très-dangereux.] [Note 119: Cette hauteur, qui est celle du détroit de Belle-Isle, est évidemment trop forte. Suivant Bayfield, le fond de la baie Moisie est à 50° 17'.] Le lendemain nous vinsmes mouiller l'ancre proche d'une riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, où il y a de pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demye de basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ai vu dans terre du costé de l'Est, il y a un sault d'eau qui entre dans ladicte riviere, & vient de quelque cinquante ou soixante brasses de haut; d'où procède la plus grand part de l'eau qui descend dedans. A son entrée, il y a un banc de sable, où il peut avoir de basse eau demy brasse. Toute la coste du costé de l'Est est sable mouvant; où il y a une poincte à quelque demy lieue [120] de ladicte riviere qui advance une demie lieue en la mer, & du costé de l'Ouest, il y a une petite isle. Cedict lieu est par les 50 degrez. Toutes ces terres sont très mauvaises, remplies de sapins. La terre y est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su. [Note 120: «A quelques deux lieues,» se trouve la pointe à la Croix. Il y a tout lieu de croire que le manuscrit portait _deux lieues_, et que le typographe aura lu _demy lieue_.] 54/118 A quelques trois lieues, nous passasmes proche d'une autre riviere [121], laquelle sembloit estre fort grande, barrée neantmoins la pluspart de rochers. A quelques 8 lieues [122] de là, il y a une pointe [123] qui advance une lieue & demye à la mer, où il n'y a que brasse & demye d'eau. Passé cette poincte, il s'en trouve une autre [124] à quelque 4 lieues, où il y a assez d'eau. Toute cette coste est terre basse & sablonneuse. [Note 121: La rivière des Rochers, qui se jette dans la baie du même nom.] [Note 122: «Dix-huit lieues.» (Voir la note suivante).] [Note 123: Cette pointe doit être la pointe des Monts, qui est à environ dix-huit lieues de la baie des Rochers; car, dans tous ces parages, il n'y a pas d'autre pointe aussi considérable, et où il y ait si peu d'eau. Peut-être ne faut-il voir ici qu'une faute de typographie; cependant, il est possible aussi que l'auteur ait été trompé par les courants. Au bas de la pointe des Monts, il se fait, du côté du nord, comme un immense remous; de sorte que le vaisseau était porté sur la pointe, lorsque l'on croyait avoir à lutter contre la marée.] [Note 124: Le cap Saint-Nicolas.] A quelque 4 lieues de là, il y a une anse où entre une riviere [125]. Il y peut aller beaucoup de vaisseaux du costé de l'Ouest. C'est une poincte basse qui advance environ d'une lieue en la mer. Il faut ranger la terre de l'Est[126] comme de trois cents pas pour pouvoir entrer dedans. Voilà le meilleur port qui est en toute la coste du Nort; mais il y faict fort dangereux y aller, pour les basses & bancs de sable qu'il y en a en la plupart de la coste prés de deux lieues en mer. [Note 125: La rivière de Manicouagan.] [Note 126: Par rapport à la baie, ou à l'entrée de larivière, il faudrait dire: «la terre du Nord.» Mais, par rapport au cours de la rivière même, l'expression est juste.] On trouve, à quelques six lieues de là une baye [127] où il y a une isle de sable. Toute laditte baye est fort batturiere, si ce n'est du costé de l'Est, où il peut avoir quelque 4 brasses d'eau. Dans le canal qui entre dans laditte baye, à quelque 4 lieues de là, il y a une belle 55/119 anse, où entre une riviere. Toute cette coste est basse & sablonneuse. Il y descend un sault d'eau qui est grand. A quelques cinq lieues de là[128], il y a une poincte qui advance environ demy lieue en la mer, où il y a une ance[129]; & d'une poincte à l'autre, il y a trois lieues, mais ce n'est que battures où il y a peu d'eau. [Note 127: La baie des Outardes.] [Note 128: Une partie de ces cinq lieues doit se prendre dans l'entrée de la rivière aux Outardes; car, comme l'auteur le remarque un peu plus loin, la pointe aux Outardes et celle des Betsiamis ne sont guère qu'à trois lieues l'une de l'autre.] [Note 129: La pointe, l'anse et la rivière portent le nomde Betsiamis.] A quelque deux lieues, il y a une plage où il y a un bon port & une petite riviere, où il y a trois isles[130], & où des vaisseaux se pourroient mettre à l'abry. [Note 130: Les îlets de Jérémie.] A quelque trois lieues de là, il y a une poincte de sable qui advance environ une lieue, où au bout il y a un petit islet [131]. Puis, allant à l'Esquemin[132], vous rencontrez deux petites isles basses & un petit rocher à terre. Ces dictes isles sont environ à demy lieue de Lesquemin, qui est un fort mauvais port entouré de rochers & asseche de basse mer. Et faut variser pour entrer dedans au derrière d'une petite poincte de rocher, où il n'y peut qu'un vaisseau. Un peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans les terres, c'est le lieu où les Basques font la pesche des ballaines [133]. Pour dire vérité, le port ne vaut du tout rien. [Note 131: Cette description ne peut guère convenir qu'à la pointe à Mille-Vaches, quoiqu'elle soit à environ neuf lieues des îlets de Jérémie. Comme il est difficile d'admettre que Champlain ait pu ne voir que trois lieues là où il y en avait neuf, il faut supposer ou bien qu'il y a eu quelque chose de passé dans le texte, ou bien que le manuscrit Portait un 9, que le typographe aura pu prendre pour un 3.] [Note 132: Aujourd'hui, on dit: les Escoumins.] [Note 133: Environ une lieue plus haut que les Escoumins, se trouve l'anse aux Basques.] Nous vinsmes de là audict port de Tadousac, le troisiesme 56/120 d'aoust. Toutes ces dictes terres cy-dessus sont basses à la coste, & dans les terres fort hautes. Ils ne sont si plaisantes ny fertilles que celles du Su, bien qu'elles soient plus basses. Voylà au certain tout ce que j'ay veu de cette ditte coste du Nort. _Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la guerre. Des sauvages Almouchicois & de leur monstrueuse forme. Discours du sieur de Prevert de Sainct-Malo sur la descouverture de la coste d'Arcadie; quelles mines il y a, & de la bonté & fertilité du pays._ CHAPITRE XII. Arrivant à Tadousac, nous trouvasmes les sauvages que nous avions rencontrez en la riviere des Irocois, qui avoient faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois, lesquels se battirent contre dix autres de Montaignez, & apportèrent les testes des Irocois à Tadousac, & n'y eut qu'un Montaignez blessé au bras d'un coup de flèche, lequel songeant quelque chose, il falloit que tous les 10 autres le meissent à exécution pour le rendre content, croyant aussi que sa playe s'en doit mieux porter. Si ce dict sauvage meurt, ses parents vengeront sa mort soit sur leur nation, ou sur d'autres, ou bien il faut que les capitaines facent des presents aux parents du deffunct, affin qu'ils soyent contens, ou autrement, comme j'ay dict, ils useroient de vengeance, qui est une grande meschanceté entre eux. 57/121 Premier que lesdicts Montaignez partissent pour aller à la guerre, ils s'assemblerent tous, avec leurs plus riches habits de fourrures, castors & autres peaux, parez de patenostres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent dedans une grand place publique, où il y avoit au devant d'eux un Sagamo qui s'appeloit Begourat, qui les menoit à la guerre; & estoient les uns derrière les autres, avec leurs arcs & flesches, massues & rondelles, de quoi ils se parent pour se battre, & alloient sautant les uns après les autres, en faisant plusieurs gestes de leurs corps, ils faisoient maints tours de limaçon. Après, ils commencèrent à danser à la façon accoustumée, comme j'ay dict cy-dessus, puis ils firent leur tabagie, & après l'avoir faict, les femmes se despouillerent toutes nues, parées de leurs plus beaux matachias, & se meirent dedans leurs canots ainsi nues en dansant, & puis elles se vindrent mettre à l'eau en se battant à coups de leurs avirons, se jettant quantité d'eau les unes sur les autres. Toutesfois elles ne se faisoient point de mal, car elles se paroient des coups qu'elles s'entre-ruoient. Après avoir faict toutes ces cérémonies, elles se retirèrent en leurs cabanes, & les sauvages s'en allèrent à la guerre contre les Irocois. Le seiziesme jour d'aoust, nous partismes de Tadousac, & le 18 dudict mois arrivasmes à l'isle Percée, où nous trouvasmes le sieur Prevert, de Sainct Malo, qui venoit de 58/122 la mine où il avoit esté[134] avec beaucoup de peine, pour la crainte que les sauvages avoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont les Armouchicois, lesquels sont hommes sauvages du tout monstrueux pour la forme qu'ils ont[135]; car leur teste est petite, & le corps court, les bras menus comme d'un schelet, & les cuisses semblablement, les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue; & quand ils sont assis sur leurs talons, les genoux leur passent plus d'un demy pied par dessus la teste, qui est chose estrange, & semblent estre hors de nature. Ils sont neantmoins fort dispos & déterminez, & sont aux meilleures terres de toute la coste d'Arcadie[136]: aussi les Souricois les craignent fort. Mais, avec l'asseurance que ledict sieur de Prevert leur donna, il les mena jusqu'à laditte mine, où les sauvages le guidèrent [137]. C'est une fort haute montaigne advançant quelque peu sur la mer, qui est fort reluisante au soleil, où il y a quantité de verd de gris, qui procède de laditte mine de cuivre;_____. [Note 134: Le sieur Prévert n'avait point vu par lui-même ce qu'il rapporte ici à Champlain; il s'était contenté d'envoyer deux ou trois de ses hommes, avec quelques sauvages, à la recherche des mines. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver beaucoup d'exactitude dans tout ce récit. «Il nous faut,» dit Lescarbot, liv. III, ch. XXVIII, «retourner quérir Samuel Champlein... afin qu'il nous dise quelques nouvelles de ce qu'il aura veu & ouï parmi les sauvages... Et afin qu'il ait un plus beau champ pour réjouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo qui l'attend à l'isle Percée, en intention de lui en bailler d'une; & s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaisante histoire du _Gougou_, qui fait peur aux petits Enfans, afin que par après l'Historiographe Cayet soit aussi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.» Il n'y a là-dessus qu'une remarque à faire: il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain, qu'à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu'il pouvait y avoir de vrai ou de faux dans les récits d'un homme dont il n'avait peut-être pas de raison alors de soupçonner la véracité.] [Note 135: Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis; et, d'ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. «Les Armouchicois,» dit Lescarbot, «sont aussi beaux hommes (souz ce mot je comprens aussi les femmes) que nous, bien composés & dispos...» (Liv. III, ch. XXIX.)] [Note 136: Ce passage donnerait à entendre que, dans l'origine, on comprenait sous ce nom d'Acadie une bien plus grande étendue de côtes, puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu'au-delà du Kénébec; c'est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)] [Note 137: Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.] 59/123 Au pied de laditte montaigne, il dit que de basse eau il y avoit en quantité de morceaux de cuivre, comme il nous en a monstré, lequel tombe du hault de la montaigne. Passant trois ou quatre lieues plus outre, tirant à la coste d'Arcadie, il y a une autre mine, & une petite riviere qui va quelque peu dans les terres, tirant au Su, où il y a une montaigne qui est d'une peinture noire, de quoy se peignent les sauvages. Puis, à quelques six lieues de la seconde mine, en tirant à la mer environ une lieue proche de la coste d'Arcadie, il y a une isle où se trouve une manière de metail qui est comme brun obscur, le coupant il est blanc, dont anciennement ils usoient pour leurs flesches & cousteaux, qu'ils battoient avec des pierres; ce qui me fait croire que ce n'est estain ny plomb, estant si dur comme il est; & leur ayant monstré de l'argent, ils dirent que celuy de ladicte isle est semblable; lequel ils trouvent dedans la terre comme à un pied ou deux. Ledict sieur Prevert a donné aux sauvages des coins & ciseaux, & d'autres choses necessaires pour tirer de ladicte mine, ce qu'ils ont promis de faire, & l'année qu'il vient d'en apporter, & le donner audict sieur Prevert. Ils disent aussi qu'à quelques cent ou 120 lieues il y a d'autres mines, mais ils n'osent y aller, s'il n'y a des françois parmy eux pour faire la guerre à leurs ennemis, qui les tiennent en leur possession. Cedict lieu où est la mine, qui est par les 44 degrez & quelques minutes [138] proche de ladicte coste de l'Arcadie 60/124 comme de cinq ou six lieues, c'est une manière de baye qui en son entrée peut tenir quelques lieues de large, & quelque peu davantage de long, où il y a trois rivieres qui viennent tomber en la grand'Baye proche de l'isle de Sainct Jean[139], qui a quelque trente ou trente-cinq lieues de long, & à quelque six lieues de la terre du Su. Il y a aussi une autre petite riviere qui va tomber comme à moitié chemin de celle par où revint ledict sieur Prevert, où sont comme deux manières de lacs en cette dicte riviere. Plus y a aussi une autre petite riviere qui va à la painture. Toutes ces rivieres tombent en laditte Baye au Su-Est environ de laditte isle que lesdicts sauvages disent y avoir ceste mine blanche. Au costé du Nort de laditte Baye [140] sont les mines de cuivre, où il y a bon port pour des vaisseaux, & une petite isle à l'entrée du port. Le fonds est vase & sable, où l'on peut eschouer les vaisseaux. [Note 138: Si la description faite par le sieur Prévert, ou plutôt par ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain lui-même (voir édit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop faible; le bassin des Mines est tout entier au-delà du quarante-cinquième degré.] [Note 139: Aujourd'hui l'île du Prince-Edouard.] [Note 140: On croit reconnaître ici, avec Champlain (édit. 1613, ch. III), l'entrée ou le canal du bassin des Mines, l'île Haute, et le port ou havre à L'Avocat, où «le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.»] De ladicte mine jusques au commencement de l'entrée desdittes rivieres, il y a quelques 60 ou 80 lieues par terre. Mais du costé de la mer, selon mon jugement, depuis la sortie de l'isle de Sainct Laurent & terre ferme [141], il peut y avoir plus de 50 ou 60 lieues jusques à la ditte mine. [Note 141: De cette sortie, qui est évidemment le détroit de Canseau, jusqu'au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante lieues.] Tout ce païs est très beau & plat, où il y a de toutes les sortes d'arbres que nous avons veus allant au premier sault de la grande riviere de Canadas, fort peu de sapins & cyprez. 61/125 Voylà au certain ce que j'ay apprins & ouy dire audict sieur Prevert. _D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. CHAPITRE XIII. Il y a encore une chose estrange, digne de reciter, que plusieurs sauvages m'ont asseuré estre vray[142]: c'est que, proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, est une isle où faict residence un monstre espouvantable que les sauvages appellent Gougou, & m'ont dict qu'il avoit la forme d'une femme, mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ils me disoient que le bout des mats de nostre vaisseau ne luy 62/126 fust pas venu jusques à la ceinture, tant ils le peignent grand; & que souvent il a devoré & devore beaucoup de sauvages; lesquels ils met dedans une grande poche, quand il les peut attraper, & puis les mange; & disoient ceux qui avoient esvité le péril de ceste malheureuse beste, que sa poche estoit si grande, qu'il y eust pu mettre nostre vaisseau. Ce monstre faict des bruits horribles dedans ceste isle, que les sauvages appellent le Gougou; & quand ils en parlent, ce n'est que avec une peur si estrange qu'il ne se peut dire plus, & m'ont asseuré plusieurs l'avoir veu. Mesme ledict sieur Prevert de Sainct Malo, en allant à la descouverture des mines, ainsi que nous avons dict au chapitre précèdent, m'a dict avoir passé si proche de la demeure de ceste effroyable beste, que luy & tous ceux de son vaisseau entendoient des sifflements estranges du bruit qu'elle faisoit, & que les sauvages qu'il avoit avec luy, luy dirent que c'estoit la mesme beste, & avoient une telle peur qu'ils se cachoient de toute part, craignant qu'elle fust venue à eux pour les emporter & qu'il me faict croire ce qu'ils disent, c'est que tous les sauvages en général la craignent & en parlent si estrangement, que si je mettois tout ce qu'ils en disent, l'on le tiendroit pour fables; mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable qui les tourmente de la façon. Voylà ce que j'ay appris de ce Gougou. [Note 142: Les premiers voyageurs qui abordèrent aux côtes du nouveau monde étaient bien disposés à y trouver un ordre de choses tout différent de celui du monde ancien; et Champlain tout le premier, en parcourant des régions encore à peu près inexplorées, pouvait croire trop facilement à l'existence de monstres fabuleux. Cependant, si l'on considère ce récit dans son ensemble, on verra qu'il ne fait guère que rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Prévert étaient unanimes à raconter. Mais, de ce qu'il admettait volontiers l'existence du fait, il ne s'ensuit pas qu'il ait cru tout ce qu'on disait de ce prétendu monstre. C'est ce que prouve assez la réflexion par laquelle il termine: «Mais je tiens que ce soit (qu'il faut que ce soit) la residence de quelque diable qui les tourmente de la façon.» Et Lescarbot lui-même, après avoir employé plus de deux pages à expliquer _les causes des fausses visions & imaginations_, et à prouver que le Gougou, _c'est proprement le remord de la conscience_, finit aussi par dire: «Et n'est pas incroyable que le diable possédant ces peuples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais proprement, & à dire la vérité, ce qui a fortifié l'opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de même aloy, disant qu'il avoit veu un Sauvage jouer à la croce contre un diable, & qu'il voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le diable il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir à l'entendre, faisoit semblant de le croire, pour lui en faire dire d'autres... Or si ledit Champlein a été credule, un sçavant personnage que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus grand'faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la paix imprimée l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein sans nommer son autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois & du Gougou pour bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable jouant à la croce eût aussi été imprimé, il l'eût creu, & mis par escrit, comme le reste.»] Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en France, un des Sagamo des Montagnez, nommé Bechourat[143], 63/127 donna son fils au sieur du Pont, pour l'emmener en France, & lui fut fort recommandé par le grand Sagamo Anadabijou, le priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu. Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu'ils vouloient manger, laquelle ils nous donnèrent, & l'avons aussi amenée avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amené quatre sauvages: un homme qui est de la coste d'Arcadie, une femme & deux enfans des Canadiens. [Note 143: Très-probablement le même que Begourat mentionné plus haut. On sait que dans certaines écritures de l'époque de Champlain les deux lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.] Le 24e jour d'aoust, nous partismes de Gachepay, le vaisseau dudict sieur Prevert & le nostre. Le 2e jour de septembre, nous faisons estat d'estre aussi avant que le cap de Rase. Le cinquième jours dudict nous entrâmes sur le banc où se fait la pesche du poisson. Le 16 dudict mois nous estions à la sonde qui peut estre à quelques 50 lieues d'Ouessant Le 20 dudict mois, nous arrivasmes, par la grâce de Dieu, avec contentement d'un chascun, & tousjours le vent favorable, au port du Havre-de-Grace. FIN. Fin du Tome II. (La page suivante est la page 130 qui est la page couverture du Tome III.) 130 OEUVRES DE CHAMPLAIN PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE L'UNIVERSITÉ LAVAL PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A. PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ SECONDE ÉDITION TOME III QUÉBEC Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS 1870 131 _L'édition de 1613, qui fait suite à celle de 1603, est peut-être la plus intéressante et la plus utile de toutes celles que publia Champlain. Les faits y sont racontés dans l'ordre, quoique simplement; les descriptions de lieux y sont à leur place; le texte est partout accompagné de cartes ou de dessins, qui jettent toujours beaucoup de lumière sur des événements si éloignés de nous_. _Bien des personnes, sans en avoir fait un examen assez attentif, ont cru que l'édition de 1632 pouvait y suppléer, parce quelle la reproduit en grande partie. Mais, quand elles voudront approfondir les choses, et s'en rendre exactement compte, elles s'apercevront bien vite que cette réimpression de 1632 est tellement tronquée parfois, qu'il est impossible de s'y reconnaître, et elles se verront forcées de revenir à l'édition première, surtout pour ce qui concerne l'Acadie, et les cotes de la Nouvelle-Angleterre_. 132 LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN XAINTONGEOIS, CAPITAINE ordinaire pour le Roy, en la marine. DIVISEZ EN DEUX LIVRES. ou, _JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs déclinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de quantité de figures_. Ensemble deux cartes geografiques: la première servant à la navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien, avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la Chine. A PARIS, Chez JEAN BERJON, rue S. Jean de Beauvais, au Cheval volant, & en sa boutique au Palais, à la gallerie des prisonniers. MDCXIII. AVEC PRIVILEGE DU ROY. iii/135 [Illustration] AU ROY. _SIRE, Vostre Majesté peut avoir assez de cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures, qui y ont esté faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si profitable pour le service de vostre Majesté & de ses subjects; comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, & de la situation des lieux lesquelles seront representées par ce petit traicté, que je prens la hardiesse d'adresser à vostre Majesté, intitulé Journalier des voyages & descouvertures que j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la nouvelle France: & me voyant poussé d'une juste recognoissance de l'honneur que j'ay reçeu depuis dix ans, des commandements, tant de vostre Majesté, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand, d'heureuse mémoire, qui me commanda de faire les recherches & descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce que j'ay fait avec les augmentations, representées par les cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera une iv/136 remarque particulière des perils, qu'on pourrait encourir s'ils n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majesté, qu'il luy plaira employer cy aprés, pour la conservation desdictes descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur en donneront les cartes contenues en ce traicté, qui servira d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir à vostre Majesté, à l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & à l'honneur du service tres-humble que doit à l'heureux accroissement de vos jours._ SIRE. Vostre tres-humble, tres-obeissant & tres-fidele serviteur & subject. CHAMPLAIN. v/137 [Illustration:] A LA ROYNE REGENTE MERE DU ROY. MADAME, Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy de naviguer m'a tousjours semblé tenir le premier lieu: Car d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagné de mille périls & naufrages, d'autant plus aussi est-il estimé & relevé par dessus tous, n'estant aucunement convenable à ceux qui manquent de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance de diverses terres, régions, & Royaumes. Par iceluy nous attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses, par iceluy l'idolâtrie du Paganisme est renversé, & le Christianisme annoncé par tous les endroits de la terre. C'est cet art qui m'a dés mon bas aage attiré à l'aimer, & qui m'a provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses de l'Océan, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des terres de l'Amérique & principalement de la Nouvelle France, où j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy à present faire avec l'aide de Dieu, estant assisté de la faveur de vostre Majesté, laquelle je supplie tres-humblement de continuer à nous maintenir, afin que tout reussisse à l'honneur vi/138 de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour la grandeur & prosperité duquel, je prierai Dieu, de vous assister tousjours de mille benedictions & demeureray. MADAME, _Vostre tres-humble, tres-obeissant & tres-fidele serviteur & subject._ CHAMPLAIN. vii/139 AUX FRANÇOIS, SUR LES voyages du sieur de Champlain. STANCES. _La France estant un jour à bon droit irritée_ _De voir des estrangers l'audace tant vantée,_ _Voulans comme ranger la mer à leur merci,_ _Et rendre injustement Neptune tributaire_ _Estant commun à tous; ardente de cholere_ _Appella ses enfans, & les tançoit ainsi._ 2 _Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,_ _Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,_ _Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom_ _Rend le vostre pareil d'éternelle memoire,_ _Si le bruit de mon los redonde à vostre gloire,_ _Chers enfans, pouvés vous trahir vostre renom?_ 3 _Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,_ _Entreprenant par trop, prendre la jouissance_ _De ce grand Océan, qui languit aprés vous,_ _Et pourquoy le desir d'une belle entreprise_ _Vos coeurs comme autresfois n'espoinçonne & n'attise?_ _Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux._ 4 _Apprenés qu'on a veu les Françoises armées_ _De leur nombre couvrir les pleines Idumées,_ _L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,_ _L'Europe en a tremblé, & la fertile Asie_ _En a esté souvent d'effroy toute saisie,_ _Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers._ 5 _Ainsi moy vostre mere en armes si féconde_ _J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde._ viii/140 _La quarte seulement mes armes n'a gousté._ _C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie._ _Jalouse de mon los, seule se glorifie,_ _Mon nom plus que le sien y doit estre planté._ 6 _Peut estre direz vous que mon ventre vous donne_ _Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,_ _Que vous avez le Ciel clément & gracieux,_ _Que de chercher ailleurs se rendre à la fortune,_ _Et plus se confier à une traistre Neptune,_ _Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux._ 7 _Si les autres avoyent leurs terres cultivées,_ _De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuvées_ _Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas_ _Dans ce pays lointain porté leur renommée_ _Que foible on la verroit dans leurs murs enfermée_ _Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas._ 8 _Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte_ _De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?_ _Qui seul peut faire vivre en immortalité?_ _Ha! je sçay que luy seul vous plaist pour recompense,_ _Allés donc courageux, ne souffrez, ceste offense,_ _De souffrir tels affrons, ce serait lascheté._ 9 _Je n'en sentirois pas la passion si forte,_ _Si nature n'ouvroit à ce dessein la porte,_ _Car puis qu'elle a voulu me bagner les costés_ _De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre_ _Que guerriers il vous faut mes limites estendre_ _Et rendre des deux parts les peuples surmontés._ 10 _C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,_ _D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,_ ix/141 _Allés donc courageux, faites bruire mon los,_ _Que mes armes par vous en ce lieu soyent portées_ _Rendés par la vertu les peines surmontées_ _L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos._ 11 _Ainsi parla la France: & les uns approuverent_ _Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslevèrent,_ _D'autres faisoient semblant de louer son dessein,_ _Mais nul ne s'efforçait de la rendre contente,_ _Quand Champlain luy donna le fruit de son attente._ _Un coeur fort généreux ne peut rien faire en vain._ 12 _Ce dessein qui portait tant de peines diverses,_ _De dangers, de travaux, d'espines de traversés,_ _Luy servit pour monstrer qu'une entière vertu_ _Peut rompre tous efforts par sa perseverance_ _Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance_ _Se monstre tant plus grande plus il est combattu._ 13 _François, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire_ _Espoinçonnant vos coeurs, rende vostre mémoire_ _Illustrée à jamais; venez braves guerriers,_ _Non non ce ne sont point des esperances vaines._ _Champlain a surmonté les dangers & les peines:_ _Venés pour recueillir mille & mille lauriers._ 14 _HENRY mon grand Henry à qui la destinée_ _Impiteuse a trop tost la carrière bornée,_ _Si le Ciel t'eust laissé plus long temps icy bas,_ _Tu nous eusses assemblé la France avec la Chine :_ _Tu ne méritais moins que la ronde machine,_ _Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras._ 15 _Et toy sacré fleuron, digne fils d'un tel Prince,_ _Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,_ x/142 _Le Ciel qui te reserve à un si haut dessein,_ _Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,_ _Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,_ _Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin._ 16 _Tes armes ô mon Roy, ô mon grand Alexandre!_ _Iront de tes vertus un bon odeur espandre_ _Au couchant & levant. Champlain tout glorieux_ _D'un desir si hautain ayant l'ame eschauffée_ _Aux fins de l'Océan plantera ton trophée,_ _La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux._ L'ANGE Paris. xi/143 A MONSIEUR DE CHAMPLAIN Sur son livre & ses cartes marines. ODE. _Que desire tu voir encore_ _Curieuse témérité:_ _Tu cognois l'un & l'autre More,_ _En ton cours est-il limité?_ _En quelle coste reculée_ _N'es-tu pas sans frayeur allée?_ _Et ne sers tu pas de raison?_ _Que l'ame est un feu qui nous pousse,_ _Qui nous agite et se courouce_ _D'estre en ce corps comme en prison?_ _Tu ne trouves rien d'impossible,_ _Et mesme le chemin des Cieux_ _À peine reste inaccessible_ _A ton courage ambitieux._ _Encore un fugitif Dédale,_ _Esbranlant son aisle inégale_ _Eut l'audace d'en approcher,_ _Et ce guerrier qui de la nue_ _Vid la jeune Andromede nue_ _Preste à mourir sur le rocher._ _Que n'ay je leur aisle asseurée,_ _Ou celle du vent plus léger,_ _Ou celles des fils de Borée_ _Ou l'Hippogriphe de Roger._ _Que ne puis-je par characteres_ _Parfums & magiques mysteres_ _Courir l'un & l'autre Element._ _Et quand je voudrais l'entreprendre_ _Aussi-tost qu'un daimon me rendre_ _Au bout du monde en un moment._ _Non point qu'alors je me promette_ _D'aller au sejour eslevé_ _Qu'avec une longue lunette_ _On a dans la lune trouvé;_ _Ny d'apprendre si les lumières_ _D'esclairer au ciel coustumieres,_ xii/144 _Et qui sont nos biens & nos maux,_ _D'humides vapeurs sont nourries,_ _Comme icy bas dans les prairies_ _D'herbe on nourit les animaux._ _Mais pour aller en asseurance_ _Visiter ces peuples tous nuds_ _Que la bien heureuse ignorance_ _En long repos a maintenus._ _Telle estoit la gent fortunée_ _Au monde la première née,_ _Quand le miel en ruisseaux fondoit_ _Au sein de la terre fleurie_ _Et telle se voit l'Hetrurie_ _Lors que Saturne y commandoit._ _Quels honneurs & quelles louanges_ _Champlain ne doit point esperer,_ _Qui de ces grands pays estranges_ _Nous a sçeu le plan figurer_ _Ayant neuf fois tenu la sonde_ _Et porté dans ce nouveau monde_ _Son courage aveugle aux dangers,_ _Sans craindre des vents les haleines_ _Ny les monstrueuses Baleines_ _Le butin des Basques légers._ _Esprit plus grand que la fortune_ _Patient & laborieux._ _Tousjours soit propice Neptune_ _A tes voyages glorieux._ _Puisses tu d'aage en aage vivre,_ _Par l'heureux effort de ton livre:_ _Et que la mesme éternité_ _Donne tes chartes renommées_ _D'huile de cèdre perfumées_ _En garde à l'immortalité._ Motin. xiii/145 SOMMAIRES DES CHAPITRES LIVRE PREMIER _Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie & de la Floride._ L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à recercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont point réussi. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, & revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons. Chap. I. Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap. II. Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux Misnes jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. III. Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée, que l'isle de saincte Croix, la fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France, & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires. Chap. IV. De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle. Chap. V. Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI. Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage. Chap. VII. Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce que nous y avons remarqué de particulier. Chap. VIII. Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap. IX. L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transportée au port Royal, & pourquoy. Chap. X. Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap. XI. Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII. Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva jusques à Malebarre. Chap. XIII. Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut remarqué de singulier. Chap. XIV. L'incommodité du temps, ne permettant pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation: & ce qui nous arriva jusques à icelle. Chap. XV. xiv/146 Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement. Chap. XVI. Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous ses gens. Chap. XVII. LIVRE SECOND _Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct Laurens, far le sieur de Champlain._ Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accord qu'ils firent après entre eux. Chap. I. De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans, & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier. Chap. II. Arrivée à Québec, où nous fismes nos logemens. Sa situation. Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire. Chap. III. Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement, & du lieu où sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV. Semences & vignes plantées à Québec. Commencement de l'yver & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages. Chap. V. Maladie de la terre à Québec. Le suject de l'hyvernement. Description dudit lieu. Arrivée du sieur de Marais, gendre de Pont-gravé, audit Québec Chap. VI. Partement de Québec jusques à l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins. Chap. VII. Retour à Québec: & depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII. Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Yroquois. Chap. IX. Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X. Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement. Chap. XI. SECOND VOYAGE DU SIEUR de Champlain. Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. Chap. I. Partement de Québec pour aller assister nos sauvages alliez à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se passa jusques à nostre retour en l'habitation. Chap. II. Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la façon qu'on les prent Chap. III. xv/147 LE TROISIESME VOYAGE DU sieur de Champlain en l'année 1611. Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation. Chap. I. Descente à Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II. Deux cens sauvages rameinent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenèrent leur sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III. Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associés les sieurs Colier & le gendre de Rouen. Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France. Chap. IV. Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle France. xvi/148 Plus est adjouté le voyage à la petite carte du destroit qu'ont trouvé les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e degré de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en ceste presente année 1612. pour trouver un passage d'aller à la Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyverné au lieu où est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup enduré de froidures, & furent contraincts de retourner en Angleterre: ayans laissé leur chef dans les terres du Nort, & depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour pénétrer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir s'ils trouveront les hommes qui ont esté delaissez audict pays. EXTRAIT DU PRIVILEGE. Par lettres patentes du Roy données à Paris, le 9 de janvier, 1613. & de nostre règne le 3, par le Roy en son conseil PERREAU: & scellées en cire jaune sur simple queue, il est permis à JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un livre intitulé. _Les Voyages de Samuel de Champlain Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, etc._ pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs à commencer du jour que ledit livre aura esté achevé d'imprimer, jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait deffenses par les mesmes lettres, à tous Imprimeurs, marchans Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans l'exprès contentement dudit BERJON, ou de celuy à qui il en aura donné permission, sur peine de confiscation desdicts livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire, comme plus à plein est déclaré esdictes lettres. 1/149 [Illustration:] LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN XAINTONGEOIS, CAPITAINE ordinaire pour le Roy, en la marine. _OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures de la nouvelle France: tant en la description des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de quantité de figures._ Ensemble deux cartes géographiques: la première servant à la navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien, avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la Chine. LIVRE PREMIER _L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à rechercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des François à cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission, revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons pour continuer son entreprise._ CHAPITRE I. Selon la diversité des humeurs les inclinations sont différentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere. Les uns tirent au proffit, les autres à la gloire, & aucuns au 2/150 bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement celuy qui se faict sur la mer. De là vient le grand soulagement du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce qui a eslevé l'ancienne Rome à la Seigneurie & domination de tout le monde. Les Vénitiens à une grandeur esgale à celle des puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si célèbres: & une infinité d'autres, lesquelles remplissent le profond des terres aprés que les nations estrangeres leur ont envoyé ce qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux, esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse. En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit à ceste recherche Jean Chabot[1] & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna sans avoir trouvé ce qu'il pretendoit: & l'année d'après reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme fit Michel son frère qui la continuoit obstinément. Es années 1534. & 1535, Jacques Quartier [2] eut pareille commission du 3/151 Roy François I, mais il fut arresté en sa course. Six ans après le sieur de Roberval l'ayant renouvelée, envoya Jean Alfonce Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui en revint aussi sçavant que les autres. Es années 1576, 1577 & 1578 Messire Martin Forbicher[3] Anglois fit trois voyages suivant les costes du Nort. Sept ans après Hunfrey Gilbert [4] aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur l'isle de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux. En la mesme année [5], & és deux suivantes Jean Davis Anglois fit trois voyages pour mesme subject, & pénétra soubs les 72 degrez, & ne passa pas un destroit qui est appelé aujourdhui de son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en l'an 1590, qui fut contraint à cause des glaces, de retourner sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont pas eu plus certaine cognoissance à la nouvelle Zemble. [Note 1: La commission fut donnée nommément à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, et à leurs héritiers et ayans cause: «_Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano & Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac deputatis..._» (Mémoires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette commission est datée du 5 mars de la onzième année du règne de Henri VII. Or Henri fut couronné le 30 octobre 1485. La commission est donc du 5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style, Pâques tombant cette année le 1er avril.] [Note 2: L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, écrit Jacques Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopté l'orthographe de Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font foi les registres de Saint-Malo.] [Note 3: Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comté d'York. On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la traduction française dans les _Voyages au Nord._] [Note 4: Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine d'Angleterre, dès l'année 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit cette année manqua complètement, tant par la désertion d'un grand nombre de ses associés, que par suite d'une violente tempête, qui le força de retourner en Angleterre. En vertu de la même commission, il réalisa enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux côtes de l'Amérique, où il périt lui et tous ses compagnons.] [Note 5: Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.] Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz François en ces dernières années, à essayer de faire une demeure arrestée és terres que nous disons la Nouvelle France, esperans parvenir plus facilement à la perfection de ceste entreprise, 4/152 la Navigation commençeant en la terre d'outre l'Océan, le long de laquelle se fait la recherche du passage desiré: Ce qui avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,[6] de prendre commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les conditions qui luy avoient esté accordées par sa Majesté lui ayant esté déniées, il fut contraint de quitter son entreprise, & laisser là ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant aussi revocquée[7], il ne poursuit pas davantage. Aprez ceux cy[8], nonobstant toutes ces variations & incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose desesperée: & en demanda commission à sa Majesté: recognoissant que ce qui avoit ruiné les entreprinses précédentes, estait faute d'avoir assisté les entrepreneurs, qui, en un an, ny 5/153 deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y sont: ny trouver des ports propres à une habitation. Il proposa à sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer des deniers Royaux, asçavoir, de lui octroyer privativement à tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy ayant esté accordé, il se mit en grande & excessive despence: & mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle despence il continua trois années consecutives, aprez lesquelles, par l'envie & importunité de certains marchans Basques & Bretons, ce qui luy avoit esté octroyé, fut revocqué par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons: lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout, avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il avoit garny son habitation. [Note 6: «Lescarbot et Champlain,» dit M. Ferland, en parlant de l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p. 60), «tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous préférons suivre Bergeron, qui écrivait vers le même temps, parce que la vérité de son récit est confirmée par une notice sur le marquis de La Roche, insérée dans la Biographie Générale des Hommes Illustres de la Bretagne.» Voici ce que dit Bergeron à ce sujet: «Le Marquis de la Roche donc étant allé, suivant sa première commission» (1578), «dés le temps de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant découvrir davantage, il fut rejeté par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en Bretagne, où il fut retenu prisonnier cinq ans» (ou plus de sept, suivant M. Pol de Courcy) «par le duc de Mercoeur. Cependant les gens qu'il avoit laissé en l'île de Sable, ne vécurent tout ce temps-là que de pèche, & de quelques vaches & autres bêtes provenant de celles que dés l'an 1518 le baron de Lery y avoit laissées. Enfin le marquis étant délivré de prison, comme il eut conté au Roy son adventure, le pilote _Chef-d'hotel_ eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission» (1598) «ne peut continuer ces voyages, prévenu de mort bientôt après.» (Traité de la Navigation, ch. XX.)] [Note 7: Suivant l'édition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un second voyage, «qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure longtemps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.» (Première partie, ch, VI.)] [Note 8: En 1603, après la mort du commandeur de Chastes.] Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilité de la terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine[9], sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en allant & deux fois en retournant, avec des travaux & périls incroyables, sa Majesté commanda [10] au sieur de Mons de faire nouvel équipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il avoit commencé. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux 6/154 l'ombrage qu'il leur avoit apporté; meu aussi de l'esperance d'avoir plus d'utilité au dedans des terres où les peuples sont civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne & establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation d'un païs, que le long des rives de la mer, où habitent ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse tirer un proffit inestimable: Car il est aisé à croire que les peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilité que non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les costes & les barbares. [Note 9: L'auteur, à cette époque, n'avait encore «sur la fin de la grande riviere de Canada» que les renseignements qu'il avait pu obtenir de quelques sauvages.] [Note 10: Il s'agit ici de la commission de 1608.] _Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la Héve; Du port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable: De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste._ CHAPITRE II. Le sieur de Mons, en vertu de sa commission [11], ayant par tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences de la traitte de pelleterie à luy accordée par sa Majesté, 7/155 amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer [12] en deux vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit le sieur de Pont-gravé: & l'autre de 150, où il se mit avec plusieurs gentilshommes. [Note 11: Cette première commission de M. de Mons est du 8 novembre 1603. Elle est citée par Lescarbot, liv. IV, ch. I.] [Note 12: Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques détails de plus: «Le sieur de Monts,» dit-il, liv. IV, ch. II, «fit équipper deux navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timothée du Havre de Grâce, l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec bon nombre de gens de qualité tant gentils-hommes qu'autres... Et le sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant & lui fit porter quantité d'armes & munitions de guerre.»] Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du Havre de grace, & Pont-gravé le 10, qui avoit le rendes-vous à Canceau[13] 20 lieues du cap Breton [14]. Mais comme nous fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa route vers le port au Mouton, à cause qu'il est plus au midy, & aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau. [Note 13: Ce mot, que les Anglois écrivent _Canso_, est d'origine sauvage, suivant Lescarbot.] [Note 14: Il s'agit ici du cap qui a donné son nom à l'île du Cap-Breton. «En cette terre,» dit Thévet (Grand Insulaire), «il y a une province nommée Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste province gist à l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous nommé; & autres lui ont donné le nom de _Cap des Bretons_, à cause que c'est là que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en terre-neuve pour pescher des moluës.»] Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable, où nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus de l'avant que nous n'estions de 40 lieues. Ceste isle est esloignée de la terre du cap Breton de 30 lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent des boeufz & des vaches que les Portugais y portèrent il y a plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de la Roche: qui en plusieurs années qu'ils y sejournerent prirent grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups 8/156 marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discipé leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de Rouan il y fut envoié un vaisseau pour les requérir: les conducteurs firent la pèche de mollues en lieu proche de ceste isle qui est toute batturiere és environs. Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la Héve, à l'est duquel il y a une Baye[15] où sont plusieurs Isles couvertes de sapins; & à la grande terre de chesnes, ormeaux & bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la guide-aimant, distant à l'est nordest du Cap Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez. [Note 15: Cette baie est formée par l'embouchure de la rivière de La Hève.] Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, à 5 lieues du cap de la Héve, où nous primes un vaisseau qui faisoit traitte de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit Rossignol,[16] dont le nom en demeura au port, qui est par les 44 degrez & un quart de latitude. [Note 16: Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.] Le 13 de May nous arrivasmes à un très-beau port, où il y a deux petites rivieres, appelé le port au Mouton [17], qui est à sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort pierreux, rempli de taillis & bruyères. Il y a grand nombre de lappins, & quantité de gibier à cause des estangs qui y sont. Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commença à 9/157 faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe à l'entrée du port auprès de deux estangs d'eau douce. Le sieur de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il envoya avec des lettres un des nostres, guidé d'aucuns sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-gravé, qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre hyvernement. Il le trouva à la Baye de Toutes-isles fort en peine de nous (car il ne sçavoit point qu'on eut changé d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut leuës, il s'en retourna vers son navire à Canceau, où il saisit quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie, nonobstant les defences de sa Majesté; & en envoya les chefs au sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller recognoistre la coste, & les ports propres pour la seureté de nostre vaisseau. [Note 17: Lequel ils appelèrent ainsi, dit Lescarbot, «à l'occasion d'un mouton qui s'étant noyé revint à bord, & fut mangé de bonne guerre.» Il n'est qu'à trois petites lieues du port du Rossignol.] 156b [Illustration: Port de la Haie] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le lieu où les vaisseaux mouillent l'ancre. B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer. C Les lieux où les sauvages cabannent(2). D Une basse à l'entrée du port(3). E Une petite isle couverte de bois. F Le Cap de la Héve (4). G Une baye où il y a quantité d'isles couvertes de bois. H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau. I Un estang proche de la mer. (1) La petite rivière de _Chachippé_, ou simplement La Petite-Rivière. Quelques auteurs ont étendu ce nom au port lui-même, et, d'après une lettre du P. Biard, La Hève aurait encore été appelé port Saint-Jean.--(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des cabanes y supplée.--(3) La lettre D manque; mais la basse est suffisamment reconnaissable.--(4) Cette lettre, dont le graveur a fait un E, doit être à la pointe de l'île la plus avancée du côté du large, au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la Hève à l'entrée de la Petite-Rivière, il semble que ce qu'il appelle cap La Hève est la pointe la plus rapprochée de l'entrée de ce port. 156c [Illustration: Port du Rossignol] _Les chifres montrent les brasses d'eau_. A Riviere qui va 25 lieues dans les terres. B Le lieu où ancrent les vaisseaux. C Place à la grande terre où les sauvages font leur logement. D La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la marée. E L'endroit où les sauvages cabannent dans l'isle. F Achenal qui asseche de basse mer. G La coste de la grande terre. Ce qui est piquoté démontre les basses. Desirant accomplir sa volonté je partis du port au Mouton le 19 de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaigné du sieur Raleau son Secrétaire, & de dix hommes. Allant le long de la coste nous abordâmes à un port très-bon pour les vaisseaux, où il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans les terres, que j'ay appelé le port du cap Negre, à cause d'un rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passames le mesme jour, qui en est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes que je vis jusques là sont fort basses couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibier. 10/158 Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict à la Baye de Sable [18], où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans aucune crainte de danger. Le lendemain nous allâmes au cap de Sable, qui est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue à la mer. Il est à deux lieues de la baye de Sable, où nous passames la nuict précédente. De là nous fusmes en l'isle aux Cormorans [19], qui en est à une lieue, ainsi appelée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, où nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye [20] qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes plusieurs isles[21] qui jettent 2 ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la pluspart fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes marées, & des rochers qui sont à fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une nous vismes si grande quantité d'oiseaux appelez tangueux[22], que nous les tuyons aisement à coups de baston. En une autre nous trouvâmes le rivage tout couvert de loups marins, desquels nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a 11/159 une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans, Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye: Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; Hérons, Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats[23], Appoils[24], Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nommées, isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable de quatre à cinq lieues. Après y avoir passé quelque temps au plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous abordâmes à un cap qu'avons nommé le port Fourchu [25]; d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entrée: mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La pesche de morues y est bonne auprès du port. Partant de là nous fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances ou playes tresbelles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins. Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de 12/160 sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, nous fusmes à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller dedans la grande baye Françoise [26], ainsi nommée par le sieur de Mons. [Note 18: Aujourd'hui baie de Barrington.] [Note 19: Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag Island.] [Note 20: Cette baie est appelée un peu plus loin la baie Courante, et ce que l'auteur dit ici, en parlant des îles de Tousquet, nous donne la raison qui a fait donner ce nom à la baie: c'est qu'elle est «dangereuse aux grands vaisseaux à cause des grandes marées,» et de la violence des courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.] [Note 21: Les îles de Tousquet.] [Note 22: De là le nom d'_île aux Tangueux_ que lui donne l'auteur dans la carte de 1632.] [Note 23: Pour Huars, Huards.] [Note 24: Suivant Vieillot, Apoa est une espèce de canard.] [Note 25: Le cap Fourchu.] [Note 26: Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie paraît avoir porté le nom de Norembègue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. «On ne peut deviner,» dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2) «pourquoi les Anglais l'ont nommée baie de Fundy. Auraient-ils traduit par _Bay of Fundy_ les mots que portent d''anciennes cartes: _Fond de la Baie?_»] Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantité de bois, comme pins & boulleaux. Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux: & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou quatre islets de rochers, où les sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer. Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis trouvâmes une ance où les vaisseaux peuvent ancrer en seureté, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demy lieue dans les 13/161 terres à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle, il y a un port bon pour les vaisseaux où nous trouvâmes une mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour cent[27]. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles & aggreables prairies. Le terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute, decouppée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & en son entrée un banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye d'eau, & l'ayant passé on en trouve trois & bon fonds. Entre les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu. 14/162 J'ay nommé ce port, le port saincte Marguerite [28]. Toute ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle des mines qui ne sont qu'à une lieue & demye de la coste du port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouvé par les 45 degrez & demy, & un peu plus de latitude[29], & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la guide-aymant. [Note 27: «Il y a de la mine de fer & d'argent,» dit Lescarbot; «mais elle n'est point abondante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delà & en France.» (Liv. IV, ch. III.)] [Note 28: Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de Sainte-Marguerite à peu près en face du Petit-Passage de l'île Longue. Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour de la fête de sainte Marguerite.] [Note 29: Le fond de la baie Sainte-Marie n'est guère au-delà de 44° et demi, même suivant la grande carte de l'auteur.] Après avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut possible les costes ports & havres, je m'en retourné au passage de l'isle Longue sans passer plus outre, d'où je revins par le dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouvâmes point, sinon aucuns rochers qui sont à prés de demye lieue des isles aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit d'eschouer nostre barque à la coste, où nous courusmes risque de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La tourmente estant cessée nous nous remismes en la mer: & le lendemain [30] nous arrivasmes au port du Mouton, où le sieur 15/163 de Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de nostre sejour, sinon qu'il nous fust arrivé quelque fortune. Je lui fis relation de tout nostre voyage & où nos vaisseaux pouvoyent aller en seureté. Cependant je consideré fort particulièrement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de latitude. [Note 30: C'était vers la mi-juin. «En ce port,» dit Lescarbot, «ilz attendirent un mois.» Or on était arrivé au port au Mouton le 13 de mai. «Tandis,» ajoute-t-il, «on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette expédition, que sur la délibération du retour, on le pensa abandonner.» (Liv. IV, ch. II.)] 162b [Illustration: Port au mouton.] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Les lieux où posent les vaisseaux. B Le lieu où nous fismes nos logemens. C Un estang. D Une isle à l'entrée du port, couverte de bois. E Une rivière qui est assez basse d'eau. F Un estang(l). G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f. H 6 Petites isles qui sont dans le port. L Campagne où il n'y a que des taillis & bruyères fort petites(2). M La coste du costé de la mer. (1) Dans la carte la lettre F est remplacée par f.--(2) La lettre L manque dans la carte; mais le dessin y supplée, l'auteur y ayant représenté des roseaux. Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller à la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouvé un autre plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins, où le sieur de Mons se délibéra d'aller dans une chalouppe voir quelques isles dont nous luy avions faict récit, & du nombre infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagné du sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en intention d'aller en l'isle aux Tangueux, où nous avions auparavant tué quantité de ces oyseaux à coups de baston. Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la marée estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand nombre de Gibier. J'y tué quelques oyseaux de riviere, qui nous servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous fusmes au cap Fourchu, distant de là, demye lieue. Rengeant la coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace de deux jours, craignant qu'il nous fust arrivé quelque 16/164 malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seureté, cela leur donna beaucoup de resjouissance. Deux ou trois jours [31] après nostre arrivée, un de nos prestres, appelle mesire Aubry [32], de la ville de Paris, s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son espée laquelle il y avoit oublyée, qu'il ne peut retrouver le vaisseau: & fut 17 jours [33] ainsi sans aucune chose pour se substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible & débile, il se trouva du costé de la baye Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, où il n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant à la pesche du poisson [34], l'advisa, qui ne pouvant appeller leur faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis son chappeau, qu'on l'allast requérir: ce qu'ils firent aussi tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher, tant par les siens que des sauvages du païs, qui coururent tout 17/165 le bois & n'en apportèrent aucunes nouvelles. Le tenant pour mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand contentement d'un chacun: Et fut un long temps à se remettre en son premier estat. [Note 31: Lescarbot dit:«Après avoir sejourné douze ou treze jours.» Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on était à la baie Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-même, comme le dit l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait être que deux ou trois jours après l'arrivée en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6 de juin, avec la barque (voir ci-après, p. 17), et qu'on ne dut pas y arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-même.] [Note 32: Nicolas Aubry, «jeune homme d'Église, parisien de bonne famille,» à qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de Mons, «& ce, dit-on, contre le gré de ses parents, lesquels envoyèrent exprés à Honfleur pour le divertir & r'amener à Paris.» (Lescarbot, liv. IV, ch. II, et IV.)] [Note 33: Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.] [Note 34: Suivant Lescarbot, «comme on étoit après déserter l'ile» (de Sainte-Croix), «Champdoré fut renvoyé à la baie Sainte-Marie avec un maître de mines qu'on y avoit mené pour tirer de la mine d'argent & de fer: ce qu'ilz firent... là où après quelque sejour, allans pécher, ledit Aubri les apperceut...» (Liv. IV, ch. IV.)] _Description du Port Royal & des particularités, d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Françoise. De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appelée par les sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses remarquables d'icelle coste._ CHAPITRE III. A Quelques jours de là le sieur de Mons se délibéra d'aller descouvrir les costes de la baye Françoise: & pour cet effect partit du vaisseau le 16 de May [35] & passâmes par le destroit de l'isle Longue. N'ayant trouvé en la baye S. Marie aucun lieu pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit resoudre de voir si à l'autre il n'y en auroit point de plus propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à 4, 5, 6, & 7 brasses d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, où il 18/166 pourroit deux mille vaisseaux en seureté. L'entrée est large de huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux de long & une lieue de large, que j'ay nommé [36] port Royal, où dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de l'Equille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en quantité, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son entrée, où il y a une isle[37], laquelle peut contenir demye lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre. Il y a deux entrées en ladite riviere l'une du costé du nort[38]: l'autre au su de l'isle [39]. Celle du nort est la meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry de l'isle à 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se donner garde de quelques basses qui sont tenant à l'isle, & à la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal. [Note 35: On devait être au mois de juin, comme le prouve du reste le nom de Saint-Jean donné à la rivière Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)] [Note 36: «Ledit port pour sa beauté,» dit Lescarbot, «fut appelé LE PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.» (Liv. IV, ch. III.)--N'en déplaise à Lescarbot, le témoignage de Champlain, qui était du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien. Il y a plus: Champlain, dans son édition de 1632, a conservé ce passage tel qu'il était, malgré la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille matière: c'est ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer à plusieurs reprises que la baie Française a reçu son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et 16.)] [Note 37: Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville. Elle a été appelée plus tard l'île aux Chèvres.] [Note 38: La Bonne-Passe.] [Note 39: La Passe-aux-Fous.] 167b [Illustration: Port-Royal] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le lieu de l'habitation. B Jardin du sieur de Champlain. C Allée au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt. D Isle à l'entrée de la riviere de l'Equille (1). E Entrée du port Royal. F Basses qui assechent de basse mer. G Riviere sainct Antoine (2). H Lieu du labourage où on seme le blé. I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt. L Prairies qui sont innondées des eaux aux grandes marées. M Riviere de l'Equille. N La coste de la mer du port Royal. O Costes de montaignes. P Isle proche de la riviere sainct Antoine. Q (3) Ruisseau de la Roche (4). R Autre Ruisseau. S Riviere du moulin. T Petit lac. V Le lieu où les sauvages peschent le harang en la saison. X Ruisseau de la truitiere. Y Allée que fit faire le sieur de Champlain. (1) Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de Biencourville.--(2) Lescarbot l'appelle rivière Hébert.--(3) _q_, dans la carte.--(4) Ou rivière de l'Orignac, d'après la carte de Lescarbot. 19/167 Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux où la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux: En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au lieu où nous fusmes y a nombre de preries, mais elles sont innondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions veu. Dedans le port y a une autre isle[40], distante de la première prés de deux lieues, où il y a une autre petite riviere [41] qui va assez avant dans les terres, que nous avons nommée la riviere sainct Antoine. Son entrée est distante du fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce soit pour le peu d'eau: & a esté nommée, le ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez de latitude [42] & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la guide-ayment. [Note 40: Ile d'Hébert. Le sieur Bellin l'appelle île d'Imbert, et les Anglais en ont fait _Bear_ Island.] [Note 41: Cette rivière, appelée ici Saint-Antoine, a pris le nom d'Hébert dès le temps même de l'auteur, comme l'attestent les cartes de Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le même sort que celui de l'île qui est à son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui _Bear_ River.] [Note 42: Cette première habitation, qui était au nord du port Royal, à peu près en face du Port-Royal établi plus tard par M. d'Aulnay de Charnisé, était à 44° et trois quarts de latitude. Comme on le voit, c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le premier.] Après avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus 20/168 avant dans la baye Françoise, & voir si nous ne trouverions point la mine de cuivre qui avoit esté descouverte l'année précédente [43]. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques à un lieu qu'avons nommé le cap des deux bayes [44]: & passames par une isle[45] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut: toute entourée de gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau sallée, qui vient par dessoubs une poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là nous fusmes à un port [46] qui en est à une lieue & demye, où jugeâmes qu'estoit la mine de cuivre qu'un nommé Prevert de sainct Maslo avoit descouverte par le moyen des sauvages du païs. Ce port est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de Sable qui est à l'entrée, laquelle va rengeant un canal suivant l'autre costé de terre ferme: puis on entre dans une baye qui contient prés d'une lieue de long, & demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer. [Note 43: Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.] [Note 44: Ce cap s'appelait encore ainsi à l'époque où le sieur Denis publia sa Description des Côtes de l'Amérique, en 1672. Aujourd'hui il est connu sous le nom de cap Chignectou.] [Note 45: L'île Haute.] [Note 46: Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines, porte aujourd'hui le nom de Havre à l'Avocat. Il est à 45° 25' de latitude.] 168b [Illustration: Port des Mines] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le lieu où les vaisseaux peuvent eschouer. B Une petite rivière. C Une langue de terre qui est de Sable. D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule. E Le lieu où est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour. F Une isle qui est derrière le cap des mines. G La rade où les vaisseaux posent l'ancre attendant la marée. I Lachenal. H L'isle haute qui est à une lieue & demye du Port aux mines. L Le Petit Ruisseau. M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines. 21/169 La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Nous y mismes pied à terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne recognusmes nulle apparence de la description du port selon qu'il nous l'avoit figuré: Aussi n'y avoit il pas esté: mais bien deux ou trois des siens guidés de quelques sauvages, partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens[47], à l'entrée d'une petite riviere: lesquels à leur retour luy apportèrent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence, selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes. [Note 47: La plupart des géographes anciens faisaient une distinction entre _baie Saint-Laurent_ et _golfe Saint-Laurent_. La _baie Saint-Laurent_ comprenait toute la partie méridionale du golfe, depuis le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les îles du Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis, vol. I, chapitres VII et VIII.)] Le fonds de la baye Françoise que nous traversames entre quinze lieux dans les terres. Tout le païs que nous avons veu depuis le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le païs est remply de quantité de pins & boulleaux, & à mon advis n'est pas trop bon. Le 20 de May[48] nous partismes du port aux mines pour chercher un lieu propre à faire une demeure arrestée afin de ne perdre 22/170 point de temps: pour puis après y revenir veoir si nous pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de Preverd avoient trouvée par le moyen des sauvages. Nous fismes l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye[49], où nous jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja parlé: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers le cap Breton: & l'autre du costé de Gaspé ou de Tregatté, proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest quelques six lieues nous fusmes à une petite riviere, à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux à l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les terres, où au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont à une lieue du cap tirant à l'ouest: & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean: pource que ce fut ce jour là que nous y arrivasmes: & des 23/171 sauvages elle est appelée Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entrée, puis vient à s'eslargir: & ayant doublé une pointe elle estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vitesse, que y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns endroicts, où il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas plus avant: Toutesfois Ralleau Secrétaire du sieur de Mons y fut quelque temps après trouver un sauvage appellé Secondon[50] chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit belle, grande & spacieuse: y ayant quantité de preries & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens: & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues [51]. A l'entrée d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers [52], y a une mine de fer. [Note 48: Juin.] [Note 49: Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou. D'après Laët, elle s'est appelée aussi baie de Germes.] [Note 50: Lescarbot l'appelle Chkoudun.] [Note 51: Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir depuis l'endroit où l'on quitte la rivière Saint-Jean, jusqu'à Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivière jusqu'au même lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a, en ligne droite, à peu près cent lieues.] [Note 52: L'embouchure de la rivière Saint-Jean est par les 45° et un tiers.] 171b [Illustration: R. St. Jean] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Trois isles qui sont par delà le saut. B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de la riviere. C Le saut de la riviere. D Basses quand la mer est perdue, où vaisseaux peuvent eschouer. E Cabanne où se fortifient les sauvages. F (1) Une pointe de cailloux, où y a une croix. G Une isle qui est à l'entrée de la riviere. H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang. I Bras de mer qui asseche de basse mer. L Deux petits islets de rocher. M Un petit estang. N Deux Ruisseaux. O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse mer. P Chemin par où les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent passer le sault. Q Le lieu où peuvent mouiller l'ancre où la riviere a grand cours. (1) De cette lettre le graveur a fait un P. De la riviere sainct Jean nous fusmes à quatre isles, en l'une desquelles nous mismes pied à terre, & y trouvasmes grande 24/172 quantité d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint à nostre barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est esloignée de la terre ferme trois lieues. Plus à l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des sauvages Manthane[53], au su de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des isles aux Margos nous fusmes à une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Estechemins[54], nation de sauvages ainsi nommée en leur païs: & passames par si grande quantité d'isles, que n'en avons peu sçavoir le nombre, assez belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac [55], qui contient à mon jugement plus de quinze lieux de circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars, harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans une riviere qui a presque demye lieue de large en son entrée, où ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles: l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit, eslevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers, 25/173 fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingt à cent tonneaux: mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables & chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé à fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux costez esloignées de quelques neuf cens à mille pas. Il y a des vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'à la mercy du canon d'icelle Qui est le lieu que nous jugeâmes le meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la communication que nous prétendions avec les sauvages de ces costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux: Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du service: & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu est nommé par le sieur de Mons l'isle saincte Croix[56]. Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux médiocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident. [Note 53: _Menane_. L'auteur corrige la faute lui-même un peu plus loin, p. 46, de même que dans l'édition de 1632.] [Note 54: La rivière _Scoudic_, ou de Sainte-Croix.] [Note 55: La baie de Passamaquoddi.] [Note 56: «Et d'autant qu'à deux lieues au dessus il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se décharger dans ce large bras de mer, cette ile de la retraite des François fut appellée SAINTE CROIX.» (Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) «L'île de Sainte-Croix, ou l'île Neutre (Neutral Island), dit Williamson, est située dans la rivière (Scoudic, ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et Robbinstown, où elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivière Scoudic, quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du côté de l'est... C'est ici que De Monts, en 1604, érigea un fort, et passa l'hiver; c'est ici que les Commissaires nommés en vertu du traité de 1783, trouvèrent, en 1798, les restes d'une fortification très-ancienne, et décidèrent ensuite que cette rivière était vraiment celle de Sainte-Croix.» (_History of Maine, Introduction._)] 26/174 C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parlé cy dessus. Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, où les sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis rentrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de terre on va dans la riviere de Norembegue[57] & de sainct Jean, en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer à cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre à cinq pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de terre deffrichée, où le sieur de Mons fit semer du froment, qui y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du païs sont forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrichées les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de declinaison de la guide-ayment. [Note 57: La rivière de Pénobscot.] _Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour faire une demeure arrestée que l'isle de S. Croix, la fortifie & y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à quelques affaires._ 174b [Illustration: Isle de saincte Croix.] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le plan de l'habitation. B Jardinages. C Petit islet servant de platte forme à mettre le canon. D Platte forme où on mettoit du canon. E Le cimetière. F La chappelle. G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix. H Un petit islet. I Le lieu où le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin à eau. L Place où l'on faisoit le charbon. M Jardinages à la grande terre de l'Ouest. N Autres jardinages à la grande terre de l'Est. O Grande montaigne fort haute dans la terre. P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix. CHAPITRE IV. N'ayant trouvé lieu plus propre que ceste Isle, nous commençâmes à faire une barricade sur un petit islet un peu 27/175 separé de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodité au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le visage si enflé par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque voir. La barricade estant achevée, le sieur de Mons envoya sa barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent à saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant nous passames le temps assez joyeusement. Quelques jours après nos vaisseaux estans arrivez, & ayant mouillé l'ancre, un chacun descendit à terre: puis sans perdre temps le sieur de Mons commança à employer les ouvriers à bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long, trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis après donna à chacun sa place: & aussi tost on commença à s'assembler cinq à cinq & six à six, selon que l'on desiroit. Alors tous se mirent à deffricher l'isle, aller au bois, charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour les bastimens. Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol, 28/176 pour aller trouver Pontgravé à Canceau, afin d'avoir ce qui restoit des commoditez pour nostre habitation. Quelque temps après qu'il fut parti, il arriva une petite barque du port de huict tonneaux, où estoit du Glas de Honfleur pilotte du vaisseau de Pontgravé, qui amena avec luy les Maistres des navires Basques qui avoient esté prins par ledit Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit. Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast à la Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens: les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy avions; qui fut incontinent achevé: où depuis le sieur de Mons se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four, & un moulin à bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de peine & travail à la pluspart, pour estre chose pénible. L'on fit après quelques jardinages, tant à la grand terre que dedans l'isle, où on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore qu'on prist beaucoup de peine à les arrouser. 176b [Illustration: Habitation de l'isle S. Croix] A Logis du sieur de Mons. B Maison publique où l'on passait le temps durant la pluie. C Le magasin. D Logement des suisses. E La forge. F Logement des charpentiers. G Le puis. H Le four où l'on faisoit le pain. I La cuisine. L Jardinages. M Autres jardins. N La place où au milieu y a un arbre. O Palissade. P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandoré. Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans. R Logis où logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans. T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray. V Logement de nostre curé. X Autres jardinages. Y La riviere qui entoure l'isle. Quelques jours après le sieur de Mons se délibéra de sçavoir où estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherchée: Et pour cest effect: m'envoya avec un sauvage appellé Messamouet, qui 29/177 disoit en sçavoir bien le lieu. Je party dans une petite barque du port de cinq à six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A quelque huict lieues de l'isle, tirant à la riviere S. Jean, en trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu où nous prétendions que fut celle que nous cherchions le sauvage ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir, laissant ceste recerche pour une autre fois. Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour recognoistre de païs & les lieux propres pour y habiter, selon le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir & commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son Secrétaire pour mettre ordre à quelques affaires touchant le voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour d'Aoust audict an 1604. _De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui s'est passé durant les descouvertures d'icelle._ CHAPITRE V. Aprés le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se délibéra d'envoyer descouvrir le long de la coste de Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que j'eus fort aggreable. 30/178 Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec une pattache de 17 à 18 tonneaux, douze matelots, & deux sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux où estoit le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancrés à l'amboucheure de la riviere sainte Croix, à cause du mauvais temps duquel lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre route le long des costes nous fismes ce jour là quelque 25 lieux: & passames par grande quantité d'isles, bancs, battures & rochers qui jettent plus de quatre lieux à la mer par endroicts. Nous avons nommé les isles, les isles rangées, la plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports, mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de long, auprès laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit rocher à fleur d'eau, qui fit une ouverture à nostre barque proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre ferme [58] il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute couppée par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme sept ou huit montagnes rangées les unes proches des autres. Le sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins & boulleaux. [Note 58: Lisez: «De ceste isle jusques au nord _à la terre ferme_.» Cet étroit passage porte encore aujourd'hui, comme l'île, le nom de Monts-Déserts (_Mount Desert narrows_).] 31/179 Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts[59]. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude. [Note 59: Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch. XXIII), les sauvages appelaient cette île _Pemetiq_, c'est-à-dire, d'après M. l'abbé Maurault, _celle qui est à la tête_.] Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aperçeumes une fumée dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui nous vindrent recognoistre à la portée du mousquet. J'envoyé les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre amitié. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, & parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces sauvages estoient venus à la chasse des Castors & à la pesches du poisson, duquel ils nous donnèrent. Ayant fait alliance avec eux, ils nous guidèrent en leur riviere de Peimtegoüet[60] ainsi d'eux appelée, où il nous dirent qu'estoit leur Capitaine nommé Bessabez [61] chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent 32/190 Norembegue[62]: & que la plus part ont escript estre grande & spacieuse, avec quantité d'isles: & son entrée par la hauteur de 43° & 43° & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en sçavoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, à cause qu'en effet il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: Mais qu'aucun y ait jamais entré il n'y a point d'apparence: car ils l'eussent descripte d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay reconeu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté. [Note 60: Ce mot, tel que l'écrit ici Champlain, semble venir de _Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abbé Maurault, Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit_, qui signifie _endroit d'une, rivière où il y a des rapides_. Les Anglais ont toujours de préférence désigné cette rivière sous le nom de _Pénobscot (Penabobsket_, là où la terre est couverte de pierre. Hist. des Abenaquis, p. 5).] [Note 61: Le P. Biard dit qu'il était sagamo de Kadesquit. (Relation de la Nouvelle France, ch. XXXIV.)] [Note 62: Malgré le respect que nous avons pour Champlain et pour un grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopté son opinion, nous osons croire que la grande rivière de Norembegue n'est autre chose que la baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Thévet ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous suffise de citer le témoignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est étonnante pour l'époque où il vivait: «Je dictz que le cap de sainct Jehan, dict Cap à Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest & surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent quarente lieues, & icy faict ung cap appellé le cap de Norembegue... Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au delà du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ vingt & cinq lieues du cap» (c'est précisément la largeur de l'Acadie). «La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en son entrée, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente lieues...» Il est évident que Jean Alphonse décrit ici la côte sud-est de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de Fundy, qui a réellement une embouchure de près de quarante lieues si l'on compte depuis le cap de Sable ou Norembègue jusques vers la sortie du Pénobscot.] Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant à l'est: & l'autre est une terre basse appelée des sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, 33/181 distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs & largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au su de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue où il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf decouppées de l'isle des Monts-deserts & celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde en la main pour plus grande seureté: Et croy à ce que j'en ay peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes: Car comme j'ay dit cy-dessus la quantité des isles, rochers, basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que c'est chose estrange à voir. 34/182 Or pour revenir à la continuation de nostre routte: Entrant dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques à un lieu où les sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large: Et à quelques deux cens pas de la terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions trouvée,) après avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: à cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: Mais passé le sault, qui a quelques deux cens pas de large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu où nous avions mouillé l'ancre. Je mis pied à terre pour veoir le païs: & allant à la chasse je le trouvé fort plaisant & aggreable en ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont ayent esté plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais bien quelques pins à un costé de la riviere: Tous chesnes à l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres. Et diray que depuis l'entrée où nous fusmes, qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux 35/183 cabannes de sauvages où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de mesme façon que celles des Souriquois couvertes d'escorce d'arbres: Et à ce qu'avons peu juger il y a peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en esté durant la pesche du poisson & chasse du gibier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de retraicte arrestée à ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car ils yvernent tantost en un lieu & tantost à un autre, où ils voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois. Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que nous avons costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par ma carte Géographique. Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nommé Cabahis, & lui donner advis de nostre arrivée. 36/184 Le 16 du mois il vint à nous quelque trente sauvages sur l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient à terre le virent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer & sauter, jusques à ce qu'il eut mis pied à terre: puis après s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous veoir: d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous servoient de truchement: & donné charge à ceux de nostre barque d'approcher prés des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils aperçevoient quelque esmotion de ces peuples contre nous. Bessabez nous voyant à terre nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils nous firent present de venaison & de gibier. Je dy à nostre truchement, qu'il dist à nos sauvages qu'ils fissent entendre à Bessabez, Cabahis & à leurs compagnons, que le sieur de Mons m'avoit envoyé par devers eux pour les voir & leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amitié, & les mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis: Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer à la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si 37/185 miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos à ce subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit arriver plus grand bien que d'avoir nostre amitié: & desiroyent que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur ennemis: afin qu'à l'advenir ils allassent à la chasse aux Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage. Apres qu'il eut achevé sa harangue, je leur fis present de haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites jolivetés: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que dancer, chanter & faire bonne chère, attendans le jour auquel nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples. Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25. minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller à une autre riviere appelée Quinibequy, distante de ce lieu de trente cinq lieux, & prés de 20 de Bedabedec[63]. Ceste nation de 38/186 sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins[64], aussi bien que ceux de Norembegue. [Note 63: Quoique cette phrase donne à entendre que Champlain quitte la rivière de Pénobscot, ce jour-là même, 17 de septembre, il est certain que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point où il prend hauteur, c'est-à-dire, à vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de cette rivière, suivant son calcul; ayant bien constaté qu'il n'y avait pas même de trace d'aucune ville ou habitation considérable, l'auteur considère l'exploration de cette rivière comme finie, et part pour venir rejoindre la barque, qui était à l'ancré à une quinzaine de lieues de l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de découverte. La preuve qu'il ne part pas directement pour le Kénébec, c'est que, trois jours après, le 20 du mois, on en est encore à ranger la côte de l'ouest, et à passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de Pénobscot, où l'on mouille l'ancre, pour reconnaître, le même jour, l'entrée de la rivière.] [Note 64: C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin (Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au Kénébec le nom de _rivière des Etchemins_. Cependant notre auteur, comme on le voit, dit seulement que les sauvages du Kénébec étaient des Etchemins, comme ceux de Pentagouet ou Pénobscot. Et ici Champlain est d'accord avec le P. Biard, qui, dans le dénombrement approximatif qu'il fait des nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux _Eteminquois_ ou Etchemins toute la côte comprise entre le pays des Souriquois et Chouacouet, «J'ay trouvé, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes, que dans l'enclos de la grande riviere, dés les terres neuves jusques à Chouacoët, on ne sauroit trouver plus de neuf à dix milles ames... Tous les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques à Pentegoët, 2500; dés Pentegoët jusques à Kinibequi, & de Kinibequi jusques à Chouacoët, 3000.» (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot prétend, il est vrai, que «depuis Kinibeki, jusques à Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent Armouchiquois» (liv. IV, ch. VII); mais les témoignages de Champlain et du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visité eux-mêmes les lieux et les nations dont ils parlent.] Le 18 du mois nous passames prés d'une petite riviere où estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze lieues: Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle passé le sault dont j'ay faict cy dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de S. Croix, d'où ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout, ils font encore quelque chemin par terre, après entrent dans une autre petite riviere [65] qui vient se descharger à une lieue de Québec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens & Souriquois: & ont mesme façon de vivre. [Note 65: Comme on le voit, c'est précisément parce que les Etchemins suivaient cette rivière pour venir à Québec, qu'on l'a appelée rivière des Etchemins.] 39/187 Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & passâmes les montaignes de Bedabedec, où nous mouillasmes l'ancre: Et le mesme jour recogneusmes l'entrée de la riviere, où il peut aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages nous quittèrent, d'autant qu'ils ne vollurent venir à Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands ennemis [66]. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de l'ouest jusques à une isle distante de Quinibequy 10 lieux, où fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames par une quantité d'isles & brisans qui jettent à la mer quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps nous contrarioit si fort, nous ne passâmes pas plus outre que trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de quantité de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous resolusmes de retourner à nostre habitation, attendans l'année suivante où nous esperions y revenir pour recognoistre plus amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre & arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant. [Note 66: C'est peut-être cette circonstance qui a fait croire à Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'étendait jusqu'au Kénébec.] Voila au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes, peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous fusmes bien desceus. 40/188 _Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes & femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui se passa en l'habitation pendant l'hyvernement._ CHAPITRE VI. Comme nous arrivasmes à l'isle S. Croix chacun achevoit de se loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions proposées. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent à deffricher chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, où je semay quantité de graines, comme firent, aussi ceux qui en avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit: & n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de pluye, qui n'estoit pas souvent. Le sieur de Mons fit aussi deffricher à la grande terre pour y faire des jardinages, & aux saults il fit labourer à trois lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint tresbeau & à maturité. Autour de nostre habitation il y a de basse mer quantité de coquillages, comme coques, moulles, ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien à chacun. Les neges commencèrent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de Décembre nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere qui estoit gellée. Les froidures furent aspres & plus 41/189 excessives qu'en France, & beaucoup plus de durée: & n'y pleust presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois à quatre pieds de haut, jusques à la fin du mois d'Avril; & aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le païs estoit labouré. Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de nos gens, appelée mal de la terre, autrement Scurbut, à ce que j'ay ouy dire depuis à des hommes doctes. Il s'engendroit en la bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair superflue & baveuse (qui causoit une grande putréfaction) laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la superfluité de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras & de jambes, lesquelles leur demeurèrent grosses & fort dures, toutes tachetés comme de morsures de puces, & ne peuvoient marcher à cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs intolérables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach & de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout, 42/190 qu'ils ne tombassent en syncope: de façon que de 79 que nous estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien prés: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes trouver aucun remède pour la curation de ces maladies. L'on en fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur maladie. L'on trouva à beaucoup les parties intérieures gastées, comme le poulmon, qui estoit tellement altéré, qu'il ne s'y pouvoit recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse & enflée: le foye fort legueux & tachetté, n'ayant sa couleur naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de gros sang agulé & noir: le fiel gasté: Toutesfois il se trouva quantité d'artères, tant dans le ventre moyen qu'inférieur, d'assez bonne disposition. L'on donna à quelques uns des coups de rasoüer dessus les cuisses à l'endroit des taches pourprées qu'ils avoient, d'où il sortoit un sang caille fort noir. C'est ce que l'on a peu recognoistre aux corps infectés de ceste maladie. Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent malades furent guéris au printemps, lequel commence en ces pays là est en May[67]. Cela nous fit croire que le changement de saison leur rendit plustost la santé que les remèdes qu'on leur avoit ordonnés. [Note 67: Pour ne pas nous exposer à faire dire à Champlain ce qu'il ne voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute évidente, mais dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous l'impression fâcheuse de ce malheureux hiver passé à l'île de Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y _commençait_ qu'en mai; réflexion faite, il se sera aperçu que ce n'était pas rendre justice à la Nouvelle-France, que de la juger sur un fait qui pouvait être exceptionnel, et il aura mis, que le printemps _est_ en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jugé à propos de mettre les deux.] 43/191 Durant cet yver nos boissons gelèrent toutes, horsmis le vin d'Espagne. On donnoit le cidre à la livre. La cause de ceste parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand terre, à cause des grandes glaces que le flus & reflus charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le travail du moulin à bras estoit fort pénible: d'autant que la plus part estans mal couchez, avec l'incommodité du chauffage que nous ne pouvions avoir à cause des glaces, n'avoient quasi point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair salée & légumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui à mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de l'habitation. Il estoit mal-aisé de recognoistre ce pays sans y avoir yverné, car y arrivant en été tout y est fort aggreable, à cause des bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce pays. Les sauvages qui y habitent sont en petite quantité. Durant l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit: d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort. 44/192 Lors qu'ils ne vont à la chasse ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouvée ils la suivent jusques à ce qu'ils apercoivent la beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent à coups d'espées emmanchées au bout d'une demye pique, ce qui se fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans y viennent, & là cabannent & se donnent curée: Apres ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain & autres choses en eschange. Voila la façon de vivre en yver de ces gens là, qui me semble estre bien miserable. Nous attendions nos vaisseaux à la fin d'Avril lequel estant passé chacun commença à avoir mauvaise opinion, craignant qu'il ne leur fust arrivé quelque fortune, qui fut occasion que le 15 de May le sieur de Mons délibéra de faire accommoder une barque du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller à 45/193 la fin du mois de Juin à Gaspé, chercher des vaisseaux pour retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir, le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancré à six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au contentement d'un chacun. Le lendemain le vaisseau arriva [68], & vint mouiller l'ancre proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il venoit après luy un vaisseau de S. Maslo, appelé le S. Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez. [Note 68: «Avec une compagnie de quelques quarante hommes,» dit Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, «& canonnades ne manquèrent à l'abord, selon la coutume, ni l'éclat des trompetes.»] Le 17 du mois le sieur de Mons se délibéra d'aller chercher un lieu plus propre pour habiter & de meilleure température que la nostre: Pour cest effect il fit équiper la barque dedans laquelle il avoit pensé aller à Gaspé. _Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e degré de latitude: & des particularités de ce voyage._ CHAPITRE VII. Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un 46/194 sauvage nommé Panounias [69] & sa femme, qu'il ne voulut laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays: d'autant qu'elle en estoit native. [Note 69: Lescarbot l'appelle Panmiac.] Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle à trois lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rangées par le dehors, où mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, où il y avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens prindrent en quantité; & l'avons nommée l'isle aux corneilles. De là fusmes à l'isle des Monts deserts qui est à l'entrée de la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, où il vint à nous trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec où estoit leur Capitaine; & après leur avoir tenu quelques discours ils s'en retournèrent le mesme jour. Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles qui est à l'amboucheure de la riviere, où il y a un port assez bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec & quantité d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques à la riviere de Quinibequy, où à l'ouvert d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avons nommée la tortue, & entre icelle & la grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont 47/195 l'entrée, l'une d'un costé & l'autre de l'autre, & à quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre à 300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans fait quelques lieues nostre barque pença se perdre sur un rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue. Nous fismes amitié avec eux & les sauvages d'icelle riviere[70], qui nous servirent de guide: Et allant plus avant pour veoir leur Capitaine appelé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieux, nous passames par quelques isles, destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere, où vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a quelque quatre lieux de long [71] ils nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous eusmes mouillé l'ancre vint à nous dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompaignoient: 48/196 Aprochant prés de nostre barque, il fit une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appelé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes & des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous guidèrent en dessendant la riviere par un autre chemin que n'estions venus [72], pour aller à un lac: & partant par des isles, ils laisserent chacun une flèche proche d'un cap par où tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent il leur arriveroit du malheur, à ce que leur persuade le Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres. Par de là ce cap nous passames un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté, car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusme nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous: ainsi nous fismes tant à force de bras avec l'aide du vent qui nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec nous portèrent leurs canaux par terre ne les pouvant passer à la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant 49/197 avec la marée nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement. Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac[73], qui a trois à quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descent deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre à l'amboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos sauvages allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la tortue qui est devant l'entrée de lad. riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques à Québec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite riviere [74] qui vient descendre dedans le grand fleuve S. Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour les vaisseaux à demye lieue au dedans, pour le peu d'eau, 50/198 grandes marées, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy n'estre meilleur que les autres. [Note 70: Ici, Champlain n'est pas précisément, dans la rivière de Kénébec, dont le capitaine était Sasinou, mais dans celle de Chipscot _(Sheepscott)_, où était le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.] [Note 71: L'île de Jérémysquam, qui sépare la baie de Monsouic, ou _Monseag_, du chenal de la rivière de Chipscot.] [Note 72: Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant, était passé par le côté oriental de l'île de Jérémysquam, et, par conséquent, dans la rivière de Chipscot: car les sauvages, qui connaissaient bien les lieux, durent conduire les français par le plus court chemin pour aller au lac ou à la baie de Merry-Meeting.] [Note 73: Ce lac, appelé la baie de Merry-Meeting, est formé par la jonction des eaux du Kénébec, au nord, et de la rivière de Sagadahok ou Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.] [Note 74: La rivière Chaudière.] 198a [Illustration: Qui ni be guy] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le cours de la riviere. B 2 Isles qui sont à l'antré de la riviere. C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux. D Islets & rochers qui sont le long de la coste. E Basses où de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent eschouer. F Le lieu où les sauvages cabannent quand ils viennent à la pesche du poisson. G Basses de sable qui sont le long de la coste. H Un estang d'eau douce. I Un ruisseau où des chaloupes peuvent entrer à demy flot. L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entré dedans. Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que ne peusmes faire plustost à cause des brumes que nous eusmes. Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye[75] où il y a quantité d'isles, & voit on d'icelle de grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine sauvage appelé Aneda, qui se tient proche de la riviere de Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda[76] que Jacques 51/199 Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie appelée Scurbut, dont nous avons desja parlé, qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous apperçeusmes deux fumées que nous faisoient des sauvages, vers lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derrière un petit islet proche de la grande terre, où nous vismes plus de quatre vingts sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir, dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage[77] pour les aller trouver: & après qu'ils eurent parlé quelque temps à eux, & les eurent asseurez de nostre amitié nous leur laissames un de nos gens, & eux nous baillèrent un de leurs compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre deffrichée & force vignes, qui aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve: 52/200 Nous la nommasmes l'isle de Bacchus[78]. Estans de pleine mer nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous eusmes mouillé l'ancre il vint à nous quantité de sauvages sur le bort de la riviere, qui commencèrent à dancer: Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient Honemechin[79]: il arriva environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois & Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost: l'on envoya quelque marchandise à terre pour traicter avec eux, mais ils n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils changèrent, car ils ne font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le sieur de Mons fit donner à leur chef quelques commoditez, dont il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois à nostre bort pour nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent & 53/201 tortillent par derrière en plusieurs façons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps: leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelé Signoc[80], d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument de bois fort dur, faict en façon d'une besche. Ceste riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet[81]. [Note 75: La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, _Hist. of Maine, Introd._, sect. II.)] [Note 76: Cette phrase nous fait connaître quelques-unes des causes qui ont empêché les Français de retrouver, en Acadie, le remède que les sauvages du Canada avaient enseigné à Cartier pour guérir ses gens du scorbut. D'abord, on avait défiguré un peu le nom de la plante: les trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes à l'appeler _amedda_, d'après M. d'Avezac (réimpression figurée de l'édit. de 1545, publiée en 1863); tandis que Lescarbot écrit _annedda_, et Champlain _aneda_. En second lieu, cette plante n'était pas une herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'était probablement ce que l'on a toujours appelé, en Canada, _l'épinette_. Voici ce qu'en dit le capitaine malouin: «Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le capitaine pour en quérir: lesquelz en apportèrent neuf ou dix rameaulx, & nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours l'un, & mettre le marcq sur les jambes enflées & malades, & que de toute maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte médecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a esté employé en moins de huit jours: lequel a faict telle opération, que si tous les médecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an, que ledict arbre a faict en six jours.»] [Note 77: Panounias, allié par sa femme à la nation almouchiquoise. (Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps après, assassiné par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.] [Note 78: Cette île, suivant la carte de 1632, est située vers le nord de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on trouve indiquée, dans les cartes anglaises, sous les noms de _Richmond_ et de _Richman's island_.] [Note 79: Lescarbot l'appelle _Olmechin_. Il fut tué l'année suivante par un parti d'Etchemins. (Voir ci-après, ch. XVI, et Lescarbot, _Muses de la Nouvelle-France_.)] [Note 80: L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la description du _signoc_ ou _siguenoc_.] [Note 81: Le nom de _Saco_, que porte aujourd'hui cette rivière, de même que la baie où elle se jette, vient évidemment de ce nom sauvage _Chouacouet_, ou, si l'on veut, de _Sawahquatok_, comme on le trouve dans les auteurs anglais. De _Souacouet_, on a fait _Sacouet,_ et enfin Saco.] Le lendemain le sieur de Mons fut à terre pour veoir leur labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent 3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles, courges & petum, qu'ils cultivent aussi[82]. [Note 82: Toutes ces plantes, le _petun_, ou tabac, les courges et citrouilles, les fèves, le maïs, sont-elles indigènes dans les contrée que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont étudié cette question, prétendent qu'elles ne le sont pas à une latitude plus au nord que le Mexique, et, par conséquent, que la culture de ces plantes a dû être transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre, comme à ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus méridionales.] 54/202 Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges & citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui estoient de l'année précédente. Nous vismes aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades, faictes d'assez gros arbres rengés les uns contre les autres, où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on 55/203 puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté. 202b [Illustration: Chouacoit-R] _Les chifres montrent les brases d'eau._ A La riviere. B Le lieu où ils ont leur forteresse. C Les cabannes qui sont parmy les champs où auprès ils cultivent la terre & sement du bled d'Inde. D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages. E Autre lieu où ils font leurs logemens tous en gros sans estre separez après la semence de leurs bleds estre faite. F (1) Marais où il y a de bons pasturages. G Source d'eau vive. H Grande pointe de terre toute deffrichée horsmis quelques arbres fruitiers & vignes sauvages. I Petit islet à l'entrée de la riviere. L Autre islet (2). M Deux isles où vesseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry d'icelles avec bon fons. N Pointe de terre deffrichée ou nous vint trouver Marchim. O (3) Quatre isles. P Petit ruisseau qui asseche de basse mer. Q (4) Basses le long de la coste. R La rade où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot. (1) f, dans la carte.--(2) Cet îlet est marqué I. Des deux qui sont marqués de la même lettre, celui-ci est le plus éloigné de l'entrée de la rivière.--(3) Des quatre O qui désignaient les quatre îles, le graveur a fait quatre îles plus petites. Les quatre îles sont au nord-ouest de la pointe H.--(4.) Dans la carte, c'est une lettre minuscule. Le dimanche 12 [83] du mois nous partismes de la riviere appelée Chouacoët, & rengeant la coste aprés avoir fait quelque 6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'ancre & mettre pied à terre, où nous vismes deux prairies, chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions à l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays là, appelés outardes, qui nous ayans advisés, prindrent la fuite dans les bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu où vismes de petits oiseaux[84], qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orangés, il y a quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques à un cap qu'avons nommé le port aux isles[85], bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant 56/204 le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on entre en un autre port[86] où il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celluy par où on entre, où à l'entrée y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la pluspart, & un nombre infini de tourtes [87], dont nous en prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude. [Note 83: Le 12 de juillet était un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur semblent avoir visité ce lieu assez en détail, et qu'ils mirent à terre le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.] [Note 84: On donne à cet oiseau le nom de Commandeur (_Agelaius Phoeniceus_, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle Étourneau, parce qu'il a avec ce dernier une certaine conformité de couleur et d'habitudes.] [Note 85: Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise à peu près dans les mêmes termes que Champlain. «Le cap Porpoise, dit-il, est un havre étroit et de difficile accès.» Le nom de _Mousom_, que l'on a donné à la rivière du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption du mot _marsouin_; car il est impossible qu'il soit dérivé du nom sauvage _Meguncouk_.] [Note 86: Ce doit être l'entrée de la rivière Kenebunk, «qui est un bon havre pour les petits vaisseaux,» dit Williamson. _(Hist. of Maine.)_] [Note 87: Tourtres, ou Pigeons de passage (_Ectopistes migratoria_, AUDUBON).] Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous apperçeusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous apperçeusmes un cap [88] à la grande terre au su quart du suest de nous, où il pouvoit avoir quelque six lieues: à l'est deux lieues apperçeusmes trois ou quatre isles assez hautes[89], & à l'ouest un grand cu de sac[90]. La coste de ce cul de sac toute rengée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où 57/205 nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort & su[91] & trois en son entrée: Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy dessus à petites voilles une partie de la nuict, & en aprochasmes à 16 brasses d'eaue où nous mouillasmes l'ancre attendant le poinct du jour. [Note 88: Le cap Anne.] [Note 89: Les îles appelées _Isles of Shoals_ (îles de Battures.) «Ces îles constituent le groupe auquel le célèbre capitaine John Smith donna son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refusé à sa mémoire ce faible honneur.» _(Dict. of Am.)_] [Note 90: On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac désigne évidemment la grande baie que forme la côte au nord du cap Anne. C'est ce même cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes modernes ne lui assignent aucun nom particulier.] [Note 91: A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas dans le sens nord et sud; mais il est évident que l'auteur ne prétend point en donner ici une description mathématique, puisqu'il ne la décrit que de loin et selon l'apparence qu'elle présente à la distance de plusieurs lieues.] Le lendemain nous fusmes au susdict cap, où il y a trois isles proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes sortes, comme à Chouacoet & par toute la coste: & une autre platte, où la mer brise, qui jette un peu plus à la mer que les autres, où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles [92], proche duquel apperçeusmes un canau, où il y avoit 5 ou 6 sauvages, qui vindrent à nous, lesquels estans prés de nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Le sieur de Mons m'envoya à terre pour les veoir, & leur donner à chacun un cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Apres leur avoir dépeint avec un charbon la baye [93] & le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le 58/206 mesme creon, une autre baye [94] qu'ils representoient fort grande, où ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me donnant par là à entendre que chacune des marques estoit autant de chefs & peuplades [95]: puis figurèrent dedans ladicte baye une riviere que nous avions passée [96], qui s'estent fort loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantité, dont le verjust estoit un peu plus gros que des poix, & force noyers, où les noix n'estoient pas plus grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent, que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque minutes [97] de latitude. Ayant fait demie lieue nous apperçeusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de fumées pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous 59/207 fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, où l'on envoya nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux sauvages; & apperçeusmes à la quantité qu'ils estoient que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Après avoir arresté quelques deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau, comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la voille. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y vismes plusieurs isles à l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 à 8 lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle où apperçeusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantité de terre deffrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faicts tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner: & n'en avions point encore veu de ceste façon. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps à abbatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre 60/208 (car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce: & prennent quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantasie, ils le raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos pierres à fusil. [Note 92: Les Anglais lui ont donné le nom de la reine Anne.] [Note 93: La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-à-dire, la baie Longue.] [Note 94: La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de Boston. En comparant le récit des auteurs anglais sur les sauvages appelés Massachusets, avec ce que Champlain et les français de son temps disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres ont désigné par ces deux mots, en apparence si différents, une seule et même nation, ou qu'ils ont étendu ce nom à toutes les tribus qui faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des côtes d'Acadie. «Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers cet endroit de la baie de Massachusets, où les Anglais sont maintenant établis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef avait autorité sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre, au rapport des vieux sauvages.» _(Collect. of the Mass. Hist. Soc._, première série, vol. I.) Suivant le même auteur, les Massachusets avaient pour alliés les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'où l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des côtes de la Nouvelle-Angleterre, étaient les Massachusets et leurs alliés. Or ce sont précisément ces mêmes nations que les voyageurs français comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Français appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils n'aient entre eux un certain air de parenté (_al-moussicoua-set_).] [Note 95: C'étaient, d'après Gookin, les chefs de Weechagaskas, de Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des Nipmucks, suivant le rapport des anciens.] [Note 96: Le Merrimack.] [Note 97: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.] Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller à un cap, que nous avions veu le jour précèdent, qui nous demeuroit comme au su surouest[98]. Ce jour ne peusmes faire que 5 lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes ancrer à une lieue du cap, qu'avons nommé S. Loys[99], où nous apperçeusmes plusieurs fumées: y voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement remédié, elle eut bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: mais Dieu nous 61/209 preserva, & fusmes mouiller l'ancre proche du susdict cap, où il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou quatre hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut quelques cousteaux, & autres jolivetés, que le sieur de Mons luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyés devers eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont tresbonnes; & du pourpié[100], qui vient en quantité parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantité de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled d'Inde. [Note 98: Ce cap, appelé plus loin cap Saint-Louis, leur «demeurait comme au sud-sud-ouest» dans la journée du 16.] [Note 99: La pointe Brandt. On ne la désigne ordinairement que comme pointe, parce que, suivant l'expression même de Champlain, c'est «une terre médiocrement basse.»] [Note 100: _Portulaca oleracea_. «Ce pourpier,» dit Miller (Dict. des Jardiniers), «croît naturellement en Amérique et dans les parties les plus chaudes du globe.» Il est assez probable que cette plante se sera propagée jusqu'à cette latitude avec la culture du tabac.] Plus y a en icelle baye [101] une riviere qui est fort spatieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas [102], qui, à mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande riviere S. Lorans. [Note 101: Dans la baie de Boston.] [Note 102: Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la rivière Charles; mais elle vient du sud-ouest, plutôt que du côté des Iroquois.] 62/210 _Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqué de particulier._ CHAPITRE VIII. Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nommé par le sieur de Mons, terre médiocrement basse, soubs la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude[103]; & fismes ce jour deux lieues de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes quantité de cabannes & jardinages. Le vent nous estans contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour attendre le temps propre à faire nostre routte. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit crochet: la corde qui y est attachée est d'escorce d'arbre. Ils m'en donnèrent un, que je prins par curiosité, où l'os estoit attaché de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France, & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledict canau s'en retourna à terre avertir ceux de son habitation, qui nous firent des fumées, & apperçeusmes 18 ou 20 sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent à danser. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques 63/211 bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, & fusmes contraincts de mouiller l'ancre à l'entrée d'icelle. Je descendis à terre, où j'en vis quantité d'autres qui nous reçeurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, où n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées; dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une des entrées duquel y a une manière d'icelle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, où autour la mer asseche presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons nommé, le port du cap sainct Louys[104], distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys. [Note 103: La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42° 6'.] [Note 104: Ce port Saint-Louis est précisément le lieu où abordaient, quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appelés les Pèlerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donnèrent le nom de Plymouth, en mémoire de la ville d'où ils étaient partis pour l'Amérique. (_Holme's Annals, an. 1620._)] 211a [Illustration: Port St-Louis] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Monstre le lieu où posent les vaisseaux. B L'achenal. C Deux Isles. D Dunes de sable E Basses. F Cabannes où les sauvages labourent la terre. G Le lieu où nous fusmes eschouer nostre barque. H Une manière d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable. I Promontoire assez haut qui paroist de 4 à 5 lieux à la mer. Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste comme au su, nous fismes 4 à 5 lieues, & passames proche d'un rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre route nous 64/212 apperçeusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus prés nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande baye contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre à l'autre bort pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap blanc[105], pour ce que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu: car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettés à la coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte suzanne du cap blanc [106], d'où jusques au cap S. Louis y a dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau jusques à ce qu'on vienne à 10 brasses en approchant de la terre, qui est très seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort aggreables & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'ancre à 65/213 la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint à eux tout dansant (à ce qu'ils nous ont raporté) un sauvage qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation. [Note 105: Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant, s'était comme lui engouffré dans la même baie, et qui avait, dès 1602, donné à ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande quantité de morue (cod).] [Note 106: Ce que l'auteur appelle la rivière de Sainte-Suzanne du cap Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, à l'entrée de laquelle se trouve la batture de Billingsgate.] Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient aperçeu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause des basses & bancs, où nous voiyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que quatre pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout entouré de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez belle, où de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouvé 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de declinaison[107] de la guide-aymant. Il vint à nous quantité de sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dansant. Nous avons nommé ce lieu le port de Mallebarre[108]. [Note 107: La déclinaison aujourd'hui n'y est que de 7° environ.] [Note 108: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41° 50'.] 66/214 Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé de bled d'Inde à la façon que nous avons dit cy dessus. Le bled estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit d'autre moins avancé qu'ils sement plus tart. Nous vismes force febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes à manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes noyers & de tresbeaux cyprès, qui sont rougeastres & ont fort bonne odeur [109]. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs bêches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par où sort la fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y efforçassent par signe, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un 67/215 pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'yver ny est pas rude. Pendant le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison. [Note 109: La couleur rougeâtre et l'odeur de l'arbre mentionné en cet endroit, font voir que l'auteur parle du cèdre rouge (_juniperus virginiana_). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cyprès dans son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre cèdre ordinaire _(thuja)_.] Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans allés à terre avec quelques chaudières, pour quérir de l'eau douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloignée de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes, espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de force entre les mains d'un matelot, qui avoit puisé le premier, lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant courir après, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste à la cource que luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient à nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se mirent à fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre barque qui se jetterent à la mer, & n'en peusmes saisir qu'un. Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager, 68/216 retournèrent droit au matelot [110] à qui ils avoient osté la chaudière, & luy tirèrent plusieurs coups de flèches par derrière & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost sur luy & l'acheverent à coups de cousteau. Cependant on fit diligence d'aller à terre, & tira on des coups d'arquebuse de nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pença perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent à la fuite, qu'ils doublèrent quand ils virent que nous estions à terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir après eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut enterré quelques heures après: Cependant nous tenions tousjours le prisonnier attaché par les pieds & par les mains au bort de nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit point de sa faute, & qu'il ne sçavoit rien de ce qui s'estoit passé, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de nostre barque. Quelques heures après il vint des sauvages vers nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschanceté, mais d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous venger. [Note 110: C'était, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV, ch. VII.)] Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes sont faites d'herbes & de chanvre, qui à peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la 69/217 nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière; tout le reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par dessus de petites patenôtres de porceline: une partie de ses cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entrelassé de diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent à mesure qu'elle croist. Ils sont bien proportionnez de leurs corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du tout. Ils ne sçavent qu'adorer ny prier. Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs & flèches. Il semble à les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous à bien parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fréquentation que l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troquèrent leurs arcs, flèches & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en 70/218 eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, & vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire apperçevoir. Ils nous donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, & puis le reduisent en poudre[111]. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre qu'ils font d'autre manière que nous [112]. Ils le pilent aussi dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou. [Note 111: Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois préparaient leur tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-à-dire, qu'après l'avoir fait sécher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu pour pouvoir en charger commodément leurs pipes ou petunoirs, mais non pas si fin que le tabac râpé. C'est ce que prouvent du reste les intéressantes découvertes que vient de faire monsieur J. C. Taché. Le riche musée d'antiquités huronnes que l'université Laval doit à la générosité de cet infatigable antiquaire, renferme des échantillons parfaitement conservés de pipes qui ont été trouvées encore toutes chargées de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette espèce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'était guère plus fine que notre tabac haché.] [Note 112: Ces vases de terre n'étaient point faits au tour, comme les poteries européennes, ni cuits au four, mais à feu libre. Voici, d'après Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: «Elles ont l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles nettoyent & petrissent très bien entre leurs mains, & y mestent, je ne sçay par quelle science, un peu de grais pillé parmy; puis la masse estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu dehors.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'université Laval doit encore au même monsieur J. C. Taché le plus bel échantillon que l'on connaisse de cette ancienne poterie huronne.] 218a [Illustration: Malle Baiye] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Les deux entrées du port. B Dunes de sable où les sauvages tuèrent un Matelot de la barque du sieur de Mons. C Les lieux où fut la barque du sieur de Mons audit port. D Fontaine sur le bort du port. E Une riviere descendant audit port. F Ruisseau. G Petite riviere où on prend cantité de poisson. H Dunes de sable où il y a un petit bois & force vignes. I Isle à la pointe des dunes. L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre. M Basses & bancs de sable tant à l'entrée que dedans ledit port. O Dunes de sable. P La coste de la mer. q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux aprés le sieur de Mons. R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt. En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a quantité de figuenocs[113], qui est un poisson portant une 71/219 escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant; laquelle a au milieu une rangée de petits piquants de couleur de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est bordée d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples ferrent leurs flèches, ayant aussi une rangée d'esguillons comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict petits pieds comme ceux d'un cancre, & derrière deux plus longs & plats, desquels il se sert à nager. Il en a aussi deux autres fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils sont tous cachez, excepté les deux de derrière qui paroissent un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, & sont les unes sur les autres en façon des facettes d'un pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, & pied & demy de long. [Note 113. C'est le Limule Polyphène (_limulus poltphemus_, LAMARCK). La femelle, qui est plus grande que le mâle, a ordinairement une vingtaine de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. «Cette espèce, commune dans nos parages», dit M. James-E. De Kay (_New-York Fauna_), «est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval (horse-foot), à cause de sa forme, et retient encore dans quelques districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons anglais.» Jean de Laët fait aussi de ce singulier crustacé, une description détaillée et accompagnée d'une figure.] Nous vismes aussi un oiseau marin [114] qui a le bec noir, le haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de lancette, sçavoir la partie inférieure representant le manche & la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez & plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de l'estonnement à beaucoup de personnes, qui ne peuvent 72/220 comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger avec un tel bec[115]. Il est de la grosseur d'un pigeon, les ailles fort longues à proportion du corps, la queue courte & les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les pigeons pardeçà. [Note 114: Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau _(rhynchops nigra_, LATHAM). La singularité de ses habitudes et l'étrange conformation de son bec, lui ont valu différents noms populaires surtout chez les navigateurs anglais, comme ceux de _cutwater, shearwater, razorbill, black skimmer, flood gull, skippang_ et autres. Il a le bec noir à l'extrémité, et tirant sur le rouge près de la tête. Cependant l'on rencontre des individus qui ont le bec entièrement noir, comme celui dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une variété d'âge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du Sud, et du Texas, et quelquefois par volées immenses.] [Note 115: Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort bien trouver sa vie. Quand il veut pêcher, il rase lentement la surface de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inférieure de son bec, il saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.] Les sauvages en toutes ces costes où nous avons esté, disent qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est à maturité, qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable à celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montrèrent des plumes en plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs flèches & en mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une manière de poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France: & disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils nous les figurèrent aussi gros qu'une outarde, qui est une espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que celles de pardeça. Toutes ces demonstrations nous firent juger que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desiré voir de ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains oiseaux [116], qui se trouvent en quelques endroits du Perou en 73/221 forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux: mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue, ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons à manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent en troupe en esté; & au commencement de l'yver s'en vont aux pays plus chauts, où est leur demeure naturelle. [Note 116: L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement l'Aura (_vultur aura_, LINNÉE), appelé Ouroua par les Brésiliens, et Suyuntu par les Péruviens, «se nourrissant plutôt de chair morte et de vidanges, que de chair vivante», suivant Buffon.] _Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois._ CHAPITRE IX. Ayant demeuré plus de cinq sepmaines à eslever trois degrez de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en nostre voyage; car nous n'avions porté des vivres que pour ce temps là. Et aussi ne pouvans passer à cause des brumes & tempestes que jusques à Mallebarre, où fusmes quelques jours attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez par la necessité des vivres, le sieur de Mons délibéra de s'en retourner à l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage. Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de Juillet, où au sortir courusmes risque de nous pardre sur la barre qui y est à l'entrée, par la faute de nos pilottes appelez Cramolet & Champdoré [117] Maistres de la barque, qui 74/222 avoient mal ballizé l'entrée de l'achenal du costé du su, par où nous devions passer. Ayans evité ce péril nous mismes le cap au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de là jusques au cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le cap à l'est nordest 16 lieues jusques à Chouacoet, où nous vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esperé voir au lac de Quinibequy[118], lequel avoit la réputation d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la façon belle, où tous ses gestes paroissoient graves, quelque sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un jeune garçon Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues, jusques à Quinibequy, où nous arrivasmes le 29 du mois, & où pensions trouver un sauvage appelé Sasinou, dont j'ay parlé cy dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint à nous un capitaine appelé Anassou pour nous voir, lequel traicta quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous 75/223 dit qu'il y avoit un vaisseau [119] à dix lieues du port, qui faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tué cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amitié: & selon la façon qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle où ils estoient la nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap à l'est suest 20 lieues jusques à l'isle haute où mouillasmes l'ancre attendant le jour. [Note 117: Pierre Angibaut dit Champdoré. (Lescarbot, Muses de la Nouv. France, p. 48.)] [Note 118: Voir ci-dessus p. 49, note 1.] [Note 119: Les différentes circonstances de ce récit prouvent que le vaisseau dont parle Anassou, était celui du capitaine Waymouth. 1° _C'était un vaisseau anglais_, d'après la description qu'en fait le capitaine sauvage. Or il ne paraît pas qu'il soit venu aux côtes du Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'_Arkangel, commandé par George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau était reparti dès le 26 de juin (nouveau style), c'est-à-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou pouvait croire qu'il était encore dans ces parages, vu que le capitaine anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, était retourné à son havre de la _Pentecôte_, situé en face de l'île de Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre chose sinon que les Anglais s'étaient retirés à cette île, et que les Français aient compris qu'ils y étaient encore. 2° _A dix lieues du port_. Précisément à dix lieues du port ou était mouillée la barque de M. de Monts, se trouve cette île remarquable, appelée Monahigan, qui est celle où, suivant les critiques anglais, a dû mouiller l'_Arkangel_ à son arrivée, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant que de repartir; c'est cette île que Champlain appelle la Nef. 3° _Qui faisait pêche de poisson_. Quoique ce ne fut pas là le but principal du voyage de Waymouth, l'équipage employa effectivement une bonne partie du temps à faire la pêche soit à la ligne, soit à la seine. 4° _Que ceux de dedans avaient tué cinq sauvages_. Le capitaine Waymouth, ayant de bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre traîtreusement, résolut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tués; cependant le capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent ensuite contents de leur sort. «Quoique, au moment de la surprise, dit Rosier, ils aient résisté de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni ce que nous étions, ou ce que nous en prétendions faire; cependant, dès qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point de mal, ils ne parurent pas depuis mécontents de nous.» (Rap. du voy. de Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e série, vol. VIII.) 5° _Sauvages d'icelle rivière_. Ces sauvages étaient donc du Kénébec. Cette circonstance vient à l'appui de l'ingénieuse dissertation que M. John McKeen a publiée en 1867, dans le cinquième volume des Collections de la Société Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que Waymouth a visité, non pas le Pénobscot, comme le prétend Belknap et quelques autres auteurs, mais bien le Kénébec. 6° _Sous ombre d'amitié_. L'intention de Waymouth n'était pas d'abord d'user de ruse ou de trahison avec ces sauvages. «Ayant trouvé, dit Rosier, que ce lieu répondait parfaitement au motif de notre voyage de découverte, savoir, qu'on y pouvait faire un bon établissement, nous traitâmes ces gens avec toute la bonté qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les croyions capables.» Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais à un motif qui leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou, est évidemment celui de George Waymouth.] Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes à l'est quelque 20 lieues jusques au cap Corneille [120] où nous passâmes la nuit. 76/224 Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes à l'entrée de la riviere S. Croix du costé de l'ouest. Ayant mouillé l'ancre entre les deux premières isles, le sieur de Mons s'embarqua dans un canau à six lieues de l'habitation S. Croix, où le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en ce pays. [Note 120: La carte de 1612 et les distances données ici par l'auteur, permettent de croire que ce cap est dans _Cross Island_ (ou _Crow's Island?_)] _L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transportée au port Royal, & pourquoy._ CHAPITRE X. Le sieur de Mons se délibéra de changer de lieu & faire une autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouvé aucun port qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous avions à nous loger & bastir des maisons à cest effect, nous fit équipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, à 25 lieues de là, où l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup plus douce & tempérée. Le Pont & moy partismes pour y aller, où estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de nostre logement & à l'abry du norouest, que nous redoutions pour en avoir esté fort tourmentez. 77/225 Apres avoir bien cerché d'un costé & d'autre, nous n'en trouvasmes point de plus propre & mieux scitué qu'en un lieu qui est un peu eslevé, autour duquel y a quelques marescages & bonnes sources d'eau. Ce lieu est devant l'isle qui est à l'entrée de la riviere de la Guille[121]: Et au nord de nous comme à une lieue, il y a un costau de montagnes, qui dure prés de dix lieues nordest & surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est à une lieue & demie dans la riviere, où il y a quelques chesnes qui y sont fort clairs, & quantité de lambruches, que l'on pourroit deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres & sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir: mais nous considerasmes qu'eussions esté trop engouffrez dans le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis. [Note 121: Rivière de l'Equille. «On choisit la demeure,» dit Lescarbot, «vis-à-vis de l'île qui est à l'entrée de la rivière de l'Equille, dite aujourd'hui la rivière du Dauphin, laquelle fut appelée _l'Équille_, parce que le premier poisson qu'on y print fut une Équille.» (Liv. IV, ch. VIII et ch. III.)] Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre bonne, on commença à défricher le lieu, qui estoit plein d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible: un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se délibéra de retourner en France pour faire vers sa Majesté qu'il peust avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour commander audit lieu en son absence, il avoit volonté d'y laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au 78/226 Pont-gravé, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en l'habitation [122]. Et moy en pareil temps je pris resolution d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de Mons trouva fort bon. [Note 122: «A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure ledit sieur du Pont pour lieutenant par delà, lequel ne manque de promptitude (selon son naturel) à faire & parfaire ce qui estoit requis pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette année en ce pais la. Car de s'éloigner du parc durant l'hiver, mêmes après un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y eût eu moyen de ce faire.» (Liv. IV, ch. VIII.)] _Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'à ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit promis, on partist du port Royal pour retourner en France._ CHAPITRE XI. Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui resterent, une partie commença à faire des jardins. J'en fis aussi un pour éviter oisiveté, entouré de fossez plains d'eau, esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, & où descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante, dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environné des prairies, où j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit 79/227 reservoir pour y mettre du poisson d'eau sallée, que nous prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y amassoient en quantité, & y faisoient un ramage & gasouillis si aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de semblable. Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de large, qui font trentesix de circuit. Du costé de l'orient est un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 à 6 pieds de haut. Du costé du Nord est le logis du sieur de Mons eslevé d'assez belle charpenterie [123]. Au tour de la basse court sont les logemens des ouvriers. A un coing du costé de l'occident y a une platte forme, où on mit quatre pièces de canon, & à l'autre coing vers l'orient est une palissade en façon de platte forme: comme on peut veoir par la figure suivante[124]. [Note 123: C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans l'_abitation du port royal_, dont l'auteur nous a conservé une vue. Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ quarante pieds de long.] [Note 124: Dans la première édition, la figure de l'habitation était intercalée dans le texte.] 227a [Illustration: Habitation du Port Royal] A Logemens des artisans. B Plate forme où estoit le canon. C Le magasin. D Logement du sieur de Pontgravé & Champlain. E La forge. F Palissade de pieux. G Le four, H La cuisine. 0 Petite maisonnette où l'on retiroit les utansiles de nos barques; que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France. P (1) La porte de l'abitation. Q (2) Le cemetiere. R (3) La riviere. (1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit--(2) K, dans le dessin--(3) L, dans le dessin. Quelques jours après que les bastiments furent achevez, je fus à la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appellé Secondon, lequel avoit mené les gens de Preverd à la mine de cuivre, que j'avois desja esté chercher avec le sieur de Mons, quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre temps. L'ayant trouvé, je le priay d'y venir avec nous: ce 80/228 qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appellé Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu à la recherche des minéraux, fut tout au tour des costaux voir s'il trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva il à quelques pas d'où nous avions prins les morceaux de cuivre susdit, une manière de mine qui en approchoit aucunement. Il dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en quantité. La vérité est, que si la mer ne couvroit deux fois le jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en espereroit quelque chose. Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes à nostre habitation, où nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du nombre, & cinq malades, qui guérirent le printemps venant. Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait ceux de l'année précédente. Il trouva les parties du corps offencées comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, & ne peut on trouver remède pour les guérir non plus que les autres. 81/229 Le 20 Decembre il commença à neger: & passa quelques glaces par devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit esté l'année d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si longue durée. Il fit entre autres choses un si grand coup de vent le 20 de Fevrier 1605 [125] qu'il abbattit une grande quantité d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa. C'estoit chose estrange à veoir. Les pluyes furent assez ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du passé, bien que du port Royal à S. Croix, n'y ait que 25 lieues. [Note 125: Février 1606. C'est peut-être par inadvertance, plutôt que par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'année à Pâques, que Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI, que, dès l'année suivante, il compte exactement comme nous.] Le premier jour de Mars, Pont-gravé fit accommoder une barque du port de 17 à 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller descouvrir le long de la coste de la Floride. Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes contraints de relascher à une isle au su de Menasne, & ce jour fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable, à l'ouvert de la mer, où le vent de su donnoit, qui se renforça la nuit d'une telle impetuosité que ne peusmes tenir à l'ancre, & fallut par force aller à la coste, à la mercy de Dieu & des ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous appareillions le bourcet sur l'ancre, pour après coupper le câble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent & la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur 82/230 quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il vint un coup de mer si grand & favorable, après en avoir receu plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour ceste fois de naufrage. La barque estant eschouée, l'on commença promptement à descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir où elle estoit offencée, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut racoustrée promptement par la diligence de Champdoré Maistre d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut qu'au bout de quatre jours, sçavoir le 21 Mars, auquel sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux Coquilles, à 7 ou 8 lieues de là, qui est à l'entrée de la riviere saincte Croix, où y avoit grande quantité de neges. Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes & vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le Pont-gravé print resolution de relascher au port Royal, pour voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions laissez malades. Y estans arrivés le Pont fut atteint d'un mal de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril. Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast encores maldisposé, pour le desir qu'il avoit de voir la coste de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit la santé. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit à l'entrée du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le lendemain devant le jour Champdoré vint demander au Pont-gravé 83/231 s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos Champdoré fit à l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout à un coup transportez par les marées hors du passage, & fusmes plustost sur les rochers du costé de l'est norouest, que nous ne les eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez, entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost sur le tillac, que la barque fut jettée à la coste & le vent se trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la marée, qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'où il eust esté impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une partie de la quille, & trois ou quatre planches enfoncées, avec quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied à terre: car autrement nous courions risque de la vie, à cause 84/232 de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous. La mer estant donc retirée nous descendismes à terre par le temps qu'il faisoit, où promptement on deschargea la barque de ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez qui y estoient, à l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de ses compagnons, qui vindrent à nous avec leurs canots, pour reporter en nostre habitation ce que nous avions sauvé de nostre barque, laquelle toute fracassée s'en alla au retour de la mer en plusieurs pièces: & nous bien heureux d'avoir la vie sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres sauvages, qui y demeurèrent presque une bonne partie de l'yver, où nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage, dont n'esperions sortir à si bon marché. La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour nous voir, à faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore une barque sur les chantiers: mais elle eut esté trop long temps à mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre. Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre, qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit à fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses necessaires: mais il n'estoit nullement propre à les conduire. Le Pont estant à l'habitation, fit informer à l'encontre de 85/233 Champdoré, qui estoit accusé d'avoir malicieusement mis nostre barque à la coste; & sur ses informations fut emprisonné & emmenotté, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requérir justice. Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne revenoient point, fit desemmenotter Champdoré pour parachever la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort bien de son devoir. Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi qu'il estoit porté par la commission qu'avoit donnée le sieur de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour aller au cap Breton ou à Gaspé, chercher le moyen de retourner en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles. Il y eust deux de nos hommes[126] qui demeurèrent de leur propre volonté pour prendre garde à ce qui restoit des commoditez en l'habitation, à chacun desquels le Pont promit cinquante escus en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur practique, en les venant requérir l'année suivante. [Note 126: Lescarbot nous a conservé les noms de ces deux braves: l'un s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. «Je ne puis que je ne loue, dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & méritent bien d'être ici enchassées, pour avoir exposé si librement leurs vies à la conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez, farines & marchandises, qui etoient par-delà, léquels il eût fallu jetter dans la mer (ce qui eût été à notre grand prejudice, & en avions bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, & de gayeté de coeur.» (Liv. IV, ch. XII.)] 86/234 Il y eut un Capitaine des sauvages appellé Mabretou[127] qui promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes, bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre qui fut entre ceux de sa nation. [Note 127: Lescarbot et le P. Biard écrivent _Membertou_.] _Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin._ CHAPITRE XII. LE 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise, nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 à 8 pour parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, où la nuit nostre câble rompit & courusmes risque de nous perdre par les grandes marées qui jettent sur plusieurs pointes de rochers, qui sont dans & à la sortie de ce lieu: Mais par la diligence d'un chacun on y remédia & fit on en sorte qu'on en sortit pour ceste fois. Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne sçavions de quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme 87/235 des montaignes le long de la coste: de façon que nous resolusmes plustost mourir à la mer, que d'aborder la terre, sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour puis après ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque playe de sable. Comme chacun pensoit à part soy à ce qui seroit de faire pour nostre seureté, un matelot dit, qu'une quantité de cordages attachez au derrière de la barque, & traînant en l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy là ne nous eust guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs à ce qu'on pourroit faire pour nostre seureté, Champdoré, qu'on avoit de rechef emmenotté, dit à quelques uns de nous, que si le Pont vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc desemmenotté pour la seconde fois, & quant & quant prist un câble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises à la première barque qui fut perdue: & fut libéré de ce dont il avoit esté accusé, par les prières que nous en fismes au Pont-gravé qui eut un peu de peine à s'y resoudre. Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, à deux lieues du cap fourchu, & là fut racommodée la barque. Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable. 88/236 Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apperçeusmes une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de Campseau pour sçavoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus prez on vid que c'estoient François, ce qui nous resjouit fort: Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes Ralleau Secrétaire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux [128], & que le sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour Lieutenant général, & demeurer au pays avec cinquante hommes: & qu'il avoit mis pied à terre à Campseau, d'où ledit vaisseau avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port Royal le 25 [129] du mois, où nous trouvasmes ledict vaisseau, & le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de 89/237 resjouissance, pour voir renaistre ce qui estoit hors d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit causé son retardement estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de la chaine de la Rochelle, d'où il estoit party, & avoit esté contrarié du mauvais temps sur son voyage [130]. [Note 128: C'était le _Jonas_, où se trouvait Lescarbot.] [Note 129: Le 31 juillet, qui était un lundi. Pour que Pont-Gravé et Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ vingt-quatre heures, il eût fallu un concours de circonstances si exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqué de le faire observer. En outre, quand ils arrivèrent à Port-Royal, le vaisseau et M. de Poutrincourt y étaient déjà rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Gravé arriva «le lundi dernier jour de juillet.» (Liv. IV, ch. XIII.)] [Note 130: Toutes ces circonstances sont rapportées en détail dans Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.] Le lendemain le sieur de Poitrincourt commença à discourir de ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de demeurer au port Royal pour ceste année, d'autant que l'on n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que quatre mois qu'il y avoit jusques à l'yver n'estoit assez pour chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau, furette par tout, & trouve des lieux à souhait pour faire des demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger[131]. [Note 131: Tout en décidant qu'on hivernerait encore à Port-Royal, parce qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait données M. de Monts, à son départ de France. «Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant desiré de s'élever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien habitable par delà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un port convenable en bonne température d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de sainte Croix, pour ce qui regarde la santé. A quoy voulant obtempérer le dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant qu'il auroit d'autres exercices à s'occuper.»] Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, à une lieue & demie de l'habitation du port Royal, où nous pensames faire 90/238 nostre demeure [132], & y fit semer du bled, seigle, chanvre, & plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le 22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de Campseau, où estoit son vaisseau[133], à la pesche du poisson, pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour du cap Breton qui traittoient de pelleterie[144], & que si on vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en retournant en France: ce qui fut resolu après qu'il seroit deschargé des commodités qui estoient dedans. [Note 132: Voir ci-dessus p. 77. C'est précisément le lieu où est maintenant Annapolis, au sud de la rivière de l'Équille (aujourd'hui rivière d'Annapolis), et près de l'endroit où la rivière du Moulin se jette dans celle de l'Équille.] [Note 133: _Le Saint-Étienne_.] [Note 134: «Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en passant d'attaquer un marchand de Rouen nommé Boyer (lequel contre les deffenses du Roy étoit allé par delà troquer avec les Sauvages, après avoir été délivré des prisons de la Rochelle par le consentement du sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il étoit ja parti.» (Liv. IV, ch. XIII.)] Ce qu'estant fait, du Pont-gravé s'enbarqua dedans avec le reste de ses compagnons qui avoient demeuré l'yver avec luy au port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdoré & Foulgere de Vitré. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt, pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes & pays que j'avois commencé. Toutes choses mises en ordre en l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres pour nostre voyage de la coste de la Floride. Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-gravé, & des Antons qui alloient au cap Breton & à Campseau pour se saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme j'ay dit cy dessus. Estans à la mer nous fusmes contraints de relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de veue. 91/239 _Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva jusques à Male-barre._ CHAPITRE XIII. Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal [135]. [Note 135: D'après Lescarbot, M. de Poutrincourt relâcha par deux fois. «Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile sainte Croix première demeure des François, ayant Champdoré pour maître & conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pour ce que sa barque faisoit eau, il fut contraint de relâcher par deux fois.»] Le 7 nous fusmes à rentrée de la riviere S. Croix, où trouvasmes quantité de sauvages, entre autres Secondon & Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de rochers, par l'opiniastreté de Champdoré, à quoy il estoit fort subject. Le lendemain fusmes dedans une chalouppe à l'isle de S. Croix, où le sieur de Mons avoit yverné, voir si nous trouverions quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tombé en terre, & estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer[136], & quantité d'herbes potagères qui estoient venues belles & grandes: cela nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne & fertile. [Note 136: Monsieur de Poutrincourt «nous en envoya au Port Royal, dit Lescarbot, où j'étois demeuré, ayant été de ce prié pour avoir l'oeil à la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy j'avoy condescendu (encores que cela eust été laissé à ma volonté) pour l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se seroit en païs plus chaut par delà Malebarre, & que nous irions tous de compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je me mis à préparer de la terre, & faire des clôtures & compartimens de jardins pour y semer des légumes, & herbes de ménage. Nous fimes aussi faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit défrichez: ce qui paraventure rendoit le lieu mal sain.» (Liv. IV, ch. XIII.)] 92/240 Apres avoir visité l'isle, nous retournasmes à nostre barque, qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantité de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps là; & se resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui ne fut pas trop bien consideré: d'autant que nous perdismes beaucoup de temps à repasser sur les descouvertures que le sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut esté plus à propos, selon mon opinion, de traverser du lieu où nous estions jusques audict Malebarre, dont on sçavoit le chemin, & puis employer le temps jusques au 40° degré, ou plus su, & au retour revoir toute la coste à son plaisir. Après ceste resolution nous prismes avec nous Secondon & Messamouet, qui vindrent jusques à Chouacoet dedans une chalouppe, où ils vouloient aller faire amitié avec ceux du pays en leur faisant quelques presens. Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix. 93/241 Le 21[137] arrivasmes à Chouacoet, où nous vismes Onemechin chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins à l'isle de Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit de bon vin. [Note 137: Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix à Chouacouet, quelques détails que Champlain omet sans doute parce qu'il était ennuyé de suivre le même chemin, et qu'il avait déjà décrit tous ces lieux, «Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons laissé en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir là fait une reveue, & caressé les Sauvages qui y étoient, il s'en alla en quatre jours à _Pemptegoet_, qui est ce lieu tant renommé souz le nom de _Norombega_. Et ne falloit un si long temps pour y parvenir, mais il s'arrêta sur la route à faire racoutrer sa barque: car à cette fin il avoit mené un serrurier & un charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à l'embouchure de la rivière, & vint à _Kinibeki_, là où sa barque fut en péril à-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y arrêta point, ains passa outre à la Baye de _Marchin_, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée dudit sieur commença à crier hautement _Hé, hé_: A quoy on lui répondit de même. Il répliqua demandant en son langage: Qui êtes-vous? On lui dit que c'étoient amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de Poutrincourt traita amitié avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, & _Matachiaz_, c'est à dire écharpes, carquans, & brasselets faits de patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise, même de la confédération que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il distribua à quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan, Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit les voiles vers _Chouakoet_.» (Liv. IV, ch. XIV.)] En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de chaudières, haches, cousteaux, & autres choses[138]. Onemechin luy en fit au réciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet, qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donné, en dessein de leur 94/242 faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent qu'en donnant, si ce n'est à personnes qui les ayent bien obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres. [Note 138: «Messamouet, capitaine en la rivière du port de la Heve, sur lequel on avoit pris ce prisonier,» & Secondon «avoient force marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là débiter, sçavoir chaudières grandes, moyennes, & petites, haches, couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, fèves, biscuit, & autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent être beaux, ayans l'arc, & la flèche en main, & le carquois auprès d'eux, léquels ilz mirent bas à bord. A l'heure _Messamoet_ commence à haranguer devant les Sauvages, leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de l'amitié ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François, léquels ils voyoient là presens pour reconoitre leur pais, à fin de leur porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces, léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés d'une heure à parler avec beaucoup de véhémence & d'affection, & avec un contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur. Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois cens escus rendues en ce païs-là) dans le bateau d'_Olmechin_, comme lui faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.» (Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)] Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, où fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de Mons, j'avois, à une lieue de là, remarqué en ma carte un lieu, qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes point à cause que nous avions le vent propre à faire nostre routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derrière nous, qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il faloit relascher à une pointe que nous y voiyons, où estoit le lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre à l'entrée, & le lendemain entrasmes dedans. Le sieur de Poitrincourt y mit pied à terre avec huit ou dix de nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient à maturité, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna. Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantité de noyers, cyprès, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous 95/243 vint voir avec un autre sien voisin nommé Cohouepech, à qui nous fismes bonne chère. Onemechin chef de Chouacoet nous y vint aussi voir, à qui on donna un habit qu'il ne garda pas long temps, & en fit present à un autre, à cause qu'estant gesné dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy toucher: après firent quelques gestes des pieds & des mains, & luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint à luy. Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa après de s'en aller gayement. Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur de Poitrincourt apperceut dans le bois quantité de sauvages, qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se rende à un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une chaussée, qui va à la grande terre, où de nos gens blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long d'icelle chaussée ces sauvages m'apperçeurent, & pour faire bonne mine, à cause qu'ils virent bien que je les avois descouvers en pareil temps, ils commancerent à s'escrier & se mettre à danser: puis s'en vindrent à moy avec leurs arcs, flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer, qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec 96/244 huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retirèrent d'un costé & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis nous revinsmes à nostre chalouppe pour la mettre à l'eaue, & nous en aller. Ils nous prièrent de retarder un jour, disans qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il y a quelques terres desfrichées, & en desfrichoient tous les jours: en voicy la façon. Ils couppent les arbres à la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau & bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude; & l'avons nommé le Beau-port [139]. [Note 139: Aujourd'hui _Gloucester_.] 244a [Illustration: Le beau port.] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le lieu où estoit nostre barque. B Prairies. C Petite isle. D Cap de rocher. E Le lieu où l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe. F [f] Petit islet de rochers assez haut à la coste. G Cabanes des sauvages, & où ils labourent la terre. H Petite riviere où il y a des prairies. I Ruisseau. L Langue de terre plaine de bois où il y a quantité de safrans, noyers & vignes. M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles. N Petite riviere. 0 Petit ruisseau venant des preries. P Autre petit ruisseau où l'on blanchissoit le linge. Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre. R Playe de sable. S La coste de la mer. T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8 arquebusiers. V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages. Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & passâmes par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap blanc en la baye blanche à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus prés, en 97/245 attendant le jour; & voir comme nous estions de la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva on plus de huit pieds d'eau: de façon qu'il fallut délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques à cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage: Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds d'eau soubs nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous donna beaucoup d'esperance. Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort basse, où nous estions le travers plus à vau le vent, & d'où on envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, & aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes, pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslevé plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes à 2, 3 & 4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres [140]: & est par la hauteur de 42 degrez [141] de latitude. Il y vint à nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour 98/246 aller au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un quart du Nordest, & le doublasmes. [Note 140: La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait légué son ancien nom à une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux Huîtres (Oysters Bay).] [Note 141: L'entrée du port aux Huîtres est par les 41° 45'.] Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, où sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe accompagné de 12 à 15 hommes, fut visiter le port, où il vint au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant, selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes voille le long de la coste courant au Su. _Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut remarqué de singulier._ CHAPITRE XIV. Comme nous fusmes à quelque six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fumées que faisoient les sauvages: ce qui nous fit délibérer de les aller voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les sauvages, ils mirent un canot à la mer, & vindrent à nous 8 ou 9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous pourrions mettre nostre barque en seureté. 99/247 Ne pouvant mettre pied à terre, la chalouppe s'en revint à la barque, & les sauvages retournèrent à terre, qu'on avoit traicté humainement. Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre routte au Nord[142] 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demye & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit entièrement contraire. [Note 142: Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression _continuasmes notre routte;_ c'est, du reste, ce que donne à entendre tout le contexte.] De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques à 4 pieds & demy: Enfin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous passames par dessus une pointe de sable, qui jette prés de trois lieues à la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est à 12 ou 13 lieues de Malebarre[143], nous mouillasmes l'ancre à deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons entournez de toutes parts de brisans & battures, reservé en quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chalouppe pour trouver en achenal, à fin d'aller à un 100/248 lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient donné à entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, où pourrions estre en seureté. [Note 143: La tête de Sankaty _(Sankaty Head)_, qui fait la pointe sud-est la plus avancée de l'île Nantucket.] Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied à terre, & considererent le lieu, puis réunirent avec un sauvage qu'ils amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, & fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller l'ancre à une rade qui est devant le port, à six brasses d'eau & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la nuit nous surprint. Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est à l'embouchure du port: puis la plaine mer venant y entrasmes à deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes marées il ne rompist de rechef, qui eut esté cause de nostre perte. Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux brasses, à l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits culs de sac, qui décorent le pays, où il y a beaucoup de terres défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprès, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel ils conservent en la façon qui ensuit. 101/249 Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable quelque cinq à six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en nos greniers. Nous vismes en ce lieu quelque cinq à six cens sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en plusieurs façons, tant hommes que femmes, à la manière de ceux de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivetés qu'ils accommodent fort proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs. Pour ce qui est de leur police, gouvernement & créance, nous n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le Diable, à qui ils ont grande croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir, où ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien 102/250 rencontrer, & leur dire des choses semblables à celles qui leur arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils estoient Prophètes, & ce ne sont que canailles qui les enjaulent comme les Aegyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de vilage. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture. Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslevés un pied de terre, faicts avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon d'Espaigne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en esté, mesme parmy les champs: Un jour en nous allant pourmener nous en prismes telle quantité, que nous fusmes contraints de changer d'habits. Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable à celuy que nous avons devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions & entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante. 103/251 Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus profond & l'entrée plus seure qu'elle n'est. Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, & fit on faire du pain de farines qu'avions apportées pour vivre, quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy par où nous estions venus. Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast à d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, à ce qu'il donna à entendre à ceux qui estoient dans la chalouppe, lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques où ils avoient esté il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que plus outre il n'y avoit ny basses ny battures. On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt accompagné de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays circonvoisin, d'où nous estions, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy dessus, où nous vimes quantité de maisonnettes ça & la. Quelque 8 ou 9 jours après le sieur de Poitrincourt s'allant pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soubçon 104/252 de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre sur nos gens qui travailloient à terre, & où ils demeuroient toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car ils resolurent entre eux, qu'après que toutes leurs commoditez seroient en seureté, il les viendroient surprendre à terre à leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amitié comme ils vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches. Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, où il y avoit quantité de femmes, à qui on avoit donné des bracelets, & bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & à la plus part des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort, payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient. Nous revinmes tout doucement à nostre barque, accompagnez de quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu à peu avec leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant 105/253 dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une ronde de prés de 4 à 5 lieues de circuit au tour de leur terre, & passans prés de nous ils tremblotent de crainte que on ne leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise volonté. Estans arrivez où nos ouvriers travailloient, le sieur de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour s'opposer aux desseins de ces canailles. Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit à terre: ce qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura pour achever une fournée, qui restoit, & deux autres hommes avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en exécution leur volonté que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de leur surprinse en la pluspart de leurs desseins. Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on envoyast la chalouppe à terre pour quérir les hommes qui restoient: ce qui fut fait aussitost, que la marée le peut permettre, & dit on à ceux qui estoient à terre, qu'ils eussent à s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust faire, & des risques où ils se mettoient, & de la desobeissance qu'ils portoient à leur chef. Ils n'en feirent aucun estat, horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua, mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent trouver les trois autres, qui estoient à terre, lesquels 106/254 estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on leur disoit, la chalouppe s'en revint à bort sans le dire au sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent tous dedans le vaisseau. Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils trouverent endormis, horsmis un qui estoit auprès du feu. Les voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de flesches, qu'ils ne leur donnèrent pas le loisir de se relever, sans estre frappez à mort: & se sauvant le mieux qu'ils pouvoient vers nostre barque, crians, à l'ayde on nous tue, une partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps après. Ces sauvages menoient un bruit desesperé, avec des hurlemens tels que c'estoit chose espouvantable à ouir. Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant & quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16 pour aller à terre: Mais ne pouvans l'abborder à cause d'un banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous jettasmes en l'eau & passames à gay de ce banc à la grand terre la portée d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces sauvages nous voyans à un trait d'arc, prirent la fuitte dans les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont 107/255 merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de retirer les corps morts & les enterrer auprès d'une croix qu'on avoit plantée le jour d'auparavant, puis d'aller d'un costé & d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en retournasmes. Trois heures après ils revindrent à nous sur le bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se tapissoient en terre pour éviter le coup. En derision de nous ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes à eux pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les morts qu'ils avoient jettés ça & la parmy des bruieres, où ils mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire aucun effect comme nous avions esté l'autre fois[144], voyans bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit à Dieu. [Note 144: D'autres exemplaires portent: «sans avoir rien fait contre eux non plus que l'autre fois.»] Le 16 du mois nous partismes du port Fortuné [145] qu'avions nommé de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est par la haulteur de 41 degré & un tiers de latitude, & à quelque 12 ou 13 lieues de Malebarre. [Note 145: Le port Fortuné est bien évidemment le port de Chatham, à en juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il n'est pas à plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, même par eau, et sa latitude est de 41 degrés et deux tiers.] 255a [Illustration: Port fortune.] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Estang d'eau sallée. B Les cabannes des sauvages & leurs terres où ils labourent. C Prairies où il y a deux petis ruisseaux. C Prairies à l'isle qui couvrent à toutes les marées. D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes & pruniers. E Estang d'eau douce, où il y a quantité de gibier. F Manières de prairies en l'isle. G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac. H Manière d'estang d'eau salée & où il y a force coquillages, entre autres quantité d'huîtres. I Dunes de sable sur une lenguette de terre. L Cul de sac. M Rade où mouillasmes l'ancre devant le port. N Entrée du port. O Le port & lieu où estoit nostre barque. P La croix que l'on planta. Q Petis ruisseau. R Montaigne qui descouvre de fort loin. S La coste de la mer. T Petite riviere. V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est pointé de petits points. X Bans & baze. Y Petite montagne qui paroit dans les terres. Z Petits ruisseaux. 9 L'endroit où nos gens furent tués par les sauvages prés la Croix. 108/256 _L'incommodité du temps ne nous permettant, pour lors, de faire d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle._ CHAPITRE XV. Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la soupçonneuse [146], pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'où nous estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter à nous. [Note 146: Dans l'édition de 1632, l'auteur dit qu'elle est «à une lieue vers l'eau.» C'est donc vraisemblablement l'île qui porte aujourd'hui le nom de Martha's Vineyard.] Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest prés de 12 lieues, où passames proche d'une riviere qui est petite & de difficile abord, à cause des basses & rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom [147]. Ce que nous vismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous vint de rechef contraire, & fort impétueux, qui nous fit mettre vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un costé ny d'autre, lequel enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que 109/257 pour relascher encore au port Fortuné, dont la coste, bien qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 à 8 brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable, aussitost l'on revenoit à 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde à la main. [Note 147: L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues à l'ouest du port Fortuné, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivière qui suive cette direction: c'est celle qui traverse le district de _Machpee_ et se jette dans la baie de _Popponesset_, La plupart des cartes ne lui assignent aucun nom.] Estant relaschez au port, quelques heures après le fils de Pontgravé appelé Robert, perdit une main en tirant un mousquet qui se creva en plusieurs pièces sans offencer aucun de ceux qui estoient auprès de luy. Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire moudre du bled à un moulin à bras, pour punition de l'assacinat qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il estoit fort malaysé, d'autant que quand on alloit à eux en délibération de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en alloient dans les bois, où on ne les pouvoit attraper. Il fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour rechercher amitié avec nous les amadouer en leur montrant des patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois: puis prendre la chalouppe bien armée, & des plus robustes & 110/258 forts hommes qu'eussions, avec chacun une chaîne de patinostres & une brasse de mèche au bras, & les mener à terre, où estans, & en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout de sa mèche allumé, pour ne leur donner soupçon, estant l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, & qu'on n'en peust venir à bout; tenant bien la corde on les poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques uns, il y auroit des hommes à terre pour charger à coups d'espée sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit prestes les petites pièces pour tirer sur leurs compagnons, au cas qu'il en vint les secourir; à la faveur desquelles la chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort bien exécuté ainsi qu'on l'avoit proposé. 258a [Illustration] A Le lieu où estoient les François faisans le pain. B Les sauvages surprenans les François en tirant sur eux à coups de flesches. C François bruslez par les sauvages. D François s'enfuians à la barque tout lardés de flesches. E Trouppes de sauvages faisans brusler les François qu'ils avoient tués. F Montaigne sur le port. G Cabannes des sauvages. H François à terre chargeans les sauvages. I Sauvages desfaicts par les François. L Chalouppe où estoient les François. M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens. N Barque du sieur de Poitrincourt. O Le port. P Petit ruisseau. Q François tombez morts dans l'eau pensans se sauver à la barque. R Ruisseau venant de certins marescages. S Bois par où les sauvages venoient à couvert. Quelques jours après que ces choses furent passées, il vint des sauvages trois à trois, quatre à quatre sur le bort de la mer, faisans signe que nous allassions à eux: mais nous voiyons bien leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau derrière des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien équipez & en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit. 111/259 Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de leur embuscade, où ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y mismes trois ou quatre pied à terre avec le sieur de Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la conserver & tenir preste à un besoin. Nous fusmes sur une butte & autour des bois pour voir si nous descouvririons plus à plain ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement à eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous faisoient signe qu'eussions à mener nostre chalouppe en autre lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas à propos pour leur dessein. Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir à nous, nous nous rembarquasmes & allasmes où ils nous monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient faite, taschant de nous attirer en signe d'amitié à eux, sans armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en estoit pas esloignée, à nostre jugement. Comme nostre chalouppe approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de l'embuscade aussi, après qui nous tirasmes quelques coups de mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'à nous decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous recognoissions bien quelle estoit leur volonté, qui ne tendoit qu'à mauvaise fin. Nous nous retirasmes à nostre barque après avoir fait ce qu'il nous fut possible. Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner à 112/260 nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez, à qui les playes empiroient à faute d'onguens, car nostre Chirurgien n'en avoit aporté que bien peu, qui fut grande faute à luy, & desplaisir aux malades & à nous aussi: d'autant que l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: & craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journées de l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne sçachans pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut prés de deux mois. Pour le moins nostre délibération estant prinse, nous ne nous retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laissé impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques au 41 degré & demy, qui ne fut que demy degré plus que n'avoit fait le sieur de Mons à sa descouverture. Nous partismes donc de ce port. Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre, où nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes à la voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige. Nous prismes la traverse pour aller à Norambegue, ou à l'isle Haute. Mettant le cap à l'Est Nordest fusmes deux jours sur la mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes contraincts de nous mettre à la mer, pour attendre le jour, où nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de 113/261 voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute. Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs pièces, sans sçavoir le subject. Chacun en disoit son opinion. La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantité d'isles & rochers, où le vent nous jettoit, & resolumes de nous sauver, s'il estoit possible, à la première terre que rencontrerions. Nous fusmes quelque temps au gré du vent & de la mer, avec seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit estoit obscure & ne sçavions où nous allions: car nostre barque ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit, tenant les escouttes du bourcet à la main, qui quelquefois la faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se préparer à ce qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron par derrière avec des hommes pour faire gouverner à une isle que nous apperceusmes, afin de nous mettre à l'abry du vent. On mit aussi deux autres avirons sur les costés au derrière de la barque, pour ayder à ceux qui gouvernoient, à fin de faire arriver le vaisseau d'un costé & d'autre. Ceste invention nous servit si bien que mettions le cap où desirions, & fusmes derrière la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller l'ancre à 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre gouvernail. 114/262 Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes proches des isles Rangées, tout environnés de brisans; & louasmes Dieu de nous avoir conservés si miraculeusement parmy tant de périls. Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre timon. Ce jour je fus à terre, & y vey de la glace espoisse de deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit gelé, & vy bien que la température du lieu differoit de beaucoup à celle de Malebarre & port Fortuné: car les fueilles des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tombées quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes tombées, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortuné. Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un canot où y avoit des sauvages Etechemins qui dirent à celuy que nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que Jouaniscou avec ses compagnons avoit tué quelques autres sauvages & emmené des femmes prisonnieres, & que proche des isles des Montsdeserts ils avoient fait leur exécution. Le neufiesme du mois nous partismes d'auprès du cap de Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit passage[148] de la riviere saincte Croix. [Note 148: C'est le passage de l'ouest.] Le lendemain au matin mismes nostre sauvage à terre avec quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise & satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques testes des sauvages qui avoient esté tuez au port Fortuné. 115/263 Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au Su de l'isle de Menasne. Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous traisnions derrière nostre barque y donna un si grand & si rude coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: & de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, & croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit donné, qu'elle eut enfoncé quelques planches d'embas, qui nous eut fait submerger: car le vent estoit si eslevé, que ce que pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais après avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun péril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, où à l'entrée du port Royal pensames nous perdre sur une pointe: mais Dieu nous delivra tant de ce péril que de beaucoup d'autres qu'avions courus. _Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant l'hyvernement._ CHAPITRE XVI. A Nostre arrivée l'Escarbot qui estoit demeuré en l'habitation nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient restez pour nous resjouir[149]. [Note 149: «Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute nouvelle par delà. Car sur le point que nous attendions son retour avec grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous fîmes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte, je l'ay mis avec _Les Muses de la Nouvelle-France_ souz le tiltre de THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoyé mon Lecteur. Au surplus pour honorer davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la porte de notre Fort les armes de France, environnées de couronnes de lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois) avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.» (Lescarbot, liv. IV, ch. XV.)] 116/264 Estans à terre, & ayans repris halaine chacun commença à faire de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on avoit apportées de France, qui vindrent fort bien en tous les jardins. Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin à eau à prés d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de la pointe où on avoit semé du bled. Le moulin estoit basty auprès d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui n'est point navigable pour la quantité de rochers qui y sont, laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit aussi quantité de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du bois pour aller à une petite riviere qui est comme un ruisseau, que nommasmes la truittiere[150], à cause qu'il y en avoit beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder à y faire une allée. 117/265 Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va jusques à la truittiere, & contient prés de deux mille pas, laquelle servoit pour nous pourmener à l'ombre des arbres, que j'avois laisse d'un costé & d'autre. Cela fit prendre resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au travers des bois, pour traverser droit à l'emboucheure du port Royal, où il y a prés de trois lieues & demie par terre de nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop pénible, & s'occupa à d'autres choses plus necessaires pour lors. Quelque temps après nostre arrivée, nous apperceusmes une chalouppe, où il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du lieu d'où ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tué un sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tué de ceux de Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit pour lors avec nous. [Note 150: Ce ruisseau était du côté de l'ouest de l'habitation, comme le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin était du côté de l'est.] Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle Ouagimou[151], qui avoit familiarité avec Bessabes chef de la riviere de Norembegue, à qui il demanda le corps de Panounia qui avoit esté tué: ce qu'il luy octroya, le priant de dire à ses amis qu'il estoit bien fasché de sa mort, luy asseurant que c'estoit sans son sçeu qu'il avoit esté tué, & que n'y ayant de sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya 118/266 fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amitié qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement, craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct: aussi n'y arresta il pas beaucoup après sa despeche. Il emmena le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques à nostre habitation, d'où il y a 50 lieues. [Note 151: Lescarbot écrit _Oagimont._] Aussi tost que le corps fut à terre ses parens & amis commencèrent à crier au prés de luy, s'estans peints tout le visage de noir, qui est la façon de leur dueil. Après avoir bien pleuré, ils prindrent quantité de petum, & deux ou trois chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent brusler à quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de la mer. Leurs cris continuèrent jusques à ce qu'ils fussent de retour en leur cabanne. Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, & l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict deffunct, qui m'en remercièrent bien fort. Après donc avoir emmaillotté le corps, ils le parèrent de plusieurs sortes de _matachiats_, qui sont patinostres & bracelets de diverses couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau, puis mirent le corps à genoux au milieu de deux bastons, & un autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y avoit sa mère, sa femme & autres de ses parens & amis, tant femmes que filles, qui hurloient comme chiens. 119/267 Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appelé Mabretou, faisoit une harangue à ses compagnons sur la mort du deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la meschanceté & trahison commise par les subjects de Bessabes, & leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit. Tous luy accordèrent de la faire au printemps. La harange faitte & les cris cessez, ils emportèrent le corps du deffunct en une autre cabanne. Après avoir petuné, le renveloperent dans une peau d'Eslan, & le lièrent fort bien, & le conserverent jusques à ce qu'il y eust plus grande compagnie de sauvages, de chacun desquels le frère du defunct esperoit avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner à ceux qui ont perdu leurs pères, mères, femmes, frères, ou soeurs. La nuit du 26. Décembre il fist un vent de Surest, qui abbatit plusieurs arbres. Le dernier Décembre il commença à neger, & cela dura jusqu'au lendemain matin. Le 16. janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scelée de glaces à quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit retourner pour ne pouvoir passer. Le 8 Fevrier il commença à descendre quelques glaces du haut de la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste. Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin du mois faisoit de fortes gelées blanches, qui durèrent jusques au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers le 15. 120/268 L'yver ne fut si grand que les années précédentes, ny les neges aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, sçavoir Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres. Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne chère, par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un chacun trouva utile pour la santé, & plus profitable que toutes sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit une chaine que nous mettions avec quelques petites cérémonies au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour d'aller chasser: le lendemain on la bailloit à un autre, & ainsi consecutivement: tous lesquels s'efforçoient à l'envy à qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec nous[152]. [Note 152: Lescarbot donne quelques détails de plus sur ce sujet: «Je diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut établi un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nommé L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premièrement en avant par Champlein, suivant lequel ceux d'icelle table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour, qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que nous fussions bien & honorablement traités. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les gourmans de deçà nous disent souvent que là nous n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement aussi bonne chère que nous sçaurions faire en cette rue aux Ours, & à moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son tour vint ne fût soigneux d'aller à la chasse, ou à la pêcherie, & n'apportât quelque chose de rare, outre ce qui étoit de notre ordinaire. Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car c'étoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que les Sauvages appellent _Atoctegic_) ayant fait préparer toutes choses au cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le bâton d'office en main, le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre après lui portant chacun son plat. Le même étoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et au soir avant rendre grâce à Dieu, il resignoit le collier de l'Ordre, avec un verre de vin à son successeur en la charge, & buvoient l'un à l'autre.» (Liv. IV, ch. XVI.)] 121/269 Il y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si aspre qu'elle avoit esté aux années précédentes: Neantmoins il ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche qu'il avoit receu des sauvages au port Fortuné. Nostre chirurgien appelé maistre Estienne, fit ouverture de quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans offencées, comme on avoit fait aux autres les années précédentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui guérirent au printemps. Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit à préparer les jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps, lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France est au plus un mois & demy plus advancée: & comme j'ay dit, le temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui sont semées en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres, comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gelées blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail. Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 à 7 tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un jeune homme de sainct Maslo appelé Chevalier qui apporta lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en 122/270 France[153], & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc d'Orléans [154], qui nous apporta de la resjouissance, & en fismes les feu de joye, & chantasmes le _Te deum_. [Note 153: Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres détails, qui ne manquent pas d'intérêt «Le soleil commençoit à échauffer la terre, & oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le _Sagamos Membertou_ (apres noz prières solennellement faites à Dieu, & le desjeuner distribué au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il avoit veu une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, qui venoit vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il persone qui eût si bonne veue que lui, quoy qu'il soit âgé de plus de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui en étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence apprêter la petite barque pour aller reconoitre. Champ-doré & Daniel Hay y allèrent & par le signal qu'ils nous donnèrent étans certains que c'étoient amis, incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux, pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne manquèrent à commencer la fête, & décharger leurs pièces, auxquels fut rendu le réciproque avec usure. C'étoit tant seulement une petite barque marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé Chevalier, lequel arrivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt, léquelles furent leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder à sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit encor le JONAS) s'arreteroit au port de Campseau pour y faire pêcherie de Morues, les marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y eût pêcherie plus loin que ce lieu: toutefois que s'il étoit necessaire il fit venir ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit rompue, d'autant que contre l'honnêteté & devoir les Holandois (qui ont tant d'obligations à la France) conduits par un traitre François nommé La Jeunesse, avoient l'an précèdent enlevé les Castors & autres pelleteries de la Grande Rivière de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement de la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de l'habitation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Joint qu'au Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement révoqué le privilège octroyé pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des Castors, chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer là après nous. Si nous eûmes de la joye de voir nôtre secours asseuré, nous eûmes aussi une grande tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant de travaux & de périls passez ne servissent de rien: & que l'esperance de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en allât evanouie.» (Liv. IV, ch. XVII.)] [Note 154: Il ne faut pas confondre ce duc d'Orléans, second fils de Henri IV, avec son frère Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orléans qu'après la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de Henri IV mourut, sans être nommé, à Saint-Germain-en-Laye, le 17 novembre 1611. Il était né le 16 avril de cette année 1607. (Hist. généalogique de la France, t. I, p. 146.)] Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois, s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 [155] sauvages, pour s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort de Panounia, qui fut enterré par les sauvages selon leur 123/271 coustume, lesquels donnèrent en aprés quantité de pelleterie à un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce lieu le 29 de Juin pour aller à la guerre à Chouacoet, qui est le pays des Almouchiquois. [Note 155: Environ quatre cents, d'après Lescarbot. «Au commencement de Juin,» dit-il, liv. IV, ch. XVII, «les Sauvages, au nombre d'environ quatre cens, partirent de la cabanne que le _Sagamos Membertou_ avoit façonné de nouveau en forme de ville environnée de hautes palissades, pour aller à la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé hommes exprés, qui étoient ses deux fils _Actaudin & Actauddinech_, pour leur donner là le rendez-vous.» (Liv. IV, ch. XVII.)] Quelques jours après l'arrivée dudict Chevalier, le sieur de Poitrincourt l'envoya à la riviere S. Jean & saincte Croix pour traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns avoient raporté qu'il desiroit s'en retourner en France avec le vaisseau où il estoit venu, & nous laisser en nostre habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagnèrent, lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin qu'il ayt esté, qui sont seulement 14 à 15 lieues plus avant que ledit port Royal [156]. [Note 156: «Je ne sçay, dit Lescarbot, à quel propos Champlein en la relation de ses voyages imprimés l'an mil six cens treize, s'amuse à écrire que je n'ay point été plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant là même, p. 151» (anc. édit.) «que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y a que quatorze lieues, & en la page 95» (p. 76 de cette édit.) «il avoit dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte géographique, il s'en trouvera pour le moins quarante.» (Liv. IV, ch. XVII.)--Il ne faut pas faire un crime à Lescarbot d'avoir été piqué de la remarque de Champlain; mais il est évident que la mauvaise humeur lui fait voir des contradictions là où il n'y en a point. Champlain ne dit pas précisément qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal à Sainte-Croix, mais seulement que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-delà de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut parler de la distance à Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain, dans cette phrase, reporte sa pensée sur la rivière Saint-Jean, où Chevalier se rendait directement, et qui est en effet à quatorze ou quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marquées dans les cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volonté du monde, de trouver même trente lieues de Sainte-Croix à Port-Royal. Ce qui a trompé Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de Champlain, les chiffres de ses échelles, au lieu d'être marqués au bout de chacune des divisions, sont placés au milieu de l'espace qui les sépare.] Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt fut au fonds de la baye Françoise dans une chalouppe avec 7 à 8 hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de 124/272 l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes à un cap, où le sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30 thoises de haut, où il courut fortune de sa vie: d'autant qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, où il avoit monté avec assez de difficulté, le sommet trembloit soubs luy: le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit amassé de la mousse de 4 à 5 pieds d'espois laquelle n'estant solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres: de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus grande difficulté, encore que quelques matelots, qui sont gens assez adroits à grimper, luy eussent porté une haussiere (qui est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il descendit. Ce lieu fut nommé le cap de Poitrincourt [157], qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude. [Note 157: Ce cap a été appelé depuis cap Fendu _(Cape Split)_. Sa latitude est de 45° 22'.] Nous fusmes au fonds d'icelle baye [158], & ne vismes autre chose que certaines pierres blanches à faire de la chaux: Mais en petite quantité, & force mauves, qui sont oiseaux, qui estoient dans des isles: Nous en prismes à nostre volonté, & fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, où j'avois esté auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt, qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20 lieues de circuit, où il y a au fonds une petite riviere, qui 125/273 est fort platte & peu d'eau. Il y a quantité d'autres petits ruisseaux & quelques endroits, où il y a de bons ports, mais c'est de plaine mer, où l'eau monte de cinq brasses. En l'un de ces ports [159] 3 à 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident qu'autrefois il y avoit esté des Chrestiens. Toutes ces terres sont forests tres-espoisses, où le pays n'est pas trop aggreable, sinon en quelques endroits. [Note 158: Le bassin des Mines.] [Note 159: Probablement la baie de Greville.] Estant au port aux mines nous retournasmes à nostre habitation. Dedans icelle baye y a de grands transports de marée qui portent au Surouest. Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons, luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu appelé Niganis[160], distant du port Royal de quelque 160 ou 170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que Chevalier lui avoit raporté. [Note 160: Ou Niganiche, dans l'île du Cap-Breton, à six ou sept lieues au sud du cap de Nord.] Le 3 Juillet [161] on fit équiper trois barques pour envoyer les hommes & commoditez qui estoient à nostre habitation pour aller à Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, & à 45 degrez & un tiers de latitude, où estoit le vaisseau[162] qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en France. [Note 161: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30 juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le récit de Lescarbot. Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du départ. «Sur le point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt envoya son peuple les uns après les autres trouver le navire, à Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe. Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya devant. Et le trentième de Juillet partirent les deux autres. J'étois dans la grande, conduite par Champ-doré». (Liv. IV, ch. XVIII.)] [Note 162: C'était le _Jonas_, par lequel était retourné Pont-Gravé. (Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)] 126/274 Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques bleds qui n'estoient pas bien à maturité. Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit avoir esté à Chouacoet, & avoir tué 20 sauvages & 10 ou 12 de blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre avoient esté tués par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi, lequel depuis fut tué par les compagnons d'Onemechin & Marchin. Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit esté tué à Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin. Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin, Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, sçavoir pour Sasinou, Pememen: Abriou pour Marchin son père: & pour Onemechin Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de Mabretou, qui les attrapèrent soubs apparence d'amitié, comme est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des uns que des autres. _Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de Poitrincourt & de tous ses gens._ CHAPITRE XVII. L'Onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, où 127/275 j'avois esté auparavant. Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de la Héve (où fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques à Campseau, d'où il y a prés de 60 lieues: ce que n'avois encor fait, & la vis lors fort particulièrement, & en fis la carte comme du reste. Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre, qui est une isle ainsi appelée par quelques Mallouins[163], distante de la Héve de 15 lieues. En ce chemin y a quantité d'isles qu'avions nommées les Martyres pour y avoir eu des françois autrefois tués par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes: En une desquelles y a une riviere appelée saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins, boulleaux, & autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante, comme aussi la chasse des oiseaux. [Note 163: En souvenir d'une petite île du même nom qui est en face de Saint-Malo. De Sésambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs anglais, qui ne sont pas fort dévots aux saints, l'ont appelée simplement Sambro.] De Sesambre passames une baye fort saine[164] contenant sept à huit lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau [165], & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son 128/276 entrée y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande terre. Nous avons nommé ce lieu, le port saincte Helaine [166], qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus ou moins de latitude. [Note 164: Cette baie Saine était appelée par les sauvages _Chibouctou_. C'est la baie d'Halifax.] [Note 165: C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle rivière Flatte, dans son édition de 1632.] [Note 166: Le port de Sainte-Hélène est probablement celui qu'on a appelé plus tard baie de Théodore, et dont on a fait _Jeddore_.] De ce lieu fusmes à une baye appelée la baye de toutes isles [167], qui peut contenir quelques 14 à 15 lieues: lieux qui sont dangereux à cause des bancs, basses & battures qu'il y a. Le pays est tresmauvais à voir, rempli de mesmes bois que j'ay dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps. [Note 167: Ce qu'on a appelé, et ce qu'on appelle encore baie de _Toutes-Iles_, n'est pas à proprement parler une baie. Dès les premiers temps, on désignait sous ce nom tout l'archipel qui s'étend depuis la chaîne de la rivière Théodore, jusqu'à quelques lieues en deçà de la rivière Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze à quinze lieues, comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle _baie des Iles_, ne s'étend que du havre au Castor jusqu'à celui de Liscomb; c'est-à-dire que la _baie des Iles_ d'aujourd'hui n'est pas même la moitié de la _baie de Toutes-Iles_ d'autrefois.] De là passames proche d'une riviere qui en est distante de six lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte [168], pour y en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude. [Note 168: Denys, dans sa Description de l'Amérique, t. I, p. 116, dit que la rivière de l'île Verte «a elle nommée Sainte-Marie par La Giraudière, qui s'y est venu habiter.» Près de l'entrée de cette rivière, il y a une île appelée Pierre-à-Fusil _(Wedge Island)_, qui doit avoir porté le nom d'île Verte, que l'on donne aujourd'hui à une autre île, située à l'entrée du port Sandwich ou _Country harbour_; et une des raisons qui viennent à l'appui de cet avancé, c'est l'expression dont se sert ici Champlain, _pour y en avoir une en son entrée_. En effet cette île est seule à l'entrée de la rivière de Sainte-Marie; tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui île Verte ou _Green island_, est la plus petite des trois qui sont situées à l'entrée du «cul-de-sac» dont parle l'auteur un peu plus loin.] 129/277 De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac [169], & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rangées[170], distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après passames par une autre baye [171], où il y a plusieurs isles, & fusmes jusque à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de la terre, distantes des isles rangées quatre 130/278 lieues, & nommasmes [172] ce lieu le port de Savalette, qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit Basque, lequel nous fit bonne chère, & fut tres-aise de nous voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes. [Note 169: Ce cul-de-sac, à l'entrée duquel il y a trois îles, était appelé autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de Country harbour. Le cap qui ferme le port du côté de l'ouest a seul retenu le nom ancien.] [Note 170: Ces îles sont près de la terre ferme, à l'est de l'entrée de la rivière Sainte-Catherine.] [Note 171: Cette baie est évidemment celle qui porte maintenant le nom de _Tor bay_.] [Note 172: Quand l'auteur emploie cette expression _nommâmes_, il veut dire simplement que le nom a été donné ou suggéré par quelqu'un de la troupe. Cette fois ce fut à Lescarbot. «Nous arrivâmes, dit-il, à quatre lieues de Campseau, à un Port où faisoit sa pêcherie un bon vieillart de Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charte géographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage étoit le quarante-deuxième qu'il faisoit pardela, & toutefois les Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il étoit merveilleusement content de sa pêcherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour cinquante écus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il avoit seze hommes à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit quelquefois inquiété des Sauvages là cabannez, léquelz trop privément & impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz vouloient. Et pour éviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cela les intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des Merlus, Bars, & Flétans qui vaudroient ici à Paris quatre écus, ou plus. Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été difficile de les empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eût toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or l'honnêteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais aussi envers tous les nôtres qui passerent à son Port, car c'étoit le passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, & se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon homme: chose que j'ouy fort à regret.» Plusieurs raisons nous font croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui _White haven_. Il est à environ quatre lieues des îles Rangées, et à six de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que Lescarbot le met à quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans son récit, ne vient confirmer son avancé: tandis que notre auteur marque séparément la distance du port de Savalette aux îles Rangées et à Canseau, et que ces deux distances réunies donnent exactement le nombre de lieues qu'il y a des îles Rangées à Canseau. De plus, à l'entrée de ce port, il y a plusieurs îles _qui sont un peu éloignées de la terre_; et, dans le port même, certains noms que l'on y retrouve, semblent rappeler la mémoire du vieux voyageur basque, comme l'île du Pêcheur, la pointe au Pilote.] Partant de ce lieu arrivasmes à Campseau le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, ou passames par quantité d'isles jusques audit Campseau, où trouvasmes les trois barques arrivées à port de salut. Champdoré & l'Escarbot vindrent audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le vaisseau prest à faire voile qui avoit fait sa pesche, & n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, où il y avoit telle quantité de framboises qu'il ne se peut dire plus. Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu sont terres médiocrement hautes, & costes de rochers, en la pluspart des endroits bordées de nombres d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux: Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant prés de six à sept mois. 131/279 Ce port de Campseau [173] est un lieu entre des isles qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de poisson vert & sec. [Note 173: Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais écrivent _Canso_, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e édition). Le P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), après avoir mentionné Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: «Thévet, dans un manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur français nommé «Canse.» Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot de la Cosmographie Universelle de Thévet. Or, en cet endroit l'auteur parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'écrit pas Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: «Quant à l'isle de Virgengorde & celle de Ricque» (Porto-Rico), «basse & sablonneuse, il vous faut tirer à celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux droit à la poincte de la Gouade» (del Aguada) «qui est au bout de l'isle» (de Porto-Rico), «puis à celle de Mona, premièrement que venir aborder & mouiller l'ancre à l'isle Espagnole. Passé qu'avez, & doublé la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine villette, nommée Cause» (Cozes), «en Xainctonge, une lieue de maison de Madion.» (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Thévet ne parle donc point de Canseau, dans ce passage, et son témoignage n'infirme en rien celui de Lescarbot.] De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton qui est par la hauteur de 45 degrez trois quars[174] de latitude & 14 degrez 50 minuttes[175] de declinaison de l'aimant y a huit lieues, & jusques au cap Breton 25, où entre les deux y a une grande baye [176] qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va rendre en la grand baye sainct Laurens, par où on va à Gaspé & isle parcée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des grands courans & transports de marée qui y sont: & avons nommé ce lieu le passage courant [177], qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude. [Note 174: L'extrémité la plus méridionale de l'île du Cap-Breton est à 45° 34', et la latitude du cap Breton lui-même est de 45° 57' environ.] [Note 175: Il est assez probable qu'il faut lire 24° 50'. Aujourd'hui la variation de l'aiguille au cap Breton est de prés de 24° de déclinaison occidentale.] [Note 176: La baie de Chédabouctou, que l'on a appelée quelque temps baie de Milford.] [Note 177: Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et aujourd'hui on l'appelle passage ou détroit de Canseau.] 132/280 Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au milieu d'icelle y a une manière de lac[178], où la mer entre par le costé du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest [179]: & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux ports, où l'on fait pesche de poisson: sçavoir le port aux Anglois[180], distant du cap Breton quelque 2 à 3 lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest. Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y passèrent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur habitation. [Note 178: Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage était Bideauboch, d'après Bellin.] [Note 179: L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du côté du sud-est. On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du côté de l'est par la Grande et la Petite Entrées.] [Note 180: Le port de Louisbourg.] Le 3 Septembre partismes de Campseau [181]. [Note 181: «Nous levâmes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit _Campseau_. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on laissa à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que seches que vertes. Nous eûmes assez bon vent jusques à ce que nous approchâmes les terres de l'Europe.» (Liv. IV, ch. XVIII.)] Le 4 estions le travers de l'isle de Sable. Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude. Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne & Angleterre, à 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez & demy de latitude. 133/281 Et le 28, relachasmes à Roscou[182] en basse Bretagne, ou fusmes contrariés du mauvais temps jusqu'au dernier de Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes à la mer pour parachever nostre routte jusques à sainct Maslo[183], qui fut la fin de ces voyages [184], où Dieu nous conduit sans naufrage ny péril. [Note 182: «Nous demeurâmes» à Roscou, dit Lescarbot, «deux jours & demi à nous rafraîchir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez étonné de voir les batimens, clochers & moulins à vent de France: même les femmes qu'il n'avoit onques veu vêtues à notre mode.»] [Note 183: «En quoy je ne puis que je ne loue,» ajoute Lescarbot, «la prévoyante vigilance de notre maître de navire Nicolas Martin, de nous avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant d'écueils & capharées rochers dont est remplie la cote d'entre le cap d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.»] [Note 184: Le vaisseau de Chevalier, qui était de Saint-Malo, était rendu à sa destination. Champlain dut prendre de là le chemin de la Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y demeurèrent encore quelques jours, pendant lesquels ils visitèrent le Mont-Saint-Michel et les pêcheries de Cancale; puis ils se mirent dans une barque qui les conduisit à Honfleur. «En cette navigation,» dit Lescarbot, «nous servit beaucoup l'expérience du sieur de Poutrincourt, lequel voyant que nos conducteurs étoient au bout de leur latin, quand il se virent entre les iles de Jersey & Sart» (Serck) «... il print sa Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de manière que nous passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) & vinmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur.» (Liv. IV, ch. XVIII.)] _Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608._ 135/283 [Illustration: Frise.] LES VOYAGES FAITS AV GRAND FLEUVE SAINCT LAURENS PAR LE sieur de Champlain Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, depuis l'année 1608. jusques en 1612. LIVRE SECOND. _Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des Basques qui désarmèrent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accort qu'ils firent après entre eux._ CHAPITRE I. Estant de retour en France après avoir sejourné trois ans au pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons, auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan des costes & ports les plus remarquables qui y soient. Quelque temps après ledit sieur de Mons se delibera de continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les terres par le grand fleuve S. Laurens, où j'avois esté par le commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque 136/284 180 lieues, commençant par la hauteur 48 degrez deux tiers de latitude, qui est Gaspé entrée dudit fleuve jusques au grand saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes de latitude, où finist nostre descouverture, & où les batteaux ne pouvoient passer à nostre jugement pour lors: d'autant que nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons fait. Or après que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust discouru de son intention touchant les descouvertures, print resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le passé. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour cest effect fit equipper deux vaisseaux, où en l'un commandoit du Pont-gravé, qui estoit député pour les negotiations, avec les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy pour hyverner audict pays. Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres de sa Majesté pour un an, où il estoit interdict à toutes personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages, sur les peines portées par la commission qui ensuit. «HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, _A nos amez & féaux Conseillers, les officiers de nostre Admirauté de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & à chacun d'eux endroict soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions & destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a esté donné par ceux qui sont venus de la nouvelle France, de la bonté, fertilité des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez à recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire continuer l'habitation qui avoit esté cy devant commencée audit pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit pays, nous aurait proposée de faire ladite habitation, en luy 137/285 donnant quelque moyen & commodité d'en supporter la despence: Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne serait permis à aucuns de nos subjects qu'à luy de trafficquer de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an seulement, és terres, pays, ports, rivieres & advenues de l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour ces causes & autres considerations, à ce nous mouvans, vous mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, à faire de nostre part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions & deffences à tous marchands, maistres & Capitaines de navires, matelots, & autres nos subjects, de quelque qualité & condition qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fréquenter, negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, à peine de desobeyssance, de confiscation entière de leurs vaisseaux, vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts & pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appréhender, & arrester tous les contrevenans à nostre présente deffence & ordonnance, & leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles, pour les amener y remettre és mains de la Justice, & estre procedé, tant contre les personnes que contre les biens des desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, & vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions, où vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie d'icelles, deuement collationnées pour une fois seulement, par l'un de nos amez & féaux Conseillers, Notaires & Secrétaires, ausquelles voulons foy estre adjoustée comme au present original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en prétendent cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce à nostre volonté. Mandons en outre à tous Capitaines de navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays, de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, & autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits vaisseaux qui auront traicté de laditte Pelleterie, aprés que les presentes deffences leur auront esté signifiées. Nous voulons qu'à la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans, & autres ayans charge, vous procédiez contre les desobeyssans & contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous donnons pouvoir, authorité, commission, & mandement special, nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet dernier, clameur de haro, chartre normande, prise à-partie, oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, & sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differé, & dont si aucune interviennent, nous en avons retenu & reservé à nous & à nostre Conseil la cognoissance, privativement à tous autres juges, & icelle interdite & défendue à toutes nos Cours & Juges: Car tel est nostre plaisir. Donné a Paris le septiesme jour de Janvier l'an de grâce, mil six cents huict. Et de nostre règne le dix-neufiesme. Signé, HENRY. Et plus bas. Par le Roy, Delomenie. Et seellé sur simple queue du grand seel de cire jaulne,_ Collationné à l'original par moy Conseiller, Notaire & Secrétaire du Roy.» 138/286 Je fus à Honnefleur pour m'embarquer, où je trouvay le vaisseau de Pontgravé prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le 13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de 45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois quarts [185] de latitude, tenant à l'isle de terreneufve. Le 27 du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant à la terre du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle percée, & de Gaspé qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 à 75 lieues. [Note 185: 46° 51'.] Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac[186], distant de Gaspé 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre à la radde du port [187] de Tadoussac, qui est à une lieue du port, lequel est comme une ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort estrange pour sa vistesse, où quelquesfois il vient des vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer. [Note 186: Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunté presque mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.] [Note 187: La rade du port de Tadoussac est le mouillage du Moulin-Baude.] 139/287 Le reste sont montaignes hautes eslevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins & bouleaux[188]. Il y a un petit estanc proche du port renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée y a deux pointes l'une du costé du Surouest, contenant prés d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux Allouettes, & l'autre du costé du Nordouest contenant demy quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les Diables[189], pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su Suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre: mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le port pour n'avoir le vent & marée propre. Je fis aussitost mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir si Pont-gravé estoit arrivé. Comme j'estois en chemin, je rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-gravé & un Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit obtenue de sa majesté, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit porté par icelle. [Note 188: L'auteur avait dit, en 1603, «pins, cyprez, sapins & quelques manières d'arbres de peu.» Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait cyprès n'en était pas réellement.] [Note 189: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la page 6.] Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-gravé de la part de sa Majesté, ils ne laissoient de traicter la 140/288 force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer touts leurs canons sur celuy de Pont-gravé, & tirant force coups de mousquets, il fut fort blessé, & trois des siens, dont il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune resistance: Car dés la première salve de mousquets qu'ils tirèrent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent à bort du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du Roy, & que quand ils seroient prés de partir pour aller en France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce qu'ils en faisoient estoit pour estre en seureté. Entendant toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez. Or après avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il me dit qu'il venoit à moy de la part de leur maistre appelé Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau seroit dans le port. Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la pesche de balene. 141/289 Après avoir assez parlé je fus à terre voir le Pont pour prendre délibération de ce qu'aurions affaire, & le trouvay fort mal. Il me conta particulièrement tout ce qui s'estoit passé. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette année, de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit leur donner asseurance de ma part tant que je serois là & que le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en France la justice se feroit & vuideroit le différent qu'ils avoient entr'eux. Darache maistre du vaisseau me pria d'aller à son bort, où il me fit bonne réception. Après plusieurs discours je fis l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il n'entreprendroit aucune chose sur Pont-gravé ny au prejudice du Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accordé & signé d'un chacun. En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre vaisseau avec leurs canots[190], qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects à tourner si on ne les sçay bien gouverner, & sont faicts d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez: & sont si 142/290 légers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac ils sont tous semblables. [Note 190: Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunté au Voyage de 1603, p. 9 et 10.] _De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent abborder. De l'isle d'Orléans; & de tout ce que nous y avons remarqué de singulier._ CHAPITRE II. Aprés cest accord fait, je fis mettre des charpentiers à accommoder une petite barque du port de 12 à 14 tonneaux, pour porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de Juin. Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur incroyable, comme 150 & 200 brasses[191]. A quelque cinquante lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand saut d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & 143/291 un quart en son entrée, où il y a un courant si grand qu'il est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un costé que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabités d'animaux & oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent en esté, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest[192]. [Note 191: L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur; les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi corrige-t-il cette erreur dans sa dernière édition.] [Note 192: Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont rapporté les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques corrections.] Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant passé le premier saut ils en passent huit autres, puis vont une journée sans en trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac, où ils font trois journées [193], & en chacune ils peuvent faire à leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du Nord [194], fort proche de la mer, qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les 144/292 autres deux[195] d'autres costes par dedans les terres, où il y a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu où nos sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres, qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils voient la mer salée[196]; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 à 50[197] journées à cause de la difficulté des chemins, rivieres & pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay desiré souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par où l'on tient que les Anglois ont esté en ces dernières années pour trouver le chemin de la Chine. [Note 193: Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit «où ils sont deux jours à rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire à leur aise quelques douze à quinze lieues»; ce qui était moins près de la réalité. Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est à remarquer que, si les sauvages mettent deux ou trois jours à le passer, c'est parce qu'ils ne se hasardent guère à le traverser, et qu'ils en font à moitié le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivières dont l'auteur parle un peu plus loin.] [Note 194: La rivière Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appelée aussi rivière des Sables.] [Note 195: Ces deux autres rivières sont: le Chomouchouan (_Achouabmoussouan_, guet à l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le Péribauca (rivière Percée), qui vient du nord-est.] [Note 196: La baie d'Hudson. Elle fut découverte en 1610 par Henry Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y périt misérablement l'année suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et _Belknap's Biog._ I, 394-407.] [Note 197: Voir 1603, note 3 de la page 21.] 292a [Illustration: R du Saguenay] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay. B Le port de Tadoussac. C Petit ruisseau d'eau douce. D Le lieu où cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte. E Manière d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay. F (1) La pointe de tous les Diables. G La riviere du Saguenay. H La pointe aux allouettes (2). I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux. L Le moulin Bode. M La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la marée. N Petit estang proche du port. O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay. P Place sur la pointe sans arbres, où il y a quantité d'herbages. (1) _f_, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux Vaches.--(2) La lettre H est placée plutôt sur la batture que sur la pointe aux Alouettes. Je party de Tadoussac le dernier du mois [198] pour aller à Quebecq, & passames prés d'une isle qui s'apelle l'isle aux 145/293 lievres, distante de six lieues dudict port, & est à deux lieues de la terre du Nort, & à prés de 4 lieues [199] de la terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes à une petite riviere, qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons[200], à cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du Nort nous fusmes à une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin [201], distant de la riviere aux Saulmons 3 lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle[202], distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer[203]. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies [204] & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui 146/294 l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre[205], d'autant que le travers d'icelle la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes à un cap, que nous avons nommé le cap de tourmente[206], qui en est à cinq lieues, & l'avons ainsi nommé, d'autant que pour pe qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle d'Orléans, où il y a deux lieues, en laquelle du costé du Su y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier, contenant à ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers & basses fort dangereuses à passer qui sont esloignés de quelques deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse & fort mauvaise, où il n'y a que des pins, 147/295 sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, où on ne sçauroit aller en la plus part des endroits. [Note 198: Le 30 de juin.] [Note 199: La côte du sud n'est qu'à environ 3 lieues; mais le peu d'élévation qu'elle a, comparativement à celle du nord, la fait paraître plus éloignée qu'elle n'est.] [Note 200: Suivant toutes les apparences, cette rivière aux Saumons est celle qui se jette dans le port à l'Équille, que l'on a appelé aussi port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est à trois lieues du cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivière dont la position réponde aussi bien à ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas la confondre avec le cap au Saumon.] [Note 201: Ce nom a complètement disparu. Le cap Dauphin doit être le même que le cap au Saumon. La pointe à l'Homme, sur laquelle il est situé, avance à la mer d'une manière très-remarquable.] [Note 202: Le cap aux Oies, qui est à près de deux lieues de l'île aux Coudres. Ici la tradition est évidemment en défaut: car le cap à l'Aigle d'aujourd'hui est bien à six lieues plus bas que celui auquel Champlain a donné ce nom.] [Note 203: Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la désigne, par le chiffre 4, sous le nom de rivière Platte. C'est celle de la Malbaie. (Voir la note 2 de la page suivante.)] [Note 204: Cette partie de l'île aux Coudres s'appelle encore Les Prairies, ou Côte-des-Prairies.] [Note 205: La rivière du Gouffre a gardé fidèlement son nom, malgré une erreur qui s'est glissée dans l'édition de 1632. On y a reproduit tout ce passage, en appliquant à la rivière du Gouffre une addition que l'auteur destinait évidemment à celle de la Malbaie, comme le prouve surabondamment la légende de la grande carte, où se trouvent ïndiquées séparément la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entrée de la rivière du Gouffre) et la rivière Flatte ou Malbaie.] [Note 206: Le cap Tourmente est à environ huit lieues de l'île aux Coudres. La grande hauteur des Caps fait paraître les distances beaucoup moindres.] Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du Su, distante de la grand terre une lieue & demie: & du costé du Nort demie lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie, par endroits. Du costé du Nort elle est fort plaisante pour la quantité des bois & prayries qu'il y a: mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; & à l'embucheure[207] des vignes & autres bois comme nous avons en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, où il y a de son entrée 120.[208] Au bout de l'isle y a un torent d'eau[209] du costé du Nort, qui vient d'un lac[210] qui est quelque dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a prés de 25 thoises[211] de haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui paroissent de 15 à 20 lieues. [Note 207: Ou _embuchure_. Ce mot, qui ne paraît pas avoir été fort en usage, doit signifier ici entrée du bois, et la phrase revient à celle-ci: «et, _à l'entrée du bois_, (il y a) des vignes, et autres bois comme en France.» Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre ordinairement le long des rivières ou à l'entrée des bois.] [Note 208: Cent vingt lieues.] [Note 209: Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Québec, l'auteur l'indique, à la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans l'édition de 1632, il ajoute ces mots, «que j'ay nommé le sault de Montmorency.» Il est assez probable que ce fut à ce voyage de 1608 que Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, à qui il avait dédié son Voyage de 1603.] [Note 210: Le lac des Neiges.] [Note 211: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.] 148/296 _Arrivée à Quebecq, où nous fismes nos logemens, sa situation. Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa en cet affaire._ CHAPITRE III. De l'isle d'Orléans jusques à Quebecq, y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet: où estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appellé des sauvages[212], laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost j'emploiay une partie de nos ouvriers à les abbatre pour y faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre à aller quérir nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun, & le soin que j'en eu. [Note 212: Par ces mots «ainsi appelé des Sauvages» l'auteur veut dire, suivant nous, que le mot _Québec_ est sauvage, et c'est ainsi que Lescarbot l'a compris. Dans les différents dialectes de la langue algonquine, le mot _kebec_ ou _kepac_ signifie rétrécissement. «_Kébec_, en micmac,» dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette langue (M. Bellanger), «veut dire _rétrécissement des eaux_ formé par deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers temps que j'étais dans les missions, je descendais de Riscigouche à Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot répétant souvent le mot kebec, je leur demandai s'ils se préparaient à aller bientôt à Québec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui est resserrée en dedans: on appelle cela _kébec_ en notre langue.» (Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Québec, où est maintenant l'église de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable par suite de la disparution du Cul-de-Sac, à la place duquel on a fait le marché Champlain.] 296a [Illustration: Quebec] _Les chifres montrent les brasses d'eau._ A Le lieu où l'habitation est bastie (1). B Terre deffrichée où l'on seme du bled & autres grains (2). C Les jardinages (3). D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4). E Riviere (5) où hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma saincte Croix, que l'on a transféré à 15 lieues audessus de Québec. F Ruisseau des marais (6). G Le lieu où l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit mené (7). H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut dans la riviere (8). I Bout de l'isle d'Orléans. L Pointe fort estroite (9) du costé de l'orient de Quebecq. M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains. N La grande riviere S. Laurens. O Lac de la riviere bruyante. P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nommé la nouvelle Bisquaye. Q Lac du grand saut de Montmorency (10). R Ruisseau de lours (11). S Ruisseau du Gendre (12). T Prairies qui sont inondées des eaux à toutes les marées. V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere. X Ruiseau courant, propre à faire toutes sortes de moulins. Y Coste de gravier, où il se trouve quantité de diamants un peu meilleurs que ceux d'Alanson. Z La pointe aux diamants. 9 (14) Lieux où souvent cabannent les sauvages. (1)C'est là proprement la pointe de Québec, qui comprenait l'espace renfermé aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le fleuve.--(2)Ce premier défrichement a dû être ce qu'on a appelé plus tard _l'Esplanade du fort_, ou la _Grand-Place_, ou peut-être l'un et l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'était l'espace compris entre la Côte de la basse ville et la rue du Fort.--(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la côte du Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que dès lors le cimetière était où on le trouve quelques années après mentionné pour la première fois.--(4)D'après les anciens plans de Québec, ces marécages auraient été à l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de la Citadelle. Le ruisseau venait passer à l'est du terrain des Ursulines et des Jésuites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'à la clôture de l'Hôtel-Dieu, à l'est de laquelle il se jetait en bas du côteau vers le pied de la côte de la Canoterie.--(5)La rivière Saint-Charles. La lettre E n'indique pas précisément le lieu où hiverna Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivière (voir p. 156).--(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extrémité ouest du Parc.--(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui paraît avoir été quelque part sur l'allée du Mont-Carmel.--(8)Le saut Montmorency a 40 brasses de haut, ou 240 pieds français, et même davantage.--(9)On voit qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain l'appelle cap de Lévis: on peut donc conclure que cette pointe tire son nom de celui du duc de Ventadour, Henri de Lévis, et qu'elle dut être ainsi appelée entre les années 1625 et 1627, époque où il fut vice-roi.--(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la rivière du Saut.--(11)La rivière de Beauport, qu'on appelle aussi la Distillerie.--(12)Appelé plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers, rivière Chalifour, et enfin rivière des Fous, à cause du nouvel asile des Aliénés, sur l'emplacement duquel il passe aujourd'hui.--(13)Élévation où est maintenant le bastion du Roi à la Citadelle. Ce nom lui fut donné sans doute en souvenir de M. de Monts, Pierre du Gas.--(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement à la pointe du cap Diamant, mais encore le long de la côte de Beauport et au bout de l'île d'Orléans. Quelques jours après que je fus audit Quebecq, il y eut un 149/297 serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort, le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols[213], qui estoient pour lors à Tadoussac, où vaisseaux ne peuvent passer plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs & rochers qu'il y a en chemin [214]. [Note 213: Lescarbot prétend encore ici trouver Champlain en défaut, parce que «les conspirateurs (qui dévoient exécuter leur entreprise dans quatre jours) avoient proposé de livrer la place aux Hespagnols, laquelle toutefois n'étoit à peine commencée à bâtir.» (Liv. V, ch. II.) Il suffit de considérer les différentes circonstances du récit de Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le complot fut formé, il n'était point question de livrer aux Espagnols un fort déjà construit, puisque Duval «les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France,» comme le déposent les témoins (voir ci-après, p. 154). Le complot consistait donc à choisir le moment opportun pour s'emparer de tout, que le fort fût achevé ou non. Or, comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjurés n'eussent pu venir à bout de leur dessein une fois les barques arrivées de Tadoussac.] [Note 214: Dans un temps où l'on n'avait encore pu faire que des observations incomplètes, c'eût été une vraie imprudence que de risquer à monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours même, avec des études spéciales, avec le secours des cartes marines si exactes de l'Amirauté, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant pas dégénéré de leurs ancêtres, regardent encore la Traverse comme la partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I, partie II, ch. XI.)] Pour exécuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi faire sa fortune, il suborna quatre[215] de ceux qu'il croyoit estre des plus mauvais garçons, leur faisant entendre mille faulcetez & esperances d'acquérir du bien. [Note 215: «Champlain racontant ce fait,» dit Lescarbot, «se met au nombre des juges & dit que du Val en débaucha quatre, comme ainsi soit que par son discours il ne s'en trouve que trois.» (Liv. V, ch. II.) Si Champlain, après avoir affirmé que Duval en avait débauché quatre, disait ensuite qu'il n'en débaucha que trois la contradiction sauterait aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en débaucha quatre, ce qui faisait cinq conjurés; mais, de ces cinq, il n'en restait plus que quatre, dès que Champlain eut accordé le pardon à Natel; c'est-à-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur procès, et qui furent condamnés.] Après que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent chacun de faire en sorte que d'attirer le reste à leur devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes 150/298 compagnons, en qui ils sçavoient que je me fiois, estoient dedans les barques pour avoir esgard à conserver les vivres & commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre habitation. Enfin ils sceurent si bien faire leurs menées avec ceux qui restoient, qu'ils devoient les attirer tous à leur devotion, & mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils n'eussent sceu accomplir. Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le Diable leur bandant à tous les yeux: & leur ostant la raison & toute la difficulté qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de me prendre à despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, & que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignardé: & dans quatre jours ils devoient exécuter leur entreprise, devant que nos barques fussent arrivées: car autrement ils n'eussent peu venir à bout de leur dessin. Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, où estoit nostre pilotte appelé le Capitaine Testu, homme fort discret. Après que la barque fut deschargée & preste à s'en retourner à Tadoussac, il vint à luy un serrurier appelé Natel, compagnon de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit 151/299 promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect il n'en desiroit l'exécution, & qu'il n'osoit s'en déclarer, & ce qui l'en avoit empesché, estoit la crainte qu'il avoit qu'il ne le poignardassent. Après qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne rien déclarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous pardonnera & à d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit parler à moy en lieu secret, où il n'y eust que nous deux. Je luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, où il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit. Il me pria de pardonner à celuy qui luy avoit déclaré: ce que je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser à moy. Il croignoit dit-il qu'eussiez entré en cholere, & que l'eussiez offencé. Je luy dis que je sçavois mieux me gouverner que cela en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il 152/300 y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust point de peur & qu'il estoit en lieu de seureté, & que je luy pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu qu'il dist entièrement la vérité de toutes chose, & le subjet qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient plus aller en France, & me conta le surplus de leur entreprinse. Après l'avoir entendu & interrogé, je luy dis qu'il s'en allast à ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist: approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & après donnay deux bouteilles de vin à un jeune homme, & qu'il dit à ces quatre galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de present que ses amis de Tadoussac luy avoient donné & qu'il leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne réfuserent, & furent sur le soir en la Barque, où il leur devoit donner la collation: je ne tarday pas beaucoup après à y aller, & les fis prendre & arrester attendant le lendemain. Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur pardonnay à tous, pourveu qu'ils me disent la vérité de tout ce qui s'estoit passé, ce qu'ils firent, & après les fis retirer. Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes après les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau, lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises à ce qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour 153/301 la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu, comme ils déposerent. Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de la cedition, une pour nostre Chirurgien appelé Bonnerme, une pour un autre appelé la Taille que les quatre ceditieux avoient chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de leur donner liberté. Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants à Tadoussac, & priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que je n'avois encores lieu de seureté pour les mettre, & qu'estions empeschez à édifier nos logemens, & aussi pour prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce qu'aurions à faire là dessus. Nous advisames qu'après qu'il auroit fait ses affaires à Tadoussac, il s'en viendroit à Ouebecq avec les prisonniers, où les ferions confronter devant leurs tesmoins: & après les avoir ouis, ordonner que la justice en fut faite selon le délict qu'ils auroient commis. Je m'en retournay le lendemain à Quebecq pour faire diligence de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui avoient esté abandonnez de tous ces belistres, qui n'espargnoient rien, sans considerer où ils en pourroient trouver d'autres quand ceux là manqueroient: car je n'y pouvois donner remède que le magazin ne fut fait & fermé. Le Pont-gravé arriva quelque temps après moy, avec les prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui 154/302 restoient, craignant que je leur eusse pardonné, & qu'ils n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir déclaré leur mauvais dessin. Nous les fismes confronter les uns aux autres, où ils leur maintindrent tout ce qu'ils avoient déclaré dans leur dépositions, sans que les prisonniers leur deniassent le contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & mérité punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits à telle trahison, dés qu'ils partirent de France. Ledit du Val ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le contenu és informations estoit véritable, & qu'on eust pitié de luy, & des autres qui avoient adhéré à ses pernicieuses vollontez. Après que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes ouy leurs dépositions & confrontations, Nous advisames que ce seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple à ceux qui restoient, de se comporter sagement à l'advenir en leur devoir, & afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantité au pays n'en fissent trophée: & les trois autres condamnez d'estre pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence, tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estranglé audit Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plantée au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois renvoyez en France. 155/303 _Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement & du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535._ CHAPITRE IV. Aprés que toutes ces choses furent passées le Pont partit de Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se comporta sagement en son devoir. Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de logis à deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long & deux & demie de large. Le magazin[216] six & trois de large, avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage, qui estoit fort commode, avec des fossés de 15 pieds de large & six de profond: & au dehors des fossés, je fis plusieurs pointes d'esperons[217] qui enfermoient une partie du logement, 156/304 là où nous mismes nos pièces de canon: & devant le bastiment y a une place [218] de quatre thoises de large, & six ou sept de long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y a des jardins qui sont très-bons, & une place de costé de Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50 ou 60 de large [219]. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite riviere [220] qui vient dedans les terres d'un lac distant de nostre habitation de six à sept lieues. Je tiens que dans cette riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yverna, d'autant qu'il y a encores à une lieue [221] dans la riviere des vestiges comme d'une cheminée, dont on a trouvé le fondement, & apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pièces de bois escarrées, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon. Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a esté une 157/305 habitation, laquelle a esté fondée par des Chrestiens: & ce qui me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne se trouve point qu'aucun aye yverné ny basty en ces lieux que ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, & failloit, à mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix, comme il l'avoit nommé, que l'on a transféré depuis à un autre lieu qui est 15 lieues de nostre habitation à l'Ouest, & n'y a pas d'apparence qu'il eust yverné en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux, si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parlé cy dessus, où de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers & un banc à son entrée: Car de tenir des vaisseaux dans la grande riviere, où il y a de grands courans, marées & glaces qui charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouvé depuis trois ans un partage [222] qui n'avoit point encore esté descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps, à cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est à descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forcé de demeurer, 158/306 J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques Quartier[223]: ce que je ne croy pas pour les raisons cy dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours pour le laisser à la posterité comme il l'a fait de tout ce qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est véritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a escrite. [Note 216: Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Québec était situé à angle droit avec les longs pans de l'église de la basse ville, à peu près à l'endroit où est la chapelle latérale, et, comme ce terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'à ce qu'on y bâtit, l'église, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du côté du sud-ouest, était l'alignement du mur auquel est adossé le maître-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.] [Note 217: Les deux corps de logis les plus rapprochés du fleuve devaient faire entre eux un angle correspondant à celui que fait, un peu plus en arrière, la rue Notre-Dame; par conséquent les deux pointes d'éperons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement, enfermaient quelque peu l'habitation de ce côté. Cependant il semble que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une des faces de l'enceinte au-delà de l'angle oriental de l'habitation; ce qui autorise à croire qu'il y avait une troisième pointe d'éperon du côté du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce côté était plus exposé à une attaque.] [Note 218: Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue Saint-Pierre, dont la direction s'est trouvée déterminée sans doute par la position du corps de logis qui était le plus à l'est, comme semble l'indiquer le dessin que nous en a conservé l'auteur.] [Note 219: La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la bordent du côté du Nord, forment en effet une profondeur d'une cinquantaine de pas.] [Note 220: Cette _Petite Rivière_ (car les habitants de Québec l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'à environ quatre lieues de Québec. Les Montagnais, au rapport du Frère Sagard, l'appelaient _Cabirecoubat_, «à raison, dit-il, qu'elle tourne et fait plusieurs pointes.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les Récollets lui imposèrent le nom qu'elle porte généralement aujourd'hui, et l'appelèrent rivière Saint-Charles, en mémoire du grand vicaire de Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. établiss. de la foi, vol I, p. 157.)] [Note 221: Suivant l'auteur lui-même (édit. 1632, liv. I, ch. II), Jacques Cartier hiverna à l'endroit où les PP. Jésuites fixèrent leur demeure, «Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les Jésuites bâtirent leur première maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, à la pointe formée par les rivières Saint-Charles et Lairet. C'est donc à l'embouchure de la rivière Lairet, et vis-à-vis la pointe aux Lièvres, que furent placés pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.» Il est vrai que l'embouchure de la rivière Lairet n'est qu'à environ une demi-lieue dans la Petite-Rivière; mais il est probable que Champlain compte la distance depuis _l'habitation_.] [Note 222: Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de faire, dans un courant aussi rapide, des observations régulières et des sondages suivis.] [Note 223: Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, un siècle plus tard, Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de Cartier, soutienne encore une opinion si dénuée de vraisemblance. (Voir Hist. gén. de la Nouv. France, liv I.)] 303a [Illustration: Abitation de Quebecq] A Le magazin. B Colombier. C Corps de logis où sont nos armes, & pour loger les ouvriers. D Autre corps de logis pour les ouvriers. E Cadran. F Autre corps de logis où est la forge, & artisans logés. G Galleries tout au tour des logemens. H Logis du sieur de Champlain. I La porte de l'habitation, où il y a pont-levis. L Promenoir autour de l'habitation contenant 10 pieds de large jusques sur le bort du fossé. M Fossés tout autour de l'habitation. N Plattes formes, en façon de tenailles pour mettre le canon. O Jardin du sieur de Champlain. P La cuisine. Q Place devant l'habitation sur le bort de la riviere. R La grande riviere de sainct Lorens. Et pour monstrer encore que ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix n'est le lieu où yverna Jaques Quartier, comme la pluspart estiment, voicy ce qu'il en dit en des descouvertures, extrait de son histoire, asçavoir, Qu'il arriva à l'isle aux Coudres le 5 Decembre[224] en l'an 1535. qu'il appella de ce nom pour y en avoir, auquel lieu y a grand courant de marée, & dit qu'elle contient 3 lieues de long, mais quand on contera lieue & demie c'est beaucoup [225]. [Note 224: Le 6 septembre. (Voir le second Voyage de Cartier.)] [Note 225: L'île aux Coudres a deux lieues de long, et une lieue de large.] Et le 7 du mois jour de nostre dame [226], il partit d'icelle pour aller à mont le fleuve, où il vit 14 isles distantes de l'isle aux Coudres de 7 à 8 lieues du Su. En ce compte il s'esgare un peu, car il n'y en a pas plus de trois [227]: & dit que le lieu où sont les isles susd. est le commencement de la 159/307 terre ou province de Canada, & qu'il arriva à une isle de 10 lieues de long & cinq de large, où il se fait grande pescherie de poisson, comme de fait elle est fort abondante, principalement en Esturgeon: mais de ce qui est de sa longueur elle n'a pas plus de six lieues & deux de large, chose maintenant assez cogneue. Il dit aussi qu'il mouilla l'ancre entre icelle isle & la terre du Nort, qui est le plus petit passage & dangereux, & là mit deux sauvages à terre qu'il avoit amenez en France, & qu'après avoir arresté en ce lieu quelque temps avec les peuples du pays il fit admener ses barques, & passa outre à mont ledict fleuve avec le flot pour cercher havre & lieu de seureté pour mettre les navires, & qu'ils furent outre le fleuve costoyant ladite isle contenant 10 lieues comme il met, où au bout ils trouverent un affour d'eau fort beau & plaisant, auquel y a une petite riviere & havre de barre, qu'ils trouverent fort propre pour mettre leurs vaisseaux à couvert, & le nommèrent saincte Croix [228], pour y estre arrivez ce jour là lequel lieu s'appeloit au temps, & voyage dudit Quartier Stadaca[229], que maintenant nous appelons Quebecq, & qu'après qu'il eust recogneu ce lieu, il retourna quérir ses vaisseaux pour y yverner. [Note 226: Champlain cite ici fidèlement; mais le 7 de septembre était, comme aujourd'hui, la veille, et non le jour, de la Nativité de Notre-Dame. Aussi Ramusio met-il: _la vigilia della Madona_; et Hakluyt: _being our Ladies even_.] [Note 227: L'auteur eût mieux fait, ce semble, de ne pas reprendre ici le capitaine malouin, qui, au fond, est plus exact que lui. Il est bien vrai que ces quatorze îles sont environ trois lieues plus haut, dans le fleuve, que ne l'est l'île aux Coudres; mais celle-ci est très-rapprochée de la côte du nord; tandis que les autres sont du côté du sud. En sorte que, de l'île aux Coudres au point le plus rapproché de l'île aux Oies, il n'y a guère moins de cinq lieues; et même, pour entrer dans cet archipel, qui ne commence sensiblement qu'au haut de l'île aux Grues, il faut faire pour le moins sept ou huit lieues en ligne droite.] [Note 228: Voir la note 3 de la page 156.] [Note 229: Stadaconé (Second Voyage de Cartier).] Or est il donc à juger que de l'isle aux Coudres jusques à l'isle d'Orléans, il n'y a que 5 lieues, au bout de laquelle vers l'Occidant la riviere est fort spacieuse, & n'y a audit 160/308 affour, comme l'appelle Quartier, aucune riviere que celle qu'il nomma saincte Croix, distante de l'isle d'Orléans d'une bonne lieue, où de basse mer n'y a que demie brasse d'eau, & est fort dangereuse en son entrée pour vaisseaux, y ayant quantité d'esprons, qui sont rochers espars par cy par là, & faut balisser pour entrer dedans, où de plaine mer, comme j'ay dict, il y a 3 brasses d'eau, & aux grandes marées 4 brasses, & 4 & demie ordinairement à plain flot, & n'est qu'à 1500 pas de nostre habitation, qui est plus à mont dans ladite riviere, & n'y a autre riviere, comme j'ay dit, depuis le lieu que maintenant on appelle saincte Croix, où on puisse mettre aucuns vaisseaux: Ce ne sont que de petits ruisseaux. Les costes son plattes & dangereuses, dont Quartier ne fait aucune mention que jusques à ce qu'il partit du lieu de saincte Croix appelé maintenant Quebecq, où il laissa ses vaisseaux, & y fit édifier son habitation comme on peut voir ainsi qu'il s'ensuit. Le 19 Septembre il partit de saincte Croix où estoient ses vaisseaux, & fit voile pour aller avec la marée à mont ledit fleuve qu'ils trouverent fort aggreable, tant pour les bois, vignes & habitations qu'il y avoit de son temps, qu'autres choses: & furent poser l'ancre à vingt cinq lieues de l'entrée 161/309 de la terre de Canada [230], qui est au bout de l'isle d'Orléans du costé de l'oriant ainsi appelée par ledit Quartier. Ce qu'on appelle aujourd'huy S. Croix s'appeloit lors Achelacy[231], destroit de la riviere, fort courant & dangereux, tant pour les rochers qu'autres choses, & où on ne peut passer que de flot, distant de Quebecq & de la riviere où yverna ledit Quartier 15 lieues. [Note 230: «Charlevoix,» dit M. Ferland (I, p. 24), «croit que Cartier s'est trompé en restreignant le nom de Canada à une très-petite partie du pays... Cependant, nonobstant la haute autorité de Charlevoix, il est permis de croire que Cartier, dans ses rapports avec les sauvages pendant les deux hivers qu'il a passés près de Stadaconé, a dû apprendre les noms des différentes parties du pays. Il s'explique fort clairement sur les divisions territoriales reconnues par les nations qui habitaient les bords du grand fleuve; et, d'après leur témoignage, il établit l'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun desquels était soumis à un chef principal. Donnacona, dont la résidence ordinaire était à Stadaconé et dont l'autorité ne s'étendait pas au-delà de quelques lieues autour de sa bourgade, est toujours désigné comme roi de Canada. Cartier lui-même, le routier de Jean-Alphonse et l'auteur du voyage de Roberval, donnent le nom de Canada à Stadaconé et à la pointe de terre sur laquelle était ce village. Ce fut plus tard que le nom de rivière de Canada fut assigné par les Français au fleuve qui traverse le pays.»] [Note 231: L'auteur suit, pour ce mot, l'orthographe de Lescarbot; mais les trois relations manuscrites du Second Voyage de Cartier, portent _Achelaiy_ ou _Achelayy_, et l'édition de 1545 _Ochelay_.] Or en toute ceste riviere n'y a destroit depuis Quebecq jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle saincte Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre qui est fort dangereux, comme j'ay descript: & appert fort clairement par son discours, que ce n'est point le lieu de son habitation, comme dit est, & que ce fut proche de Quebecq & qu'aucun n'avoit encore recerché ceste particularité, sinon ce que j'ay fait en mes voyages: Car dés la première fois qu'on me dit qu'il avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort, ne voyant apparence de riviere pour mettre vaisseaux, comme il descrit. Ce fut ce qui m'en fit faire exacte recerche pour en lever le soubçon & doubte à beaucoup. Pendant que les Charpentiers, scieurs d'aix & autres ouvriers travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à desfricher au tour de l'habitation, afin de faire des jardinages pour y semer des grains & grennes pour voir comme le tout succederoit, d'autant que la terre parroissoit fort bonne. 162/310 Cependant quantité des sauvages estoient cabannés proche de nous, qui faisoient pesche d'anguilles qui commencent à venir comme au 15 de Septembre, & finit au 13 Octobre. En ce temps tous les sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font secher pour l'yver jusques au mois de Fevrier, que les neiges sont grandes comme de 2 pieds & demy, & 3 pieds pour le plus, qui est le temps que quand leurs anguilles & autres choses qu'ils font checher, sont accommodées, ils vont chasser aux Castors, où ils sont jusques au commencement de Janvier. Comme ils y furent, ils nous laisserent en garde toutes leurs anguilles & autres choses jusques à leur retour, qui fut au 15 Décembre, & ne firent pas grand chasse de Castors pour les eaux estre trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi qu'ils nous dirent. Je leur rendis toutes leurs vituailles qui ne leur durèrent que jusques au 20 de Janvier. Quand leurs anguilles leur faillent ils ont recours à chasser aux Eslans & autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le printemps, où j'eu moyen de les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort particulièrement leurs coustumes[232]. [Note 232: L'auteur répète ici, avec quelques corrections, ce qu'il dit dans son Voyage de 1603, ch. III.] Tous ces peuples patissent tant, que quelquesfois ils sont contraincts de vivre de certains coquillages, & manger leurs chiens & peaux dequoy ils se couvrent contre le froid. Je tiens que qui leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car ils s'en trouve assez qui ont bon jugement & 163/311 respondent à propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschanceté en eux, qui est d'user de vengeance, & d'estre grands menteurs, gens ausquels il ne se faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu. Ce sont gens dont la pluspart n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir, avec tout plain d'autres fauces croyances. Je leur demanday de quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu, ils me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un chacun le prioit en son coeur, comme il vouloit. Voila pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes bruttes, & croy que bien tost ils seroient réduits bons Chrestiens si on habitoit leur terre, ce qu'ils désirent la pluspart. Ils ont parmy eux quelques sauvages qu'ils appellent Pillotois, qu'ils croient parler au Diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & s'ils leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque entreprinse, ils obeiroient aussitost à son commandement: Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font, sont véritables: & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en parler avec vérité, ce sont visions Diabolique qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur croyance bestialle. Tous ces peuples sont gens bien proportionnez de leurs corps, sans difformité, & sont dispos. 164/312 Les femmes sont aussi bien formées, potelées & de couleur bazannée, à cause de certaines peintures dont elles se frotent, qui les fait demeurer olivastres. Ils sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte & l'autre partie descouverte: mais l'yver ils remédient à tout: car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'Eslan, Loustres, Castors, Ours, Loups marins, Cerfs & Biches qu'ils ont en quantité. L'yver quand les neges sont grandes ils font une manière de raquettes qui sont grandes deux ou trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne pourroient chasser ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une façon de mariage, qui est, Que quand une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques à la fin de leur vie: sinon qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble, & elles n'ont point enfans, l'homme se peut desmarier & prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien: Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes. Depuis qu'elles sont mariés, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens aux pères ou parens des filles qu'ils ont espousez. Voila les cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce qui est de leurs enterremens: Quand un homme, ou une femme meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien qu'ils ont, comme chaudières, fourrures, haches, arcs, flèches, 165/313 robbes & autres choses: puis ils mettent le corps dans la fosse & le couvrent de terre, & mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & une autre debout qu'ils peindent de rouge par enhaut. Ils croyent l'immortalité des âmes, & disent qu'ils vont se rejouir en d'autres pays, avec leurs parens & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres ayans quelque créance, ils vont après leur mort, trois fois l'année faire un festin, chantans & dançans sur leur fosse. Tout le temps qu'ils furent avec nous, qui estoit le lieu le plus de seureté pour eux, ils ne laissoient d'aprehender tellement leurs ennemis, qu'ils prenoient souvent des alarmes la nuit en songeant, & envoyoient leurs femmes & enfans à nostre fort, où je leur faisois ouvrir les portes, & les hommes demeurer autour dudict: fort, sans permettre qu'ils entrassent dedans, car ils estoient autant en seureté de leurs personnes comme s'ils y eussent esté, & faisois sortir cinq ou six de nos compagnons pour leur donner courage, & aller descouvrir parmy les bois s'ils verroient rien pour les contenter. Ils sont fort craintifs & aprehendent infiniment leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme nous, sçavoir veiller une partie, tandis que les autres dormiront, & chacun avoir ses armes prestes comme celuy qui fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils se reposent: d'autant que la pluspart ne sont que menteries, avec autres propos sur ce subject: mais peu leur servoient ces 166/314 remonstrances, & disoient que nous sçavions mieux nous garder de toutes choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays, ils le pourroient apprendre. _Semences & vignes plantées a Quebecq. Commencement de l'hiver & des glaces. Extresme necessité de certains sauvages._ CHAPITRE V. Le premier Octobre, je fis semer du bled, & au 15 du seigle. Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les feuilles des arbres commencèrent à tomber au 15. Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent fort belles: Mais après que je fus party de l'habitation pour venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soing, qui m'affligea beaucoup à mon retour. Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne durèrent que deux jours sur la terre, & fit en ce temps un grand coup de vent. Il mourut en ce mois un matelot & nostre serrurier[233], de la dissenterie, comme firent plusieurs sauvages à force de manger des anguilles mal cuites, selon mon advis. [Note 233: Antoine Natel (voir ci-dessus, p. 150).] Le 5 Fevrier il negea fort, & fit un grand vent qui dura deux jours. Le 20 du mois il apparut à nous quelques sauvages qui estoient de dela la riviere, qui crioyent que nous les allassions 167/315 secourir, mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de la riviere qui charioit un grand nombre de glaces, car la faim pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans, ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je les assisterois en leur extresme necessité. Ayant donc prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs enfans, & se mirent en leurs canaux, pensant gaigner nostre coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faitte: mais ils ne furent sitost au milieu de la riviere, que leurs canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces. Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans que les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon. Comme ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir: Mais l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables, qu'une grande glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si rudement qu'elle les jetta à terre. Eux voyant ce coup si favorable furent à terre avec autant de joye que jamais ils en receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en vindrent à nostre habitation si maigres & deffaits, qu'ils sembloyent des anathomies, la pluspart ne pouvans se soubstenir. Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils avoient passé, veu qu'ils estoient si foibles & debilles. Je leur fis donner du pain & des feves. Ils n'eurent pas la patience qu'elles fussent cuites pour les manger. Je leur pretay aussi quelques escorces d'arbres, que d'autres sauvages 168/316 m'avoient donné pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabannoient, ils adviserent une charongne qu'il y avoit prés de deux mois que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en prenions de noirs & roux, comme ceux de France, mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye & un chien qui avoient enduré toutes les rigueurs du temps chaut & froit. Quand le temps s'adoulcissoit, elles puoit si fort que l'on ne pouvoit durer auprès: neantmoins ils ne laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, où aussitost ils la devorerent à demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir qu'ils n'en mengeassent point s'ils ne vouloient mourir: comme ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent une telle puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont ils avoient chacun une pièce en la main, qu'ils pencerent rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arresterent gueres. Ces pauvres miserables acheverent leur festin. Je ne laissay pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit peu pour la quantité qu'ils estoient: & dans un mois ils eussent bien mangé tous nos vivres, s'ils les eussent eu en leur pouvoir, tant ils sont gloutons: Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve, & en font chère entière jour & nuit, puis après ils meurent de faim. Ils firent encore une autre chose aussi miserable que la première. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appas aux martres & oiseaux de proye, où je prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie: Ces 169/317 sauvages furent à l'arbre & ne pouvans monter dessus à cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussitost enleverent le chien, où il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante & infaicte, qui fut incontinent devoré. Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en yver: Car en esté ils ont assez de quoy se maintenir & faire des provisions, pour n'estre assaillis de ces extresmes necessitez, les rivieres abbondantes en poisson & chasse d'oiseaux & austres bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous leurs voisins Algommequins, Ochastaiguins[234] & Yroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine pour y sçavoir remédier par le soin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils vivent heureusement au pris de ces Montaignets, Canadiens [235] & Souriquois qui sont le long des costes de la mer. Voila la pluspart de leur vie miserable. Les neiges & les glaces y sont trois mois sur la terre, qui est depuis le mois de Janvier jusques vers le huictiesme d'Avril, qu'elles sont presque toutes fondues: Et au plus à la fin dudict mois il ne s'en voit que rarement au lieu de nostre habitation. C'est chose estrange, que tant de neiges & glaces qu'il y a espoisses de deux à trois brasses sur la riviere soient en moins de 12 jours toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap 170/318 Breton, isle de terre neufve & grand baye, les glaces & neges y sont encores en la pluspart des endroits jusques à la fin de May: auquel temps toute l'entrée de la grande riviere est scelée de glaces: mais à Quebecq il n'y en a point: qui montre une estrange différence pour 120 lieues de chemin en longitude[236]: car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 & 51 degré de latitude, & nostre habitation par les 46. & deux tiers [237]. [Note 234: C'est ainsi que Champlain a d'abord appelé les Hurons, du nom d'Ochateguin, l'un de leurs chefs.] [Note 235: A cette époque on comprenait sous le nom de _Canadiens_ les sauvages qui demeuraient plus bas que le Saguenay, sur les bords de la _grande rivière de Canada_. «Au costé gauche de ce fleuve» (du Saguenay), dit Laët, «commence la province des Sauvages appelles vulgairement _Canadiens_.» (Description des Indes Occidentales, liv. II, ch. VIII.)] [Note 236: Champlain n'ignorait pas que c'est surtout la différence de latitude qui fait la différence des climats; mais ce qui paraît le surprendre, c'est que, à une si petite distance dans le fleuve, il y ait une si grande différence de température, lorsque la latitude ne diffère que de trois ou quatre degrés.] [Note 237: D'après le capitaine Bayfield, la latitude de Québec est de 46° 49' 8", au bastion de l'Observatoire.] _Maladies de la terre, à Quebecq. Le suject de l'yvernement. Description dudit lieu. Arrivée du sieur des Marais gendre de Pont-gravé, audit Quebecq._ CHAPITRE VI. Les maladies de la terre commencèrent à prendre fort tart, qui fut en Fevrier jusqu'à la my Avril. Il en fut frappé 18 & en mourut dix, & cinq autres de la disenterie. Je fis faire ouverture de quelques uns, pour voir s'ils estoient offencez comme ceux que j'avois veus és autres habitations: on trouva le mesme. Quelque temps après nostre Chirurgien [238] mourut. Tout cela nous donna beaucoup de desplaisir, pour la peine que nous avions à penser les malades. Cy dessus J'ay descript la forme de ces maladies. [Note 238: Il s'appelait Bonnerme (voir, ci-dessus, p. 153).] 171/319 Or je tiens qu'elles ne proviennent que de manger trop de salures & légumes, qui eschaufent le sang, & gastent les parties intérieures. L'yver aussi en est en partie cause, qui reserre la chaleur naturelle qui cause plus grande corruption de sang: Et aussi la terre quand elle est ouverte il en sort de certaines vapeurs qui y sont encloses lesquelles infectent l'air: ce que l'on a veu par expérience en ceux qui ont esté aux autres habitations après la première année que le soleil eut donné sur ce qui estoit deserté, tant de nostre logement qu'autres lieux, où l'air y estoit beaucoup meilleur & les maladies non si aspres comme devant. Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains & grennes à maturité, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forests par deçà, & quantité de fruits, bien qu'ils soient sauvages pour n'estre cultivez: comme Noyers, Serisiers, Pruniers, Vignes, Framboises, Fraizes, Groiselles verdes & rouges, & plusieurs autres petits fruits qui y sont assez bons. Aussi y a il plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les rivieres, où il y a quantité de prairies & gibier, qui est en nombre infiny. Depuis le mois d'Avril jusques au 13 de Décembre l'air y est si sain & bon, qu'on ne sent en soy aucune mauvaise disposition: Mais Janvier Fevrier & Mars sont dangereux pour les maladies qui prennent plustost en ce temps qu'en esté, pour les raisons cy dessus dittes: Car pour le traitement, tous ceux qui estoient avec moy estoient bien vestus, & couchez dans de 172/320 bons licts, & bien chauffez & nourris, s'entend des viandes salées que nous avions, qui à mon opinion les offensoient beaucoup, comme j'ay dict cy dessus: & à ce que j'ay veu, la maladie s'attacque aussi bien à un qui se tient délicatement, & qui aura bien soin de soy, comme à celuy qui fera le plus miserable. Nous croiyons au commencement qu'il n'y eust que les gens de travail qui fussent prins de ces maladies: mais nous avons veu le contraire. Ceux qui navigent aux Indes Orientalles & plusieurs autres régions, comme vers l'Allemaigne & l'Angleterre, en sont aussi bien frappez qu'en la nouvelle France. Depuis quelque temps en ça les Flamans en estans attacquez en leurs voyages des Indes, ont trouvé un remède fort singulier contre ceste maladie, qui nous pourroit bien servir: mais nous n'en avons point la cognoissance pour ne l'avoir recherché. Toutesfois je tiens pour asseuré qu'ayant de bon pain & viandes fraîches, qu'on n'y feroit point subject. Le 8 d'Avril les neges estoient toutes fondues, & neantmoins l'air estoit encores assez froit jusques en Avril[239], que les arbres commencent à jetter leurs fueilles. [Note 239: En mai. L'auteur corrige lui-même dans l'édition de 1632.] Quelques uns de ceux qui estoient malades du mal de la terre, furent guéris venant le printemps, qui en est le temps de guerison. J'avois un sauvage du pays qui yverna avec moy, qui fut atteint de ce mal, pour avoir changé sa nourriture en salée, lequel en mourut: Ce qui montre evidemment que les saleures ne valent rien, & y sont du tout contraires. 173/321 Le 5 Juin arriva une chalouppe à nostre habitation, où estoit le sieur des Marais, gendre du Pont-gravé, qui nous aportoit nouvelles que son beau père estoit arrivé à Tadoussac le 28 de May. Ceste nouvelle m'apporta beaucoup de contentement pour le soulagement que nous en esperions avoir. Il ne restoit plus que huit de 28 que nous estions, encores la moitié de ce qui restoit esttoit mal disposée. Le 7 de Juin je party de Quebecq, pour aller à Tadoussac communiquer quelques affaires, & priay le sieur des Marais de demeurer en ma place jusques à mon retour: ce qu'il fit. Aussitost que j'y fus arrivé le Pont-gravé & moy discourusmes ensemble sur le subject de quelques descouvertures que je devois faire dans les terres, où les sauvages m'avoient promis de nous guider. Nous resolusmes que j'y irois dans une chalouppe avec vingt hommes, & que Pont-gravé demeureroit à Tadoussac pour donner ordre aux affaires de nostre habitation, ainsi qu'il avoit esté resolu, il fut fait & y yverna: d'autant que je devois m'en retourner en France selon le commandement du sieur de Mons, qui me l'avoit escrit, pour le rendre certain des choses que je pouvois avoir faites, & des descouvertures dudit pays. Après avoir prins ceste resolution je party aussitost de Tadoussac, & m'en retournay à Quebecq, où je fis accommoder une chalouppe de tout ce qui estoit necessaire pour faire les descouvertures du pays des Yroquois, où je devois aller avec les Montagnets nos alliez. 174/322 _Partement de Quebecq jusques à l'isle saincte Esloy, & de la rencontre que j'y fis des sauvages Algomequins & Ochataiguins._ CHAPITRE VII. Et pour cest effect je partis le 18 dudit mois, où la riviere commence à s'eslargir, quelque fois d'une lieue & lieue & demie en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellisant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse en beaucoup d'endroits, à cause des bancs & rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde à la main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons pardeça, comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bort de la riviere, & quantité de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont navigables qu'avec des canaux. Nous passames proche de la pointe Ste. Croix, où beaucoup tiennent (comme j'ay dit ailleurs) estre la demeure où yverna Jacques Quartier. Ceste pointe est de sable, qui advance quelque peu dans la riviere, à l'ouvert du Norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prayries, mais elles sont innondées des eaues à toutes les fois que vient la plaine mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce passage est fort dangereux à passer pour quantité de rochers 175/323 qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est fort tortu, où la riviere court comme un ras, & faut bien prendre le temps à propos pour le passer. Ce lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant nous avons trouvé le contraire: car pour descendre du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du grand courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de flot pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15 brasses d'eau en l'achenal. Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est fort aggreable, distante du lieu de saincte Croix, de neuf lieues, & de Quebecq, 24 & l'avons nommée la riviere saincte Marie [240]. Toute ceste riviere [241] depuis saincte Croix est fort plaisante & aggreable. [Note 240: Aujourd'hui rivière Sainte-Anne de La Pérade. Elle est à environ neuf lieues de l'église actuelle de Sainte-Croix, et à une vingtaine de lieues de Québec.] [Note 241: Le fleuve Saint-Laurent,] Continuant nostre routte, je fis rencontre de quelques deux ou trois cens sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle, appelée S. Esloy[242], distant de S. Marie d'une lieue & demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit des nations de sauvages appelez Ochateguins & Algoumequins qui venoient à Quebecq, pour nous assister aux descouvertures du pays des Yroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle, n'espargnant aucune chose qui toit à eux. [Note 242: Voir le Voyage de 1603, p. 29.] 176/324 Après les avoir recogneus, je fus à terre pour les voir, & m'enquis qui estoit leur chef: Ils me dirent qu'il y en avoit deux, l'un appelé Yroquet & l'autre Ochasteguin qu'ils me montrèrent: & fus en leur cabanne, où ils me firent bonne réception, selon leur coustume. Je commençay à leur faire entendre le subjet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis: & après plusieurs discours je me retiray: & quelque temps après ils vindrent à ma chalouppe, où ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouissance: & de là s'en retournèrent à terre. Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils furent une espace de temps sans dire mot, en songeant & petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à haranguer hautement à tous leurs compagnons, qui estoient sur le bort du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir. Qu'il y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne réception, & déclaré que le Pont & moy desirions les assister contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient, dés longtemps, la guerre, pour beaucoup de cruautés qu'ils avoient exercées contre leur nation, soubs prétexte d'amitié: Et qu'ayant tousjours depuis desiré la vengeance, ils avoient solicité tous les sauvages que je voyois sur le bort de la riviere, de venir à nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient 177/325 jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous venir voir: & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois; & qu'ils n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui sçavoient faire la guerre, & plains de courage, sçachans le pays & les rivieres qui sont au pays des Yroquois; & que maintenant ils me prioyent de retourner en nostre habitation, pour voir nos maisons, & que trois jours après nous retournerions à la guerre tous ensemble, & que pour signe de grande amitié & resjouissance je feisse tirer des mousquets & arquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fis. Ils jetterent de grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus. Après les avoir ouis, je leur fis responce, Que pour leur plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne portant avec nous que des armes, & non des marchandises pour traicter, comme on leur avoit donné à entendre, & que mon desir n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si j'eusse sceu qu'on leur eut raporté quelque chose de mal, que je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me dirent qu'ils n'en croioyent rien, & que jamais ils n'en avoient ouy parler; neantmoins c'estoit le contraire: car il y avoit eu quelques sauvages qui le dirent au nostres: Je me contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir montrer par effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy. 178/326 _Retour à Quebecq, et depuis continuation avec les sauvages jusques au saut de la riviere des Yroquois. CHAPITRE VIII. Le lendemain [243] nous partismes tous ensemble, pour aller à nostre habitation, où ils se resjouirent quelques 5 ou 6 jours, qui se passerent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient que nous fussions à la guerre. [Note 243: Probablement le 22 de juin.] Le Pont vint aussitost de Tadoussac avec deux petites barques plaines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir le plus promptement qu'il luy seroit possible. Les sauvages le voyant arriver se resjouirent encores plus que devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens pour les assister, & que peut estre nous yrions ensemble. Le 28 du mois [244] nous esquipasmes des barques pour assister ces sauvages: le Pont se mit dans l'une & moy dans l'autre, & partismes tous ensemble. Le premier Juin[245] arrivasmes à saincte Croix, distant de Quebecq de 15 lieues, où estant, nous advisames ensemble, le Pont & moy, que pour certaines considerations je m'en yrois avec les sauvages, & luy à nostre habitation & à Tadoussac. La resolution estant prise, j'embarqué dans ma chalouppe tout ce qui estoit necessaire avec neuf hommes, des Marais, & la Routte nostre pilotte, & moy. [Note 244: Le 28 de juin.] [Note 245: Le premier juillet.] 179/327 Je party de saincte Croix, le de Juin[246] avec tous les sauvages, & passames par les trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantité de beaux arbres. De ce lieu à saincte Croix y a 15 lieues. A l'entrée d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de quelque 15 à 1600. pas de long, qui sont fort plaisantes à voir. Et proches du lac sainct Pierre[247], faisant quelque deux lieues dans la riviere[248] y a un petit saut d'eau, qui n'est pas beaucoup dificile à passer. Ce lieu est par la hauteur de 46 degrez quelques minuttes moins de latitude. Les sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à quelques journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a dix journées, & puis on passe quelques sauts, & après encore trois ou quatre autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent de rechef dans un autre lac [249], ou le Sacqué [250] prend la meilleure part de sa source. Les sauvages viennent dudit lac à Tadoussac. Les trois rivieres vont 40 journées des sauvages: & disent qu'au bout d'icelle riviere il y a des peuples [251] qui sont grands chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent la mer du Nort en moins de six journées. Ce peu de terre que 180/238 j'ay veu est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de quantité de pins & sapins, sur le bort de la riviere, mais entrant dans la terre quelque quart de lieue, les bois y sont tresbeaux & clairs, & le pays uny. [Note 246: Le 3 juillet.] [Note 247: C'est la première fois qu'on trouve le nom de Saint-Pierre donné à ce lac. En 1603, Champlain y entra le jour de la Saint-Pierre, 29 juin, et c'est là probablement l'origine de ce nom. Thévet et Wytfliet l'appellent lac d'Angoulême.] [Note 248: Dans le Saint-Maurice. (Voir le Voyage de 1603, p. 31.)] [Note 249: Le lac Saint-Jean.] [Note 250: Sagné, pour Saguenay.] [Note 251: Probablement les _Atticamègues_ ou Poissons-Blancs, qui étaient en effet plus chasseurs que guerriers, et qui avaient des rapports avec cinq ou six nations situées encore plus au nord qu'eux. (Voir Relat. 1641, p. 32, éd. 1858.)] Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac sainct Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le lac à 2, 3, & 4 brasses d'eau, lequel peut contenir de long quelque 8 lieues, & de large 4. Du costé du Nort nous vismes une riviere qui est fort aggreable, qui va dans les terres quelques 20 lieues, & l'ay nommée saincte Suzanne[252]: & du costé du Su, il y en a deux, l'une appelée la riviere du Pont[253],& l'autre de Gennes[254], qui sont tresbelles & en beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du costé du Nort, il parroist des terres à quelque douze ou quinze lieues du lac, qui sont un peu montueuses. L'ayant traversé, nous passames par un grand nombre d'isles, qui sont de plusieurs grandeurs, où il y a quantité de noyers & vignes, & de belles prayries avec force gibier & animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes à l'entrée de la riviere des Yroquois, où nous sejournasmes deux jours & nous rafraichismes de bonnes venaisons, oiseaux, & 181/329 poissons, que nous donnoient les sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque différent sur le subject de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retournèrent en leur pays avec leurs femmes & marchandises qu'ils avoient traictées. [Note 252: Elle porte maintenant le nom de rivière du Loup.] [Note 253: La rivière de Nicolet (voir la grande carte de 1612). Il est probable que c'est par inadvertance que l'auteur l'indique sous le nom de rivière du Gast, dans la grande carte de l'édition de 1632; puisque, dans le texte, il reproduit le même passage en y laissant le nom de Du Pont. Il est possible aussi que le graveur ait mis sur cette rivière le chiffre que l'auteur destinait à la rivière dont il parle ci-dessus, p. 61, et à laquelle il avait donné le nom de Du Gast ou Du Gua.] [Note 254: Probablement, la rivière d'Yamaska.] Partant de ceste entrée de riviere (qui a quelque 4. à 500. pas de large, & qui est fort belle, courant au Su) nous arrivasmes à un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez[255] de latitude à 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son entrée jusques au premier saut, où il y a 15 lieues, est fort platte & environnée de bois, comme sont tous les autres lieux cy dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a 9 ou 10 belles isles jusques au premier saut des Yroquois, lesquelles tiennent quelque lieue, ou lieue & demie, remplies de quantité de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits prés de demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entrée du saut est une manière de lac[256], où l'eau descend, qui contient quelque trois lieues de circuit, & y a quelques prairies où il n'y habite aucuns sauvages, pour le subject des guerres. Il y a fort peu d'eau au saut qui court d'une grande vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien. Tout cedict pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient 182/330 encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la riviere à la rame. [Note 255: Les rapides de Chambly sont à environ 45° 30' de latitude.] [Note 256: Le bassin de Chambly.] Aussitost que nous fusmes arrivez au saut, des Marais, la Routte & moy, & cinq hommes fusmes à terre, voir si nous pourrions passer ce lieu, & fismes quelque lieue & demie sans en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une grandissime roideur, où d'un costé & d'autre y avoit quantité de pierres, qui sont fort dangereuses & avec peu d'eau. Le saut peut contenir quelque 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit impossible coupper les bois & faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions promis, d'autant que les sauvages m'avoient asseuré que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire, comme j'ay dit cy dessus, qui fut l'occasion que nous en retournasmes en nostre chalouppe, où j'avois laissé quelques hommes pour la garder & donner à entendre aux sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long du dit saut. Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en retournant nous fismes rencontre de quelques sauvages, qui venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre chalouppe où nous les trouvasmes fort contans & satisfaits de ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le raport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait. 183/331 Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le saut avec nostre chalouppe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir, de m'en retourner sans avoir veu un grandicime lac, remply de belles isles, & quantité de beau pays, qui borne le lac, où habitent leurs ennemis, comme ils me l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois: & m'embarquay avec les sauvages dans leurs canots, & prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Après avoir proposé mon dessein à des Marais, & autres de la chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation avec le reste de nos gens soubs l'esperance qu'en brief, avec la grâce de Dieu, je les reverrois. Aussitost je fus parler aux Capitaines des sauvages & leur donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce que j'avois veu au saut, sçavoir, qu'il estoit hors nostre puissance d'y pouvoir passer avec la chalouppe: toutesfois que cela ne m'empecheroit de les assister comme je leur avois promis. Ceste nouvelle les attrista fort & voulurent prendre une autre resolution: mais je leur dis & les y sollicitay, qu'ils eussent à continuer leurs premier dessin, & que moy troisieme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs canots pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois manquer de parole en leur, endroit, bien que fusse seul, & que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy. 184/332 Ils furent fort contens de ce que je leur dis, & d'entendre la resolution que j'avois, me promettant tousjours de me faire voir choses belles. _Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audict lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attacquer les Yroquois._ CHAPITRE IX. Je party donc dudit saut de la riviere des Yroquois, le 2. Juillet[257]. Tous les sauvages commencèrent à apporter leurs canots, armes & bagages par terre quelque demie lieue, pour passer l'impetuosité & la force du saut, ce qui fut promptement fait. [Note 257: Probablement le 12 juillet. Si les dates de l'arrivée de Pont-Gravé à Tadoussac, et de Desmarais à Québec, sont exactes, la petite flottille dut partir de Québec dans les derniers jours de juin, et, par conséquent, arriver à Sainte-Croix, non le premier de juin, mais le premier de juillet, comme nous l'avons remarqué ci-dessus. Elle en repart le 3 du même mois: elle ne pouvait donc pas avoir passé le saut de la rivière des Iroquois le 2 de juillet. Mais, si l'on suit attentivement la marche de cette petite armée depuis Sainte-Croix jusqu'au saut, c'est-à-dire, jusqu'aux rapides de Chambly, et depuis ce lieu jusqu'à celui où elle rencontra l'ennemi, le 29, on en viendra à la conclusion qu'elle devait avoir passé le saut vers le 12. Or il est assez vraisemblable que le typographe, au lieu du 12, ait mis le 2.] Aussitost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque canot, par terre quelque trois lieues, que peut contenir ledit saut, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus large de 3. à 400 pas. Après que nous eusmes passé le saut, qui ne fut sans peine, tous les sauvages qui estoient allez par 185/333 terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye quantité de bois, se rembarquèrent dans leurs canots. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau, dedans un canot. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se trouva vingt quatre canots, où il y avoit soixante hommes. Après avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques à une isle[258] qui tient trois lieues de long, remplye des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre le repos la nuit ensuivant. [Note 258: L'île Sainte-Thérèse.] Incontinent un chacun d'eux commença, l'un à coupper du bois, les autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs cabannes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de gros arbres pour se barricader sur le bort de la riviere au tour de leurs cabannes, ce qu'ils sçavent si promptement faire, qu'en moins de deux heures, cinq cens de leurs ennemis auroient bien de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup mourir. Ils ne barricadent point le costé de la riviere où sont leurs canots arrengez, pour s'embarquer si l'occasion le requeroit. Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canots avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils n'appercevront rien, qui après se retirent. Toute la nuit ils se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est une tresmauvaise coustume en eux: car quelque fois ils sont surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans 186/334 qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour leur defendre. Recognoissant cela je leur remonstrois la faute qu'ils faisoient,& qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient veu faire toutes les nuits, & avoir des hommes aux agguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien, & ne point vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la chasse: d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros, qui sont tousjours sur leurs armes; & l'autre partie en avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines marques que les chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si sont amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent jamais de l'advant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner d'allarmes ny de désordre, mais sur la retraicte & du costé qu'ils n'aprehendent leurs ennemis: & continuent ainsi jusques à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs ennemis, qu'ils vont de nuit à la desrobée, tous en corps, horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, où ils reposent, sans s'esgarer ny mener bruit, ny faire aucun feu, afin de n'estre apperceuz, si par fortune leurs ennemis passoient; ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps. 187/335 Ils ne font du feu que pour petuner, qui est si peu que rien. Ils mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessité, & quand ils sont proches de leurs ennemis, ou quand ils font retraite aprés leurs charges, qu'ils ne s'amusent à chasser, se retirant promptement. A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois ou Ostemoy[259], qui sont manières de gens, qui sont les devins, en qui ces peuples ont créance, lequel fait une cabanne, entourée de petis bois, & la couvre de sa robbe: Aprés qu'elle est faitte, il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon, puis prend un des piliers de sa cabanne & la fait bransler, marmotant certaines paroles entre ses dens par lesquelles il dit qu'il invoque le Diable, & qu'il s'apparoist à luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable, & puis aussitost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il toit nud. Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des singes. Ils me disoient souvent que le branlement que je voyois de la cabanne, estoit le Diable qui la faisoit mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car 188/336 c'estoit, comme j'ay dit cy dessus, le Pilotois qui prenoit un des bastons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut: ce que je ne vey point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse & claire, parlant en langage inconneu aux autres sauvages. Et quand ils la representent cassée, ils croyent que c'est le Diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent. [Note 259: Ces deux mots étaient employés en Acadie, pour désigner le jongleur ou sorcier. Le mot _pilotais_, suivant le P. Biard (Rel. 1611, p. 17), venait des Basques, et les Souriquois se servaient du mot _autmoin_, que Lescarbot écrit _aoutmoin_, et Champlain _ostemoy_. Le P. Lejeune, dans la Relation, de 1636 (p. 13), nous apprend que les Montagnais appelaient leurs sorciers _manitousiouekhi_, et, d'après le P. Brebeuf (Rel. 1635, p. 35), les Hurons désignaient les leurs par le nom de _arendiouane_.] Neantmoins tous ces garniments qui sont les devins, de cent paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer quelque denrée du peuple, ainsi que sont ces galants. Je leur remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy. Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qu'il leur doit succeder, les chefs prennent des bastons de la longueur d'un pied autant en nombre qu'ils sont, & signallent par d'autres un peu plus grands, leurs chefs: Puis vont dans le bois & esplanadent une place de 5 ou 6 pieds en quarré, où le chef, comme sergent major, met par ordre tous ces bastons comme bon luy semble: puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces sauvages regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef a faite avec ces bastons: & aprés se retirent de là, & commencent de se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdicts bastons: 189/337 puis se mettent les uns parmy les autres, & retournent de rechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois, & à tous leurs logemens sans qu'il soit besoin de sergent pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien garder, sans se mettre en confusion. Voila la reigle qu'ils tiennent à leur guerre. Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de belles isles, qui sont basses remplies de tres-beaux bois & prairies, où il y a quantité de gibier & chasse d'animaux, comme Cerfs, Daims, Faons, Chevreuls, Ours, & autres sortes d'animaux qui viennent de la grand terre ausdictes isles. Nous y en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de Castors, tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le subject de leurs guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au profont des terres, afin de n'estre si tost surprins. Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estandue comme de 80 ou 100 lieues[260], où j'y vis quatre belles isles, contenant 10, 12 & 15 lieues de long[261], qui autres fois ont esté habitées par les sauvages, comme aussi la riviere des Yroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu guerre les uns contre les autres: aussi y a il plusieurs rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de 190/338 nombre de beaux arbres, de mesmes especes nous avons en France, avec force vignes plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu: force chastaigners, & n'en avois encores point veu que dessus le bort de ce lac, où il y a grande abondance de poisson de plusieurs especes: Entre autres y en a un, appelé des sauvages du pays _Chaousarou_[262], qui est de plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, à ce que m'ont dict ces peuples, 8 à 10 pieds. J'en ay veu qui en contenoyent 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux points, avec un bec de deux pieds & demy de long, & à double rang de dents fort agues & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet, mais il est armé d'escailles si fortes qu'un coup de poignard ne les sçauroit percer, & de couleur de gris argenté. Il a aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce poisson fait la guerre à tous les autres qui sont dans ces lacs, & rivieres: & a une industrie merveilleuse, à ce que m'ont asseuré ces peuples, qui est, quand il veut prendre quelques oyseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de façon que lors que les oiseaux 191/339 viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, ils les tire par les pieds soubs l'eau. Les sauvages m'en donnèrent une teste, dont ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal à la teste, ils se seignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur qui se passe soudain. [Note 260: Il était bien difficile de se faire ainsi, à première vue, une idée exacte des dimensions d'un lac aussi étendu que celui de Champlain. Aussi l'auteur lui donne-t-il presque trois fois la longueur qu'il a réellement.] [Note 261: Ces quatre îles sont sans doute celles de Contrecoeur (l'île Longue et la Grande-Ile), l'île La Motte, et celle de Valcour. Elles ne sont pas tout à fait aussi grandes que l'a cru notre auteur.] [Note 262: Nous rapprocherons de cette description du Chaousarou celle qu'en fait Sagard dans son Histoire du Canada (liv. ni, p. 765): «Au lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de Victoire,... je vis en la cabane d'un montagnais un certain poisson, que quelques-uns appellent _Chaousarou_, gros comme un grand brochet. Il n'estoit qu'un des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands, & qui ont jusqu'à 8, 9 & 10 pieds, à ce qu'on dit. Il avoit un bec d'environ un pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon qu'il a l'extrémité mousse & non si pointu, gros à proportion du corps. Il a double rang de dens fort aiguës & dangereuses,... & la forme du corps tirant au brochet, mais armé de très-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté, & difficile à percer.» D'après cette description, ce poisson doit appartenir au genre des _Lépisostées_ de Lacépède. Mais les individus décrits par les Ichtyologistes n'ont pas d'aussi grandes proportions.] Continuant nostre route dans ce lac du costé de l'Occident, considérant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la neige. Je m'enquis aux sauvages si ces lieux estoient habitez, ils me dirent que ouy, & que c'estoient Yroquois[263], & qu'en ces lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en bleds, comme j'en ay mangé audit pays, avec infinité d'autres fruits: & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre esloignées de nous, à mon jugement, de vingt cinq[264] lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les premières, horsmis qu'il n'y avoit point de neige. Les sauvages me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver leurs ennemis, & qu'elles estoient fort peuplées & qu'il falloit passer par un saut d'eau[265] que je vis depuis: & de là entrer dans un autre lac[266] qui contient quelque 9 ou 10 lieues de 192/340 long, & qu'estant parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire quelque deux lieues de chemin par terre, & passer une riviere[267], qui va tomber en la coste de Norembegue, tenant à celle de la Floride[268], & qu'ils n'estoient que deux jours à y aller avec leurs canots, comme je l'ay sçeu depuis par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort particulièrement de tout ce qu'ils en avoyent cognoissance, par le moien de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient la langue des Yroquois. [Note 263: Si ce rapport des sauvages est exact, il faut croire que la guerre entre les Mahingans et les Agniers, eut pour effet de rapprocher ceux-ci des autres tribus iroquoises, et de les faire émigrer au côté occidental du lac. Peut-être aussi les Montagnais qui accompagnaient Champlain traitaient-ils d'iroquois les Mahingans eux-mêmes, qui alors pouvaient être les alliés de la nation iroquoise: car le P. Jérôme Lalemant, en parlant de ce qu'avaient été autrefois les Loups ou Mahingans, dit (Rel. 1646, 3) i «Les Iroquois Annierronnons les ayans domtez, ils se sont jettez de leur party.»] [Note 264: L'édition de 1632 porte 15.] [Note 265: Ticonderoga.] [Note 266: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George.] [Note 267: La rivière Hudson.] [Note 268: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait: «tirant à celle de la Floride»; car Champlain ne devait pas ignorer qu'entre la côte de Norembegue et la Floride, se trouvait la côte de la Virginie ou les Virgines, comme il dit lui-même (Table de sa grande carte, édit. 1632).] Or comme nous commençasmes à approcher à quelques deux ou trois journées de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la nuit, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient de faire tousjours leurs superstitions accoustumées pour sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises; & souvent me venoient demander si j'avois songé, & avois veu leurs ennemis: le leur disois que non: Neantmoins ne laissois de leur donner du courage, & bonne esperance. La nuit venue nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, que nous nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou onze heures, après m'estre quelque peu proumené au tour de nostre logement, je fus me reposer, & en dormant, je songay que je voyois les Yroquois nos ennemis, dedans le lac, proche d'une montaigne, qui se noyoient à nostre 193/341 veue, & les voulans secourir, nos sauvages alliez me disoient qu'il les falloit tous laisser mourir & qu'ils ne valoient rien. Estant esveillé, ils ne faillirent comme à l'acoustumée de me demander si j'avois songé quelque chose: je leur dis en effect ce que j'avois veu en songe: Cela leur apporta une telle créance qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir pour leur bien. Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canots pour continuer nostre chemin, & comme nous allions fort doucement, & sans mener bruit, le 29 du mois, nous fismes rencontre des Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap [269] qui advance dans le lac du costé de l'occident, lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Yroquois mirent pied à terre, & arrangèrent tous leurs canots les uns contre les autres, & commencèrent à abbatre du bois avec des meschantes haches qu'ils gaignent quelquesfois à la guerre, & d'autres de pierre, & se barricadèrent fort bien. [Note 269: Ce cap, ou cette pointe, qui s'avance dans le lac, non loin de la décharge du lac George, comme l'indique la carte de 1632, nous paraît correspondre à la pointe Saint-Frédéric (Crown point).] Aussi les nostres tindrent toute la nuit leurs canots arrangez les uns contre les autres attachez à des perches pour ne s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de leurs barricades. Et comme ils furent armez, & mis en ordre, ils envoyerent deux canots separez de la trouppe, pour sçavoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels 194/342 respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre: & qu'aussitost que le soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accordé par les nostres: & en attendant toute la nuit se passa en danses & chantons, tant d'un costé, que d'autre, avec une infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroyent à leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effets d'armes que jamais ils n'avoient veu, & tout plain d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege de ville. Après avoir bien chanté, dansé & parlementé les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canots des sauvages montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous prismes chacun une arquebuse & descendismes à terre. Je vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200 hommes forts & robustes à les voir, qui venoient au petit pas audevant de nous, avec une gravité & asseurance qui me contenta fort à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre & me dirent que ceux qui avoient trois grands pannaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes, qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je 195/343 feisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre pour leur donner l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & que indubitablement nous les desferions tous; mais qu'il n'y avoit remède, que j'estois tres-aise de leur monstrer le courage & bonne volonté qui estoit en moy quand ferions au combat. Aussitost que fusmes à terre, ils commencèrent à courir quelque deux cens pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores aperçeu mes compagnons, qui s'en allèrent dans le bois avec quelques sauvages. Les nostres commencèrent à m'appeller à grands cris: & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant quelque 20 pas devant, jusqu'à ce que je fusse à quelque 30 pas des ennemis, où aussitost ils m'aperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon arquebuse en joue, visay droit à un des trois chefs, & de ce coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en mourut. J'avois mis quatre balles dedans mon arquebuse. Comme les nostres virent ce coup si favorable pour eux, ils commencèrent à jetter de si grands cris qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoyent de costé & d'autre. Les Yroquois furent fort estonnez, que si promptement deux hommes avoyent esté tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de cotton, & de bois à l'espreuve de 196/344 leurs flesches; Cela leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyant leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, & se mirent en fuite, & abandonnèrent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où les poursuivans, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en prindrent 10 ou 12 prisonniers: Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres 15 ou 16 de blessez de coups de flesches, qui furent promptement guéris. Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & de leurs armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Après avoir fait bonne chère, dansé & chanté, trois heures après nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques minutes [270] de latitude, & fut nommé le lac de Champlain. [Note 270: La décharge du lac George est environ à 44°.] 344a [Illustration] _Desfaite des Yroquois au Lac Champlain._ A (1) Le fort des Yroquois. B Les ennemis. C Les Canots des ennemis faits d'escorce de chesne, qui peuvent tenir chacun 10, 15, & 18 hommes. D. E. Deux chefs tués, & un blessé d'un coup d'arquebuse par le sieur de Champlain. F (2) Le sieur de Champlain. G (3) Deux Arquebusiers du sieur de Champlain. H (4) Montaignets, Ochastaiguins, Algoumequins. I Canots de nos sauvages aliés faits d'escorce de bouleau. K (5) Les bois. (1) Cette lettre manque dans le dessin.--(2) La lettre manque; mais il est facile de reconnaître Champlain posté seul entre les combattants.--(3) Cette lettre manque dans le dessin, mais on reconnaît aisément les deux arquebusiers sur la lisière du bois.--(4) La lettre H a été mise par inadvertance sur les canots des alliés, où il y a déjà la lettre I.--(5) Cette lettre, qui manque aussi, est facile à suppléer. _Retour de la bataille, & ce qui se passa par le chemin._ CHAPITRE X. Aprés avoir fait quelque 8 lieues, sur le soir, ils prindrent un des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez que luy & les siens avoyent exercées en leur endroit, sans 197/345 avoir eu aucun esgard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en recevoir autant, & luy commandèrent de chanter s'il avoit du courage, ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à ouyr. Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien embrasé ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de tourmens. Ils le laissoient quelques fois, luy jettant de l'eau sur le dos: puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du feu sur les extremitez des doigts & de son membre. Après ils luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras prés des poignets, & avec des bastons tiroyent les nerfs & les arrachoyent à force: & comme ils voioyent qu'ils ne les pouvoyent avoir, ils les couppoyent. Ce pauvre miserable jettoit des cris estranges, & me faisois pitié de le voir traitter de la façon, toutesfois avec une telle constance, qu'on eust dit quelquesfois qu'il ne sentoit presque point de mal. Ils me sollicitoyent fort de prendre du feu pour faire de mesme eux. Je leur remonstrois que nous n'usions point de ces cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que s'ils vouloyent que je luy donnasse un coup d'arquebuze, j'en serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils virent que je n'en estois contant, ils m'appelèrent & me dirent que je luy donnasse un coup d'arquebuse: ce que je fis, sans qu'il en vist rien; & luy fis passer tous les tourmens qu'il devoit souffrir, 198/346 d'un coup, plustost que de le voir tyranniser. Après qu'il fut mort ils ne se contentèrent pas, il luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles dedans le lac: après ils luy coupperent la teste, les bras & les jambes, qu'ils separerent d'un costé & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils avoient escorchée, comme ils avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez à la charge. Ils firent encores une meschanceté, qui fut, de prendre le coeur qu'ils coupperent en plusieurs pièces & le donnèrent à manger à un sien frère, & autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels le prindrent & le mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent avaller: quelques sauvages Algoumequins, qui les avoient en garde le firent recracher à aucuns, & le jetterent dans l'eau. Voila comme ces peuples se gouvernent à l'endroit de ceux qu'ils prennent en guerre: & mieux vaudroit pour eux mourir en combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers, qui alloient tousjours chantans, sans autre esperance que celuy qui avoit esté ainsi mal traicté. Estans aux sauts de la riviere des Yroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur pays, & aussi les Ochatequins[271] avec une partie des prisonniers, fort contens de ce qui s'estoit passé en la guerre, & de ce que librement j'estois allé avec eux. Nous nous departismes donc comme cela, avec de grandes protestations 199/347 d'amitié, les uns & les autres, & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays pour les asister tousjours comme freres: je leur promis. [Note 271: Ochateguins, ou Hurons.] Je m'en revins avec les Montagnets. Après m'estre informé des prisonniers de leurs pays, & de ce qu'il pouvoit y en avoir, nous ployames bagage pour nous en revenir, ce qui fut avec telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs dicts canots, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes à l'entrée de la riviere des Yroquois, il y eut quelques sauvages qui songerent que leurs ennemis les poursuivoient: ce songe les fit aussitost lever le siege, encores que celle nuit fut fort mauvaise à cause des vents & de la pluye qu'il faisoit; & furent passer la nuit dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac sainct Pierre, jusqu'au lendemain, pour la crainte qu'ils avoient de leurs ennemis. Deux jours après arrivasmes à nostre habitation, où je leur fis donner du pain & quelques poix, & des patinostres, qu'ils me demandèrent pour parer la teste de leurs ennemis, qui les portent pour faire des resjouissances à leur arrivée. Le lendemain je feu avec eux dans leurs canots à Tadoussac, pour voir leurs cérémonies. Aprochans de la terre, ils prindrent chacun un baston, où au bout ils pendirent les testes de leurs ennemis tués avec quelques patinostres, chantants les uns & les autres: & comme ils en furent prests, les femmes se despouillerent toutes nues, & se jetterent en l'eau, allant au devant des canots pour prendre les testes de leurs ennemis qui estoient au bout de longs bastons devant leurs batteaux, pour après les pendre à 200/348 leur col comme si c'eust esté quelque chaîne precieuse, & ainsi chanter & danser. Quelques jours après ils me rirent present d'une de ces testes, comme chose bien precieuse, & d'une paire d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, affin de les montrer au Roy: ce que je leur promis pour leur faire plaisir. Quelques jours après je fus à Quebecq, où il vint quelques sauvages Algoumequins, qui me firent entendre le desplaisir qu'ils avoient de ne s'estre trouvez à la deffaite de leurs ennemis, & me firent present de quelques fourrures, en consideration de ce que j'y avois esté & assisté leurs amis. Quelques jours après qu'ils furent partis pour s'en aller en leur pays, distant de nostre habitation de 120 lieues, je fus à Tadoussac voir si le Pont seroit de retour de Gaspé, où il avoit esté. Il n'y arriva que le lendemain, & me dit qu'il avoit délibéré de retourner en France. Nous resolusmes de laisser un honneste homme appelé le Capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander à Quebecq, où il demeura jusques à ce que le sieur de Mons en eust ordonné. Retour en France, & ce qui s'y passa jusques au rembarquement. CHAPITRE XI. Ceste resolution prinse nous fusmes à Quebecq pour l'establir, & luy laisser toutes les choses requises & necessaires à une habitation, avec quinze hommes. Toutes choses estant en estat 201/349 nous en partismes le premier jour de Septembre pour aller à Tadoussac, faire appareiller nostre vaisseau, à fin de nous en revenir en France. Nous partismes donc de ce lieu le 5 du mois, & le 8 nous fusmes mouiller l'ancre à l'isle Percée. Le jeudy dixiesme partismes de ce lieu, & le mardy ensuivant 18[272] du mois arrivasmes sur le grand banc. [Note 272: Le mardi était le 15.] Le 2 d'Octobre, nous eusmes la sonde. Le 8 mouillasmes l'ancre au Conquet en basse Bretagne. Le Samedy 10 du mois partismes de ce lieu, & arrivasmes à Honfleur le 13. Estans desembarqués, je n'y fis pas long sejour que je ne prinse la poste pour aller trouver le sieur de Mons, qui estoit pour lors à Fontaine-belau où estoit sa Majesté, & luy representay fort particulièrement tout ce qui s'estoit passé, tant en mon yvernement, que des nouvelles descouvertures, & l'esperance de ce qu'il y avoit à faire à l'advenir touchant les promesses des sauvages appelez Ochateguins, qui sont bons Yroquois. Les autres Yroquois leurs ennemis sont plus au midy. Les premiers entendent, & ne diferent pas beaucoup de langage aux peuples descouverts de nouveau, &qui nous avoient esté incogneus cy devant. Aussitost je fus trouver sa Majesté, à qui je fis le discours de mon voyage, à quoy il print plaisir & contentement. J'avois une ceinture faite de poils de porc-espic, qui estoit fort bien tissue, selon le pays, laquelle sa Majesté eut pour 202/350 aggreable, avec deux petits oiseaux gros comme des merles, qui estoient incarnats [273], & aussi la teste d'un certain poisson qui fut prins dans le grand lac des Yroquois, qui avoit un becq fort long avec deux ou trois rangées de dents fort aiguës. La figure de ce poisson est dans le grand lac de ma carte Géographique [274]. [Note 273: Cette description convient au _Pyranga rubra_, AUD.] [Note 274: La grande carte de 1612. Voir plus haut, p. 190, la description de ce poisson.] Ayant fait avec sa Majesté, le sieur de Mons se délibéra d'aller à Rouen trouver ses associez les sieurs Collier & le Gendre marchands de Rouen, pour adviser à ce qu'ils avoient à faire l'année ensuivant. Ils resolurent de continuer l'habitation, & parachever de descouvrir dedans le grand fleuve S. Laurens, suivant les promesses des Ochateguins, à la charge qu'on les assisteroit en leurs guerres comme nous leur avions promis. Le Pont fut destiné pour aller à Tadoussac tant pour la traicte que pour faire quelque autre chose qui pourroit apporter de la commodité pour subvenir aux frais de la despence. Et le sieur Lucas le Gendre de Rouen, l'un des associez, ordonné pour avoir soin de faire tant l'achat des marchandises que vivres, & de la frette des vaisseaux, esquipages & autres choses necessaires pour le voyage. Après ces choses resolues le sieur de Mons s'en retourna à Paris, & moy avec luy, où je fus jusques à la fin de Fevrier: durant lequel temps le sieur de Mons chercha moyen d'avoir nouvelle commission pour les traictes des nouvelles descouvertures, que nous avions faites, où auparavant personne 203/351 n'avoit traicté: Ce qu'il ne peut obtenir, bien que les demandes & propositions fussent justes & raisonnables. Et se voyant hors d'esperance d'obtenir icelle commission, il ne laissa de poursuivre son dessin, pour le desir qu'il avoit que toutes choses reussissent au bien & honneur de la France. Pendant ce temps, le sieur de Mons ne m'avoit dit encores sa volonté pour mon particulier, jusques à ce que je luy eus dit qu'on m'avoit raporté qu'il ne devroit que j'yvernasse en Canadas, ce qui n'estoit pas, car il remit le tout à ma volonté. Je m'esquipay des choses propres & necessaires pour hyverner à nostre habitation de Quebecq, & pour cest effet party de Paris le dernier jour de Fevrier ensuivant, & fus à Honfleur, où se devoit faire l'embarquement. Je passay par Rouen, où je sejournay deux jours: & de là fus à Honfleur, où je trouvay le Pont, & le Gendre, qui me dirent avoir fait embarquer les choses necessaires pour l'habitation. Je fus fort aise de nous voir prests à faire voile: toutesfois incertain si les vivres estoient bons & suffisans pour la demeure & yvernement. 205/353 [Illustration] SECOND VOYAGE[275] DU SIEUR DE CHAMPLAIN fait en la Nouvelle France en l'année 1610. [Note 275: Ce voyage est le second que l'auteur ait fait dans la Nouvelle-France avec une commission expresse et personnelle de fonder un établissement permanent. Dans les deux voyages précédents, il n'avait fait qu'accompagner M. de Monts ou ses lieutenants pour faire un rapport fidèle des avantages que pouvaient offrir les pays nouvellement découverts.] Partement de France pour retourner en la Nouvelle France, & ce qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. CHAPITRE I Le temps venant favorable je m'enbarquay à Honfleur avec quelque nombre d'artisans le 7 du mois de Mars, & fusmes contrariez de mauvais temps en la Manche, & contraincts de relascher en Angleterre, à un lieu appelé Porlan[276], où fusmes quelques jours à la radde: & levasmes l'ancre pour aller à l'isle d'Huy[277], qui est proche de la coste d'Angleterre, d'autant que nous trouvions la radde de Porlan fort mauvaise. Estans proches d'icelle isle, la brume s'esleva si fort que nous fusmes contraincts de relascher à la Houque. [Note 276: Portland.] [Note 277: L'île de Wight.] 206/354 Depuis le partement de Honfleur, je fus persecuté d'une fort grande maladie, qui m'ostoit l'esperance de faire le voyage, & m'estois embarqué dans un batteau pour me faire reporter en France au Havre, & là me faire traicter, estant fort mal au vaisseau: Et faisois estat recouvrant ma santé, que je me rembarquerois dans un autre, qui n'estoit party de Honfleur, où devoit s'embarquer des Marests, gendre de Pont-gravé: mais je me fis porter à Honfleur, tousjours fort mal, où le 15 de Mars le vaisseau d'où j'estois sorty relascha, pour y prendre du l'aist, qui luy manquoit, pour estre bien en assiete. Il fut en ce lieu jusques au 8 d'Avril. Durant ce temps je me remis en assez bon estat: toutesfois encore que foible & débile, je ne laissay pas de me rembarquer. Nous partismes derechef le 18[278] d'Avril, & arrivasmes sur le grand banc le 19 du mois, & eusmes cognoissance des isles S. Pierre le 22. Estans le travers de Menthane nous rencontrasmes 207/355 un vaisseau de S. Maslo, où il y avoit un jeune homme, qui beuvant à la santé de Pont-gravé, ne se peut si bien tenir, que par l'esbranlement du vaisseau il ne tombast en la mer, & se noya sans y pouvoir donner remède, à cause que le vent estoit trop impétueux. [Note 278: Le 8, ou, comme portait peut-être le manuscrit, le _dit huit_, que l'on aura pris pour _dix-huit_, et traduit en chiffres. Lescarbot n'a pas vu d'autre moyen de corriger ce passage que de faire arriver Champlain le _26 de mai_, au lieu du _26 du mois_. Ce qui nous surprend, c'est que M. Ferland, qui d'ordinaire est si exact, ait adopté la supposition de Lescarbot, sans essayer lui-même de concilier ces dates. Mais il est à remarquer premièrement, que la correction que nous faisons, est motivée par les circonstances mêmes du récit de l'auteur, puisque le vaisseau «fut en ce lieu jusqu'au 8», et que, dans l'intervalle, Champlain se rétablit assez bien pour pouvoir se rembarquer. En second lieu, cette seule correction obvie à toutes les difficultés, tandis que celle de Lescarbot en laisse subsister d'assez graves: comment Champlain serait-il parti le dix-huit, quand il vient de dire que le vaisseau ne resta que jusqu'au huit? qu'aurait fait le vaisseau dans l'intervalle? Champlain n'aurait-il pas mentionné la raison de ce nouveau retard comme celle du premier? Enfin comment croire que «depuis plus de soixante ans» on n'eût pas vu les vaisseaux arriver à Tadoussac avant le 18 de mai, puisque la flotte du Canada partait ordinairement aux grandes mers de mars? (Fournier, Hydrogr., liv. III, ch. XLIX.) D'ailleurs, comme le vaisseau de Champlain avait d'abord fait voile au commencement de mars, il est extrêmement probable que les vaisseaux de traite, qui tenaient à n'être pas devancés, partirent aussi dans la première moitié du même mois; alors, rien d'étonnant qu'ils aient été rendus à Tadoussac dès le 18 d'avril. Champlain aurait donc fait la traversée en dix-huit jours; ce qui n'est point incroyable, puisqu'on a vu des traversées encore plus courtes. Il y a d'ailleurs raison de croire que le même vent qui amena si tôt les vaisseaux de traite à Tadoussac, dut favoriser également le vaisseau de Champlain.] Le 26 du mois arrivasmes à Tadoussac, où il y avoit des vaisseaux qui y estoient arrivez dés le 18, ce qui ne s'estoit veu il y avoit plus de 60. ans[279], à ce que disoient les vieux mariniers qui voguent ordinairement audit pays. C'estoit le peu d'yver qu'il y avoit fait, & le peu de glaces [280], qui n'empescherent point l'entrée desdicts vaisseaux. Nous sçeusmes par un jeune Gentilhomme appelé le sieur du Parc qui avoit yverné à nostre habitation, que tous ses compagnons se portoient bien, & qu'il n'y en avoit eu que quelques uns de malades, encore fort peu, & nous asseura qu'il n'y avoit fait presque point d'yver, & avoient eu ordinairement de la viande fraische tout l'yver, & que le plus grand de leur travail estoit de se donner du bon temps. [Note 79: «Cette remarque,» dit M. Ferland, «prouve que depuis le dernier voyage de M. de Roberval en 1649, les Basques, les Normands et les Bretons avaient continué de faire le trafic des pelleteries à Tadoussac.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 157, note i.)] [Note 280: Champlain, en indiquant cette raison, se contente de mentionner un fait, sans prétendre le généraliser, et il reste dans le vrai. Lescarbot, moins scrupuleux, tire de suite la conclusion que, si l'entrée du golfe est obstruée de glaces à la fin de mai, elle doit l'être à plus forte raison au commencement du même mois ou dans le mois d'avril; ce qui cependant est contraire aux faits. «Là, dit-il, ilz trouvèrent des vaisseaux arrivez dés huit jours auparavant, chose qui ne s'étoit veue il y avoit plus de soixante ans, à ce que disoient les vieux mariniers. Car d'ordinaire les entrées du golfe de Canada sont seelées de glaces jusques à la fin de May.» (Liv. v, ch. v.)] Cest yver monstre comme se doivent comporter à l'advenir ceux qui auront telles entreprises, estant bien malaisé de faire une nouvelle habitation sans travail, & courir la première année mauvaise fortune, comme il s'est trouvé en toutes nos premières 208/356 habitations. Et à la vérité en ostant les salures, & ayant de la viande fraische, la santé y est aussi bonne qu'en France. Les sauvages[281] nous attendoient de jour en autre pour aller à la guerre avec eux. Comme ils sceurent que le Pont & moy estions arrivez ensemble, il se resjouirent fort, & vindrent parler à nous. Je fus à terre, pour leur asseurer que nous irions avec eux, suivant les promesses qu'ils m'avoient faites, Qu'après le retour de leur guerre, il me meneroient descouvrir les trois rivieres, jusques en un lieu où il y a une si grande mer[282] qu'ils n'en voyent point le bout, & nous en revenir par le Saguenay audit Tadoussac: & leur demanday s'ils avoient encore ceste mesme volonté: Ils me dirent qu'ouy: mais que ce ne pouvoit estre que l'année suivante: ce qui m'aporta du plaisir[283]: Toutesfois j'avois promis aux Algoumequins & Ochateguins de les assister aussi en leurs guerres, lesquels m'avoient promis de me faire voir leur pays, & le grand lac [284], & quelques mines de cuivre & autres choses qu'ils m'avoient donné à entendre: si bien que j'avois deux cordes à mon arc: de façon que si l'une failloit, l'autre pouvoit reussir. [Note 281: Les Montagnais, comme la suite le fait voir.] [Note 282: La Baie d'Hudson.] [Note 283: Le contexte prouve assez qu'il faut «du desplaisir.»] [Note 284: C'est-à-dire, leur grand lac, le lac Huron.] Le 28 dudit mois je party de Tadoussac, pour aller à Quebecq, où je trouvay le Capitaine Pierre[285] qui y commandoit, & tous ses compagnons en bon estat; & avec eux un Capitaine sauvage 209/357 appelé Batiscan, & aucuns de ses compagnons, qui nous y attendoient, lesquels furent fort resjouys de ma venue, & se mirent à chanter & danser tout le soir. Je leur fis festin ce qu'ils eurent fort aggreable, & firent bonne chère, dont ils ne furent point ingrats, & me convierent moy huictiesme qui n'est pas petite faveur parmy eux, où nous portasmes chacun nostre escuelle, comme est la coustume, & de la remporter chacun plaine de viande, que nous donnions à qui bon nous sembloit. [Note 285: Pierre Chavin. (Voir plus haut, p. 200.)] Quelques jours après que je fus party de Tadoussac, les Montagnets arriverent à Quebecq au nombre de 60 bons hommes, pour s'acheminer à la guerre. Ils y sejournerent quelques jours, s'y donnant du bon temps, & n'estoit pas sans souvent m'importuner, sçavoir si je ne manquerois point à ce que je leur avois promis. Je les asseuray, & promis de rechef, leur demandant s'ils m'avoient trouvé menteur par le passé. Ils se resjouirent fort lors que je leur reiteray mes promesses. Et me disoient voila beaucoup de Basques & Mistigoches (ainsi appelent ils les Normans & Maslouins) qui disent qu'ils viendront à la guerre avec nous, que t'en semble? disent ils vérité? Je leur respondis que non, & que je sçavois bien ce qu'ils avoient au coeur, & que ce qu'ils en disoient n'estoient que pour avoir & attirer leurs commoditez. Ils me disoient tu as dit vray, ce sont femmes, & ne veulent faire la guerre qu'à nos Castors: avec plusieurs autres discours facetieux, & de l'estat & ordre d'aller à la guerre. Ils se resolurent de partir, & m'aller attendre aux trois 210/358 rivieres 30 lieues plus haut que Quebecq, où je leur avois promis de les aller trouver, & quatre barques chargées de marchandises, pour traicter de pelleterie, entre autres avec les Ochateguins, qui me devoient venir attendre à l'entrée de la riviere des Yroquois, comme ils m'avoient promis l'année précédente, & y amener jusques à 400 hommes, pour aller à la guerre. _Partement de Quebecq pour aller assister nos sauvages aliez à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis, & tout ce qui se passa jusques à nostre retour en l'habitation._ CHAPITRE II. JE party de Quebecq le 14 Juin pour aller trouver les Montagnets, Algoumequins & Ochateguins qui se devoient trouver à l'entrée de la riviere des Yroquois. Comme je fus à 8 lieues de Quebecq, je rencontray un canot, où il y avoit deux sauvages, l'un Algoumequin, & l'autre Montagnet, qui me venoient prier de m'advancer le plus viste qu'il me feroit possible, & que les Algoumequins & Ochateguins seroient dans deux jours au rendes-vous au nombre de 200 & 200 autres qui devoient venir un peu après, avec Yroquet un de leurs chefs; & me demandèrent si j'estois content de la venue de ces sauvages: je leur dy que je n'en pouvois estre fasché, puis qu'ils avoient tenu leur promesse. Ils se mirent dedans ma barque, où je leur fis fort bonne chère. Peu de temps aprés avoir devisé avec eux de plusieurs choses touchant leurs guerres, le sauvage 211/359 Algoumequin, qui estoit un de leurs chefs, tira d'un sac une pièce de cuivre de la longueur d'un pied, qu'il me donna, lequel estoit fort beau & bien franc, me donnant à entendre qu'il y en avoit en quantité là où il l'avoit pris, qui estoit sur le bort d'une riviere proche d'un grand lac, & qu'ils le prenoient par morceaux, & le faisant fondre le mettoient en lames, & avec des pierres le rendoient uny. Je fus fort ayse de ce present, encores qu'il fut de peu de valleur. Arrivant aux trois rivieres, je trouvay tous les Montagnets qui m'attendoient, & quatre barques, comme j'ay dit cy dessus, qui y estoient allées pour traicter avec eux. Les sauvages furent resjouis de me voir. Je fus à terre parler à eux. Ils me prièrent, qu'allant à la guerre je ne m'embarquasse point, ny mes compagnons aussi, en d'autres canots que les leurs; & qu'ils estoient nos antiens amis: ce que je leur promis, leur disant que je voulois partir tout à l'heure, d'autant que le vent estoit bon, & que ma barque n'estoit point si aisée que leurs canots, & que pour cela je voulois prendre l'advant. Ils me prièrent instamment d'attendre au lendemain matin, que nous irions tous ensemble, & qu'ils ne feroient pas plus de chemin que moy; Enfin pour les contenter, je leurs promis, dont ils furent fort joyeux. Le jour ensuivant nous partismes tous ensemble vogans jusques au lendemain matin 19e jour dudit mois, qu'arrivasmes à une isle devant ladite riviere des Yroquois, en attendant les Algoumequins qui devoient y venir ce mesme jour. Comme les 212/360 Montagnets couppoient des arbres pour faire place pour danser & se mettre en ordre à l'arrivée desdits Algoumequins, voicy un canot Algoumequin qu'on aperceut venir en diligence advertir que les Algoumequins avoient fait rencontre des Yroquois, qui estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien barricadez, & qu'il seroit malaisé de les emporter, s'ils ne venoient promptement, & les Matigoches avec eux (ainsi nous appelent ils.) Aussitost l'alarme commença parmy eux, & chacun se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais avec confusion: car ils se precipitoient si fort que au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre barque, & aux autres, me priant d'aller avec eux dans leurs canots, & mes compagnons aussi, & me presserent si fort que je m'y embarquay moy cinquiesme. Je priay la Routte qui estoit nostre pilotte, de demeurer en la barque, & m'envoyer encores quelque 4 ou 5 de mes compagnons, si les autres barques envoyoient quelques chalouppes avec hommes pour nous donner secours: Car aucunes des barques n'y voulut aller avec les sauvages, horsmis le Capitaine Thibaut qui vint avec moy, qui avoit là une barque. Les sauvages crioyent à ceux qui restoient qu'ils avoient coeur de femmes, & ne sçavoient faire autre chose que la guerre à leurs pelleteries. Cependant après avoir fait quelque demie lieue, en traversant la riviere tous les sauvages mirent pied à terre, & abandonnant leurs canots prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues & espées, qu'ils amanchent au bout de grands bastons, & 213/361 commencèrent à prendre leur course dans les bois, de telle façon que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous laisserent cinq que nous estions sans guides. Cela nous apporta du desplaisir: neantmoins voyant tousjours leurs brisées nous les suivions; mais souvent nous nous abusions. Comme nous eusmes fait environ demie lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet de piquier qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantité des mousquites, qui estoient si espoisses qu'elles ne nous permettoient point presque de reprendre nostre halaine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement que c'estoit chose estrange, nous ne sçavions plus où nous estions sans deux sauvages que nous apperceusmes traversans le bois, lesquels nous appelasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire où estoient les Yroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller, & que nous nous esgarerions dans les bois. Ils demeurèrent pour nous conduire. Ayant fait un peu de chemin, nous apperceusmes un sauvage qui venoit en diligence nous chercher pour nous faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu forcer la barricade des Yroquois & qu'ils avoient esté repoussés, & qu'il y avoit eu de meilleurs hommes Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez, & qu'ils s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce sauvage qui estoit Capitaine Algoumequin, que 214/362 nous entendions les hurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre disoient des injures, escarmouchans tousjours légèrement en nous attendant. Aussitost que les sauvages nous apperçeurent ils commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la barricade des ennemis pour, la recognoistre. Elle estoit faite de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses. Tous les Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de ladite barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups d'arquebuse à travers les fueillards, d'autant que nous ne les pouvions voir comme eux nous. Je fus blessé en tirant le premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de flesche qui me fendit le bout de l'oreille & entra dans le col. Je prins la flesche qui me tenoit encores au col & l'arachay: elle estoit ferrée par le bout d'une pierre bien aiguë. Un autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi blessé au bras d'une autre flesche que je luy arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos sauvages aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches d'une part & d'autre, menu comme gresle: Les Yroquois s'estonnoient du bruit de nos arquebuses, & principalement de ce que les balles persoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement l'espouvante de l'effet qu'elles faisoient, voyant plusieurs de leurs compaignons tombez morts, & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups 215/363 estre sans remède ils se jettoient par terre, quand ils entendoient le bruit: aussi ne tirions gueres à faute, & deux ou trois balles à chacun coup, & avions la pluspart du temps nos arquebuses appuyées sur le bord de leur barricade. Comme je vy que nos munitions commençoient à manquer, je dy à tous les sauvages, qu'il les falloit emporter de force & rompre leurs barricades, & pour ce faire prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en aprocher de si prés que l'on peust lier de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & à force de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort: & que cependant nous à coups d'arquebuses repousserions les ennemis qui viendroient se presenter pour les en empescher: & aussi qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les renverser dessus pour les accabler, que d'autres couvriroient de leurs rondaches pour empescher que les ennemis ne les endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on estoit en train de parachever, les barques qui estoient à une lieue & demie de nous nous entendoient battre par l'equo de nos arquebusades qui resonnoit jusques à eux, qui fit qu'un jeune homme de sainct Maslo plein de courage, appelé des Prairies, qui avoit sa barque comme les autres pour la traite de pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il avoit trop l'honneur en recommandation, & qu'il ne vouloit 216/364 point qu'on luy peut faire ce reproche: & sur cela se délibéra de me venir trouver dans une chalouppe avec quelques siens compagnons, & des miens qu'il amena avec luy. Aussitost qu'il fut arrivé il alla vers le fort des Yroquois, qui estoit sur le bort de la riviere, où il mit pied à terre, & me vint chercher. Comme je le vis, je fis cesser nos sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des Prayries & ses compagnons de faire quelque salve d'arquebusades, auparavant que nos sauvages les emportassent de force, comme ils avoient délibéré: ce qu'ils firent, & tirèrent plusieurs coups, où chacun d'eux se comporta bien en son devoir. Et après avoir assez tiré, je m'adresse à nos sauvages & les incitay de parachever: Aussitost s'aprochans de ladite barricade comme ils avoient fait auparavant, & nous à leurs aisles pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la rompre. Ils firent si bien & vertueusement qu'à la faveur de nos arquebusades ils y firent ouverture, neantmoins difficile à passer, car il y avoit encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: Toutesfois quand je vey l'entrée assez raisonnable, je dy qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait: Au mesme instant quelque vingt ou trente, tant des sauvages que de nous autres, entrasmes dedans l'espée en la main, sans trouver beaucoup de resistance. Aussitost ce qui restoit sain commença à prendre la fuitte: mais ils n'alloient pas loing, car ils estoient défaits par ceux qui estoient à l'entour de ladite baricade: & ceux qui 217/365 eschaperent se noyèrent dans la riviere. Nous prismes quelques quinze prisonniers, le reste tué à coups d'arquebuse, de flesches & d'espée. Quand ce fut fait, il vint une autre chalouppe & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop tart: toutesfois assez à temps pour la despouille du butin, qui n'estoit pas grand chose: il n'y avoit que des robes de castor, des morts, plains de sang, que les sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la dernière chalouppe: Car les autres ne se mirent en ce villain devoir. Voila donc avec la grâce de Dieu la victoire obtenue, dont ils nous donnèrent beaucoup de louange. 364a [Illustration] _Fort des Yroquois._ A Le fort des Yroquois. B Yroquois se jettans en la riviere pour se sauver poursuivis par les Montaignets & Algoumequins se jettant après eux pour les tuer. D Le sieur de Champlain & 5 des siens. E Tous nos sauvages amis. F Le sieur des Prairies de S. Maslo avec ses compagnons. G Chalouppe dudit sieur des Prairies. H Grands arbres couppés pour ruiner le fort des Yroquois. Ces sauvages escorcherent les testes de ceux qui estoient morts, ainsi qu'ils ont accoustumé de faire pour trophée de leur victoire, & les emportent. Ils s'en retournèrent avec cinquante blessez des leurs, & trois hommes morts desdicts Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers avec eux. Ayant les testes pendues à des bastons devant leurs canots & un corps mort couppé par quartiers, pour le manger par vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste façon jusques où estoient nos barques audevant de ladite riviere des Yroquois. Et mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chalouppe, où je me fis penser de ma blesseure par le chirurgien de Boyer de Rouen qui y estoit venu aussi pour la traicte. Tout ce jour se passa avec les sauvages en danses & chançons. Le lendemain ledit sieur du Pont arriva avec une autre chalouppe chargée de quelques marchandises & une autre qu'il 218/366 avoit laissée derrière où estoit le Capitaine Pierre qui ne pouvoit venir qu'avec peine, estant ladite barque un peu lourde & malaisée à nager. Cedit jour on traicta quelque pelleterie, mais les autres barques emportèrent la meilleure part du butin. C'estoit leur avoir fait un grand plaisir de leur estre allé chercher des nations étrangères, pour après emporter le profit sans aucune risque ny hazard. Ce jour je demanday aux sauvages un prisonnier Yroquois qu'ils avoient, lequel ils me donnèrent. Je ne fis pas peu pour luy, car je le sauvay de plusieurs tourmens qu'il luy eust fallu souffrir avec ses compagnons prisonniers, ausquels ils arrachoient les ongles, puis leur couppoient les doits, & les brusloient en plusieurs endroits. Ils en firent mourir ledit jour deux ou trois, & pour leur faire souffrir plus de tourmens ils en usent ainsi. Ils prindrent leurs prisonniers & les emmenèrent sur le bort de l'eau & les attachèrent tous droits à un baston, puis chacun venoit avec un flambeau d'escorce de bouleau, les brullans tantost sur une partie tantost sur l'autre: & les pauvres miserables sentans ce feu faisoient des cris si haut que c'estoit chose estrange à ouyr, & des cruautez dont ces barbares usent les uns envers les autres. Après les avoir bien fait languir de la façon, & les brullans avec ladite escorce, ils prenoient de l'eau & leur jettoient sur le corps pour les faire languir d'avantage: puis leur remettoient de rechef le feu de telle façon, que la peau tomboit de leurs corps, & continuoyent avec grands cris & exclamations, dansant jusques à 219/367 ce que ces pauvres miserables tombassent morts sur la place. Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frappoient dessus à grands coups de baston, puis luy coupoient les bras & les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour homme de bien entr'eux celuy qui ne couppoit un morceau de sa chair & ne la donnoit aux chiens. Voila la courtoisie que reçoivent les prisonniers. Mais neantmoins ils endurent si constamment tous les tourmens qu'on leur fait, que ceux qui les voyent en demeurent estonnez. Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux Algoumequins que Montagnets, furent conservez pour les faire mourir par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, encores elles les surpassent de beaucoup en cruauté: car par leur subtilité elles inventent des supplices plus cruels, & y prennent plaisir, les faisant ainsi finir leur vie en douleurs extresmes. Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet & un autre Ochatagin, qui avoient quelques 80 hommes, qui estoient bien faschez de ne s'estre trouvez à la deffaite. En toutes ces nations il y avoit bien prés de 200 hommes qui n'avoient jamais veu de Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations. Nous fusmes quelques trois jours ensemble à une isle[286] le 220/368 travers de la riviere des Yroquois, & puis chacune des nations s'en retourna en son pays. J'avois un jeune garçon, qui avoit desja yverné deux ans à Quebecq, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins, pour apprendre la langue. Pont-gravé & moy advisasmes que s'il en avoit envie que ce seroit mieux fait de l'envoyer là qu'ailleurs, pour sçavoir quel estoit leur pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, quels peuples y habitent; ensemble descouvrir les mines & choses les plus rares de ces lieux & peuples, afin qu'à son retour nous peussions estre informez de la vérité. Nous luy demandasmes s'il l'avoit aggreable: car de l'y forcer ce n'estoit ma volonté: mais aussi tost la demande faite, il accepta le voyage très-volontiers. [Note 286: L'île de Saint-Ignace. Les sauvages, pour éviter les surprises, ayant pour habitude de camper dans les îles, on peut raisonnablement supposer que cette île était proprement le lieu de la traite, quoiqu'on désignât ce lieu sous le nom de cap au Massacre, ou cap de la Victoire, à cause de la proximité de ce dernier. Sans aucun doute, le cap de la Victoire a dû son nom à la victoire remportée sur les Iroquois dans cette expédition de 1610. «Ce lieu du Cap de la Victoire ou de Massacre,» écrit Sagard en 1632 (Grand Voyage, p. 60), est à douze ou quinze lieues au deçà de la Riviere des Prairies... La riviere en cet endroit n'a environ que demye lieue de large, & dés l'entrée se voyent tout d'un rang 6 ou 7 isles fort agréables & couvertes de beaux bois.--A l'issue du lac,» ajoute le même auteur dans son Histoire du Canada, «nous entrasmes peu après au port du Cap de la Victoire... On voit du port six ou sept isles toutes de front,... qui couvrent le lac S. Pierre & la riviere des Ignerhonons (nation hyroquoyse) qui se descharge icy dans le grand fleuve, vis à vis du port, beau, large & fort spacieux.» Plus loin, p. 765, il parle encore du même lieu, «nommé, dit-il, par les Hurons Onthrandéen, & par nous cap de la Victoire.» Un passage de Nicolas Perrot nous apprend d'une manière un peu plus précise la position du cap de la Victoire: «Les Outaoüas, dit-il, & toutes les autres nations qui commerçoient avec les François... s'imaginoient que l'Irroquois estoit embusqué partout. Ils n'en trouverent cependant qu'au cap Massacre, qui est l'endroit des dernières concessions au bas de Saint-Ours.» (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P. Tailhan, p. 93.) Or on sait que la concession de Saint-Ours finissait, sur le fleuve, à une lieue et demie au-dessus de Sorel. Enfin la Relation de 1646 (p. 10) dit que «le cap nommé de Massacre était à une lieue plus haut que Richelieu,» ou Sorel.] Je fus trouver le Capitaine Yroquet qui m'estoit fort affectionné, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune garçon avec luy en son pays pour y yverner, & le ramener au printemps: Il me promit le faire, & le tenir comme son fils, & qu'il en estoit tres-content. Il le va dire à tous les Algoumequins, qui n'en furent pas trop contens, pour la crainte que quelque accident ne luy arriva: & que pour cela nous leur 221/369 fissions la guerre. Ce doubte refroidit Yroquet, & me vint dire que tous ses compagnons ne le trouvoient pas bon: Cependant toutes les barques s'en estoient allées, horsmis celle du Pont, qui ayant quelque affaire pressée, à ce qu'il me dit, s'en alla aussi: & moy je demeuray avec la mienne, pour voir ce qui reussiroit du voyage de ce garçon que j'avois envie qu'il fit. Je fus donc à terre & demanday à parler aux Capitaines, lesquels vindrent à moy, & nous assismes avec beaucoup d'autres sauvages anciens de leurs trouppes; puis je leur demanday pourquoy le Capitaine Yroquet que je tenois pour mon amy, avoit refusé d'emmener mon garçon avec luy. Que ce n'estoit pas comme frère ou amy, de me dernier une chose qu'il m'avoit promis, laquelle ne leur pouvoit apporter que du bien; & que en emmenant ce garçon, c'estoit pour contracter plus d'amitié avec eux & leurs voisins, que n'avions encores fait, & que leur difficulté me faisoit avoir mauvaise opinion d'eux; & que s'ils ne vouloient emmener ce garçon, ce que le Capitaine Yroquet m'avoit promis, je n'aurois jamais d'amitié avec eux, car ils n'estoient pas enfans pour rejetter ceste promesse. Alors ils me dirent qu'ils en estoient bien contens, mais que changeant de nourriture, ils craignoient que n'estant si bien noury comme il avoit accoustumé, il ne luy arriva quelque mal dont je pourrois estre fasché, & que c'estoit la seule cause de leur refus. Je leur fis responce que pour la vie qu'ils faisoient & des vivres dont ils usoient, ledit garçon s'y sçauroit bien accommoder, & que si par maladie ou fortune de guerre il luy 222/370 survenoit quelque mal, cela ne m'empescheroit de leur vouloir du bien, & que nous estions tous subjects aux accidens, qu'il failloit prendre en patience: Mais que s'ils le traitoyent mal, & qu'il luy arriva quelque fortune par leur faute, qu'à la vérité j'en serois mal content; ce que je n'esperois de leur part, ains tout bien. Ils me dirent, puis donc que tu as ce desir, nous l'emmenerons & le tiendrons comme nous autres: Mais tu prendras aussi un jeune homme en sa place, qui ira en France: Nous serons bien aise qu'il nous rapporte ce qu'il aura veu de beau. Je l'acceptay volontiers, & le prins[287]. Il estoit de la nation des Ochateguins, & fut aussi fort aise de venir avec moy. Cela donna plus de subject de mieux traicter mon garçon, lequel j'esquippay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin. [Note 287: «J'ay vu souvent, dit Lescarbot, ce sauvage de Champlein nommé Savignon, à Paris, gros garson & robuste, lequel se mocquoit voyant quelquefois deux hommes se quereller sans se battre, ou tuer, disant que ce n'étoient que des femmes, & n'avoient point de courage.» (Liv. v, ch. v.)] Nous nous separasmes avec force promesses d'amitié. Ils s'en allèrent donc du costé du grand saut de la riviere de Canadas, & moy, je m'en retournay à Quebecq. En allant je rencontray le Pont-gravé, dedans le lac sainct Pierre, qui m'attendoit avec une grande pattache qu'il avoit rencontrée audit lac, qui n'avoit peu faire diligence de venir jusques où estoient les sauvages, pour estre trop lourde de nage. Nous nous en retournasmes tous ensemble à Quebecq: puis ledit Pont-gravé s'en alla à Tadoussac, pour mettre ordre à quelques affaires 223/371 que nous avions en ces quartiers là; & moy je demeuray à Quebecq pour faire redifier quelques palissades au tour de nostre habitation, attendant le retour dudit Pont-gravé, pour adviser ensemblement à ce qui seroit necessaire de faire. Le 4 de Juin[288] des Marests arriva à Quebecq, qui nous resjouit fort: car nous doubtions qu'il luy fut arrivé quelque accident sur la mer. [Note 288: Il est probable qu'il faut lire: le 4 de juillet.] Quelques jours après un prisonnier Yroquois que j'y faisois garder, par la trop grande liberté que je luy donnois s'en fuit & se sauva, pour la crainte & apprehension qu'il avoit: nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa nation que nous avions en nostre habitation. Peu de jours après, le Pont-gravé m'escrivit qu'il estoit en délibération d'yverner en l'habitation, pour beaucoup de considerations qui le mouvoient à ce faire. Je luy rescrivy, que s'il croyoit mieux faire que ce que j'avois fait par le passé qu'il seroit bien. Il fit donc diligence de faire apporter les commoditez necessaires pour ladite habitation. Après que j'eu fait parachever la palissade autour de nostre habitation, & remis toutes choses en estat, le Capitaine Pierre revint dans une barque qui estoit allé à Tadoussac voir de ses amis: & moy j'y fus aussi pour voir ce qui reussiroit de la seconde traite & quelques autres affaires particulières, que j'y avois. Où estant je trouvay ledit Pont-gravé qui me communiqua fort particulièrement son dessin, & ce qui l'occasionnoit d'yverner. Je luy dis sainement ce qu'il m'en 224/372 sembloit, qui estoit, que je croyois qu'il n'y proffiteroit pas beaucoup, selon les apparences certaines qui se pouvoient voir. Il délibéra donc changer de resolution, & despescha une barque, & manda au Capitaine Pierre qu'il revint de Quebecq pour quelques affaires qu'il avoit avec luy: & aussi que quelques vaisseaux, qui estoient venus de Brouage apportèrent nouvelles, que monsieur de sainct Luc estoit venu en poste de Paris, & avoit chassé ceux de la Religion, hors de Brouage, & renforcé la garnison de soldats, & s'en estoit retourné en Court; & que le Roy avoit esté tué, & deux ou trois jours aprés luy, le duc de Suilly, & deux autres seigneurs dont on ne sçavoit le nom[289]. [Note 289: Henri IV avait en effet été assassiné le 14 de mai; mais ni le duc de Sully ni aucun autre Seigneur ne l'avaient été.] Toutes ces nouvelles apportèrent un grand desplaisir aux vrais François, qui estoient lors en ces quartiers là: Pour moy, il m'estoit fortmalaisé de le croire, pour les divers discours qu'on en faisoit, qui n'avoient pas beaucoup d'apparence de vérité: & toutesfois bien affligé d'entendre de si mauvaises nouvelles. Or après avoir sejourné trois ou quatre jours à Tadoussac, & veu la perte que firent beaucoup de marchans qui avoient chargé grande quantité de marchandises & équipé bon nombre de vaisseaux, esperant faire leurs affaires en la traite de Pelleterie, qui fut si miserable pour la quantité de vaiseaux, que plusieurs se souviendront long temps de la perte qu'ils firent en ceste année[290]. [Note 290: Lescarbot nous fait connaître la cause de cette affluence de vaisseaux de traite. «Cette année, dit-il, le refus fait au sieur de Monts de lui continuer son privilège, ayant été divulgué par les ports de mer, l'avidité des Merchens pour les Castors fut si grande, que les trois parts cuidans aller conquérir la toison d'or sans coup férir, ne conquirent pas seulement des toisons de laine, tant étoit grand le nombre des conquerans.» (Liv. v, ch. v.)] 225/373 Ledit sieur de Pont-gravé & moy, nous nous embarquasmes chacun dans une barque, & laissasmes ledit Capitaine Pierre au vaisseau & emmenasmes le Parc à Quebecq, où nous parachevasmes de mettre ordre à ce qui restoit de l'habitation. Après que toutes choses furent en bon estat, nous resolusmes que ledit du Parc qui avoit yverné avec le Capitaine Pierre y demeuroit derechef, & que le Capitaine Pierre reviendroit aussi en France, pour quelques affaires qu'il y avoit, & l'y appelloient. Nous laissasmes donc ledit du Parc, pour y commander, avec seize hommes, ausquels nous fismes une remonstrance, de vivre tous sagement en la crainte de Dieu, & avec toute l'obeissance qu'ils devoient porter audit du Parc, qu'on leur laissoit pour chef & conducteur, comme si l'un de nous y demeuroit; ce qu'ils promirent tous de faire, & de vivre en paix les uns avec les autres. Quand aux jardins nous les laissasmes bien garnis d'herbes potagères de toutes sortes, avec de fort beau bled d'Inde, & du froument, seigle & orge, qu'on avoit semé, & des vignes que j'y avois fait planter durant mon yvernement (qu'ils ne firent aucun estat de conserver: car à mon retour, je les trouvay toutes rompues, ce qui m'aporta beaucoup de desplaisir, pour le peu de soin qu'ils avoient eu à la conservation d'un si bon & beau plan, dont je m'estois promis qu'il en reussiroit quelque chose de bon.) Après avoir veu toutes choses en bon estat, nous partismes de Quebecq, le 8 du mois d'Aoust, pour aller à Tadoussac, afin de faire apareiller nostre vaisseau, ce qui fut promptement fait. 226/374 _Retour en France. Rencontre d'une balaine, & de la façon qu'on les prent._ CHAPITRE III. LE 13. dudit mois nous partismes de Tadoussac, & arrivasmes à l'isle Percée le lendemain, où nous trouvasmes quantité de vaisseaux faisant pesche de poisson sec & vert, Le 18 dudit mois, nous partismes de l'isle Percée & passames par la hauteur de 42 degrez de latitude, sans avoir aucune cognoissance du grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, pour ledit lieu estre trop estroit en ceste hauteur. Estant comme à demy traversé, nous rencontrasmes une balaine qui estoit endormie, & le vaisseau passant par dessus, luy fit une fort grande ouverture proche de la queue, qui la fit bien tost resveiller sans que nostre vaisseau en fut endomagé, & jetta grande abbondance de sang. Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite description de la pesche des balaines, que plusieurs n'ont veue, & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant qu'il y a de si impudens menteurs qui l'afferment à ceux qui n'en sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinement sur ces faux raports. Ceux donc qui sont plus adroits à cette pesche sont les Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un port de seureté, ou proche de là où ils jugent y avoir quantité de ballaines, & équipent plusieurs chalouppes garnies de bons 227/375 hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longeur pour le moins cent cinquante brasses, & ont force pertusanes longues de demie pique qui ont le fer large de six pouces, d'autres d'un pied & demy & deux de long, bien tranchantes. Ils ont en chacune chalouppe un harponneur, qui est un homme des plus dispos & adroits d'entre eux; aussi tire il les plus grands salaires après les maistres, d'autant que c'est l'office le plus hazardeux. Ladite chalouppe estant hors du port, ils regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque balaine, allant à la borde d'un costé & d'autre: & ne voyant rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire, le plus haut qu'ils trouvent pour descouvrir de plus loing, où ils mettent un homme en sentinelle, qui apercevant la balaine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle jette par les esvans, qui est plus d'un poinçon à la fois, & de la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huille. Il y en a telle d'où l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons, d'autres moins. Or voyant cet espouvantable poisson, ils s'embarquent promptement dans leurs chalouppes, & à force de rames ou de vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la chalouppe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds & demy de large par le bas, emmanché en un baston de la longueur d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où s'attache la 228/376 haussiere, & aussi tost que ledit harponneur voit son temps, il jette son harpon sur la balaine, lequel entre fort avant, & incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au fonds de l'eau. Et si d'adventure en se retournant quelque fois, avec sa queue elle rencontre la chalouppe, ou les hommes, elle les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant: Mais aussitost qu'ils ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere, jusques à ce que la balaine soit au fonds: & quelque fois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la chalouppe plus de huit ou neuf lieues, & va aussi viste comme un cheval, & sont le plus souvent contraints de coupper leur haussiere, craignant que la balaine ne les attire soubs l'eau: Mais aussi quand elle va au fonds tout droit, elle y repose quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau: & à mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu à peu & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois chalouppes autour avec leurs pertusanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups, & se sentant frappée, elle descend de rechef soubs l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle façon, qu'elle n'a plus de force ne vigueur, & revenant sur l'eau ils achevent de la tuer: & quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de l'eau, lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la traînent à terre, au lieu où ils font leur degrat, qui est l'endroit où ils font fondre le lard de ladite balaine, pour en avoir l'huille. Voila la façon que elles se peschent, & non à coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy dessus. Pour reprendre le fil de mon discours, Après la 229/377 blessure de la balaine cy devant, nous prismes quantité de marsouins, que nostre contre maistre harponna, dont nous receusmes du plaisir & contentement. Aussi prismes nous quantité de poisson à la grand oreille avec une ligne & un aim, où nous attachions un petit poisson ressemblant au hareng, & la laissions traîner derrière le vaisseau, & la grand oreille pensant en effect que ce fut un poisson vif, venoit pour l'engloutir, & se trouvoit aussitost prins à l'aim qui estoit passé dans le corps du petit poisson. Il est tresbon, & a de certaines aigrettes qui sont fort belles, & aggreables comme celles qu'on porte aux pennaches. Le 22 de Septembre, nous arrivasmes sur la sonde, & advisasmes vingt vaisseaux qui estoient à quelque quatre lieux à l'Ouest de nous, que nous jugions estre Flamans à les voir de nostre vaisseau. Et le 25 dudit mois nous eusmes la veue de l'isle de Grenezé, après avoir eu un grand coup de vent, qui dura jusques sur le midy. Le 27 dudit mois arrivasmes à Honfleur. 231/379 [Illustration:] LE TROISIESME VOYAGE DU SIEUR DE Champlain en l'année 1611. _Partement de France pour retourner en la nouvelle France. Les dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation._ CHAPITRE I. Nous partismes de Honfleur, le premier jour de Mars avec vent favorable jusques au huictiesme dudit mois, & depuis fusmes contrariés du vent de Su Surouest & Ouest Norouest qui nous fit aller jusques à la hauteur de 42 degrez de latitude, sans pouvoir eslever Su, pour nous mettre au droit chemin de nostre routte. Après donc avoir eu plusieurs coups de vent, & esté contrariés de mauvais temps: Et neantmoins, avec tant de peines & travaux, à force de tenir à un bort & à l'autre, nous fismes en sorte que nous arrivasmes à quelque 80 lieux du grand banc où se fait la pesche du poisson vert, où nous rencontrasmes des glaces de plus de trente à quarante brasses de haut, qui nous fit bien penser à ce que nous devions faire, craignant d'en rencontrer d'autres la nuit, & que le vent 232/380 venant à changer, nous poussast contre, jugeant bien que ce ne feroit les dernières, d'autant que nous estions partis de trop bonne heure de France. Navigeant donc le long de cedit jour à basse voile au plus prés du vent que nous pouvions, la nuit estant venue, il se leva une brume si espoisse, & Ci obscure, qu'à peine voyons nous la longueur du vaisseau. Environ sur les onze heures de nuit les matelots adviserent d'autres glaces qui nous donnèrent de l'apprehension, mais enfin nous fismes tant avec la diligence des mariniers, que nous les esvitasmes. Pensant avoir passé les dangers nous vinsmes à en rencontrer une devant nostre vaisseau que les matelots apperceurent, & non si tost que nous fusmes presques portez dessus. Et comme un chacun se recommendoit à Dieu, ne pensant jamais esviter le danger de ceste glace qui estoit soubs nostre beau pré, l'on crioit au gouverneur qu'il fit porter: Car ladite glace, qui estoit fort grande drivoit au vent d'une telle façon qu'elle passa contre le bord de nostre vaisseau, qui demeura court comme s'il n'eust bougé pour la laisser passer, sans toutesfois l'offencer: Et bien que nous fussions hors du danger: si est ce que le sang d'un chacun ne fut si promptement rassis, pour l'apprehention qu'on en avoit eue, & louasmes Dieu de nous avoir delivrez de ce péril. Après cestuy là passé, ceste mesme nuit nous en passames deux ou trois autres, non moins dangereux que les premiers, avec une brume pluvieuse & froide au possible, & de telle façon que l'on ne se pouvoit presque réchauffer. Le lendemain continuant nostre routte nous rencontrasmes plusieurs autres grandes & fort hautes glaces, qui sembloient des isles à les voir de 233/391 loin, toutes lesquelles evitasmes, jusques à ce que nous arrivasmes sur ledit grand banc, où nous fusmes fort contrariez de mauvais temps l'espace de six jours: Et le vent venant à estre un peu plus doux & assez favorable, nous desbanquasmes par la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, qui fut le plus Su que peusmes aller. Après avoir fait quelque 60 lieues à l'Ouest-norouest nous apperceusmes un vaisseau qui venoit nous recognoistre, & puis fit porter à l'Est-nordest, pour esviter un grand banc de glace contenant toute l'estandue de nostre veue. Et jugeans qu'il pouvoit avoir panage par le milieu de ce grand banc, qui estoit separé en deux, pour parfaire nostre dite routte nous entrasmes dedans & y fismes quelque 10 lieues sans voir autre apparence que de beau partage jusques au soir, que nous trouvasmes ledit banc seelé, qui nous donna bien à penser ce que nous avions à faire, la nuit venant, & au défaut de la lune, qui nous ostoit tout moien de pouvoir retourner d'où nous estions venus: & neantmoins après avoir bien pensé, il fut resolu de rechercher nostre entrée à quoy nous nous mismes en devoir: Mais la nuict venant avec brumes, pluye & nege & un vent si impetueux que nous ne pouvions presque porter nostre grand papefi[291], nous osta toute cognoissance de nostre chemin. Car comme nous croyons esviter lesdites glaces pour passer, le vent avoit desja fermé le passage, de façon que nous fusmes contraincts de retourner à l'autre bord, & n'avions loisir d'estre un quart d'heure sur un bord amurés, pour r'amurer sur l'autre, afin d'esviter milles glaces qui estoient 234/382 de tous costez: & plus de 20 fois ne pensions sortir nos vies sauves. [Note 291: _Pacfi_, ou simplement _pafi_; c'est la plus basse voile du grand mât.] Toute la nuict se passa en peines & travaux: & jamais ne fut mieux fait le quart, car parsonne n'avoit envie de reposer, mais bien de s'esvertuer de sortir des glaces & périls. Le froid estoit si grand que tous les maneuvres dudit vaisseau estoient si gelez & pleins de gros glaçons, que l'on ne pouvoit manouvrer, ny se tenir sur le Tillac dudit vaisseau. Après donc avoir bien couru d'un costé & d'autre, attendant le jour, qui nous donnoit quelque esperance: lequel venu avec une brume, voyant que le travail & fatigue ne pouvoit nous servir, nous resolusmes d'aller à un banc de glace, où nous pourrions estre à l'abri du grand vent qu'il faisoit, & amener tout bas, & nous laisser driver comme lesdites glaces, afin que quand nous les aurions quelque peu esloignées nous remissions à la voile, pour aller retrouver ledit banc, & faire comme auparavant, attendant que la brume fut passée, pour pouvoir sortir le plus promptement que nous pourrions. Nous fusmes ainsi tout le jour jusques au lendemain matin, où nous mismes à la voille, allant tantost d'un costé & d'autre, & n'allions en aucun endroit que ne nous trouvassions enfermez en de grands bancs de glaces, comme en des estangs qui sont en terre. Le soir apperceusmes un vaisseau, qui estoit de l'autre costé d'un desdicts bancs de glace, qui, je m'asseure, n'estoit point moins en soing que nous, & fusmes quatre ou cinq jours en ce péril en extrêmes peines, jusques à ce qu'à un matin jettans la veue de tous costez nous n'apperceusmes aucun passage, sinon à un endroit où 235/383 l'on jugea que la glace n'estoit espoisse, & que facillement nous la pourrions passer. Nous nous mismes en devoir & passames par quantité de bourguignons, qui sont morceaux de glace separez des grands bancs par la violance des vents. Estans parvenus audit banc de glasse, les matelots commencèrent à s'armer de grands avirons, & autres bois pour repousser les bourguignons que pourrions rencontrer, & ainsi passasmes ledit banc, qui ne fut pas sans bien aborder des morceaux de glace qui ne firent nul bien à nostre vaisseau, toutesfois sans nous faire dommage qui peust nous offencer. Estant hors nous louasmes Dieu de nous avoir delivrez. Continuans nostre routte le lendemain, nous en rencontrasmes d'autres, & nous engageasmes de telle façon dedans, que nous nous trouvasmes environés de tous costés, sinon par où nous estions venus, qui fut occasion qu'il nous fallut retourner sur nos brisées pour essayer de doubler la pointe du costé du Su: ce que ne peusmes faire que le deuxiesme jour, passant par plusieurs petits glaçons separez dudit grand banc, qui estoit par la hauteur de 44 degrez & demy, & singlasmes jusques au lendemain matin, faisant le Norouest & Nor-nor-ouest, que nous rencontrasmes un autre grand banc de glace, tant que nostre veue se pouvoit estendre devers l'Est & l'Ouest, lequel quand l'on l'apperceut l'on croioit que ce fut terre: car ledit banc estoit si uny que l'on eust dit proprement que cela avoit esté ainsi fait exprés, & avoit plus de dixhuit pieds de haut, & deux fois autant soubs l'eau, & faisions estat de n'estre qu'à quelque quinze lieues 236/384 du cap Breton, qui estoit le vingtsixiesme jour dudit mois. Ces rencontres de glaces si souvent nous apportoient beaucoup de desplaisir: croyant aussi que le passage dudit cap Breton & cap de Raye seroit fermé, & qu'il nous faudroit tenir la mer longtemps devant que de trouver passage. Ne pouvans donc rien faire nous fumes contraincts de nous remettre à la mer quelque quatre ou cinq lieues pour doubler une autre pointe dudit grand banc, qui nous demeuroit à l'Ouest-surouest, & après retournâmes à l'autre bord au Norouest, pour doubler ladite pointe, & singlasmes quelques sept lieues, & puis fismes le Nor-norouest quelque trois lieues, où nous apperçusmes derechef un autre banc de glace. La nuit s'approchoit, & la brume se levoit, qui nous fit mettre à la mer pour passer le reste de la nuit attendant le jour, pour retourner recognoistre lesdites glaces. Le vintseptiesme jour dudit mois, nous advisasmes terre à l'Ouest-norouest de nous, & ne vismes aucunes glaces qui nous peuvent demeurer au Nor-nordest: Nous approchasmes de plus prés pour la mieux recognoistre, & vismes que c'estoit Campseau, qui nous fit porter au Nort pour aller à l'isle du cap Breton, nous n'eusmes pas plustost fait deux lieues que rencontrasmes un banc de glace qui fuioit au Nordest. La nuit venant nous fusmes contraincts de nous mettre à la mer jusques au lendemain, que fismes le Nordest, & rencontrasmes une autre glace qui nous demeuroit à l'Est & Est-suest, & la costoyasmes, mettant le cap au Nordest & au Nor plus de quinze lieux: En fin fusmes contraincts de refaire l'Ouest, qui nous donna beaucoup de desplaisir, voyant que ne pouvions trouver passage, & fusmes 237/385 contraincts de nous en retirer & retourner sur nos brisées: & le mal pour nous que le calme nous prit de telle façon que la houle nous pensa jetter sur la coste dudit banc de glace, & fusmes prests de mettre nostre batteau hors, pour nous servir au besoin. Quand nous nous fussions sauvez sur lesdites glaces il ne nous eut servy que de nous faire languir, & mourir tous miserables. Comme nous estions donc en deliberation de mettre nostre dit batteau hors, une petite fraischeur se leva, qui nous fit grand plaisir, & par ainsi évitasmes lesdites glaces. Comme nous eusmes fait deux lieues, la nuit venoit avec une brume fort espoisse, qui fut occasion que nous amenasmes pour ne pouvoir voir: & aussi qu'il y avoit plusieurs grandes glaces en nostre routte, que craignions abborder: & demeurasmes ainsi toute la nuit jusques au lendemain vingtneufiesme jour dudit mois, que la brume renforça de telle façon, qu'à peine pouvoit on voir la longueur du vaisseau, & faisoit fort peu de vent: neantmoins nous ne laissasmes de nous appareiller pour esviter lesdites glaces: mais pensans nous desgager, nous nous y trouvasmes si embarrassez, que nous ne sçavions de quel bort amurer: & derechef fusmes contraints d'amener, & nous laisser driver jusques à ce que lesdites glaces nous fissent appareiller, & fismes cent bordées d'un costé & d'autre, & pensasmes nous perdre par plusieurs fois: & le plus asseuré y perdroit tout jugement, ce qu'eust aussi bien fait le plus grand astrologue du monde. Ce qui nous donnoit du desplaisir d'avantage, c'estoit le peu de veue, & la nuit qui venoit, & 238/386 n'avions refuite d'un quart de lieue sans trouver banc ou glaces, & quantité de bourguignons, que le moindre eust esté suffisant de faire perdre quelque vaisseau que ce fust. Or comme nous estions tousjours costoyans au tour des glaces, il s'esleva un vent si impétueux qu'en peu de temps il separa la brume, & fit faire veue, & en moins d'un rien rendit l'air clair, & beau soleil. Regardant au tour de nous, nous nous vismes enfermez dedans un petit estang, qui ne contenoit pas lieue & demie en rondeur, & apperçeusmes l'isle dudit cap Breton, qui nous demeuroit au Nort, presque à quatre lieues, & jugeasmes que le partage estoit encore fermé jusques audit cap Breton. Nous apperçeusmes aussi un petit banc de glace au derrière de nostre dit vaisseau, & la grand mer qui paroissoit au delà, qui nous fit prendre resolution de passer par dessus ledit banc, qui estoit rompu: ce que nous fismes dextrement sans offencer nostredit vaisseau, & nous nous mismes à la mer toute la nuit, & fismes le Suest desdites glaces. Et comme nous jugeasmes que nous pouvions doubler ledit banc de glace, nous fismes l'est-nordest quelques quinze lieues, & apperçeusmes seulement une petite glace, & la nuit amenasmes jusques au lendemain, que nous apperçeusmes un autre banc de glace au Nord de nous, qui continuoit tant que nostre veue se pouvoit estendre, & avions drivé à demy lieue prés, & mismes les voiles haut, cottoyant tousjours ladite glace pour en trouver l'extrémité. Ainsi que nous singlions nous avisasmes un vaisseau le premier jour de May qui estoit parmy les glaces, qui avoit bien eu de la peine d'en sortir aussi bien que nous, 239/387 & mismes vent devant pour attendre ledit vaisseau qui faisoit large sur nous, d'autant que desirons sçavoir s'il n'avoit point veu d'autres glaces. Quand il fut proche, nous apperçeusmes que c'estoit le fils du sieur de Poitrincourt qui alloit trouver son père qui estoit à l'habitation du port Royal; & y avoit trois mois qu'il estoit party de France (je crois que ce ne fut pas sans beaucoup de peine) & s'ils [292] estoient encore à prés de cent quarante lieues dudit port Royal, bien à l'escart de leur routte. Nous leur dismes que nous avions eu cognoissance des isles de Campseau, qui à mon opinion les asseura beaucoup, d'autant qu'ils n'avoient point encore eu cognoissance d'aucune terre, & s'en alloient donner droit entre le cap S. Laurens, & cap de Raye, par où ils n'eussent pas trouvé ledit port Royal, si ce n'eust esté en traversant les terres. Après avoir quelque peu parlé ensemble, nous nous departismes chacun suivant sa routte. Le lendemain nous eusmes cognoissance des isles sainct Pierre, sans trouver glace aucune: & continuant nostre routte, le lendemain troisiesme jour du mois eusmes cognoissance du cap de Raye, sans aussi trouver glaces. Le quatriesme dudit mois eusmes cognoissance de l'isle sainct Paul, & cap sainct Laurens; & estions à quelques huit lieues au Nord dudit cap S. Laurens. Le lendemain eusmes cognoissance de Gaspé. Le septiesme jour dudit mois fusmes contrariez du vent de Norouest, qui nous fit driver prés de trente cinq lieues de chemin, puis le vent se vint à calmer, & en beauture, qui nous fut favorable jusques à Tadoussac, qui fut le tresiesme jour dudit mois de May, où nous 240/388 fismes tirer un coup de canon pour advertir les sauvages, afin de sçavoir des nouvelles des gens de nostre habitation de Quebecq. Tout le pays estoit encore presque couvert de neige. Il vint à nous quelques canots, qui nous dirent qu'il y avoit une de nos pattaches qui estoit au port il y avoit un mois, & trois vaisseaux qui y estoient arrivez depuis huit jours. Nous mismes nostre batteau hors, & fusmes trouver lesdicts sauvages, qui estoient assez miserables, & n'avoient à traicter que pour avoir seulement des rafraichissemens, qui estoit fort peu de chose: encore voulurent ils attendre qu'il vint plusieurs vaisseaux ensemble, afin d'avoir meilleur marché des marchandises: & par ainsi ceux s'abusent qui pensent faire leurs affaires pour arriver des premiers: car ces peuples sont maintenant trop fins & subtils. [Note 292: _Et si_, pour _et cependant_.] Le dixseptiesme jour dudit mois je partis de Tadoussac pour aller au grand saut trouver les sauvages Algoumequins & autres nations qui m'avoient promis l'année précédente de s'y trouver avec mon garçon que je leur avois baillé, pour apprendre de luy ce qu'il auroit veu en son yvernement dans les terres. Ceux qui estoient dans ledit port, qui se doutoient bien, où je devois aller, suivant les promesses que j'avois faites aux sauvages, comme j'ay dit cy dessus, commencèrent à faire bastir plusieurs petites barques pour me suivre le plus promptement qu'ils pouroient: Et plusieurs, à ce que j'appris devant que partir de France, firent equipper des navires & pattaches sur l'entreprise de nostre voyage, pensant en revenir riches comme d'un voyage des Indes. 241/389 Le Pont demeura audit Tadoussac sur l'esperance que s'il n'y faisoit rien, de prendre une pattache, & me venir trouver au dit saut. Entre Tadoussac & Quebecq nostre barque faisoit grand eau, qui me contraignit de retarder à Quebecq pour l'estancher, qui fut le 21e jour de May. _Descente à Quebecq pour faire racommoder la barque, Partement dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages & recognoistre un lieu propre pour une habitation._ CHAPITRE II. Estans à terre je trouvay le sieur du Parc qui avoit yverné en ladite habitation, & tous ses compagnons, qui se portoient fort bien, sans avoir eu aucune maladie. La chasse & gibier ne leur manqua aucunement en tout leur yvernement, à ce qu'ils me dirent. Je trouvay le Capitaine sauvage appelé Batiscan & quelques Algoumequins, qui disoient m'attendre, ne voulant retourner à Tadoussac qu'ils ne m'eussent veu. Je leur fis quelque proposition de mener un de nos gens aux trois rivieres pour les recognoistre, & ne peu obtenir aucune chose d'eux pour ceste année, me remettant à l'autre: neantmoins je ne laissay de m'informer particulièrement de l'origine & des peuples qui y habitent: ce qu'ils me dirent exactement. Je leur demanday un de leurs canots, mais ils ne s'en voulurent desfaire en aucune façon que ce fut pour la necessité qu'ils en avoient: car j'estois délibéré d'envoyer deux ou trois hommes descouvrir dedans lesdites trois rivieres voir ce qu'il y auroit: ce que 242/390 je ne peu faire, à mon grand regret, remettant la partie à la première occasion qui se presenteroit. Je fis cependant diligeance de faire accommoder nostredicte barque. Et comme elle fut preste, un jeune homme de la Rochelle appelé Trefart, me pria que je luy permisse de me faire compagnie audit saut, ce que je luy refusay, disant que j'avois des dessins particuliers, & que je ne desirois estre conducteur de personne à mon prejudice, & qu'il y avoit d'autres compaignies que la mienne pour lors, & que je ne desirois ouvrir le chemin & servir de guide, & qu'il le trouveroit assés aisement sans moy. Ce mesme jour je partis de Quebecq, & arrivay audit grand saut le vingthuictiesme de May, où je ne trouvay aucun des sauvages qui m'avoient promis d'y estre au vingtiessme dudit mois. Aussitost je fus dans un meschant canot avec le sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens. Après avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois que le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation d'une habitation, & y préparer une place pour y bastir, je fis quelques huit lieues par terre cottoyant le grand saut par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques à un lac[293], où nostre sauvage me mena; où je consideray fort particulièrement le pays; Mais en tout ce que je vy, je n'en trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit, qui est jusques où les barques & chalouppes peuvent monter aisement: neantmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la 243/391 place Royalle) à une lieue du mont Royal, y a quantité de petits rochers & basses, qui sont fort dangereuses. Et proches de ladite place Royalle y a une petite riviere[294] qui va assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autresfois des sauvages[295] y ont labouré, mais ils les ont quitées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande quantité d'autres belles prairies pour nourrir tel nombre de bestail que l'on voudra: & de toutes les sortes de bois qu'avons en nos forests de pardeça: avec quantité de 244/392 vignes, noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui sont très-bonnes à manger, entre autres une qui est fort excellente, qui a le goût sucrain, tirans à celuy des plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux aussi de diferentes especes: & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls, Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres petites bestes qui y sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit saut, nous n'en manquasmes aucunement. [Note 293: Le lac des Deux-Montagnes.] [Note 294: La petite rivière Saint-Pierre.] [Note 295: Les sauvages qui avaient cultivé ces terres étaient évidemment ceux que Cartier y avait trouvés en 1535, dans sa visite à Hochelaga et au Mont-Royal. «Commençasmes, dit-il, à trouver les terres labourées, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi comme nous faisons de fourment; & au parmy d'icelles champaignes est située la ville de Hochelaga, prés & joignant une montaigne qui est à l'entour d'icelle, labourée & fort fertile.» (Second Voyage, fol. 23 _b_.) Or, selon toutes les apparences, les habitants d'Hochelaga étaient les mêmes que ceux auxquels plus tard on a donné le nom d'Iroquois. D'abord ils étaient sédentaires; ce qui était propre à la grande famille huronne-iroquoise; leurs villages, leurs cabanes avaient absolument la disposition et la forme qu'ont toujours eu les villages et les cabanes des Hurons et des Iroquois; tous les mots qui nous ont été conservés de leur langue par les relations de Cartier, se retrouvent encore dans la langue iroquoise; enfin les traditions qu'ont pu recueillir les missionnaires et les premiers voyageurs, attestent que les environs de Montréal et même de Québec étaient le pays des Iroquois. Nicolas Perrot, si bien instruit des traditions et de l'histoire des sauvages, dit que «le pays des Iroquois estoit autrefois le Montréal & les Trois Rivieres,» et qu'ils s'en éloignèrent par suite d'un démêlé survenu entre eux et les Algonquins (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P. Tailhan, p. 9); ce qui, explique pourquoi ceux-ci revendiquaient aussi l'île de Montréal comme le pays de leurs ancêtres (Relations 1642, p. 38, et 1646, p. 34, édit. 1858). Le témoignage du P. Lafitau confirme encore celui de Perrot: «Les Iroquois Agniers, dit-il, assurent qu'ils errèrent longtemps sous la conduite d'une femme nommée Gaihonariosk; cette femme les promena dans tout le nord de l'Amérique, & les fit passer au lieu où est située maintenant la ville de Québec... C'est ce que les Agniés racontent de leur origine.» (Moeurs des sauvages, t. I, p. 101, 102.) Ce qu'il paraît y avoir de plus vraisemblable, c'est que les iroquois ou hurons de Hochelaga furent d'abord contraints de laisser leur pays aux Algonquins, qui alors avaient l'avantage sur eux; mais qu'ensuite les Iroquois, s'étant aguerris, finirent par en chasser les Algonquins, sans toutefois y revenir eux-mêmes, parce que leur nouveau pays leur offrait autant d'avantages et plus de sécurité. (Voir Histoire de la colonie française en Canada, t. I, p. 524 et s.)] Ayant donc recogneu fort particulièrement & trouvé ce lieu un des plus beaux qui fut en ceste riviere, je fis aussitost coupper & deffricher le bois de ladite place Royalle[296] pour la rendre unie, & preste à y bastir, & peut on faire passer l'eau au tour aisement, & en faire une petite isle, & s'y establir comme l'on voudra. [Note 296: Cette place Royale que Champlain fit défricher, était sur la pointe à laquelle on donna depuis le nom de Callières. (Voir la lettre A de la carte du saut Saint-Louis.)] Il y a un petit islet à quelque 20 thoises de ladite place Royalle, qui a quelques cent pas de long, où l'on peut faire une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier, tant pour bricque que pour bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une partie & y fis une mouraille de quatre pieds d'espoisseur & 3 à 245/393 4 de haut, & 10 toises de long pour voir comme elle se conserveroit durant l'yver quand les eaux descenderoient, qui à mon opinion ne sçauroit parvenir jusques à lad. muraille, d'autant que le terroir est de douze pieds eslevé dessus ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle d'environ trois quarts de lieues de circuit, capable d'y bastir une bonne & forte ville, & l'avons nommée l'isle de saincte Elaine[297]. Ce saut descend en manière de lac, où il y a deux ou trois isles & de belles prairies. [Note 297: L'auteur paraît avoir nommé ainsi cette île à l'occasion du mariage qu'il venait de contracter, un peu avant son départ de France, avec Demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé, secrétaire de la chambre du roi.] Le premier jour de Juin le Pont arriva audit saut, qui n'avoit rien sceu faire à Tadoussac; & bonne compagnie le suivirent & vindrent après luy pour y aller au butin, car sans ceste esperance ils estoient bien de l'arriére. Or attendant les sauvages, je fis faire deux jardins, l'un dans les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le deuxiesme jour de juin j'y semay quelques graines, qui sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui demonstre la bonté de la terre. Nous resolusmes d'envoyer Savignon nostre sauvage avec un autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire haster de venir, & se délibèrent d'aller dans nostre canot, qu'ils doubtoient, d'autant qu'il ne valoit pas beaucoup. Ils partirent le cinquiesme jour dudit mois. Le lendemain arriva quatre ou cinq barques (c'estoit pour nous faire escorte) d'autant qu'ils ne pouvoient rien faire audit Tadoussac. Le septiesme jour je fus recognoistre une petite riviere par où 246/394 vont quelques fois les sauvages à la guerre, qui se va rendre au saut de la riviere des Yroquois[298]: elle est fort plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force terres, qui se peuvent labourer: elle est à une lieue du grand saut, & lieu & demie de la place Royalle. [Note 298: En remontant la rivière Saint-Lambert, et en suivant celle de Montréal, on arrive effectivement au bassin de Chambly, c'est-à-dire, au pied du saut de la rivière des Iroquois.] Le neufiesme jour nostre sauvage arriva, qui fut quelque peu pardela le lac qui a quelque dix lieues de long, lequel j'avois veu auparavant[299], où il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne purent passer plus loin à cause de leur dit canot qui leur manqua; & furent contraints de s'en revenir. Ils nous rapportèrent que passant le saut ils virent une isle où il y avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout couvert. Il y eust un jeune homme qui estoit au sieur de Mons appelé Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel entendant cela, voulut y aller contenter sa curiosité, & pria fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le sauvage luy accorda avec un Capitaine sauvage Montagnet fort gentil personnage, appelé Outetoucos. Dés le matin led. Louys fut appeler les deux sauvages pour s'en aller à ladite isle des hérons. Ils s'embarquèrent dans un canot & y furent. Ceste isle est au milieu du saut[300], où ils prirent telle quantité de heronneaux & autres oyseaux qu'ils voulurent, & se 247/395 rembarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de l'autre sauvage & de l'instance qu'il peut faire voulut passer par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de trois pieds de haut, disant que d'autresfois il y avoit passé, ce qui estoit faux, il fut long temps à debatre contre nostre sauvage qui le voulut mener du costé du Su le long de la grand Tibie[301], par où le plus souvent ils ont accoustumé de passer, ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit point de danger. Comme nostre sauvage le vit opiniastre, il condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins on deschargeast le canot d'une partie des oyseaux qui estoient dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils voyoient qu'il y eut du péril pour eux. Ils se laisserent donc driver dans le courant. Et comme ils furent dans la cheute du saut, ils en voulurent sortir & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps, car la vitesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussitost dans les boullons du saut, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas. Ils ne l'abandonnèrent de long temps: Enfin la roideur de l'eau les lassa de telle façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit nager en aucune façon perdit tout jugement & le canot estant au fonds de l'eau il fut contraint de l'abandonner: & revenant au haut les deux autres qui le tenoient tousjours ne virent plus nostre 248/396 Louys, & ainsi mourut miserablement[302]. Les deux autres tenoient tousjours ledit canot: mais comme ils furent hors du saut, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager, l'abandonna, pensant gaigner la terre, bien que l'eau y courust encore de grande vitesse, & se noya: car il estoit si fatigué & rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver ayant abandonné le canot, que nostre sauvage Savignon mieux advisé tint tousjours fermement, jusques à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant l'avoit porté, & sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eut eue, qu'il vint tout doucement à terre, où estant arrivé il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehention qu'on ne se vangeast sur luy, comme ils font entre eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous apportèrent du desplaisir. [Note 299: Le lac des Deux-Montagnes. (_Conf_. p. 242, ci-dessus.)] [Note 300: Cette expression _au milieu du saut_ tranche une difficulté qui se rencontre dans la carte du Saut St. Louis, où manque la lettre Q, tandis que la lettre P s'y trouve deux fois: l'île aux Hérons est celle qui y est marquée R, et l'île au Diable, située au sud-ouest de la première, devrait porter la lettre R. Nous regrettons d'être, sur ce point, en désaccord avec l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_; mais nous avons du moins la consolation d'être d'accord avec la tradition.] [Note 301: La _grand Tibie_ n'est rien autre chose que la grand Terre. C'est une faute typographique, que l'auteur a corrigée lui-même dans l'édition de 1632.] [Note 302: C'est sans doute en mémoire de la mort de ce jeune Louis, que l'on donna au Grand-Saut le nom de Saint-Louis, qu'il a toujours porté depuis.] 396a [Illustration: Le grand saut St Louis] A Petite place que je fis deffricher. B Petit estang. G Petit islet où je fis faire une muraille de pierre. D Petit ruisseau où se tiennent les barques. E Prairies où se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays. F Montaignes qui paroissent dans les terres. G Petit estang. H (1) Mont Royal. I Petit ruisseau. L Le saut. M Le lieu où les sauvages passent leurs canots, par terre du costé du Nort. N Endroit où un de nos gens & un sauvage se noyèrent. O Petit islet de rochers. P (2) Autre islet où les oyseaux font leurs nids. Q (3) L'isle aux hérons. R (4) Autre isle dans le saut. S Petit islet. T Petit islet rond. V Autre islet demy couvert d'eau. X (5) Autre islet ou il y a force oyseaux de riviere. Y Prairies. Z Petite riviere. 2 (6) Isles assez grandes & belles. 3 Lieux qui descouvrent quand le eaux baissent, où il se fait grands bouillonnements, comme aussi fait audit saut. 4 Prairies plaines d'eaux. 5 Lieux fort bas & peu de fonds 6 Autre petit islet. 7 Petis rochers. 8 Isle sainct Helaine. 9 Petit islet desgarny d'arbres. oo Marescages qui s'escoulent dan le grand saut. (1) La lettre H se trouve en double; l'une sur la montagne, et c'est là sa place; l'autre au bas de 1 îlot Normandie. Cette dernière n'est probablement que le chiffre 11, dont le graveur aura fait une lettre. (2) La lettre P est en double. Evidemment, cet autre islet est entre N et 0. (3) La lettre Q ne se trouve pas dans la carte. C'est la lettre H qui est à sa place (voir note 3 de la page 246). (4) Cette lettre devrait être à la place de celui des deux F qui désigne l'île au Diable, c'est-à dire, cette _autre île dans le saut_ qui est au sud-ouest de l'île aux Hérons. (5) _x_ dans la carte. (6) Ce chiffre 2 se trouve tellement placé auprès de l'île Saint-Paul, qu'on le prendrait pour la lettre N. Le lendemain [303] je fus dans un autre canot audit saut avec le sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils s'estoient perdus: & aussi si nous trouverions les corps, & vous asseure que quand il me monstra le lieu les cheveux me herisserent en la teste, de voir ce lieu si espouvantable, & m'estonnois comme les deffuncts avoient esté si hors de jugement de passer un lieu si effroiable, pouvant aller par ailleurs: car il est impossible d'y passer pour avoir sept à huit cheutes d'eau qui descendent de degré en degré, le moindre de trois pieds de haut, où il se faisoit un train & bouillonnement estrange, & une partie dudit saut estoit toute blanche d'escume, qui montroit le lieu le plus effroyable, avec 249/397 un bruit si grand que l'on eut dit que c'estoit un tonnerre, comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Après avoir veu & consideré particulièrement ce lieu & cherché le long du rivage lesdicts corps, cependant qu'une chalouppe assez légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes sans rien trouver. [Note 303: Le 11 de juin. Nos trois chasseurs étaient partis le 10 au matin, et vraisemblablement l'accident arriva le même jour.] _Deux cens sauvages ramènent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenerent leur sauvage qui estoit retourné, de France. Plusieurs discours de part & d'autre._ CHAPITRE III. LE treisiesme jour dudit mois[304] deux cens sauvages Charioquois[305], avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet & Tregouaroti frère de nostre sauvage amenèrent mon garçon. Nous fusmes fort contens de les voir, je fus au devant d'eux avec un canot & nostre sauvage, & cependant qu'ils approchoient doucement en ordre, les nostres s'apareillerent de leur faire une escopeterie d'arquebuses & mousquets, & quelques petites pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où ils nous louoient fort, & nous tenant pour véritables, de ce que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les venir trouver audit saut. Après avoir fait trois autres cris, 250/398 l'escopeterie tira par deux fois de 13 barques ou pattaches qui y estoient, qui les estonna de telle façon qu'ils me prièrent de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus grand part, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la façon, & craignoient qu'il ne leur fit mal, & furent fort contans de voir nostredit sauvage sain, qu'ils pensoient mort, sur des rapports que leur avoient fait quelques Algoumequins qui l'avoient ouy dire à des sauvages Montagnets. Le sauvage me loua du traictement que je luy avois fait en France, & des singularitez qu'il avoit veues, dont ils entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le bois assez légèrement attendant le lendemain, que je leur monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logassent. Aussi je vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du traistement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son yvernement, & ce qu'il avoit apris desdicts sauvages. [Note 304: Le 13 de juin.] [Note 305: Ce nom, que l'auteur remplace par celui de Hurons, dans son édition de 1632, était probablement celui d'un chef de cette nation, de même que celui d'Ochateguins.] Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner, où les antiens & principaux deviserent fort ensemble: Et après avoir esté un long temps en cest estat, ils me firent appeler seul avec mon garçon, qui avoit fort bien apris leur langue, & luy dirent qu'ils desiroient faire une estroite amitié avec moy, & estoient faschez de voir toutes ces chalouppes ensemble, & que nostre sauvage leur avoit dit qu'il ne les cognoissoit point, ny ce qu'ils avoient dans l'âme, & qu'ils voyoient bien qu'il n'y avoit que le gain & l'avarice qui les y amenoit, & que quand ils auroient besoin de leur assistance qu'ils ne leur 251/399 donneroient aucun secours, & ne seroient comme moy qui m'offrois avec mes compagnons d'aller env leur pays, & les assister, & que je leur en avois monstré des tesmoignages par le passé, en se louant tousjours du traictement que j'avois fait à nostre sauvage comme à mon frère, & que cela les oubligeoit tellement à me vouloir du bien, que tout ce que je desirerois d'eux, ils assayeroient à me satisfaire, & craignoient que les autres pattaches ne leur fissent du desplaisir. Je leur asseuray que non feroient, & que nous estions tous soubs un Roy, que nostredit sauvage avoit veu, & d'une mesme nation, (mais pour ce qui estoit des affaires, qu'elles estoient particulières) & ne devoient point avoir peur, estant aussi asseurez comme s'ils eussent esté dans leur pays. Après plusieurs discours, ils me firent un present de 100 castors. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de marchandise, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 sauvages qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardés, fut un prisonnier Yroquois qui estoit à moy, qui s'estoit eschappé & s'en estoit allé en son pays, & qu'il avoit donné à entendre que je luy avois donné liberté & des marchandises, & que je devois aller audit saut avec 600 Yroquois attendre les Algoumequins, & les tuer tous: Que la crainte de ces nouvelles les avoit arrestés, & que sans cela qu'ils fussent venus. Je leur fis response que le prisonnier s'estoit desrobé sans que je luy eusse donné congé, & que nostredit sauvage sçavoit bien de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y avoit aucune apparence de laisser leur amitié comme ils avoient ouy dire, ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon garçon en leur 252/400 pays pour entretenir leur amitié; & que la promesse que je leur avois si fidèlement tenue le confirmoit encore. Ils me respondirent que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pensé, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient esloignez de la vérité; & que s'ils eussent creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de François que mon garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cens Algoumequins dans cinq ou six jours, si on les vouloit attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les Yroquois, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire. Je les entretins fort sur le subjet de la source de la grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, & terres, que des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils me dirent aussi que l'yver précédant il estoit venu quelques sauvages du costé de la Floride par derrière le pays des Yroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec lesdicts sauvages: Enfin ils m'en discoururent fort exactement, me demonstrant par figures tous les lieux où ils avoient esté, prenant plaisir à m'en discourir: & moy je ne m'ennuiois pas à les entendre, pour estre fait certain des choses dont j'avois esté en doute jusques à ce qu'ils m'en eurent esclarcis. Après tous ces discours finis, je leur dis qu'ils traictassent ce peu 253/401 de commodités qu'ils avoient, ce qu'ils firent le lendemain, dont chacune des barques emporta sa pièce: nous toute la peine & advanture, les autres qui ne se soucioient d'aucunes descouvertures, la proye, qui est la seule cause qui les meut, sans rien employer ny hazarder. Le lendemain après avoir traité tout ce qu'ils avoient, qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur logement du costé du bois, & en partie du costé de nos pattaches, & disoient que c'estoit pour leur seureté, afin d'esviter la surprinse de leurs ennemis: ce que nous prismes pour argent content. La nuit venue ils appellerent nostre sauvage qui couchoit à ma pattache, & mon garçon, qui les furent trouver: Après avoir tenu plusieurs discours, ils me firent aussi appeler environ sur la minuit. Estant en leurs cabannes, je les trouvay tous assis en conseil, où ils me firent assoir prés d'eux, disans que leur coustume estoit que quand ils vouloient s'assembler pour proposer quelque chose, qu'ils le faisoient la nuit, afin de n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que l'on ne pensoit qu'à escouter, & que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais à mon opinion ils me vouloient dire leur volonté en cachette, se fians en moy. Et d'ailleurs ils craignoient les autres pattaches, comme ils me donnèrent à entendre depuis. Car ils me dirent qu'ils estoient faschez de voir tant de François, qui n'estoient pas bien unis ensemble, & qu'ils eussent bien desiré me voir seul: Que quelques uns d'entre eux avoient esté battuz: Qu'ils me vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayant telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, 254/402 mais qu'ils se mesfioient fort des autres: Que si je retournois, que j'amenasse telle quantité de gens que je voudrois, pourveu qu'ils fussent soubs la conduite d'un chef: & qu'ils m'envoyoient quérir pour m'asseurer d'avantage de leur amitié, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point faché contre eux: & que sçachans que j'avois pris deliberation de voir leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs vies, m'assistant d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par tout. Et qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils faisoient de nous. Aussitost ils firent venir 50 castors & 4 carquans de leurs porcelaines (qu'ils estiment entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or) & que j'en fisse participant mon frère (ils entendoient Pont-gravé d'autant que nous estions ensemble) & que ces presens estoient d'autres Capitaines qui ne m'avoient jamais veu, qui me les envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis: mais que s'il y avoit quelques François qui voulussent aller avec eux, qu'ils en eussent esté fort contens, & plus que jamais, pour entretenir une ferme amitié. Après plusieurs discours faits, je leur proposay, Qu'ayant la volonté de me faire voir leur pays, que je supplirois sa Majesté de nous assister jusques à 40 ou 30 hommes armez de choses necessaires pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin pour nostre vivre durant ledit voyage, & que je leur apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par où nous passerions, puis nous nous en reviendrions 255/403 yverner en nostre habitation: & que si je recognoissois le pays bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations; & que par ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur feroit cognoistre. Ils furent fort contens de ceste proposition, & me prièrent d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce qu'il leur seroit possible pour en venir au bout: & que pour ce qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus que eux mesmes, m'asseurans de rechef, de me faire voir ce que je desirois: & la dessus je pris congé d'eux au point du jour, en les remerciant de la volonté qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de tousjours continuer. Le lendemain 17e jour dud. mois ils dirent qu'ils s'en alloient à la chasse des castors, & qu'ils retourneroient tous. Le matin venu ils acheverent de traicter ce peu qu'il leur restoit, & puis s'embarquèrent en leurs canots, nous prians de ne toucher à leurs logements pour les deffaire, ce que nous leur promismes: & se separerent les uns des autres, faignant aller chasser en plusieurs endroits, & laisserent nostre sauvage avec moy pour nous donner moins de mesfience d'eux: & neantmoins ils s'estoient donnez le randez-vous par de là le saut, où ils jugeoient bien que nous ne pourrions aller avec nos barques: cependant nous les attandions comme ils nous avoient dit. Le lendemain il vint deux sauvages, l'un estoit Yroquet, & l'autre le frère de nostre Savignon, qui le venoient requérir, & me prier de la part de tous leurs compagnons que j'allasse 256/404 seul avec mon garçon, où ils estoient cabannez, pour me dire quelque chose de consequence, qu'ils ne desiroient communiquer devant aucuns François: le leur promis d'y aller. Le jour venu je donnay quelques bagatelles à Sauvignon qui partit fort content, me faisant entendre qu'il s'en alloit prendre une vie bien pénible aux prix de celle qu'il avoit eue en France; & ainsi se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre deschargé. Les deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent. Je m'enbarquay & mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au saut, nous fusmes dans le bois quelques huit lieues, où ils estoient cabannez sur le bort d'un lac, où j'avois esté auparavant. Comme ils me virent ils furent fort contens, & commencèrent à s'escrier selon leur coustume, & nostre sauvage s'en vint audevant de moy me prier d'aller en la cabanne de son frère, où aussi tost il fit mettre de la cher & du poisson sur le feu, pour me festoyer. Durant que je fus là il se fit un festin, où tous les principaux furent invitez: je n'y fus oubligé[306], bien que j'eusse desja pris ma refection honnestement, mais pour ne rompre la coustume du pays j'y fus. Après avoir repeu, ils s'en allèrent dans les bois, tenir leur Conseil, & cependant je m'amusay à contempler le paisage de ce lieu, qui est fort aggreable. Quelque temps après ils m'envoyerent appeler pour me communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux. J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & 257/405 n'avoir point manqué à ma parolle de ce que je leur avois promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit à leur continuer mon amitié, & que devant que partir, ils desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent allez sans me voir, croyant qu'autrement je leur eusse voulu du mal: & que ce qui leur avoit faict dire qu'ils alloient à la chasse, & la barricade qu'ils avoient faite, ce n'estoit la crainte de leurs ennemis, ny le desir de la chasse, mais la crainte qu'ils avoient de toutes les autres pattaches qui estoient avec moy à cause qu'ils avoient ouy dire que la nuit qu'ils m'envoyerent appeler qu'on les devoit tous tuer, & que je ne les pourrois deffendre contre les autres, estans beaucoup plus que moy, & que pour se desrober, ils userent de ceste finesse: mais que s'il n'y eust eu que nos deux pattaches qu'ils eussent tardé quelques jours d'avantage qu'ils n'avoient fait; & me prièrent que revenant avec mes compagnons je n'en amenasse point d'autres. Je leur dis que je ne les amenois pas, ains qu'ils me suivoient sans leur dire, & qu'à l'advenir j'yrois d'autre façon que je n'avois fait, laquelle je leur declaray, dont ils furent fort contens. [Note 306: Oublié.] Et derechef ils me commencèrent à reciter ce qu'ils m'avoient promis touchant les descouvertures des terres, & moy je leur fis promesse d'accomplir, moyennant la grâce de Dieu, ce que je leur avois dit. Ils me prièrent encore de rechef de leur donner un homme: je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller que j'en serois fort content. 258/406 Ils me dirent qu'il y avoit un marchand appelé Bouvier qui commandoit en une pattache, qui les avoit priés d'emmener un jeune garçon, ce qu'ils ne luy avoient voulu accorder qu'auparavant ils n'eussent sçeu de moy si j'en estois content, ne sçachant si nous estions amis, d'autant qu'il estoit venu en ma compagnie traicter avec eux; & qu'ils ne luy avoient point d'obligation en aucune façon: mais qu'il s'offroit de leur faire de grands presens. Je leur fis response que nous n'estions point ennemis, & qu'ils nous avoient veu converser souvent ensemble: mais pour ce qui estoit du trafic, chacun faisoit ce qu'il pouvoit, & que ledit Bouyer peut estre desiroit envoyer ce garçon, comme l'avois fait le mien pensant esperer à l'advenir, ce que je pouvois aussi prétendre d'eux: Toutesfois qu'ils avoient à juger auquel ils avoient le plus d'obligation, & de qui ils devoient plus esperer. Ils me dirent qu'il n'y avoit point de comparaison des obligations de l'un à l'autre, tant des assistances que je leur avois faites en leurs guerres contre leurs ennemis, que de l'offre que je leur faisois de ma personne pour l'advenir, où tousjours ils m'avoient trouvé véritable, & que le tout despendoit de ma volonté: & que ce qui leur en faisoit parler estoit lesdicts presens qu'il leur avoit offert: & que quand bien ledit garçon iroit avec eux, que cela ne les pouvoit obliger envers ledit Bouvier comme ils estoient envers moy, & que cela n'importeroit de rien à l'advenir, veu que ce n'estoit que pour avoir lesdicts presens dudit Bouvier. Je leur fis response qu'il m'estoit indifferent qu'ils le 259/407 prinssent ou non, & qu'à la vérité s'ils le prenoient avec peu de chose, que j'en serois fasché, mais en leur faisant de bons presens que j'en serois content, pourveu qu'il demourast avec Yroquet: ce qu'ils me promirent. Et après m'avoir fait entendre leur volonté pour la dernière fois, & moy à eux la mienne, il y eut un sauvage qui avoit esté prisonnier par trois fois des Yroquois, & s'estoit sauvé fort heureusement, qui resolut d'aller à la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines me prièrent de l'en destourner si je pouvois d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageast si avant parmy les ennemis avec si petite trouppe, qu'il n'en revint jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les raisons que je luy peus alléguer, lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses doigts couppez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, comme ils l'avoient tourmanté, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit vengeance, & que son coeur luy disoit qu'il failloit qu'il partist au plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit fort délibéré de bien faire. Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre pattache: pour ce faire ils equipperent 8 canots pour passer ledit saut & se despouillerent tous nuds, & me firent mettre en chemise: car souvant il arrive que d'aucuns se perdent en le passant, partant se tiennent les uns prés des autres pour se secourir promptement si quelque canot arrivoit à renverser. Ils me disoient si par malheur le tien venoit à tourner, ne sachant 260/408 point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te tiens bien à de petits bastons qui y sont par le milieu, car nous te sauverons aysement: le vous asseure que ceux qui n'ont pas veu ny passé ledit endroit en des petits batteaux comme ils ont, ne le pouroient pas sans grande apprehension mesmes le plus asseuré du monde. Mais ces nations sont si addextres à paner les sauts, que cela leur est facile: Je le passay avec eux, ce que je n'avois jamais fait, ny autre Chrétien, horsmis mondit garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logay une bonne partie, & j'eus quelques paroles avec ledit Bouvier pour la crainte qu'il avoit que je n'empeschasse que son garçon n'allast avec lesdits sauvages, qui le lendemain s'en retournèrent avec ledit garçon, lequel cousta bon à son maistre, qui avoit l'esperance à mon opinion, de recouvrir la perte de son voyage qu'il fit assés notable, comme firent plusieurs autres. Il y eut un jeune homme des nostres qui se délibéra d'aller avec lesdicts sauvages, qui sont Charioquois esloignez du saut de quelques cent cinquante lieues; & fut avec le frère de Savignon, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout ce qu'il pourroit: Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin, qui est à quelque quatre-vingts lieues dudit saut. Ils s'en allèrent fort contens & satisfaicts. Après que les susdicts sauvages furent partis, nous attendîmes encore les 300 autres que l'on nous avoit dit qui devoient venir sur la promesse que je leur avois faite. Voyant qu'ils ne venoient point, toutes les pattaches resolurent d'inciter 261/409 quelques sauvages Algoumequins, qui estoient venus de Tadoussac, d'aller audevant d'eux moyennant quelque chose qu'on leur donneroit quand ils seroyent de retour, qui devoit estre au plus tard dans neuf jours, afin d'estre asseurés de leur venue ou non, pour nous en retourner à Tadoussac: ce qu'ils accordèrent, & pour cest effect partit un canot. Le cinquiesme jour de Juillet arriva un canot des Algoumequins de ceux qui devoient venir au nombre de trois cens, qui nous dit que le canot qui estoit party d'avec nous estoit arrivé en leur pays, & que leurs compagnons estans lassez du chemin qu'ils avoient fait de rafraischissoient, & qu'ils viendroient bien tost effectuer la promesse qu'ils avoient faite, & que pour le plus ils ne tarderoient pas plus de huit jours, mais qu'il n'y auroit que 24 canots: d'autant qu'il estoit mort un de leurs Capitaines & beaucoup de leurs compagnons, d'une fievre qui s'estoit mise parmy eux: & aussi qu'ils en avoyent envoyé plusieurs à la guerre, & que c'estoit ce qui les avoit empeschez de venir. Nous resolusmes de les attendre. Voyant que ce temps estoit passé, & qu'ils ne venoyent point: Pontgravé partit du saut le 11e jour dudit mois, pour mettre ordre à quelques affaires qu'il avoit à Thadoussac, & moy je demeuray pour attendre lesdits sauvages. Cedit jour arriva une pattache, qui apporta du rafraichissement à beaucoup de barques que nous estions: Car il y avoit quelques jours que le pain, vin, viande & le citre nous estoient faillis, & n'avions recours qu'à la pesche du poisson, & à la 262/410 belle eau de la riviere, & à quelques racines qui sont au pays, qui ne nous manquerent en aucune façon que ce fust: & sans cela il nous en eust falu retourner. Ce mesme jour arriva un canot Algoumequin qui nous assura que le lendemain lesdits vingtquatre canots devoyent venir, dont il y en avoit douze pour la guerre. Le 12 dudit mois arriverent lesdits Algoumequins avec quelque peu de marchandise. Premier que traicter ils firent un present à un sauvage Montagnet, qui estoit fils d'Annadabigeau[307] dernier mort, pour l'appaiser & defascher de la mort de sondit père. Peu de temps après ils se resolurent de faire quelques presents à tous les Capitaines des pattaches. Ils donnèrent à chacun dix Castors: & en les donnant, ils dirent qu'ils estoyent bien marris de n'en avoir beaucoup, mais que la guerre (où la plus part alloyent) en estoit cause: toutesfois que l'on prist ce qu'ils offroyent de bon coeur, & qu'ils estoyent tous nos amis, & à moy qui estois assis auprès d'eux, par dessus tous les autres, qui ne leur vouloyent du bien que pour leurs Castors: ne faisant pas comme moy qui les avois tousjours assistez, & ne m'avoient jamais trouvé en deux parolles comme les autres. Je leur fis response que tous ceux qu'ils voioyent assemblez estoyent de leurs amis, & que peust-estre que quand il se presenteroit quelque occasion, ils ne laisseroyent de faire leur devoir, & que nous estions tous amis, & qu'ils continuassent à nous vouloir du bien, & que nous leur ferions des presens au reciprocque de ce qu'ils nous donnoyent, & qu'ils traitassent paisiblement: ce qu'ils firent, & chacun en emporta ce qu'il peut. [Note 307: Ou _Anadabijou_. (Voir le Voyage de 1603, p. 7.)] 263/411 Le lendemain ils m'apportèrent, comme en cachette quarante Castors, en m'asseurant de leur amitié, & qu'ils estoient tres-aises de la deliberation que j'avois prinse avec les sauvages qui s'en estoyent allez, & que l'on faisoit une habitation au saut, ce que je leur asseuray, & leur fis quelque present en eschange. Après toutes choses passées, ils se delibererent d'aller querir le corps d'Outetoucos qui s'estoit noyé au saut, comme nous avons dit cy dessus. Ils furent où il estoit, le desenterrerent & le portèrent en l'isle sainte Helaine, où ils firent leurs cérémonies accoustumées, qui est de chanter & danser sur la fosse, suivies de festins & banquets. Je leur demanday pourquoy ils desenterroyent ce corps: Ils me respondirent que si leurs ennemis avoyent trouvé la fosse, qu'ils le feroyent, & le mettroient en plusieurs pièces, qu'ils pendroyent à des arbres pour leur faire du desplaisir, & pour ce subject ils le transportoyent en lieu escarté du chemin & le plus secrettement qu'ils pouvoyent. Le 15e jour du mois arriverent quatorze canots, dont le chef s'appelloit Tecouehata. A leur arrivée tous les autres sauvages se mirent en armes, & firent quelques tours de limasson. Après avoir assez tourné & dansé, les autres qui estoyent en leurs canots commencèrent aussi à danser en faisant plusieurs mouvemens de leurs corps. Le chant fini, ils descendirent à terre avec quelque peu de fourrures, & firent de pareils presens que les autres avoyent faict. On leur en fit d'autres au réciproque selon la valeur. Le lendemain ils traitterent ce 264/412 peu qu'ils avoyent, & me firent present encore particulièrement de trente Castors, dont je les recompensay. Ils me prièrent que je continuasse à leur vouloir du bien, ce que je leur promis. Ils me discoururent fort particulièrement sur quelques descouvertures du costé du Nord, qui pouvoyent apporter de l'utilité: Et sur ce subject ils me dirent que s'il y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulut aller avec eux, qu'ils luy feroyent voir chose qui m'apporteroit du contentement, & qu'ils le traiteroyent comme un de leurs enfans. Je leur promis de leur donner un jeune garçon, dont ils furent fort contens. Quand il prit congé de moy pour aller avec eux, je luy baillay un mémoire fort particulier des choses qu'il devoit observer estant parmi eux. Après qu'ils eurent traicté tout le peu qu'ils avoyent, ils se separerent en trois: les uns pour la guerre, les autres par ledit grand saut, & les autres par une petitte riviere qui va rendre en celle dudit grand saut: & partirent le dixhuictiesme jour dudit mois, & nous aussi le mesme jour. Cedit jour fismes trente lieues qu'il y a dudit saut aux trois rivieres, & le dixneufiesme arrivasmes à Québec, où il y a aussi trente lieues desdites trois rivieres. Je disposay la plus part d'un chacun à demeurer en laditte habitation, puis y fis faire quelques réparations & planter des rosiers, & fis charger du chesne de fente pour faire l'espreuve en France, tant pour le marrin lambris que fenestrages: Et le lendemain 20 dudit mois de juillet en partis. Le 23, j'arrivay à Tadoussac, où estant je me resoulus de revenir en France, avec l'advis de Pont-gravé. 265/413 Après avoir mis ordre à ce qui despandoit de nostre habitation, suivant la charge que ledit sieur de Monts m'avoit donnée, je m'enbarquay dedans le vaisseau du capitaine Tibaut de la Rochelle, l'onziesme d'Aoust. Sur nostre traverse nous ne manquasme de poisson, comme d'Orades, Grande-oreille, & de Pilotes qui sont comme harangs, qui se mettent autour de certains aix chargez de poulse-pied, qui est une sorte de coquillage qui s'y attache, & y croist par succession de temps. Il y a quelquesfois une si grande quantité de ces petits poissons, que c'est chose estrange à voir. Nous prismes aussi des marsouins & autres especes. Nous eusmes assés beau temps jusques à Belle-isle[308], où les brumes nous prirent, qui durèrent 3 ou 4 jours: puis le temps venant beau, nous eusmes cognoissance d'Alvert[309], & arrivasmes à la Rochelle le dixsiesme Septembre 1611. [Note 308: Belle-Ile, en Bretagne, ou Belle-Ile-en-Mer.] [Note 309: Ou _Arvert_.] _Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de Mons & ses associez, les sieurs Colier & le Gendre de Rouen, Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la nouvelle France._ CHAPITRE IV. Estans arrivés à la Rochelle je fus trouver le sieur de Mons à Pont en Xintonge, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit passe au voyage, & de la promesse que les sauvages Ochateguins & Algoumequins m'avoient faitte, pourveu qu'on les assistast en 266/414 leurs guerres, comme je leur avois promis. Le sieur de Mons ayant le tout entendu, se délibéra d'aller en Cour pour mettre ordre à ceste affaire. Je prins le devant pour y aller aussi: mais en chemain je fus arresté par un mal'heureux cheval qui tomba sur moy & me pensa tuer. Ceste cheute me retarda beaucoup: mais aussi tost que je me trouvay en assés bonne disposition, je me mis en chemin, pour parfaire mon voyage & aller trouver ledit sieur de Mons à Fontaine-Bleau, lequel estant retourné à Paris parla à ses associez, qui ne voulurent plus continuer en l'association pour n'avoir point de commission qui peut empescher un chacun d'aller en nos nouvelles descouvertures negotier avec les habitans du pays. Ce que voyant ledit sieur de Mons, il convint avec eux de ce qui restoit en l'habitation de Québec, moyennant une somme de deniers qui leur donna pour la part qu'ils y avoyent: & envoya quelques hommes pour conserver ladite habitation, sur l'esperance d'obtenir une commission de sa Majesté. Mais comme il estoit en ceste poursuitte, quelques affaires de consequence luy survindrent, qui la luy firent quitter, & me laissa la charge d'en rechercher les moyens: Et ainsi que j'estois après à y mettre ordre, les vaisseaux arriverent de la nouvelle France, & par mesme moyen des gens de nostre habitation, de ceux que j'avois envoyé dans les terres avec les sauvages, qui m'aporterent d'assez bonnes nouvelles, disans que plus de deux cents sauvages estoient venus, pensans me trouver au grand saut S. Louys, où je leur avois donné le rendez-vous, en intention de les assister en ce qu'ils m'avoient supplié: mais voyans que 267/415 je n'avois pas tenu ma promesse, cela les fascha fort: toutesfois nos gens leur firent quelques excuses qu'ils prirent pour argent comptant, les assurant pour l'année suivante ou bien jamais, & qu'ils ne menquassent point de venir: ce qu'ils promirent de leur part. Mais plusieurs autres qui avoient quitté Tadoussac, traffic encien, vindrent audit saut avec quantité de petites barques, pour voir s'ils y pourroient faire leurs affaires avec ces peuples, qu'ils asseuroient de ma mort, quoy que peussent dire nos gens, qui affermoyent le contraire. Voila comme l'envie se glisse dans les mauvais naturels contre les choses vertueuses; & ne leur faudroit que des gens qui se hasardassent en mille dangers pour descouvrir des peuples & terres, afin qu'ils en eussent la dépouille, & les autres la peine. Il n'est pas raisonnable qu'ayant pris la brebis, les autres ayent la toison. S'ils vouloient participer en nos descouvertures, employer de leurs moyens, & hasarder leurs personnes, ils monstreroyent avoir de l'honneur & de la gloire: mais au contraire ils monstrent evidemment qu'ils sont poussez d'une pure malice de vouloir esgalement jouir du fruict de nos labeurs. Ce fruict me fera encore dire quelque chose pour monstrer comme plusieurs taschent à destourner de louables dessins, comme ceux de sainct Maslo & d'autres, qui disent, que la jouyssance de ces descouvertures leur appartient, pour ce que Jaques Quartier estoit de leur ville, qui fut le premier audit pays de Canada & aux isles de Terre-neufve: comme si la ville avoit contribué aux frais des dittes descouvertures de Jaques Quartier, qui y fut par commendement, & aux despens du 268/416 Roy François premier és année 1534 & 1535 descouvrir ces terres aujourd'huy appelées nouvelle France? Si donc ledit Quartier a descouvert quelque chose aux despens de sa Majesté, tous ses sujets peuvent y avoir autant de droit & de liberté que ceux de S. Maslo, qui ne peuvent empescher que si aucuns descouvrent autre chose à leurs despens, comme l'on fait paroistre par les descouvertures cy dessus descriptes, qu'ils n'en jouissent paisiblement: Donc ils ne doivent pas s'attribuer aucun droict, si eux mesmes ne contribuent. Leurs raisons sont foibles & débiles, de ce costé. Et pour monstrer encore à ceux qui voudroient soustenir ceste cause, qu'ils sont mal fondez, posons le cas qu'un Espagnol ou autre estranger ait descouvert quelques terres & richesses aux despens du Roy de France, sçavoir si les Espagnols ou autres estrangers s'attribueroient les descouvertures & richesses pour estre l'entrepreneur Espagnol ou estranger: non, il n'y a pas de raison, elles seroient tousjours de France: de sorte que ceux de S. Maslo ne peuvent se l'attribuer, ainsi que dit est, pour estre ledit Quartier de leur ville: mais seulement à cause qu'il en est sorty, ils en doivent faire estat, & luy donner la louange qui lui est deue. Davantage ledit Quartier au voyage qu'il a fait ne passa jamais ledit grand saut S. Louys, & ne descouvrit rien Nort ny Su, dans les terres du fleuve S. Laurens: ses relations n'en donnent aucun tesmoignage, & n'y est parlé que de la riviere du Saguenay, des trois rivieres & sainte Croix, où il hyverna en un fort proche de nostre habitation: car il ne l'eust obmis non plus que ce qu'il a descrit, qui monstre qu'il 269/417 a laissé tout le haut du fleuve S. Laurens, depuis Tadoussac jusques au 1611. grand saut, difficile à descouvrir les terres, & qu'il ne s'est voulu hasarder ny laisser ses barques pour s'y adventurer: de sorte que cela est tousjours demeuré inutile, sinon depuis quatre ans que nous y avons fait nostre habitation de Québec, où après l'avoir faite édifier, je me mis au hazard de passer ledit saut pour assister les sauvages en leurs guerres, y envoyer des hommes pour cognoistre les peuples, leurs façon de vivres & que c'est que de leurs terres. Nous y estans si bien employez, n'est-il pas raison que nous jouissions du fruit de nos labeurs, sa Majesté n'ayant donné aucun moyen pour assister les entrepreneurs de ces dessins jusques à present? J'espere, que Dieu luy fera la grâce un jour de faire tant pour le service de Dieu, de sa grandeur & bien de ses subjets, que d'amener plusieurs pauvres peuples à la cognoissance de nostre foy, pour jouir un jour du Royaume celeste. 270/418 _INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle France._ IL m'a semblé bon de traicter aussi quelque chose touchant les deux cartes geografiques, pour en donner l'intelligence: car bien que l'une represente l'autre, en ce qui est des ports, bayes, caps, promontoires, & rivieres qui entrent dans les terres, elles sont toutesfois différentes en ce qui est des situations. La plus petite est en son vray méridien, suivant ce que le sieur de Castelfranc [310] le demonstre en son livre de la mecometrie de la guide-aymant, où j'en ay observé plusieurs declinaisons, qui m'ont beaucoup servi, comme il se verra en ladite carte, avec toutes les hauteurs, latitudes & longitudes, depuis le quarante uniesme degré de latitude, jusques au cinquante uniesme, tirant au pole artique, qui sont les confins de Canada ou grande Baye [311], où se faict le plus souvent la pesche de balaine, par les Basques & Espagnols. Je l'ay aussi observé en certains endroits dans le grand fleuve de S. Laurens sous la hauteur de quarante cinq degrez de latitude jusques à vingt ung degré de declinaison de la guide-aymant, qui est la plus grande que j'aye veue: & de ceste petite carte, l'on se pourra fort bien servir à la navigation, pourveu qu'on scache 271/419 appliquer l'aiguille à la rose des vents du compas: Comme par exemple, je desire m'en servir, il est donc de besoin, pour plus de facilité, de prendre une rose, où les trentedeux vents soyent marquez egalement, & faire mettre la pointe de la guide-aymant à 12, 15 ou 16 degrez de la fleur de lis, du costé du nortouest, qui est prés d'un quart & demy de vent, comme au Nort un quart du norouest, ou un peu plus de la fleur de lis de laditte rose des vents, & appliquer la rose dans le compas, quand l'on sera sur le grand banc, où se fait la pesche du poisson vert, par ce moyen l'on pourra aller cercher fort asseurement toutes les hauteurs des caps, ports & rivieres. Je sçay qu'il y en aura beaucoup qui ne s'en voudront servir, & courront plustost à la grande, d'autant qu'elle est fabriquée sur le compas de France, où la guide-aymant nordeste, d'autant qu'ils ont si bien prins ceste routine, qu'il est mal aisé de leur faire changer. C'est pourquoy j'ay dressé la grande carte en ceste façon, pour le soulagement de la plus-part des pilotes & navigateurs des parties de la nouvelle France, craignant que si je ne l'eusse ainsi fait, ils m'eussent attribué une faute, qu'ils n'eussent sceu dire d'où elle procedoit. Car les petits cartrons ou cartes des terres neufves, pour la pluspart sont presque toutes diverses en tous les gisemens & hauteurs des terres. Et s'il y en a quelques uns qui ayent quelques petits eschantillons assez bons, ils les tiennent si précieux qu'ils n'en donnent l'intelligence à leur patrie, qui en pourroit tirer de l'utilité. Or la fabrique des cartaux est d'une telle façon, qu'ils font du Nor-nordest leur ligne méridienne, & de l'Ouest-norouest, l'Ouest, chose contraire au vray méridien de 272/420 ce lieu, de l'appeler Nort-nordest pour le Nort: Car au lieu que l'aiguille doit norouester elle nordeste, comme si c'estoit en France. Qui a fait que l'erreur s'en est ensuivy & s'ensuivra, d'autant qu'ils ont cette vieille coustume d'ancienneté, qu'ils retiennent, encores qu'ils tombent en de grands erreurs. Ils se servent aussi d'un compas touché Nort & Su, qui est mettre la poincte de la guide-aymant droit sous la fleur de lis. Sur ce compas beaucoup forment leurs petites cartes, ce qui me semble le meilleur, & approcher plus prés du vray méridien de la Nouvelle France, que non pas les compas de la France Orientale qui nordestent. Il s'est doncques ensuivy en ceste façon, que les premiers navigateurs qui ont navigué aux parties de la nouvelle France Occidentale croioyent n'engendrer non plus d'erreur d'aller en ces parties que d'aller aux Essores[312], ou autres lieux proches de France, où l'erreur est presque insensible en la navigation, dont les pilotes n'ont autres compas que ceux de France, qui nordestent, & representent le vray méridien. Et naviguant tousjours à l'Ouest, voulant aller trouver une hauteur certaine, faisoient la routte droit à l'Ouest de leur compas, pensant marcher sur une paralelle où ils vouloient aller. Et allant tousjours droictement en plat, & non circulairement, comme sont toutes les paralelles sur le globe de la terre, après avoir faict une quantité de chemin, prés de venir à la veüe de la terre, ils se trouvoient quelquesfois trois, quatre ou cinq degrés plus Su qu'il n'estoit de besoing: & par ainsi se trouvoient desceus de 273/421 leur hauteur & estime. Toutesfois il est bien vray que quand le beau temps paroissoit, & que le soleil estoit beau, ils se redressoient de leur hauteur: mais ce n'estoit sans s'estonner d'où procedoit que la routte estoit fausse; qui estoit qu'au lieu d'aller circulairement selon ladicte paralelle, ils alloient droictement en plat; & que changeant de méridien, ils changeoient aussi d'airs de vent du compas: & par ainsi de routte. C'est donc une chose fort necessaire de scavoir le méridien & declinaison de la guide-aymant: car cela peut servir pour tous pilotes qui voyagent par le monde, d'autant que ne la sachant point, & principalement au Nort & au Su où il se fait de plus grandes variations de la guide-aymant: aussi que les cercles de longitude sont plus petits, & par ainsi l'erreur seroit plus grand à faute de ne scavoir ladicte declinaison de la guideaymant. C'est donques pourquoy laditte erreur s'est ensuivie, que les voyageurs ne l'ayant voulu ou ne le sçachant corriger, ils l'ont laissé en la façon que maintenant elle est: de sorte qu'il est mal aisé d'oster ceste dicte façon accoustumée de naviguer en cesdits lieux de la nouvelle France. C'est ce qui m'a fait faire ceste grande carte, tant pour estre plus particulière que la petite, que pour le contentement des naviguans qui pourront naviguer, comme si c'estoit sur leurs petits cartrons ou cartes: & m'excuseront si je ne les ay mieux faites & particularisées, d'autant que l'aage d'un homme ne pourroit suffire à recognoistre si exactement les choses, qu'à la fin du temps il ne se trouvast quelque chose d'obmis, qui sera que toutes personnes curieuses & laborieuses pourront 274/422 remarquer en voyageant des choses qui ne seront en ladicte carte & les y adapter: tellement qu'avec le temps on ne doutera d'aucunes choses de cesdicts lieux. Pour le moins il me semble que j'ay fait mon devoir en ce que j'ay peu, où je n'ay oublié rien de ce que j'ay veu à mettre en madicte carte, & donner une cognoissance particulière au public, qui n'avoit jamais esté descripte, ny descouverte si particulièrement comme j'ay fait, bien que quelque autre par le passé en ayt escript, mais c'estoit bien peu de chose au respect de ce que nous avons descouvert depuis dix ans en ça. [Note 310: Guillaume de Nautonier, sieur de Castelfranc. Son ouvrage est ainsi intitulé: «Mécométrie de l'eymant, c'est à dire la maniere de mesurer les longitudes par le moyen de l'eymant, etc.» Champlain semble avoir adopté le système du sieur de Castelfranc sur le moyen de déterminer la longitude des lieux.] [Note 311: Ce qu'on appelait autrefois la Grande-Baie est cette partie du golfe Saint-Laurent qui aboutit au détroit de Belle-Isle, et qui forme en effet comme une grande baie entre la côte occidentale de Terreneuve et le Labrador.] [Note 312: Açores.] [Illustration:] Moyen de prendre la ligne Méridienne. Prenez une planchette fort unie, & au milieu posez une esguille C, de trois pousses de haut, qui soit droictement à plomb, & le posez au Soleil devant Midy, à 8 ou 9 heures, où l'ombre de l'esguille C, arrivera, soit marqué avec un compas, lequel fera ouvert, sçavoir une poincte sur C, & l'autre sur l'ombre B, & puis trasserez un demy cercle A, B, laissant le tout jusqu'aprés midy, qu'y verrez l'ombre parvenir sur le bort du demy cercle A. Puis partirez le demy cercle A. B. par la moitié, & aussi tost prendrez une reigle que poserez sur le poinct C. & l'autre sur le poinct D. & trasserez une ligne tant qu'elle pourra courir le long de ladicte planchette, qu'il ne faut bouger que l'observation ne soit faicte, & la ligne sera la Méridienne du lieu où vous serez. Et pour sçavoir la declinaison du lieu où vous ferez sur la ligne Méridienne, posez un quadran qui soit quarré, comme demonstre la figure cy dessus le long de la ligne Méridienne, & au fonds dudit quadran y aura un cercle divisé en 360. degrez, & partissez ledit cercle par entredeux lignes diamétrales, dont l'une est representée pour le septentrion, & l'autre pour le midy, comme monstrera E. F. & 1 autre ligne represente l'Orient & l'Occident, comme monstre G. H. & alors regardez l'aiguille de la guide-aymant, qui est au fonds du quadran, sur le pivot, laquelle verrez où elle décline de la ligne Méridienne fixe, qui est au fonds du quadran, & combien de degrez elle Nordeste ou Noroueste. 422a--Illustration--carte a 422b--Illustration--carte b 275/423 TABLE DES MATIERES. A Algoumequins. 261. Almouchiquois n'adorent aucune chose. 69. Ont des superstitions. 69. Leur naturel 69. ont un langage différent à celuy des Souriquois & Etechemins 52. vont tous nuds, hommes & femmes hormis leur nature 101. portent quelquesfois des robbes faictes d'herbes 68. ne font provision de pelleterie que pour se vestir 52. sont bien proportionnez de leurs corps 101. ont le tein olivastre 101. comment portent leurs cheveux 52, 69. se parent de plumes, de patenostres de porcelines & autres jolivetez 101. se peindent de noir rouge & jaune 69. s'arrachent le poil de la barbe 69. leurs logemens 66. 102. ont grande quantité de puces, mesmes parmy les champs 102. comment se comportent quand ils ont quelque mauvais dessein 103. 104. leurs armes 101. n'ont point de police, gouvernement, ny créance. 101. font entreprise sur les François. 104. voyez François. Amateurs du labourage 100. comment labourent les terres. 66. ont autant de terre qu'il est necessaire pour leur nourriture. 65. comment font leurs bleds d'Inde. 53. comment ils en conservent leur provision pour l'hyver. 101. comment l'accommodent pour le manger. 70. cultivent de certaines racines 66. sont fort vistes 107. voyez Sauvages. Aneda herbe recommandée par Jaques Quartier. 50. Aubry Prestre esgaré dixsept jours dans des bois. 16. 17. B Balaines comment se peschent 226. 227. 228. Basques pris faisant traitte de pelleterie. 28. Basques traitent la force en la main & leur violence contre le vaisseau de Pont-gravé.139. 140.141. Barque eschouée sur une roche miraculeusement sauvée. 60. Baye Françoise. 19, 21. Baye sainct Laurens. 21. Baye saincte Marie. 15. 17. Baye de toutes isles. 128. Bedabedec, pointe ainsi appelée des sauvages. 32. 33. C Cap de la Héve. 8. Cap Negre. 9. Cap de Sable. 10. Cap Fourchu. 11. Cap des deux Bayes. 20. Cap aux isles. 57. Cap sainct Louys. 60. Cap Blanc. 64. Cap Breton. 169. Cap Batturier. 99. Cap Dauphin. 145. Cap de l'Aigle. 145. Cap de tourmente. 146. Campseau. 130. Canada. 160. Canadiens ne font point de provision pour l'hyver. 169. Canots des sauvages. 59. 60. 141. 142. Champdoré pilote. 84. emmenoté, libéré. 87. Champ semé de bled d'Inde. 66. Chanvre. 62. Charioquois. 260. Chasse des sauvages. 43. 44, Chouacoet. 123. Chouassarou poisson. 190. 191. Citrouilles, 66. Commission du sieur de Mons. 136. Conspiration contre ma personne. 148. descouverte 150. conspirateurs pris 152 Procédures en leur procès. 152. 153. 154. Corde faite d'escorce d'arbre. 62. Coste de Norembegue. 29. 30. 31. 32. 33. 34-35. 36. 37-38. 39. Coste des Almouchiquois. 45. Croix fort ancienne marque de Chrestiens. 125. Cul de sac où il y a plusieurs isles & beaucoup d'endrois pour mettre nombre de vaisseaux. 24 D Danger proche de naufrage. 30. autre 81. autre 83. autre. 86. Première Defaite des Yroquois. 195. 196. Seconde Defaite des Yroquois. 216. E Espouvante des Montagnets à la riviere des Yroquois. 109. Equille poisson. 18. Etechemins n'ont point de demeure arrestée. 35. Habitent quelquefois la riviere de Quinibequi. 37. 276/424 F Les Femmes sont un peu plus long habillées que les hommes 68. 69. sont tous les vestemens 44. surpassent en cruauté les hommes. 219. François assistent les sauvages leurs alliés à la guerre contre leurs ennemis. 194. 195. 210. jusques à 217. Surpris par les Almouchiquois. 67. 68. 106, s'en vengent. 110. G Gaspé. 169. Gelées fort grandes. 43. Grande-oreille, poisson qui porte des égrettes. 229. H Habitation de l'isle saincte Croix. 26. Habitation du port Royal. 79. Habitation de Québec. 155. Harangue de Mantoumermer sauvage. 47-8. Hyver fort court. 207. J Jaques Quartier, & de son Hyvernement. 156. jusques à 161. I Isle de Sable. 7. Isle aux Cormorans. 10. Isles aux oyseaux. 10. 11. 15. Isles fort dangereuses. 10. Isles aux Loups-marins, 1l. Isle Longue. 12. 13. Isle Haute. 20. [autre du même nom] 33. Isle aux Margots. 24. Isle appelée des sauvages Menane. 24. 46. Isle saincte Croix. 25. 91. appelée autrefois des sauvages Achelacy.[313] 157. 159. 160. 161. [Note 313: _L'Île de Sainte-Croix n'a jamais porté le nom d'Achelacy, mais bien la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon, a environ douze lieues au-dessus de Québec._] Isles rangées. 30. [autres à la côte d'Acadie]. 129. Isles des monts-deserts. 31. Isles aux Corneilles. 46. Isle de la tortue. 46. Isle de Bacchus. 51. 52. Isles Martyres. 127, Isle Percée. 131. Isle du cap Breton. 131. 132. Isle aux coudres. 145. 158. 159. plusieurs Isles fort agréables environnées de rochers & basses fort dangereuses. 146. 147. Isle d'Orléans. 146. 147. ainsi appelée par Jacques Cartier. 161. Isle sainct Esloy. 17 5. Isle aux Hérons. 246. L Lac de trois à quatre lieues de long. 49. Lac sainct Pierre. 180. Lac des Yroquois. 189. Lac de Champlain. 196. Lac. 143. M Mal de la terre, voyés Scurbut. Mauves oyseaux. 124. Maslouins appelez Mistigoches par les Sauvages. 209. Mine d'argent. 12, Mines de cuivre. 20. 2l. 28. 29. 79. 80. Mines de fer. 13-22. 23. Montagnets vont demy nuds. 162. l'hyver se couvrent de bonnes fourrures. 162.164, sont bien proportionnez & les femmes aussi, qui se frottent de peinture, qui les rend basannées. 163. quand peschent les anguilles qu'ils font secher pour l'hyver. 162. quand vont à la chasse aux castors. 162. vont à la chasse aux eslans & autres bestes sauvages, lors que leurs anguilles leur manquent. 162. ont quelquefois de grandes famines, mangent leurs chiens & les peaux de quoy ils se couvrent. 162. pressez d'une extresme necessité. 166. jusques à 170. ne font point de provisions. 168. 169. Montagnets croyent l'immortalité de l'âme. 165. Disent qu'après leur mort ils se vont resjouir en d'autres païs. 165. croyent que tous les songes qu'ils font sont véritables. 163. n'ont point ny foy, ny loy. 163. sont fort meschans, grands menteurs, & vindicatifs. 163. n'entreprennent rien sans consulter leur Pilotois. 163. leurs cérémonies quand ils arrivent à leur pays au retour de la guerre. 199. 217. leurs mariages. 164. leurs enterremens. 164. 165. dansent trois fois l'année sur la fosse de leurs amis. 165. ont fort craintifs & redoutent fort leurs ennemis. 165. Miraculeusement sauvez d'un naufrage. 167. ont bon jugement. 162. Mouches fort fascheuses. 27. N Normands appelés Mistigoches par les sauvages. 209. 277/425 O Ordre de bon temps, 120. Outarde oyseau. 72. Oyseau qui a le bec en façon de lancette. 71,72. Oyseaux comme coqs d'Indes. 72. 73. Oyseaux incarnats. 202. P Pierres à faire de la chaux. 124. Pilotois devineurs de bonne & mauvaise fortune. 163. leurs diableries & simagrées. 93. Place Royale. 242. 243. 244. 245. Pointe sainct Mathieu, autrement aux Allouettes. 139. Pointe de tous les Diables. 139. Poisson avec trois rangs de dens. 202. Port au Mouton. 8. Port saincte Marguerite. 13. Port Royal. 17. 18. Port aux mines. 20. 2l. Port aux isles. 55. 56. Port du cap sainct Louys. 63. Port de Malebarre. 65. 66. Beau Port. 94. 95. 96. Port aux huistres. 97. Port fortuné. 100. Port sainct Helaine. 127. 128. Port de Savalette. 129. 130. Port aux Anglois. 132. Port Niganis. 132. Q Quebecq. 145. 148. 155 170. 173. 264. R Racines que les sauvages cultivent. 66. Rencontre des Yroquois à qui nous allions faire la guerre. 193. Riviere du Boulay. 12. Riviere de l'Equille. 18. 19. Riviere sainct Antoine. 19. Riviere sainct Jean appelée des sauvages Ouygoudy. 22. 23. Riviere des Etechemins. 25. 26. Riviere de Pimptegouet appelée de plusieurs pilotes & historiens Norembegue. 31. 32. 33. 34. 35. 37. 38. Riviere de Quinibequi. 46. 49. 50. Riviere [lisez isle] de la tortue[314]. 46. 49. [Note 314: _La Tortue était une île. Ce qui a donné occasion à la méprise que nous corrigeons ici, est ce passage de la page_ 46: «L'isle de la tortue & la riviere sont su suresst & nort norouest.» _Il va sans dire que la_ rivière, _c'est le_ Quinibéqui. _A nos yeux, cela seul suffit pour prouver que cette table n'a pas été faite par Champlain._] Riviere de Chouacoet. 53. 55. Riviere saincte Marguerite. 127. Riviere de l'isle verte. 128. Riviere de Saguenay. 142. 143. 144. Riviere aux saumons. 145. Grande Riviere de sainct Laurens. 170. 174. 175. 176. 177. Riviere saincte Marie. 175. Les trois Rivieres. 179. Riviere des Yroquois. 181. 184. 189. Saincte croix, nom transféré de lieu à autre. 156. 157. 158. 159. 160. 161. Saincte Susanne du cap blanc. 64. Sault d'eau. 34. Grand Sault. 248. 249. Sauvages quand sont mal disposez, se tirent du sang avec les dents d'un poisson appelé Couaffarou. 191. Leur dueil. 118. Leurs cérémonies aux enterremens. 118. en leurs harangues. 36. Quand ils veulent délibérer de quelque affaire, font leurs assemblées la nuit. 253. Comment ils content les temps. 176. Leur façon de vivre en hyver. 44. en hyver ne peuvent chasser, si les neiges ne sont grandes. 43. attachent des raquettes soubs leurs pieds, quand ils vont chasser en temps de neige. 44. 164. comment peschent le poisson. 62. vivent de coquillage; quand ils ne peuvent chasser, 44. comment desfrichent les terres. 96. Danssent & monstrent signes de resjouissance, quand ils voyent arriver des vaisseaux de France. 51. Font de grandes admirations quand ils voyent premièrement des Chrestiens. 219. Ont des gens parmi eux qui disent la bonne avanture ausquels ils adjoustent foy. 101. voyez Pilotois. Croyent les songes véritables. 192. 193. Quand ils entendent des coups de canon se couchent contre terre. 107. Sauvages quand vont à la guerre separent leurs troupes en trois, pour la chasse en avantcoureurs & le gros. 186. Font des marques, par où ils passent, par lesquelles ceux qui viennent après reconoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont passé. 186. Leurs chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros. 278/426 186. Envoyent descouvrir si on n'apercevra point d'ennemis. 185. Toute la nuict se reposent sur la reveue des avantcoureurs. 185. Aprochans des terres de leurs ennemis ne cheminent plus que la nuict. 192. Leurs retranchemens. 185. Ont des chefs à qui ils obeissent, en ce qui est du faict de la guerre seulement. 188. Comment les chefs monstrent à leurs gens le rang & l'ordre qu'ils doivent tenir au combat. 188. Exécutent leurs desseins la nuict & non le jour. 105. Quand sont poursuivis se sauvent dans les bois. 109. Escorchent la teste de leurs ennemis tuez pour trophée de leur victoire. 217. comment traittent leurs prisonniers. 196. 197. 198. 2l8. 219. Sauvages alliez vont à la guerre contre les Yroquois leurs ennemis. 210. jusques à 217. voyez Algoumequins & Montagnets. Scurbut, ou maladie de la terre. 41. 80. 121. 175. Sa cause. 170. 207. plusieurs régions en sont frappées. 172. Siguenoc. 70, 71. Superstition des Sauvages. 4.8. T Tadoussac. 138. 169. Température fort différente, pour 120 lieues. 170. Terres desertées où le sieur de Mons fit semer du froment. 26. autres terres défrichées. 63. Terre ensemencée par le sieur de Poitrincourt. 89. 90. Terres bonnes & fertiles. 91. Terres couvertes la plus part de l'année. 144. Terres couvertes de neiges jusques à la fin de May. 170. Terre neufve. 170. Traitte de pelleterie défendue. 139. V Vignes qui portent de tresbons raisins. 54. Y Yroquois. 191. desfaicts en guerre. 195. 196. FIN. 279/427 QUATRIESME VOYAGE DE S. DE CHAMPLAIN CAPITAINE ORDINAIRE POUR LE ROY EN LA MARINE, ET Lieutenant de Monseigneur le Prince de Condé en la Nouvelle France, fait en l'année 1613. 281/429 [Illustration] A TRES-HAUT, TRES-PUISSANT ET TRES-EXCELLENT HENRY DE BOURBON PRINCE de Condé, premier Prince du Sang, premier Pair de France, Gouverneur & Lieutenant de Sa Majesté en Guyenne. MONSEIGNEUR _L'honneur que j'ay reçeu de vostre grandeur en la charge des descouvertures de la nouvelle France, m'a augmenté l'affection de poursuivre avec plus de soing & diligence que jamais, la recherche de la mer du Nord. Pour cet effect en ceste année 1613, j'y ay fait un voyage sur le rapport d'un homme que j'y avois envoyé, lequel m'asseuroit l'avoir veue, ainsi que vous pourrez voir en ce petit discours, que j'ose offrir à vostre excellence, où toutes les peines & travaux que j'y ay eus sont particulièrement d'escrits; desquels il ne me reste que le regret d'avoir perdu ceste année, mais non pas l'esperance au premier voiage d'en avoir des nouvelles plus asseurées par le moyen des Sauvages qui m'ont fait relation de plusieurs lacs & rivieres tirant vers le Nord, par lesquelles, outre l'asseurance qu'ils me donnent d'avoir la cognoissance de ceste 282/430 mer, il me semble qu'on peut aisément tirer conjecture des cartes, qu'elle ne doit pas estre loing des dernières descouvertures que j'ay cy devant faites. En attendant le temps propre & la commodité de continuer ces desseins, je prieray le Créateur qu'il vous conserve. Prince bien-heureux, en toutes sortes de félicités, oú se terminent les voeux que je fais à vostre grandeur, en qualité de son Tres-humble & tres-affectionné serviteur SAMUEL. DE CHAMPLAIN. 283/431 QUATRIESME VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN, CAPITAINE ORDINAIRE POUR le Roy en la marine, & Lieutenant de Monseigneur le Prince de Condé en la Nouvelle France, fait en l'an 1613. _Ce qui m'a occasionné de recercher un reglement. Commission obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France._ CHAPITRE I. LE desir que j'ay tousjours eu de faire nouvelles descouvertures en la Nouvelle France, au bien, utilité & gloire du nom François: ensemble d'amener ces pauvres peuples à la cognoissance de Dieu, m'a fait chercher de plus en plus la facilité de ceste entreprise, qui ne peut estre que par le moyen d'un bon règlement: d'autant que chacun voulant cueillir les fruits de mon labeur, sans contribuer aux frais & grandes despences qu'il convient faire à l'entretien des habitations necessaires pour amener ces desseins à une bonne fin, ruine ce commerce par l'avidité de gaigner, qui est si grande, qu'elle fait partir les marchans devant la saison, & se précipiter non seulement dans les glaces, en esperance d'arriver des premiers 284/432 en ce païs; mais aussi dans leur propre ruine: car traictans avec les sauvages à la desrobée, & donnant à l'envie l'un de l'autre de la marchandise plus qu'il n'est requis, sur-achetent les danrées; & par ainsi pensant tromper leurs compagnons se trompent le plus souvent eux mesmes. C'est pourquoy estant de retour en France le 10. Septembre 1611 j'en parlay à monsieur de Monts, qui trouva bon ce que je luy en dis: mais ses affaires ne luy permettant d'en faire la poursuitte en Cour, m'en laissa toute la charge [315]. [Note 315: Voir, ci-dessus, chapitre IV du Troisième Voyage, p. 265.] Deslors j'en dressay des mémoires, que je monstray à Monsieur le President Jeannin, lequel (comme il est desireux de voir fructifier les bonnes entreprises) loua mon dessein, & m'encouragea à la poursuitte d'iceluy. Et m'asseurant que ceux qui ayment à pescher en eau trouble trouveroient ce règlement fascheux, & rechercheroyent les moyens de l'empescher, il me sembla à propos de me jetter entre les bras de quelque grand, l'authorité duquel peust servir contre leur envie. Or cognoissant Monseigneur le Comte de Soissons [316] Prince pieux & affectionné en toutes sainctes entreprises, par l'entremise du sieur de Beaulieu, Conseiller & aumosnier ordinaire du Roy, je m'adressay à luy, & luy remonstray l'importance de l'affaire, les moyens de la régler, le mal que le desordre avoit par cy devant apporté, & la ruine totale dont 285/433 elle estoit menacée, au grand des-honneur du nom François, si Dieu ne suscitoit quelqu'sn qui la voulust relever, & qui donnast esperance de faire un jour réunir ce que l'on a peu esperer d'elle. Comme il fut instruict de toutes les particularités de la chose, & qu'il eust veu la Carte du pays que j'avois faicte, il me promit, sous le bon plaisir du Roy, d'en prendre la protection. [Note 316: Charles de Bourbon, comte de Soissons, alors gouverneur de Dauphiné et de Normandie. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)] Aussi tost après je presentay à sa Majesté, & à Nosseigneurs de son Conseil une requeste avec des articles, tendans à ce qu'il luy pleust vouloir apporter un règlement en cet affaire, sans lequel, ainsi que j'ay dict, elle s'en alloit perdue, & pource sa Majesté en donna la direction & gouvernement à mondit Seigneur le Comte [317], lequel deslors m'honora de sa Lieutenance[318]. [Note 317: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612, comme le prouve l'extrait suivant des lettres du duc d'Anville, rapportées par Moreau de Saint-Méry, et reproduites dans les Mémoires et Documents de la Société Historique de Montréal, page 110: «Voulant de toute notre affection continuer le même dessein que les défunts Rois Henri le Grand notre aïeul, et Louis XIII notre très-honoré Seigneur et Père, avaient de favoriser la bonne intention de ceux qui avaient entrepris de rechercher et découvrir ès pays de l'Amérique, des terres, contrées, et lieux propres et commodes pour faire des habitations capables d'établir des Colonies, afin d'essayer, avec l'assistance de Dieu, d'amener les peuples qui en habitent les terres à sa connaissance, et les faire policer et instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, et par ce moyen y établir notre autorité, et introduire quelque commerce qui puisse apporter de l'utilité à nos sujets: ayant été informé que par les voyages faits le long des Côtes et Isles, desquelles nos prédécesseurs en auraient fait habiter quelques-unes, il a été reconnu plusieurs Ports, Havres, et lieux propres et bien commodes pour y aborder, habiter et donner un bon et grand commencement pour l'entier accomplissement de ce dessein, et aussi pour y découvrir et chercher chemin facile pour aller au pays de la Chine, de Monoa et royaume des Incas, par dedans les Rivières et Terres fermes du dit pays, avec assistance des habitants d'icelles; pour faciliter laquelle entreprise ils auraient, par Lettres-Patentes du 8 Octobre 1612, donné la charge d'icelle à feu notre très-cher et bien amé Cousin le Comte de Soissons, et icelui fait Gouverneur et notre Lieutenant-Général du dit pays pour y représenter notre personne et amener les peuples d'icelui pays à la connaissance de Dieu, et les faire instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, ainsi qu'il est plus au long porté par les dites Lettres...»] [Note 318: Dans l'édition de 1632, l'auteur rapporte lui-même cette commission, qui est datée du 15 Octobre 1612.] Or comme je me preparois à faire publier la Commission du Roy 286/434 par tous les ports & havres de France, la maladie de Monseigneur le Comte arriva, & sa mort[319] tant regrettée, qui recula un peu ceste affaire: Mais sa Majesté aussi tost en remit la direction à Monseigneur le Prince [320], qui la remit dessus: & mondit Seigneur m'ayant honoré pareillement de sa Lieutenance[321], feit que je poursuivis la publication de ladite commission, qui ne fut si tost faicte, que quelques brouillons, qui n'avoyent aucun interest: en l'affaire, l'importunerent de la faire casser, luy faisant entendre le pretendu interest de tous les marchans de France, qui n'avoient aucun subject de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit reçeu en l'association, & par ainsi aucun ne pouvoit justement s'offencer: c'est pourquoy leur malice estant recogneuë furent rejettées, avec permission seulement d'entrer en l'association. [Note 319: Le comte de Soissons mourut le premier novembre 1612. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)] [Note 320: Henri de Bourbon, second du nom, auquel l'auteur dédie ce Quatrième Voyage.] [Note 321: Cette nouvelle commission est du 22 novembre 1612, comme on peut le voir par celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15 février 1625, et qui est rapportée ci-après, liv. II de l'édit. 1632, ch. I.] Pendant ces altercations, il me fut impossible de rien faire pour l'habitation de Quebeq, dans laquelle je desirois mettre des ouvriers pour la reparer & augmenter, d'autant que le temps de partir nous pressoit fort. Ainsi se fallut contenter pour cette année d'y aller sans autre association, avec les passeports de Monseigneur le Prince, qui furent donnés pour quatre vaisseaux, lesquels estoient ja préparés pour faire le voyage; sçavoir trois de Rouen & un de la Rochelle, à condition que chacun fourniroit quatre hommes pour m'assister, tant en 287/435 mes descouvertures qu'à la guerre, à cause que je voulois tenir la promesse que j'avois faicte aux sauvages Ochataiguins en l'année 1611. de les assister en leurs guerres au premier voiage. Et ainsi que je me preparois pour partir, je fus adverti que la Cour de Parlement de Rouen n'avoit voulu permettre qu'on publiast la Commission du Roy, à cause que sa Majesté se reservoit, & à son Conseil la seule cognoissance des différents qui pourroient survenir en cet affaire: joint aussi que les marchans de S. Maslo s'y opposerent; ce qui me traversa fort, & me contraignit de faire trois voyages à Rouen, avec Jussions de sa Majesté, en faveur desquelles la Cour se déporta de ses empeschemens, & débouta les opposans de leurs prétentions: & fut la Commission publiée par tous les ports de Normandie. _Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Saut. CHAPITRE II. JE partis de Rouen le 5 Mars pour aller à Honfleur, & le sieur l'Ange avec moy, pour m'assister aux descouvertures, & à la guerre si l'occasion s'en presentoit. Le lendemain 6. du moys nous nous embarquasmes dans le vaisseau du sieur de Pont-gravé, où aussi tost nous mismes les voiles au vent, qui estoit lors assés favorable. 288/436 Le 10 Avril nous eusmes cognoissance du grand Banc, où l'on mit plusieurs fois les lignes hors sans rien prendre. Le 15, nous eusmes un grand coup de vent, accompagné de pluye & gresle, suivi d'un autre, qui dura 48 heures, si impétueux, qu'il fit périr plusieurs vaisseaux à l'isle du cap Breton. Le 21, nous eusmes cognoissance de l'isle & Cap de Raye. Le 29, les Sauvages Montagnais de la pointe de tous les Diables [322] nous apercevans, se jetterent dans leurs canots, & vindrent au devant de nous, si maigres & hideux, que je les mescognoissois. A l'abord ils commencèrent à crier du pain, disans, qu'ils mouroient de faim. Cela nous fit juger que l'hyver n'avoit pas esté grand, & par consequent, la chasse mauvaise: de cecy nous en avons parlé aux voyages precedens. [Note 322: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)] Quand ils furent dans nostre vaisseau ils regardoient chacun au visage, & comme je ne paroissois point, ils demandèrent où estoit monsieur de Champlain, on leur fit response que j'estois demeuré en France: ce que ne croyans du tout, il y eut un vieillard qui vint à moy en un coin, où je me promenois, ne desirant encor estre cognu, & me prenant l'oreille (car il se doutoyent qui j'estois) vid la cicatrice du coup de flèche que je reçeus à la deffaicte des Yroquois: alors il s'escria, & tous les autres après luy, avec grandes demonstrations de joye, disans, Tes gens sont au port de Tadoussac qui t'attendent. 289/437 Ce mesme jour bien que nous fussions partis des derniers nous arrivasmes pourtant les premiers audit Tadoussac, & de la mesme marée le sieur Boyer de Rouen. Par là l'on cognoist que partir avant la saison, ne sert qu'à se précipiter dans les glaces. Ayans mouillé l'ancre nos gens nous vindrent trouver, & après nous avoir déclaré comme tout se portoit en l'habitation, se mirent à habiller trois outardes & deux lapins, qu'ils avoient apportés, & en jetterent les tripailles à bort, sur lesquelles se ruèrent ces pauvres sauvages, & ainsi que bestes affamées les devorerent sans les vuider, & racloient avec les ongles la graisse dont on avoit suivé nostre vaisseau, & la mangeoient gloutonnement comme s'ils y eussent trouvé quelque grand goust. Le lendemain [323] arriverent deux vaisseaux de S. Malo qui estoient partis avant que les oppositions fussent vuidées, & que la Commission fut publiée en Normandie. Je fus à bort d'eux, accompagné de l'Ange: Les sieurs de la Moinerie & la Tremblaye y commandoient, ausquels je fis lecture de la Commission du Roy, & des deffences d'y contrevenir sur les peines portées par icelles. Ils firent response qu'ils estoient subjects & fidelles serviteurs de sa Majesté, & qu'ils obeiroient à ses commandemens; & deslors je fis attacher sur le port à un poteau les armes & Commissions de sa Majesté, afin qu'on n'en pretendist cause d'ignorance. [Note 323: Le 30 avril.] Le 2 May voyant deux chalouppes equippées pour aller au Saut, je m'embarquay avec ledict l'Ange dans l'une. Nous fusmes contrariés de fort mauvais temps, en sorte que le mats de 290/438 nostre chalouppe se rompit, & si Dieu ne nous eust preservés, nous nous fussions perdus, comme fit devant nos yeux une chalouppe de S. Maslo qui alloit à l'isle d'Orléans, de laquelle les hommes se sauverent. Le 7 nous arrivasmes à Québec, où trouvasmes ceux qui y avoient hyverné en bonne disposition, sans avoir esté malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point esté grand, & que la riviere n'avoit point gelé. Les arbres commençoient aussi à se revestir de feuilles, & les champs à s'esmailler de fleurs. Le 13, nous partismes de Québec pour aller au Saut S. Louys, où nous arrivasmes le 21. & y trouvasmes l'une de nos barques qui estoit partie depuis nous de Tadoussac, laquelle avoit traicté quelque peu de marchandises, avec une petite troupe d'Algoumequins, qui venoyent de la guerre des Yroquois, & avoient avec eux deux prisonniers. Ceux de la barque leur firent entendre que j'estois venu avec nombre d'hommes pour les assister en leurs guerres, suivant la promesse que je leur avois faite les années précédentes; & de plus, que je desirois aller en leur pays, & faire amitié avec tous leurs amis; dequoy ils furent fort joyeux: Et d'autant qu'ils vouloient retourner en leur pays pour asseurer leurs amis de leur victoire, voir leurs femmes, & faire mourir leurs prisonniers en une solemnelle Tabagie. Pour gages de leur retour, qu'ils promettoient estre avant le milieu de la première lune (ainsi qu'ils content) ils laisserent leurs rondaches, faictes de bois & de cuir d'Elland, & partie de leurs arcs & flesches. Ce me fut un grand desplaisir de ne m'estre trouvé à propos pour m'en aller avec eux en leur pays. 291/439 Trois jours après arriverent trois canots d'Algoumequins qui venoient du dedans des terres, chargés de quelque peu de marchandises, qu'ils traictèrent, lesquels me dirent que le mauvais traitement qu'avoient reçeus les Sauvages l'année précédente, les avoit dégoûtés de venir plus, & qu'ils ne croyoient pas que je deusse retourner jamais en leurs pays, pour les mauvaises impressions que mes envieux leur avoient données de moy; & pource 1200. hommes estoyent allez à la guerre, n'ayans plus d'esperance aux François, lesquels ils ne croyoient pas vouloir plus retourner en leur pays. Ces nouvelles attristerent fort les marchans, car ils avoient fait grande emplette de marchandises, sous esperance que les sauvages viendroient comme ils avoient accoustumé: ce qui me fit resoudre en faisant mes descouvertures, de passer en leur pays, pour encourager ceux qui estoyent restés, du bon traictement qu'ils recevroyent, & de la quantité de bonnes marchandises qui estoyent au Saut, & pareillement de l'affection que j'avois de les assister à la guerre: Et pour ce faire, je leur fis demander trois canots & trois Sauvages pour nous guider, & avec beaucoup de peine j'en obtins deux, & un sauvage seulement, & ce moyennant quelques presens qui leur furent faits. 292/440 _Partement pour descouvrir la mer du Nort, sur le rapport qui m'en avoit este faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts._ CHAPITRE III. OR n'ayant que deux Canots, je ne pouvois mener avec moy que quatre hommes, entre lesquels estoit un nommé Nicolas de Vignau le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel autresfois avoit hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé aux descouvertures les années précédentes. Il me r'apporta à son retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la Mer du Nort, que la riviere des Algoumequins[324] sortoit d'un lac qui s'y deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du Saut S. Louys à ladite mer: qu'il avoit veu le bris & fracas d'un vaisseau Anglois qui s'estoit perdu à la coste, où il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvés à terre, que les Sauvages tuèrent à cause que lesdits Anglois leur vouloyent prendre leurs bleds d'Inde & autres vivres par force, & qu'il en avoit veu les testes qu'iceux Sauvages avoient escorchés (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient gardé. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouvé bien prés ce que je cherchois bien loing: ainsi je le conjuray de me dire 293/441 la vérité, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il donnoit quelque mensonge à entendre, il se mettoit la corde au col, aussi que si sa relation estoit vraye, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompensé: Il me l'asseura encor avec sermens plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son roole, il me bailla une relation du païs qu'il disoit avoir faicte, au mieux qu'il luy avoit esté possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicité de laquelle je le jugeois plain, la relation qu'il avoit dressée, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy devant dictes, avoyent grande apparence, avec le voyage des Anglois vers Labrador, en l'année 1612.[325] où ils ont trouvé un destroit[326] qu'ils ont couru jusques par le 63e degré de latitude, & 290 de longitude[327], & ont hyverné par le 53e degré, & perdu quelques vaisseaux[328], comme leur relation en faict foy. Ces choses me faisant croire son dire véritable, j'en fis deslors rapport à Monsieur le Chancelier [329] je fis voir à Messieurs le Mareschal de Brissac, & President Jeannin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me dirent qu'il me falloit voir la chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur Georges, marchant de la Rochelle, 294/242 de luy donner passage dans son vaisseau, ce qu'il feit volontiers; ou estant l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage: & d'autant qu'il luy estoit inutile, luy demanda s'il esperoit quelque salaire, lequel feit response que non, & qu'il n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour me monstrer la mer du Nord, qu'il avoit veue, & luy en fit à la Rochelle une déclaration par devant deux Notaires. [Note 324: Aujourd'hui, l'Outaouais.] [Note 325: La relation du dernier voyage de Henry Hudson fut publiée en 1612; mais le voyage avait eu lieu en 1610 et 1611. Les détails de cette expédition du navigateur anglais se trouvent dans le tome IV du recueil de Purchas, et ont été extraits des journaux d'Hudson. (Voir Biog. univ., art. HUDSON.)] [Note 326: Le détroit d'Hudson.] [Note 327: Au temps de Champlain les géographes, surtout en France, faisaient encore passer le premier méridien pour l'île de Fer, et comptaient toujours les longitudes de l'ouest à l'est jusqu'à 360 degrés. De manière que 290° d'alors, répondent à 90° ouest de Paris; ce qui donne à peu près la longitude des côtes occidentales de la baie d'Hudson.] [Note 328: Hudson, dans ce voyage, n'avait qu'un seul vaisseau.] [Note 329: Nicolas Brûlart de Sillery.] Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le jour de la Pentecoste[330], aux prières desquels je me recommandois, & de tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il avoit cy devant dict: n'estoit vray, qu'il ne me donnast la peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire il falloit courir plusieurs dangers. Il asseura encore derechef tout ce qu'il avoit dict au péril de sa vie. [Note 330: Le jour de la Pentecôte tombait, cette année, le 26 de mai.] Ainsi nos Canots chargés de quelques vivres, de nos armes & marchandises pour faire presens aux Sauvages, je partis le lundy 27 May de l'isle saincte Helaine avec 4 François & un Sauvage, & me fut donné un adieu avec quelques coups de petites pièces, & ne fusmes ce jour qu'au Saut S. Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, à cause du mauvais temps qui ne nous permit de passer plus outre. Le 29, nous le passasmes, partie par terre, partie par eau, où il nous fallut porter nos Canots, hardes, vivres & armes sur nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont accoustumés: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous entrasmes dans un lac[331] qui a de circuit environ 12 lieues, 295/443 où se deschargent trois rivieres, l'une venant de l'ouest[332], du costé des Ochataiguins esloignés du grand Saut de 150 ou 200 lieues; l'autre[333] du Sud pays des Yroquois, de pareille distance[334]; & l'autre [335] vers le Nord, qui vient des Algoumequins, & Nebicerini[336], aussi à peu prés de semblable distance. Cette riviere du Nord, suivant le rapport des Sauvages, vient de plus loing[337], & passe par des peuples qui leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux. [Note 331: Le lac Saint-Louis. Ici, Lescarbot fait encore à Champlain un reproche de contradiction qui est assez mal fondé. «En trois endroicts il (Champlain) dit que le lac au dessus du saut de la grande rivière de Canada est à huit lieues de là, & par après il dit qu'il n'y a que deux lieues, & ne le fait que de douze lieues de circuit, comme ainsi soit que sur sa charte il le face de quinze journées de long.» (Hist. de la Nouv. France, p. 647.) D'abord, Champlain ne dit nulle part que le lac Saint-Louis soit à huit lieues du Saut. Au chapitre III de son Troisième Voyage (voir ci-dessus, p. 256), il dit avoir été «dans le bois, quelques huit lieues sur le bord d'un lac (probablement le lac des Deux-Montagnes, et non le lac Saint-Louis) où il avait été auparavant»: et ici, il dit où donne à entendre que le lac (Saint-Louis) n'est qu'à deux lieues du saut; ce qui n'est pas très-inexacte. En second lieu, à quiconque sait un peu la géographie du pays, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la grande carte de 1613 pour voir que le lac auquel Champlain marque 15 journées n'est rien autre chose que le lac Ontario, décrit évidemment sur le récit des sauvages, mais très-reconnaissable du reste, et que par conséquent il n'y a pas l'ombre de contradiction.] [Note 332: C'est le Saint-Laurent même, qui vient plutôt du sud-ouest; mais, en entrant dans le lac Saint-Louis, il paraît effectivement avoir cette direction.] [Note 333: L'auteur semble désigner ici la rivière de Châteauguay.] [Note 334: Le pays des Iroquois n'était qu'à environ la moitié de cette distance.] [Note 335: Cette rivière s'appelait dès lors rivière des Algoumequins, et l'on en voit ici la raison. Plus tard, et pour une raison analogue, on lui donna le nom de Rivière des Outaouais. Cette rivière ne vient pas du Nord; mais elle se décharge dans le lac Saint-Louis, du côté du nord.] [Note 336: Ou Nipissirini. C'est le nom algonquin de la nation des Sorciers, qui demeurait au lac Nipissing. Les Hurons leur donnaient un nom équivalent dans leur langue, _Askiquanéronon_, c'est-à-dire, les Sorciers. «Les François appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pourceque c'est une nation qui faict particulière profession de consulter le diable en leur necessité.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 193.)] [Note 337: L'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac Nipissing.] Ce lac est rempli de belles & grandes isles, qui ne sont que prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le païs qui l'environne est rempli de grandes forests. Nous fusmes coucher 296/444 à l'entrée dudict lac, & fismes des barricades, à cause des Yroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs ennemis, & m'asseure que s'il nous tenoient, ils nous feroient aussi bonne chère qu'à eux, & pource toute la nuict fismes bon quart. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude[338]. Sur les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du Nord, & passasmes un petit Saut[339] par terre pour soulager nos canots, & fusmes à une isle le reste de la nuict en attendant le jour. [Note 338: Cette hauteur est un peu faible; l'entrée du lac est vers les 45° 25'.] [Note 339: Ce saut paraît être celui qui sépare l'île Perrot et l'île de Montréal. Il est appelé, dans quelques cartes, rapide de Brussi.] Le dernier May nous passasmes par un autre lac [340] qui a 7 ou 8 lieues de long, & trois de large, où il y a quelques isles: Le païs d'alentour est fort uni, horsmis en quelques endroits, où il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un Saut qui est appelé de ceux du païs Quenechouan[341] qui est rempli de pierres & rochers, où l'eau y court de grand vistesse: il nous falut mettre en l'eau & traisner nos Canots bort à bort de terre avec une corde: à demi lieue de là nous en passasmes un autre petit à force d'avirons, ce qui ne se faict sans suer, & 297/445 y a une grande dextérité à passer ces Sauts pour eviter les bouillons & brisants qui les traversent, ce que les Sauvages sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les destours & lieux plus aysés qu'ils cognoissent à l'oeil. [Note 340: Le lac des Deux-Montagnes, que l'auteur appelle lac de Soissons, dans sa carte de 1632.] [Note 341: «Plusieurs des noms employés par les sauvages» dit M. Ferland, «se conservent encore. Ainsi, Quenechouan, nom d'un rapide à l'entrée de l'Outaouais, se retrouve dans celui de Quinchien, donné à un gros ruisseau et à une pointe de terre qui sont dans le voisinage... Le nom de Quinchien fournit l'occasion de remarquer qu'en général il faut se défier des étymologies que l'imagination va chercher bien loin, quand elles se trouvent dans les langues des aborigènes. On a dit, pour expliquer l'origine du nom de Quinchien, que les quinze premiers habitants de ce lieu, normands renforcés, étaient sans cesse en procès, et que de là on avait nommé leur village Quinzechiens. Comme on le voit, tout cet échafaudage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 163, note 2.) Ce saut et les trois ou quatre suivants dont parle ici l'auteur, forment ce que l'on a appelé, depuis, le Long-Saut.] Le samedy 1er de Juin nous passasmes encor deux autres Sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second une lieue, où nous eusmes bien de la peine; car la rapidité du courant est si grande, qu'elle faict un bruict effroyable, & descendant de degré en degré, faict une escume si blanche par tout, que l'eau ne paroist aucunement: ce Saut est parsemé de rochers & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins & cèdres blancs: Ce fut là, où nous eusmes de la peine: car ne pouvans porter nos Canots par terre à cause de l'espaisseur du bois, il nous les failloit tirer dans l'eau avec des cordes, & en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement entre deux rochers, le Canot m'entraisnoit; d'autant que je ne peus deffaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à l'entour de ma main, qui me l'offença fort, & me la pensa coupper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer mon Canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se faict en ces Sauts, & lors estant eschappé je louay Dieu, le priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner si j'estois curieux de conserver nostre Canot: car s'il eut esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que 298/446 quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente à ceux qui n'ont de quoy disner, & qui ne sont accoustumés à telle fatigue. Pour nos François ils n'en eurent pas meilleur marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la Divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous nous reposasmes, ayans assés travaillé. Nous rencontrasmes le lendemain 15 Canots de Sauvages appellés Quenongebin [342], dans une riviere, ayant passé un petit lac [343] long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté advertis de ma venue par ceux qui avoient passé au Saut S. Louys venans de la guerre des Yroquois: je fus fort aise de leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnoient de me voir avec si peu de gens en ce païs, & avec un seul Sauvage. Ainsi après nous estre salués à la mode du païs, je les priay de ne passer outre pour leur déclarer ma volonté, ce qu'ils firent, & fusmes cabaner dans une isle. [Note 342: Ou Kinounchepirini, nation algonquine, dont le pays était situé «au sud de l'Isle» (Relat. 1640, ch. x), c'est-à-dire, au sud de l'île des Allumettes.] [Note 343: Au-dessus du Long-Saut, le cours de l'Outaouais est tranquille, et parfois la rivière s'élargit et forme comme une suite de lacs qui ont jusqu'à une lieue, une lieue et demie de largeur. Celui dont parle ici Champlain paraît répondre à ce bassin qui est au-dessus de la pointe à l'Orignal, et qui a près de deux lieues de large vis-à-vis la baie des Atocas.] Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leurs pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je leur avois par cy devant faicte; & que s'ils estoient resolus d'aller à la guerre, cela m'agreroit fort, d'autant que j'avois amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort satisfaits: & leur ayant dict que je voulois passer outre pour advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner, 299/447 disans, qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions rien veu jusques alors; & pource je les priay de me donner un de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme Canot, & aussi pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien: ils le firent volontiers, & en recompense je leur fis un present, & leur baillay un de nos François, le moins necessaire, lequel je renvoyois au Saut avec une feuille de tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir de mes nouvelles. Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre route à mont ladicte riviere, en trouvasmes une autre fort belle & spatieuse, qui vient d'une nation appelée Ouescharini[344], lesquels se tiennent au Nord d'icelle, & à 4 journées de l'entrée. Ceste riviere est fort plaisante, à cause des belles isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage. Le quatriesme nous passasmes proche d'une autre riviere[345] qui vient du Nord, où se tiennent des peuples appelles Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve sainct Laurens 3 lieues aval le Saut S. Louys[346], qui faict une 300/448 grande isle contenant prés de 40 lieues, laquelle[347] n'est pas large, mais remplie d'un nombre infini de Sauts, qui sont fort difficiles à passer: Et quelquesfois ces peuples passent par ceste riviere pour éviter les rencontres de leurs ennemis, sçachans qu'ils ne les recherchent en lieux de si difficile accès. [Note 344: Ou Ouaouiechkaïrini. C'est le nom algonquin de ceux qu'on a appelés, quelques années plus tard, la Petite Nation des Algonquins (Relations des Jésuites); ce qui explique pourquoi la rivière s'appelle, encore aujourd'hui, rivière de la Petite-Nation.] [Note 345: Ce que l'auteur dit un peu plus loin, prouve évidemment qu'il parle ici de la Gatineau.] [Note 346: La petite et la grande cartes que l'auteur publia à cette époque-là même, prouvent qu'il avait assez bien compris le rapport que les sauvages lui faisaient de cette rivière. Mais alors comment faut-il entendre ce passage? Suivant nous, voici ce qu'a voulu dire Champlain: «laquelle (la Gatineau) _va joindre dans les terres une autre riviere_ (le Saint-Maurice), _qui_ va tomber 30 lieues (et non pas 3) aval le faut S. Louys.» Et il est tout à fait probable que le typographe aura passé les mots que nous mettons en italiques, ou quelque chose d'équivalent. La phrase ainsi rétablie, tout devient clair ou du moins explicable. D'abord, la Gatineau et le Saint-Maurice entourent, avec le Saint-Laurent une étendue de terre qui forme comme une grande île de quarante lieues ou un peu plus. En second lieu, les sauvages, en suivant cette route, evitaient réellement «les rencontres de leurs ennemis»: tandis que, en reprenant le fleuve trois lieues au-dessous du saut, ils avaient encore à passer les endroits les plus dangereux, l'entrée de la rivière des Iroquois et le lac Saint-Pierre.] [Note 347: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.] A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre [348] qui vient du Sud, où à son entrée il y a une cheute d'eau admirable: car elle tombe d'une telle impetuosité de 20. ou 25 brasses[349] de haut, qu'elle faict une arcade, ayant de largeur prés de 400 pas. Les sauvages passent dessoubs par plaisir sans se mouiller que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu de la dicte riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour, remplie de pins & cèdres blancs: Quand les Sauvages veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant leurs Canots, & font demye lieue par terre. Les terres des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui faict que les Sauvages s'y arrestent plus tost, les Yroquois y viennent aussi quelquesfois les surprendre au passage. [Note 348: La rivière Rideau.] [Note 349: Il s'en faut de beaucoup que cette chute soit aussi haute. Peut-être l'auteur a-t-il voulu dire 20 ou 25 pieds; ce qui serait plus proche de la réalité, puisqu'elle a 34 pieds anglais, ou un peu plus de 30 pieds français. (Smith's Canadian Gazetteer.)] Nous passasmes un Saut à une lieue de là, qui est large de demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a 301/449 quantité de petites isles qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé par succession de temps un large & profond bassin: si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a faict que les Sauvages l'appellent Asticou, qui veut dire chaudière. Ceste cheute d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passants par là, font une cérémonie que nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au pied dudict Saut, où les Sauvages prirent les Canots, & nos François & moy, nos armes, vivres & autres commodités pour passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que contient le Saut, & aussi tost nous fallut embarquer, puis derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis environ 300 pas, après se mettre en l'eau pour faire passer nos Canots par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu & trouvay 45 degrés 38 minutes, de latitude [350]. [Note 350: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.] Après midy nous entrasmes dans un lac ayant 5 lieues de long, & 2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de vignes, noyers & autres arbres aggreables, 10 ou 12 lieues de là amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de Pins; La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en couleur cramoysie, de laquelle les Sauvages se peindent le 302/450 visage, & de petits affiquets à leur usage. Il y a aussi une coste de montagnes du long de cette riviere, & le païs des environs semble ânes fascheux. Le reste du jour nous le passasmes dans une isle fort aggreable. Le lendemain [351] nous continuasmes nostre chemin jusques à un grand Saut[352], qui contient prés de 3 lieues de large, où l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, & faict un merveilleux bruit. Il est rempli d'une infinité d'isles, couvertes de Pins & de Cèdres: & pour le passer il nous fallut resoudre de quitter nostre Maïs ou bled d'Inde, & peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner à vivre selon les lieux & l'heur de la chasse. Ainsi allégés nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en portant nos Canots & armes par ledict Saut, qui a une lieue & demie de long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce travail, & accoustumés à endurer telles necessités, nous soulagerent beaucoup. [Note 351: Le 5 de juin.] [Note 352: Ce saut et les deux autres qui sont mentionnés plus loin, forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.] Poursuivans nostre route nous passasmes deux autres Sauts, l'un par terre, l'autre à la rame & avec des perches en déboutant, puis entrasmes dans un lac [353] ayant 6 ou 7 lieues de long, où se descharge une riviere[354] venant du Sud, où à cinq journées de l'autre riviere [355] il y a des peuples qui y habitent appelés Matou-ouescarini. Les terres d'environ ledit 303/451 lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté presque tous bruslés par les sauvages. Il y a quelques isles, dans l'une desquelles nous reposames, & vismes plusieurs beaux cyprès rouges, les premiers que j'eusse veus en ce païs, desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle, en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme j'ay faict aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay ceste isle, l'isle saincte Croix. [Note 353: Le lac des Chats.] [Note 354: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskairini.] [Note 355: C'est-à-dire, le Saint-Laurent.] Le 6, nous partismes de ceste isle saincte croix, où la riviere est large d'une lieue & demie, & ayant faict 8 ou 10 lieues, nous passasmes un petit Saut à la rame, & quantité d'isles de différentes grandeurs. Icy nos sauvages laisserent leurs sacs avec leurs vivres, & les choses moins necessaires afin d'estre plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs Sauts qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre nos sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit aucun danger par les Sauts, & qu'il y falloit passer: Nos sauvages luy disoient tu es lassé de vivre; & à moy, que je ne le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance desdits lieux, je suivis l'advis des sauvages, dont bien il m'en prit, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour me dégoûter de l'entreprise, comme il a confessé depuis (dequoy fera parlé cy après.) Nous traversames donc à l'ouest la riviere qui couroit au Nord, & pris la hauteur de ce lieu qui estoit par 46 2/3[356] de latitude. Nous eusmes beaucoup de 304/452 peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour ma part de trois arquebuses, autant d'avirons, de mon capot, & quelques petites bagatelles; j'encourageois nos gens qui estoient quelque peu plus chargés, & plus grevés des mousquites que de leur charges. Ainsi après avoir passé 4 petits estangs, & cheminé deux lieues & demie, nous estions tant fatigués qu'il nous estoit impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit prés de 24 heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson rosti, sans autre sauce, car nous avions laissé nos vivres, comme j'ay dit cy dessus. Ainsi nous posasmes sur le bort d'un estang, qui estoit assez aggreable, & fismes du feu pour chasser les Mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité desquelles est si estrange qu'il est impossible d'en pouvoir faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques poissons. [Note 356: L'on ne pouvait pas être à une si grande hauteur, puisque l'on venait de passer les Chenaux, et que l'on n'était tout au plus qu'au portage du Fort, dont la latitude est d'environ 45° 36'.] Le lendemain nous passasmes cet estang qui pouvoit contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des païs difficiles plus que n'avions encor veu, à cause que les vents avoient abatu des pins, les uns sur les autres, qui n'est pas petite incommodité, car il faut passer tantost dessus & tantost dessous ces arbres, ainsi nous parvinsmes à un lac[357], ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font leur pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages qui cultivent la terre, & recueillent du Maïs: le chef se nomme 305/453 Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé comment nous avions peu passer les Sauts & mauvais chemins qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté du petun selon leur mode, il commença à haranguer ses compagnons, leur disant, Qu'il falloit que fussions tombés des nues, ne sachant comment nous avions peu passer, & qu'eux demeurans au païs avoient beaucoup de peine à traverser ces mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de tout ce que mon esprit vouloit: bref qu'il croyoit de moy ce que les autres sauvages luy en avoient dict. Et scachans que nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous mangeasmes, & après disné je leur fis entendre par Thomas mon truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrés, que j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que je desirois aller plus avant voir quelques autres capitaines pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il y avoit du Maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource s'adonnent plus à la chasse qu'au labour, au contraire des Ochataiguins. Quand ils veulent rendre un terroir labourable, ils bruslent les arbres, & ce fort aysément, car ce ne sont que pins chargés de resine. Le bois bruslé ils remuent un peu la terre, & plantent leur Maïs grain à grain, comme ceux de la Floride: il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut. [Note 357: Le lac du Rat-Musqué; mais les dimensions que l'auteur donne à ce lac sont un peu trop fortes.] 306/454 _Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession._ CHAPITRE IV. Nibachis feit equipper deux Canots pour me mener voir un autre Capitaine nommé Tessouat, qui demeuroit à 8 lieues de luy, sur le bort d'un grand lac, par où passe la riviere que nous avions laissée qui refuit au Nord; ainsi nous traversasmes le lac à l'Ouest Nord-ouest, prés de 7 lieuës[358], où ayans mis pied à terre fismes une lieue au Nort-est parmy d'assés beaux païs, où il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer aysément, & arrivasmes sur le bort de ce lac [359], où estoit l'habitation de Tessouat[360], qui estoit avec un autre chef sien voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit que je fusse un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. 307/455 De là nous passasmes en une isle[361], où leurs Cabanes sont assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjette aux innondations des eaux, comme sont les autres isles du lac. [Note 358: Pour faire sept lieues au nord-ouest, il fallait non-seulement traverser le lac du Rat-Musqué, mais descendre une partie de la décharge, ou rivière du Rat-Musqué.] [Note 359: Le lac des Allumettes.] [Note 360: Probablement le même qu'il avait vu à Tadoussac en 1603. (Voir 1603, p. 12.)] [Note 361: L'île des Allumettes. Cette île occupe une place importante dans l'histoire des nations sauvages du Canada; si bien que, dans les Relations, on l'appelle simplement l'Ile, et l'on disait les Sauvages de l'Ile, pour désigner la nation qui y demeurait, et dont le nom algonquin était _Kichesipirini_, hommes de la Grande-Rivière. «Les sauvages qui l'habitent,» dit le P. Le Jeune (Relat. 1636), «sont extrêmement superbes... Ces insulaires voudroient bien que les Hurons ne vinssent point aux François, & que les François n'allassent point aux Hurons, afin d'emporter eux seuls tout le trafic... C'est chose estrange que quoy que les Hurons soient dix contre un seul insulaire, si est-ce qu'ils ne passeront pas si un seul insulaire s'y oppose.» «Ce peuple,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 810), «est malicieux jusques là, que de ne laisser passer par leurs terres au temps de la traite, un ou deux canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, & passent tous à la fois, pour avoir leurs bleds & farines à meilleur prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.»] Ceste isle est forte de situation: car aux deux bouts d'icelle, & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il y a des Sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte; & s'y sont logés pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est par les 47. [362] degrés de latitude, comme est le lac, qui a 20 lieues de long[363], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson, mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne. [Note 362: Si l'on part de la supposition que cette latitude est exacte, sans se donner la peine de concilier ce chiffre avec tous les autres détails du récit de Champlain, on pourra, comme ont fait quelques-uns de nos historiens, conclure que l'auteur est rendu au lac Témiscaming. Mais, si l'on a suivi nos voyageurs pas à pas et la carte à la main, il est impossible de ne pas reconnaître ici le lac et l'île des Allumettes, qui cependant n'atteignent pas même le quarante-sixième parallèle. La carte même de l'auteur en fournit une double preuve. D'abord l'île des Allumettes y est figurée de la manière la plus claire, et la table des renvois lui assigne le nom d'Ile de Tessouat. En second lieu, Champlain, dans cette carte, met l'île des Allumettes au quarante-septième degré, suivant la hauteur qu'il trouve ici. «Pareille erreur,» remarque à cette occasion M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, p. 164), «n'a rien qui doive surprendre, dans une expédition où il lui devait être difficile de faire des observations exactes.»] [Note 363: Telle est la longueur que l'auteur donne au lac des Allumettes, dans la carte de 1632; cependant le lac des Allumettes proprement dit n'a qu'une dizaine de lieues de long, et c'est aussi la longueur qu'il lui donne dans le texte de l'édition de 1632.] Ainsi comme je visitois l'isle j'apperceus leurs cimetières, où je fus ravi en admiration, voyant des sepulchres de forme 308/456 semblable aux chasses, fais de pièces de bois, croisées par en haut & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ: sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de celuy ou celle qui y est enterré. Si c'est un homme ils y mettent une rondache, une espée amanchée à leur mode, une masse, un arc & des flesches; S'il est Capitaine, il aura un panache sur la teste, & quelque autre matachia ou enjoliveure; si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche, si une femme, ou fille, une chaudière, un pot de terre, une cueillier de bois & un aviron; Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de largeur 4 les autres moings. Ils sont peints de jaune & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi délicats que la sculpture. Le mort est enseveli dans sa robe de castor ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses richesses auprès de luy, comme haches, couteaux, chaudières & aleines, affin que ces choses luy servent au pays où il va: car ils croyent l'immortalité de l'âme, comme j'ay dict autre part[364]. Ces sepulchres gravé ne se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve il peu entr'eux. [Note 364: Ci-dessus, page 165, et aussi Voyage de 1603, pages 19, 20.] Aprés avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais païs, veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoyent 309/457 desert & abandonné, comme le Saut S. Louys. Ils me respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seureté, & que l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de François au Saut S. Louys, comme j'avois promis, qu'ils quitteroyent leur demeure pour se venir loger prés de nous, estans asseuré que leurs ennemis ne leur feroyent point de mal pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste année nous ferions les préparatifs de bois & pierres pour l'année suivante faire un fort, & labourer ceste terre: Ce qu'ayant entendu ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous les Chefs & principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain en la grand terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que là je leur dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent; & deslors envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver. Le lendemain tous les conviés vindrent avec chacun son escuelle de bois, & sa cueillier[365], lesquels sans ordre, ny cérémonie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur distribuast une manière de bouillie, faite de Maïs, escrasé entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupés par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoyent aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilli à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, à cause qu'ils cuisinent 310/458 fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour l'accommoder à ma mode; ils m'en donnèrent. Pour le boire nous avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie nous entretenoit sans manger suivant leur coustume. [Note 365: La cuiller de bois s'appelle, en algonquin, _micouanne_, mot qui a été adopté par les Canadiens.] La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient demeurés commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume. Après avoir parmi un si long silence amplement petuné, je leur fis entendre par mon Truchement que le subject de mon voyage n'estoit autre que pour les asseurer de mon affection, & du desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme j'avois auparavant faict Que ce qui m'avoit empesché l'année dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que le Roy m'avoit occuppé en d'autres guerres, mais que maintenant il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au Saut S. Louys, & que je m'estois venu promener en leur païs pour recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres, & mer qu'ils m'avoyent dict estre en leur pays: & que je desirois voir une nation distant de 6 journées d'eux, nommée Nebicerini, pour les convier aussi à la guerre; & pource je les priay de me donner 4 Canots, avec huict sauvages pour me conduire esdictes 311/459 terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands amis des Nebicerini[366], ils sembloyent m'escouter avec plus grande attention. [Note 366: Ces Nipissirini étaient eux-mêmes algonquins; mais, en leur qualité de sorciers, ils étaient ou redoutés ou mal vus des autres nations même algonquines, suivant la remarque de Tessouat, qui les accuse, un peu plus loin, «d'avoir fait mourir beaucoup de leurs gens par sort et empoisonnements.»] Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis Tessouat pour tous prit la parole & dict, Qu'ils m'avoient tousjours recognu plus affectionné en leur endroit, qu'aucun autre François qu'ils eussent veu, que les preuves qu'ils en avoient eues le passé, leur facilitoyent la créance pour l'advenir; de plus, que je monstrois estre bien leur amy, en ce que j'avois passé tant de hazards pour les venir voir, & pour les convier à la guerre, & que toutes ces choses les obligeoyent à me vouloir du bien, comme à leurs enfans propres; Que toutesfois l'année dernière je leur avois manqué de promesse, & que 2000 sauvages estoient venus au Saut en intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire des presens, & ne m'ayant trouvé, furent fort attristez, croyant que je fusse mort, comme quelques uns leur avoyent dict: aussi que les François qui estoient au Saut ne les voulurent assister à leurs guerres, & qu'ils furent mal traictés par aucuns, de sorte qu'ils avoyent resolu entr'eux de ne plus venir au Saut, & que cela les avoit occasionnés (n'esperans plus me voir) d'aller à la guerre seuls, & de fait que 1200 des leurs y estoyent allés. Et d'autant que la pluspart des guerriers estoyent absens, ils me prioient de remettre la partie à 312/460 l'année suivante, & qu'ils feroient sçavoir cela à tous ceux de la contrée. Pour ce qui estoit des 4 Canots que je demandois, ils me les accordèrent, mais avec grandes difficultés, me disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois; que ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient faict mourir beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis: au surplus que pour la guerre je n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoyent de petit coeur, me voulans destourner avec plusieurs autres propos sur ce subject. Moy d'autrepart qui n'avois autre desir que de voir ces peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du Nord, facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas loing jusques en leurs païs; que pour les mauvais passages, ils ne pouvoyent estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par cy devant; & pour le regard de leurs sortileges qu'ils n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu m'en preserveroit; que je cognoissois aussi leurs herbes, & par ainsi je me garderois d'en manger; que je les voulois rendre ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect, m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces raisons ils m'accordèrent, comme j'ay dict, ces 4 Canots, dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées, sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée. Pour passer le reste du jour, je me fus promener par leurs jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles, phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où 313/461 Thomas mon truchement, qui entend fort bien la langue, me vint trouver, pour m'advertir que ces sauvages, après que je les eus quittés, avoient songé que si t'entreprends ce voyage, que je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces Canots promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entreux qui me voulut conduire; mais que je remisse ce voyage à l'année prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon equippage, pour se deffendre d'iceux, s'il leur vouloient mal faire, pource qu'ils sont mauvais. Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimés hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroyent enfans, & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié; toutesfois que s'ils se sentoient incommodés de 4 Canots, qu'ils ne m'en baillassent que 2 & 4 sauvages seulement. Ils me representerent derechef la difficulté des partages, le nombre des Sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit pour crainte qu'ils avoyent de me perdre qu'ils me faisoient ce refus. Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu; que j'avois un garçon, (leur monstrant mon imposteur) qui avoit esté dans leur pays, & n'avoit recognu toutes les difficultés qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais qu'ils disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, & specialement Tessoüat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyverné, & l'appelant par son nom, luy dict en son langage, Nicolas est il 314/462 vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini? Il fut long temps sans parler, puis il leur dict en leur langue, qu'il parle aucunement, Ouy j'y ay esté. Aussi tost ils le regardèrent de travers, & se jettans sur luy, comme s'ils l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessoüat luy dict, tu es un asseuré menteur, tu sçais bien que tous les soirs tu couchois à mes costés avec mes enfans, & tous les matins tu t'y levois, si tu as esté vers ces peuples, ça esté en dormant, comment as tu esté si impudent d'avoir donné à entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir hazarder sa vie parmi tant de dangers? tu es un homme perdu, il te devroit faire mourir plus cruellement que nous ne faisons nos ennemis: je ne m'estonnois pas[367] s'il nous importunoit tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust à respondre à ces peuples, & puis qu'il avoit esté en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la peine où il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu. [Note 367: Il faudrait: _je ne m'estonne pas_.] A l'heure je le tiray à l'escart des sauvages, & le conjuray de me déclarer la vérité du faict: que s'il avoit veu ceste mer, que je luy ferois donner la recompense que je luy avois promise, & s'il ne l'avoit veue, qu'il eut à me le dire sans me donner d'avantage de peine: Derechef avec juremens il afferma tout ce qu'il avoit par cy devant dict, & qu'il me le feroit voir, si ces sauvages vouloient bailler des Canots. Sur ces discours Thomas me vint advertir que les sauvages de l'isle envoyoient secrettement un Canot aux Nebicerini, pour les advertir de mon arrivée. 315/463 Et lors pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesdits sauvages, pour leur dire que j'avois songé ceste nuict qu'ils vouloyent envoyer un Canot aux Nebicerini sans m'en advertir, dequoy j'estois estonné, veu qu'ils sçavoyent que j'avois volonté d'y aller: à quoy ils me firent response, disans, que je les offençois fort, en ce que je me fiois plus à un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'à tant de braves Capitaines qui estoient mes amys, & qui avoyent ma vie chère: je leur repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit esté en ceste contrée avec un des parens de Tessoüat, & avoit veu la Mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les sauvages avoient, & un jeune garçon Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire present. Ils s'escrierent plus que devant, entendant parler de la Mer, des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs, rivieres & chemins par lesquels il avoit passé; à quoy il fit response asseurement qu'il avoit oublié le nom du sauvage, combien qu'il me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le jour de devant. Pour les particularitez du païs, il les avoit descriptes dans un papier qu'il m'avoit baillé. Alors je presentay la carte, & la fis interpréter aux sauvages, qui l'interrogèrent sur icelle, à quoy il ne fit response, ains par son morne silence manifesta sa meschanceté. 316/464 Mon esprit vogant en incertitude, je me retiray à part, & me representay les particularités du voyage des Anglois cy devant dictes, & les discours de nostre menteur estre assés conformes, aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage, mais qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations des sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est véritable, il faut que la mer du Nord ne soit pas esloignée de ces terres de plus de 100 lieues de latitude, car j'estois sous la hauteur de 47 degrés [368] de latitude, & 296. de longitude [369]: mais il se peut faire que la difficulté de passer les Sauts, l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer; bien m'ont-ils toujours dict, que du païs des Ochataiguins il n'y a que 35 ou 40 journées jusques à la mer qu'ils voyent en 3 endroits: ce qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais aucun ne m'a parlé de ceste mer du Nord, que ce menteur, qui m'avoit fort resjouy à cause de la briefveté du chemin. [Note 368: 46°. (Voir la note 2 de la page 307)] [Note 369: L'auteur n'était pas rendu tout à fait à 296°. Suivant sa carte de 1632, il était à environ 297° 30', et encore, dans cette carte, l'île des Allumettes est-elle trop à l'ouest d'environ deux degrés et demi: car la pointe occidentale de cette île est à peu près 300° à l'est du méridien de l'île de Fer. (Voir la note 3 de la page 293.)] Or comme ce Canot s'apprestoit, je le fis appeler devant ses compagnons; & en luy representant tout ce qui s'estoit passé, je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il falloit dire s'il avoit veu les choses dictes, ou non; que je 317/465 voulois prendre la commodité qui se presentoit; que j'avois oublié tout ce qui s'estoit passé: Mais que si je passois plus outre, je le ferois pendre & estrangler sans luy faire autre merci. Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux & me demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dict, tant en France qu'en ce païs, touchant ceste mer, estoit faux; qu'il ne l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le village de Tessoüat; qu'il avoit dict ces choses pour retourner en Canada. Ainsi transporté de cholere je le fis retirer, ne le pouvant plus endurer devant moy, donnant charge à Thomas de s'enquérir de tout particulièrement; auquel il poursuivit de dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, à cause des dangers, croyant que quelque difficulté je pourroit presenter qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces sauvages, qui ne me vouloient bailler des Canots: ainsi que l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en France, il auroit recompense pour sa descouverture: & que si se le voulois laisser en ce pays, qu'il yroit tant qu'il la trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui me furent rapportées par Thomas, & ne me contentèrent pas beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de ce menteur: & ne me puis imaginer comment il avoit forgé ceste imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy mentionné; & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense, comme il a dict, il ait eu la témérité de mettre cela en avant. Peu de temps après je fus advertir les sauvages, à mon grand 318/466 regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochant le peu de confiance que j'avois en eux, qui estoyent Capitaines, mes amis, & qui parloient tousjours vérité, & qu'il falloit faire mourir ce menteur qui estoit grandement malitieux, me disant, Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir, donne le nous, & nous te promettons qu'il ne mentira plus. Et à cause qu'ils estoient tous après luy crians, & leurs enfans encores plus, je leur deffendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au Saut pour le faire voir à ces Messieurs, ausquels il devoit porter de l'eaue salée; & qu'estant là j'adviserois à ce qu'on en feroit. Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture, le regret de n'avoir mieux employé le temps m'est demeuré, avec les peines & travaux qu'il m'a fallu neantmoins tolérer patiemment. Si je me fusse transporté d'un autre costé, suivant la relation des sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il faut remettre à une autre fois. N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je conviay les sauvages de venir au Saut S. Louys, où il y avoit quatre vaisseaux fournis de toutes sortes de marchandises, & où ils recevroient bon traitement; ce qu'ils firent sçavoir à tous leurs voisins. Et avant que partir, je fis une croix de cèdre blanc, laquelle je plantay sur le bort du lac en un lieu eminent, avec les armes de France, & priay les sauvages la vouloir conserver, comme aussi 319/467 celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous avions passé; & que s'ils les rompoient, que mal leur arriveroit; & les conservant, ils ne seroient assaillis de leurs ennemis. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je retournerois vers eux. _Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France._ CHAPITRE V. LE 10 Juin je prins congé de Tessoüat, bon vieux Capitaine, & luy fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me preservoit en santé, de venir l'année prochaine, en equippage pour aller à la guerre; & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce temps là, disant, que je ne verrois que, sauvages, & armes qui me donneroyent contentement, & me bailla son fils pour me faire compagnie. Ainsi nous partismes avec 40 Canots, & passasmes par la riviere que nous avions laissée, qui court au Nord[370], où nous mismes pied à terre pour traverser des lacs [371]. En chemin nous rencontrasmes 9 grands Canots de Ouescharini, avec 40 hommes forts & puissants qui venoient aux nouvelles qu'ils avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient 320/468 ensemble 60 Canots, & 20 autres qui estoient partis devant nous, ayans chacun assés de marchandises. [Note 370: _Qui court au Nord_, à l'endroit où Champlain l'avait laissée.] [Note 371: Par cette expression _traverser des lacs_, l'auteur veut dire sans doute _traverser d'un lac à un autre_. Entre les six ou sept rapides qu'il y a depuis les Allumettes jusqu'au bas du Grand-Calumet, la rivière forme comme autant de lacs, séparés les uns des autres par des rapides, où il faut «mettre pied à terre» et faire _portage_, «pour _ensuite_ traverser ces lacs.»] Nous passasmes 6 ou 7 Sauts depuis l'isle des Algoumequins[372] jusques au petit Saut[373], païs fort desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par là que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & malaisément eussions nous passé: & ce n'estoit sans raison que les sauvages contestoient contre nostre menteur, qui ne cerchoit qu'à me perdre. [Note 372: Ou île de Tessouat, c'est-à-dire, celle des Allumettes. On voit ici pourquoi, plus tard, Champlain appelle le lac des Allumettes, lac des Algonquins.] [Note 373: Au-dessous du lac Coulonge, le premier et le plus considérable des sauts que l'on ait à passer, est le Grand-Calumet, où le Grand-Saut des pierres à calumet. Il semble que c'est le dernier de cette suite de rapides, celui du Portage-du-Fort, que Champlain appelle le, Petit-Saut.] Continuant nostre chemin 10 ou 12 lieues au dessous l'isle des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable, remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau poisson. Sur la minuict arriva deux Canots qui venoient de la pesche plus loing, lesquels rapportèrent avoir veu 4 Canots de leurs ennemis. Aussi tost on despescha 3 Canots pour les recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En ceste asseurance chacun prit le repos, excepté les femmes qui se resolurent de passer la nuict dans leurs Canots, ne se trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un sauvage songeant que les ennemis le chargeoyent se leva en sursaut, & se prit à courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue. Ceux de sa bande s'esveillerent tous estourdis, & croyans estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme feit 321/469 un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce grand bruit nous autres qui estions éloignés, fusmes aussi tost esveillés, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux: mais les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnés, ne les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se deffendre, quand cela eust esté, mais seulement de se perdre. Après que j'eus enquis nostre François de la cause de ceste esmotion, il me dict qu'un sauvage avoit songé, & luy avec les autres pour se sauver, s'estoit jetté en l'eau, croyant avoir esté frappé. Ainsi ayant recognu ce que c'estoit, tout se passa en risée. En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au Saut de la chaudière, où les sauvages firent la cérémonie accoustumée, qui est telle. Après avoir porté leurs Canots au bas du Saut, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petun; la queste faicte, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dansent à l'entour, en chantant à leur mode, puis un des Capitaines faict une harangue, remonstrant que dés long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qu'autrement il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dict en d'autres lieux. Cela faict, le harangueur prent le plat, & va jetter le petun au milieu de la chaudière, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient faict ceste cérémonie en ce lieu, 322/470 d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus avant, à cause des mauvais chemins, & les surprennent là: ce qu'ils ont quelquesfois faict. Le lendemain nous arrivasmes à une isle, qui est à l'entrée du lac, distante du grand Saut S. Louys de 7 à 8 lieues, où reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages croyans avoir veu des Canots de leurs ennemis: ce qui leur fit faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre, leur remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir, qu'au lieu de se cacher il se manifestoient. Le 17. Juin nous arrivasmes au Saut S. Louys, où je trouvay l'Ange qui estoit venu au devant de moy dans un Canot, pour m'advertir que le sieur de Maison-neufve de S. Maslo avoit apporté un passeport de Monseigneur le Prince pour trois vaisseaux. En attendant que je l'eusse veu, je fis assembler tous les sauvages pour leur faire entendre que je ne desirois pas qu'ils traictassent aucunes marchandises, que je ne leur eusse permis: & que pour des vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivés; ce qu'ils me promirent, disans, qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, & fusmes salués de quelques canonades, dequoy quelques uns de nos sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnés, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied à terre, Maison-neufve me vint trouver avec le passeport de Monseigneur le Prince: & aussi tost que l'eus veu, je le laissay jouir, & les siens, du bénéfice d'iceluy, comme nous autres, & fis dire aux sauvages qu'ils pouvoyent traicter le lendemain. 323/471 Ayans veu tous les Chefs, & déduit les particularités de mon voyage, & la malice de nostre menteur, dequoy ils furent fort estonnés, je les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence, des sauvages & de ses compagnons, il declarast sa meschanceté; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblés, ils le firent venir, & l'interrogèrent, pourquoy il ne m'avoit monstré la mer du Nord, comme il m'avoit promis à son départ: Il leur fit response qu'il avoit promis une chose impossible à luy, d'autant qu'il n'avoit jamais veu ceste mer, & que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre, & les prioit luy vouloir pardonner, comme il fit à moy derechef, confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant par son labeur, qu'il repareroit la faute, & verroit ceste mer, & en rapporteroit certaines nouvelles l'année suivante: & pour quelques considerations je luy pardonnay à ceste condition. Après leur avoir déduit par le menu le bon traictement que j'avois reçeu dans les demeures de ces sauvages, & mon occupation journaliere, je m'enquis aussi de ce qu'ils avoyent faict pendant mon absence, & de leurs exercices, lesquels estoient la chasse, où ils avoient faict tel progrès, que le plus souvent ils apportoient six cerfs. Une fois entre autres le jour de la S. Barnabé, le sieur du Parc y estant avec deux autres, en tua 9. Ils ne sont pas du tout semblables aux 324/472 nostres, & y en a de différentes especes[374], les uns plus grands, les autres plus petits, approchant fort de nos dains. Ils avoient aussi si grande quantité de Palombes [375] qu'impossible estoit de plus, ils n'avoient pas moins de poisson, comme Brochets, Carpes, Esturgeons, Aloses, Barbeaux, Tortues, Bars, & autres qui nous sont incognus, desquels ils disnoient & souppoient tous les jours, aussi estoyent-ils tous en meilleur point que moy, qui estois atténué par le travail & la fascherie que j'avois eue, & n'avois mangé le plus souvent qu'une fois le jour de poisson mal cuit, & à demy rosti. [Note 374: Les espèces de cerfs du Canada sont 1° l'Orignal ou Élan _(Cervus alces)_, que nos sauvages appellent _Moussou_, d'où les Anglais ont fait _Moose-Deer_. Suivant Lescarbot, le nom d'_orignal_, ou orignac, nous vient des Basques, et les Souriquois l'appelaient _Aptaptou_. Voici la description qu'il en fait. «C'est un animal le plus haut qui toit après le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa tête est fort longue, & a un fort long ordre de dents, qui paroissent doubles pour recompenser le défaut de la mâchoire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double comme le cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz, garni de cornichons d'un costé & au-dessus. Le pied en est fourchu comme du cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort délicate. Il paît aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent nos sauvages après le poisson.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) 2° Le Caribou. Les naturalistes distinguent aujourd'hui le _caribou_ des régions arctiques _(Tarandus arcticus)_, et le caribou ordinaire _(Tarandus bastalis)_, qui habite principalement le Bas-Canada. 3° Le cerf de Virginie _(Cervus Virginianus)_, qui ne se retrouve que dans le Haut-Canada. 4° Une quatrième espèce, le Wapiti _(Elaphus Canadensis)_, qu'on trouvait en Canada au temps de Champlain, paraît avoir émigré vers les pays de l'ouest. (Voir The Canadian Naturalist, vol. I.)] [Note 375: Ou _tourtes_, comme nous disons aujourd'hui en Canada _(Ectopistes migratoria)_.] Le 22 Juin Sur les 8 heures du Soir les sauvages nous donnèrent une alarme, à cause qu'un des leurs avoit songé qu'il avoit veu les Yroquois: pour les contenter chacun prit ses armes, & quelques-uns furent envoyés vers leurs cabanes pour les asseurer, & aux advenues pour descouvrir: si bien qu'ayant recognu que c'estoit une fausse alarme, l'on se contenta de tirer quelques 200 mousquetades & harquebusades, puis on posa les armes en laissant la garde ordinaire. Cela les asseura 325/473 fort, & furent bien contens de voir les François qui se préparèrent pour les secourir. Après que les sauvages eurent traicté leurs marchandises, & qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur faire voir le païs & les obliger à les ramener, dont ils firent grande difficulté, me representant la peine que m'avoit donné nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports, comme il avoit faict. Je leur fis response qu'ils estoient gens de bien & véritables, & que s'ils ne les vouloient emmener, ils n'estoyent pas mes amys, & pource ils s'y resolurent. Pour nostre menteur aucun de ces sauvages n'en voulust, pour prière que je leur feit, & le laissasmes à la garde de Dieu. Voyant n'avoir plus rien affaire en ce pays, je me resolus de passer dans le premier vaisseau qui retourneroit en France. Le sieur de Maison-neufve ayant le sien prest m'offrit le passage, lequel j'acceptay, & le 27 Juin avec le sieur l'Ange nous partismes du Saut, où nous laissasmes les autres vaisseaux, qui attendoyent que les sauvages qui estoient à la guerre fussent de retour, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet. Le 8 Aoust[376] le temps se trouva propre qui nous en feit partir. [Note 376: Le 8 juillet; car 1° comment Champlain, «qui n'avait plus rien à faire en ce pays», et qui voulait prendre «le premier vaisseau qui retournerait en France», aurait-il pu se résigner à passer un mois et deux jours à Tadoussac? 2° Est-il croyable que, dans la belle saison de l'année, il eût fallu attendre plus d'un mois, avant que «le temps se trouvât propre» pour partir? Et l'expression qu'emploie ici l'auteur marque bien que le vaisseau de Maison-Neuve n'attendait en effet qu'un temps favorable pour mettre à la voile.] 326/474 Le 18, sortismes de Gaspé à l'isle percée. Le 28, nous estions sur le grand banc, où se faict la pesche de poisson vert, où l'on prit du poisson tant que l'on voulut. Le 26 Aoust arrivasmes à S. Maslo, où je vis les Marchans, ausquels je remonstray combien il estoit facile de faire une bonne association pour l'advenir, à quoy ils se sont resolus, comme ont faict ceux de Rouen, & de la Rochelle après qu'ils ont recognu ce règlement estre necessaire, & sans lequel il est impossible d'esperer quelque fruict de ces terres. Dieu par sa grâce face prosperer ceste entreprise à son honneur, à sa gloire, à la conversion de ces pauvres aveugles, & au bien & honneur de la France. FIN. 327/475 TABLE DES CHAPITRES DU QUATRIESME VOYAGE. Ce qui m'a occasionné de recercher un règlement. Commission obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par tous les ports de France. Chap. I. p. 283 Partement de France: Et ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Saut. Chap. II. p. 287 Partement pour descouvrir la mer du Nord, sur le rapport qui m'en avoit esté faict. Description de plusieurs rivieres, lacs, isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts. Chap. III. p. 292 Continuation. Arrivée vers Tessoüat, & le bon accueil qu'il me feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4 Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les réfutent. Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés. Tessoüat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. IV. p. 306 Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs. Et nostre retour en France. Chap. V. p. 319 478 OEUVRES DE CHAMPLAIN PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE L'UNIVERSITÉ LAVAL PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A. PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ SECONDE ÉDITION TOME IV QUÉBEC Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS 1870 i/479 _Le recueil des Voyages de Champlain publié en 1619, est la continuation des volumes imprimés en 1603 et 1613. Ce qui le recommande surtout, c'est qu'il est beaucoup plus complet que la reproduction qui en a été faite 1632. On y trouve en effet, sur l'arrivée des Récollets et sur leurs travaux, des détails ou des faits intéressants, dont la suppression en 1632 ne peut guère s'expliquer sans l'intervention d'une main étrangère, comme nous le remarquerons en son lieu. Il y a eu plusieurs éditions, ou pour mieux dire, plusieurs tirages de ce volume de 1619, entre autres ceux de 1620 et de 1627, que nous avons pu consulter. Ce dernier porte, dans le titre._ Seconde édition; _cependant, à part quelques passages, que nous avons signalés dans l'occasion, le texte n'a pas été recomposé, comme le prouve, évidemment l'identité des détails et des fautes typographiques._ 480 [Carte géographique] ii/481 VOYAGES ET DESCOUVERTURES FAITES EN LA NOUVELLE France, depuis l'année 1615. jusques à la fin de l'année 1618. _Par le Sieur de Champlain Cappitaine ordinaire pour le Roy en la Mer du Ponant._ Où sont descrits les moeurs, coustumes, habits, façons de guerroyer, chasses, dances, festins, & enterrements de divers peuples Sauvages, & de plusieurs choses remarquables qui luy sont arrivées audit païs, avec une description de la beauté, fertilité & temperature d'iceluy. A PARIS, Chez CLAUDE COLLET, au Palais, en la gallerie des Prisonniers. M. D. C. XIX. Avec privilège du Roy. iii/483 AU ROY. Sire, Voicy un troisiesme livre contenant le discours de ce qui s'est passé de plus remarquable aux voyages par moy faits en la nouvelle France, à la lecture duquel j'estime que V. M. prendra un plus grand plaisir qu'aux précédents, d'autant qu'iceux ne designent rien que les ports, havres, scituations, déclinaisons, & autres matières plus propres aux Nautonniers, & Mariniers, que non pas aux autres. En celuy-cy vous y pourrez remarquer plus particulièrement les moeurs & façons de vivre de ces peuples, tant en particulier que générale leurs guerres, munitions, façons d'assaillir, & se desfendre, leurs expéditions, retraicte en plusieurs particularités, servant à contenter un esprit curieux; Et comme ils ne sont point tant sauvages, qu'avec le temps, & la fréquentation d'un peuple civilizé, ils ne puissent estre rendus polis: Vous y verrés pareillement quelle & combien grande est l'esperance que nous avons de tant de longs & pénibles travaux que depuis quinze ans nous soustenons, pour planter en ce pais l'estendart de la Croix, & leur enseigner la cognoissance de Dieu, & gloire de son Sainct Nom, estant nostre desir d'augmenter la Charité envers ses miserables Créatures, qui nous convient supporter iv/484 patiemment plus qu'aucune autre chose, & encore que plusieurs n'ayent pas pareil dessein, ains que l'on puisse dire que le desir du gain est ce qui les y pousse: Neantmoins on peut probablement croire que ce sont des moyens dont Dieu se sert pour plus faciliter le sainct desir des autres: Que si les fruicts que les arbres portent sont de Dieu, à celuy qui est Seigneur du Sol, ou ils sont plantez, & qui les a arrousez, & entretenus, avec un soing particulier, V. M. se peut dire légitime Seigneur de nos travaux, & du bien qui en reussira, non seulement pour ce que la terre vous en appartient, mais aussi pour nous avoir protegé contre tant de sortes de personnes qui n'avoyent autre desseing qu'en nous troublant empescher qu'une si saincte délibération ne peust reussir, & nous ostant la permission de pouvoir librement negotier, en partie de ses païs, & mettre le tout en confusion, qui seroit en un mot tracer le chemin pour tout perdre, au prejudice de vostre estat, vos sujects ayant employé à cet effect tous les artifices dont il se sont peu adviser, & tous les moyens qu'ils ont creu nous y pouvoir nuire, qui tous ont esté loués par V. M. assistée de son prudent Conseil, nous authorisant de son nom, & soustenants par ses arrests qu'elle a rendus à nostre faveur. Cest un occasion pour accroistre en nous le desir qu'avons dés long-temps d'envoyer des peuplades & colonnies par delà, pour leur enseigner avec la cognoissance de Dieu, la gloire & les triomphes de V. M. de faire en sorte qu'avec la langue Françoise ils consoivent aussi un coeur, & courage françois, lequel ne respirera rien tant aprés la crainte de Dieu, que le desir qu'ils auront de vous servir: Que si nostre desseing reussit, la gloire en sera premièrement à Dieu, puis à V. M. qui outre mille benedictions quelle en recevra du Ciel, v/485 en recompense de tant d'âmes ausquelles elle en donnera par ce moyen l'entrée, son nom en sera immortalisé pour avoir porté la gloire, & le sceptre des François, autant en Occident que vos devanciers l'ont estendu en Orrient, & par toute la terre habitable: ce fera augmenter la qualité de Tres-Chrestien qui vous appartient par dessus tous les Rois de la terre, & montrer qu'elle vous est autant deue par mérite, comme elle vous est propre de droit, ayant esté transmise par vos predecesseurs depuis qu'ils se l'acquirent par leurs vertus, d'avoir voulu embrasser avec tant d'autres importans affaires le soing de celle-cy grandement négligée par cy-devant, estant une grâce specialle de Dieu d'avoir voulu reserver sous vostre regne l'ouverture de la prédication de son Evangille, & la cognoissance de son Saint Nom à tant de nations qui n'en avoient jamais ouy parler, qu'un jour Dieu leur fera la grace, comme nous, de le prier incessamment qu'il accroisse son empire, & donne mille benedictions à vostre Majesté._ SIRE Vostre tres-humble, tres-fidelle & obéissant serviteur & subject,_ CHAMPLAIN. vii/487 [Illustration] PREFACE. Tout ainsi qu'en la diversité des affaires du Monde chacune chose tend à sa perfection, & à la conservation de son estre, aussi d'autrepart l'homme se plaist aux choses différentes des autres pour quelque subject, ou pour le bien public, ou pour acquérir (en cet eslongnement du commun) une louange & réputation avec quelque proffict. C'est pourquoy plusieurs ont frayé ceste voye, mais quant à moy j'ay faict eslection du plus fascheux & pénible chemin, qui est la perilleuse navigation des Mers, à dessein toutesfois, non d'y acquérir tant de biens, que d'honneur, & gloire de Dieu, pour le service de mon Roy, & de ma patrie, & apporter par mes labeurs quelque utilité au public, protestant de n'estre tenté d'aucune autre ambition, comme il se peut assez recognoistre, tant par mes deportements du passé, que par le discours de mes voyages, faits par le commandement de sa Majesté en la nouvelle France, contenus en mon premier & second livre, ainsi qu'il se verra par celuy-cy: Que si Dieu benist nostre desseing, qui ne tend qu'à sa gloire, & de nos découvertures & laborieux travaux il me reussit quelque fruict je luy en renderay l'action de grâces, & à sa Majesté, pour sa protection & assistance une continuation de prières pour l'augmentation & accroissement de son regne. viii/488 EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. Par grâce & Privilege du Roy, il est permis à CLAUDE COLLET, Marchand Libraire en nostre ville de Paris, d'Imprimer ou faire Imprimer par tel Imprimeur que bon luy semblera, un livre intitulé. _Les voyages & descouvertures faites en la nouvelle France, depuis l'année 1615 jusques à la fin de l'année 1618. par le Sieur de Champlain, Cappitaine ordinaire pour le Roy, en la Mer du Ponant._ Et sont faites deffences à tous Libraires & Imprimeurs de nostre Royaume, d'Imprimer ny faire Imprimer, vendre ny débiter ledit livre, si ce n'est du contentement dudit Collet, & ce pour le temps & terme de six ans, à commencer du jour que ledit livre sera achevé d'Imprimer, sur peine de confiscation des exemplaires, & de quatre cens livres d'amende, moitié à nous applicable, & l'autre audit exposant. Voulans en oultre quoy fesant, mettre ledit Privilege au commencement ou à la fin dudit livre. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le 18e jour de May, 1619. Et de nostre règne le dixiesme. Par le Conseil. DE CESCAUD. 1/489 [Illustration] VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN, EN LA NOUVELLE FRANCE, L'extrême affection que j'ay tousjours eue aux descouvertures de la nouvelle France, m'a rendu desireux de plus en plus à traverser les terres, pour en fin avoir une parfaicte cognoissance du pays, par le moyen des fleuves, lacs, & rivieres, qui y sont en grand nombre, & aussi recognoistre les peuples qui y habitent, à dessein de les amener à la cognoissance de Dieu. A quoy j'ay travaillé continuellement depuis quatorze à quinze ans[1] sans pouvoir avancer que fort peu de mes desseins, pour n'avoir esté assisté comme il eust esté necessaire à une telle entreprise. Neantmoins ne perdant courage, je n'ay laissé de poursuivre, & fréquenter plusieurs nations de ces peuples sauvages, & familiarisant avec eux, j'ay recogneu, & jugé, tant par leurs discours, que par la cognoissance des-jà acquise; qu'il n'y avoit autre ny meilleur moyen, que de patienter, laissant passer tous les orages & difficultez, qui se presenteroient jusques à ce que sa Majesté 2/490 y apportast l'ordre requise, & en attendant continuer, tant les descouvertures audit pays, qu'à apprendre leur langue, & contracter des habitudes, & amitiez, avec les principaux des Villages, & des Nations, pour jetter les fondements d'un édifice perpétuel, tant pour la gloire de Dieu, que pour la renommée des François. [Note 1: Champlain livrait ceci à l'impression au commencement de l'année 1619, comme on peut le voir par l'extrait du privilège qui se trouve en tête de cette relation.] Et depuis sa Majesté ayant remis, & disposé la surintendance de ceste affaire entre les mains de Monseigneur le Prince de Condé, pour y apporter l'ordre, & que ledit Sieur soubs l'auctorité de sa Majesté, nous maintenoit contre toutes sortes d'envies, & altérations, qui provenoient d'aucuns mal vueillants. Cela, dis-je, m'a comme animé & redoublé le courage en la continuation de mes labeurs aux descouvertures de ladite nouvelle France, & en augmentant icelles je poussay ce dessein jusques dans les terres fermes & plus avant que je n'avois point encores fait par le passé, comme il sera dit cy-aprés, en l'ordre & suite de ce discours. Mais auparavant il est à propos de dire, qu'ayant recogneu aux voyages précédents, qu'il y avoit en quelques endroicts des peuples arrestez, & amateurs du labourage de la terre, n'ayans ny foy ny loy, vivans sans Dieu, & sans religion, comme bestes brutes. Lors je jugay à part moy que ce seroit faire une grande faute si je ne m'employois à leur préparer quelque moyen pour les faire venir à la cognoissance de Dieu. Et pour y parvenir je me suis efforcé de rechercher quelques bons Religieux, qui 3/491 eussent le zèle, & affection, à la gloire de Dieu: Pour les persuader d'envoyer, où se transporter avec moy en ces pays, & essayer d'y planter la foy, ou du moins y faire ce qui y seroit possible selon leur vacation, & en ce faisant remarquer & cognoistre s'il s'y pourroit faire quelque bon fruict, d'autant que pour y parvenir il faloit faire une despence qui eust exedé mon pouvoir, & pour quelque raison j'ay négligé ceste affaire pour un temps, me representant les difficultez qu'il y auroit au recouvrement des choses necessaires, & requises en telle affaire, comme il est ordinaire en semblables voyages. D'ailleurs qu'aucunes personnes ne se presentoient pour y contribuer. Neantmoins estant sur ceste recherche, & la communiquant à plusieurs, il se seroit presenté un homme d'honneur, duquel j'avois la fréquentation ordinaire, appellé le Sieur Houel[2], Secrétaire du Roy, & Contrerolleur Général des Sallines de Brouage, homme adonné à la pieté, & doué d'un grand zèle, & affection, à l'honneur de Dieu, & à l'augmentation de sa Religion, lequel me donna un advis qui me fut fort agréable. A sçavoir qu'il cognoissoit de bons Pères Religieux, de l'ordre des Recollez, desquels il s'asseuroit, & avoit tant de familiarité, & de créance envers eux, qu'il les feroit condescendre facillement, & entreprendre le voyage, & que pour les commoditez necessaires pour trois ou quatre Religieux qu'on y pourroit envoyer, on ne manqueroit point de gens de bien qui leur donneroient ce qui leur seroit de besoing, offrant de sa part les assister de son pouvoir, & de 4/492 faict il en rescrivit au Père du Verger[3], lequel gousta & prit fort bien ceste affaire & suivant l'advis du Sieur Houel, il en communiqua & parla à aucuns de ses frères, qui tous bruslants de charité s'offrirent librement à l'entreprise de ce Sainct voyage[4]. [Note 2: Louis Houel, suivant Ducreux (liste des Cent-Associés).] [Note 3: Bernard du Verger, provincial de l'Immaculée-Conception, religieux d'une grande vertu et d'un rare talent. (T. le Clercq, Premier établiss. de la Foy, t. I, p. 31.)] [Note 4: De cet exposé simple et naïf, il ressort, à la vérité, que le sieur Houel a eu le mérite de fixer le choix de Champlain sur celui des ordres religieux auquel celui-ci pourrait le plus sûrement s'adresser; mais, d'un autre côté, il ressort aussi de toutes les circonstances des démarches que Champlain avait déjà faites quand on lui donne cet avis, que la gloire de l'initiative doit en revenir à celui-ci. C'est ce que le Frère Sagard, dans son zèle pour un bienfaiteur de son ordre, semble n'avoir pas assez distingué. Aussi, le P. le Clercq, quoique récollet lui-même, a-t-il cru ne pas devoir suivre ici les traces de son devancier, et a franchement adopté la version de Champlain. Après cela, il y a lieu de s'étonner que l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, pages 143 et 144) ait commencé par citer Sagard sur un point où naturellement l'intérêt pouvait influencer les idées de cet auteur, pour ne mentionner ensuite que juste la partie du texte de Champlain qui ne détruit pas la fausse impression qui peut avoir été produite, grâce à la précaution qu'on a prise d'en retrancher, sans rien dire, les expressions qui pouvaient nuire à la thèse.] Or estoit-il pour lors en Xaintonge, duquel lieu il en envoya deux à Paris, avec une commission, non toutesfois avec un pouvoir absolu, remettant le surplus à Monsieur le Nonce [5] de nostre Sainct Pere le Pape, qui pour lors estoit en France, en l'année 1614. & estans iceux Religieux en leur maison à Paris, il les fut visiter, estant fort aise & content de leur resolution, & lors tous ensemble fusmes trouver ledict Sieur Nonce, avec laditte commission pour la luy communiquer, & le supplier d'y interposer son auctorité. Mais au contraire il nous dist qu'il n'avoit point de pouvoir pour telles affaires, & que c'estoit à leur Général à qui ils se devoient adresser. 5/493 Neantmoins laquelle responce lesdits Religieux remarquans la difficulté de ceste mission, ne voulurent entreprendre le voyage, sur le pouvoir du Père du Verger, craignant qu'il ne fust assez autentique, & saditte commission valable, à cause dequoy l'affaire fut remise à l'autre année suivante. En attendant laquelle ils prirent advis & resolution, suivant laquelle on disposa toutes choses pour ceste entreprise, qui se devoit effectuer au printemps lors prochain: en attendant lequel, les deux Religieux seroient retournez en leur Couvent en Brouage. [Note 5: Robert Ubaldini, et non pas Gui Bentivole, comme le dit, par inadvertence sans doute, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 146). Ubaldini était nonce à Paris depuis environ huit ans, lorsqu'il reçut de Paul V le chapeau de cardinal, le 2 décembre de cette année 1615. Il fut rappelé à Rome un an plus tard, comme on le voit par une lettre de Louis XIII au Souverain Pontife, en date du 24 décembre 1616, qui commence par ces mots: «Mon cousin le Cardinal Ubaldini s'en retournant vers vous,» etc. (Lettres du card. de Richelieu, par Avenel, l. I, p. 198, note 4.--Voir _Ciaconii Vitae Pontificum_, IV, 432, 434; et Schoel, Hist. des états europ., t. XXXV, p. 334.)] Et moy de mon costé, je ne laissay de mettre ordre à mes affaires, pour la préparation de ce voyage. Et quelque mois après le despartement des deux Religieux que le Reverend Père Chapouin[6] Provincial des Peres Recollez, (homme fort pieux) fut de retour à Paris. Ledit Sieur Houel le fut voir, & luy fit le discours de ce qui s'estoit passé, touchant le pouvoir du Père du Verger, & la mission qu'il avoit donnée aux Pères Recollez. Sur lequel discours, ledit Pere Provincial commença à louer ce dessein, & le prendre en affection, promettant d'y faire ce qui seroit de son pouvoir, n'ayant auparavant bien pris le subject de ceste mission, & est à croire que Dieu l'inspira de plus en plus à poursuivre ceste affaire, & en parla dés lors à Monseigneur le Prince de Condé, & à tous Messieurs les Cardinaux, & Evesques, estans lors à Paris assemblez pour la tenue des estats[7], qui tous ensemble 6/494 louerent & approuverent ce dessein, & pour montrer qu'ils y estoient portez, asseurerent ledit sieur Provincial qu'ils trouveroient entr'eux, & ceux de la Court, un moyen de leur faire un petit fonds, & leur amasser quelque argent pour assister quatre Religieux, qu'on choisiroit, & furent dés lors choisis pour l'exécution d'une si sainte oeuvre. Et affin d'advancer la facilité de ceste affaire, je fus trouver aux estats Nosseigneurs les Cardinaux & Evesques, & leur remonstray, & representay le bien & utilité qui en pouvoit un jour revenir, pour les supplier & esmouvoir à donner, & faire donner à autres, qui pourroient y estre émulez par leur exemple, quelques aumosnes & gratifications, remettant le tout à leur volonté & discretion. [Note 6: Jacques Garnier de Chapouin, premier provincial des Récollets de la province de Saint-Denis. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 34.)] [Note 7: L'assemblée des États Généraux devait avoir lieu, cette année (1614), à Sens, le 10 de septembre; mais l'absence du roi et de la reine la fit remettre au 10 octobre suivant. Dans l'intervalle, le roi ayant atteint l'âge de majorité, et un grand nombre de députés des trois ordres de la France s'étant rendu à Paris, la tenue des États se fit à Paris, et les assemblées des trois ordres se tinrent aux Augustins. L'ouverture des États eut lieu dans la salle de Bourbon, le lundi 27 octobre, après une procession solennelle faite, le jour précédent, des Augustins à Notre-Dame. La Chambre Ecclésiastique comptait cent quarante députés, entre lesquels étaient cinq cardinaux, sept archevêques, quarante-sept évêques, et deux chefs d'ordres; celle de la Noblesse, cent-trente gentils-hommes, et celle du Tiers-État, cent quatre-vingt-douze députés, qui étaient presque tous officiers de justice ou de finance. (Mercure français, t. III, p. 415 et s.)] Les aumosnes qu'on amassa pour fournir aux frais de ce voyage, se montèrent à prés de quinze cent livres, qui furent mis entre mes mains, & furent dés lors employez, de l'advis & en la presence des Pères, en la despence & achapt des choses necessaires, tant pour la nourriture des Pères qui feroient le voyage en ladite nouvelle France, qu'habits, linges, & ornemens qui leur estoit de besoing, pour faire, & dire, le service Divin, lesquels Religieux furent envoyez devant à Honfleur, où se devoit faire leur embarquement. 7/495 Or les Peres Religieux qui furent nommez & designez pour ceste saincte entreprise, estoient le Père Denis [8], pour Commissaire, Jean Delbeau[9], Joseph le Caron, & Pacifique du Plessis [10], chacun desquels estoit porté d'une saincte 8/496 affection, & brusloient de faire le voyage, moyennant la grâce de Dieu, affin de voir s'ils pourroient faire quelque bon fruit, & planter en ces lieux l'estendart de Jesus-Christ, avec une délibération de vivre & mourir pour son sainct Nom, s'il estoit necessaire, & que l'occasion s'en presentast. Toutes choses preparées, ils s'accommoderent des ornements d'Eglise, & nous des choses necessaires pour nostre voyage. [Note 8: Denis Jamay. Quoique le Frère Sagard écrive _Jamet_, nous préférons l'orthographe du P. le Clercq, qui, en général, paraît avoir puisé aux sources, et c'est pour cette raison, sans doute, que M. Ferland et l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ s'accordent à écrire _Jamay_.] [Note 9: Le P. Jean d'Olbeau, désigné successeur du P. Denis, en cas de mort. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53.) Il est évident que Champlain écrit ce nom comme on le prononçait, sans se mettre en peine d'être toujours d'accord avec lui-même sur ce point. Le Frère Sagard écrit constamment Dolbeau. Enfin le P. le Clercq, sans s'arrêter à aucune de ces orthographes, adopte celle qui vraisemblablement était celle du P. d'Olbeau lui-même. Nous ne savons pourquoi M. Ferland écrit ce nom comme le Frère Sagard.] [Note 10: Le Frère Pacifique du Plessis. Quoique Champlain, dans cette relation, donne indistinctement le titre de Père à chacun des quatre récollets, il est constant que ce religieux n'était que Frère lai: aussi l'auteur se corrige-t-il dans son édition de 1632: «Nous sçeusmes, dit-il, la mort de frère Pacifique» (page 3 de la seconde partie); ce qu'il n'eût jamais dit d'un Père. Sagard lui donne également le même titre: «On ne peut bien mourir, remarque cet auteur, qu'en bien vivant, comme a fait nostre bon frère Pacifique décédé à Kebec le 23 d'Aoust l'an 1619.» Et, en marge, on lit: « Mort de F. Pacifique.» (Hist. du Canada, pages 54 et 55.) Le P. le Clercq, qui avait toutes sortes de raisons, en même temps que les moyens, de ne pas se tromper en pareille matière, est encore plus explicite: «La joye de leur arrivée, » dit-il en parlant des PP. Paul et Guillaume, «fut traversée par la mort de Frère Pacifique... Quoi qu'il ne fut qu'un Frère laïc, on peut dire qu'il a extrêmement travaillé en peu de temps à l'avancement spirituel & temporel de la Mission.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 155.) Après ces témoignages non équivoques d'auteurs si compétents, on se demande comment l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ a pu avoir le courage de s'écarter de l'opinion suivie jusqu'à ce jour, en donnant nommément au Frère Pacifique le titre de Père, sans citer d'autre autorité que celle du même P. le Clercq; et, ce qu'il y a de plus singulier, c'est que le passage même auquel il renvoie, prouve exactement le contraire de ce qu'il donne à entendre, puisque, à la page citée (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53), le P. le Clercq, qui qualifie de Pères les trois premiers religieux, ne donne cependant à celui dont nous parlons que le titre de Frère. Plus d'un lecteur, en vérifiant les citations, sera étonné sans doute qu'on s'appuie de l'autorité d'un auteur en lui faisant dire autre chose que ce qu'il dit. Nous eussions volontiers laissé passer cette expression comme inadvertence, si l'illustre auteur n'avait été jusqu'à ajouter au texte de Champlain, comme nous verrons ci-après, pour donner à entendre que Frère Pacifique ait dit la messe, et par conséquent qu'il fut prêtre. On peut inférer de là que le même auteur, en donnant à Sagard le titre de Père, veut également faire croire qu'il était prêtre; et cependant, sans parler de Champlain, qui, dans l'édition de 1632, ne l'appelle jamais autrement que Frère Gabriel, le P. le Clercq dit en toutes lettres qu'il n'était que Frère lai. «On sçavoit par expérience,» dit-il (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 245), «que ne s'agissant presque que d'humaniser les Sauvages & les disposer à la lumière de l'Evangile, les Frères Lays non-seulement n'y estoient pas inutiles, mais y servoient beaucoup, & pouvoient estre associez aux Ministères Apostoliques. C'est pourquoy on y destina le Frère Gabriel Sagard.»] Je partis de Paris le dernier jour de Febvrier, pour aller à Rouen trouver nos associez, & leur representer la volonté de Monseigneur le Prince, entr'autres choses le desir qu'il avoit que ces bons Pères Religieux fissent le voyage, recognoissant que mal-aisément les affaires du païs pourroient venir à quelque perfection ou advancement, si premierement Dieu n'y estoit servy[11], dequoy nos associez furent fort contens, promettans d'assister lesdits Pères de leur pouvoir, & les entretenir à l'advenir de leur nourritures. [Note 11: Après avoir cité Champlain en cet endroit, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ ajoute, sans indiquer d'autre source: «La compagnie, après les engagements qu'elle avait pris, ne pouvait décliner cette proposition, et, sur le motif de la volonté du roi, allégué par Champlain, elle promit de nourrir les religieux qui seraient désignés» (t. I, p. 145). Sur quoi nous nous permettrons d'abord de remarquer, que le «motif allégué par Champlain» n'est pas précisément la volonté du roi, mais le désir du prince de Condé, qui, comme on sait, n'était pas, à cette époque, en fort bons termes avec la cour. Ensuite, le lecteur peut se demander si cette phrase que nous venons de citer, rend bien celle de Champlain: Dequoy nos associez furent fort contents, etc.] Lesdits Pères arriverent à Rouen le vingtiesme de Mars ensuivant, où nous sejournasmes quelque temps, & de là fusmes à Honfleur, pour nous embarquer, où nous sejournasmes aussi quelques jours, en attendant que nostre vaisseau fut appareillé, & chargé des choses necessaires pour un si long 9/497 voyage, & cependant on se prépara pour la conscience, à ce que chacun de nous s'examinast, & se purgeast de ses péchez, par une pénitence, & confession d'iceux, affin de faire son bon jour, & se mettre en estat de grâce, pour puis après estants plus libres, chacun en sa conscience, s'exposer en la garde de Dieu, & à la mercy des vagues de ceste grande & perilleuse Mer. Ce faict, nous nous embarquasmes dedans le vaisseau de ladite Association, qui estoit de trois cens cinquante tonneaux, appelé le S. Estienne, dans lequel commandoit le Sieur de Pont Gravé, & partismes dudit Honfleur le vingt-quatriesme jour d'Aoust[12] audit an, & fismes voile avec vent fort favorable, & voguâmes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, grâces à Dieu, & en peu de temps arrivasmes devant le lieu appellé Tadoussac, le vingt-cinquiesme jour de May, où nous rendismes grâces à Dieu, de nous avoir conduit si à propos au port de salut. [Note 12: Le 24 d'avril. A défaut d'autres témoignages, le contexte suffirait pour prouver qu'il y a ici erreur purement typographique. « Nous partîmes d'Honfleur,» écrit le P. d'Olbeau à son ami le P. Didace David, «le 24 d'Avril au soir, & arrivâmes le 25 May à un Port où s'arresterent les navires qui navigent icy. Ce port s'appelle Tadoussac.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 62.) «Ces bons Pères, dit Sagard, s'estant tous disposez par fréquentes oraisons & bonnes oeuvres à une entreprise si pieuse & méritoire, se mirent en chemin pour commencer leur glorieux voyage, à pied & sans argent à l'Apostolique selon la coustume des vrais frères Mineurs, & s'embarquèrent à Honfleur l'an 1615, le 24 d'Avril environ les cinq heures du soir que le vent & la marée leur estoient favorables.» (Hist, du Canada, p. 22.)] Aprés on commença à mettre des hommes en besongne pour accommoder nos barques, affin d'aller à Québec, lieu de nostre habitation, & au grand sault Sainct Louys, où estoit le rendez-vous des Sauvages qui y viennent traicter. 10/498 Les barques accommodées nous nous mismes dedans, avec lesdits Peres Religieux [13], l'un desquels appellé le Pere Joseph sans s'arrester ny faire aucun sejour à Québec, voulut aller droict au grand sault, où estant, il veit tous les Sauvages, & leur façon de faire. Ce qui l'esmeut d'aller hyverner dans le pays, entr'autres celuy des peuples qui ont leur demeure arrestée, tant pour apprendre leur langue, que voir ce qu'on en pourroit esperer, en ce qui regarde leur réduction au Christianisme. Ceste resolution ainsi prise, il s'en retourna à Québec le vingtiesme jour de Juin[14], pour avoir quelques ornements d'Eglise, & autres choses pour sa commodité. Cependant 11/499 j'estois demeuré [15] audit Québec pour donner ordre à ce qui deppendoit de l'habitation, tant pour le logement des Pères Religieux, qu'ornements d'Eglise, & construction d'une Chappelle, pour y dire & chanter la Messe, comme aussi d'employer autres personnes pour deffricher les terres. Je m'embarquay pour aller audit sault, avec le Père Denis [16] qui estoit arrivé ce mesme jour de Tadoussac, avec ledit sieur du Pont-Gravé. [Note 13: Plusieurs détails que nous ont conservés le Frère Sagard et le P. le Clercq, nous font voir comment il faut entendre ce passage. «Après avoir sejourné deux jours à Tadoussac,» dit celui-ci (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 57), «le R. P. Commissaire destina le P. Jean Dolbeau pour aller devant à Québec, pour y préparer toutes choses.» D'après Sagard (Hist. du Canada, p. 24), le même P. d'Olbeau, «après avoir sejourné un jour ou deux à Tadoussac, partit pour Kebec dans la première barque qui se mit à veille, & les autres pères cinq ou six jours après dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu.» Le P. d'Olbeau serait donc parti de Tadoussac le 27 de mai. D'un autre côté, il nous apprend lui-même, dans sa lettre au P. Didace David (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 63), qu'il arriva à Québec «seul de religieux le second de Juin.» Les autres, c'est-à-dire, le P. Denis, le P. Joseph et le F. Pacifique, ayant quitté Tadoussac cinq ou six jours après, durent arriver à l'habitation vers le 8. Cependant, le P. Joseph dut passer à Québec un peu avant le P. Denis, puisque celui-ci, qui en repartit le jour même qu'il y était arrivé, le rencontra à la rivière des Prairies, qui s'en revenait à Québec. Quant à Champlain il y a tout lieu de croire qu'il prit la première barque prête, et que par conséquent il arriva à Québec le 2 de juin avec le P. d'Olbeau: car, d'abord, sa présence y était grandement nécessaire tant pour la direction des travaux, que pour le logement des pères, et le choix de l'emplacement de la chapelle; en second lieu, on voit qu'il était déjà à Québec depuis quelques jours quand le P. Denis y arriva vers le 8, puisque, le jour même de l'arrivée de ce père, il part avec lui pour le saut Saint-Louis, et que d'un autre côté il dit lui-même être demeuré quelque temps à Québec. Il est donc à peu près certain que Champlain arriva à Québec le 2 de juin, et en repartit vers le 8 ou le 10.] [Note 14: Cette date, suivant nous, doit s'entendre du retour du P. Joseph à Québec, et non pas de son départ du saut Saint-Louis. En effet, Champlain, qui devait être parti de l'habitation vers le 8, comme nous avons vu ci-dessus, pouvait avoir mis huit ou dix jours à monter à la rivière des Prairies, et y aurait rencontré le P. Joseph le 17 ou le 18. Deux jours après, le père pouvait être à Québec. De plus, Champlain, en descendant, le rencontre de nouveau à la rivière des Prairies, et arrive lui-même à Québec le 26. Donc le père était de retour à la rivière des Prairies au moins deux jours avant le 26, puisque Champlain ne pouvait guères mettre moins de deux jours à descendre. Or il est presque incroyable qu'il eût pu, du 20 au 24 descendre du saut Saint-Louis à Québec, y régler ses petites affaires, et remonter à la rivière des Prairies. Enfin, ce qui vient donner encore plus de vraisemblance à cette supposition, c'est que, si le P. Joseph est reparti de Québec le 20 ou au moins le 21 au matin, il a pu célébrer la sainte messe à la rivière des Prairies le 24, par conséquent avant que le P. d'Olbeau l'eût dite à Québec le 25, comme l'affirme le Mémoire des Récollets de 1637 (Archives de Versailles), lequel a dû être fait sous la dictée des Pères qui étaient venus au Canada. On y lit entre autres ces mots: «La première messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle-France, fut célébrée par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.»] [Note 15: Champlain dut demeurer à l'habitation cinq ou six jours, c'est-à-dire, depuis le 2 de juin jusque vers le 8. (Voir la note l de la page précédente.)] [Note 16: Comme on le voit, le P. Denis part avec Champlain, et non pas avec le P. Joseph. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 148), après avoir invoqué le témoignage de Champlain sur un fait que personne assurément ne songera à contester, avance, sans citer aucune autorité que le P. le Caron, après s'être fourni d'ornements d'église et d'autres objets, «remonta le fleuve Saint-Laurent avec le P. Denis Jamay, qui, à son tour,» ajoute-t-il, «désirait aussi beaucoup de voir les sauvages.» On doit supposer qu'il s'appuie ici sur le P. le Clercq, vu que Sagard ne fait aucune mention de cette circonstance. Mais il restera toujours à expliquer pourquoi l'on met ainsi de côté un témoin oculaire aussi digne de foi que Champlain, pour suivre un auteur qui, écrivant plus de soixante ans après, pouvait se tromper sur des détails de cette nature, et qui, après tout, ne donne aucune preuve de ce qu'il affirme. Il est bien vrai que le P. d'Olbeau, qui était à Québec dans le moment, dit que «le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas [à l'habitation], ains voguèrent le long de la rivière»... (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 63); mais cela ne veut pas dire que les deux pères soient partis ensemble ou dans la même barque. Le P. Denis quitta donc Québec vers le 8 de juin (voir note l, page 10), et non pas après que le P. Joseph fut redescendu du saut Saint-Louis, ce qui n'aurait pu être qu'après le 20 du même mois.] Quant est des autres Religieux, à sçavoir les Père Jean, & 12/500 Pacifique, ils demeurèrent audit Quebec[17] pour accommoder leur Chappelle, & donner ordre à leur logement, lesquels furent grandement édifiez d'avoir veu le lieu tout autrement qu'ils ne s'estoient imaginez, & qui leur augmenta leur zèle. [Note 17: À la date du 20 juillet de cette année 1615, le P. Jean d'Olbeau écrivait de Québec au P. Didace David: «... J'arrivay seul de Religieux [à l'habitation] le second de Juin. Les autres y vinrent après selon la commodité. Le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas, ains ils voguerent le long de la rivière quarante ou cinquante lieues... J'ay presque demeuré toujours seul avec Frère Pacifique depuis que nous sommes à terre...» Il continua vraisemblablement à y demeurer jusqu'au mois de décembre. «Le P. d'Olbeau,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 26), «tousjours plein de zèle, prit le premier l'essor pour les Montagnais... Il partit le second jour de Décembre, pour y cabaner, apprendre leur langue, les catechiser, «courir les bois avec eux;... mais la fumée luy pensa perdre la veue, qu'il n'avoit des-ja guere bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux, qui luy faisoient une douleur extrême, tellement que dans l'apprehension que ce mal augmentait il fut contraint de les quitter après deux mois de temps, & revenir à l'habitation vivre avec ses frères.» Le P. d'Olbeau était donc de retour à Québec vers le commencement de février 1616.] Nous arrivasmes à la riviere des Prairies, cinq lieues au dessous du saut Sainct Louys, où estoient descendus les Sauvages. Je ne diray point le contentement que reçeurent nos Pères Religieux, non seulement en voyant l'estendue d'un si grand fleuve, remply de plusieurs belles isles, entouré d'un païs de costes assez fertiles, comme on peut juger en apparence. Mais aussi pour y voir grande quantité d'hommes forts & robustes, qui montrent n'avoir l'esprit tant sauvage, comme les moeurs, & qu'ils se l'estoient representé, comme eux-mesmes le confessoient & ce seulement faute d'estre cultivez, & le tout autrement qu'on ne leur avoit fait entendre. Je n'en feray point la description, renvoyant le Lecteur à ce que j'en ay dit en nos livres précédents, imprimez en l'an mil six cens quatorze [18]. [Note 18: C'est dans son édition de 1613, que Champlain décrit le plus en détail les différentes parties du pays. Il lui semblait probablement qu'il n'y avait qu'un an de tout cela.] Et continuant mon discours nous trouvasmes le Père Joseph qui s'en retournoit à Québec, comme j'ay dit cy-dessus, pour se préparer & prendre ce qui luy estoit necessaire, affin d'aller hyverner dans le pays. Ce que je ne trouvois à propos pour le temps, ains je luy conseillois pour sa commodité qu'il passast 13/501 l'hyver en l'habitation seulement, & que le Printemps venu, il pourroit faire le voyage, au moins durant l'Esté, m'offrant de luy faire compagnie & en ce faisant il ne laisseroit de voir ce qu'il eust peu voir en hyvernant, & retourner parler l'hyver audit Québec, où il eust eu la fréquentation ordinaire de ses frères, & d'autres personnes qui restoient à l'habitation, à quoy il eust mieux proffité que de demeurer seul parmy ces peuples, où à mon advis il ne pouvoit pas avoir beaucoup de contentement: neantmoins pour quelque chose qu'on luy peust faire entendre, dire, & representer, il ne voulut changer de dessein, estant poussé du zèle de Dieu, & d'affection envers ces peuples, se promettant de leur faire congnoistre leur salut. Et ce qui luy faisoit entreprendre ce dessein estoit, à ce qu'il nous representa, qu'il estoit necessaire qu'il y allast, tant pour mieux recognoistre le naturel des peuples, que pour apprendre plus aisément leur langage, & quant aux difficultez qu'on luy representoit debvoir se rencontrer en leur conversation, il s'asseuroit d'y resister, & de les supporter, & de s'accommoder à leurs vivres & incommoditez fort bien, & alaigrement, moyennant la grâce de Dieu: de la bonté & assistance duquel il se tenoit certain & asseuré, & que puis qu'il y alloit de son service, & que c'estoit pour la gloire de son nom, & prédication de son sainct Evangile, qu'il entreprenoit librement ce voyage, s'asseurant qu'il ne l'abandonneroit jamais en telle délibération. Et pour ce qui regarde les commoditez temporelles, il falloit bien peu de chose pour contenter un homme qui ne fait profession que d'une 14/502 perpétuelle pauvreté, & qui ne recherche autre chose que le Ciel, non tant pour luy que pour les autres ses Confrères: n'estant chose convenable à sa reigle d'avoir autre ambition que la gloire de Dieu, s'estant proposé de souffrir & supporter toutes les necessités, peines & travaux qui s'offriront pour la gloire de Dieu. Et le voyant poussé d'un si sainct zèle, & ardante charité, je ne l'en voulus plus destourner, & partit avec ceste délibération d'y annoncer le premier le nom de Dieu, moyennant sa saincte grâce, ayant un grand contentement que l'occasion se presentast pour souffrir quelque chose pour le nom, & gloire, de nostre Sauveur Jesus-Christ. Or incontinent que je fus arrivé au sault[19], je visitay ces peuples qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur donnerions quelques uns d'entre nous pour les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous remontrant que mal-aisément ils pourroient venir à nous si nous ne les assistions: parce que les Iroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur le chemin qui leur fermoient le passage, outre que je leur avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par leur truchement. Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames(20) qu'il estoit 15/503 tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger d'avantage à nous aymer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, & préparation, pour venir au Christianisme, en faveur de quoy je me resolu d'y aller recognoistre leurs païs, & les assister en leur guerres, afin de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis. [Note 19: Champlain dut arriver au saut Saint-Louis à peu près en même temps que le P. Joseph arrivait à Québec, c'est-à-dire, vers le 19 ou le 20 de juin. (Voir ci-dessus, p. 10.)] [Note 20: Pour cette expédition, comme pour celles de 1609 et de 1610, Champlain ne part donc point inconsidérément ou sans réflexion, comme le donne à entendre Charlevoix (Hist. de la Nouv. France, liv. IV), puisque ce n'était qu'après en avoir conféré avec Pont-Gravé, qui pouvait, mieux que personne, juger de l'opportunité de la chose. Les divers motifs qui le déterminent, et qui se trouvent ici énoncés si clairement, ne sont pas non plus l'appas de quelques pelleteries ou une avarice qui le pousse jusqu'à la cruauté, comme prétend le prouver l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 136-142). Le lecteur impartial trouvera le contraire en parcourant cette seule relation de 1615, et pourra se convaincre en même temps qu'on eût beaucoup mieux rendu justice à Champlain en donnant un bon résumé de ses expéditions, et de celle-ci en particulier, qu'en rapprochant des textes pris ça et là, et cités plus ou moins fidèlement, pour faire peser sur un homme aussi estimable les graves soupçons d'intérêt personnel et de cruauté. Quant aux résultats que pouvait avoir la conduite de Champlain, il est beaucoup plus facile de les constater après coup, qu'il ne l'était alors de prévoir toutes les chances et les alternatives d'une lutte internationale à laquelle il n'était peut-être pas possible de ne prendre aucune part. «Il semble aujourd'hui,» dit M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 149), «que la dignité et les intérêts de la France y auraient beaucoup gagné, si le fondateur de Québec eût agi comme le firent les Hollandais, et fût resté neutre au milieu des dissensions des tribus aborigènes. Il serait cependant injuste de taxer Champlain de précipitation ou d'imprudence: car nous sommes trop éloignés de son temps, et trop peu au fait des circonstances dans lesquelles il se trouvait, pour juger sûrement de l'opportunité de sa démarche. Plusieurs considérations importantes ont dû l'engager dans cette expédition. (M. Ferland parle ici de l'expédition de 1609 en particulier.) Il voulait se concilier ses voisins immédiats, qui auraient été des ennemis très-redoutables. Ne connaissant ni la puissance ni l'énergie de la nation iroquoise, il espérait l'assujettir, et la forcer à vivre en paix avec les autres peuples du pays. Il ne pouvait prévoir qu'avant peu ses projets de pacification par la guerre seraient rompus, et que, si la supériorité des armes européennes donnait alors l'avantage aux Français, qui seuls en étaient pourvus, d'autres Européens, à une époque assez rapprochée, en fourniraient aux cinq nations, et qu'alors la lutte deviendrait inégale.»] Nous les fismes donc tous assembler pour leur dire nos volontez, lesquelles entendues, ils nous promirent de nous fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient merveilles, & qu'à ceste fin je menasse de ma part le plus d'hommes qu'il me feroit possible. Ce que je leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien délibérez. Lors je commençay à leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour combattre, à quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec 16/504 demonstration d'une bonne esperance de victoire. Et toutes resolutions prises nous nous separasmes, avec intention de retourner pour l'exécution de nostre entreprise. Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je fisse un voyage à nostre habitation pour donner l'ordre requise, pendant mon absence, aux choses necessaires. Et le ... jour de ... ensuivant [21], je party de là pour retourner à la riviere des Prairies, où estant avec deux canaux de Sauvages, je fis rencontre du Père Joseph, qui retournoit à [22] nostre habitation, avec quelques ornements d'Eglise pour célébrer le sainct Sacrifice de la messe, qui fut chantée[23] sur le bord de ladite riviere avec toute devotion, par le Reverend Père Denis, & Père, Joseph, devant tous ces peuples qui estoient en admiration, de voir les cérémonies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme chose qu'ils n'avoient jamais veue: car c'estoient les premiers qui y ont célébré la Saincte Messe[24]. [Note 21: Il est probable que Champlain partit du saut le 23 de juin et vînt coucher à la rivière des Prairies, où la messe dut se chanter le lendemain matin 24, jour de la Saint-Jean-Baptiste. C'est du moins ce qui paraît le plus vraisemblable, quand on a bien examiné toutes les circonstances rapportées par Champlain lui-même, qui était sur les lieux, et par le Frère Sagard, dont le témoignage, comme auteur contemporain, doit avoir ici une grande valeur, puisqu'il a vécu avec plusieurs de ces premiers missionnaires.] [Note 22: Le contexte montre assez qu'il faut lire: de nostre habitation.] [Note 23: Cette messe put être chantée en effet, puisqu'il se trouvait là plusieurs français, sans compter les deux Pères. Il est tout à fait probable, comme nous l'avons dit dans les notes précédentes, que ce fut le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Alors cette messe aurait été en effet la première qui se soit dite en Canada, depuis l'époque de Jacques Cartier. Champlain ne dit pas qu'il y ait assisté; mais il semble que les détails qu'il en donne, le laissent entendre suffisamment; et, quoiqu'il fut extrêmement pressé, puisqu'il avait promis d'être de retour au saut dans quatre jours, comme il est dit plus loin, il est à croire que sa piété l'aura fait passer par dessus toute considération humaine.] [Note 24: C'est-à-dire: _C'étaient les premiers qui ont célébré la sainte messe chez eux_ ou _dans le pays_. Il semble, en effet, que la pensée de l'auteur, dans ce passage, se reporte moins sur le lieu, que sur «tous ces peuples, qui estoient en admiration, de voir les cérémonies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme chose qu'ils n'avoient jamais veue,» et la raison de leur étonnement, c'est que «c'estoient les premiers qui y ont célébré,» ou qui célébraient parmi ces peuples. Du reste, il eût été superflu de faire remarquer que la messe n'avait pas encore été dite dans un lieu où il n'y avait jamais eu d'habitation, et qui n'était pas même le lieu ordinaire de la traite. Mais une preuve positive que tel doit être le sens qu'il faut attacher à cette phrase, c'est que le Mémoire des Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit formellement que «la première Messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle France, fut célébrée par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.» Il est vrai que le P. d'Olbeau (lettre déjà citée, note 2 de la page 10) affirme de son côté avoir dit à Québec «la première Messe qui ait esté dite en ce pays,» et il avait bien quelque raison de le croire, puisqu'il y avait si peu d'apparence que le P. le Caron fût rendu au saut, ou qu'il se fût arrêté en chemin pour la dire. Cependant, tout bien considéré, il semble que le Mémoire a raison, et que la première messe dite en ce pays, depuis l'époque de Jacques Cartier, fut célébrée à la rivière des Prairies par le P. Commissaire, selon toutes les apparences, et la seconde à Québec, par le P. d'Olbeau.] 17/505 Pour retourner à la continuation de mon voyage, j'arrivay audit lieu de Québec le 26 où je trouvay le Père Jean, & le Père Pacifique en bonne disposition, qui de leur part firent leur debvoir audit lieu, d'apprester toutes choses. Ils y celebrerent[25] la saincte Messe, qui ne s'y estoit encores ditte[26], aussi n'y avoit-il jamais esté de Prebstre en ce costé-là. [Note 25: Dans la bouche d'un théologien, cette expression Ils y célébrèrent signifierait sans doute que les deux religieux qui étaient à l'habitation y dirent chacun la messe; mais, dans la bouche de Champlain, elle veut dire simplement, qu'ils contribuèrent, chacun selon leur pouvoir, à ce qui était nécessaire pour la célébration du saint sacrifice: de même que un peu plus haut, quand il rapporte que «la Méfie fut chantée... par le Reverend P. Denis, & P. Joseph,» il n'entend pas dire non plus que la messe ait été chantée à deux. Supposé même qu'il ait cru alors que Frère Pacifique fût prêtre aussi bien que le P. d'Olbeau, ce qui est assez probable, puisque, dans cette relation de 1615, il lui donne le titre de Père, il ne devait pas vraisemblablement parler avec autant de précision que s'il eût été réellement témoin oculaire; car il ne faut point oublier que Champlain n'était pas à Québec le jour qu'on y célébrait cette première messe. Or, s'il est possible d'interpréter comme nous le faisons cette expression _ils y célébrèrent_, il faut absolument l'entendre ainsi, puisqu'il est prouvé, par des témoignages clairs et positifs, que Pacifique du Plessis n'était que Frère lai. (Voir p. 7, note 3.) Comment donc s'expliquer que l'auteur de l'_Histoire de la Colonie francise en Canada_ ait non seulement pris ces mots au pied de la lettre, mais ait cru devoir en fixer le sens d'une manière plus précise, en écrivant: _ils y celebrerent l'un et l'autre?_ Car si Champlain, comme laïc, plus versé dans la science de la navigation que dans la connaissance des ordres religieux ou de la langue théologique, est excusable de n'avoir aperçu d'abord aucune différence entre des religieux qui portaient le même habit, il n'en est pas de même d'un écrivain ecclésiastique, qui a sous les yeux les documents historiques les plus clairs et la rectification de Champlain lui-même (édit. 1632, p. 3, deuxième partie). On dira peut-être qu'on n'a pas cité Champlain textuellement en cet endroit. Mais, donner la substance du texte sans indiquer d'autre source, et renvoyer, un instant après, à la page précise où se trouvent les expressions dont nous parlons, n'est-ce pas dire au lecteur: Pour parler ainsi, je m'appuie sur le témoignage de Champlain?] [Note 26: Cette messe, la première dite à Québec depuis sa fondation, fut célébrée le 25 de juin. «Le 25 de Juin,» écrit le P. d'Olbeau lui-même à son ami le P. Didace David, «en l'absence du Révérend P. Commissaire j'ay célébré la sainte Messe, la première qui ait esté dite en ce pays, dont les habitans sont véritablement Sauvages de nom & d'effet.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 62-65.) «Rien ne manqua pour rendre cette action solemnelle, autant que la simplicité de cette petite troupe d'une Colonie naissante le pouvoit permettre. Le célébrant & les assistans tous baignez de larmes par un effet de la consolation intérieure, que Dieu repandoit dans leurs âmes de voir descendre pour la première fois, le Dieu, & Verbe Incarné sous les especes du Sacrement dans ces terres auparavant inconnues; s'estant préparé par la Confession, ils y receurent le Sauveur par la Communion Eucharistique: le _Te Deum_ y fut chanté au bruit de leur petite artillerie, & parmy les acclamations de joye dont cette solitude retentissoit de toute part, l'on eut dit qu'elle estoit changée en un Paradis, tous y invoquans le Roy du Ciel, benissans son saint nom, & appellans à leur secours les Anges tutelaires de ces vastes Provinces, pour attirer ces peuples plus efficacement à la connoissance & adoration du vray Dieu.» (_Ibid._ p. 60-62.)] 18/506 Ayant mis ordre à toutes choses, audit Québec, je pris deux hommes avec moy, & m'en retournay à la riviere des Prairies, pour m'en aller avec les Sauvages, & partis de Québec le quatriesme jour de Juillet, & le huictiesme dudit mois estant sur le chemin, je rencontray[27] le sieur du Pont, & le Père Denis, qui s'en revenoient audit Québec, & me dirent que les Sauvages estoient partis bien faschez, de ce que je n'estois allé avec eux, du nombre desquels plusieurs nous faisoient morts, ou prins des Iroquois, d'autant que je ne devois tarder que quatre, ou cinq jours, & neantmoins j'en retarday dix [28]. Ce qui faisoit desesperer ces peuples, & mesmes nos François, tant ils estoient desireux de nous revoir. Ils me dirent que le 19/507 Père Joseph estoit party[29] avec douze François qu'on avoit baillé aux Sauvages les assister. Ces nouvelles m'affligèrent un peu, d'autant que si j'y eusse esté, j'eusse mis ordre à beaucoup de choses pour le voyage, ce que je ne peu pas, tant pour le petit nombre d'hommes, comme aussi pource qu'il n'y en avoit pas plus de quatre ou cinq seulement qui sceussent le maniement des armes, veu qu'en telle entreprise les meilleurs n'y sont pas trop bons. Tout cela ne me fist point pourtant perdre courage à poursuivre l'entreprise, pour l'affection que j'avois de continuer mes descouvertures. Je me separay donc d'avec lesdits sieurs du Pont, & Père Denis, avec resolution de m'en aller dans les deux canaux qui estoient avec moy, & suivre après nos sauvages, ayans pris les choses qui m'estoient necessaires. [Note 27: Ce devait être à quelques lieues au-dessus de Sorel, puisque, après avoir quitté Pont-Gravé et le P. Denis, il fait encore environ six lieues avant de prendre la rivière des Prairies.] [Note 28: C'est-à-dire, qu'il fut à son voyage dix jours de plus qu'il n'avait compté. Il était parti du saut Saint-Louis le 23 ou le 24 de juin, comme nous avons vu (p. 16, note l); par conséquent, il devait y être de retour le 28 ou le 29, et l'on était déjà au 8 de juillet. Il est à remarquer que, sur la nouvelle du départ des sauvages, il ne remonte pas jusqu'au saut, mais qu'il coupe au plus court, par la rivière des Prairies.] [Note 29: Si le P. le Caron était parti dès le 8 de juillet, il est impossible qu'il ait dit la messe aux Trois-Rivières le 26 du même mois, comme l'affirme le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 66), et après lui M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, 170) et l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 149). Si réellement la messe fut dite aux Trois-Rivières le 26 de juillet, ce fut vraisemblablement par le P. Denis, qui dut en effet y arrêter en descendant avec Pont-Gravé.] Le 9 dudit mois, je m'embarquay moy troisiesme, à sçavoir l'un de nos truchemens[30], & mon homme, avec dix Sauvages, dans lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter, d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarassez de hardes, ce qui m'empeschoit de mener des hommes d'avantage. [Note 30: Probablement Étienne Brûlé, dont il est parlé plus loin dans cette relation.] Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve S. Laurens, quelques six lieues, & fumes par la riviere des Prairies, qui descharge dans ledit fleuve, laissant le sault Sainct Louys cinq ou six lieues plus amont, à la main senestre, où nous passasmes plusieurs petits sauts par ceste riviere, puis entrasmes dans un lac [31], lequel passé, rentrasmes dans la 20/508 riviere, où j'avois esté auparavant[32], laquelle va, & conduit aux Algommequins, distante du sault Sainct Louys de quatre-vingt neuf [33] lieues, de laquelle riviere j'ay fait ample description en mon precedent livre, & traicté de mes descouvertures, imprimé en l'année mil six cents quatorze [34]. C'est pourquoy je n'en parleray point en ce traicté, & continueray mon voyage jusques au lac des Algommequins [35], où estant, rentrasmes dedans une riviere [36] qui descend dedans ledit lac, & allasmes amont icelle quelque trente-cinq lieues, & passasmes grande quantité de saults, tant par terre, que par eau, & en un pays mal aggreable, remply de sapins, boulleaux, & quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroicts un peu montagneux. Au surplus fort desert, & sterille, & peu habité, si ce n'est de quelques Sauvages Algommequins, appellez Otaguottouemin[37], qui se tiennent dans les terres, & vivent de leurs chasses, & pescheries qu'ils font aux rivieres, 21/509 estangs, & lacs, dont le païs est assez muny. Il est vray qu'il semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses & désertes quelque choses en sa saison, pour servir de rafraichissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande quantité de blues [38], qui est un petit fruict fort bon à manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle quantité, que c'est merveilles: desquels fruicts ces peuples qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissames icelle riviere qui vient du Nort[39], & est celle par laquelle les Sauvages vont au Sacquenay pour traicter des Pelleteries, pour du Petun. Ce lieu est par les quarante & six degrez de latitude [40] assez aggreable à la veue, encores que de peu de rapport. [Note 31: Le lac des Deux-Montagnes.] [Note 32: La rivière des Algonquins, aujourd'hui l'Outaouais, qu'il avait remonté jusqu'aux Allumettes, en 1613.] [Note 33: Il est probable qu'il y avait, dans le manuscrit, 8 à 9 lieues, et que le typographe aura lu 89, qu'il aura mis en toutes lettres. Du saut Saint-Louis à l'embouchure de l'Outaouais, il y a en effet huit ou neuf lieues.] [Note 34: Le cours de l'Outaouais est décrit par l'auteur dans son édition de 1613, Quatrième Voyage.] [Note 35: Le lac des Algonquins n'est autre chose que le lac des Allumettes. On appelait les Kichesipirini Algonquins de l'Ile, ou Sauvages de l'Ile, et, pour désigner leur île et leur lac, on disait l'île des Algonquins, et le lac des Algonquins. (Voir 1613, p. 320.)] [Note 36: Depuis cet endroit jusqu'aux Joachims, c'est-à-dire, l'espace d'environ dix lieues, l'Outaouais prend le nom de rivière Creuse, au-dessus de laquelle il reste encore vingt ou vingt-cinq lieues à faire avant de prendre la rivière Mataouan; ce qui fait à peu près les trente-cinq lieues que compte l'auteur.] [Note 37: La Relation de 1650 leur donne à peu près le même nom avec une terminaison sauvage, Outaoukotouemiouek: «Ce sont peuples qui ne descendent quasi jamais vers les François; leur langue est meslée de l'Algonquine & de la Montagnèse.» La Relation de 1640, qui les appelle Kotakoutouemi, nous apprend qu'ils demeuraient du côté du nord de la rivière. «Montant plus haut,» y est-il dit (ch. X), «on trouve les Kichesipirini, les Sauvages de l'Isle, qui ont à costé dans les terres au Nord les Kotakoutouemi.»] [Note 38: Bluets. Quoique ce mot n'ait pas trouvé grâce auprès de l'Académie, au moins dans l'acception qu'il a ici, on le trouve employé dans la plupart des auteurs qui ont écrit sur le Canada, et en particulier dans le P. de Charlevoix, qui lui consacre un article spécial dans sa Description des Plantes de l'Am. Sept. XCIII, sous le titre de BLUET DU CANADA, _Vitis idoea Canadensis, Myrti folio_. Les botanistes d'aujourd'hui rapportent les diverses espèces de Bluets au genre Vaccinìum.] [Note 39: À cet endroit où l'on prend la rivière Mataouan pour gagner le lac Nipissing, l'Outaouais vient en effet du Nord; mais, depuis sa source jusqu'à quelques lieues de la, il vient du nord-ouest, ou à peu près. Du lac Témiscaming, ou des différentes sources de l'Outaouais, on peut, comme le remarque Champlain, aller rejoindre la tête du Saint-Maurice, et de là passer à la rivière Chomouchouan, qui va tomber dans le lac Saint-Jean.] [Note 40: La latitude du lieu où la rivière Mataouan se jette dans l'Outaouais, est d'environ 46° 18'. On ne peut guères s'expliquer, que par l'imperfection de ses instruments, comment Champlain peut trouver ici une hauteur si faible, quand deux ans auparavant, il avait placé l'île des Allumettes au quarante-septième degré.] Continuant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere des Algommequins, nous passames par plusieurs lacs, où les sauvages portent leurs canaux jusques à ce que nous entrasmes dans le lac des Nipisierinij, par la hauteur de quarante-six 22/510 degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dudit mois[41], après avoir fait, tant par terre que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce faict nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne réception, & estoient en bon nombre: Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A. vous montre l'habit de ces peuples allant à la guerre. B. celuy des femmes, qui ne diffaire en rien de celuy des montaignairs, & Algommequins grands peuples & qui s'estendent fort dans les terres [42]. [Note 41: Le 26 de juillet. Toute cette phrase, évidemment, doit se rattacher à la précédente.] [Note 42: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.] Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, & autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins, selon leur coustume, & m'estoient peine [43] d'aller pescher & chasser, pour nous traicter le plus délicatement qu'ils pouvoient. Ces dicts peuples estoient bien en nombre de sept à huict cent ames, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de six lieues de long, où il y a 3 ou 4 beaux estans, & nombre de belles prairies, avec de tresbeaux bois qui l'environnent, où il y a abondance de gibier, qui se retirent dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du poisson. Le costé du Septentrion dudict lac est fort agréable, il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, & plusieurs petites rivieres qui se deschargent dans iceluy lac. [Note 43: Mettaient peine, prenaient la peine de.] Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de 23/511 plusieurs sortes de poisson, entr'autres d'un tresbon, qui est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes, que les sauvages peschent pour faire seicher, & en font provision. Ce lac[44] a en son estendue quelque huict lieues de large, & vingt-cinq de long, dans lequel descend une riviere [45] qui vient du Norouest, par où ils vont traicter les marchandises que nous leur donnons en troque, & retour de leur Pelletries, & ce avec ceux qui y habitent [46], lesquels vivent de chasse, & de pescheries, pays peuplé de grande quantité, tant d'animaux, qu'oyseaux, & poissons. [Note 44: Ici l'auteur parle encore du lac Nipissing, qu'il fait cependant un peu trop long.] [Note 45: La rivière aux Esturgeons. Elle vient plutôt du nord, que du nord-ouest; mais elle se jette dans le lac Nipissing du côté du nord-ouest, et sert de décharge au lac Tamagaming, qui semble avoir été la demeure des Outimagami. (Voir la note suiv.)] [Note 46: «Les Nipissiriniens,» dit la Relation de 1640 (ch. X), «ont au Nord les Timiscimi, les Outimagami, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, les Kiristinon, qui habitent sur les rives de la mer du Nord, où les Nipissiriniens vont en marchandise.»] Après nous avoir reposé deux jours avec le chef desdits Nipisierinij: nous nous rembarquasmes en nos canaux, & entrames dans une riviere[47], par où ce lac se descharge, & fismes par icelle quelques trente-cinq lieues & descendismes par plusieurs petits saults, tant par terre, que par eau, jusques au lac Attigouautan[48]. Tout ce païs est encores plus mal-aggreable que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix arpens de terre labourable, sinon rochers, & païs aucunement montagneux. Il est bien vray que proche du lac des Attigouautan nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où nos Sauvages furent prendre des sitrouilles qui nous semblerent 24/512 bonnes, car nos vivres commençoient à nous faillir, par le mauvais mesnage desdits Sauvages, qui mangèrent si bien au commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions qu'un repas le jour. Il elt vray, comme j'ay dit cy-dessus, que les blues, & framboises ne nous manquèrent en aucune façon, car autrement nous eussions esté en danger d'avoir de la necessité. [Note 47: La rivière des Français.] [Note 48: Le lac Huron. Attigouautan, ou Attignaouantan, était le nom d'une des plus considérables tribus huronnes, la tribu de l'Ours, qui était la plus voisine du lac. (Relations des Jésuites; Sagard.)] Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous avons nommez les cheveux relevez [49], pour les avoir fort relevez, & agencez, & mieux peignez que nos courtisans, & n'y a nulle comparaison, quelque fers, & façon qu'ils y puissent apporter. Ce qui semble leur donner une belle apparence. Ils n'ont point de brayer, & sont fort decouppez par le corps, en plusieurs 25/513 façons de compartiment: Ils se paindent le visage de diverses couleurs, ayants les narines percées, & les oreilles bordées de patinostres. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la massue, je les visitay & familiarisay quelque peu, & fis amitié avec eux. Je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi content, & resjouy, que si le luy eusse fait quelque riche prêtent, & communiquant avec luy, je l'entretins sur ce qui estoit de son païs, qu'il me figura avec du charbon sur une escorce d'arbre. Il me fist entendre qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce fruict appelle blues, pour leur servir de manne en hyver, & lors qu'ils ne trouvent plus rien. A. C. montre de la façon qu'ils s'arment allant à la guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc, & la flesche, mais elle est faite en la façon que voyez dépainte, qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir boullu[50], qui est d'un animal comme le bufle. [Note 49: Le nom huron de ces sauvages était Andatahouat (Sagard, Hist. du Canada, p. 199), ou Ondataouaouat (Relat. des Jésuites). Sagard, dans son Dictionnaire de la langue huronne, nous donne de plus les noms des trois nations qui en dépendaient, les Chisérhonon, les Squierhonon et les Hoindarhonon; c'étaient probablement autant de tribus d'une même nation. Mais il est à remarquer que le nom de Cheveux-Relevés n'est point la traduction du mot _Ondatahouat. Ondata_ ou _Onnhata_, en huron, signifie _bois_; et il est tout à fait probable que la nation de Bois, ou les _gens de bois_, dont parle Sagard (Hist. du Canada, p. 197), sont les Andatahouat mêmes. «Ils sont,» dit-il, en parlant de ces gens de bois, «dépendants des cheveux relevez & comme une mesme nation.» Du mot _Ondatahouat_, s'est formé _Outaouat_, ou Outaouais, nom sous lequel on a désigné plus tard tous les Algonquins Supérieurs. Ces Cheveux-Relevés ne demeuraient point à l'embouchure de la rivière des Français, où Champlain les rencontre ici; puisque, comme il est dit un peu plus loin, «ils estoient venus en ce lieu pour faire pescherie de blues»; et, quelques années plus tard, lorsque Sagard suit la même route, il trouve au même endroit ces mêmes Cheveux-Relevés, «qui s'estoient venus camper, dit-il, proche la mer douce, à dessein de traicter avec les Hurons & autres qui retournoient de la traicte de Kebec.» Où était donc la demeure de ces peuples? Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place à l'ouest de la nation du Petun; ce qui porterait à croire qu'ils occupaient cette longue pointe qui s'avance dans l lac Huron vers les iles de Manitoualin. D'un autre côté, la Relation de 1640 place dans ces îles mêmes les Outaouan, «peuples venus de la nation des Cheveux-Relevés.» Ce qui est d'accord avec la Relat. de 1671, où il est dit (ch. II, art. III), que l'île d'Ekaentouton (Manitoualin) était l'ancien pays des Outaouais; et avec Nicolas Perrot, qui appelle cette île, l'ile des Outaouaks (Mémoire publ. par le P. Tailhan, p. 126). Si l'on fait attention que l'île de Manitoualin n'est pas figurée dans la carte de Champlain, et que la mer Douce y est posée en longueur de l'est à l'ouest, tandis qu'elle est nord-ouest sud-est, on trouvera que la place assignée, dans cette carte, aux Cheveux-relevés, n'est pas en contradiction avec les textes que nous avons rapportés, ou du moins ne prouve pas que les Outaouais n'aient point habité cette île, même à cette époque.] [Note 50: Cuir bouilli.] Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin le long du rivage de ce lac des Attigouautan, où il y a un grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de quatre cent [51] lieues de longueur, de l'Orient à l'Occident, & de large cinquante lieues, & pour la grande estendue d'iceluy, je l'ay nommé la Mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes 26/514 de très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux que n'avons pas, & principalement des Truittes qui sont monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à quatre pieds & demy, & les moindres qui se voyent sont de deux pieds & demy. Comme ausi des Brochets au semblable, & certaine manière d'Esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du costé du Nort, & en partie plat, & inhabité de Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes: Puis après nous traversames une baye[52] qui faict une des extremitez du lac, & fismes quelques sept lieues [53], jusques à ce que nous arrivasmes en la contrée des Attigouautan[54], à un village appellé Otouacha 27/515 [55], qui fut le premier jour d'Aoust, où trouvasmes un grand changement de païs, cestuy-cy estant fort beau, & la plus grande partie deserté, accompagné de force collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir aggreable. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient pour lors fort avancez pour la saison. [Note 51: C'est à peu près trois fois la longueur que Champlain lui-même donne à ce lac dans sa grande carte de 1632, où cependant il le fait déjà double de ce qu'il est réellement. Il est possible qu'il ait apprécié la longueur de la mer Douce sur le nombre de journées de canots que comptaient les sauvages depuis le pays des Hurons jusqu'au fond du lac Michigan, ou du lac Supérieur, ou même dans les deux réunis.] [Note 52: La baie de Matchidache, qui, avec celle de Nataouassaga, fait l'extrémité méridionale dela baie Géorgienne.] [Note 53: Ces sept lieues doivent s'entendre de la traverse même de la baie de Matchidache; autrement il est impossible de rien comprendre à tout ce qui suit. Nous devons dire ici, une fois pour toutes, que, pour l'intelligence de la carte du pays huron, où Champlain aborde en ce moment, nous sommes redevables à M. le chevalier Taché d'une foule de découvertes et d'observations extrêmement importantes, sans lesquelles une grande partie de ce voyage de 1615 serait restée incomprise.] [Note 54: La contrée des Attignaouantans, ou des Ours, s'étendait à l'est et au nord-est de la baie de Nataouassaga, et se composait principalement de la presqu'île qui sépare cette baie de celle de Matchidache. Après cette traverse de sept lieues, dont nous parlons dans la note précédente, nos voyageurs devaient naturellement aborder à la baie du Tonnerre, comme font et ont toujours fait ceux qui, de la côte nord du lac, viennent aborder au pays des Hurons; parce que, comme nous le faisait observer M. Taché, cette baie est un petit port naturel et de facile débarquement, et que c'était alors le point de cette côte le plus voisin d'un emplacement de bourgade, d'après les recherches faites jusqu'à ce jour.] [Note 55: Otouacha est probablement le même que Toenchain, ou Toanché. C'est vers cette bourgade que le P. le Caron dit la première messe au pays des Hurons (Sagard, Hist. du Canada, p. 224). Ce fut là aussi que vint aborder, en 1634, le P. de Brebeuf. «Je pris terre, dit-il, au port du village de Toanché, ou de Teandeouïata, où autresfois nous estions habituez; mais ce fut avec une petite disgrace... Mes sauvages, après m'avoir débarqué,... m'abandonnèrent là tout seul... Le mal estoit que le village de Toanché avoit changé depuis mon départ... Je m'en allay chercher le village, que je rencontray heureusement environ à trois quarts de lieue, ayant en passant veu avec attendrissement & ressentiment le lieu où nous avions habité, & célébré le S. sacrifice de la Messe trois ans durant, converty en un beau champ, comme aussi la place du vieux village...» (Relat. de ce qui s'est passé aux Hurons en l'année 1635). On voit par ce passage du P. de Brebeuf, que le village de Toanché était à un peu moins de trois quarts de lieue du port, et l'on trouve en effet, d'après M. Taché, à environ un mille de la baie du Tonnerre, les restes de ce qui devait être le premier Toanché ou Otouacha.] 513a [Illustration] Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si mauvaise contrée, d'où nous venions de sortir. Le lendemain [56], je feus à un autre village appellé Carmaron [57], distant d'iceluy d'une lieue, où ils nous reçeurent fort aimablement, nous faisant festin de leur pain, sitrouilles, & poisson: pour la viande, elle y est fort rare. Le Chef du dit Village me pria fort d'y sejourner, ce que je ne peu luy accorder, ains m'en retournay à nostre Village, où la deuxiesme nuit comme j'estois allé hors la cabanne pour fuir les puces qui y estoient en grande quantité, & dont nous estions tourmentez: une fille peu honteuse, & effrontément vint à moy, s'offrant à me faire 28/516 compagnie, dequoy je la remerciay, la renvoyant avec douces remonstrances, & passay la nuict avec quelques Sauvages. [Note 56: Le 2 d'août.] [Note 57: Le nom de ce village était évidemment huron, comme le donne à entendre cette expression «appelé Carmaron.» Cependant, la langue huronne n'ayant pas de labiales, on est en droit de supposer, ou que Champlain aura exprimé par cette orthographe ce qui paraissait approcher davantage du mot huron, ou bien que le typographe aura mal lu le manuscrit de l'auteur. Dans le premier cas, il faudrait vraisemblablement lire Carouaron; puisque les Hurons ne trouvaient rien de mieux, pour rendre la lettre _m_, que la diphthongue _ou_, et l'on sait que, dans leur bouche, les mots _Marie, Lemoine_, devenaient _Ouarie, Ouane_. Dans le second cas, le mot tel que Champlain l'aurait écrit, pourrait bien être _Cannaron_; ce qui vient donner plus de vraisemblance à cette supposition, c'est que, à une petite distance d'Otouacha, et à peu près dans la direction que devait naturellement prendre Champlain pour pénétrer plus avant dans le pays, se trouvait une bourgade remarquable, appelée, d'après les Relations, _Kontarea_, mot qui pourrait s'écrire _Conndarea_ ou simplement _Connarea_. Il va sans dire, ici, que nous n'avons point d'autre prétention que celle de suggérer une idée à ceux qui s'occupent de l'histoire de cette contrée si pleine de souvenirs.] Le lendemain [58], je party de ce Village, pour aller à un autre, appellé Touaguainchain[59], & à un autre appellé Tequenonquiaye[60], esquels nous fusmes reçeus des habitans desdits lieux fort amiablement, nous faisant la meilleure chère qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons, tant ce pays est tresbeau, & bon, par lequel il faict beau cheminer. [Note 58: Probablement le 3 d'août.] [Note 59: D'après les persévérantes recherches de M. Taché, ce village devait être quelques milles à l'ouest de Carmaron, et Carmaron lui-même à environ une demi-lieue vers le sud-ouest de Ouenrio, ou du fond de la baie de Pénétangouchine. Il serait donc possible que Touaguainchain fût le nom sauvage du bourg de Sainte-Madeleine, dont il est parlé dans les Relations de 1640 et de 1648, et qui, autant qu'on en peut juger par la carte de Ducreux, devait être dans ces environs.] [Note 60: Ce village, qui était comme la capitale des Attignaouantans, a porté cinq ou six noms différents. «Mon sauvage & moy avec un autre,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 208), «tinsmes le chemin de _Tequeunonkiaye_, autrement nommé _Quieuindohian_, par quelques François la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel, pour estre la première ville du pays dans laquelle je fois entré, elle est aussi la principale, & comme la gardienne & le rempart de toutes celles de la Nation des Ours, & où se décident ordinairement les affaires de plus grande importance. Ce lieu est assez bien fortifié à leur mode, & peut contenir environ deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante cabanes qu'il y a.» Quelques années après, La Rochelle portait le nom d'Ossossané, et les Pères Jésuites y établissaient une mission et une résidence sous le titre de l'Immaculée-Conception. Cette bourgade a donc porté les différents noms sauvages de Tequeunonkiaye, de Quieuindohian et d'Ossossané, sans compter les noms français de La Rochelle, de Saint-Gabriel et de La Conception. Elle était, de toutes celles de la nation des Ours, «la plus proche voisine des Hyroquois» (Sag. _ibid_. p. 214), et à environ quatre lieues d'Otouacha, ou, si l'on veut, de la baie du Tonnerre, par conséquent à deux bonnes lieues plus au sud que Carmaron.] De là, je me fis conduire à Carhagouha[61], fermé de triple pallissade de bois, de la hauteur de trente cinq pieds pour leur deffence & conservation: auquel Village estoit le Père 29/517 Joseph demeurant, & que nous y trouvasmes, estant fort aise de le voir en santé, ne l'estant pas moins de sa part, qui n'esperoit rien moins que de me veoir en ce païs. Et le 12e jour d'Aoust, le R. P. célébra la saincte Messe[62], & y fut planté une Croix proche d'une petite maisonnette [63], separée du village que les Sauvages y bastirent pendant que j'y sejournay[64], en attendant que nos gens s'apprestoient, & se preparoient pour aller à la guerre, à quoy ils furent fort longtemps. [Note 61: Carhagouha ne devait pas être à une grande distance du point où l'auteur avait abordé; car, pour qu'il y eût quatorze lieues de Carhagouha jusqu'au point le plus éloigné du pays huron, il fallait que ce village fût situé vers le nord de la contrée des Attignaouantans. C'est ce que prouve du reste ce passage de Sagard; «Auparavant nous, ny Prestres, ny Religieux n'y avoit mis le pied que le seul P. Joseph le Caron, qui y dit la première messe vers la bourgade de Toenchain» [ou Otouacha]. (Hist. du Canada, p. 224.)] [Note 62: Le Mémoire des Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit que la messe fut célébrée dans ce village le 10 d'août, et qu'au dit lieu la messe ne s'était point encore dite. Il est difficile de savoir qui a raison; cependant, cette relation détaillée et suivie que Champlain publie peu de temps après les événements, semble mériter plus d'attention, qu'un mémoire fait plus de vingt ans après et dans lequel une date n'était pas absolument d'une grande importance. Cette messe n'était pas la première dite au pays des Hurons, si l'on en croit le Frère Sagard, qui assure que le P. le Caron «dit la première Messe vers la bourgade de Toenchain.» (Hist. du Canada, p. 224.)] [Note 63: Ce fut là la première chapelle construite au pays des Hurons; celle de 1623 était la seconde (Hist. du Canada, p. 224), et celle des Jésuites, en 1635, fut la troisième.] [Note 64: Champlain était arrivé à Carhagouha vers le 4 ou le 5, et il n'en repartit que le 14; il y demeura donc une dizaine de jours.] Et voyant une telle longueur qu'ils apportoient à faire leur gros, & que j'aurois du temps pour visiter leur pays: je me deliberay de m'en aller à petites journées de village en village à Cahiagué[65], ou debvoit estre le rendez-vous de toute l'armée, distant de Carhagouha de quatorze lieues, & partismes de ce Village le 14 d'Aoust, avec dix de mes compagnons. [Note 65: Cahiagué est évidemment le nom huron de Saint-Jean-Baptiste, qui, suivant les Relations, était le bourg principal des Arendaronons, ou tribu de la Roche. «Les Arendaronons sont une des quatre nations qui composent ceux qu'à proprement parler on nomme Hurons: elle est la plus Orientale de toutes, & est celle qui la première a découvert les François, & à qui en suite appartenoit la traitte selon les loix du pays. Ils en pouvoient jouir seuls, neantmoins ils trouverent bon d'en faire part aux autres nations, se retenant toutefois plus particulièrement la qualité de nos aliez, & se portans en cette consideration à la protection des François, lors que quelque malheur est arrivé. C'est où feu monsieur de Champlain s'arresta plus long temps au voyage qu'il fit icy haut, il y a environ 22 ans, & où sa réputation vit encore dans l'esprit de ces peuples barbares, qui honorent mesme après tant d'années plusieurs belles vertus qu'ils admiroient en luy, & particulièrement sa chasteté & continence envers les femmes... Cette alliance si particuliere que ces peuples Arendaronons ont avec les François nous avoit souvent donné la pensée de leur aller communiquer les richesses de l'Evangile, mais le deffaut de langue nous avoit tousjours empesché de pousser jusques là, nous estant trouvez engagez de premier abord à nostre première demeure, qui estoit située à l'autre extrémité du pays toute opposée. Cette année nous estant trouvez assez forts pour cette entreprise, nous y avons commencé une mission, qui a eu dans son ressort trois bourgs: de S. Jean Baptiste, de S. Joachim, & de Saincte Elizabeth. Les Pères Antoine Daniel & Simon le Moine en ont eu le soin. Ils firent leur première demeure & la plus ordinaire dans le bourg plus peuplé de S. Jean Baptiste, y ayant plus à travailler.» (Relat. du pays des Hurons, 1639-40, ch. IX.)] 30/518 Je visitay cinq des principaux Villages [66], fermez de pallissades de bois, jusques à ce qu'à [67] Cahiagué, le principal Village du païs, où il y a deux cents cabannes assés grandes, où tous les gens de guerre se debvoient assembler. Or en tous ces Villages ils nous reçeurent fort courtoisement avec quelque humble accueil. Tout ce pays où je fus par terre contient quelque 20 à 30 lieues, & est très-beau, soubs la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, pays fort deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y vient très-beau, comme aussi des sitrouilles, herbe au Soleil, dont ils font de l'huille de la graine: de laquelle huille ils se frottent la teste. Le pays est fort traversé de ruisseaux qui se deschargent dedans le lac. Il y a force vignes & prunes, qui sont tresbonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages, noix & une manière de fruict, qui est de la forme, & couleur de petits citrons, & en ont aucunement le goust, mais le dedans est tresbon, est presque semblable à celuy des 31/519 figues. C'est une plante qui les porte, laquelle à la hauteur de deux pieds & demy, chacune plante n'a que trois à quatre feuilles pour le plus, & de la forme de celle du figuier, & n'aporte que deux pommes chacun pied. Il y en a quantité en plusieurs endroits, & en est le fruict tresbon, & de bon goust[68]: les chesnes, ormeaux, & hestres, y sont en quantité, y ayans dedans ce pays force sapinieres, qui est la retraicte ordinaire des perdrix, & lapins. Il y a aussi quantité de cerises petites & merises, & les mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France, sont en ce pays-là. A la vérité ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort peuplé d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les autres contrées, où je n'ay pas esté, qui sont, au rapport commun, autant ou plus peuplées, que ceux cy-dessus: Me representant que c'est grand dommage que tant de pauvres créatures vivent, & meurent sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune Religion ny Loy, soit divine, Politique, ou Civille, establie parmy eux. Car ils n'adorent, & ne prient, aucune chose, du moins en ce que j'ay peu recognoistre en leur conversation: Ils ont bien encore quelque espece de cérémonie entr'eux, que je descriray en son lieu, comme pour ce qui est des mallades, ou pour sçavoir ce 32/520 qui leur doibt arriver, mesme touchant les morts: mais ce sont de certains personnages estans parmy eux qui s'en veulent faire à croire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des anciens Payens qui se laissoient emporter aux persuasions des enchanteurs, & devins, neantmoins la pluspart de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils sont assez charitables entr'eux, pource qui est des vivres: mais au reste, fort avaricieux. Ils ne donnent rien pour rien. Ils sont couverts de peaux de Cerfs, & Castor, qu'ils traictent avec les Algommequins, & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines d'iceluy. [Note 66: Ces cinq principaux villages palissadés étaient presque tous situés sur la frontière du côté des Iroquois. A part Tequenonkiaye et Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat, qui formait à lui seul la nation des Tohontahenrat, et par Teanaustayaé, chef-lieu des Attignenonghac. L'auteur compte sans doute Cahiagué pour le cinquième; car, en passant par Teanaustayé, il devait naturellement laisser de côté Taenhatentaron, appelé plus tard Saint-Ignace, qui était à deux bonnes lieues plus au nord, et qui complète le nombre de villages palissadés que compte Champlain lui-même un peu plus loin.] [Note 67: Dans l'édition de 1632, on a corrigé en mettant simplement: _jusques à Cahiagué_.] [Note 68: Le fruit de cette plante (Podophyllum peltatum, LINN.), que l'on appelle citronnier, dans le pays, est bon à manger; mais la racine est un poison violent, dont les sauvages se servaient quelquefois quand ils ne pouvaient survivre à leur chagrin. (Catal. des Plantes Canad. contenues dans l'herbier de l'Univ. Laval, par l'abbé O. Brunet, prem. livraison, p. 15.)] Le dixseptiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, où je fus reçeu avec grande alegresse, & recognoissance de tous les Sauvages du pays, qui avoient rompu leur desseing, pensant ne me revoir plus, & que les Iroquois m'avoient pris, comme j'ay dict cy-dessus, qui fut cause du grand retardement qui se trouva en ceste expédition, jusques là mesmes qu'ils avoient remis la partie à l'autre année suivante: Sur lesquelles entrefaictes ils reçeurent nouvelles comme certaine nation de leurs alliez [69], qui habitent à trois bonnes journées plus 33/521 haut que les Entouhonorons[70], ausquels[71] les Iroquois font aussi la guerre, lesquels aliez les vouloient assister en ceste expedition de cinq cens bons hommes, & faire alliance, & jurer amitié avec nous, ayants grand desir de nous voir, & que nous fissions la guerre tous ensemble, & dont ils tesmoignoient avoir du contentement de nostre cognoissance, & moy d'avoir trouvé cette opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir des nouvelles de ce pays-là: qui n'est qu'à sept journées, d'où les Flamens vont traicter sur le quarentiesme degré, lesquels Sauvages[72], assistez des Flamens, leur font la guerre, & les prennent prisonniers, & les font mourir cruellement, comme de faict ils nous dirent que l'année passée faisant la guerre, ils prirent trois desdicts Flamens qui les assistoient, comme nous faisons les Attigouautan: & qu'au combat, il en fut tué un des leurs. Neantmoins ils ne laisserent pas de renvoyer les trois Flamens prisonniers, sans leur faire aucun mal, croyans que ce fussent des nostres, encores qu'ils n'eussent aucune cognoissance de nous, que par oüy dire, n'ayans jamais veu de Chrestien: car autrement ces trois prisonniers n'eussent pas passé à si bon marché, ny ne passeront, s'ils en peuvent prendre, & atraper. Ceste nation est fort belliqueuse, à ce que 34/522 tiennent ceux de la nation des Attigouotans, il n'y a que trois Villages qui sont au millieu de plus de 20 autres, ausquels ils font la guerre, ne pouvant avoir de secours de leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays [de] ces Chouontouarouon[73], qui est fort peuplé, ou bien faudroit prendre un bien grand tour de chemin. [Note 69: Champlain, dans sa grande carte de 1632, les appelle Carantouanais. «C'est une nation,» dit-il (_Table_ de la carte, p. 8), qui s'est retirée au Midy des Antouhonorons, en très beau & bon païs, où ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées.» Ce nom de Carantouanais n'était probablement que le nom particulier ou d'une tribu, ou d'un village de la nation des Andastes, ou Andastoéronons. «Andastoé,» dit le P. Ragueneau (Rel. des Hurons, 1647-8, ch. VIII), «est un pays au delà de la Nation Neutre, éloigné des Hurons en ligne droite prés de cent cinquante lieues, au Sud-est quart de Sud des Hurons... Ce sont peuples de langue Huronne, & de tout temps alliez de nos Hurons. Ils sont très-belliqueux, & comptent en un seul bourg treize cens hommes portans armes...» Plusieurs européens «s'estans mis sous la protection du Roy de Suéde, ont appellé ce pays-là Nouvelle Suède. Nous avions jugé autrefois que ce fust une partie de la Virginie.» De ce qui précède, et de l'examen attentif des cartes anciennes, on peut conclure que les Carantouanais, ou Andastes, s'étaient établis assez près de la rivière Susquehanna, vers le sud-est de la Pensylvanie. C'est aussi l'opinion de M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 174).] [Note 70: Ces Entouhonorons, que l'auteur appelle un peu plus loin Chouontouaronons sont les mêmes que les Sountouaronons ou Tsountouaronons, appelés plus souvent Tsonnontouans.] [Note 71: Auxquels aliés; car, d'après Champlain lui-même (Table de la carte de 1632, p. 8), les Entouhonorons, conjointement avec les Iroquois proprement dits, «faisoient la guerre par ensemble à toutes les autres nations, excepté à la nation Neutre. »] [Note 72: Les Iroquois, et très-probablement les Agniers, avec lesquels les Andastes eurent souvent des démêlés.] [Note 73: Faut-il ici suppléer _de_, et lire de ces Chouontouaronon? ou bien mettre tout bonnement _des_ à la place de _ces_, comme on a fait dans l'édition de 1632? Nous osons croire que le premier mode de correction vaut mieux; parce que le mot _Chouontouaronon_ est l'équivalent de Entouhoronon. Il est bien évident, en effet que _Chouontouaronon, Souontouaronon, Sountouaronon, Tsountouaronon_, ne sont que des orthographes différentes du nom des Tsonnontouans, que Champlain appelle Entouhonorons, ou plutôt Entouhoronons. D'ailleurs, si Champlain avait voulu parler ici d'une autre nation, il devait naturellement dire qu'elle était l'ennemie des Carantouanais, et ne pas se contenter de remarquer qu'elle était fort peuplée.] Arrivé que je fus en ce Village, où il me convint sejourner, attendant que les hommes de guerre vinsent des Villages circonvoisins pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins, & dances, pour la resjouyssance en laquelle ils estoient de nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme s'asseurant desja de leur victoire. La plus grande partie de nos gens assemblez nous partismes du village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord d'un petit lac [74], distant dudit village de trois lieues, où il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent pour l'hyver. Il y a un autre lac [75] tout joignant, qui a 35/523 vingt-six lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroict, où se faict la grande pesche dudit poisson, par le moyen de quantité de pallissades, qui ferme presque le destroit, y laissant seulement de petites ouvertures, où ils mettent leurs fillets, où le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires: on se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui se trouveroient en la trouppe, pour aller donner advis de nostre partement à ceux qui nous debvoient assister des cinq cents hommes pour nous joindre, affin qu'en un mesme temps nous nous trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération prinse, ils despescherent deux canaux, avec douze Sauvages des plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchements [76] qui me pria luy permettre faire le voyage: ce que facillement je luy accorday, puisque de sa volonté il y estoit porté, & par ce moyen verroit leur pays, & pourroit recognoistre les peuples qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, d'autant qu'il faloit passer par le milieu des ennemis. Ils partirent le 8 dudit mois, & le dixiesme ensuivant il fit une forte gelée blanche. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, & fismes quelque cinq à six lieues dans ces lacs [77], & de là les sauvages portèrent leurs canaux environ dix lieues par 36/524 terre, & rencontrasmes un autre lac[78] de l'estendue de six à sept lieues de long, & trois de large. C'est d'où sort une riviere[79] qui se va décharger dans le grand lac des Entouhonorons, & ayans traversé ce lac, nous passasmes un saut d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours aval, environ soixante quatre lieues, qui est rentrée [80] dudit lac des Entouhonorons & allans, nous passasmes cinq saults par terre. Les uns de quatre à cinq lieues de long, & passasmes par plusieurs lacs, qui sont d'assez belles estendues, comme aussi ladicte riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons poissons, estant certain que tout ce païs est fort beau, & plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres ayent esté plantez par plaisir, en la pluspart des endroicts: aussi que tous ces pays ont esté habitez au temps passé de Sauvages, qui depuis ont esté contraincts l'abandonner pour la crainte de leurs ennemis. Les vignes, & noyers, y sont en grande quantité, les raisins viennent de maturité: mais il y reste tousjours une aigreur fort acre, que l'on sent à la gorge en le mangeant en quantité. Ce qui provient à faute d'estre cultivez: ce qui est deserté en ces lieux est assez agréable. La chasse des Cerfs, & Ours, y est fréquente, & pour l'expérience nous y chassasmes, & en prismes un assez bon nombre en dessendans, & pour ce faire ils se mettoient quatre ou cinq cents sauvages en haye dans le 37/525 bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchant par ordre ayant l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours jusques à ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs sont contraints de se jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la mercy des flesches qui leur sont tirées par les chasseurs, & cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis exprez sur le bord du rivage, s'approchant facillement des Cerfs, & autres animaux chassez & harassez & fort estonnez: lors les chasseurs les tuent facillement avec des lames d'espées, emmanchées au bout d'un bois, en façon de demie picque, & font ainsi leur chasse: comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de coups d'arquebuse, dont ils s'estonnoient fort: mais il arriva de malheur qu'en tirant un Cerf, par mesgarde un sauvage se rencontra devant le coup, & fut blessé d'une arquebusade, n'y pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il s'ensuit une grande rumeur entr'eux, qui neantmoins s'appaisa, en donnant quelques presens au blesse, qui est la façon ordinaire pour appaiser, & amortir les querelles & où le blessé decederoit, on fait les presens, & dons, aux parens de celuy qui aura esté tué. Pour le gibier, il est en grande quantité, 38/526 lors de sa saison. Il y a aussi force grues [81], blanches comme signes, & d'autres especes d'oiseaux, semblables à ceux de France. [Note 74: Le lac Couchichine, dans lequel se décharge le lac Simcoe, et qui se décharge lui-même dans le lac Huron par la rivière de Matchidache, ou Severn. Il ne devait pas y avoir trois lieues de Cahiagué à ce lac; mais il est clair qu'on ne mit les canots à l'eau que vers le Détroit, où se faisait «la grande pesche de poisson,» puisqu'on ne fit que «passer sur le bord» de ce petit lac. Or de ce lieu à Cahiagué il pouvait y avoir trois lieues, ou environ.] [Note 75: Le lac Simcoe, dont le nom sauvage paraît avoir été Ouentaronk, et que l'on a appelé aussi lac aux Claies, probablement à cause de ce mode particulier d'y faire la pêche.] [Note 76: Étienne Brûlé. (Voir, plus loin, le voyage de 1618.)] [Note 77: La traverse du lac Simcoe, de l'ouest à l'est, est d'environ cinq lieues.] [Note 78: Le lac à l'Esturgeon _(Sturgeon lake)_ a environ cinq ou six lieues de long, et, en certains endroits, trois lieues de large, quoique ce ne soit point sa largeur moyenne. De ce lac qui n'est qu'à sept ou huit lieues du lac Simcoe, jusqu'aux Mille-Isles, en suivant les nombreux détours de la rivière Otonabi, de celle de Trent et de la baie de Quinté, il y a à peu près soixante-quatre lieues, comme trouve l'auteur.] [Note 79: La partie supérieure de cette rivière, jusqu'au point où elle se décharge dans le lac au Riz _(Rice lake)_, s'appelle aujourd'hui Otonabi, le reste, jusqu'à la baie de Quinte, porte le nom de rivière Trent.] [Note 80: Cette entrée du lac Ontario, est parsemée d'un si grand nombre d'îles, qu'on lui a donné le nom de Mille-Isles.] [Note 81: «Nous avons, dit Charlevoix, des grues de deux couleurs: les unes sont toutes blanches, les autres d'un gris de lin.» (Journal historique, lettre IX.--Voir Ornithologie du Canada, par J. M. Lemoine, p. 320.)] Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où estans, nous fismes la traverse en l'un des bouts, tirant à l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct Laurens, par la hauteur de quarante-trois degrez[82] de latitude, où il y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes environ quatorze lieues[83] pour passer jusques à l'autre costé du lac, tirant au Su, vers les terres des ennemis. Les Sauvages cachèrent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage: nous fismes par terre quelque quatre lieues sur une playe de sable, où je remarquay un pays fort agréable, & beau, traversé de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres[84] qui se deschargent au susdit lac, & force estangs & prairies, où il y avoit un nombre infiny de gibier, & force vignes, & beaux bois, grand nombre de Chastaigners, dont le fruict estoit 39/527 encore en leur escorce. Les Chastaignes sont petites, mais d'un bon goust. Le pays est remply de forests, sans estre deserté, pour la pluspart de ce terroir. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a quelque quatre-vingt lieues de long, & vingt-cinq de large [85]. La plus grande partie duquel est habité de Sauvages sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre Chemin par terre, environ vingt-cinq à 30 lieues: Durant quatre journées nous traversames quantité de ruisseaux, & une riviere[86], procédante d'un lac qui se descharge dans celuy des Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les Iroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui est en abondance. [Note 82: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.] [Note 83: De la baie de Quinte à l'embouchure de la rivière Chouaguen ou _Oswego_, la petite flotte n'aurait eu également que quatorze lieues de traverse, et ce serait bien le chemin que prendraient aujourd'hui les vaisseaux à vapeur. Mais nos sauvages avaient toutes sortes de raisons pour ne point traverser dans cette direction. D'abord avec leurs petits canots, si commodes d'ailleurs pour ces sortes d'expéditions, ils ne se hasardaient pas facilement sur ces mers intérieures, qu'un coup de vent peut rendre, en un instant, redoutables même aux plus gros vaisseaux. Ensuite une traverse aussi directe les mettait au coeur du pays ennemi, sans qu'ils eussent pu cacher ou déguiser leur marche, et leur ôtait toute chance de retraite, parce qu'il n'eût pas été possible de bien cacher leurs canots. On dut donc passer d'île en île jusqu'à cette pointe que l'on a appelée, pour les raisons que nous venons de mentionner, pointe à la Traverse (aujourd'hui _Stoney point_); et il est à regretter que nos géographes modernes n'aient pas respecté un nom aussi significatif. Cette pointe est à peu près au sud-est de l'entrée de la baie de Quinté; mais il faut remarquer que Champlain, dans sa carte de 1632, la place vers le sud; ce qui peut rendre compte de cette expression _tirant au Su_.] [Note 74: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine (aujourd'hui _Salmon river_), qui sont à quatre ou cinq lieues l'une de l'autre.] [Note 85: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, sur dix-sept ou dix-huit de large, dans ses plus grandes dimensions.] [Note 86: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen; les Anglais disent Oswego. Le lac dont parle ici Champlain, et qui se décharge dans le lac Ontario par cette rivière, est celui d'Oneida, ou lac des Onneyouts; son nom propre était, en iroquois, _Téchiroguen._] Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allant pour descouvrir rencontrèrent 11 Sauvages qui[87] prirent prisonniers, à sçavoir 4 femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes, qui alloient à la pesche de poisson, eslongnez du fort des ennemis de quelque quatre lieues. Or est à noter que l'un des chefs voyant ces prisonniers couppa le doigt à une de ces pauvres femmes pour commencer leur supplice ordinaire: surquoy je survins sur ces entrefaittes, & blasmé le Capitaine Yroquet, luy representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre, comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes, qui n'ont deffence aucune que les pleurs, lesquelles à cause de 40/528 leur imbecilité, & foiblesse, on doibt traicter humainement. Mais au contraire que cet acte fera jugé provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, qu'il ne me donneroit courage de les assister, ny favoriser, en leur guerre: A quoy il me répliqua pour toute responce, que leurs ennemis les traictoient de mesme façon. Mais puis que ceste façon m'apportoit du déplaisir, il ne feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes, puis que cela ne nous estoit aggreable. [Note 87: Qu'ils.] Le lendemain, sur les trois heures après Midy, nous arrivasmes devant le fort[88] de leurs ennemis, où les Sauvages firent quelques escarmouches les uns contre les autres: encore que nostre desseing ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peust permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de veoir tirer sur leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par trop engagez, & qui estoient poursuivis de fort prés. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur montrasmes ce qu'ils n'avoient jamais veu, ny oüy. Car aussi-tost qu'ils nous veirent, & entendirent les coups d'harquebuse, & les balles siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur fort, emportant leurs morts, & blessez, en ceste charge, & nous aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut. [Note 88: A en juger par l'espace que nos guerriers ont jusqu'ici parcouru, c'est-à-dire, vingt-cinq ou trente lieues, d'après l'estimation de Champlain, et par les indications de la carte de 1632, ce fort devait être à une petite distance du fond du lac de Canondaguen, ou _Canandaiga_, et vers le sud du lac Honeoye, dans le comté d'Ontario.] 41/529 Cela estant faict, nous nous retirasmes à la portée d'un canon, hors de la veue des ennemis, neantmoins contre mon advis, & ce qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur dire & user de parolles assez rudes, & fascheuses, affin de les inciter à se mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruyne. Neantmoins je ne laissay pas de leur envoyer, & proposer, des moyens dont il falloit user, pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un Cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par dessus leurs pallissades: sur lequel on poseroit quatre ou cinq de nos harquebusiers, qui tireroient force harquebusades par dessus leurs pallissades & galeries, qui estoient bien munies de pierres, & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offençoient de dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une manière de mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesche, & de pierre, dont ils usoient ordinairement. Lesquelles choses, à sçavoir ledit Cavalier & les mantelets se pourroient porter à la main, & force d'hommes, & y en avoir un fait en telle sorte, que l'eau ne pouvoit pas estaindre le feu que l'on y appliqueroit devant le fort, & cependant ceux qui seroient sur le Cavalier feroient leur devoir avec quelques arquebusiers qui y seroient logés, & en ce faisant nous nous deffendrions en sorte, qu'ils ne pourroient aprocher pour esteindre le feu que nous y appliquerions à leurs clostures. Ce qu'ils trouverent 42/530 bon, & fort à propos, & y firent travailler à l'instant suivans mon advis. Et de faict, le lendemain [89] ils se mirent en besongne, les uns à coupper du bois, les autres à l'amasser, pour bastir, & dresser, lesdits Cavalliers, & mantelets: ce qui fut promptement exécuté, & en moins de quatre heures, horsmis du bois dont ils amasserent bien peu pour brusler contre leurs pallissades, affin d'y mettre le feu. Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce qu'ils ne s'estoient point trouvez au rendez vous, comme on leur avoit donné charge, & qu'ils l'avoient promis. Ce qui affligeoit fort nos Sauvages: Mais voyants qu'ils estoient en assez bon nombre pour prendre leur fort, sans autre assistance, & jugeant de ma part que la longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du moins à beaucoup de choses. Je le[90] pressay d'attaquer ledit fort, leur remonstrant que les ennemis ayant recogneu leurs forces, & de nos armes, qui perçoient ce qui estoit à l'espreuve des flèches, ils commencèrent à se barricader, & à eux couvrir de bonnes pièces de bois, dont ils estoient bien munis, & leur Village remply, & que le moins temporiser estoit le meilleur, comme de fait ils y remédièrent fort bien: car leur Village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de grosses pièces de bois, entrelassées les unes parmy les autres, où il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre-deux, de la hauteur de trente pieds, & les galleries, comme en manière de parapel qu'ils avoient garnis de doubles pièces de 43/531 bois, à l'espreuve de nos harquebusades, & proche d'un estang qu'ils estoient, où l'eau ne leur manquoit aucunement, avec quantité de gouttières qu'ils avoient mises entre-deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans à couvert pour estaindre le feu. Voila en effect la façon dont ils usent, tant en leurs fortifications qu'en leurs deffences, & bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres. [Note 89: Le 11 octobre.] [Note 90: Les.] Nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter nostre Cavallier par 200 hommes les plus forts, qui le poserent devant ce village, à la longueur d'une picque, où je fis monter trois [91] harquebusiers, bien à couvert des flesches & pierres, qui leur pouvoient estre tirées, & jettées. Cependant l'ennemy ne laissa pour cela de tirer un grand nombre de flesches, qui ne manquèrent point, & quantité de pierres qu'ils jettoient par dessus leurs pallissades. Neantmoins la multitude infinie des coups d'harquebuse les contraignirent de desloger, & d'abandonner leurs galleries, par le moyen, & faveur, d'un Cavallier qui les descouvroit, & ne s'osoient descouvrir, ny montrer, combattans à couvert. Et comme on portoit le Cavalier, au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy où nous debvions mettre le feu, ils les abandonnèrent, & se mirent à crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches dedans le fort, qui, à mon oppinion, ne faisoient pas beaucoup de mal aux ennemis. Mais il faut les excuser, car ce ne sont 44/532 pas gens de guerre, & d'ailleurs qu'ils ne veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur semblent bon. C'est pourquoy inconsidérément un d'entr'eux mist le feu au bois, contre le fort de leurs ennemis, & tout au rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fin: aucun effect. [Note 91: L'édition de 1632 porte _quatre_, au lieu de _trois_. Dans le dessin qui représente le cavalier devant le fort, on en distingue sept.] 532a [Illustration] Le feu donc passé, la pluspart des Sauvages commencèrent à apporter le bois contre les pallissades, mais en petite quantité qui feut cause que le feu, si peu fourny de bois ne peut faire grand effect: aussi que le désordre survint entre ce peuple, tellement qu'on ne se pouvoit entendre: ce qui m'affligeoit fort, j'avois beau crier à leurs oreilles & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible le danger où ils se mettoient par leur mauvaise intelligence, mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient, & voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes remonstrances estoient vaines, & ne pouvant remédier à ce désordre, ny faire davantage: je me resolu avec mes gens de faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions découvrir, & apercevoir. Cependant les ennemis faisoient proffit de nostre désordre, ils alloient à l'eau, & en jettoient en telle abondance, que vous eussiez dit que c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs gouttières, de telle façon, qu'en moins de rien ils rendirent le feu du tout estaint, sans que pource ils laissassent de tirer des coups de flèches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient sur le Cavallier en tuèrent, & estropierent, beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois heures, il y eut deux de nos 45/533 Chefs, & des principaux blessez, à sçavoir un appellé Ochateguain, l'autre Orani, & quelque quinze d'autres particuliers aussi blessez. Les autres de leur costé voyants leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, ils commencèrent à parler de retraicte, sans plus combattre, attendant les cinq cents hommes [92] qui ne debvoient plus gueres tarder à venir, & ainsi se retirèrent, n'ayants que ceste bouttade de désordre. Au reste les Chefs n'ont point de commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur volonté, & font à leur fantaisie, qui est la cause de leur désordre, & qui ruyne toutes leurs affaires: Car ayant resolu quelque chose avec les principaux, il ne faudra qu'un belistre, ou de néant, pour rompre une resolution, & faire un nouveau desseing, si la fantaisie luy en prend. Ainsi les uns pour les autres ne font rien, comme il se peut veoir par ceste expédition. [Note 92: C'étaient les cinq cents hommes que leur avaient offerts les Carantouanais ou Andastes; ils arrivèrent deux jours trop tard. (Voir à la fin de cette relation, p. 135.)] Mais nous nous retirasmes en nostre fort, moy estant blessé de deux coups de flesches, l'un dans la jambe, & l'autre au genouil, qui m'apporta grande incommodité, outre les grandes & extresmes douleurs. Et estans tous assemblez, je leur fis plusieurs remonstrances sur le désordre qui s'estoit passé, mais tous mes discours servoient aussi peu que le taire, & ne les émeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de fatigue, & d'incommodité, aux autres, faisant la retraite pour les porter, & que de retourner plus contre leurs ennemis, comme 46/534 je leur proposois le debvoir faire, il n'y avoit aucun moyen, mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq cents hommes qui debvoient venir, & estans venus ils feroient un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le passé. Il en fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy-devant est representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste figure l'on peut entendre, & voir, que celles des amis, & ennemis, sont semblablement fortifiez. Le lendemain[93] il fit un vent impétueux qui dura deux jours, fort favorable à mettre le feu de rechef au fort des ennemis: sur quoy je les pressay fort, mais ils n'en voulurent rien faire, comme doutant d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez. [Note 93: Le 12 octobre.] Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps il se fist quelques escarmouches entre les ennemis, & les nostres, qui demeurèrent le plus souvent engagez parmy les ennemis, plustost par leur imprudence, que faute de courage, vous asseurant qu'il nous falloit, à toutes les fois qu'ils alloient à la charge, les aller requérir, & les desengager de la prise, ne se pouvant retirer qu'en la faveur de nos harquebusiers, ce que les ennemis redoubtent & appréhendent fort. Car si tost qu'ils apperçoivoient quelqu'un de nos harquebusiers, ils se retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion que nous ne nous meslassions pas en leurs combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requérir de les assister avec tout plain d'autres discours sur ce subject pour nous en émouvoir. 47/535 J'ay representé de la façon qu'ils s'arment allant à la guerre, figure E[94]. [Note 94: L'édition originale de 1619, et la seconde édition de 1627, renvoient ici, par inadvertance, à la page 23; dans ces deux éditions, la figure E se trouve au verso de la page 87.] Et quelques jours passez voyans que les cinq cens hommes ne venoient point, ils délibérèrent de partir, & faire retraite au plustost, & commencèrent à faire certains paniers pour porter les blessez, qui sont mis là dedans, entassez en un monceau pliez & garrottez de telle façon, qu'il est impossible de se mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans faire recevoir aux blessez de grandes & extresmes douleurs. Je le puis bien dire avec vérité, quand à moy, ayant esté porté quelques jours, d'autant que je ne pouvois me soustenir, principallement à cause du coup de flesche que j'avois reçeu au genouil, car jamais je ne m'estois veu en une telle gehenne, durant ce temps, car la douleur que j'endurois à cause de la blesseure de mon genouil, n'estoit rien au pris de celle que je supportois lié & garrotté sur le dos de l'un de nos Sauvages: ce qui me faisoit perdre patience, & qui fist qu'aussitost que je peu avoir la force de me soustenir, je sortis de céte prison, ou à mieux dire de la gehenne. Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue, mais c'estoit de loing, pour essayer d'attrapper quelques-uns de ceux qui faisoient l'arriere-garde, mais leurs peines leur demeura vaines, & se retirèrent. Or tout ce que j'ay veu de bon en leur guerre est, qu'ils font leur retraicte fort seurement, mettans tous les blessez, & les 48/536 vieux, au milieu d'eux, estant sur le devant aux aiselles & sur le derrière bien armez [95], & arrangez par ordre de la façon, jusques à ce qu'ils soient en lieu de seureté, sans rompre leur ordre. [Note 95: Estant, sur le devant, aux ailles & sur le derrière, bien armez.] Leur retraite estoit fort longue, comme de vingt-cinq à 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & à ceux qui les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en temps. Le dix-huictiesme jour dudict mois, il tomba forces neiges, & gresle, avec un grand vent qui nous incommoda fort. Neantmoins nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudict lac des Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachés, que l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les ennemis les eussent rompus, & estans tous assemblez, les voyants prests de se retirer à leur Village, je les priay de me remener à nostre habitation, ce qu'ils ne vouloient accorder du commencement: mais en fin ils se resolurent, & cherchèrent 4 hommes pour me conduire, ce qui fut fait, lesquels quatre hommes s'y offrirent volontairement: Car, comme j'ay dit cy-dessus, les chefs n'ont point de commandement sur leurs compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce qu'ils voudroient bien, & ces hommes estant trouvés, il falut trouver un canau, qui ne se peut recouvrer, chacun ayant affaire du sien, & n'en ayant plus qui [96] ne leur en faloit. Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, ains au contraire cela m'affligeoit fort, mettant en doute quelque 49/537 mauvaise volonté, d'autant qu'ils m'avoient promis de me remener & conduire, jusques à nostre habitation, après leur guerre, & outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas soucié: & ne pouvans rien faire, il fallut se resoudre à la patience. Mais depuis après quelques jours je recogneu que leur desseing estoit de me retenir avec mes compagnons en leur pays, tant pour leur seureté, craignant leurs ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs Conseils, & assemblées, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire à l'advenir contre leursdits ennemis, pour leur seureté & conservation. [Note 96: Qu'il.] Le lendemain vingt-huictiesme dudit mois, chacun commença à se préparer les uns pour aller à la chasse des Cerfs, les autres aux Ours Castors, autres à la pesche du poisson, autres à se retirer en leurs Villages, & pour ma retraite & logement il y eut un appellé Durantal[97], l'un des principaux chefs, avec lequel j'avois desja quelque familiarité, me fist offre de sa cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du Cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux, & en la plus grande quantité. Et après avoir traversé le bout du 50/538 lac de laditte isle(98), nous entrasmes dans une riviere[99] qui a quel que douze lieues, puis ils portèrent leurs canaux par terre quelque demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un lac qui a d'estendue environ dix à douze lieues de circuit, ou il y avoit grande quantité de gibier, comme Cygnes, grues blanches, houstardes, canarts, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien, attendant la prinse de quelque Cerf, auquel lieu nous fusmes en un certain endroict eslongné de quelque dix lieues, où nos Sauvages jugeoient qu'il y avoit des Cerfs en quantité. Ils s'assemblerent quelques vingt-cinq Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de pièces de bois, accommodées l'une sur l'autre, & les calfestrerent avec de la mousse pour empescher que l'air n'y entrast, les couvrant d'escorces d'arbres: ce qu'estant faict ils furent dans le bois, proche d'une petite sapiniere, où ils firent un clos en forme de triangle, fermé des deux costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort presse, de la hauteur de huict à 9 pieds, & de long de chacun costé prés de mil cinq cent pas, au bout duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de branchage, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds, 51/539 comme la largeur d'un moyen portail, par où les Cerfs debvoient entrer: Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat, cependant d'autres sauvages alloient à la pesche du poisson, comme truittes & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous manquèrent en aucune façon. Toutes choses estant faites, ils partirent demie heure devant le jour, pour aller dans le bois, à quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns des autres de quelque quatre-vingt pas, ayant chacun deux bastons, desquels ils frappent l'un sur l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques à ce qu'ils arrivent à leur clos. Les Cerfs oyant ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques à ce qu'ils arrivent au clos où les sauvages les pressent d'aller, & se joignant peu à peu vers la baye & ouverture de leur triangle, où lesdits Cerfs coulent le long desdites pallissades jusques à ce qu'ils arrivent au bout, où les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests à descocher, & estant au bout de leurdit triangle ils commencent à crier, & contrefaire les loups, dont y a quantité, qui mangent les Cerfs, lesquels Cerfs oyant ce bruict effroyable, sont contraincts d'entrer en la retraicte par la petite ouverture, où ils sont poursuivis fort vivement a coups de flèche, où estans entrez ils sont pris aysément en cette retraicte, qui est si bien close & fermée, qu'ils n'en peuvent sortir aucunement. Je vous asseure qu'il y a un singulier plaisir en ceste chasse, qui se faisoit de deux jours en deux jours, & firent si bien qu'en trente-huit jours 52/540 [100] que nous y fusmes ils prirent six-vingts Cerfs, desquels ils se donnent bonne curée, reservant la graisse pour l'hyver, en usant d'icelle comme nous faisons du beurre, & quelque peu de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des festins entr'eux. Ils ont d'autres inventions à prendre le Cerf, comme au piège, dont ils en font mourir beaucoup. Vous voyez cy-devant dépaint la forme de leur chasse, clost & piége, & des peaux ils en font des habits. Voila comme nous passasmes le temps attendant la gelée, pour retourner plus aysément, d'autant que le païs est marescageux. Au commencement que l'on estoit sorty pour aller chasser, je m'engagis tellement dans les bois pour poursuivre un certain oyseau qui me sembloit estrange ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la grosseur d'une poulle, le tout jaune, fors la teste rouge, & les aisles blues, & alloit de vol en vol comme une perdrix. Le desir que j'avois de le tuer me fist le poursuivre d'arbre en arbre fort longtemps, jusques à ce qu'il s'envolla à bon escient, & en perdant toute esperance je voulus retourner sur mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui avoient tousjours gaigné païs, jusques à leur clos, & taschant les attrapper, allant ce me sembloit droict où estoit ledict clos, je me treuvay égaré parmy les forests, allant tantost d'un costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la nuit venant me contraignit de la passer au pied d'un grand arbre, jusques au lendemain, où je commençay à faire chemin jusques sur les trois heures du soir, où je rencontray un petit estang dormant, où j'aperçeus du gibier que je fus gyboyer, & 53/541 tuay trois ou quatre oyseaux qui me firent grand bien, d'autant que je n'avois mangé aucune chose. Et le mal pour moy qui[101] durant trois jours il n'avoit fait aucun soleil, que pluye, & temps couvert, qui m'augmentoit mon desplaisir. Las & recreu, je commençay à me reposer, & faire cuire de ces oyseaux pour assouvir la faim qui commançoit à m'affaiblir cruellement, si Dieu n'y eust remédié: mon repas pris, je commençay à songer en moy ce que je debvois faire, & prier Dieu qu'il me donnait l'esprit, & le courage, de pouvoir supporter patiemment mon infortune, s'il falloit que je demeurasse abandonné dans ces deserts, sans conseil, ny consolation, que de la bonté & misericorde Divine, & neantmoins m'évertuer de retourner à nos chasseurs. Et ainsi remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que devant allant ça & là tout le jour, sans m'apperçevoir d'aucune trace, ou sentier, que celuy des bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement en bon nombre. Je fus contrainct de passer icelle nuict, & le mal pour moy estoit que j'avois oublié apporter sur moy un petit cadran qui m'eust remis en mon chemin, à peu prés. L'aube du jour venu, après avoir repeu un peu, je commençay à m'acheminer jusques à ce que je peusse rencontrer quelque ruisseau, & costoyer iceluy, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il allast décharger en la riviere, ou sur le bord, où estoient cabanez nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay, si bien, que sur le midy se me treuvay sur le bord d'un petit lac, comme de lieue & demie, où j'y tuay quelque gibier, qui m'accommodoit 54/542 fort à ma necessité, & avois encore quelque huict à dix charges de poudre, qui me consoloit fort. Je suivay le long de la rive de ce lac, pour voir où il déchargoit, & trouvay un ruisseau assez spacieux que je commançay à suivre, jusques sur les cinq heures du soir, que j'entendis un grand bruict, & prestant l'oreille, je ne pouvois bonnement comprendre ce que c'estoit, jusques à ce que j'entendis le bruict plus clairement & jugay que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois: je m'acheminay de plus prest, & apperceus un eclasie, où estant parvenu je me rancontray en un grand pré, & spacieux, où il y avoit grand nombre de bestes Sauvages & regardant à la main droite, j'apperceus la riviere, large & spacieuse: te commençay à regarder si je ne pourrois recognoistre cet endroit, & marchant en ce pré j'apperceut un petit sentier, qui estoit par où les Sauvages portoient leurs canaux, & en fin après avoir bien consideré, je recognus que c'estoit la mesme riviere, & que j'avois passé par là, & passay encore la nuict avec plus de contentement que je n'avois fait, & ne laissay de soupper de si peu que j'avois. Le matin venu, je reconsideray le lieu où j'estois, & recognus de certaines montagnes qui estoient sur le bord de ladite riviere, que je ne m'estois point trompé, & que nos chasseurs devoient estre au dessoubs de moy, de quatre ou cinq bonne lieues que je fis à mon aise, costoyant le bord de ladite riviere, jusques à ce que j'apperceus la fumée de nosdits chasseurs, auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de contentement tant de moy que d'eux qui estoient encore en 55/543 queste à me chercher, & avois perdu comme esperance de me revoir, me priant de ne m'écarter plus d'eux ou tousjours porter avec moy mon cadran, & ne l'oublier: & me disoient si tu ne fusse venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux François, de peur que ils ne nous eussent accusez de t'avoir fait mourir. Depuis il[102] étoit sort soigneux de moy quand j'allois à la chasse, me donnant tousjours un Sauvage pour ma compagnie, qui sçavoit si bien retrouver le lieu d'où il partoit, que c'est chose estrange à voir. Pour retourner à mon propos, ils ont une certaine resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils faisoient rostir d'icelle viande, prise en ceste façon, ou qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de Cerfs, me priant fort de n'en point faire rostir, mais je me riois de cela, & de leur façon de faire: mais pour ne les scandaliser, je m'en déportois volontiers, du moins estant devant eux, mais en arrière j'en prenois du meilleur, que je faisois rostir, n'adjoustant foy en leurs superstitions, & puis leur ayans dict, ils ne me vouloient croire, disant que si cela eust esté ils n'auroient pris aucuns Cerfs, depuis que telle chose auroit esté commise. [Note 97: Plus loin, l'auteur l'appelle _d'Arontal_ et _Darontal_, orthographe qui se rapproche davantage de celle de Sagard et des Relations des Jésuites. «La contrée, dit Sagard (Grand Voyage, ch. VI), où commandoit le Grand Capitaine _Atironta_, s'appelle Henarhonon» (Arendaronon). On voit, dans la Relation du pays des Hurons de 1640 (ch. IX), que le capitaine des Arendaronons, Atironta, portait le nom du premier capitaine huron qui ait rencontré les Français. Celle de 1642 s'exprime à peu près dans les mêmes termes: «Il estoit question de faire revivre le nom d'Atironta, celuy qui autrefois le premier des Hurons avoit descendu à Kebec, & lié amitié avec les François.»] [Note 98: Il semble qu'il y a ici quelque chose de passé. Cette _dite île_, dont on n'a point encore parlé, et de laquelle on traverse le bout du lac, devait être dans le voisinage de la pointe à la Traverse, et faisait vraisemblablement partie du groupe des îles aux Galops, où l'on dut se réunir, avant que chaque bande prît sa route vers le pays huron, ou vers les endroits de chasse. C'est du moins ce que permet de supposer le texte, qui semble ici s'être ressenti de l'état de souffrance de l'auteur.] [Note 99: Cette rivière était probablement celle de Cataracoui: car, d'abord l'auteur donne à entendre qu'on ne prit pas, immédiatement du moins, la même route qu'en descendant; en second lieu, la rivière de Cataracoui est la seule un peu considérable que l'on trouve au bout de cette traverse; enfin elle mène précisément au coeur du pays où, suivant la carte de Champlain, _il y a force Cerfs_, vers le nord de l'entrée de la baie de Quinté.] [Note 100: Du 28 octobre au 4 décembre.] [Note 101: Que.] [Note 102: Darontal (Édition de 1632).] [Illustration p.540] Le quatriesme jour de Décembre nous partismes de ce lieu, marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs & estangs glassez, & quelquesfois cheminans par les bois l'espace de dix-neuf jours, ce n'estoit pas sans beaucoup de peine, & travail tant pour les Sauvages qui estoient chargez de cent 56/544 livres pesant, comme de moy-mesme qui avoit la pesanteur de vingt livres, qui à la longue m'importunoit beaucoup. Il est bien vray que j'estois quelques-fois soulagé par nos Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas d'en recevoir de l'incommodité. Quand à eux pour plus aisément traverser les glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines traînées [103] de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges & les traînent après eux sans aucune difficulté, & vont fort promptement, mais il se fist quelques jours après un desgel qui nous apporta beaucoup de peine & d'incommodité: Car il nous falloit passer par dedans des sapinieres plaines de ruisseaux estangs, marais, & pallus, avec quantité des boisées, renversées les unes sur les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des ambarassemens qui nous apportoit de grandes incommoditez pour estre tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours en cet estat à cause qu'en la plus grande partie des lieux les glaces ne portoient point, nous fismes donc tant que nous arrivasmes à nostre village le vingtiesme[104] jour dudit mois, où le Capitaine Yroquet vint hiverner avec ses compagnons, qui vont Algommequins[105] & son fils, qu'il amena pour faire traiter, lequel allant à la chasse, avoit esté fort offensé d'un Ours, le voulant tuer. [Note 103: _Traînes_. La _traîne sauvage_ se compose de deux planches minces d'un bois dur et coulant bien assujetties l'une à coté de l'autre a de petites traverses auxquelles elles sont attachées avec ce que l'on appelle de la _babiche_, c'est-à-dire, une petite lanière de cuir de la grosseur d'une moyenne ficelle. De chaque côté court une longue baguette attachée de la même manière, et qui sert comme de ridelle. Les planches sont relevées par devant repliées sur elles-mêmes et retenues dans cet état par de plus fortes attaches; cette partie de la traîne s'appelle _chaperon_.] [Note 104: On dut arriver à Cahiagué le 23 de décembre, comme porte l'édition de 1632; car on était parti le 4, et l'on fut dix-neuf jours à faire le trajet.] [Note 105: Le nom huron de la nation d'Yroquet, était Onontchataronon (Relations).] 57/545 M'estant reposé quelques jours je me deliberay d'aller voir le Père Joseph, & de là voir les peuples en l'hiver, que l'esté, & la guerre ne m'avoient peu permettre de les visiter. Je party de ce Village le quatorziesme[106] de Janvier en suivant, après avoir remercié mon hoste du bon traictement qu'il m'avoit fait, esperans ne le revoir de trois mois, & prins congé de luy. [Note 106: Quatrième.] Le lendemain je vis le Père Joseph en sa petite maisonnette [107] où il s'estoit retiré, comme j'ay dit cy-dessus: je demeuray avec luy quelques jours, se trouvant en délibération de faire un voyage aux gens du Petun[108], comme j'avois délibéré, encores qu'il face tres-fascheux de voyager en temps d'hyver, & partismes ensemble le quinziesme Fevrier[109], pour aller vers icelle nation, où nous arrivasmes le dix-septiesme dudit mois. Ces peuples du Petun sement le Maïs appelle par deçà bled de Turquie, & ont leur demeure arrestée comme les autres. Nous fusmes en sept autres Villages leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes amitié: ils nous promirent de venir un bon nombre à nostre habitation. Ils nous firent fort bonne chère, & prêtent de chair & poisson pour faire festin comme est leur coustume, où tous les peuples accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amitié, & nous conduisoient en la pluspart du chemin. Le païs est remply de costaux, & petites 58/546 campagnes, qui rendent ce terroir aggreable: ils commençoient à bastir deux Villages, par où nous passasmes, au milieu des bois pour la commodité qui[110] treuvent d'y bastir & enclore leurs Villes. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la nation neutre[111], qui est puissante, qui tient une grande estendue de pays. Après avoir visité ces peuples nous partismes de ce lieu, & fusmes à une nation de Sauvages que nous avons nommez les cheveux relevez [112], lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec lesquels nous jurasmes aussi amitié, & qui pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir à ladite habitation, à cet endroit[113]: il m'a semblé à propos de les dépaindre, & décrire leurs pays, moeurs, & façons de faire. En premier lieu ils font la guerre à une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueroüon[114], qui veut dire des gens de feu, eslongnez d'eux de dix journées: ce fait, je m'informay fort 59/547 particulièrement de leur pays, & des nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantité. Icelle nation sont en grand nombre, & la pluspart grands guerriers, chasseurs, & pescheurs: Ils ont plusieurs chefs qui commandent chacun en sa contrée, la plus grand part sement des bleds d'inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par trouppes en plusieurs régions & contrées, où ils trafficquent avec d'autres nations, eslongnées de plus de quatre à cinq cent lieues: ce sont les plus propres Sauvages que j'aye veu en leurs mesnages, & qui travaillent le plus industrieusement aux façons des nates, qui sont leurs tapis de Turquie: Les femmes ont le corps couvert, & les hommes découvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leur corps, qui est en façon de manteau, laquelle ils laissent ordinairement, & principallement en Esté: Les femmes & les filles ne sont non plus émues de les voir de la façon, que si elles ne voyoient rien qui sembleroit estrange: Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leur mary, ou la fille d'avec son père, & sa mère, & autres parens, s'en allant en de certaines maisonnettes, où elles se retirent, pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles qui ont leurs mois & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands festins, & plus que les autres nations: ils nous firent fort bonne chère, & nous reçeurent fort amiablement, & me prièrent fort de les assister contre leurs 60/548 ennemis, qui sont sur le bord de la Mer douce, eslongnée de deux cent lieues, à quoy je leur dist que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommodé des choses necessaires. Ils ne sçavoient quelle chère nous faire: j'ay dépainct en la figure C. comme ils sont en guerre. Il y a aussi à deux journées d'iceux une autre nation de Sauvages, qui sont grand nombre de Petun, d'un costé tirant au Su, lesquels s'appellent la nation neutre[115], qui sont au nombre de quatre mil hommes de guerre, qui habitent vers l'Occident du lac des Entouhonorons de quatre-vingt à cent lieues d'estendue, lesquels neantmoins assistent les cheveux relevez contre les gens de feu: Mais entre les Yroquois, & les nostres ils ont paix, & demeurent comme neutres: de chacune nation est la bien venue, & où ils n'osent s'entredire, ny faire, aucune fascherie, encores que souvent ils mangent & boivent ensemble, comme s'ils estoient bons amis. J'avois bien desir d'aller voir icelle nation, sinon que les peuples où nous estions m'en dissuaderent, disant que l'année précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez, nous representant qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne regardant point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier qu'ils rencontrent de la nation, ou bien leurs amis, ils leur font porter la peine, quand ils peuvent en attrapper, si auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & leur avoir donné quelques dons & presens aux parens du deffunct, qui m'empescha 61/549 pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun suject & occasionna de retourner par le mesme chemin que nous estions venus, & continuant mon voyage, je fus trouver la nation des Pisierinij [116], qui avoient promis de me mener plus outre en la continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'où estoit le Cappitaine Yroquet, à sçavoir que ceux de la nation des Atignouaatitans auroient mis & déposé entre ses mains un prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Cappitaine Yroquet deubst exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en liberté, mais l'ayant trouvé habille, & excellent chasseur, & tenu comme son fils, les Atignouaatitans seroient entrez en jalousie, & designé de s'en venger, & de faict auroient disposé un homme pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il estoit. Comme il fut exécuté en la presence des principaux de la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de cholere tuerent sur le champ ce téméraire entrepreneur meurtrier, duquel meurtre les Atignouaatitans se trouvans offensez, & comme injuriez en cet action, voyant un de leurs compagnons morts prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des Algommequins qui viennent hiverner proches de leurdict Village, 62/550 lesquels offencerent fort & où ledit Cappitaine Yroquet fut blessé de deux coups de fléche, & une autre fois pillèrent quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent mettre en deffence: car aussi le party n'eust pas esté égal, & neantmoins cela lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de donner ausdits Atignouaatitans cinquante colliers de pourceline, avec cent becasses[117] d'icelle: ce qu'ils estiment de grand valeur parmy eux, & outre ce nombre de chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place du mort: bref ils furent en grande dissention, c'estoit ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie, & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seureté, nonobstans leurs presens, jusques à ce qu'ils se veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort, me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux que pour nous, qui estions en leur pays. [Note 107: A Carhagouha.] [Note 108: Les _Tionnontatéronons_, qui demeuraient au sud de la baie de Nataouassaga.] [Note 109: Par le contexte, on voit qu'il faut lire _janvier_; c'est aussi ce que met l'édition de 1632.] [Note 110: Qu'ils.] [Note 111: Les _Attiouandaronk_. Ils demeuraient à l'ouest du lac Ontario. Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place au sud du lac Érié; mais il y a tout lieu de croire qu'il n'aura pas bien saisi le rapport des sauvages. Car cette nation garda pendant de longues années sa position et son pays; or toutes les relations de cette époque la place au nord du lac Érié et à l'ouest du lac Ontario. Cette expression même de l'auteur, _sont proches de la nation neutre_, prouve suffisamment que ces Attiouandaronk devaient être situés comme nous avons dit, et il suffit de jeter les yeux sur la carte de 1632, pour comprendre que la cause de cette erreur de Champlain est qu'il n'avait pas une idée bien exacte de l'immense contour du fleuve depuis le lac Huron jusqu'au lac Ontario. D'ailleurs s'ils eussent été au sud du lac Érié, ils n'auraient pu commander aussi aisément le passage entre les Iroquois et les Hurons.] [Note 112: Les _Andatahouats_ (Sagard). En comparant ce que dit ici Champlain avec la position qu'il donne aux Cheveux-Relevés dans sa carte de 1632, on ne peut guères s'empêcher de conclure que cette nation demeurait au sud ou au sud-ouest du fond de la baie Géorgienne. (Voir p. 24, note 1.)] [Note 113: Ces mots _à cet endroit_ appartiennent, ce semble, à la phrase suivante; cependant il est possible que par _ladite habitation_ Champlain entende celle que les Français avaient a cet endroit, c'est-à-dire, au pays huron, et dont il parle un peu plus loin.] [Note 114: _Atsistahéroron_. C'est ainsi que les appelaient les Hurons. Leur nom algonquin était Mascoutens. Ils demeuraient au-delà de la rivière du Détroit.] [Note 115: Voir ci-dessus, p. 58, note 2.] [Note 116: _Nipissirini_. Ces Nipissings pouvaient être de ceux qui avaient fait partie de l'expédition contre les Iroquois, ou de ceux qui venaient tous les ans hiverner près des Hurons. Car il paraît évident que Champlain ne fit pas le voyage du lac Nipissing, puisqu'il dit, un peu plus loin: « En passant, je visitay les Pisirinins.» D'ailleurs, s'il eût fait ce voyage, qui était de près de soixante lieues, il n'aurait pas manqué d'en donner quelque détail.] [Note 117: Lisez _brasses_. Le collier était une espèce de bande composée d'un certain nombre de brasses de porcelaine, avec cette différence, néanmoins, que la porcelaine en _brasses_, ou en _branches_, était la porcelaine blanche et commune; tandis que celle dont se composaient les colliers, était d'un violet plus ou moins foncé, et disposée d'une manière symétrique. Cette _porcelaine_, comme on sait, était bien différente de celle de la Chine et du Japon; elle consistait en fragments de coquillages de Virginie ou de Floride, qui se taillaient en petits cylindres ou rondelles, et que l'on enfilait pour en faire des brasses, ou des branches, et des colliers. Les auteurs anciens, comme de Lery (Hist. du Brésil, ch. VIII, p. 106) et Champlain, ne mentionnent que la porcelaine en brasses et en colliers; tandis que les écrivains plus modernes ne parlent point de _brasses_, mais de _branches_ et de colliers. La figure que nous en a conservée La Potherie (t. I, p. 333, 334), donne à entendre, que les _branches_ étaient plus courtes que la brasse, et s'attachaient trois ou quatre ensemble par un bout, de manière à former comme des _branches_. (Voir, sur ce sujet, le P. LAFITEAU, t. I, p. 502 et suiv.--LA POTHERIE, t. I, p. 333, 334.--CHARLEVOIX, Journal Historique, lettre XIII.)] Ce faict, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand Village, qui me soliciterent fort d'y aller, pour les mettre d'accord, me disant que si je n'y allois, aucun d'eux ne 63/551 reviendroient plus vers les François, ayant guerre avec lesdicts Algommequins, nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant je m'acheminay au plustost, & en passant je visitay les Pisirinins pour sçavoir quand ils seroient prests pour le voyage du Nort que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fist entendre, & que ledict Cappitaine Iroquet estoit venu à toutes ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver à l'habitation des François, en mesme temps que luy, pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaatitans[118], & qu'ils remissent ledit voyage du Nort à une autre fois: & pour cet effect ledit Yroquet avoit donné de la pourceline pour rompre ledict voyage, & à nous ils promirent de se trouver à nostre-dite habitation, au mesme temps qu'eux. Qui fut bien affligé ce fut moy, m'attendant bien de voir en ceste année, ce qu'en plusieurs autres précédentes j'avois recherché avec beaucoup de soing, & de labeur, par tant de fatigues, & de hazards de ma vie: Et voyans n'y pouvoir remédier, & que le tout déppendoit de la volonté de Dieu, je me consolay en moy-mesme, me resolvant de le voir en bref, en ayant de si certaines nouvelles qu'on n'en peut douter de ces peuples qui vont negotier avec d'autres qui se tiennent en ces parties Septentrionnalles, estans une bonne partie de ces 64/552 nations en lieu fort abondant en chasses, & où il y a quantité de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux, & eux m'ayant figuré la forme d'iceux, j'ay jugé estre des buffles[119]: aussi que la pesche du poisson y est fort abondante, ils sont quarante jours à faire ce voyage, tant à aller que retourner. [Note 118: Dans l'édition originale, la page finit au milieu de ce mot _Atigno_, et la réclame indique pour finale _uaatitans_, tandis que la page suivante commence par _uaenteps_. Cette dernière orthographe, qui était probablement celle du manuscrit de Champlain, figure à peu près la même prononciation que celle des divers auteurs qui ont parlé des Atignaouentans.] [Note 119: C'est le _boeuf musqué_. Voy. Charlev. Jour. p. 131.] Je m'acheminay vers nostredict Village le quinziesme jour de Febvrier, menant avec moy six de nos gens, & estans arrivez audict lieu, les habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins que j'envoyay visiter par nostre truchement [120], pour sçavoir comme le tout s'estoit passé, tant d'une part que d'autre, n'y ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit passé: ce faict, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant en l'une de leurs cabannes où plusieurs & des plus principaux se trouverent, lesquels tous ensemble après quelques discours demeurent d'accord de venir, & avoir agréable tout ce qu'on diroit, comme arbitre sur ce suject, & ce que je leur proposerois, ils le mettroient en exécution. Alors je recueilly les voix d'un chacun, colligeant & recerchant la volonté & inclination de l'une & de l'autre partie: jugeant neantmoins qu'ils ne demandoient que la paix. Je leur representay que le 65/553 meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour estans unis & liez ensemble, resister plus facillement à leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention de suivre de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois sur ce different, puis qu'ils m'avoient faict ce bien d'en dire mon oppinion. Sur quoy ils me dirent derechef qu'ils n'avoient desiré mon retour à autre fin, & moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contens les uns des autres, chacun d'eux pensans avoir le meilleur droict, aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je n'eusse esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit tousjours bien traicté, & mal-aysément en pourrois-je trouver un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient la faute, disant qu'il n'y avoit que luy de Cappitaine qui fist prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirois ce qu'il m'en sembleroit, & mon advis, & voyans à leurs discours qu'ils remettoient le tout à ma volonté, comme à leur père, me promettant en se faisant qu'à l'advenir je pourrois disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit, me remettant le tout à ma discretion, pour en disposer: alors je leur fis responce que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volonté de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le bien & utilité des peuples. [Note 120: Il était donc monté deux interprètes: Étienne Brûlé, qui n'était pas encore revenu de son ambassade chez les Carantouanais, et celui dont l'auteur parle dans ce passage. Ce dernier était truchement pour la langue algonquine, puisque Champlain l'envoie visiter les Algonquins, et il est tout à fait probable que c'était Thomas, qui l'avait suivi dans son malheureux voyage de 1613.] 66/554 D'autre costé j'avois esté fort affligé d'avoir entendu d'autres tristes nouvelles, à sçavoir de la mort de l'un de leurs parents, & amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne s'en feust ensuivy que guerres perpétuelles entre les uns & les autres, avec plusieurs grands dommages & altération de leur amitié, & par consequent les François privez de leur veue & fréquentation, & contraincts d'aller rechercher d'autres nations, & ce d'autant que nous nous aymions comme frères, laissant à nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'auroient mérité. Je commençay à leur dire, & faire entendre, que ces façons de faire entre deux nations, amis, & frères, comme ils se disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit à faire aux bestes bruttes: D'autre part qu'ils estoient assez empeschez d'ailleurs à repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, battans le plus souvent, & les prenans prisonniers jusques dans leurs villages, lesquels ennemis voyant une division, & des guerres civilles entr'eux, leur apporteront beaucoup d'advantage, les resjouyront & les pousseront à faire nouveaux & pernicieux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien-tost leur ruyne, du moins s'affaiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray moyen, & plus facille, pour vaincre, & se rendre les maistres de leurs contrées, n'estans point secourus les uns des autres, & qu'ils ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver, que pour la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de demeurer en perpétuelle servitude, bien 67/555 qu'à la vérité un homme estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme il avoit esté tué, & considerer que ce n'estoit pas de propos délibéré, ny pour commancer une guerre civille parmy eux, cela estant trop évident que le mort avoit premièrement offencé en ce que de propos délibéré il avoit tué le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop audacieusement entreprinse, encores qu'il fust ennemy. Ce qui esmeut les Algommequins, car voyant un homme si téméraire de tuer un autre en leur cabanne, auquel ils avoient donné la liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu à quelques-ungs, plus qu'aux autres, se seroient avancez, ne se pouvant tenir ny commander à leur cholere, ils auroient tué cet homme dont est question, mais pour cela ils n'en voulloient nullement à toute la nation, & n'avoient dessein plus avant à l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien mérité ce qu'il avoit luy-mesme recerché. Et d'ailleurs qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se sentant frappé de deux coups dedans le ventre, arracha le cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certiffié: De façon que bonnement on ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient Algommequins qui ussent tué: & pour montrer aux Attigouautan que les Algommequins n'aymoient pas le prisonnier: que Yroquet ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de 68/556 cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais plustost de bestes bruttes. D'ailleurs que les Algommequins estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passée, & que s'ils eussent pensé que telle chose feust arrivée, ils leur eussent donné cet Yroquois en sacrifice: d'autrepart qu'ils avoient recompensé icelle mort, & faute, si ainsi il la falloit appeller, avec de grands presents, & deux prisonnieres, n'ayant subject à present de se plaindre, & qu'ils debvoient se gouverner plus modestement en leurs déportemens envers les Algommequins, qui sont de leurs amis, & que puis qu'ils m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les priay les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit passé entr'eux, sans jamais plus y penser, ny en porter aucune haine & mauvaise volonté les uns envers les autres & demeurer bons amis comme auparavant, & ce faisant qu'ils nous obligeroient à les aymer, & les assister comme j'avois faict par le passé, & neantmoins, où ils ne seroient contans de mon advis, je les priay de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils pourroient à nostre habitation, où devant tous les Cappitaines des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, & adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs ennemis, à quoy il falloit penser. Alors ils commançerent à dire que j'avois bien parlé, & qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois dict, & tous contents en apparance s'en retournèrent en leurs cabannes, sinon les Algommequins, qui deslogerent pour faire retraicte en leur Village, mais selon mon oppinion ils faisoient demonstration de 69/557 n'estre pas trop contens, d'autant qu'ils disoient entr'eux que ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. Ceste mort de ces deux hommes leur ayant par trop cousté, pour mon regard je m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay le plus de courage qu'il me fut possible, affin de l'esmouvoir à venir à nostre habitation, & d'y amener avec luy tous ceux du pays. Durant le temps de l'hyver qui dura quatre mois, j'eu assez de loisir pour considerer leur pays, moeurs, coustumes, & façon de vivre & la forme de leurs assemblées, & autres choses que je desirerois volontiers décrire. Mais auparavant il est necessaire de parler de la situation du pays [121], & contrées, tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quand à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, elle contient prés de quatre cent cinquante lieues de long, & quelque quatre-vingt ou cent lieues par endroicts de largeur du Midy au Septentrion, soubs la hauteur de quarante & un degré de latitude, jusques à quarante huit & quarante-neuf degrez. Ceste terre [122] est presque une isle, que la grande riviere de Saint Laurens entoure, passant par plusieurs lacs de grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrestées, tous amateurs du labourage de la terre, lesquels neantmoins ont diverses façons de vivres, & de moeurs, & les uns meilleurs que les autres. Au costé vers le Nort, icelle grande riviere tirant 70/558 à l'Occident quelque cent lieues par de là vers les Attigouautans[123]. Il y a de très-hautes montagnes, l'air y est tempéré plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, & soubs la hauteur de quarante & un degré de latitude: toutes ces parties & contrées sont abondantes en chasses, comme de Cerfs, Caribous, Eslans, Dains, Buffles, Ours, Loups, Castors, Regnards, Fouines, Martes, & plusieurs autres especes d'animaux, que nous n'avons pas par deçà. La pesche y est abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantité, & qui y viennent en leur temps, & saison: Le pays est traversé de grand nombre de rivieres, ruisseaux, & estangs, qui se deschargent les unes dans les autres, & en leur fin aboutissent dedans ledict fleuve Sainct Laurens, & dans les lacs par où il passe: Le païs est fort plaisant en son Printemps, il est chargé de grandes & hautes forests, & remplies des bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France, bien est-il vray qu'en plusieurs endroicts il y a quantité de païs deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi que ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui sert pour la nourriture desdicts animaux. Le pays du Nort de ladite grande riviere est fort aspre & montueux, soubs la hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude, 71/559 remply de rochers forts en quelques endroicts, à ce que j'ay peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages qui vivent errants parmy le pays, ne labourans, & ne faisans aucune culture, du moins si peu que rien, & sont chasseurs[124], estans ores[125] en un lieu, & tantost en un autre, le païs y estant assez froid & incommode. L'estendue d'icelle terre du Nord soubs la hauteur de quarante-neuf degrez de latitude, de l'Orient à l'Occident a six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres qui viennent de ce costé-là, & se deschargent dedans ledit fleuve, accompagnez d'un nombre infiny de belles prairies, lacs, & estangs, par où elles passent, dans lesquels y a abondance de poissons, & force isles, la pluspart desertes, qui sont délectables à voir, où en la pluspart il y a grande quantité de vignes, & autres fruicts Sauvages [126]. Quand aux parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en pouvons, sçavoir bonnement le traget, d'autant que les peuples n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou plus, vers l'Occident, d'où vient ladicte grande riviere qui passe entr'autres lieux, par un lac qui contient prés de trante journées de leurs canaux, à sçavoir celuy qu'avons nommé la Mer douce, eu esgard à sa grande estendue, ayant prés de quatre 72/560 cent lieues de long (127): aussi que les Sauvages avec lesquels nous avons accez, ont guerre avec autres nations, tirant à l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en pouvons avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont dict plusieurs fois que quelques prisonniers de cent lieues leur ont rapporté y avoir des peuples semblables à nous en blancheur, & autres choses, ayans par eux veu de la chevelure de ces peuples, qui est fort blonde, & qu'ils estiment beaucoup, pource qu'ils les disent estre comme nous. Je ne puis que penser là dessus, sinon que ce fussent gens plus civilisez qu'eux, & qu'ils disent nous ressembler: il seroit bien besoing d'en sçavoir la vérité par la veue, mais il faut de l'assistance, il n'y a que le temps, & le courage de quelques personnes de moyens, qui puissent, ou vueillent, entreprendre d'assister ce desseing, affin qu'un jour on puisse faire une ample & parfaite découverture de ces lieux, affin d'en avoir une cognoissance certaine. [Note 121 Par _pays_ il faut entendre ici _le pays en général_, ou la Nouvelle-France, et non pas le pays des Hurons, encore moins le pays des Algonquins, comme a fait Sagard (Hist. du Canada, p. 201, 202).] [Note 122: Cette terre où était Champlain, c'est-à-dire, le Haut-Canada.] [Note 123: Voici comme l'édition de 1632 corrige ce passage: «Au costé vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent lieues par delà vers les Attigouamans, le pays est partie montagneux... » On voit donc que Champlain veut parler ici de cette chaîne de montagnes que nous appelons aujourd'hui les Laurentides.] [Note 124: L'édition de 1627, remplace ce mot chasseurs par ambullatoires.] [Note 125: Maintenant.] [Note 126: Dans l'édition de 1627, presque toute cette phrase a été modifié notablement. Après le mot _fleuve_, on y lit ce qui suit: «& d'autres qui à mon oppinion se deschargent en la Mer, par la partie & costé du Nort, soubs la hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de latitude, suivant le rapport & resolution que m'en ont faict ceux qui y vont négocier, & traicter, avec les peuples qui y habitent.»] [Note 127: Voir la note 2 de la p. 25, ci-dessus.] Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, & de diverses nations ayans guerres les uns contre les autres. Le pays y est fort aggreable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, & l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres & fruicts qu'il n'y a pas au Nort dudit fleuve, aussi y a-il beaucoup de choses au Nort qui le recompense, qui n'est pas du costé du Midy[128]: Pour ce qui est du costé de l'Orient, ils 73/561 sont assez cogneus, d'autant que la grand'Mer Oceanne borne ces endroicts-là, à sçavoir les costes de la Brador, terre-Neufve, Cap Breton, la Cadie, Almonchiguois[129], lieux assez communs, en ayant traité à suffire au discours de mes voyages précédents, comme aussi des peuples qui y habitent, c'est pourquoy je n'en feray mention en ce traicté, mon subject n'estant que faire un rapport par discours succint & véritable de ce que j'ay veu & recogneu de plus particulier. [Note 128: Dans l'édition de 1627, la dernière partie de cette phrase a été ainsi corrigée: «aussi n'est-il pas de tant de proffist & d'utilité, quand aux lieux où se font les traictez des Pelletries.»] [Note 129: Lisez Almouchiquois. La côte des Almouchiquois répond à ce que les Anglais ont appelé Nouvelle-Angleterre (New England).] La contrée de la nation des Attigouautan est soubs la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, & deux cents trante lieues [130] de longitude à l'Occident & dix de latitude, & en ceste estendue de pays il y a dix-huict Villages [131], dont six dont clos & fermez de pallissades de bois à triple rang, entre-lassez les uns dans les autres, où au dessus ils ont des galleries, qu'ils garnissent de pierres, & d'eau, pour ruer & estaindre le feu que leurs ennemis pourroient appliquer contre leurs pallissades. Ce pays est beau & plaisant, la pluspart deserté, ayant la forme & mesme situation que la Bretagne, estans presque environnez & circuits de la Mer douce [132], & 74/562 prennent ces 18 villages estre peuplés de deux mil hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peuvent faire en nombre 30000. âmes: leurs cabannes[133] sont en façon de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de large, laissant par le milieu une allée de 10 à 12 pieds de large, qui va d'un bout à l'autre, aux deux costez y a une manière d'establie [134], de la hauteur de 4 pieds, où ils couchent en Esté, pour éviter l'importunité des puces dont ils ont grande quantité, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes, proches du feu pour estre plus chaudement que sur le haut de l'establie, ils font provision de bois sec, & en emplissent leurs cabannes, pour brûler en hyver, & au bout d'icelles cabannes y a une espace, où ils conservent leurs bleds d'Indes, qu'ils mettent en de grandes tonnes, faites d'escorce d'arbres, au milieu de leur logement: il y a des bois qui sont suspendus, où ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris qui y sont en grande quantité. En telle cabanne y aura douze feux, qui sont vingt-quatre mesnages, & où il fume à bon escient, qui fait que plusieurs en reçoivent de grandes commoditez aux yeux, à quoy ils sont subjects, jusques à en perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ni ouverture que celle qui est au dessus de leurs cabannes, par où la fumée fort, qui est tout ce qui se peut 75/563 dire & sçavoir de leurs comportements, vous ayant descript entièrement ceste forme d'habitation de ces peuples, comme elle se peut sçavoir, mesme de toutes les nations qui habitent en ces contrées de pays. Ils changent quelquesfois leur Village de dix, de vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues du précèdent lieu, s'ils ne sont contraints par leurs ennemis, de desloger, & s'eslongnez plus loing, comme ont fait les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la forme de leur logements qui sont separez les uns des autres, comme de trois à quatre pas, pour la crainte du feu qu'ils appréhendent fort. [Note 130: Le seul moyen, suivant nous, de rendre ce passage intelligible, est de remplacer deux cent trente par douze ou treize. Car il est évident que l'auteur, après avoir déterminé la hauteur moyenne du pays huron, veut en donner les dimensions en longitude, ou de l'orient à l'occident, et en latitude, ou du nord au sud. Or, en longitude, le pays huron n'a que douze ou treize lieues; c'est tout ce que l'on peut compter depuis le Couteau-Croche, jusqu'à l'extrémité la plus occidentale du canton de Tiny. Du nord au sud, il pouvait avoir une dizaine de lieues, comme dit l'auteur. Il est possible que le manuscrit de Champlain portât 23, ou 20 à 30; avec quoi l'imprimeur aurait bien pu faire 230.] [Note 131: Sagard, quelques années après, en comptait «vingt ou vingt-cinq» (Hist. du Canada, p. 247); mais il est clair qu'il ne prétend donner qu'un nombre approximatif. «Nos Hurons,» dit le P. Brebeuf à la fin de la Relation de 1636, «sont en vingt villages environ trente mille âmes.»] [Note 132: Cette expression montre bien que Champlain ne parle ici que du pays huron proprement dit, qui était en effet presque environné des eaux de la mer Douce. Il était borné à l'ouest et au nord par le lac Huron, au nord-est, par la rivière Matchidache, et du côté de l'est et du sud-est par les lacs Couchichine et Simcoe, qui se déchargent eux-mêmes dans le lac Huron.] [Note 133: «Qu'ils appellent _ganonchiac_», ajoute Sagard (Hist. du Canada, p. 248).] [Note 134: «Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, ibid.)] Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyant qu'il ne s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger, & ordinaire vivre, est le bled d'Inde, & febves du bresil qu'ils accommodent en plusieurs façons, ils en pillent en des mortiers de bois, le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la fleur par le moyen de certains vants, faits d'escorce d'arbres, & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font premièrement bouillir, comme le bled d'Inde un bouillon, pour estre plus aysé à battre, mettent le tout ensemble, quelquesfois y mettent des blues, ou des framboises seiches, autrefois y mettent des morceaux de graisse de Cerf, mais ce n'est pas souvent, leur estant fort rare, puis après ayant le tout destrampé avec eau tiède ils en font des pains en forme de gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire soubs les cendres, & 76/564 estant cuittes, ils les lavent, & en font assez souvent d'autres, ils les enveloppent de feuilles de bled d'inde, qu'ils attachent, & mettent, en l'eaue bouillante, mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte qu'ils appellent Migan[135], à sçavoir, ils prennent le bled d'inde pillé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou trois poignées dans un pot de terre plein d'eau, le font bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne brusle, ou qu'il ne se prenne au pot, puis mettent en ce pot un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner goust audit Migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante, principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour n'en vouloir prendre la peine: Ils en font de deux especes, & l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de ce poisson ledit Migan ne sent pas mauvais, ains seulement à la venaison. Le tout estant cuit ils tirent le poisson, & l'escrasent bien menu, ne regardant de si prés à oster les arrestes, les escailles, ny les trippes, comme nous faisons, mettant le tout ensemble dedans ledit pot, qui cause le plus souvent le mauvais goust, puis estant ainsi fait, le despartent à chacun quelque portion: Ce Migan est fort clair, & non de grande substance, comme on peut bien juger: Pour le regard du boire, il n'est point de besoing estant ledit Migan assez clair de soymesme. Ils ont une autre sorte de Migan, à sçavoir, ils 77/565 font greller du bled nouveau, premier qu'il soit à maturité, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson, ou de la chair, quand ils en ont: une autre façon, ils prennent le bled d'Inde bien sec le font greller dans les cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre, lequel Migan faict de ceste façon est le meilleur, à mon goust. En la figure H. se voit comme les femmes pilent leurs bleds d'Inde. Et pour le faire, ils font cuire force poisson, & viande, qu'ils découppent par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce faict, ils recueillent avec une cuillier la graisse de dessus, qui provient de la chair, & poisson, puis mettent d'icelle farine grullée dedans, en la mouvant tousjours, jusques à ce que ledit Migan toit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & despartent à chacun un plat, avec une cuillerée de la dite graisse, ce qu'ils ont de coustume de faire aux festins & non pas ordinairement, mais peu souvent: or est-il que ledict bled nouveau grullé, comme est cy-dessus, est grandement estimé entr'eux. Ils mangent aussi des febves qu'ils font bouillir avec le gros de la farine grullée, y meslant un peu de graisse, & poisson. Les Chiens sont de requeste en leurs festins qu'ils font souvent les uns & les autres, principallement durant l'hyver qu'ils font à loisir: Que s'ils vont à la chasse aux Cerfs, ou au poisson, ils le reservent pour faire ces festins, ne leur demeurant rien en leurs cabannes que le Migan clair 78/566 pour ordinaire, lequel ressemble à de la brannée, que l'on donne à manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, & le mettent dans l'eau, sous la bourbe, le laissant deux ou trois mois en cet estat, & jusques à ce qu'ils jugent qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de là & le font bouillir avec la viande ou poisson, puis le mangent, aussi le font-ils gruller, & est meilleur en cette façon que bouilly, mais je vous asseure qu'il n'y a rien qui sente si mauvais, comme fait cedit bled sortant de l'eau tout boueux: néantmoins les femmes, & enfans, le prennent & le sucent comme on faict les cannes de succre, n'y ayant autre chose qui leur semble de meilleur goust, ainsi qu'ils en font la demonstration, leur ordinaire n'est que de faire deux repas par jour: Quant à nous autres, nous y avons jeusné le Karesme entier, & plus pour les esmouvoir à quelque exemple, mais c'estoit perdre temps: Ils engraissent aussi des Ours, qu'ils gardent deux ou trois ans, pour faire des festins entr'eux: j'ay recognu que si ces peuples avoient du bestail, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort bien, leur ayant montré la façon de le nourrir, chose qui leur seroit aisée, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en grande quantité en leur païs, pour toute sorte de bestail, soit chevaux, boeufs, vaches, mouttons, porcs, & autres especes, à faute desquels bestiaux on les juge miserables comme il y a de l'apparance: Neantmoins avec toutes leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont 79/567 plus asseurez que ceux qui sont errants par les forests, comme bestes bruttes: aussi mangent-ils force sitrouilles, qu'il font bouillir, & rostir soubs les cendres. Quand à leur habit, ils sont de plusieurs sortes, & façons, & diversitez de peaux de bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres qu'ils eschangent pour leur bled d'inde, farines, pourcelines, & fillets à pescher, avec les Algommequins, Piserenis, & autres nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées: tous leurs habits sont d'une même façon, sans diversité d'invention nouvelle: ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux, faisant leur brayer d'une peau de Cerf, moyennement grande, & d'un autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques à la ceinture, estant fort plissé, leurs souliers sont de peaux de Cerfs, Ours, & Castors, dont ils usent en bon nombre: Plus, ils ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils portent à la façon Irlandoise, ou Ægyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le derrière: voila comme ils sont habillez durant l'hyver, comme il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils seignent leur robbe autour du corps, mais estans à leur Village, ils quittent leurs manches, & ne se seignent point: les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de colle & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes en plusieurs façons, ainsi qu'ils s'avisent, y mettant par endroits des bandes de painture rouge, brun, parmy celles de colle, qui parroissent tous-jours blanchastres, n'y perdant point leurs façons, quelques salles qu'elles puissent estre. Il 80/568 y en a entre ces nations qui sont bien plus propre à passer les peaux les uns que les autres, & ingénieux pour inventer des compartiments à mettre dessus leurs habits: Sur tous autres nos Montagnais, & Algommequins, ce sont ceux qui y prennent plus de peine, lesquels mettent à leurs robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils taindent en fort belle couleur d'escarlatte: ils tiennent ces bandes bien chères entr'eux, & les destachent pour les faire servir à d'autres robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure grâce, quand ils se veulent bien parer: La pluspart se paindent le visage noir, & rouge, qu'ils desmeslent avec de l'huyle, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse d'ours, ou autres animaux, comme aussi ils se taindent les cheveux qu'ils portent, les uns longs, les autres courts, les autres d'un costé seulement: Pour les femmes, & les filles, elles les portent tousjours d'une mesme façon, elles sont vestus comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs robbes saintes, qui leur viennent en bas, jusques au genouil: c'est en quoy elles différent des hommes, elles ne sont point honteuses de montrer le corps, à sçavoir depuis la cainture en haut, & depuis la moitié des cuisses en bas, ayant tousjours le reste couvert & sont chargées de quantité de pourceline, tant en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs robbes, pendans à leurs ceintures, bracelets, & pendants d'oreilles, ayant les cheveux bien paignez, paints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs cheveux par derrière, qui leur sont liez de peaux d'anguilles, 81/569 qu'ils accommodent & font servir de cordon, ou quelquesfois ils attachent des platines d'un pied en carré, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derrière, & en ceste façon poupinement vestues & habillées, elles se montrent volontiers aux dances, où leurs pères, & mères les envoyent, n'oubliant rien de ce qu'ils peuvent apporter d'invention pour embellir & parer leurs filles, & puis asseurer avoir veu en des dances ou j'ay esté, telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur elles, sans les autres bagatelles, dont elles sont chargées & attourées. En la figure desja citée se voit comme les femmes sont habillées, comme montre F. & les filles allant à la dance, G. [Note 135: Dans le tirage de 1620, on a corrigé, en marge seulement, et l'on a mis le mot _michan_ au lieu de _migan_. Ce changement se retrouve encore dans l'édition de 1627. L'on sait que, dans l'écriture de cette époque, les lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.] [Illustration.] Tous ces peuples sont d'une humeur assez joviale, bien qu'il y en aye beaucoup de complexion triste, & saturnienne entr'eux: Ils sont bien proportionnés de leurs corps, y ayant des hommes bien formez, forts, & robustes, comme aussi des femmes, & filles, dont il s'en trouve un bon nombre d'agréable, & belles, tant en la taille, couleur, qu'aux traicts du visage, le tout à proportion, elles n'ont point le saing ravallé que fort peu, si elles ne sont vieilles, & se trouvent parmy ces nations de puissantes femmes, & de hauteur extraordinaire: car ce sont elles qui ont presque tout le soing de la maison, & du travail, car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la fillent, dont du fillet ils font les rets à pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires, dont ils ont affaire, comme aussi ils ont le soing de faire la cueillette de leurs 82/570 bleds, les serrer, accommoder à manger, & dresser leur mesnage, & de plus sont tenues de suivre & aller avec leurs maris, de lieu en lieu, aux champs, où elles servent de mulle à porter le bagage, avec mille autres sortes d'exercices, & services, que les femmes font & sont tenues faire. Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller à la chasse du Cerf, & autres animaux, pécher du poisson, de faire des cabannes, & aller à la guerre. Ces choses faites, ils vont aux autres nations, où ils ont de l'accès, & cognoissance, pour traicter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point, & estans de retour, ils ne bougent des festins, & dances, qu'ils se font les uns aux autres, & à l'issue se mettent à dormir, qui est le plus beau de leur exercice. Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand une fille eat en l'âge d'onze, douze, treize, quatorze, ou quinze ans, elle aura des serviteurs, & plusieurs, qu'elle fera, & selon ses bonnes grâces, la rechercheront quelque temps: cela faict, elles seront demandées aux pères, & mères, bien que souvent elles ne prennent pas leur consentement, fors celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se soubsmettent à la volonté de leur père & mère. Cet amoureux, ou serviteur, presentera à la fille quelques colliers, chaisnes, & bracelets de pourceline: si la fille a ce serviteur aggreable, elle reçoit ce present, ce faict, cet amoureux viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts sans lui dire mot, durant ce temps, & là ils recueillent le fruict de leurs affections, d'où il arrivera le plus souvent qu'après avoir passé huict, ou 83/571 quinze jours, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera engagé pour ses colliers, & autres dons par luy faicts, n'en retirant qu'un maigre passe-temps: & cela passé, frustré de son esperance, il recerchera un autre femme, & elle un autre serviteur, s'ils voyent qu'il soit à propos, & ainsi continuent ceste façon de faire, jusques à une bonne rencontre: Il s'en trouve telle qui passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de vingt maris, lesqueîs vingt maris ne sont pas seuls en la jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les jeunes femmes courent d'une cabanne en une autre, comme font les jeunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon leur semble, toutesfois sans violance aucune, remettant le tout à la volonté de la femme: Le Mary fera le semblable à sa voisine, nulle jalousie ne se trouve entr'eux pour cela, & n'en reçoivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle. Or le temps qu'elles ne delaissent point leurs maris est quand elles ont des enfans: les Maris précédants reviennent vers elles, leur remonstrer l'affecrion, & amitié, qu'ils leur ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant qu'elles auront est à luy, & est de son faict: un autre luy en dira autant, en fin c'est à qui mieux, & qui le pourra emporter, & l'avoir pour femme: & par ainsi il est au choix & option de la femme, de prendre, & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses recerches, & amours, gaigné beaucoup de pourceline, & de plus, ceste élection de Mary: Elles demeurent avec luy sans plus le delaisser, ou si elles le 84/572 laissent, il faut que ce soit avec un grand subject, autre que l'impuissance, car il est à l'espreuve: neantmoins estant avec ce mary elle ne laisse pas de se donner carrière, mais elle se tient, & reside, tousjours au mesnage, faisant bonne mine, de façon que les enfans qu'ils ont ensemble, ainsi nez d'une telle femme, ne se peuvent asseurer légitimes, aussi ont-ils une coustume, prevoyant ce danger, qui est telle, à sçavoir, que les enfans ne succedent jamais aux biens, & dignitez, de leurs pères, doubtant comme j'ay dit de leur géniteur, mais bien font-ils leurs successeurs, & héritiers, les enfans de leurs soeurs, & desquels ils sont asseurez d'estre yssus, & sortis: Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans [136], ils le mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & le 85/573 vestent, & enveloppent de fourrures, ou peaux, & le bandent sur ladite planchette, la dressent debout, & laissant une petite ouverture par où l'enfant faict ses petites affaires, & si c'est une fille, ils mettent une feuille de blé d'Inde entre les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout de ladite feuille dehors qui est renversée, & par ce moyen l'eau de l'enfant coulle par ceste feuille, & sort dehors, sans gaster l'enfant de ses eaues, ils mettent aussi soubs les enfants du duvet de certains roseaux, que nous appelions pied de lièvre, surquoy ils sont couchés fort mollement, & le nettoyent du mesme duvet, & pour parer l'enfant, ils garnissent ladite planchette de patinostres, & en mettent à son col, quelque petit qu'il soit: & la nuict, ils le couchent tout nud, entre le père, & la mère, considerant en cela une grande merveille de Dieu, qui les conserve de telle façon, qu'il n'en arrive pas beaucoup d'inconvenient, comme il feroit à croire par quelque estouffemens, estant le père, & la mère, en un profond sommeil, ce qui n'arrive pas que bien rarement. Les enfans sont fort libertins entre ces nations: les pères, & mères, les flattent trop, & ne les chastient point du tout, aussi sont-ils si meschants, & de si perverse nature, que le plus souvent ils battent leurs mères, & autres, des plus fascheux, battent leur père, en ayant acquis la force, & le pouvoir: à sçavoir, si le père, ou la mère, leur font chose qui ne leur agrée pas, qui est une espece de malédiction que Dieu leur envoye. [Note 136: Sagard ajoute là-dessus quelques détails qui complètent ce que dit ici Champlain. «Nos Huronnes, dit-il, emmaillottent leurs petits enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois de cèdre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon pied de largeur, où il y a à quelqu'uns un petit arrest, ou aiz plié en demy rond attaché au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent contre le plancher de la cabane, ou bien elles les portent promener avec icelles derrière leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot dans leur robbe ceinte, pendus à la mammelle, ou derrière leur dos, presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un costé & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte. Lors que l'enfant est emmaillotté sur la petite planchette, ordinairement enjolivée de matachias & chapelets de pourceleine, ils luy laissent une ouverture devant la nature, par où il faict son eau, & si c'est une fille, il y adjoustent une fueille de bled d'Inde renversée, qui sert à porter l'eau dehors, sans que l'enfant soit gasté de ses eaues, ny salle de ce costé là... Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny la méthode d'en faire, encore qu'elles ayent du chanvre assez, ont trouvé l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyent du mesme duvet, ou avec de la poudre de bois fec & pourry, & la nuict venue, elles les couchent souvent tout nuds entre le père, & la mère, ou dans le sain de la mère mesme, enveloppé de sa robe pour le tenir plus chaudement, & n'en arrive que très-rarement d'accident. Les Canadiens, & presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille planchette pour coucher leurs enfans, qu'ils appuyent contre quelque arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans planchette, à la manière qu'on accommode ceux de deçà dans des langes, & en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue en l'air, attachée par les quatre coins aux bois de la cabane, comme sont les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des navires, & s'ils veulent bercer l'enfant, il n'ont qu'à donner un bransle à cette peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.» (Hist, du Canada, p. 338, 339, 340.)] Pour ce qui est de leurs loix, je n'ay point veu qu'ils en ayent, ny chose qui en approche, comme de faict ils n'en ont 86/574 point, d'autant qu'il n'y a en eux aucune correction, chastiment, ny de reprehension à l'encontre des malfaicteurs, sinon par une vangeance, randant le mal pour le mal, non par forme de reigle, mais par une passion qui leur engendre les guerres & différents, qu'ils ont entr'eux le plus souvent. Au reste, ils ne recognoissent aucune Divinité, ils n'adorent & ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque[137]: ils vivent comme bestes bruttes, ils ont bien quelque respect au Diable, ou d'un nom semblable, ce qui est doubteux, parce que soubs ce mot qu'ils prononcent, sont entendus diverses significations & comprend en soy plusieurs choses: de façon que mal-aisément peut-on sçavoir, & discerner s'ils entendent le Diable, ou une autre chose, mais ce qui fait plustost croire estre le Diable, qu'ils entendent, est que lors qu'ils voyent un homme faisant quelque chose extraordinaire, ou est plus habille que le commun, ou bien est vaillant guerrier, ou d'ailleurs en furie, comme hors de la raison, & de soy-mesme, ils l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit sçavant, ou un grand Diable [138]. [Note 137: «Ils ne recognoissent, dit Sagard, & n'adorent aucune vraye Divinité, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions sçavoir, car encore bien qu'ils tiennent tous en général Youskeha pour le premier principe & Créateur de tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes prières, offrandes, ny sacrifices comme à Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux le tiennent fort impuissant au regard de nostre Dieu, duquel ils admiroient les oeuvres.» (Hist. du Canada, p. 494.)] [Note 138: « Ils ont bien, dit Sagard, quelque respect particulier à ces démons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme manière que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant est abominable l'un, comme l'autre est vénérable. Aussi ont-ils le bon & le mauvais Oki, tellement qu'en prononçant ce mot Oki ou Ondaki, sans adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut signifier un grand Ange, un Prophète ou une Divinité, aussi bien qu'un grand diable, un Médecin, ou un esprit furieux & possedé. Ils nous y appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des choses qui surpassoient leur capacité & les faisoient entrer en admiration, qui estoit chose aysée veu leur ignorance.» (Hist. du Canada, p. 494, 495.)] 87/575 Quoy que ce soit, ils ont de certaines personnes, qui sont les Oqui, ou Manitous, ainsi appellez par les Algommequins & Montagnais, & ceste sorte de gens font les Médecins pour guarir les mallades, & pencer les blessez: prédire les choses futures, au reste toutes abusions illusions du Diable, pour les tromper, & decevoir. Ces Oquis, ou devins, leur persuadent, & à leurs patients, & mallades, de faire, ou faire faire des festins, & quelques cérémonies, pour étire plustost guaris, & leur intention est affin d'y participer, & en tirer la meilleure part, & soubs esperance d'une plus prompte guarison leur faire faire plusieurs autres cérémonies, que je diray cy-aprés en son lieu. Ce sont ceux-là en qui ils croyent le plus, mais d'estre possedez du Diable, & tourmentez comme d'autres Sauvages plus eslongnez qu'eux, c'est ce qui se voit fort rarement, qui donne plus d'occasion, & subject de croire leur réduction en la cognoissance de Dieu plus facille, si leur pays estoit habitué de personnes qui prissent la peine, & le soing, de leur enseigner, & ce n'est pas assez d'y envoyer des Religieux, s'il n'y a des gens pour les maintenir, & assister: car encores que ces peuples ayent le desir aujourd'huy de cognoistre que c'est que de Dieu, le lendemain ceste volonté leur changera, quand il conviendra oster, & suprimer, leurs salles coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs libertez incivilles: De façon qu'il faut des peuples, & des familles, pour les tenir en debvoir, & avec douceur les contraindre à faire mieux, & par bons exemples les esmouvoir à correction de vie. Le Père Joseph, & moy, les avons maintesfois 88/576 entretenu sur ce qui estoit de nostre créance, loix, & coustumes: ils escoutoient avec attention en leurs conseils, nous disans quelquefois, tu dis choses qui passe nostre esprit, & que ne pouvons comprandre par discours, comme chose qui surpasse nostre entendement: Mais si tu veus bien faire est d'habiter ce pays, & amener femmes, & enfans, lesquels venant en ces régions, nous verrons comme tu sers ce Dieu que tu adore, & de la façon que tu vis avec tes femmes, & enfans, de la manière que tu cultive les terres, & en semant[139], & comme tu obeys à tes loix, & de la façon que l'on nourrit les animaux, & comme tu fabrique tout ce que nous voyons sortir de tes inventions: Ce que voyant, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt à ouyr discourir, & si nous ne pouvons comprandre, tu prendras nos enfans, qui seront comme les tiens: & ainsi jugeant nostre vie miserable, au pris de la tienne, il est aisé à croire que nous la prenderont, pour laisser la nostre: leurs discours me sembloit d'un bon sens naturel, qui montre le desir qu'ils ont de cognoistre Dieu. C'est un grand dommage de laisser perdre tant d'hommes & les voir périr à nos portes, sans leur donner secours, qui ne peut estre sans l'assistance des Roys, Princes, & Ecclesiastiques, qui seuls ont le pouvoir de ce faire: Car aussi en doibvent-ils seuls emporter l'honneur d'un si grand oeuvre, à sçavoir de planter la foy Chrestienne en un pays incognu, & barbare, aux autres nations, estant bien informé de ces peuples, comme nous sommes, qu'ils ne respirent, & ne désirent autre chose que d'estre plainement instruits de 89/577 ce qu'il leur faut suivre & éviter, c'est donc à ceux qui ont le pouvoir d'y travailler, & y contribuer de leur abondance, car un jour ils respondront devant Dieu de la perte de tant d'âmes qu'ils laissent périr par leur négligence & avarice, car ils ne sont pas peu, mais en très-grand nombre: or ce sera quand il plaira à Dieu de leur en faire la grâce, pour moy j'en desire plustost l'effect aujourd'huy que demain, pour le zelle que j'ay à l'advancement de la gloire de Dieu, à l'honneur de mon Roy, au bien, & réputation de ma patrie. [Note 139: Le manuscrit de l'auteur portait vraisemblablement: _& ensemance_.] Pour ce qui est des mallades, celuy, ou celle, qui sera frappé, ou attaint de quelque malladie, mandera quérir l'Oqui, lequel venu qu'il sera, visitera le mallade, & apprendra, & s'instruira de son mal, & de sa douleur: cela fait ledit Oqui envoyera quérir un grand nombre d'hommes, femmes, & filles, avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonné par ledict Oqui, & entrant en leurs cabannes en dançant, avec chacune une peau d'ours sur la teste, ou d'autres bestes, mais celles d'ours est la plus ordinaire, n'en ayant point de plus monstrueuse, & y aura deux ou trois autres vieilles qui seront proches de la mallade, ou patiente, qui est le plus souvent mallade par hypocrisie ou fausse imagination: mais de cette malladie elles sont bientost guaries, & lesquelles le plus souvent font les festins aux despens de leurs amis, ou parens, qui leur donnent dequoy mettre en leur chaudière, outre celles qu'ils reçoivent des presents des danceurs, & danceuses comme de la pourceline, & autre bagatelles, ce qui faict qu'elles 90/578 sont bien-tost guaries: car comme ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'elles ont peu amasser, car d'autres bien mallades mal-aisément se guarissent-elles de tels jeux, & dances, & façons de faire. Et pour retourner à mon propos, les vieilles qui sont proches de la mallade reçoivent les presens, chantans chacune à son tour, & puis ils cessent de chanter, & alors que tous les presens sont faicts, ils commancent à lever leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensembles, & frappant à la mesure avec des bastons sur des escorces d'arbres seiches, alors toutes les femmes, & filles, commancent à se mettre au bout de la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet, ou d'une mascarade: les vieilles marchans devant avec leurs peaux d'ours sur leurs testes, & toutes les autres les suivent l'une après l'autre. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque mesure, l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dançoit le Trioly de Bretagne. Ils ont assez bonne grâce en dançant, il se met souvent avec elles de jeunes hommes, & après avoir dancé une heure, ou deux, les vieilles prendront la mallade pour dancer qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en dance, ou estant, après quelque espace de temps elle dancera, & s'esjouyra aussi bien que les autres: Je vous laisse à penser comme elle se doibt porter en sa malladie. Cy-dessoubs est la forme de leurs dances. [Illustration p. 578] Le Médecin y acquiert de l'honneur, & de la réputation, de voir si tost sa patiente guarie, & debout: ce qui ne se faict pas à celles qui sont mallades à l'extrémité, & accablez de langueur, 91/579 ains plustost ceste espece de médecine leur donne la mort plustost que la guarison: car je vous assure qu'il font quelquesfois un tel bruict, & tintamarre, depuis le matin jusques à deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Quelquesfois il prendra bien envie au patient de faire dancer les femmes, & filles, toutes ensemble, mais ce sera par l'ordonnance de l'Oqui, & ce n'est pas encores le tout, car luy & le Manitou, accompagnez de quelques autres, feront des singeries, & des conjurations, & se tourneront tant, qu'ils demeureront le plus souvent comme hors d'eux-mesme, comme fols & insensez, jettent le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeant des charbons ardans, les tenant en leurs mains un espace de temps, jettant aussi des cendres toutes rouges sur les yeux des autres spectateurs, & les voyans en cet estat, on diroit que le Diable Oqui, ou Manitou, si ainsi les faut appeller, les possedent, & les font tourmenter de la sorte. Et ce bruit, & tintamarre, ainsi faict ils se retirent chacun chez soy, & ceux qui ont bien de la peine durant ce temps, ce sont les femmes des possedez, & tous ceux de leurs cabannes, pour la crainte qu'ils ont que ces enragez ne bruslent tout ce qui est dedans leurs maisons, ce qui les induit à oster tout ce qui est en voye, car lors qu'il arrive, il vient tout furieux, les yeux estincellans, & effroyables, quelquesfois debout, & quelquesfois assis, ainsi que la fantaisie les prend: aussi-tost une quinte le prendra, empoignant tout ce qu'il trouvera, & rencontrera, en son chemin, le jette d'un costé, & 92/580 d'autre, & puis se couche, où il s'endort quelque espace de temps, & se réveillant en sursault, prend du feu, & des pierres, qu'il jette de toutes parts, sans aucun esgard, ceste furie se passe par le sommeil qui luy reprend, & lors il fait furie, ou il appelle plusieurs de ses amis, pour suer avec luy, qui est le remède qu'ils ont le plus propre pour se continuer en leur santé, & cependant qu'ils suent, la chaudière trotte pour accommoder leur manger, après avoir esté quelquefois deux ou trois heures enfermez avec de grandes escorces d'arbres, couverts de leurs robbes, ayans au milieu d'eux grande quantité de cailloux, qu'ils auront fait rougir dans le feu, & tousjours chantent, durant qu'ils sont en furie, & quelquesfois ils reprennent leur vent: on leur donne force pottées d'eau pour boire, d'autant qu'ils sont fort altérez, & tout cela faict, le demoniacle fol, ou endiablé, devient sage: Cependant il arrivera que trois, ou quatre, de ces mallades s'en trouveront bien, & plustost par heureuse rencontre, & d'advanture, que par science, ce qui leur confirme leur fauce créance, pour estre persuadez qu'ils sont guaris par le moyen de ces cérémonies, sans considerer que pour deux qu'ils en guerissent, il en meurt dix autres par leur bruict & grand tintamarre, & soufflements qu'ils font, qui est plus capable de tuer, que de guarir un mallade: mais quoy ils esperent recouvrir leur santé par ce bruict, & nous au contraire par le silence & repos, c'est comme le diable fait tout au rebours de bien. Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, mais ils ne font tant de mal, ils marchent à quatre pattes, comme bestes: ce que voyant, ce 93/581 Magicien appelle l'Oqui, commance à chanter, puis avec quelques mines la soufflera, luy ordonnant à boire de certaines eaues, & qu'aussitost elle face un festin, soit de poisson, ou de chair, qu'il faut trouver, encores qu'il toit rare pour lors, neantmoins est aussitost fait. La crierie faite, & le banquet finy, ils s'en retournent chacun en sa cabanne, jusques à une autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec plusieurs autres, appellez pour cet effect, tenans en la main une tortue seiche, remplie de petits cailloux qu'ils font servir[140] aux oreilles de la mallade, luy ordonnant qu'elle doit faire 3 ou 4 festins tout de suitte, une partie de chanterie, & dancerie, où toutes les filles se trouvent parées, & paintes, comme j'ay representé en la figure G. Ledit Oqui ordonnera qu'il se face des mascarades, & soient desguisez, comme ceux qui courent le Mardy gras par les rues, en France: ainsi ils vont chanter prés du lict de la mallade, & se promènent tout le long du Village cependant que le festin se prépare pour recevoir les masques qui reviennent bien las, ayans pris assez d'exercice pour vuider le Migan de la chaudière. [Note 140: Lisez _sonner_.] Leurs coustumes sont, que chacun mesnage vit de ce qu'il peut pescher & semer, ayant autant de terre comme il leur est necessaire: ils la desertent avec grand'peine, pour n'avoir des instruments propres pour ce faire: une partie d'eux esmondera les arbres de toutes ses branches qu'ils font brusler au pied dudit arbre pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre entre les arbres, & puis sement leur bled de pas en pas, où ils 94/582 mettent en chacun endroict quelques dix grains, ainsi continuant jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre ans de provision, craignant qu'il ne leur succede quelque mauvaise année. Ces femmes ont le soing de semer, & cueillir, comme j'ay dict cy-devant, & de faire la provision de bois pour l'hyver, toutes les femmes s'aydent à faire leur provision de bois, qui[141] font dés le mois de Mars, & Avril, & est avec cet ordre en deux jours. Chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire, & si il se marie une fille, chacune femme, & fille, est tenue de porter à la nouvelle mariée un fardeau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle ne le pourroit faire seulle, & hors de saison qu'il faut vacquer à autre chose. Le gouvernement qui est entr'eux est tel, que les anciens & principaux s'assemblent en un conseil, où ils décident, & proposent, tout ce qui est de besoing, pour les affaires du Village: ce qui se fait par la pluralité des voix[142], ou du conseil de quelques-uns d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement, & meilleur que le commun: Il est prié de la compagnie de donner son advis sur les propositions faites, lequel advis est exactement suivy: Ils n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillants qu'il nommera[143] Cappitaines par honneur, & un respect, & desquels il se trouve plusieurs en un Village: bien est-il vray 95/583 qu'ils portent à quelqu'un plus de respect qu'aux autres, mais pour cela il ne faut qu'il s'en prevalle, ny qu'il se doibve estimer plus que ses compagnons, si ce n'est par vanité. Quant pour les chastiments, ils n'en usent point, ny aussi de commandement absolu, ains ils font le tout par prières des anciens, & à force de harangues, & remonstrances, ils font quelque chose, & non autrement, ils parlent tous en général, & là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de faire quelque chose pour le bien du Village, ou aller en quelque part pour le service du commun, on fera venir celuy là qui s'est ainsi offert, & si on le juge capable d'exécuter ce desseing proposé, on luy remonstre par belles, & bonnes parolles, son debvoir: on luy persuade qu'il est homme hardy, propres aux entreprises, qu'il aquerra de l'honneur à l'exécution d'icelles: bref les flattent par blandissements, affin de luy continuer, voire augmenter ceste bonne volonté qu'il a au bien de ses Concitoyens: or s'il luy plaist il accepte la charge, ou s'en excusera, mais peu y manquent, d'autant que de là ils sont tenus en bonne réputation: Quant aux guerres qu'ils entreprennent, ou aller au pays des ennemis, ce seront deux, ou trois, des anciens, ou vaillans Cappitaines, qui entreprendront cette conduitte pour ceste fois, & vont aux Villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en donnant des presents à ceux desdits Villages, pour les obliger d'aller, & les accompagner à leursdictes guerres, & par ainsi sont comme généraux d'armées: ils designent le lieu où ils veullent aller & disposent des prisonniers qui sont pris, & autres choses de plus grande consequence, dont ils ont l'honneur s'ils font 96/584 bien, s'ils font mal le deshonneur, à sçavoir de la guerre leur en demeure [144], n'ayant veu, ny recognu, autres que ces Cappitaines pour chefs de ces nations (145). Plus ils font des assemblées generalles, sçavoir des régions loingtaines, d'où il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, & se trouvent en une ville qu'ils nomment, qui est le randés-vous de toute l'assamblée, où il se faict de grands festins, & dances, 97/585 durant trois [146] sepmaines, ou un mois, selon qu'ils advisent entre eux, & là contractent amitié de nouveau, décidant & ordonnant ce qu'ils advisent, pour la conservation de leur pays, contre leurs ennemis, & là se donnent aussi de grands presents les uns aux autres, & après avoir fait ils se retirent chacun en son quartier. [Note 141: Qu'ils.] [Note 142: «Qu'ils colligent, ajoute Sagard, avec de petits fétus de joncs.» (Hist., p. 421.)] [Note 143: Qu'ils nomment.] [Note 144: Dans l'édition de 1627, on a retouché ce passage de la manière suivante: _dont ils ont l'honneur s'ils font bien, s'ils font mal le deshonneur, à sçavoir de la victoire ou du courage, n'en ayant veu,_ etc. Cette correction ne nous paraît pas heureuse; aussi est-il probable qu'elle n'a pas été faite, ni même suggérée par l'auteur, de même que la plupart des autres changements qui ont été faits dans cette édition de 1627. On sait que Champlain passa toute cette année 1627 au Canada, occupé de bien autre chose que de corrections d'épreuves.] [Note 145: Cette dernière phrase devrait être détachée de ce qui précède. Voici comment le P. Brebeuf complète et en même temps apprécie la relation de Champlain sur cette matière: «Je ne parle point de la conduite qu'ils tiennent en leurs guerres, & de leur discipline militaire, cela vient mieux à Monsieur de Champlain qui s'y est trouvé en personne, & y a commandé; aussi en a-t'il parlé amplement, & fort pertinemment, comme de tout ce qui regarde les moeurs de ces nations barbares... Pour ce qui regarde l'autorité sde commander, voicy ce que j'en ay remarqué. Toutes les affaires des Hurons se rapportent à deux chefs: les unes sont comme les affaires d'Estat, soit qu'elles concernent ou les citoyens, ou les Estrangers, le public ou les particuliers du Village, pour ce qui est des festins, danses, jeux, crosses, & ordre des funérailles. Les autres sont des affaires de guerre. Or il se trouve autant de sortes de Capitaines que d'affaires. Dans les grands Villages il y aura quelquefois plusieurs Capitaines tant de la police, que de la guerre, lesquels divisent entre eux les familles du Village, comme en autant de Capitaineries; on y void mesme par fois des Capitaines, à qui tous ces gouvernemens se rapportent à cause de leur esprit, faveur, richesses, & autres qualitez, qui les rendent considerables dans le Pays. Il n'y en a point, qui en vertu de leur élection soient plus grands les uns que les autres. Ceux là tiennent le premier rang, qui se le sont acquis par leur esprit, éloquence, magnificence, courage, & sage conduite, de sorte que les affaires du Village s'addressent principalement à celuy des Capitaines, qui a en luy ces qualitez; & de mesme en est-il des affaires de tout le Pays, où les plus grands esprits sont les plus grands Capitaines, & d'ordinaire il n'y en a qu'un qui porte le faix de tous. C'est en son nom que se passent les Traictez de Paix avec les Peuples estrangers; le Pays mesme porte son nom... Il faut qu'un Capitaine fasse estat d'estre quasi toujours en campagne: si on tient Conseil à cinq ou six lieues pour les affaires de tout le Pays, Hyver ou Esté en quelque saison que ce soit il faut marcher: s'il se fait une Assemblée dans le Village, c'est en la Cabane du Capitaine: s'il y a quelque chose à publier, c'est à luy à le faire; & puis le peu d'authorité qu'il a d'ordinaire sur ses sujets, n'est pas un puissant attrait pour accepter cette charge. Ces Capitaines icy ne gouvernent pas leurs sujets par voye d'empire, & de puissance absolue; ils n'ont point de force en main, pour les ranger à leur devoir. Leur gouvernement n'est que civil, ils representent seulement ce qu'il est question de faire pour le bien du Village, ou de tout le Pays. Après cela se remue qui veut. Il y en a neantmoins, qui sçavent bien se faire obeyr, principalement quand ils ont l'affection de leurs sujets.» (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. VI.)] [Note 146: L'édition de 1627 porte _cinq_.] Pour ce qui est de l'enterrement des deffuncts, ils prennent le corps du décédé, l'enveloppent de fourreures, le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne, couverte d'escorces d'arbres, de la longueur du corps: autres qu'ils mettent en terre, où de tous costez la soustiennent, de peur qu'elle ne tombe sur le corps & la couvrent d'escorces d'arbres, mettans de la terre par dessus, & aussi sur icelle fosse font une petite cabanne. Or il faut entendre que ces corps ne sont en ces lieux ainsi inhumez que pour un temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du Village adviseront le lieu où se doibvent faire leurs cérémonies, ou pour mieux dire, ils tiennent un conseil général, où tous ceux du païs assistent pour dessigner le lieu où se doibt faire la feste. Ce fait, chacun s'en retourne à son Village, & prennent tous les ossements des deffuncts, qu'ils nettoyent, & rendent fort nets, & les gardent soigneusement, encores qu'ils sentent comme des corps fraischement enterrez: ce fait, tous les parents, & amis des deffuncts, prennent lesdicts os avec leurs colliers, fourreures, haches, chaudières, & autres choses qu'ils estiment de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au lieu destiné, & estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un 98/586 lieu, où ceux de ce village en ordonnent, faisant des festins, & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, & pendant icelle les autres nations de toutes parts y abordent, pour voir ceste feste, & les cérémonies qui s'y font, & qui sont de grands frais entr'eux. Or par le moyen de ces cérémonies, comme dances, festins, & assemblées ainsi faictes, ils contractent une nouvelle amitié entr'eux, disans que les os de leurs parents, & amis, sont pour estre mis tous ensemble, posant une figure, que tout ainsi que leurs os sont assemblez & unis en un mesme lieu, ainsi aussi que durant leur vie ils doivent estre unis en une amitié, & concorde, comme parents, & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os des uns & des autres parents & amis, estans ainsi meslez ensemble, font plusieurs discours sur ce subject, puis après quelques mines, ou façons de faire, ils font une grande fosse de dix thoises en quarré, dans laquelle ils mettent cesdits os avec les colliers, chaisnes de pourcelines, haches, chaudières, lames d'espées, cousteaux, & autres bagatelles, lesquelles neantmoins ne sont pas de petite valleur parmy eux, & couvrent le tout de terre, y mettant plusieurs grosses pièces de bois, avec quantité de pilliers qu'ils mettent à l'entour, faisant une couverture sur iceux. Voila la façon dont ils usent, pour les morts, c'est la 99/587 plus grande cérémonie qu'ils ayent entr'eux[147]: Aucuns d'eux croyent l'immortalité des âmes, autre partie en doubtent, & neantmoins ils ne s'en esloignent pas trop loing, disans qu'après leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme les corbeaux, mais ce chant est bien différent de celuy des Anges. En la page suivante est representé leurs tombeaux, & de la façon qu'ils les enterrent. [Note 147: «La feste des Morts,» dit le P. Brebeuf, «est la cérémonie la plus célèbre qui soit parmy les Hurons; ils luy donnent le nom de festin, d'autant que, comme je diray tout maintenant, les corps estans tirez des Cimetières, chaque Capitaine fait un festin des âmes dans son Village: le plus considerable & le plus magnifique est celuy du Maistre de la Feste, qui est pour ceste raison appellé par excellence le Maistre du festin. Cette Feste est toute pleine de cérémonies, mais vous diriez que la principale est celle de la chaudière, cette-cy étouffe toutes les autres, & on ne parle quasi de la feste des Morts, mesmes dans les Conseils les plus serieux, que sous le nom de chaudière: ils y approprient tous les termes de cuisine; de sorte que pour dire avancer ou retarder la feste des Morts, ils diront déliter, ou attiser le feu dessous la chaudière: & quand on est sur ces termes, qui diroit la chaudière est renversée, ce feroit à dire, il n'y aura point de feste des Morts.» (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. IX.) Le même Père, qui fut témoin de la grande fête des Morts de 1636, rapporte toutes les circonstances de cette cérémonie, lesquelles sont parfaitement d'accord avec ce que dit ici Champlain :«Retournant de ceste feste,» ajoute-t-il, «avec un Capitaine qui a l'esprit fort bon, & est pour estre quelque jour bien avant dans les affaires du Païs, je luy demanday pourquoy ils appelloient les os des morts _Atisken_. Il me repondit du meilleur sens qu'il eust, & je recueilly de son discours, que plusieurs s'imaginent que nous avons deux âmes, toutes deux divisibles & matérielles, & cependant toutes deux raisonnables; l'une se separe du corps à la mort, & demeure neantmoins dans le Cimetière jusques à la feste des Morts, après laquelle, ou elle se change en Tourterelle, ou selon la plus commune opinion, elle s'en va droit au village des âmes. L'autre est comme attachée au corps & informe, pour ainsi dire, le cadavre, & demeure en la fosse des morts, après la feste, & n'en fort jamais, si ce n'est que quelqu'un l'enfante de rechef. Il m'apporta pour preuve de cette metempsychose, la parfaite ressemblance qu'ont quelques-uns avec quelques personnes défuntes; Voila une belle Philosophie. Tant y a, que voila pourquoy ils appellent les os des morts, _Atisken_, les âmes.» (_Ibid._)] [Illustration p. 587a] Reste de sçavoir comme ils passent le temps en hyver, à sçavoir depuis le mois de Décembre, jusques à la fin de Mars, qui est le commencement de nostre Printemps, & que les neiges sont fondues, tout ce qu'ils pourroient faire durant l'Automne, comme j'ay dict cy-dessus, ils le reservent à faire durant l'hyver, à sçavoir leurs festins & dances ordinaires en la façon qu'ils les font, pour, & en faveur des malades, comme j'ay representé cy-dessus, & ce, convient les habitans d'un village à l'autre, & appelle-on ces festins de chanteries, & dances, _Tabagis_[148], où se trouveront quelquesfois cinq 100/588 cents personnes, tant hommes que femmes, & filles, lesquels y vont bien attifées, & parées, de ce qu'elles ont de beau & plus précieux, & à certains jours ils font des mascarades, & vont par les cabannes les uns des autres, demandans les choses qu'ils auront en affection, & s'ils se rencontre qu'ils l'ayent, à sçavoir la chose demandée, ils la leur donnent librement, & ainsi demanderont plusieurs choses, jusques à l'infiny, de façon que tel de ces demandeurs auront des robbes de Castors, d'Ours, de Cerfs, de Loups cerviers, & autres fourreures, Poisson, bled d'Inde, Pethun, ou bien des chauderons, chaudières, pots, haches, serpes, cousteaux & autres choses semblables, allans aux maisons, & cabannes du Village chantants (ces mots) un tel m'a donné cecy, un autre m'a donné cela, & telles semblables parolles par forme de louange: & s'ils voyent qu'on ne leur donne rien, ils se faschent, & prendra tel humeur à l'un d'eux, qu'il tordra hors la porte, & prendra une pierre & la mettera auprès de celuy, ou celle, qui ne luy aura rien donné, & sans dire mot s'en retournera chantant, qui est une marque d'injure, reproche, & mauvaise volonté. Les femmes y vont aussi bien que les hommes & ceste façon de faire se faict la nuict, & dure ceste mascarade sept ou huict jours. Il se trouve aucuns de leurs villages qui tiennent, & reçoivent les momons, ou fallots[149], comme nous 101/589 faisons le soir du Mardy gras, & dément les autres villages à venir les voir & gaigner leurs ustancilles, s'ils peuvent, & cependant les festins ne manquent point, voila comme ils passent le temps en hyver: aussi que les femmes filent[150], & pilent des farines pour voyager en esté pour leurs maris qui vont en traffic à d'autres nations, comme ils ont délibéré ausdits conseils, sçavoir la quantité des hommes qui doibvent partir de chaque village pour ne les laisser desgarny d'hommes de guerres, pour se conserver, & nul ne sort du païs sans le commun consentement des chefs, bien qu'ils le pourroient faire, mais ils seroient tenus comme mal appris. Les hommes font les rets pour pescher, & prendre le poisson en esté comme en hyver, qu'ils peschent ordinairement, & prennent le poisson jusques soubs la glace à la ligne, ou à la seine. [Note 148: Ce mot tabagie n'est pas d'origine huronne. Il était employé parmi les nations algonquines, montagnaises et en général parmi les sauvages du bas du fleuve. Suivant le P. Brebeuf, les Hurons avaient quatre espèces principales de festins: _l'athatayon_, festin d'adieu; _l'enditeuhoua_, festin de réjouissance; _l'atourontoachien, festin de chanterie, et l'aoutaerohi, qui se faisait pour la délivrance de certaine maladie. (Relat. 1636.)] [Note 149: «Ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages,» dit Sagard, «ce que nous appelons en France porter les momons: car ils deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir, jouer avec eux, & gaigner leurs ustencilles, s'il eschet, & cependant les festins ne manquent point.» (Grand Voyage du pays des Hurons, p. 124.)] [Note 150: «Elles ont, dit Sagard, l'invention de filer le chanvre sur leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce filet les hommes en lassent leurs rets & filets.» (Grand Voy., p. 131.)] Et la façon de ceste pesche est telle, qu'ils font plusieurs trous en rond sur la glace & celuy par où ils doibvent tirer la seine à quelque cinq pieds de long, & trois pieds de large, puis commancent par ceste ouverture à mettre leur filet, lesquels ils attachent à une perche de bois, de six à sept pieds de long, & la mettent dessoubs la glace, & font courir ceste perche de trou en trou, où un homme, ou deux, mettent les mains par les trous, prenant la perche où est attaché un bout du filet, jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq à six pieds. Ce faict, ils laissent cou lier le rets au fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites 102/590 pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent à force de bras par les deux bouts, & ainsi amènent le poisson qui se trouve prins dedans. Voila la façon en bref comme ils en usent pour leur pesche en hyver. L'hyver commance au mois de Novembre, & dure jusques au mois d'Avril, que les arbres commancent à pousser leur ceve dehors, & à montrer le bouton. Le 22e jour du mois d'Avril, nous eusmes nouvelles de nostre truchement, qui estoit allé à Carentoüan par ceux qui en estoient venus, lesquels nous dirent l'avoir laissé en chemin, & s'en estoit retourné au Village pour certaines considerations qui l'avoient meu à ce faire [151]. [Note 151: Les aventures d'Étienne Brûlé sont rapportées un peu plus loin.] Et reprenant le fil de mes discours, nos Sauvages s'assemblerent pour venir avec nous, & reconduire à nostre habitation, & pour ce faire nous partismes[152] de leur pays le vingtiesme jour dudit mois[153], & fusmes quarante jours sur 103/591 les chemins, & pechasmes grande quantité de poisson & de plusieurs especes, comme aussi nous prismes plusieurs sortes d'animaux, avec du gibier, qui nous donna un singulier plaisir, outre la commodité que nous en receusmes par le chemin, jusques à ce que nous arrivasmes à nos François, qui fut sur la fin du mois de juing, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu de France, avec deux vaisseaux, qui desesperoient presque de me revoir, pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des Sauvages, sçavoir que j'estois mort. [Note 152: Tout ce qu'il y avait de Français avec Champlain, y compris le P. le Caron. Il ne manquait apparemment qu'Étienne Brûlé; du moins, on ne trouve nulle part qu'il en soit mort aucun pendant cette expédition, ni pendant l'hiver passé au pays des Hurons.] [Note 153: Le 20 de mai, puisque l'on fut «quarante jours jur les chemins,» et qu'on arriva aux Français sur la fin du mois de juin; c'est ce que confirme, du reste, le passage suivant du Frère Sagard: «Ce bon Père» (le P. le Caron) «partit donc de son village, pour Kebec le 20 de May 1616. dans l'un des Canots Hurons, desstinez pour descendre à la Traicte; & firent tant par leurs diligences qu'ils arriverent aux trois Rivieres le premier jour de juillet ensuivant, où ils trouverent le P. Dolbeau qui si estoit rendu dans les barques des Navires nouvellement arrivées de France pour la mesme Traicte. Après qu'ils se furent entresaluez & rendu les actions de grâces à Dieu nostre Seigneur, le bon Père Dolbeau leur aprit comme dés le 24e jour du mois de Mars passé, il avoit ensepulturé un François nommé Michel Colin, avec les cérémonies usitées en la saincte Eglise Romaine, qui fut le premier qui receut cette grâce là dans le païs... Le 15 du mesme mois,» (de juillet) «le P. Dolbeau donna pour la première fois l'Extreme-onction à une femme nommée Marguerite Vienne, qui estoit arrivée la mesme année dans le Canada avec son mary pensans s'y habituer, mais qui tomba bientost malade après son débarquement, & mourut dans la nuict du 19, puis enterrée sur le soir avec les cérémonies de la saincte Eglise.» (Hist. du Canada, p. 30, 31.)] Nous vismes aussi tous les Pères Religieux [154], qui estoient demeurez à nostre habitation, lesquels aussi furent fort contents de nous revoir, & nous d'autrepart qui ne l'estions pas moins. Toutes réceptions, & caresses, ainsi faictes, je me disposé de partir du sault Sainct Louys, pour aller à nostre habitation, & mené mon hoste appelle d'Arontal avec moy, ayants prins congé de tous les autres Sauvages, & après que je les eu asseurez de mon affection, & que si je pouvois je les verrois à l'advenir pour les assister comme j'avois des-jà faict par le passé, & leur porteroient des presents honnestes, pour les entretenir en amitié, les uns avec les autres, les priant d'oublier toutes les disputes qu'ils avoient eues ensemble, lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent. [Note 154: Cette phrase semble mise ici par anticipation; car, outre qu'il est peu probable qu'aucun des Pères ne fût resté à l'habitation, le texte de Sagard cité à la page précédente, note 3, donne assez à entendre que le P. d'Olbeau monta seul, et ne fut pas plus loin que les Trois-Rivières.] Ce fait, nous partismes le huictiesme jour de Juillet, & arrivasmes à nostre habitation le 11 dudict mois, où estant, je 104/592 trouvay tout le monde en bon estat, & tous ensemble rendismes grâces à Dieu, avec nos Pères Religieux, qui chantèrent le service divin, en le remerciant du soing qu'il avoit eu de nous conserver, & preserver, de tant de périls & dangers, où nous estions trouvez. Après ces choses, & le tout estant en repos, je me mis en debvoir de faire bonne chère à mon hoste d'Arontal, lequel admiroit nostre bastiment, comportement, & façons de vivre, & nous ayant bien consideré, il me dit en particulier qu'il ne mourroit jamais content, qu'il ne vist tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeurance avec nous pour apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie qu'il estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur, & que ce qu'il ne pouvoit comprendre par le discours il l'apprendroit, & beaucoup mieux, & plus facillement par la veue, & fréquentation familière qu'ils auroient avec nous, & que si leur esprit ne pouvoit comprandre l'usage de nos arts, sciences, & mestiers, que leurs enfans qui sont jeunes le pourront faire comme ils nous avoient souvent dict, & representé, en leur pays, en parlant au Père Joseph, & que pour l'advancement de cet oeuvre nous faisions une autre habitation au sault Sainct Louys, pour leur donner la seureté du passage de la riviere pour la crainte de leurs ennemis, & qu'aussi-tost que nous aurions basty une maison ils viendront en nombre à nous pour y vivre comme frères: ce que je leur promis & asseuré, faire à sçavoir une habitation pour eux, au plustost qu'il nous seroit possible. 105/593 Et après avoir demeuré quatre ou cinq jours ensemble, je luy donnay quelques honnestes dons, il se contenta fort, le priant tous-jours de nous aymer, & de retourner voir nostredite habitation, avec ses compagnons, & ainsi s'en retourna contant au sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient. Comme ce Cappit. appellé d'Arontal, fut party d'avec nous nous fismes bastir, fortifier & accroistre nostre-ditte habitation du tiers, pour le moins, par ce qu'elle n'estoit suffisamment logeable, & propre pour recevoir, tant ceux de nostre compagnie, qu'autres estrangers qui nous venoient voir, & fismes le tout bien bastir de chaux, & sable, y en ayant trouvé de tresbonne, en un lieu proche de ladite habitation, qui est une grande commodité pour bastir, à ceux qui s'y voudront porter, & habituer. Les Père Denis, & Père Joseph se délibérèrent de s'en revenir 106/594 en France[155], pour témoigner par deçà tout ce qu'ils avoient veu, & l'esperance qu'ils se pouvoient promettre de la conversion de ces premiers peuples, qui n'attendoient autre secours que l'assistance des bons Pères Religieux, pour estre convertis, & amenez, à nostre foy, & Religion Catholique. [Note l55: «Selon le projet formé dés l'année précédente,» dit le P. le Clercq, «nos Religieux dévoient se trouver à Québec au mois de Juillet de l'année presente, pour faire ensemble un rapport fidel de leurs connoissances, & convenir de ce qu'il y auroit à entreprendre pour la gloire de Dieu. Ils prièrent Monsieur de Champlain d'y assister, le connoissant autant zélé pour l'établissement de la Foi, comme pour le temporel de la Colonie, & six autres personnes des mieux intentionnées. Pour le bien du païs, ils convinrent tous d'un commun accord, des articles suivans, exprimez plus au long dans nos mémoires qui subsistent encore aujourd'huy... Il paroist donc qu'il fut conclu; Qu'à l'égard des nations du bas du Fleuve, & de celles du Nord, qui comprennent les Montagnais, Etéchemins, Betsiamites, & Papinachois, les grands & petits Eskimaux,... il faudroit beaucoup de temps pour les humaniser: Que par le rapport de ceux qui avoient visité les côtes du Sud, les rivières du Loup, du Bic, des Monts Nôtre-Dame, & pénétré même par les terres jusqu'à la Cadie, Cap Breton, & Baye des chaleurs, l'Isle percée, & Gaspé, le païs estoit plus tempéré, & plus propre à la culture, qu'il y auroit des dispositions moins éloignées pour le Christianisme, les peuples y ayant plus de pudeur, de docilité, & d'humanité que les autres. Qu'à l'égard du haut du fleuve, & de toutes les nations nombreuses, des Sauvages, que Monsieur de Champlain, & le Père Joseph avoient visité par eux-mêmes, ou par d'autres,... on ne reussiroit jamais à leur conversion, si avant que de les rendre Chrestiens, on ne les rendoit hommes. Que pour les humaniser il falloit necessairement, que les François se mélassent avec eux, & les habituer parmy nous, ce qui ne se pourroit faire que par l'augmentation de la Colonie, à laquelle le plus grand obstacle estoit de la part des Messieurs de la compagnie, qui pour s'attirer tout le commerce, ne vouloient point habituer le païs, ny souffrir même que nous rendissions les Sauvages sedentaires, sans quoy on ne pouvoit rien avancer pour le salut de ces Infidèles. Que les Protestans, ou Huguenots, ayant la meilleure part au commerce, il estoit à craindre, que le mépris qu'ils faisoient de nos mysteres, ne retardât beaucoup l'établissement de la Foi. Que même le mauvais exemple des François pourroit y estre préjudiciable, si ceux qui avoient authorité dans le païs n'y donnoient ordre. Que la million estoit pénible & laborieuse parmy des nations si nombreuses, & qu'ainsi on avanceroit peu, si on n'obtenoit de Meilleurs de la compagnie un plus grand nombre de Missionnaires defrayez. Nous voyons encore par l'état de leur projet, que tous convinrent qu'il faudrait plusieurs années, & de grands travaux pour humaniser ces nations entièrement grossieres, & barbares, & qu'à l'exception d'un très-petit nombre de sujecs, encore fort douteux, on ne pourroit risquer les Sacremens à des adultes, c'est ce qui se voit encore aujourd'huy; car depuis tant d'années, on a fort peu avancé, quoy qu'on ait beaucoup travaillé. Il paroist enfin qu'il fut conclu qu'on n'avanceroit rien, si l'on ne fortifioit la Colonie d'un plus grand nombre d'Habitans. Laboureurs, & artisans: que la liberté de la traitte avec les Sauvages, fut indifféremment permise à tous les François. Qu'à l'avenir les Huguenots en fussent exclus, qu'il estoit necessaire de rendre les Sauvages sedentaires, & les élever à nos manières, & à nos loix. Qu'on pourroit avec le secours des personnes zélées de France établir un Séminaire, afin d'y élever des jeunes Sauvages au Christianisme, lesquels après pourroient avec les Missionnaires contribuer à l'instruction de leurs compatriotes. Qu'il falloit necessairement soutenir les Millions que nos Pères avoient établies tant en haut qu'au bas du Fleuve, ce qui ne se pouvoit faire, si Messieurs les associez ne temoignoient toute l'ardeur qu'on pouvoit esperer de leur zèle, quand ils feroient informez de tout d'une autre manière, qu'ils ne l'estoient en France par le rapport des commis qu'ils avoient envoyé sur les lieux l'année précédente; Monsieur le Gouverneur, & nos Pères n'ayant pas sujet d'en estre contens. C'est à peu prés l'abbregé des conclusions qui furent prises dans cette petite assemblée de nos Missionnaires, & des personnes les mieux intentionnées pour l'établissement spirituel & temporel de la Colonie; mais comme rien ne se pouvoit faire sans l'aide de la France, Monsieur de Champlain qui avoit dessein d'y passer, pria le P. Commissaire & le P. Joseph de l'y accompagner, pour faire rapport de tout, & obtenir plus efficacement tous les secours necessaires. Ils eurent assez de peine à s'y rendre, mais enfin considerant de quelle importance il estoit de jetter les solides fondemens de leur entreprise, ils se rendirent aux persuasions & aux instances de la compagnie, & disposerent tout pour leur départ.» (Prem, établiss. de la Foy, t. I, p. 91. et s.)] Ce fait, & pendant mon sejour en l'habitation, je fis coupper du bled commun, à sçavoir, du bled François qui y avoit esté semé, & lequel y estoit eslevé tresbeau, affin d'en apporter du grain en France, & tesmoigner que ceste terre est bonne, & fertile: aussi d'autre-part y avoit-il du bled d'Inde fort 107/595 beau, & des antes, & arbres, que nous avoit donné le Sieur du Mons en Normandie: bref tous les jardinages du lieu estants en admirable beauté, semez en poix, febves, & autres légumes, sitrouilles, racines de plusieurs sortes & très-bonnes par excellences, plantez en choux, poirées, & autres herbes necessaires. Nous estans sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux à nostre habitation, à sçavoir le Pères Jean d'Elbeau, & Père Paciffique[156], fort contant de tout le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y attendre le retour du Père Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fist l'année suivante[157]. [Note 156: Le P. Jean d'Olbeau et le Frère Pacifique. (Voir ci-dessus, notes de la page 7.)] [Note 157: Le P. le Caron revint l'année suivante avec le P. Paul Huet; mais le P. Denis Jamay demeura en France. «La Province des Recollets,» dit le P. le Clercq, «offrit assez de sujets; mais Messieurs de la compagnie, allant un peu trop à l'épargne, n'accordèrent place que pour deux. Les Supérieurs jugèrent que le Père Denis cy-devant Commissaire devoit rester en France, parce qu'estant instruit à fonds de l'état du Canada, il pourroit mieux que personne en gérer les affaires, & en procurer les avantages en Cour, & ailleurs. On designa donc le Père Joseph le Caron pour Commissaire des Missions, & parmy le grand nombre de Religieux qui se presentoient, on luy donna le Père Paul Huet pour second.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.)] Nous embarquasmes en nos barques le vingtiesme jour de Juillet, & arrivasmes à Tadoussac le vingt-troisiesme jour dudit mois, & où le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest & appareillé, dans lequel nous ambarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si à propos, que nous arrivasmes à Honfleur en santé, grâces à Dieu, qui fut le 10e jour de Septembre, mil six cents seize, ou estants arrivez, nous rendismes louange & actions de grâces à Dieu, de tant de soing qu'il avoit eu de nous en la conservation de nos vies, & de nous avoir comme arrachez, & tirez, de tant de 108/596 hazards où nous avions esté exposez, comme aussi de nous avoir ramenez & conduits en santé, jusques dans nostre patrie, le priant aussi d'esmouvoir le coeur de nostre Roy & Nosseigneurs de son Conseil, pour y contribuer de ce qui est necessaire de leur assistance, affin d'amender ces pauvres peuples Sauvages à la cognoissance de Dieu, dont l'honneur reviendra à sa Majesté, la grandeur & l'accroissement de son estat, & l'utilité à ses sujects, & la gloire de tous ces desseings, & labeur, à Dieu seul autheur de toute perfection, à luy donc soit honneur, & gloire. Amen[158]. [Note 158: On voit que Champlain avait les sentiments d'un vrai missionnaire; malheureusement les marchands associes n'étaient pas poussés du même zèle. «Messieurs de la societé,» dit Sagard, «furent fort ayse de voir le bon Père Joseph comme une personne de créance, & d'apprendre de luy mesme du succez de son voyage, du bien qu'il leur faisoit esperer pour le spirituel & temporel du païs, & du zèle qu'il avoit pour la conversion des Sauvages, neantmoins avec tout cela, il ne peut obtenir d'eux autre chose qu'un remerciement de ses travaux & une réitération de leur bonne volonté à l'endroit de nos Pères, sans autre effect. C'est ce qui obligea ce bon Père de chercher ailleurs le secours qu'il n'avoit pu trouver en ceux qui y estoient obligez, & de penser de son retour en Canada en la compagnie du P. Paul Huet, puis que de parler de peuplades & de Colonies, estoit perdre temps, & glacer des coeurs des-ja assez peu eschauffez, jusques à ce qu'il pleust à nostre Seigneur inspirer luy mesme les puissances superieures d'y donner ordre, puis que les subalternes n'y vouloient entendre, & ne s'interessoient qu'à leur interest propre.» (Histoire du Canada, p. 32.)] 1617 En 1617, Champlain fit au Canada un voyage, «où il ne se passa rien de remarquable,» dit-il dans l'édition de 1632 (Prem. partie, p. 214.) Cependant nous devons savoir gré au Frère Sagard et au P. le Clercq, de nous en avoir conservé quelques détails. «Monsieur de Champlain de sa part,» dit celui-ci, n'oublioit rien pour soutenir son entreprise, malgré tous les obstacles qu'il y rencontroit à chaque pas, il ne laissa pas de disposer un embarquement plus fort que le précèdent, mais on peut dire que ce qu'il obtint de plus avantageux, fut de persuader le Sieur Hébert de passer en Canada avec toute sa famille qui a produit & produira dans la suite de bons sujets, des plus considerables, & des plus zelez pour la Colonie... Toutes choses estant prestes pour faire voile, on leva l'anchre à Honfleur le 11 Avril 1617. Le vaisseau fut commandé par le Capitaine Morel.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.) La traversée fut longue et orageuse. Arrivés à environ soixante lieues du grand Banc, nos voyageurs se virent entourés de glaces immenses, que le vent et les courants poussaient avec violence contre le vaisseau. Dans la consternation générale, «le Père Joseph, voyant que tout le secours humain n'estoit point capable de les délivrer du naufrage, demanda tres-instament celuy du Ciel par les voeux & les prières qu'il fit publiquement dans le vaisseau. Il conseilla tout le monde & se mit luy-même en état de paroistre devant Dieu. On fut touché de compassion & sensiblement attendri, quand la Dame Hébert éleva par les écoutils le plus petit de ses enfans, afin qu'il receut aussi bien que tous les autres la bénédiction de ce bon Père. Ils n'echaperent que 109/597 par miracle, comme ils le reconnurent par les lettres écrites en France.» (_Ibid._ p. 107.) «On avoit des-ja prié Dieu pour eux à Kebec,» dit Sagard, «les croyans morts & submergez, lors que Dieu leur fist la grâce de les delivrer & leur donner passage pour Tadoussac, où ils arriverent à bon port le 14 jour de juin, après avoir esté treize semaines & un jour en mer dans des continuelles apprehensions de la mort, & si fatiguez qu'ils n'en pouvoient plus... Le P. Joseph monta à Kebec dans les premières barques appareillées, pour aller promptement asseurer les hyvernants de leur delivrance, & comme Dieu avoit eu soin d'eux au milieu de leurs plus grandes afflictions & les avoit protégé.» Sans doute, Champlain partit immédiatement avec le P. le Caron, pour monter à Québec, comme il avait fait au voyage précédent. «Le P. Paul resta à Tadoussac, où il célébra la S. Messe pour la première fois dans une Chappelle qu'il bastit à l'ayde des Mattelots & du Capitaine Morel, avec des rameaux & fueillages d'arbres le plus commodément que l'on peut. Pendant le S. Sacrifice deux hommes décemment vestus estoient à ses costés avec chacun un rameau en main pour en chasser les mousquites & cousins, qui donnoient une merveilleuse importunité au Prestre, & l'eussent aveuglé ou faict quitter le S. Sacrifice sans ce remède qui est assez ordinaire & autant utile que facile. Le Capitaine Morel fist en mesme temps tirer tous les canons de son bord, en action de grâce & resjouissance de voir dire la saincte Messe où jamais elle n'avoit esté célébrée, & après les prières faictes, pour rendre le corps participant de la feste aussi bien que l'esprit, il donna à disner à tous les Catholiques, & l'aprés midy on retourna derechef dans la Chappelle, chanter les Vespres solemnellement, de manière que cet aspre desert en ce jour là fut changé en un petit Paradis, où les louanges divines retentissaient jusques au Ciel, au lieu qu'auparavant on n'y entendoit que la voix des animaux qui courent ces aspres solitudes... Cette Chappelle a subsisté plus de six années sus pied, bien qu'elle ne fust bastie que de perches & de rameaux comme j'ay dit, mais la modestie & retenue de nos Sauvages n'est pas seulement considerable en cela, mais ce que j'admire encore davantage, est: qu'ils ne touchent point aux barques ny aux chalouppes, que les François laissent sur la greve pendant les hyvers, modestie que les François mesme n'auroient peut estre pas en pareille liberté, s'ils n'avoient l'exemple des Sauvages... Les affaires du Capitaine Morel estant expédiées à Tadoussac, on se mist sous voile pour Kebec, où la necessité de toutes choses commençoit à estre grande & importune aux hivernants, qui ne furent neantmoins gueres soulagez par la venue des barques, qui ne leur donnèrent pour tout rafraichissement, à 50 ou 60 personnes qu'ils estoient, qu'une petite barrique de lard, laquelle un homme seul porta sur son espaule depuis le port jusques à l'habitation, de manière qu'avant la fin de l'année, ils tombèrent presque tous malades de la faim, & d'une certaine espece de maladie qu'ils appellent le mal de la terre, qui les rendoit miserables & languissants, & ce par la faute des chefs qui n'avoient pas fait cultiver les terres, ou eu moyen de le faire... Le retour du P. Joseph minuta un autre pareil voyage au P. Dolbeau qui croyoit y pouvoir opérer davantage, & representer mieux les necessitez du païs, mais il eut affaire avec les mesmes esprits, & tousjours aussi mal disposez au bien, & partant n'y fist rien davantage que de perdre ses peines & s'en retourner derechef en Canada en qualité de Commissaire avec le frère Modeste Guines, aussi mal satisfaict de ces Messieurs qu'avoit esté le P. Joseph. Ce peu d'ordre les fist à la fin resoudre de recommander le tout à Dieu, sans se plus attendre aux marchands, & faire de leur costé ce qu'ils pourroient, puis qu'il n'y avoit plus d'esperance de secours. En suitte dequoy un chacun des Religieux se proposa un pieux & particulier exercice avec l'ordre du R. P. Commissaire, les uns d'aller hyverner avec les Montagnais, les autres d'administrer les Sacremens aux François, & ceux qui ne pouvoient davantage chantoient les louanges de nostre Dieu en la petite Chappelle, instruisoient les Sauvages qui les venoient voir, & vacquoient à la saincte Oraison, & à ce qui estoit des fonctions de Religieux. Pendant le voyage du P. Dolbeau, le P. Joseph fist le premier Mariage qui se soit faict en Canada avec les cérémonies de la S. Eglise, entre Estienne Jonquest Normand, & Anne Hébert, fille aisnée du sieur Hébert, qui depuis un an estoit arrivé à Kebec, luy, sa femme, deux filles & un petit garçon, en intention de s'y habituer... » (Hist. du Canada, p. 34-41.) Le P. le Clercq donne à entendre que ce premier, mariage, fait en Canada, eut lieu dans l'automne de 1617. «Après le départ des navires,» dit-il, «le Père Supérieur célébra avec les solemnitez ordinaires, le premier mariage qui se soit fait en Canada. 110/598 Ce fut entre le sieur Estienne Jonquest natif de Normandie, & la fille aisnée du sieur Hébert.» Cependant le texte de Sagard laisse supposer qu'Etienne Jonquest ne se serait marié que dans le printemps de 1618, puisqu'en parlant de Louis Hebert cet auteur remarque qu'il était arrivé à Québec depuis un an. Un autre point ou le P. le Clercq se trouve en désaccord avec le Frère Sagard, c'est le motif du voyage du P. d'Olbeau. D'après celui-ci, comme nous venons de le voir, le P. d'Olbeau aurait entrepris le voyage uniquement par l'espoir de faire mieux que ses devanciers: tandis que suivant le P. le Clercq, «les périls du voyage engagèrent Champlain à demander le P. Jean Dolbeau au Père Commissaire, afin de l'accompagner en France.» (Prem. établiss. de la Foy, l. I, p. 111, 112.) Ce qu'il y a d'assez probable, c'est que Champlain avait à la fois ces deux motifs de demander le P. d'Olbeau. [Illustration] 111/599 [Illustration] _CONTINUATION DES VOYAGES & découvertures faictes en la nouvelle France par ledit Sieur de Champlain, Cappitaine pour le Roy en la Marine du Ponant l'an 1618._ Au commencement de l'année mil six cens dix-huict, le vingt-deuxiesme de Mars je party de Paris, & mon beau frère [159] que je menay avec moy, pour me rendre à Honfleur, havre ordinaire de nostre embarquement, où estant après un long sejour pour passer la contrariété des vents, & retournez en leur bonace & favorables au voyage, nous embarquasmes dans ledit grand vaisseau de ladite association, où commandoit le sieur du Pont-Gravé, & avec un Gentil-homme, appellé le sieur de la Mothe[160], lequel auroit dés auparavant fait voyage avec les Jesuistes aux lieux de la Cadye, où il fut pris par les Anglois, & par eux mené aux Virginies, lieu de leur habitation: & quelque temps après[161] le repasserent en Angleterre, & de là en France, où le desir & l'affection luy augmenta de voyager derechef en ladite nouvelle France, qui luy fist rechercher les 112/600 occasions en mon endroit. Surquoy je l'aurois asseuré d'y apporter mon pouvoir & l'assister envers Messieurs nos associez, comme me promettant qu'ils auroient aggreable la rencontre d'un tel personnage, attendu qu'il leur feroit fort necessaire esdicts lieux. [Note 159: Eustache Boullé, fils de Nicolas Boullé, secrétaire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. Il était âgé alors d'environ dix-huit ans. (State Paper Office, Colonial Séries, vol. V, 34.)] [Note 160: Nicolas de Lamothe-le-Vilin. Il était lieutenant de la Saussaye, à Saint-Sauveur, en 1613. (Edit. 1632, première partie, p. 106, 112.--Relation du P. Biard, ch. XXXV.)] [Note 161: En 1614.] Nostre embarquement ainsi faict, nous partismes dudict lieu de Honfleur le 24e jour de May ensuivant audit an 1618, ayant le vent propre pour nostre route, qui neantmoins ne nous dura que bien peu de jours, qui changea aussi-tost, & fusmes tousjours contrarié de mauvais temps, jusques à arriver sur le grand banc où se font les pescheries du poisson vert, qui fut le troisiesme jour de Juin ensuivant, où estant, nous apperçeusmes au vent de nous quelques bancs de glaces, qui se deschargeoient du costé du Nort, & en attendant le vent commode, nous fismes pescheries de poisson, où il y avoit un grand plaisir, non pour la pesche du poisson seulement, mais aussi d'une sorte d'oiseaux, appellez Fauquets[162], & d'autres sortes qui se prennent à la ligne, comme le poisson, car jettant la ligne, & l'ameçon, garny de foye des morues, qui leur servoit d'appast: ces oiseaux se jettoient à la foulle, & en telle quantité les uns sur les autres, qu'on n'avoit pas le loisir de tirer la ligne hors pour la rejetter, qu'ils se prenoient par le bec, par les pieds, & par les ailles en vollant, & se précipitant sur l'appast, à cause de leur grande avidité, & gourmandise, dont ceste nature d'oiseaux est composée, & en ceste pescherie nous eusmes un extresme contentemens, tant en ceste exercice, 113/601 qu'au grand nombre infiny d'oiseaux, & grande quantité de poisson que nous prismes, fort excellents à manger, & commodes pour un rafraischissement, chose fort necessaire audit vaisseau. [Note 162: Ou plutôt _fouquets_, hirondelles de mer.] Et continuant nostre route le 15e jour dudict mois, nous nous trouvasmes au travers de l'isle percée, & le jour S. Jean[163] ensuivant nous entrasmes au port de Tadoussac, où nous trouvasmes nostre petit vaisseau, arrivé trois sepmaines devant nous, les gents duquel nous dirent que le Sieur des Chesnes qui commandoit en icelle estoit allé à Québec, lieu de nostre habitation, & de là devoit aller aux trois rivieres pour attendre les sauvages qui y debvoient venir de plusieurs contrées pour traicter, comme aussi pour sçavoir ce qu'on debvoit faire, & délibérer, sur la mort advenue de deux de nos hommes de l'habitation, qui perfidement, & par trahison, hommes, furent tuez par deux meschants garçons sauvages, Montaigners, ainsi que ceux dudict vaisseau nous firent entendre, & que ces deux pauvres gents furent tuez allans à la chasse, il y avoit prés de deux ans [164], ayans ceux de ladicte habitation tousjours creu qu'ils s'estoient noyés par le moyen de leur canau, renversé sur eux, jusques à ce que depuis peu de temps l'un desdicts hommes ayant conceu une haine contre les meurtriers, en auroient adverty, & donné l'advis à 114/602 nos gens de ladite habitation, & comment ce meurtre arriva, & le subject d'icelluy, duquel pour aucunes considerations il m'a semblé à propos d'en faire le récit, & de ce qui se passa lors sur ce subject. [Note 163: Le 24 juin.] [Note 164: Suivant Sagard (Hist. du Canada, p. 42), ce meurtre aurait été commis «environ la my-Avril de l'an 1617»: tandis que d'après Champlain, qui fit lui-même comme une espèce d'enquête sur les lieux, la chose se serait passée vers la fin de l'été 1616. Notre auteur a, du moins, la vraisemblance de son côté: car la chasse du gibier, encore aujourd'hui, est extrêmement abondante sur toutes les battures et prairies naturelles de la côte de Beaupré et du cap Tourmente, depuis la fin d'août jusque vers la Toussaint; tandis qu'à la mi-avril, il n'y a jamais beaucoup de gibier, pour la bonne raison que le Chenal du Nord est encore, à cette époque, complètement obstrué de glaces.] Quand au discours de ceste affaire, il est presque impossible d'en tirer la vérité, tant à cause du peu de tesmoignage qu'on en peut avoir eu, que par la diversité des rapports qui s'en sont faits, & la plus grande partie d'iceux par presupposition, mais du moins en rapporteray-je en ce lieu, suivant le récit du plus grand nombre, plus conforme à la vérité, & que j'ay trouvé estre le plus vray-semblable. Le sujet de l'assassin de ces deux pauvres deffuncts est, que l'un de ces deux meurtriers frequentoient ordinairement en nostre habitation, & y recevoit mille courtoisies, & gratiffications, entr'autres du sieur du Parc, Gentilhomme de Normandie, commandant lors audict Québec, pour le service du Roy, & le bien des Marchands de ladite affectation, qui fut en l'année 1616, lequel Sauvage en ceste fréquentation ordinaire, par quelque jalousie receut un jour quelque mauvais traictement de l'un des 2 morts, qui estoit serrurier de son art, lequel sur aucunes parolles bâtit tellement ledict Sauvage, qu'il luy donna occasion de s'en resouvenir, & ne se contentant pas de l'avoir battu, & outragé, il incitoit ses compagnons de faire le semblable: ce qui augmenta d'avantage au coeur ledit Sauvage la haine, & animosité à l'encontre dudit Serrurier, & ses compagnons, & qui le poussa à rechercher l'occasion de s'en venger, espiant le temps, & l'opportunité pour ce faire, se comportant neantmoins 115/603 discrettement & à l'accoustumée, sans faire demonstration d'aucun ressentiment: Et quelque temps après, ledit Serrurier, & un Mathelot, appellé Charles Pillet, de l'isle de Ré, se délibérèrent d'aller à la chasse, & coucher trois ou quatre nuicts dehors, & à cet effect équipperent un canau, & se mirent dedans, partirent de Québec pour aller au Cap de Tourmente, en de petites isles, où grande quantité de gibier, & oiseaux, faisoient leur retraicte, ce lieu estant proche de l'isle d'Orléans, distant de sept lieues dudit Québec, lequel partement des nostres fut incontinent descouvert par lesdits deux sauvages, qui ne tardèrent gueres à se mettre en chemin pour les suivre, & exécuter leur mauvais desseing: En fin ils espierent où ledict serrurier, & son compagnon, iroient coucher, affin de les surprendre: ce qu'ayant recognu le soir devant, & le matin venu, à l'aube du jour, lesdits deux sauvages s'escoulent doucement le long de certaines prairies[165], assez aggreables, & arrivez qu'ils furent à une 116/604 pointe proche du giste de Recerché[166] & de leur canau, mirent pied à terre, & se jetterent en la cabanne, où avoient couché nos gents, & où ils ne trouverent plus que le Serrurier, qui se preparoit pour aller chasser, après son compagnon, & qui ne pensoit rien moins que ce qui luy debvoit advenir: l'un desquels Sauvages s'approcha de luy, & avec quelques douces parolles il luy leva le doubte de tout mauvais soupçon, afin de mieux le tromper: & comme il le vit baissé, accommodant son harquebuse, il ne perdit point de temps, & tira une massue qu'il avoit sur luy cachée, & en donna au Serrurier sur la teste si grand coup, qu'il le rendit chancelant & tout estourdy: Et voyant le Sauvage que le Serrurier vouloit se mettre en deffence, il redouble derechef son coup, & le renverse par terre, & se jette sur luy, & avec un cousteau luy en donna trois, ou quatre, coups dedans le ventre, & le tua ainsi miserablement, & affin d'avoir aussi le Mathelot, compagnon du Serrurier, qui estoit party du grand matin pour aller à la chasse, non pour aucune haine particulière qu'ils luy portassent, mais afin de n'estre découverts, ny accusez par luy. Ils vont le cerchant deçà & delà, en fin le descouvrent par l'ouye d'une harquebusade, laquelle entendue par eux, ils s'advancerent promptement vers le coup, affin de ne donner temps audict Mathelot de recharger son harquebuse, & se mettre en deffence, & s'aprochant de luy, il le tira[167] à coups de flesche, & l'ayant abattu par terre de ces coups, ils courent sur luy, & l'achevent à coups de cousteau. Ce faict, ces 117/605 meurtriers emportent le corps avec l'autre, & les lièrent ensemble, l'un contre l'autre, si bien qu'ils ne se pouvoient separer, après il leur attachèrent quantité de pierres, & cailloux, avec leurs armes, & habits, affin de n'estre descouverts par aucune remarque, & les portèrent au milieu de la riviere, les jettent, & coulent au fonds de l'eau, où ils furent un long-temps, jusques à ce que par la permission de Dieu les cordes se rompirent, & les corps jettez sur le rivage, & si loing de l'eau, que c'estoit une merveille, le tout pour servir de parties complaignantes, & de tesmoins irréprochables à l'encontre de ces deux cruels, & perfides, assassinateurs: car on trouva ces deux corps loing de l'eau, plus de vingt pas dans le bois, encore liez, & garottez, n'ayans plus que les os tous décharnez, comme une carcasse, qui neantmoins ne s'estoient point separez pour un si long-temps, & furent les deux pauvres corps trouvez long-temps après par ceux de nostre habitation, les cherchant & déplorant leur absence le long des rivages de ladite riviere, & ce contre l'opinion de ces deux meurtriers qui pensoient avoir faict leurs affaires si secrettes qu'elles ne se devoient jamais sçavoir, mais comme Dieu ne voulant par sa Justice souffrir une telle meschanceté, l'auroit faict découvrir par un autre sauvage, leur compagnon, en faveur de quelque disgrace par luy receue d'eux, & ainsi les meschants desseings se descouvrent. [Note 165: Cette expression seule montre assez que les deux français passèrent par le Chenal du Nord; car il n'y a point de prairies naturelles du côté du sud de l'île d'Orléans. Et il y a bien de l'apparence que cette «pointe proche du giste recerché,» près de laquelle il y avait «de certaines prairies assez aggreables,» vers le cap Tourmente et proche de l'île d'Orléans, était la pointe du Petit-Cap: c'est dans le voisinage de cette pointe qu'étaient les prairies où Champlain, quelques années plus tard, faisait faire la provision de foin nécessaire à l'habitation. [Note 166: Le manuscrit de l'auteur portait-il du _giste de recerche_, ou _du giste du recerché_, ou enfin _du giste recerché_? Dans ces trois suppositions, le sens serait le même. Mais _Recerché_ ne serait-il pas le nom, peut-être défiguré, du serrurier à qui en voulaient les deux sauvages? C'est ce qui paraît bien difficile à déterminer. Il n'est fait mention, jusqu'à cette époque, que d'un seul serrurier, Antoine Natel, qui découvrit la conspiration tramée contre Champlain en 1608, et qui, pour cette raison, reçut sa grâce; il est possible que la Providence ait réservé une pareille mort à celui qui avait été capable de consentir à un complot si criminel. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Sagard, qui rapporte les choses un peu différemment, et qui a presque l'air de vouloir corriger ou compléter Champlain, ne donne pas non plus le nom de ce serrurier, quoiqu'il ait vu et connu plusieurs témoins oculaires de ces événements.--Dès le second tirage de cette édition, en 1620, on a supprimé les mots de _Recerché_, &, et la phrase se lit ainsi: _...proche du giste, sortants de leur canau..._ Cette même correction subsiste encore dans l'édition de 1627.] [Note 167: Au lieu de ces mots _il le tira_, dans l'édition de 1627, on lit _le tirèrent_.] Ce qui rendit au Père Religieux [168], & ceux de l'habitation, fort estonnez en voyant les corps de ces 2 miserables, ayant 118/606 les os tous découvers, & ceux de la teste brisez des coups de la massue qu'il avoit reçeus des sauvages, & furent lesdicts Religieux, & autres, à l'habitation, d'advis de referrer en quelque part d'icelle, jusques au retour de nos vaisseaux[169], affin d'adviser entre tous les François à ce qui seroit trouvé bon pour ce regard: Cependant nos gens de l'habitation se resolurent de se tenir sur leurs gardes, & de ne donner plus tant de liberté ausdits sauvages, comme ils avoient accoustumé, mais au contraire qu'il falloit avoir raison d'un si cruel assassin par une forme de justice, ou par quelque autre voye, ou pour le mieux attendre nos vaisseaux, & nostre retour, affin d'adviser tous ensemble le moyen qu'il falloit tenir pour ce faire, & en attendant conserver les choses en estat. [Note 168: Pendant l'hivernement 1617-18, le P. le Caron demeura à l'habitation, le P. Paul Huet fut chargé de la mission de Tadoussac, et le Frère Pacifique, de celle des Trois-Rivières. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. III.)] [Note 169: De ce passage, on peut conclure avec assez de vraisemblance, que les corps ne furent retrouvés qu'au printemps de 1618.] Mais les sauvages voyant que leur malice estoit découverte, & eux, & leur assassin, en mauvais odeur aux François, ils entrèrent en deffiance, & crainte, que nos gents n'exerçassent sur eux la vangeance de ce meurtre, se retirèrent de nostre habitation pour un temps, tant les coulpables du faict que les autres convaincus d'une crainte dont ils estoient saisis[170], & ne venoient plus à laditte habitation comme ils avoient accoustumé, attendant quelque plus grande seureté pour eux. [Note 170: Suivant Sagard, il y avait quelque chose de plus grave. «On estoit menacé de huict cens Sauvages de diverses nations, qui s'estoient assemblez és trois rivieres à dessein de venir surprendre les François & leur coupper à tous la gorge, pour prevenir la vengeance qu'ils eussent pu prendre de deux de leurs hommes tuez par les Montagnais... Mais comme entre une multitude il est bien difficile qu'il n'y aye divers advis, cette armée de Sauvages pour avoir esté trop long-temps à se resoudre de la manière d'assaillir les François, en perdirent l'occasion, plus par divine permission, que pour difficulté qu'il y eust d'avoir le dessus de ceux qui estoient des-ja plus que demi morts de faim, & abbatus de foiblesse.» (Hist. du Canada, p. 42.)] 119/607 Et se voyant privez de nostre conversation, & bon accueil accoustumé, lesdicts Sauvages envoyerent un de leurs compagnons, nommé par les François la Ferriere[171], pour faire leurs excuses de ce meurtre, à sçavoir qu'ils protestoient n'y avoir jamais adhéré, ny consenty aucunement, se soubsmettant que si on vouloit avoir les deux meurtriers pour en faire la justice, les autres sauvages le consentiroient volontiers, si mieux les François n'avoient aggreable pour réparation & recompense des morts, quelques honnestes presents des pelletries, comme est leur coustume, & pour une chose qui est irrécupérable: ce qu'ils prièrent fort les François d'accepter plustost, que la mort des accusez qu'ils prevoyoient mesme leur estre de difficille exécution, & ce faisant oublier toutes choses comme non advenues[172]. [Note 1: La Foriere, d'après Sagard, «(que j'ay fort cognu), dit-il, fin & hault entre tous les Sauvages & capable de conduire quelque bonne entreprise.» (Hist. du Canada, p. 42.)] [Note 172: Sagard nous a conservé, sur cette première démarche des sauvages, quelques détails qui complètent ce que dit ici l'auteur. «Ils envoyerent le mesme la Foriere demander pardon & reconciliation avec les François, avec promesse de mieux faire à l'advenir, ce qu'ils obtindrent d'autant plus facilement que la paix estoit necessaire à l'une & à l'autre des parties. En suitte ils envoyerent quarante Canots de femmes & d'enfans pour avoir dequoy manger, disans qu'ils mouroient tous de faim, ce que consideré par ceux de l'habitation, ils leur distribuerent ce qu'ils purent, un peu de pruneaux & rien plus, car la necessité estoit grande par tout entre nous aussi bien qu'entre les Sauvages: laquelle fut cause de nous faire tous filer doux & tendre à la paix. La chose estant réduite a ce point, il ne restoit plus qu'à conclure les articles, mais pource que les Sauvages demeuroient tousjours à leur ancien poste, on envoya sauf conduit à leurs Capitaines pour descendre à Kebec, ou ils arrivèrent chargez de presens & de complimens avec des demonstrations de vraie amitié, pendant que leur armée faisoit alte à demi lieue de là. Les harangues ayans esté faictes & les questions necessaires agitées avec une ample protestation des Montagnais qu'ils ne cognoissoient les meurtriers des François; ils offrirent leurs presens & promirent qu'en tout cas ils satisferoient à ceste mort. Beauchesne & tous les autres François estoient bien d'avis de les recevoir à ceste condition, mais le P. Joseph le Caron & le V. Paul Huet s'y opposerent absolument, disans qu'on ne devoit pas ainsi vendre la vie & le sang des Chrestiens pour des pelleteries, & que ce seroit tacitement autoriser le meurtre, & permettre aux Sauvages de se vanger sur nous & nous mal traicter à la moindre fantasie musquée qui leur prendroit, & que si on recevit quelque chose d'eux, que ce devoit estre seulement en depost, & non en satisfaction, jusques à l'arrivée des Navires, qui en ordonneroient ce que de raison. Ainsi Beauchesne ne receut rien qu'a ceste condition. De plus nos Pères influèrent que les meurtriers devoient estre representez...» (Hist. du Canada, P. 44, 45.)] 120/608 A quoy de l'advis des Pères Religieux fut respondu & conclu, que lesdicts Sauvages ameneroient, & representeroient, les deux mal-faicteurs, affin de sçavoir d'eux leurs complices, & qui les avoit incités à ce faire: ce qu'ils firent entendre audit la Ferriere pour en faire rapport à ses compagnons. Ceste resolution ainsi prise, ledict la Ferriere se retira vers ses compagnons, & leur ayant fait entendre la resolution des François, ils trouverent ceste procédure, & forme de justice à eux fort estrange, & assez difficille, d'autant qu'ils n'ont point de justice establie entr'eux, sinon la vengeance ou la recompense par presens. Et ayant consideré le tout, & consulté ceste affaire entr'eux, ils appellerent les deux meurtriers & leur representerent le malheur où ils s'estoient précipitez, & l'évenement de ce meurtre, qui pourroit causer une guerre perpétuelle avec les François; leurs femmes, & enfans, en pourroient pâtir, quant bien ils nous pourroient donner des affaires, & nous tiendroient serrez en nostre habitation, nous empescheroient de chasser, cultiver, & labourer les terres, que nous sommes en trop petit nombre pour tenir la riviere serrée, comme par leurs discours ils se persuadoient, mais qu'en fin de toutes leurs conclusions il valloit mieux vivre en paix avec lesdict François, qu'en une guerre, & une deffiance perpétuelle, & à ceste cause la compagnie desdicts sauvages finissant le discours, & ayant representé l'intelligence de ces choses ausdits accusez, leur demandent s'ils n'auroient pas bien le courage de se transporter avec nous en ladite habitation des François, & de comparoir devant eux, leur 121/609 promettant qu'ils n'auroient point de mal, que les François estoient doux, & pardonnoient volontiers, bref qu'ils feroient tant envers eux, qu'ils leur remettroient ceste faute, à la charge de ne retourner plus à telle meschanceté, lesquels deux criminels se voyant convaincus en leur conscience, subirent à ceste proposition, & s'accordent de suivre cet advis, suivant lequel, à sçavoir l'un deux qui se prépara, & accommoda, d'habits, & d'ornements à luy possible, comme s'il eust esté invité d'aller aux nopces, ou à quelque feste solemnelle, lequel en ceste equippage vint en laditte habitation, accompagné de son père, & autres des principaux chefs, & Cappitaine de leur compagnie: Quant à l'autre meurtrier, il s'excusa de ce voyage[173], craignant quelque punition estant convaincu en soy-mesme de ce meschant acte. [Note 173: Des Trois-Rivières à Québec. C'est aux Trois-Rivières, suivant Sagard, que s'étaient assemblés les sauvages.] Estans donc entrez en ladicte habitation, qui aussi tost fut circuite d'une multitude de Sauvages de leur compagnie, on leva le pont[174], & chacun des François se mit sur ses gardes, & leurs armes en main faisant bon guet, & sentinelles posées aux lieux necessaires, craignant l'effort des Sauvages de dehors, par ce qu'ils se doubtoient qu'on voulust faire justice actuelle du coulpable, qui si librement s'estoit exposé à nostre mercy, & non luy seulement, mais aussi ceux qui l'avoient accompagné au dedans, lesquels pareillement n'estoient pas trop asseurez de leurs personnes, voyant les 122/610 choses disposées en ceste façon, n'esperoient pas sortir leur vies sauves. Le tout fut assez bien fait, conduit, & exécuté, pour leur faire sentir la grandeur de ce mal, & appréhender pour le futur, autrement il n'y eust eu plus de seureté en eux, que les armes en la main, avec une perpétuelle deffiance. [Note 174: Tout autour de la petite habitation de Québec, régnait un fossé de quinze pieds de large, sur lequel il y avait, du côté du fleuve, un pont-levis, que Champlain avait fait faire dès l'automne de 1608. (Voir le dessin de _l'Abitation de Quebecq_, éd. 1613, ch. IV.)] Ce faict, estans lesdicts sauvages sur l'incertitude de l'évenement de quelque effet contraire à ce qu'ils esperoient de nous, les Pères Religieux commançent à leur faire une forme de harangue sur ce subject criminel, leur representant l'amitié que les François leur avoient portée depuis dix ou douze ans en ça, que nous avions commencé à les cognoistre, & depuis tous-jours vescu paisiblement, & familièrement avec eux, mesme avec telle liberté, qu'elle ne se pouvoit exprimer: & de plus, que je les avois assistez de ma personne par plusieurs fois à la guerre, contre leurs ennemis, & à icelle exposé ma vie pour leur bien, sans qu'au préalable ils nous y eussent obligés aucunement, sinon que nous estions poussez d'une amitié & bonne vollonté envers eux, ayans compassion de leurs miseres & persecutions que leur faisoient souffrir & endurer leurs ennemis. C'est pourquoy nous ne pouvions croire que ce meurtre se fut faict sans leur consentement, veu d'autre part qu'ils entreprenoient de favoriser ceux qui l'ont commis. Et parlant au Père du criminel, il[175] luy represente l'enormité du faict exécuté par son fils, & que pour réparation d'icelle, il meritoit la mort, attendu que par nostre loy un 123/611 tel faict si pernicieux ne demeuroit impuny, & quiconque s'en trouve attaint & convaincu, mérite condemnation de mort, pour réparation d'un si meschant faict, mais pour ce qui regardoit les autres habitants du païs, non coulpables de ce crime, on ne leur vouloit aucun mal, ny en tirer contr'eux aucune consequence. [Note 175: Le P. le Caron, sans doute. (Voir, ci-devant, p. 117, note l.)] Ce qu'ayant tous lesdicts sauvages bien entendu, ils dirent pour toutes excuses, neantmoins avec tout respect, qu'il n'estoient point consentants de ce faict, qu'ils sçavoient très-bien que ces deux criminels meritoient la mort, si mieux on n'aymoient leur pardonner, qu'ils sçavoient bien de fait leur meschanceté, non devant, mais après le coup faict, & la mort de ces deux pauvres miserables, ils en avoient eu l'advis, mais trop tard, pour y remédier, & que ce qu'ils avoient tenu secret, estoit pour tousjours maintenir leur familière conversation, & crédit envers nous, protestant qu'ils en avoient faict aux malfaicteurs de grandes reprimendes, & réputé le malheur qu'ils avoient attiré, non sur eux seulement, mais sur toute leur nation, parents, & amis: surquoy ils leur auroient promis qu'un tel malheur ne leur adviendroit jamais, les priant d'oublier ceste faute, & de ne la tirer en consequence, que ce fait pourroit bien mériter, mais plustost de rechercher la cause première qui a meu ces deux Sauvages d'en venir là, & d'y avoir esgard: d'ailleurs, que librement le present criminel s'estoit venu rendre entre nos bras, non pour estre puny, ains pour y recevoir grâce des François: Neantmoins le père parlant aux Religieux dist en plorant, tien voila mon 124/612 fils qui a commis le delict supposé, il ne vaut rien, mais ayes esgard que c'est un jeune fol & inconsidéré, qui a plustost fait cet acte par folie, poussé de quelque vangeance, que par prudence, il est en toy de luy donner la vie ou la mort, tu en peus faire ce que tu voudras, d'autant que luy, & moy, sommes en ta puissance, & en suitte de ce discours le fils criminel prist la parolle, & se presentant, asseuré qu'il estoit, dit ces mots: L'apprehension de la mort ne m'a point tant saisi le coeur, qu'il m'aye empesché de la venir recevoir pour l'avoir mérité, selon vostre loy, me recognoissant bien coulpable d'icelle: & lors fist entendre à la compagnie la cause de ce meurtre, ensemble le desseing, & l'exécution d'iceluy, selon, & tout ainsi, que je l'ay recité, & representé cy-dessus. Après le récit par luy faict, il s'adresse à l'un des facteurs, & commis des Marchands de nostre association, appelé Beauchaine, le priant qu'il le fist mourir sans autre formalité. Alors les Pères Religieux prirent la parole, & leur dirent que les François n'avoient ceste coustume de faire mourir entr'eux ainsi subittement les hommes, & qu'il en falloit délibérer avec tous ceux de l'habitation, & ceste affaire mise en délibération sur le tapis, fut advisé qu'elle estoit de grande consequence, qu'il la falloit conduire dextrement, & la mesnager à propos, attendant une autre occasion meilleure, & plus seure, pour en tirer la raison, & que pour lors il n'estoit ny à propos, ny raisonnable pour beaucoup de raisons. La première que nous estions foibles, au regard du nombre des Sauvages qui estoit 125/613 dehors & dedans nostre habitation, qui vindicatifs & pleins de vangeance, comme ils sont, eussent peu mettre le feu par tout, & nous mettre en desordre. La deuxiesme raison est, qu'il n'y eust plus eu de seureté en leur conversation, & vivre en perpétuelle deffiance. La troisiesme, que le commerce pourroit estre altéré, & le service du Roy retardé, & autres raisons assez preignantes, lesquelles bien considerées fut advisé qu'il se falloit contenter de ce qu'ils s'estoient mis en leur debvoir, & submis d'y vouloir satisfaire, tant par le père du criminel, l'ayant representé, & offert, à la compagnie, que par luy mesme, à sçavoir le coulpable offrant & exposant sa vie pour réparation de sa faute, mesme que le père offroit le representer toutesfois & quantes qu'il en seroit requis: Ce qu'il failloit tenir pour une espece d'amande honorable, & une satisfaction à justice: que luy remettant ceste faute, non le criminel seullement tiendroit sa vie de nous, mais aussi son père & ses compagnons se tiendroient fort obligez, & que cependant il leur falloit dire par forme d'excuse, & de suject, que puisque le criminel avoit asseuré par affirmation publique, que tous les autres Sauvages n'estoient en rien adherans ny coulpables de ce fait, & qu'avant l'exécution d'iceluy ils n'en avoient eu aucun advis: consideré aussi que librement il s'estoit presenté à la mort, il avoit esté advisé de le rendre à son Père, qui en demeureroit chargé, pour le representer toutesfois & quantes, à la charge aussi que d'ores-en-avant il feroit service aux François, on luy donnoit la vie, pour demeurer luy & tous les Sauvages amis, & serviteurs des François. 126/614 Ceste resolution faite, neantmoins en attendant les vaisseaux de retour de France, pour, suivant l'advis des Cappitaines, & autres, en resoudre deffinitivement, & avec plus d'authorité, leur promettant tous-jours toute faveur, & de leur faire sauver la vie, & cependant pour seureté leur fut dit, qu'ils laisseroient quelques-uns de leurs enfans par forme d'hostage, à quoy ils s'accordèrent fort volontiers, & en laisserent deux[176] à l'habitation, entre les mains desdicts Pères Religieux, qui leur commançerent à montrer les lettres, & en moins de trois mois leur apprirent l'alphabet des lettres, & à les former, qui de là fait juger qu'ils se peuvent rendre propres & docilles à l'érudition, comme le Père Joseph en peut rendre tesmoignage. [Note 176: «L'un nommé Nigamon, & l'autre Tebachi, assez mauvais garçon bien qu'il fust fils d'un bon père, pour le premier il estoit assez bon enfant & se porta tousjours au bien. Nos Pères l'instruisirent à la foy & aux lettres pendant tout un hyver qu'il demeura avec nous, & à l'arrivée des navires il eust esté bien aise d'aller en France pour y vivre parmi les Chrestiens, mais ny luy ny eux ne le peurent obtenir des marchands, non plus que pour plusieurs autres; pour le second il s'enfuit après avoir esté quelque temps à l'habitation, dequoy on ne se mit guère en peine, aussi n'y avoit-il guère d'esperance de pouvoir faire d'un si mauvais garçon un bon Chrestien.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 45, 46.)] Et iceux vaisseaux arrivez à bon port, nous eusmes l'advis du sieur du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme cette affaire s'estoit passée [177], selon le discours cy-dessus, & alors tous ensemble advisasmes qu'il estoit à propos de faire ressentir aux Sauvages l'énormité de ce meurtre, & neantmoins n'en venir à exécution pour aucunes bonnes raisons, voire pour plusieurs considerations qui se pourront dire cy-aprés. [Note 177: Pont-Gravé ne faisant que d'arriver comme Champlain, il nous semble que la phrase doit se lire ainsi: _nous eusmes l'advis, le sieur du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme ceste affaire s'estoit passée._] Et aussi-tost que nos vaisseaux furent entrez au port de 127/615 Tadoussac, mesme dés le lendemain au matin[178], le sieur du Pont, & moy, nous remontasmes en une petite barque du port, de dix à douze tonneaux, comme d'autre-part le sieur de la Mothe, avec le Père Jean d'Albeau[179] Religieux, & l'un des Commis, & Facteur des Marchands, appelle Loquin, s'embarquèrent en une petite Challouppe, & ainsi partismes ensemble dudit Tadoussac, demeurans[180] au vaisseau un autre Religieux, appelle Père Modeste[181], avec le Pillotte, & le Maistre du vaisseau, pour la conservation de l'équippage, restans en icelluy, & arrivasmes à Québec, lieu de nostre habitation, le vingt-septiesme Jour de juin ensuivant, où nous trouvasmes les Pères Joseph, Paul, & Passifique Religieux, avec le sieur Hébert, & sa famille, & autres hommes de l'habitation, se portans tous bien, & joyeux de nostre retour, en bonne santé, eux & nous, grâces à Dieu. [Note 178: Le 25 juin.] [Note 179: D'Olbeau. (Voir p. 7, note 2.) «Nos Pères mesmes ne purent se deffendre des prières que le P. Jean d'Olbeau leur fit pour retourner en Canada avec M. de Champlain.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 124.)] [Note 180: A la place du mot _demeurans_, l'édition de 1627 porte _restants_.] [Note 181: Frère Modeste Guines. (Sagard, Hist. du Canada, p. 40.--Le Clercq, Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 124.)] Le mesme jour le sieur du Pont délibéra d'aller au lieu des trois rivieres, ou se faisoit la traite des Marchands, & porter avec luy quelques marchandises pour aller trouver le sieur des Chesnes qui y estoit des-ja, & mena avec luy ledict Loquin, comme susdict, & pour mon regard je demeuray en nostre habitation quelques jours [182], où je m'occuppé aux affaires d'icelles, entr'autres choses à faire un fourneau pour faire une espreuve de certaines cendres dont on m'avoit donné le 128/616 mémoire, lesquelles, à la vérité, sont de grande valleur, mais il y a de la peine, de l'industrie, vigillance, & de la conduite, & parce qu'il est requis en l'exercice, & façon de ces cendres des hommes entendus en cet art, & en quantité convenable. Ceste première espreuve n'a peu sortir à effect, la reservant à une autre plus grande commodité. [Note 182: Depuis le 27 de juin jusqu'au 5 de juillet.] Je visitay les lieux, les labourages[183] des terres que je trouvay ensemencées, & chargées, de beaux bleds: les jardins [184] chargez de toutes sortes d'herbes, comme choux, raves, laictues, pourpié, oseille, persil, & autres herbes, sitrouilles, concombres, melons, poix, féves, & autres légumes, aussi beaux, & advancez, qu'en France, ensemble les vignes transportées, & plantez sur le lieu des-jà bien advancées, bref le tout s'augmentant, & accroissant, à la veue de l'oeil: non qu'il en faille donner la louange après Dieu ny aux laboureurs, ny au fient qu'on y ait mis, car comme il est à croire, il n'y en a pas beaucoup, mais à la bonté, & valleur de la terre, qui de soy est naturellement bonne, & fertille en toute sorte de biens, ainsi que l'expérience le démontre, & pourroit-on y faire de l'augmentation & du profit, tant par le labourage d'icelle, culpture, & plants d'arbres fruittiers, & vignes, qu'en nourriture & eslevation de bestiaux, & vollatilles 129/617 ordinaires en France: Mais ce qui manque à ce beau desseing est le peu de zelle,& affection, que l'on a au bien & service du Roy. [Note 183: C'étaient les labourages de Louis Hébert, ou, comme on disait alors, son désert, et, un peu plus tard, son enclos. Cette terre (le fief du Saut-au-Matelot) lui fut d'abord concédée par le duc de Montmorency, en date du 4 février 1623; puis,--le dernier de février 1626, son premier titre lui fût confirmé par le duc de Ventadour. (Archives du Séminaire de Québec, Registre A, seconde partie, fol. I, et Carton AA.)] [Note 184: Les jardins étaient «autour du logement» (Voy. 1613, p. 156); mais comme il y avait une place devant l'habitation, et une autre « du côté du septentrion,» il faut conclure que la meilleure partie du jardin était le terrain où passe maintenant la rue Sous-le-Fort, et celui qui avoisinait le Cul-de-Sac.] Je sejournay quelque espace de temps audict Québec, en attendant autres nouvelles, & lors survint une barque venant de Tadoussac[185], envoyée par le sieur du Pont pour venir quérir les hommes, & marchandises, restants audit grand vaisseau audit lieu, & passants par Québec je m'embarquay avec eux pour aller audit lieu des trois rivieres, où se faisoit la traicte, affin de voir les Sauvages, & communiquer avec eux, & voir[186] ce qui se passait touchant l'assassin cy-dessus déclaré, & ce qu'on y pourroit faire pour pacifier & adoucir le tout. [Note 185: C'est-à-dire, une barque venant de Tadoussac, qui y avait été envoyée des Trois-Rivières par le sieur du Pont, etc. Ou bien il faudrait lire: _venant à Tadoussac..._] [Note 186: L'édition de 1627 remplace ce mot par _descouvrir_.] Et le cinquiesme jour de Juillet ensuivant, je party de Québec le Sr. de la Motte avec moy[187], pour aller audit lieu des trois rivieres, tant pour faire ladicte traicte, que voir les Sauvages, & arrivasmes sur le soir devant Saincte Croix [188], lieu sur le chemin ainsi appellé, où nous apperçeusmes une Challouppe, venant droict à nous, où il y avoit quelques hommes, de la part des sieurs du Pont, des Chesnes, & quelques autres Commis & facteurs des Marchands me prièrent de depescher promptement laditte Chalouppe, & l'envoyer audict Québec quérir quelques marchandises restantes, & qu'il estoit venu un grand nombre de Sauvages, à desseing d'aller faire la guerre [189]. [Note 187: Dans l'édition de 1627, on lit: _je party de Quebec avec le sieur de la Motthe_, etc.] [Note 188: Le Platon.] [Note 189: Cette dernière partie de la phrase se lit ainsi, dans l'édition de 1627: _quérir des marchandises, d'autant que les sauvages estoient venus au lieu de la traite en si grand nombre, que les marchandises qu'on leur avoit apportées ne pouvoient suffire.] 130/618 Lesquelles nouvelles nous furent fort aggreables, & pour leur satisfaire dés le lendemain au matin[190], je laissay ma barque, & m'embarquis dans une challouppe, pour aller plus promptement veoir les sauvages, & l'autre qui venoit des trois rivieres continua son chemin à Québec, & fismes tant à force de rames,[191] que nous arrivasmes audit lieu le septiesme jour de Juillet, sur les trois heures du soir, où estans, je mis pied à terre, lors tous les sauvages de ma cognoissance, & au païs desquels j'avois esté famillier avec eux, m'attendoient avec impatience & vindrent au devant de moy & comme fort contans & joyeux de me revoir, m'embrassant l'un après l'autre, avec demonstration d'une grande resjouissance, comme aussi de ma part je leur faisois le semblable & ainsi se passa la soirée, & reste dudict jour en ceste allegresse jusques au lendemain que lesdits Sauvages tindrent entr'eux Conseil, pour sçavoir de moy si je les assisterois encores en leurs guerres contre leurs ennemis, ainsi que j'avois fait par le passé, & comme je leur avois asseuré[192], desquels ennemis ils sont cruellement molestez & travaillez. [Note 190: Le 6 de juillet.] [Note 191: Apparemment, il y avait ici, dans le manuscrit de l'auteur, quelque chose qui avait été omis dans le travail de la composition typographique; car l'édition de 1627, en reproduisant ce passage, y ajoute toute une phrase, qui ne pouvait être suppléée que par l'auteur ou par un témoin oculaire. Après ces mots _je laissay ma barque,_ on y lit: & montay en laditte challouppe pour retourner audict Quebec, où estants, je la fis charger de plusieurs especes de marchandises en quantité, y des plus exquises y necessaires ausdits sauvages gui restoient aux magasins de ladite habitation. Ce fait, le lendemain matin je m'embarquis en une chalouppe moi sixiesme pour aller à laditte traite, & fismes tant qu'à force de rames..._ Les quelques autres changements qu'on y a faits, n'affectent point le sens, et n'ont guères d'autre but que de faciliter le remaniement typographique.] [Note 192: L'édition de 1627 porte _promis_.] Et cependant de nostre part consultasmes ensemble pour resoudre 131/619 ce que nous avions affaire sur le subject du meurtre de ces deux pauvres deffuncts, affin d'en faire justice, & par ce moyen les ranger au devoir de rien faire à l'advenir[193]. [Note 193: Dans l'édition de 1627, la phrase se lit ainsi: _affin d'en tirer vangeance en justice, à l'encontre des deux assassinateurs leurs complices & adherans_.] Quand à l'instance requise par les Sauvages, pour faire la guerre à leurs ennemis, je leur fis responce que la volonté ne m'avoit point changée, ny le courage diminué: Mais ce qui m'empeschoit de les assister estoit, que l'année dernière, lors que l'occasion, & l'opportunité s'en presentoit, ils me manquèrent au besoing, d'autant qu'ils m'avoient promis de revenir avec bon nombre d'hommes de guerre, ce qu'ils ne firent, qui me donna subject de me retirer sans faire beaucoup d'effect, & que neantmoins il falloit en adviser, mais que pour le present il estoit raisonnable de resoudre ce qu'il falloit faire sur la mort assassinat de ces deux pauvres hommes, & qu'il en falloit tirer raison, alors sortans de leur conseil comme en cholere & faschez sur ce subject[194], ils s'offrirent de tuer les criminels, & y aller dés lors en faire l'exécution si on voulloit le consentir, recognoissant bien entr'eux l'enormité de ceste affaire, à quoy neantmoins nous ne voullusmes entendre, remettant seullement leur assistance à une autre fois, en les obligeant de revenir vers nous avec bon nombre d'hommes l'année prochaine, & que cepandant je supplierois le Roy de nous favoriser d'hommes, de moyens, & commoditez, pour les assister, & les faire jouyr du repos par eux esperé, & de la victoire sur leurs ennemis, dont ils furent 132/620 fort contents, & ainsi nous nous separasmes, encores qu'ils firent deux ou trois assemblées sur ce subject, qui nous fist passer quelques heures de temps. Deux ou trois jours après mon arrivée audit lieu[195], ils commançerent à se resjouyr, dancer, & faire plusieurs grands festins sur l'esperance de la guerre à l'advenir, où je les devois assister[196]. [Note 194: Dans l'édition de 1627, au lieu de ces mots _en cholere & faschez sur ce subject_, on lit: _en colère de les rabattre sur ce subject._] [Note 195: Le 9 ou le 10 de juillet.] [Note 196: Dans l'édition de 1627, cette dernière phrase a été remplacée par la suivante: _2 ou 3 jours après mon arrivée audit lieu, on commança à traiter avec les sauvages tout ce qu'on avoit apporté de marchandise, bonne & mauvaise, mesme celle qui de long-temps avoit esté mise à mespris, & gardaient le magasin.] Ce fait, je representé audict sieur du Pont ce qu'il me sembloit de ce meurtre, qu'il estoit à propos d'en faire une plus grande instance, & quoy voyant les Sauvages se pourroient licentier, non seulement d'en faire de mesme, mais de plus prejudiciable, que je les recognoissois estre gents qui se gouvernent par exemple, qu'ils pourroient accuser les François de manquer de courage, que de n'en parler plus, ils jugeront que nous aurons peur, & crainte d'eux, & les laissans passer à si bon marché, ils se rendront plus insolents, audacieux, & insupportables, mesmes leur donneroit subject d'entreprendre de plus grands & pernicieux desseings: d'ailleurs que les autres nations sauvages qui ont, ou auront cognoissance de ce faict, & demeurez sans estre vengez, ou vengez par quelque dons & presens, comme c'est leur coustume, ils se pourroient vanter que de tuer un homme, ce n'est pas grande chose, puisque que les François en font si peu d'estat, de voir tuer leurs compagnons par leurs voisins, qui bornent & mangent avec eux, 133/621 se pourmenent, & conversent familièrement avec les nostres, ainsi qu'il se peut voir[197]. [Note 197: Cette raison était fort bien motivée, car quelques sauvages, entre autre les Hurons, au rapport de Sagard, ne purent s'empêcher de faire la remarque, que les Français avaient coulé assez doucement sur cette affaire. «Les Chefs François, dit cet auteur, firent assembler en un conseil général, tous les Sauvages qui se trouverent pour lors à la traite, où les meurtriers ayans esté grandement blasmez, furent en fin pardonnez à la prière de ceux de leur nation, qui promirent, un amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen général de la flotte, assisté du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une espée nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit entièrement pardonnée, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien dissimuler & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays, tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en mocquerent disans que toute la cholere des François avoit esté noyée en ceste espée, & que pour tuer un François on en seroit doresnavant quite pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelques jours trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.» (Hist. du Canada, p. 236, 237.)] Mais aussi d'autre-part recognoissants les Sauvages gents sans raison, de peu d'accès, & faciles à s'estranger, & fort prompts à la vangeance: Que si on les presse d'en faire la justice, il n'y auroit nulle seureté pour ceux qui se disposeront de faire les descouvertures parmy eux. C'est pourquoy, le tout consideré, nous nous resolusmes de couller ceste affaire à l'amiable, & passer les choses doucement, laissant faire leur traicté[198] en paix avec les commis & facteurs des Marchands, & autres qui en avoient la charge. Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne Brûlé, l'un de nos truchemens, qui s'estoit addonné avec eux depuis 8 ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur langue & façon de vivre, & est celuy que j'avois envoyé, & donné charge d'aller vers les Entouhonorons[199] à Carantoüan, 134/622 affin d'amener avec luy les 500 hommes de guerre qu'ils avoient promis nous envoyer pour nous assister en la guerre où nous estions engagés contre leurs ennemis, & dont mention est faite au discours de mon précèdent livre[200]. J'appelle cet homme, sçavoir Estienne Brûlé, & communiquant avec luy, je luy demanday pourquoy il n'avoit pas amené le secours des 500. hommes, & la raison de son retardement, & qu'il ne m'en avoit donné advis, alors il m'en dist le subject, duquel il ne sera trouvé hors de propos d'en faire le récit, estans plus à plaindre qu'à blasmer, pour les infortunes qu'il receut en ceste commission. [Note 198: Traicte.] [Note 199: Du côté des Entouhoronons, ou Tsonnontouans, mais au-delà.] [Note 200: Voir p. 35.] Il commança à me dire que depuis qu'il eut prins congé de moy pour aller faire son voyage, & executer sa commission, il se mit en chemin, avec les 12 Sauvages que je luy avois baillé lors pour le conduire, & luy faire escorte à cause des dangers qu'il avoit à passer, & tant cheminèrent qu'ils parvindrent jusques audit lieu de Carantoüan, qui ne fut pas sans courir fortune, d'autant qu'il leur falloit passer par les païs & terres des ennemis, & pour éviter quelque mauvais desseing, ils furent en cerchant leur chemin plus asseuré de passer par des bois, forests, & halliers espois & difficiles, & par des pallus marescageux, lieux & deserts fort affreux, & non fréquentés, le tout pour éviter le danger, & la rencontre des ennemis. Et neantmoins ce grand soin ledit Brûlé, & ses compagnons sauvages en traversans une campagne ne laisserent de faire rencontre de quelques sauvages ennemis, retournans à leur village, lesquels furent surprins, & deffaicts par nosdicts 135/623 sauvages, dont quatre des ennemis furent tués sur le champ, & deux prins prisonniers, que ledit Brûlé, & ses compagnons emmenèrent jusques audit lieu de Carantoüan, où ils furent reçeus des habitans dudit lieu, de bonne affection, & avec toute allegresse, & bonne chère, accompagnée de dances, & festins, dont ils ont accoustumé festoyer, & honorer, les estrangers. Quelques jours se passèrent en ceste bonne réception, & après que ledit Brûlé leur eust dit sa légation, & fait entendre le subject de son voyage, les sauvages dudit lieu s'assemblerent en conseil, pour délibérer & resoudre sur l'envoi des 500 hommes de guerre, demandés par ledit Brûlé. Le conseil tenu, & la resolution prise de les envoyer, ils donnèrent charge de les assembler, préparer, & armer, pour partir & venir nous joindre, & trouver où nous estions campez devant le fort & village de nos ennemis, qui n'estoit qu'à 3 petites journées de Carantoüan, ledit village muny de plus de 800 hommes de guerre, bien fortifié à la façon de ceux cydessus specifiez, qui ont de hautes & puissantes pallissades, bien liées & joinctes ensemble, & leur logement de pareille façon. Ceste resolution ainsi prinse par les habitants dudict Carantoüan, d'envoyer les 500 hommes, lesquels furent fort long-temps à s'aprester, encores qu'ils fussent pressés par ledit Brûlé de s'advancer, leur representant que s'ils tardoient d'avantage, ils ne nous trouveroient plus audict lieu, comme de faict ils ny peurent arriver que deux jours après nostre partement dudict lieu, que nous fusmes contraincts 136/624 d'abandonner, pour estre trop foibles & fatiquez par l'injure du temps. Ce qui donna subject audict Brûlé, & le secours desdicts cinq cents hommes qu'il nous amenoit, de se retirer, & retourner sur leurs pas vers leur village de Carantoüan, où estans de retour, ledit Brûlé fut contrainct de demeurer & passer le reste de l'Automne, & tout l'Hyver, en attendant compagnie, & escorte, pour s'en retourner, & en attendant ceste opportunité, il s'employe à découvrir le païs, visiter les nations voisines, & terres dudict lieu, & se pourmenant le long d'une riviere qui se descharge du costé de la Floride, où il y a forces nations qui sont puissantes & belliqueuses, qui ont des guerres les unes contre les autres. Le pays y est fort tempéré, où il y a grand nombre d'animaux, & chasse de gibier, mais pour parvenir & courir ces contrées, il faut bien avoir de la patience pour les difficultez qu'il y a à passer par la pluspart de ses deserts. Et continuant son chemin le long de ladicte riviere jusques à la Mer, par des isles, & les terres proches d'icelles, qui sont habitées de plusieurs nations, & en grand nombre de peuples Sauvages, qui sont neantmoins de bon naturel, aymant fort la nation Françoise sur toutes les autres: Mais quant à ceux qui cognoissent les Flamans, ils se plaignent fort d'eux, parce qu'ils les traictent trop rudement, entr'autres choses qu'il a remarqué est, que l'hyver y est assez tempéré, & y nege fort rarement, mesme lors qu'il y nege elle n'y est pas de la hauteur d'un pied, & incontinent fondue sur la terre. Et après qu'il eut couru le païs & découvert ce qui estoit à 137/625 remarquer, il retourna au village de Carantoüan, afin de trouver quelque compagnie pour s'en retourner vers nous en nostre habitation: Et après quelque sejour audit Carantoüan, 5 ou 6 des Sauvages prirent revolution de faire le voyage avec ledict Brûlé, & sur leur chemin firent rencontre d'un grand nombre de leurs ennemis, qui chargèrent ledict Brûlé, & ses compagnons, si vivement, qu'ils les firent escarter, & separer les uns des autres, de telle façon qu'ils ne se peurent r'allier, mesme ledict Brûlé qui avoit fait bande à part, sur l'esperance de se sauver, & s'écarta tellement des autres, qu'il ne peut plus se remettre, ny trouver chemin & adresse, pour faire sa retraite en quelque part que ce fust, & ainsi demeura errant par les bois, & forests, durant quelques jours sans manger, & presque desesperé de sa vie, estant pressé de la faim: En fin rencontra fortuitement un petit sentier, qu'il se resolut suivre, quelque part qu'il allast, fut vers les ennemis, ou non, s'exposant plustost entre leurs mains sur l'esperance qu'il avoit en Dieu, que de mourir seul & ainsi miserable: d'ailleurs qu'il sçavoit parler leur langage, qui luy pourroit apporter quelque commodité. Or n'eust-il pas cheminé longue espace, qu'il découvrit trois sauvages, chargés de poisson, qui se retiroient à leur village. Il se haste de courir après eux pour les joindre, & les approchant il commança les crier, comme est leur coustume, auquel cry ils se retournèrent, & sur quelque aprehension, & crainte, firent mine de s'enfuir, & laisser leur charge, mais ledit Brûlé parlant à eux les asseura, qui leur fist mettre bas 138/626 leurs arcs & flèches, en signe de paix, comme aussi ledit Brûlé de sa part ses armes, encores qu'il fust assez foible & débile de soy-mesme, pour n'asoir mangé depuis trois ou quatre jours: Et à leur abort après leur avoir faict entendre sa fortune, & l'estat de sa misere en laquelle il estoit réduit, ils petunerent ensemble, comme ils ont accoustumé entr'eux, & ceux de leur fréquentation lors qu'ils se visitent. Ils eurent comme une pitié & compassion de luy, luy offrant toute assistance, mesme le menèrent jusques à leur village, où ils le traicterent, & donnèrent à manger: mais aussi-tost les peuples dudit lieu en eurent advis, à sçavoir qu'un Adoresetoüy estoit arrivé, car ainsi appellent-ils les François, lequel nom vaut autant à dire, comme gents de fer, & vindrent à la foule en grand nombre voir ledit Brûlé, lequel ils prirent & menèrent en la cabanne de l'un des principaux chefs, où il fut interrogé, & luy fut demandé qu'il estoit, d'où il venoit, qu'elle occasion l'avoit poussé & amené en cedit lieu, & comme il s'estoit égaré, & outre s'il n'estoit pas de la nation des François qui leur faisoient la guerre: sur ce il leur fist responce qu'il estoit d'une autre nation meilleure, qui ne desiroient que d'avoir leur cognoissance, & amitié, ce qu'ils ne voulurent croire, ains se jetterent sur luy, & luy arrachèrent les ongles avec les dents, le bruslerent avec des tisons ardens, & luy arrachèrent la barbe poil à poil, néant-moins contre la volonté du chef. Et en cet accessoire l'un des sauvages advisa un Agnus Dei, qu'il avoit pendu au col, quoy voyant, demanda qu'il avoit ainsi pendu à son col, & 139/627 le voullut prendre & arracher, mais ledict Brûlé luy dit (d'une parolle assurée) si tu le prends & me fais mourir, tu verras que tout incontinent après tu mouras subitement, & tous ceux de ta maison, dont il ne fit pas estat, ains continuant sa mauvaise volonté, s'efforçoit de prendre l'Agnus Dei, & le luy arracher, & tous ensemble disposés à le faire mourir, & auparavant luy faire souffrir plusieurs douleurs & tourments par eux ordinairement exercés sur leurs ennemis. Mais Dieu qui luy faisant grâce ne le voullust permetre, ains par sa providence fist que le Ciel, qui de serain & beau qu'il estoit, se changea subitement en obscurité, & chargé de grosses & espoisses nuées, se terminèrent en tonnerres & esclairs si viollents, & continus, que c'estoit chose estrange, & épouvantable, & donnèrent ces orages un tel épouvantement aux Sauvages, pour ne leur estre commun, mesme n'en avoir jamais entendu de pareil, ce qui leur fist divertir, & oublier, leur mauvaise volonté qu'ils avoient à l'encontre dudit Brûlé, leur prisonnier, & le laissans l'abandonnèrent, sans toutesfois le deslier, n'osans l'approcher: Qui donna subject au patient de leur user de douces parolles, les appellant & leur remonstrant le mal qu'ils luy faisoient sans cause, leur faisans entendre combien nostre Dieu estoit courroucé contr'eux pour l'avoir ainsi maltraicté. Lors le Cappitaine s'approcha dudit Brûlé, le deslia, & le mena en sa maison, où il luy cura & medicamenta ses playes, cela faict, il ne se faisoit plus de danses, & festins, ou resjouyssances, que ledict Brûlé ne fust appellé, & après avoir 140/628 esté quelque temps avec ces Sauvages, il print resolution de se retirer en nos quartiers vers nostre habitation. Et prenans congé d'eux, il leur promist de les mettre d'accord avec les François, & leurs ennemis, & leur faire jurer amitié les uns envers les autres, & qu'à ceste fin il retourneroit vers eux le plustost qu'il pourroit, & luy partant d'avec eux ils le conduirent jusques à quatre journées de leur village, & de là s'en vint en la contrée & village des Atinouaentans[201], où j'avois des-ja esté, & là demeura ledit Brûlé quelque temps, puis reprenant chemin vers nous, il passa par la Mer douce, & navigea sur les costes d'icelle quelques dix journées du costé du Nort, où aussi j'avois passe allant à la guerre, & eust ledict Brûlé passe plus outre pour découvrir les terres de ces lieux comme je luy avois donné charge, n'eust esté qu'un bruict de leur guerre qui se preparoit entr'eux, reservant ce desseing à une autre fois, ce qu'il me promist de continuer, & effectuer dans peu de temps, avec la grâce de Dieu, & de m'y conduire pour en avoir plus ample & particulière cognoissance: Et après qu'il m'en eust faict le récit, je luy donnay esperance que l'on recognoistroit ses services, & l'encouragay de continuer ceste bonne volonté jusques à nostre retour, où nous aurions moyen de plus en plus à faire chose dont il recevroit du contentement. Voila en fin tout le discours & récit de son voyage, depuis qu'il partit d'avec moy[202] pour aller ausdites 141/629 descouvertures, ce qui me donna du contentement, sur l'esperance de mieux parvenir par ce moyen à la continuation & advancement d'icelle. [Note 201: Cette orthographe montre que l'auteur, dans la première partie de cette relation, n'avait pas écrit _Atigouautans_, mais _Atignoantans_.] [Note 202: Il était parti, pour son ambassade, le 8 septembre 1615.] Et à cet effect print congé de moy pour s'en retourner avec les peuples Sauvages, dont il avoit cognoissance & affinité par luy acquise en ses voyages & descouvertures, le priant de les continuer jusques à l'année prochaine que je retournerois avec bon nombre d'hommes, tant pour le recognoistre de ses labeurs, que pour assister les sauvages, ses amis, en leurs guerres, comme par le passé. Et reprenant le fil de mon discours premier, faut noter qu'en mes derniers & précédents voyages & descouvertures, j'avois passé par plusieurs & diverses nations[203] de Sauvages non cogneus aux François, ny à ceux de nostre habitation, avec lesquels j'avois fait alliance, & juré amitié avec eux, à la charge qu'ils viendroient faire traicte avec nous, & que je les assisterois en leurs guerres: car il faut croire qu'il n'y a une seulle nation qui vive en paix, que la nation neutre, & suivant leur promesse vindrent de plusieurs nations de peuples Sauvages nouvellement descouvertes les uns pour traicte de leur pelletrie, les autres pour voir les François, & expérimenter quel traictement & réception on leur feroit, ce que voyant encouragea tout le monde, tant les François à leur faire bonne chère, & réception, les honorant de quelques gratifications & presents, que les facteurs des marchands leur donnèrent pour les contenter, qui fut à leur contentement, comme aussi 142/630 d'autre-part tous lesdits Sauvages promirent à tous les François de venir, & vivre à l'advenir en amitié les uns & les autres, avec protestation chacun de se comporter avec une telle affection envers nous autres, qu'aurions sujet de nous louer d'eux, & au semblable que nous les assistassions de nostre pouvoir en leurs guerres. [Note 203: Voir ci-dessus, pages 57-60.] La traicte ainsi faicte & parachevée, & les sauvages partis & congédiez, nous nous retirasmes & partismes des trois rivieres le 14 Juillet audict an, & le lendemain arrivasmes à Québec, lieu de nostre habitation, où les barques furent deschargées des marchandises qui avoient resté de ladicte traite, & mises dedans le magasin des Marchands qu'ils ont audit lieu. Ce faict, le sieur du Pont s'en retourna à Tadoussac, avec les barques, afin de les faire charger & porter en laditte habitation les vivres, & choses necessaires pour la nourriture & entrenement de ceux qui y devoient hiverner & demeurer, & cepandant que les barques alloient & venoient pour apporter les vivres & autres commoditez necessaires pour l'entretien de ceux qui demeuroient à l'habitation, auquel lieu je me deliberay d'y demeurer pour quelques jours, affin de faire fortifier & reparer les choses necessaires pandant mon sejour. Et lors de mon partement de laditte habitation, je pris congé des Pères Religieux, du sieur de la Mothe, & de tous autres qui demeuroient en icelle, sur l'esperance que je leur donnay de retourner, Dieu aydant, avec bon nombre de familles pour peupler ce pays. Je m'embarquay le 26 Juillet, & les Pères Pol 143/631 & Pacifique qui y avoit hiverné trois ans, & l'autre Père un an & demy[204] afin de faire rapport, tant de ce qu'ils avoient veu audit païs, que de ce qui s'y pouvoit faire: Nous partismes cedict jour de laditte habitation pour venir à Tadoussac faire nostre embarquement pour retourner en France, auquel lieu nous arrivasmes le lendemain, où nous trouvasmes nos vaisseaux prests à faire voile & nostre embarquement faict, nous partismes dudict lieu de Tadoussac pour venir en France le 30 du mois de Juillet 1618 & arrivasmes à Hondefleur le 28e jour d'Aoust, avec vent favorable, & contentement d'un chacun. [Note 204: Le P. Paul Huet était venu l'année précédente, 1617, et le Frère Pacifique du Plessis en 1615. (Voir ci-dessus, pages 7, 108, 109.)] FIN. 634 OEUVRES DE CHAMPLAIN PUBLIÉES SOUS LE PATRONAGE DE L'UNIVERSITÉ LAVAL PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A. PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ SECONDE ÉDITION TOME V QUÉBEC Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS 1870 iii/635 _Nous avons cru quelque temps, avec plusieurs auteurs, que l'on avait fait, en 1640, une nouvelle, édition du volume de 1632. Mais, après un examen attentif, nous avons constaté que les éditeurs n'ont fait que rafraîchir le titre, et changer le millésime; partout, le texte est absolument conforme à certains exemplaires de 1632, et nous avons toujours eu soin de faire remarquer, dans nos notes, les principales divergences. Cette édition est, sans contredit, la plus complète de toutes celles que publia l'auteur. On y trouve en effet, dans la_ Première Partie, _une reproduction à peu près textuelle des voyages de Champlain publiés jusqu'alors, avec quelques nouvelles réflexions sur les difficultés qui avaient eu lieu entre les diverses compagnies; la_ Seconde Partie _renferme tout ce qui était encore inédit des voyages de découverte et des événements qui se passèrent en Canada depuis 1620, et l'on peut dire que cette seconde moitié du volume de 1632 est unique et indispensable._ iv/636 _Le but des diverses publications de Champlain, fut toujours de faire connaître les avantages que la Nouvelle-France pouvait offrir à la mère patrie; mais, dans celle-ci, la pensée de l'auteur semble se dessiner de plus en plus. D'un coté, il était naturel qu'on se demandât, quel si grand intérêt la France pouvait avoir à conserver cette petite colonie lointaine et ces froides régions du Canada. Champlain commence cette édition par énumérer les ressources et les richesses de ces pays encore trop peu connus. Le premier chapitre, joint à quelques observations extraites, en grande partie, de ses divers ouvrages, forma même un petit mémoire, qu'il présenta au roi vers 1630. D'un autre coté, il était important de bien faire comprendre à la France qu'il y allait de son honneur de ne point laisser si facilement entre les mains des Anglais d'immenses contrées dont elle était à juste titre en possession depuis très-longtemps et par droit de découverte. Champlain jugea qu'une édition plus complète de ses Voyages atteindrait ce but; en remettant sous les yeux du lecteur toute la série des événements accomplis jusque-là: Il commence, par établir que les Français fréquentaient les Terres-Neuves et le Canada longtemps avant que les Anglais y prétendissent quelque chose; puis, à la fin de son volume, craignant que le lecteur ne perde de vue ce point important, il donne encore un_ «Abrégé des découvertes v/637 _attribuées tant aux Anglais qu'aux Français, suivant le rapport des historiens, afin que chacun, dit-il, puisse juger du tout sans passion.» M. de Puibusque, dans une lettre dont nous avons cité quelques extraits en tête du_ Voyage de 1603, _disait, en parlant de notre auteur: «Ses relations imprimées ont été retouchées par un arrangeur si habile, qu'elles parlent une autre langue que la sienne.» Nous ne savons jusqu'à quel point cette remarque est fondée relativement aux premiers voyages de Champlain; mais elle semble avoir surtout son application dans ce volume de 1632. On y trouve en effet certains passages, et surtout des notes marginales, qui ne peuvent pas être de la main de l'auteur, Que l'on nous permette de citer quelques exemples. Page 131 (de cette présente édition), première partie: pour se conformer à l'usage qui commençait à prévaloir, Champlain donne à la pointe de Tous-les-Diables le nom de pointe aux Vaches; que fait le réviseur? Le typographe avait mis dans le texte_ pointe aux roches; _la note marginale vient aggraver la faute en substituant_ pointe aux Rochers. _Or, Champlain connaissait trop bien cette pointe pour laisser passer ainsi une double faute. Page 174, en marge: «Des Prairies remontre aux nôtres le peu vi/638 d'honneur de combattre avec les sauvages.» Évidemment, celui qui a fait cette note n'a pas compris le sens du texte en regard: Des Prairies représente à ses compagnons qu'il serait honteux de laisser Champlain se battre seul avec les sauvages. Page 182: le sommaire du chapitre, qui ne se trouve pas dans l'édition 1613, ne peut vraisemblablement avoir été fait par l'auteur; car il ne s'accorde pas avec le texte. Page 187, On lit en marge:_ «Les deux sauvages,» _etc. Or l'auteur, qui était sur les lieux lors de l'accident, dit dans son texte que c'étaient un français nommé Louis et un sauvage. Page 253, seconde partie: «Prise de l'auteur par l'Anglais,» au lieu de _Prise du sieur de Caen._ L'auteur pouvait-il se tromper sur ce fait? Nous pourrions citer bien d'autres passages de cette nature, que nous avons notés dans l'occasion. Non-seulement quelqu'un a revu, ou même retouché le récit de Champlain; mais on peut affirmer que ce travail a été fait soit par un jésuite, soit par un ami des religieux de cet ordre. Il faut remarquer d'abord que cette édition s'imprimait au moment ou les Récollets faisaient d'inutiles efforts pour rentrer dans une mission dont ils étaient les fondateurs; tandis que les Pères Jésuites revenaient seuls, évidemment protégés par la toute-puissance du cardinal de Richelieu. vii/639 D'un autre, coté, Champlain ne devait pas être ennemi des Récollets, lui qui les avait amenés dans le pays. Du reste, le P. le Clercq nous apprend «qu'il prenait leurs intérêts à coeur, quoiqu'il n'osât paraître, et qu'il fut même le premier à les avertir des véritables intentions de ceux qui, faisant mine de les servir, les traversaient effectivement.» Maintenant, que le lecteur examine attentivement l'édition de 1632, et il remarquera que l'on retranche à dessein, des éditions précédentes, tout ce qui était en faveur des Récollets, et que l'on y introduit au contraire tout ce qui pouvait servir la cause des Jésuites. Ainsi, toute l'édition de 1619 est reproduite mot pour mot, à la réserve de quelques passages ou il était fait mention des travaux des Récollets. En revanche, on intercale un résumé de la relation du P. Biard sur les missions des Jésuites à l'Acadie, et l'on ajoute à la fin du volume des échantillons des deux principales langues parlées dans le pays, opuscules faits tous deux par des pères jésuites. Il est donc évident qu'une main étrangère s'est chargée de la révision de l'ouvrage de Champlain. Il paraît également certain que ces changements significatifs introduits dans son oeuvre originale, doivent être attribués au motif de laisser dans l'ombre les Pères Récollets au profit de ceux qu'ils avaient d'abord appelés à leur secours. Or, le caractère franc et loyal viii/640 de Champlain ne permet pas de supposer qu'il ait eu recours à de pareils procédés, outre que le témoignage du P. le Clercq, cité plus haut, semble le laver de tout soupçon à cet égard. On ne peut donc guère s'empêcher de conclure, qu'un correcteur officieux aura fait agréer à l'auteur certaines additions très-bonnes en elles-mêmes, et aura pris sur lui de biffer, sous prétexte de longueur, les passages qui pouvaient nuire à la cause. 641 LES VOYAGES DE LA NOUVELLE FRANCE OCCIDENTALE, DICTE CANADA FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine du Ponant, & toutes les Descouvertes qu'il a faites en ce païs depuis l'an 1603 jusques en l'an 1629. _Où Je voit comme ce pays a esté premièrement descouvert par les François, sous l'authorité de nos Roys tres-Chrestiens, jusques au règne de sa Majesté à present régnante LOUIS XIII. Roy de France & de Navarre._ Avec un traitté des qualitez & conditions requises à un bon & parfaict Navigateur pour cognoistre la diversité des Estimes qui se font en la Navigation. Les Marques & enseignements que la providence de Dieu a mises dans les Mers pour redresser les Mariniers en leur routte, sans lesquelles ils tomberoient en de grands dangers. Et la manière de bien dresser Cartes marines avec leurs Ports, Rades, Isles. Sondes, & autre chose necessaire à la Navigation. _Ensemble une Carte generalle de la description dudit pays faicte en son Méridien selon la déclinaison de la guide Aymant, & un Catéchisme ou Instruction traduicte du François au langage des peuples Sauvages de quelque contrée, avec ce qui s'est passé en ladite Nouvelle France en l'année 1631._ A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU. [Illustration] A PARIS. Chez Louis SEVESTRE Imprimeur-Libraire, rue du Meurier, prés la porte S. Vidior, & en sa Boutique dans la Cour du Palais. MDCXXXII. Avec Privilege du Roy. 3/643 [Illustration] MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME CARDINAL Duc DE RICHELIEU, Chef, Grand Maistre & Sur-Intendant Général du Commerce & Navigation de France. MONSEIGNEUR, _Ces Relations se presentent à vous; comme, à celuy auquel elles sont principalement deues, tant à cause de l'eminente Puissance que vous avez en l'Eglise, & en l'Estat comme en l'authorité de toute la Navigation, que pour estre informé ponctuellement de la grandeur, la bonté, & la beauté des lieux qu'elles vous rapportent. Partant que ce n'est 4/644 pas sans grandes & preignantes causes que les Roys Predecesseurs de sa Majesté, & elle, non seulement y ont arboré l'estendart de la Croix, pour y planter la foy comme ils ont fait, ains encores y ont voulu adjouster le nom de la Nouvelle France. Vous y verrez les grands & périlleux Voyages qui y ont esté entreprins, les Descouvertes qui s'en sont ensuivies, l'estendue de ces terres, non moins grandes quatre fois que la France, leur disposition, la facilité de l'asseuré et important Commerce qui s'y peut faire, la grande utilité qui s'en peut retirer, la possession que nos Roys ont prinse d'une bonne partie de ces Pays, la mission qu'ils y ont faite de divers Ordres de Religieux, leur progrès en la conversion de plusieurs Sauvages, celle du défrichement de quelques unes de ces Terres, par lequel vous cognoistrez qu'elles ne cèdent en aucune façon en bonté à celle de la France, et en fin les habitations et forts qui y ont esté construicts sous le nom François. A la conservation desquels, comme en une bonne partie de ces Descouvertes ayant ainsi que j'ay esté assiduement employé depuis trente ans, tant sous l'auctorité de nos Vice-rois, que de celle de vostre Grandeur, c'est Monseigneur, ce qui excusera s'il vous plaist la liberté que je prends de vous offrir ce petit Traitté: en ceste asseurance qu'il ne vous sera poin desagréable. Non pour ma consideration propre: Mais bien seulement pour celle du public: qui faict desja retentir vostre 5/645 nom en toute l'estendue des rivages maritimes de la Terre habitable, par les acclamations des effects qu'il se promet de la continuation de la gloire de vos actions: & que comme vostre Grandeur les a eslevées en terre jusques au dernier degré, par la Paix qu'elle a procurée en ce Royaume, après tant & de si heureuses victoires, aussi ne sera elle moins portée à se faire admirer durant la Paix aux choses qui la concernent. Sur tout au restablissement du Commerce de France: dans les pays plus esloygnez; comme le moyen plus asseuré qu'elle ait pour reflorir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces nations estranges celles de la Nouvelle France vous tendent principalement les mains: se figurans avec toute la France que puisque Dieu vous a constitué d'un costé Prince de l'Eglise, et de l'autre eslevé aux sureminantes dignitez que vous tenez, non seulement vous leur redonnerez la lumière de la foy, laquelle ils respirent continuellement, mais encores releverez et soustiendrez la possession de ceste Nouvelle Terre, par les Peuplades et Colonies qui s'y trouverront necessaires, et qu'en fin Dieu vous ayant choisy expressement entre tous les hommes pour la perfection de ce grand Oeuvre, il sera entièrement accomply par vos mains. C'est le souhait que je faits sans cesse, auquel je joincts encores les offres que je vous presente du reste de mes ans, que je tiendray tres-heureusement 6/646 et necessairement employez en un si glorieux dessein, si avec tous mes labeurs passez je puis estre encores honoré des commandemens qu'attend de vostre Grandeur, MONSEIGNEUR, Vostre très-humble & tres-affectionné serviteur CHAMPLAIN. 7/647 [Illustration] SUR LE LIVRE DES VOYAGES du Sieur de Champlain Capitaine pour le Roy en la Marine. Veux tu Voyageur hazardeux Vers Canada tenter fortune? Veux tu sur les flots escumeux Recevoir l'ordre de Neptune? Bien équipé fay chois soudain D'un temps propice à ton dessain, Et tu verras qu'en son empire Le vent plus violent & fort Pressant les flancs de ton navire Te fera tost surgir au port. Que si le Pilote est mal duict Aux routes qu'il luy convient suivre Il pourra estre mieux conduict S'il se gouverne par le Livre Qu'en sa faveur a fait Champlain, A qui les Grâces ont à plain Prodigué tout leur heritage: De qui Pithon a prins le soing D'orner son élégant langage, Afin qu'il t'aide à ton besoing. Va donc Pilote sans frayeur Ancrer en la Nouvelle France; Ne crain de Thetis la fureur Ny des Autans la violence: Champlain comme s'il estoit fils, Ou de Neptune, ou de Typhys 8/648 Rendra ta nef si asseurée, Que ny les monstres de la mer, Ny tous les efforts de Borée Ne la pourront faire abysmer. Que si quelqu'un par vanité Estime avoir cet advantage De porter quelque Déité Et ne pouvoir faire naufrage, Reproche luy qu'en ce qu'il croit Tu es fondé en meilleur droict, Si la raison trouve en toy place; Car deferant aux bons advis DIEU favorise de sa grâce Ceux qui tousjours les ont suivis. PIERRE TRICHET Advocat Bourdelois. 9/649 TABLE DES CHAPITRES contenus en la première Partie. LIVRE PREMIER. Estendue de la Nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la Nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples. Chap. I. P. 1 Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des François faits es Terres neufves, depuis l'an 1504. Chap. II. P. 8 Voyage en la Floride sous le règne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un fort, appellé le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglois. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de famine. Recompense de l'Empereur Charles V à ceux qui firent la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May par les Espagnols. Attaquent Laudonniere. François tuez, & pendus avec des escriteaux. Chap. III. P. 16 Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruauté qu'ils exercèrent envers les François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il défait, & les traitte comme ils avoient fait les François. Chap. IIII. P. 23 Voyage que fit faire le sieur de Roberval. Envoye Alphonse Xainctongeois vers Labrador. Son parlement: son arrivée. Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son entreprise. Chap. V.P. 36 Voyage du sieur Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour dudit Sieur Chauvin & du Pont en France. Second voyage de Chauvin: son entreprise blasmable. Chap. VI. P. 40 Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Charte. Le sieur de Pont Gravé eslu pour le voyage de 10/650 Tadoussac. L'Autheur se met en voyage avec ledit sieur Commandeur. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louis. Sa difficulté à le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage. Chap. VII. P. 44 Voyage du sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chaste. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle. L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le sieur de Poitrincourt va avec le sieur de Mons. Plaintes dudit sieur de Mons. Sa commission revoquée. Chap. VIII. P. 48 Livre Second. Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap Nègre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie. Du port de Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de la coste d'Acadie. Chap. I. P. 55 Description du Port Royal, & des particularitez d'iceluy. De l'isle Haute. Du port aux Mines. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux Mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste. Chap. II. P. 60 De la coste, peuples, & riviere de Norembeque. Chap. III. P. 68 Descouverture de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste des Almouchiquois, jusques au 42. degré de latitude, & des particularitez de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes passent le temps durant l'hyver. Chap. IIII. P. 75 Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux Isles. Canaux de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur chef honorablement receu de nous. Chap. V. P. 83 Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce qu'y avons remarqué de particulier. Chap. VI. P. 90 Continuation des susdites descouvertures jusques au port Fortuné, & quelque vingt lieues par de là. Chap. VII. P. 98 Descouverture depuis le Cap de la Héve, jusques à Canseau, fort particulièrement. Chap. VIII. P. 104 11/651 Livre Troisiesme. Voyages du sieur de Poitrincourt en la Nouvelle France, ou il laisse son fils le sieur de Biencourt. Pères Jesuistes qui y sont envoyez, & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir la Foy Chrestienne. Chap. I. P. 109 Seconde entreprise du sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que l'Autheur fait au lieu de Québec. Crieries contre le sieur de Mons. Chap. II, p. 127 Embarquement de l'Autheur pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere de Saguenay. De l'Isle d'Orléans. Chap. III. P. 130 Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du sault de Montmorency. Chap. IIII. P. 133 Arrivée de l'Autheur à Québec, où il fit ses logemens. Forme de vivre des Sauvages de ce pays là. Chap. V. P. 136 Semences de vignes plantées à Québec par l'Autheur. Sa charité envers les pauvres Sauvages. Chap. VI. P. 141 Partement de Québec jusques à l'Isle Sainct Eloy, & de la rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Ochataiguins. Chap. VII. P. 145 Retour à Québec, & depuis continuation avec les Sauvages jusques au Sault de la riviere des Hiroquois. Chap. VIII. P. 149 Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Hiroquois. Chap. IX. P. 155 Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin. Chap, X. P. 167 Deffaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere des Hiroquois. Chap. XI. P. 170 Description de la pesche des Baleines en la Nouvelle France, Ch. XII. P. 179 Partement de l'Autheur de Québec: du Mont Royal, & ses Rochers. Isles où se trouve la terre à potier. Isle de faincte Hélène. Chap. XIII. P. 182 Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit baillé, & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. XIIII. P. 188 12/652 Livre Quatriesme. Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Sault sainct Louys. Chap. I. P. 198 Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrans les difficultez. Response à ces difficultez. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession. Chap. II. P. 211 Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de la Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun. Nostre retour en France. Chap. III. P. 224 L'Autheur va trouver le sieur de Mons, qui luy commet la charge d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse à Monsieur le Prince, qui le prend en sa protection. Chap. IIII. P. 229 Embarquement de l'Autheur pour aller en la Nouvelle France. Nouvelles descouvertures en l'an 1615. Chap. V. P. 241 Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays: naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommoditez que nous receusmes. Chap. VI. P. 253 Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre. Chap. VII. P. 272 Changement de Viceroy de feu Monsieur le Mareschal de Thémines, qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la Nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux. Chap. VIII. P. 310 13/653 TABLE DES CHAPITRES contenus en la Seconde Partie. LIVRE PREMIER. Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arrivée à Québec. Prend possession du Pays, au nom de Monsieur de Montmorency. Chap. I. P. 1 Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apportées au sieur de Champlain. Chap. II. P. 8 Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France. Le sieur de May mis au Fort. Arrivée des Commis du sieur du Pont à Québec, & ce qui se passa sur ce qu'ils pretendoient. Chap, III. P. 16 Arrivée du sieur du Pont à Québec & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Sur l'arrest de sa Majesté. Magazin de Québec achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec. Chap. IIII. P. 21 L'Autheur faist travailler au fort de Québec. Voye asseurée qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin commis du sieur Dolu. Réunion des deux societés. Chap. V. P. 36 L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du Conseil. Des commoditez qui reviendroient de ces decouvertures. Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de faire la paix entr'eux. Chap. VI. P. 44 Arrivée du sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se passa le reste de l'année 1622. & aux premiers mois de 1623. Chap. VII. P. 49 Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yroquois. Advis du Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en l'Isle S. Jean. Plaintes des Sauvages accordées. Le meurtrier est pardonné. Cérémonies observées en recevant le pardon du Roy de France. Accord entre ces nations sauvages & les François. Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de Nouveaux édifices. Chap. VIII. P. 61 14/654 Livre Second. Monsieur le duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez. Chap. I. P. 87 Description de l'Isle de terre Neufve. Isles aux Oyseaux, Ramées, S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonaventure, Miscou, Baye de Chaleu, avec celle qui environne le Golfe S. Laurent, avec les Costes, depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là à Québec, sur le grand fleuve S. Laurent. Chap. II. P. 98 Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres. Chap. III. P. 133 Mort, & assassinat de Pierre Magnan, François, du chef des Sauvages appellé Reconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du P. l'Allemand à Québec. Necessitez en la Nouvelle France. Chap. IV. P. 142 Guerre déclarée par les Yroquois. Assemblée des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur veut venger ce meurtre. Chap. V. P. 149 Défauts observez par l'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois. Chap. VI. P. 184 Livre Troisiesme. Rapport du combat faict entre les François & les Anglois. Des François emmenez prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des François promet les advertir de toutes les menées des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient. Chap. I. P. 207 Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglois. Chap. II. P. 222 Le sieur de Champlain, ayant eu advis de l'arrivée des Anglois, donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux. Lettre qu'un Gentil-homme Anglois luy apporte, & sa response. 15/655 Articles de leur composition. Infidelles François prennent des commoditez de l'habitation. Anglois s'emparent de Québec. Chap. III. P. 237 Combat des François avec les Anglois. On fait parler l'Autheur au sieur Emery. Voyage des François pour secourir Québec. Le beau frère de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit de se retirer. Chap. IV. P. 251 Voyages de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy. Chap. V. P. 268 Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort mal heureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer. Chap. VI. P. 282 Partement des Anglois au port de Tadoussac, Général Quer craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de l'Autheur à Paris. Chap. VII. P. 292 Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la presente année 1629. P. 299 Abrege des descouvertures de la Nouvelle France, tant de ce que nous avons descouvert comme aussi les Anglois, depuis les Virgines jusqu'àu Freton Davis & de ce qu'eux & nous pouvons prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un chacun du tout sans passion. P. 322. 16/656 TABLE DU TRAITÉ de la Marine, & du devoir d'un bon Marinier. DE la Navigation. P. 5 Que les cartes pour la navigation sont necessaires. P. 19. Comme l'on doit user de la carte marine. P. 20. Comme les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole des Mariniers. P. 2l Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde. P. 26 Premier que rapporter les diverses estimes l'on verra une chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donné aux hommes pour eviter les périls de la plus part des navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du marinier, p. 28 Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au papier journal. P. 37 S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son estime, & pointer la carte. P. 40 De pointer la carte. P. 42 Autre manière d'estimer & arrester le poind sur la carte. P. 45 Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs. P. 48 Autre manière de pointer après l'estime faicte. P. 49 Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns Anglois bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect des estimes que l'on fait ordinairement. P. 50 Autre manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau cinglant par quelque vent que ce soit. P. 54 Autre façon d'estimer par fantaisie. P. 54 FIN. 1/657 [Illustration] LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. LIVRE PREMIER. _Estendue de la nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la nouvelle France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, & Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples._ CHAPITRE PREMIER. Les travaux que le Sieur de Champlain a soufferts aux descouvertes de plusieurs terres, lacs, rivieres, & isles de la nouvelle France depuis vingt-sept ans[1], ne luy ont point fait perdre courage pour les difficultez qui s'y sont rencontrées: mais au contraire les périls & hazards qu'il y a courus, le luy ont redoublé, au lieu de l'en destourner: & sur tout, deux 2/658 puissantes considerations l'ont fait resoudre d'y faire de nouveaux voyages. La première, que souz le règne du Roy Louis le Juste, la France se verra enrichie & accreue d'un païs dont l'estendue excede plus de seize cents lieues en longueur, & de largeur prés de cinq cents. La seconde, que la bonté des terres, & l'utilité qui s'en peut tirer, tant pour le commerce du dehors, que pour la douceur de la vie au dedans, est telle, que l'on ne peut estimer l'avantage que les François en auront quelque jour, si les Colonies Françoises y estans establies, y sont protégées de la bien-veillance & authorité de sa Majesté. [Note 1: Champlain fit son premier voyage en la Nouvelle-France dès 1603: par conséquent en 1632, il y avait vingt-neuf ans qu'il avait commencé ses découvertes de ce côté. Ce nombre de vingt-sept ans, qui se trouve au commencement de cette édition de 1632, est une preuve assez forte que l'auteur commença son travail de publication peu de temps après la prise de Québec par les frères Kerck, peut-être même des l'automne de 1629. Une édition complète de ses voyages devait avoir le bon effet d'éclairer la cour de France sur les ressources que pouvait offrir pour l'avenir un pays si avantageusement doué de la nature, et surtout de faire bien comprendre les droits de priorité de possession que pouvaient revendiquer les Français sur toutes ces nouvelles et importantes régions qui portaient depuis longtemps déjà le nom de Nouvelle-France. Aussi, quelques lignes plus loin, l'auteur laisse assez entrevoir le motif de cette édition, qui résume ses premiers voyages, et renferme tous les principaux événements des années subséquentes.] Ces nouvelles descouvertes ont causé le dessein d'y faire ces Colonies, lesquelles quoy que d'abord elles ayent esté de petite consideration, néantmoins par succession de temps, au moyen du commerce, elles égalent les Estats des plus grands Rois. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les Espagnols ont édifiées au Pérou, & autres parties du monde, depuis six vingt ans en ça, qui n'estoient rien en leur principe. L'Europe peut rendre tesmoignage de celle de Venise, qui estoit à son commencement une retraitte de pauvres pescheurs. Gennes, l'une des plus superbes villes du monde, édifiée dedans un païs environné de montagnes, fort desert, & 3/659 si infertile, que les habitans sont contraints de faire apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardinages d'alentour, & leur mer est sans poisson. La ville de Marseille, qui autre-fois n'estoit qu'un marescage, environné de collines & montagnes assez fascheuses, neantmoins par succession de temps a rendu son territoire fertile, & est devenue fameuse, & grandement marchande. Ainsi plusieurs petites Colonies ayans la commodité des ports & des havres, se sont accreue en richesses & réputation. Il se peut dire aussi, que le pays de la nouvelle France est un nouveau monde, & non un royaume, beau en toute perfection, & qui a des scituations très-commodes, tant sur les rivages du grand fleuve Sainct Laurent (l'ornement du pays) qu'és autres rivieres, lacs, estangs, & ruisseaux, ayant une infinité de belles isles accompagnées de prairies & boccages fort plaisans & agréables, où durant le Printemps & l'Esté se voit un grand nombre d'oiseaux, qui y viennent en leur temps & saison: les terres très-fertiles pour toutes sortes de grains, les pasturages en abondance, la communication des grandes rivieres & lacs, qui sont comme des mers traversant les contrées, & qui rendent une grande facilité à toutes les descouvertes, dans le profond des terres, d'où on pourroit aller aux mers de l'Occident, de l'Orient, du Septentrion, & s'estendre jusques au Midy. Le pays est remply de grandes & hautes forests, peuplé de toutes les mesmes sortes de bois que nous avons en France; l'air salubre, & les eaux excellentes sur les mesmes 4/660 parallelles d'icelle: &l'utilité qui se trouvera dans le païs, selon que le Sieur de Champlain espere le representer, est assez suffisant pour mettre l'affaire en consideration, puis que ce pays peut produire au service du Roy les mesmes advantages que nous avons en France, ainsi qu'il paroistra par le discours suivant. Dans la nouvelle France y a nombre infiny de peuples sauvages, les uns sont sedentaires amateurs du labourage, qui ont villes & villages fermez de pallissades, les autres errans qui vivent de la chasse & pesche de poisson, & n'ont aucune cognoissance de Dieu. Mais il y a esperance que les Religieux qu'on y a menez, & qui commencent à s'y establir, y faisant des Séminaires, pourront en peu d'années y faire de beaux progrez pour la conversion de ces peuples. C'est le principal soin de sa Majesté, laquelle levant les yeux au ciel, plustost que les porter à la terre, maintiendra, s'il luy plaist, ces entrepreneurs, qui s'obligent d'y faire passer des Ecclesiastiques, pour travailler à ceste saincte moisson, & qui se proposent d'y establir une Colonie, comme estant le seul & unique moyen d'y faire recognoistre le nom du vray Dieu, & d'y establir la Religion Chrestienne, obligeant les François qui y passeront, de travailler au labourage de la terre, avant toutes choses, afin qu'ils ayent sur les lieux le fondement de la nourriture, sans estre obligez de le faire apporter de France: & cela estant, le pays fournira avec abondance, tout ce que la vie peut souhaitter, soit pour la necessité, ou pour le plaisir, ainsi qu'il sera dit cy-aprés. 5/661 Si on desire la vollerie, il se trouvera dans ces lieux de toutes sortes d'oiseaux de proye, & autant qu'on en peut désirer: les faucons, gerfauts, sacres, tiercelets, esperviers, autours, esmerillons, mouschets[2], de deux sortes d'aigles, hiboux petits & grands, ducs grands outre l'ordinaire[3], pies griesches, piverts, & autres sortes d'oyseaux de proye, bien que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos, & blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye, duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un canard, qui luy sert à nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu ailleurs qu'en la nouvelle France [4]. [Note 2: Dans quelques parties de la France, et surtout en Picardie, on donnait le nom de _mouchets_ aux petits oiseaux de proie.] [Note 3: C'est une variété du Grand Duc _(Bubo Virginianus)_.] [Note 4: L'oiseau dont parle ici Champlain, est le Balbuzard de la Caroline _(Pandion Carolinensis)_. Ce passage montre qu'on a fait sur notre aigle pêcheur les mêmes contes que sur celui d'Europe. «C'est une erreur populaire,» dit Buffon, «que cet oiseau nage avec un pied, tandis qu'il prend le poisson avec l'autre, et c'est cette erreur populaire qui a produit la méprise de M. Linnaeus. Auparavant, M, Klein a dit la même chose de l'orfraie ou grand aigle de mer; il s'est également trompé, car ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre aucuns doigts du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans Albert-le-Grand, qui a écrit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie: ce qui est non-seulement faux, mais absurde et contre toute analogie.»] Pour la chasse du chien couchant, les perdrix s'y trouvent de 6/662 trois sortes[5]; les unes sont vrayes gelinotes, autres noires, autres blanches, qui viennent en hyver, & qui ont la chair comme les ramiers, & d'un très-excellent goust. [Note 5: Les trois espèces de perdrix que mentionne ici Champlain, sont celles que l'on rencontre communément dans nos forêts: la Perdrix de savane, ou Gelinotte du Canada _(Tetrao Canadensîs, LINN.)_; la Perdrix de bois, ou Coq de bruyère _(Bonasa umbellus, STEPH.)_, et la Perdrix blanche (Lagopus albus, AUD.). Boucher et Charlevoix n'en mentionnent aussi que trois espèces. «Il y a, dit le premier, trois sortes de Perdrix; les unes sont blanches, & elles ne se trouvent qu'en Hyver, elles ont de la plume jusque sur les argots, elles sont belles & plus grosses que celles de France, la chair en est délicate. Il y a d'autres perdrix qui sont toutes noires, qui ont des yeux rouges: elles sont plus petites que celles de France, la chair n'en est pas si bonne à manger; mais c'est un bel oyseau, & elles ne sont pas bien communes. Il y a aussi des Perdrix grises, qui sont grosses comme des Poules: celles-là sont fort communes & bien aisées à tuer, car elles ne s'enfuyent quasi pas du monde: la chair est extrêmement blanche & seiche.» (Hist. véritable & naturelle, ch. VI.) Nous avons cependant une quatrième espèce de Perdrix, le _Lagopus rupestris_; mais on ne la trouve que vers la côte du Labrador.] Quant à l'autre chasse du gibbier, il y abonde grande quantité d'oiseaux de riviere, de toutes sortes de canards, sarcelles, oyes blanches & grises, outardes, petites oyes, beccasses, beccassines, allouettes grosses & petites, pluviers, hérons, grues, cygnes, plongeons de deux ou trois façons, poulles d'eau, huarts, courlieux, grives, mauves blanches & grises, & sur les costes & rivages de la mer, les cormorans, marmettes, perroquets de mer, pies de mer, apois, & autres en nombre infiny, qui y viennent selon leur saison. Dans les bois, & en la contrée où habitent les Hiroquois, peuples de la nouvelle France, il se trouve nombre de cocs d'Inde sauvages, & à Quebec quantité de tourtres tout le long de l'esté, merles, fauves, allouettes de terre, autres sortes d'oiseaux de divers plumages, qui sont en leur saison de très-doux ramages. Après cette sorte de chasse, y en a une autre non moins plaisante & agréable, mais plus pénible, y ayant audit pays des renards, loups communs, & loups cerviers, chats sauvages, porcs-espics, castors, rats musquez, loutres, martres, fouines, especes de blereaux, lapins, ours, eslans[6], cerfs, dains, 7/663 caribous de la grandeur des asnes sauvages, chevreux, escurieux vollans, & autres, des hermines, & autres especes d'animaux que nous n'avons pas en France. On les peut chasser, soit à l'affus, ou au piège, par huées dans les isles, où ils vont le plus souvent, & comme ils se jettent en l'eau entendant le bruit, on les peut tuer aisément, ou ainsi que l'industrie de ceux qui voudront y prendre le plaisir, le fera voir. [Note 6: Par _élan_, les auteurs qui ont écrit sur le Canada ont désigné généralement l'Orignal, ou _Orignac_. «Premièrement, dit Lescarbot, parlons de l'Ellan... lequel noz Basques appellent _Orignac_.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) «Commençons, dit Boucher, par le plus commun & le plus universel de tous les animaux de ce pays, qui est l'Elan, qu'on appelle en ces quartiers icy Orignal.» (Hist. véritable & naturelle, ch. v.) «Les eslans, dit Sagard, ou orignats, en Huron Sondareinta, sont fréquents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy des Hurons, sinon à la contrée du Nort.» (Hist. du Canada, p. 749.) «Ce qu'on appelle ici _Orignal_, dit Charlevoix, c'est ce qu'en Allemagne, en Pologne & en Moscovie on nomme _Elan_, ou la _Grand-Bête._» (Journal historique, lettre VII.) A part l'Orignal _(Alce Americanus, BAIRD)_, la même famille compte encore, en Canada, quatre espèces différentes de Cerfs, qui peuvent correspondre à celles que mentionne ici Champlain: 1° Le Cerf du Canada _(Cervus Canadensis, GRAY)_. 2° Le Caribou, dont il y a deux espèces: le _Rangifer caribou_, AUD., et le _Rangifer Groenlandicus_, BAIRD. 3° Le Chevreuil, ou Cerf de Virginie (_Cervus Virginianus_, AUD.).] Si on aime la pesche du poisson, soit avec les lignes, filets, parcs, nasses, & autres inventions, les rivieres, ruisseaux, lacs, & estangs sont en tel nombre que l'on peut desirer, y ayant abondance de saumons, truittes très-belles, bonnes & grandes de toutes sortes, esturgeons de trois grandeurs, aloses, bars fort bons, & tel se trouve qui pese vingt livres: carpes de toutes sortes, dont y en a de très-grandes, & des brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans escaille, de deux à trois sortes grands & petits: poisson blanc d'un pied de long[7]: poisson doré, esplan, tanche, perche, tortue, loups marins, dont l'huile est fort bonne, mesme à frire, marsouins blancs, & beaucoup d'autres que nous n'avons point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. Toutes ces especes de poissons se trouvent dans le grand fleuve Sainct Laurent: & d'avantage, mollues & baleines se peschent tout le long des costes de la nouvelle France presque en toute saison. [Note 7: Le Poisson Blanc, en certaines parties du Canada et spécialement aux environs de Québec, atteint jusqu'à près de deux pieds.] 8/664 Ainsi de là on peut juger le plaisir que les François auront en ces lieux y estans habituez, vivans dans une vie douce & tranquille, avec toute liberté de chasser, pescher, se loger & s'accommoder selon sa volonté, y ayans dequoy occuper l'esprit à faire bastir, desfricher les terres, labourer des jardinages, y planter, enter, & faire pépinières, semer de toutes sortes de grains, racines, légumes, sallades, & autres herbes potagères, en telle estendue de terre, & en telle quantité que l'on voudra. La vigne y porte des raisins assez bons, bien qu'elle soit sauvage, laquelle estant transplantée, & labourée, portera des fruicts en abondance. Et celuy qui aura trente arpents de terre défrichée en ce pays là, avec un peu de bestail, la chasse, la pesche, & la traitte avec les Sauvages, conformément à l'establissement de la Compagnie de la nouvelle France, il y pourra vivre luy dixiesme, aussi bien que ceux qui auroient en France quinze à vingt mil livres de rente. Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs Estats. Voyages des François faits és Terres neufves depuis l'an 1504. CHAPITRE II. Les palmes & les lauriers les plus illustres que les Rois & les Princes peuvent acquérir en ce monde, est que mesprisans les biens temporels, porter leur desir à acquérir les spirituels: ce qu'ils ne peuvent faire plus utilement, qu'en attirant 9/665 par leur travail & pieté un nombre infiny d'âmes sauvages (qui vivent sans foy, sans loy, ny cognoissance du vray Dieu) à la profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Car la prise des forteresses, ny le gain des batailles, ny la conqueste des pays, ne sont rien en comparaison ny au prix de celles qui se préparent des coronnes au ciel, si ce n'est contre les Infidèles, où la guerre est non seulement necessaire, mais juste & saincte, en ce qu'il y va du salut de la Chrestienté, de la gloire de Dieu, & de la défende de la foy, & ces travaux sont de soy louables & tres-recommandables, outre le commandement de Dieu, qui dit, _Que la conversion d'un infidèle vaut mieux que la conqueste d'un Royaume_. Et si tout cela ne nous peut esmouvoir à rechercher les biens du ciel aussi passionnément du moins que ceux de la terre, d'autant que la convoitise des hommes pour les biens du monde est telle, que la plus-part ne se soucient de la conversion des infidèles, pourveu que la fortune corresponde à leurs desirs, & que tout leur vienne à souhait. Aussi est-ce ceste convoitise qui a ruiné, & ruine entièrement le progrez & l'advancement de ceste saincte entreprise, qui ne s'est encores bien avancée, & est en danger de succomber, si sa Majesté n'y apporte un ordre tres-sainct, charitable, & juste, comme elle est, & qu'elle mesme ne prenne plaisir d'entendre ce qui se peut faire pour l'accroissement de la gloire de Dieu, & le bien de son Estat, repoussant l'envie qui se met par ceux qui devroient maintenir ceste affaire, lesquels en cherchent plustost la ruine que l'effect. 10/666 Ce n'est pas chose nouvelle aux François d'aller par mer faire de nouvelles conquestes: car nous sçavons assez que la descouverte des Terres neufves, & les entreprises genereuses de mer ont esté commencées par nos devanciers. Ce furent les Bretons & les Normands, qui en l'an 1504-descouvrirent[8] les premiers des Chrestiens, le grand 11/667 Banc des Moluques, & les Isles de Terre neufve, ainsi qu'il se remarque és histoires de Niflet[9], & d'Antoine Maginus. [Note 8: Les Bretons, les Normands et les Basques fréquentaient déjà le grand banc de Terreneuve dès l'an 1504, et cela depuis longtemps, d'après le témoignage de plusieurs auteurs tant français qu'étrangers. «Quant au premier,» dit Lescarbot, en parlant de Terreneuve, «il est certain que tout ce pais que nous avons dit se peut appeller Terre-neuve, & le mot n'en est pas nouveau: car de toute mémoire, & dés plusieurs siècles noz Dieppois, Maloins, Rochelois, & autres mariniers du Havre de Grâce, de Honfleur & autres lieux, ont les voyages ordinaires en ces païs-là pour la pêcherie des Morues dont ilz nourrissent presque toute l'Europe, & pourvoyent tous vaisseaux de mer. Et quoy que tout pais de nouveau découvert se puisse appeller Terre-neuve, comme nous avons rapporté au quatrième chapitre du premier livre que Jean Verazzan appella la Floride Terre-neuve, pource qu'avant lui aucun n'y avoit encore mis le pied: toutefois ce mot est particulier aux terres plus voisines de la France és Indes Occidentales, léquelles sont depuis les quarante jusques au cinquantième degré. Et par un mot plus général on peut appeller Terre-neuve tout ce qui environne le Golfe de Canada, où les Terre-neuviers indifféremment vont tous les ans faire leur pêcherie: ce que j'ay dit être dès plusieurs siecles; & partant ne faut qu'aucune autre nation se glorifie d'en avoir fait la découverte. Outre que cela est très-certain entre noz mariniers Normans, Bretons, & Basques, léquels avoient imposé nom à plusieurs ports de ces terres avant que le Capitaine Jacques Quartier y allât; je mettray encore ici le témoignage de Postel que j'ay extrait de sa Charte géographique en ces mots: _Terra haec ob lucrosissimam piscationis utilitatem summa literarum memoria a Gallis adiri solita, & ante mille sexcentos annos frequentari solita est: sed eo quod sit urbibus inculta & vasta, spreta est_. De manière que nôtre Terre-neuve étant du continent de l'Amérique, c'est aux François qu'appartient l'honneur de la première découverte des Indes Occidentales, & non aux Hespagnols. Quant au nom de _Bacalos_ il est de l'imposition de noz Basques, léquels appellent une Morue Bacaillos, & à leur imitation noz peuples de la Nouvelle-France ont appris à nommer aussi la Morue Bacaillos, quoy qu'en leur langage le nom propre de la morue soit _Apegé_. Et ont dés si long temps la fréquentation dédits Basques, que le langage des premières terres est à moitié de Basque.» (Hist. de la Nouv. France, p. 228, 229.) «Les grands profits,» dit le commentateur des Jugements d'Oleron, «& la facilité que les habitans de Capberton» (Cap breton) «prez Bayonne, & les Basques de Guienne ont trouvé à la pescherie des Balenes, ont servi de Leurre & d'amorce à les rendre hazardeux à ce point, que d'en faire la queste sur l'Océan, par les longitudes & les latitudes du monde. A cest effet ils ont cy-devant équippé des Navires, pour chercher le repaire ordinaire de ces monstres. De sorte que suivant ceste route, ils ont descouvert cent ans avant les navigations de Christophe Colomb, le grand & petit banc des Morues, les terres de Terre-neufve, de Capberton & Baccaleos _(Qui est à dire Morue en leur langage)_ le Canada ou nouvelle France, où c'est que les mers sont abondantes & foisonnent en Balenes. Et si les Castillans n'avoient pris à tasche de dérober la gloire aux François de la première atteinte de l'Isle Athlantique, qu'on nomme Indes Occidentales, ils advoueroient, comme ont fait _Corneille Wytfliet & Anthoine Magin_, Cosmographes Flamans, ensemble _F. Antonio S. Roman, Monge de S. Benico, del Historia général de la India, lib. I, cap. 2, pag. 8. que le Pilote lequel porta la première nouvelle à Christophe Colomb, & luy donna la connoissance & l'adresse de ce monde nouveau, fut un de nos Basques Terre-neufiers.» (Jugements d'Oleron, p. 151, 152). «Si, dans la langue primitive des Basques,» dit M. Francis Parkman (_Pioneers of France in the New World,_ p. 171, note), «le mot baccaleos veut dire morue, et que Cabot l'ait trouvé en usage parmi les habitants de Terreneuve, il est difficile d'éluder la conclusion, que les Basques y avaient été avant lui.»] [Note 9: Wytfliet. L'auteur parle ici, sans doute, de l'édition française publiée à Douay en 1611, et qui a pour titre: «Histoire universelle des Indes Occidentales et Orientales, et de la Conversion des Indiens, divisée en trois parties, par Cornille Wytfliet, et Anthoine Magin, et autres historiens.» La première partie, qui est de Wytfliet, avait d'abord paru en latin, à Louvain, en 1597, sous le titre: _Descriptionis Ptolemaicae Augmentum sive Occidentis notitia brevi commentario illustrata studio et opéra Cornely Wytjliet Louaniensis._ L'année suivante, il en parut une seconde édition, dans le titre de laquelle on a ajouté _et bac secundo editione magna sui parte aucta C. Wytfliet auctore_. Dans les éditions subséquentes, ce sont les mêmes cartes que celles de 1597; et, dans quelques-unes de ces cartes, on retrouve encore les restes du chiffre mal effacé 1597, en particulier dans celles intitulées Chica, etc., _Peruani regni descriptio. Limes Occidentis Quivira et Anian Norumbega et Virginia, Nova Francia et Canada._ La seconde partie est intitulée «Histoire Universelle des Indes Occidentales, divisée en deux livres, faicte en latin par Antoine Magin, nouvellement traduite...»] Il est aussi très-certain que du temps du Roy François premier en l'an 1323.[10] il envoya Verazzano Florentin descouvrir les terres, costes,& havres de la Floride, comme les relations de ses voyages font foy: où après avoir recognu depuis le 33e 12/668 degré [11], jusques au 47. de pays[12], ainsi comme il pensoit s'y habituer, la mort luy fit perdre la vie avec ses desseins[13]. [Note 10: Vérazzani était parti en 1523; mais ce ne fut qu'au commencement de l'année suivante qu'il se rendit en Amérique, comme on peut le voir par la lettre qu'il adressa, de Dieppe, à François I, en date du 8 juillet 1524, pour lui rendre compte de ce qu'il avait pu faire jusque-là. Ramusio (vol. III, fol. 35°) et Hakluyt (vol. III, p. 295) nous ont conservé cette lettre, qui n'est cependant, à ce qu'il paraît, qu'un abrégé de celle conservée à Florence, dans la bibliothèque Magliabecchi. (Voir _Pioneers of France in the New World_, par FRANCIS PARKMAN, p. 175, note I.)] [Note 11: Vérazzani a dû même se rendre jusque vers le trente-deuxième degré, c'est-à-dire, non loin de l'embouchure de la rivière Savannah; car, suivant sa propre relation, après avoir fait cinquante lieues vers le sud, pour chercher un havre, il revint sur ses pas, fit voile vers le nord, et, se trouvant dans le même embarras, il mouilla par la hauteur de 34°. Il avait donc fait plus de cinquante lieues au-delà du trente-quatrième degré, dans une direction à peu près sud-est; ce qui équivaut à environ deux degrés de latitude.] [Note 12: C'est la latitude de la côte méridionale de Terreneuve, et c'est en effet la dernière terre de l'Amérique que Vérazzani paraît avoir vue: «Faisant le nord-est, dit-il, l'espace de cent cinquante lieues, nous approchâmes la terre qui dans les temps passés fut découverte par les Bretons, laquelle est par les cinquante degrés.» (Hakluyt, vol. III.)] [Note 13: Vérazzani ne périt point à ce voyage, puisqu'il fit au roi de France rapport de ses découvertes. Il n'avait fait, cette fois, qu'un simple voyage d'exploration; mais, d'après Ramusio (vol. III, fol. 438), son intention était d'engager François I à fonder une colonie en Amérique. On ignore absolument quelle fut la fin de cet intrépide voyageur; seulement, on voit, par une lettre d'Annibal Caro, I, 6, qu'il était encore vivant en 1537. Cette lettre est citée dans Tiraboschi.] Du depuis, le mesme Roy François, à la persuasion de Messire Philippes Chabot Admiral de France, dépescha Jacques Cartier, pour aller descouvrir nouvelles terres: & pour ce sujet il fit deux voyages és années 1534 & 35. Au premier il descouvrit l'isle de Terre neufve, & le golphe de Sainct Laurent, avec plusieurs autres Isles de ce golphe; & eust fait davantage de progrés, n'eust esté la saison rigoureuse qui le pressa de s'en revenir. Ce Jacques Cartier estoit de la ville de Sainct Malo, fort entendu & expérimenté au faict de la marine, autant qu'autre de son temps: aussi Sainct Malo est obligée de conserver sa mémoire, tout son plus grand desir estant de descouvrir nouvelles terres: & à la sollicitation de Charles de Mouy sieur de la Mailleres[14], lors Vice-Admiral, il entreprint le mesme voyage pour la deuxiesme fois: & pour venir à chef de son dessein, & y faire jetter par sa Majesté le fondement d'une Colonie, afin d'y accroistre l'honneur de Dieu, & son authorité Royale, pour cet effect il donna ses commissions, avec celle du dit sieur Admiral, qui avoit la direction de cet embarquement, auquel il contribua de son pouvoir. [Note 14: Meilleraye.] Les commissions expédiées, sa Majesté donna la charge audit 13/669 Cartier, qui se met en mer avec deux vaisseaux le 16 May[15] 1535. & navige si heureusement, qu'il aborde dans le golfe Sainct Laurent, entre dans la riviere avec les vaisseaux du port de 800. tonneaux [16], & fait si bien qu'il arrive jusques à une isle, qu'il nomma l'isle d'Orléans [17], à cent vingt lieues à mont le fleuve. De là va à quelque dix lieues du bout d'amont dudit fleuve hyverner à une petite riviere qui asseche presque de basse mer, qu'il nomma Saincte Croix, pour y estre arrivé le jour de l'Exaltation de saincte Croix: lieu qui s'appelle maintenant la riviere sainct Charles, sur laquelle à prêtent sont logez les Pères Recollets, & les Peres Jesuites[18], pour y faire un Séminaire à instruire la jeunesse. [Note 15: La relation du second voyage de Cartier commence en effet par cette date; mais le départ n'eut lieu que le 19 suivant. «Le dimenche, dit-il, jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en l'an mil cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de tous, chascun se confessa, & receusmes tous ensemblement nostre créateur en l'esglise cathédrale de sainct Malo. Après lequel avoir reçu, feusmes nous presenter au coeur de ladicte eglise, devant reverend père en Dieu monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa benediction. Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la grand Hermine du port environ cent à six vingtz tonneaulz... Le second navire nommé la petite Hermine, du port environ soixante tonneaulz... Le tiers navire nommé l'Emerillon du port de environ quarante tonneaulz...» (Second Voy.)] [Note 16: Deux cents à deux cent vingt tonneaux. (Voir la note précédente.)] [Note 17: En remontant le fleuve, dans l'automne de 1535, Cartier l'appela _île de Bacchus_, et, le printemps suivant, au retour du même voyage, il dit: «Vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans.» (Voir Brief Récit, Notes de M. d'Avezac, verso 63.--Voir aussi le Voyage 1603, p. 24, note 1 de cette édition.)] [Note 18: On sait que les Pères Jésuites, en arrivant à Québec, logèrent chez les Pères Récollets, à leur couvent de Notre-Dame-des-Anges, pendant deux ans et demi (Sagard, Hist. du Canada, p. 868); mais, à l'époque de l'édition de 1632, les Jésuites demeuraient de l'autre côté de la rivière Saint-Charles, près de l'embouchure de la petite rivière Lairet. «Nos Frères, dit Sagard, leur offrirent charitablement, & les mirent en possession cordialement, de la juste moitié de nostre maison (à leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue estendue fermé de bonnes palissades & pièces de bois, qu'ils ont occupez par l'espace de deux ans & demy. De plus ils leur presterent une charpente toute disposée & preste à mettre en oeuvre, pour un nouveau corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an 1627, ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient de rechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont employées à leur bastiment commencé au delà de la petite riviere sept ou 800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle communément le fort de Jacques Cartier.» (_Ibid._)] 14/680 De là ledit Cartier alla à mont ledit fleuve quelques soixante lieues, jusques à un lieu qui s'appelloit de son temps _Ochelaga_, & qui maintenant s'appelle Grand Sault sainct Louis, lesquels lieux estoient habitez de Sauvages, qui estans sedentaires, cultivoient les terres. Ce qu'ils ne font à present, à cause des guerres qui les ont fait retirer dans le profond des terres. Cartier ayant recognu, selon son rapport, la difficulté de pouvoir passer les Sauts, & comme estant impossible, s'en retourna où estoient ses vaisseaux, où le temps & la saison le presserent de telle façon, qu'il fut contraint d'hyverner en la riviere Saincte Croix, en un endroit où maintenant les Pères Jesuites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite riviere qui se descharge dans celle de Saincte Croix, appellée la riviere de Jacques Cartier[19], comme ses relations font foy. [Note 19: Aujourd'hui la rivière Lairet. (Voir la note 4 de la page précédente.)] Cartier receut tant de mescontentement en ce voyage, qu'en l'extrême maladie du mal de scurbut, dont ses gens la plus-part moururent, que le printemps revenu il s'en retourna en France assez triste & fasché de ceste perte, & du peu de progrès qu'il s'imaginoit ne pouvoir faire, pensant que l'air estoit si contraire à nostre naturel, que nous n'y pourrions vivre qu'avec beaucoup de peine, pour avoir esprouvé en son hyvernement le mal de scurbut, qu'il appelloit mal de la terre. Ainsi ayant fait sa relation au Roy, & audit Sieur Admiral, & de Mallières[20], lesquels n'approfondirent pas ceste affaire, 15/671 l'entreprise fut infructueuse. Mais si Cartier eust peu juger les causes de sa maladie, & le remède salutaire & certain pour les eviter, bien que luy & ses gens receurent quelque soulagement par le moyen d'une herbe appellée _aneda_ comme nous avons fait à nos despens aussi bien que luy, il n'y a point de doute que le Roy dés lors n'auroit pas négligé d'assister ce dessein comme il avoit desja fait: car en ce temps là le pays estoit plus peuplé de gens sedentaires qu'il n'est à prêtent: qui occasionna sa Majesté à faire ce second voyage, & poursuivre ceste entreprise, ayant un sainct desir d'y envoyer des peuplades. Voila ce qui en est arrivé. [Note 20: De Meilleraye, vice-amiral.] D'autres que Cartier eussent bien peu entreprendre ceste affaire, qui ne se fussent si promptement estonnez, & n'eussent pour cela laissé de poursuivre l'entreprise, estant si bien commencée. Car, à dire vray, ceux-là qui ont la conduitte des descouvertures, sont souventefois ceux qui peuvent faire cesser un louable dessein, quand on s'arreste à leurs relations: car y adjoustant foy, on le juge comme impossible, ou tellement traversé de difficultez, qu'on n'en peut venir à bout qu'avec des despenses & difficultez presque insupportables. Voila le sujet qui a empesché dés ce temps là que ceste entreprise sortist effects: outre que dans un Estat se presentent quelquefois des affaires importantes, qui font que celle-cy se négligent pour un temps: ou bien que ceux qui ont bonne volonté de les poursuivre, viennent à mourir, & ainsi les années se passent sans rien faire. 16/672 _Voyage en la Floride souz le règne du Roy Charles IX. par Jean Ribaus. Fit bastir un Fort, appellé le Fort de Charles, sur la riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par un Anglais. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de famine. Recompense de l'Empereur Charles V. à ceux qui firent la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May par les Espaynols, Attaquent Laudonniere. François tuez, & pendus avec des escriteaux._ CHAPITRE III. Souz le règne du Roy Charles IX. & à la poursuitte de l'Admirai de Chastillon[21], Jean Ribaus se met en mer le 18 Fevrier 1562. avec deux vaisseaux équipez de ce qui luy estoit necessaire pour aller jetter les fondemens d'une Colonie. Passant par les isles du golphe de Mexique, vint ranger la coste de la Floride, où il reconnut une riviere, qu'il appella la riviere de May[22], & y fit édifier un fort, qu'il nomma du nom de Charles, y laissant pour y commander le Capitaine Albert, fourny & muny de tout ce qu'il jugeoit estre necessaire. Cela fait, il met la voile au vent, & s'en revint en France le 20 de Juillet, & fut prés de six mois à son voyage. [Note 21: Gaspard de Châtillon, sire de Coligny.] [Note 22: Aujourd'hui la rivière Saint-Jean.] 17/673 Cependant le Capitaine Albert ne se soucie de faire défricher les terres, pour ensemencer & eviter les necessitez, mangent leurs vivres sans y apporter l'ordre necessaire en telles affaires: ce que faisant, ils se trouverent courts de telle façon, que la disette fut extrême. Sur ce, les soldats & autres qui estoient souz son obeissance, ne voulans luy obéir, en fit pendre un pour un bien petit sujet, ce qui fut cause que quelques jours après la mutinerie s'y esmeut si violente, & la desobeissance fut telle, qu'ils tuèrent leur chef, & en esleverent un autre, appelle Nicolas Barré, homme de conduitte. Et voyans que nul secours ne leur venoit de France, ils firent édifier une petite barque pour s'y en retourner, & se mettent en mer avec fort peu de vivres. L'histoire dit que la famine fut si cruelle, qu'ils mangèrent un leurs compagnons. Mais Dieu ayant pitié de ceste troupe miserable, leur fit tant de grâce, qu'ils furent rencontrez d'un Anglois, qui les secourut & emmena en Angleterre, où ils se rafraischirent. Voila le peu de soin que l'on eut à les secourir, pour les guerres qui estoient entre la France & l'Espagne. Cependant c'estoit une grande cruauté de laisser mourir des hommes de faim, & réduits à tel poinct que de s'entre-manger, faute d'envoyer une petite barque au risque de la mer, qui les pouvoit secourir. Ce fut un retardement pour la Colonie, & un presage d'une plus mauvaise fin, puis que le commencement avoit esté mal conduit en toutes choses. La paix se fait entre la France & l'Espagne, qui donne loisir de faire nouveaux desseins & embarquemens. Ledit Sieur Admiral 18/674 de Chastillon fit equipper d'autres vaisseaux [23] souz la charge du Capitaine Laudonniere[24], qui fut accommodé de toutes choses pour sa peuplade. Il partit[25] le 22 d'Avril 1564. & arriva à la coste de la Floride par le 32e degré, au lieu de la riviere de May, où estant, & ayant mis tous ses compagnons à terre, & autres commoditez, il fit édifier un fort, qu'il nomma la Caroline[26]. [Note 23: «Trois vaisseaux, l'un de six vingts tonneaux, l'autre de cent, l'autre de soixante.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 60.)] [Note 24: René de Laudonniere, gentilhomme poitevin, qui avait accompagné Ribaut en 1562.] [Note 25: «Du Havre de Grâce.» (Lescarbot.)] [Note 26: «En l'honneur de Charles IX, ce fort reçut le nom de Caroline, qui s'est conservé et a été plus tard donné à deux des états de la république américaine.» (M. Ferland, Cours d'Hist., I, 51.)] Pendant le temps que les vaisseaux estoient en ce lieu, se firent des conspirations contre Laudonniere, qui furent descouvertes: & toutes choses remises, Laudonniere se délibère de renvoyer ses vaisseaux en France, & laissa pour y commander le Capitaine Bourdet, lequel singlant en haute mer pour achever son voyage, laissant là Laudonniere, avec ses compagnons, partie desquels se mutinèrent de telle façon, qu'ils menacèrent de faire mourir leur Capitaine, s'il ne leur permettoit d'aller ravager vers les isles des Vierges, & Sainct Dominique, force luy fut leur permettre, & donner congé. Ils se mettent en une petite barque, font quelque proye sur les vaisseaux Espagnols, & après qu'ils eurent bien couru toutes ces isles, ils furent contraints s'en retourner au fort de la Caroline, où estans arrivez, Laudonniere fit prendre quatre des principaux seditieux, qui furent exécutez à mort. En suitte de ces 19/675 malheurs, les vivres venans à leur manquer, ils souffrirent beaucoup jusques en May, sans avoir aucun secours de France; & estans contraints d'aller chercher des racines dans les bois l'espace de six sepmaines, en fin ils se resolurent de bastir une barque pour estre preste au mois d'Aoust, & avec icelle retourner en France. Cependant la famine croissait de plus en plus, & ces hommes devenoient si foibles & débiles, qu'ils ne pouvoient presque parachever leur travail; qui les occasionna d'aller chercher à vivre parmy les Sauvages, qui les traittoient fort mal, leur survendant les vivres beaucoup plus qu'ils ne valloient, se rians & moquans des François, qui ne souffroient ces moqueries qu'à regret. Laudonniere les appaisoit le plus doucement qu'il pouvoit: mais quoy qu'il en fust, il fallut avoir la guerre avec les Sauvages, pour avoir dequoy te substanter, & firent si bien qu'ils recouvrerent du bled d'Inde, qui leur donna courage de parachever leur vaisseau: cela fait, ils se mirent à ruiner & démolir le fort, pour s'en retourner en France. Comme ils estoient sur ces entre-faites, ils apperceurent quatre voiles, & craignans au commencement que ce ne fussent Espagnols, en fin ils furent recognus estre Anglois, lesquels voyans la necessité des François, les assisterent de commoditez, & mesmes les accommodèrent de leurs vaisseaux. Ceste courtoisie remarquable fut faite par le chef de cet embarquement, qui s'appelloit Jean 20/676 Hanubins[27]. Les ayant accommodez au mieux qu'il peut, leve les anchres, met à la voile, pour parachever le dessein de son voyage. [Note 27: Hawkins. «Somme, dit Lescarbot, il ne se peut exprimer au monde de plus grande courtoisie que celle de cet Anglois, appellé Jean Hawkins, duquel si j'oubliois le nom, je penserois avoir contre lui commis ingratitude.» (Hist. de la Nouv. France, p. 106, 107.)] Comme Laudonniere estoit prest de s'embarquer avec tes compagnons, il apperceut des voiles en mer; & estant en impatience de sçavoir qui ils estoient, on recognut que c'estoit le Capitaine Ribaus, qui venoit donner secours à Laudonniere. Les resjouissances de part & d'autre furent grandes, voyans renaistre leur esperance, qui sembloit auparavant estre du tout perdue, mais fort faschez d'avoir fait démolir leur fort. Ledit Ribaus fit entendre à Laudonniere que plusieurs mauvais rapports avoient esté faits de luy, ce qu'il recognoissoit estre faux, & eust eu sujet de faire ce qui luy estoit commandé, s'il en eust esté autrement. C'est tousjours l'ordinaire que la vertu est opprimée par la medisance des meschans, qui en fin les fait recognoistre pour tels, & mesprisez d'un chacun: l'on sçait assez combien cela a apporté de troubles aux conquestes des Indes, tant envers Christoffe Colomb, que depuis contre Ferdinand Cortais, & autres, qui blasmez à tort, se justifierent en fin devant l'Empereur. C'est pourquoy l'on ne doit adjouster foy légèrement, premier que les choses n'ayent esté bien examinées, recognoissant tousjours le mérite & la valeur des généreux courages, qui se sacrifient pour Dieu, leur Roy & leur patrie, comme firent ceux-cy qui estans recognus de l'Empereur, mal-gré l'envie, les honora de bien, & de belles & honorables charges, pour leur donner courage de bien faire, à d'autres l'envie de les imiter, & au meschant de s'amender. 21/677 Cependant que Laudonniere & Ribaus estoient à consulter pour faire descharger leurs vivres, voicy que le 4 Septembre 1565. l'on apperceut six voiles, qui sembloient estre grand vaisseaux, & furent recognus pour estre Espagnols [28], qui vinrent mouiller l'anchre à la rade où les quatre vaisseaux de Ribaus&8s recognoissans que partie des soldats estoient à terre, ils tirèrent des coups de canon sur les nostres: qui fit qu'estans avec peu de force, coupèrent le câble sur les ecubiers, & mettent à la voile: ce que font aussi les Espagnols, qui les chassent tous le lendemain. Et comme nos vaisseaux estoient meilleurs voliers qu'eux, ils retournèrent à la coste, prennent port à une riviere distante de huict lieues du fort de la Caroline, & nos vaisseaux retournèrent à la riviere de May. Cependant trois des vaisseaux Espagnols estoient venus à la rade, où ils firent descendre leur infanterie, vivres, & munitions. [Note 28: Ces six vaisseaux espagnols étaient commandés par Don Pedro Menendez de Avilez, l'un des meilleurs officiers de la marine espagnole.] Le Capitaine Ribaus, contre l'advis de Laudonniere, qui luy representoit les inconveniens qui pouvoient arriver, tant pour les grands vents qui regnoient ordinairement en ce temps là, que pour autre sujet, quoy que ce soit un traict d'opiniastre, ne voulant faire qu'à sa volonté, sans conseil, chose tres-mauvaise en telles affaires, il se délibère de voir l'Espagnol, & le combatre à quelque prix que ce fust. A cet effect il fit équiper ses vaisseaux d'hommes, & de tout ce qui luy estoit necessaire, s'embarqua le 8. Septembre, laissant les 22/678 siens fort incommodez de toutes choses, & Laudonniere assez malade, qui ne laissoit pas de donner courage tant qu'il peut à ses soldats, & les exhorter à se fortifier au mieux qu'ils pourroient, pour resister aux forces de leur ennemy, lequel se mit en estat de venir attaquer Laudonniere le 20 Septembre, auquel temps il fit une pluye fort violente, & si continuelle, que les nostres fatiguez d'estre en sentinelle, se retirèrent de leur faction, croyans aussi que les ennemis ne viendroient durant un temps si mauvais & impétueux. Quelques-uns allans sur le rampart appercevans les Espagnols venir à eux, crient _allarme, allarme, l'ennemy vient_. A ce cry Laudonniere se met en estat de les attendre, & encourage les siens au combat, qui voulurent soustenir deux bresches qui n'estoient encores remparées: mais en fin ils furent forcez, & tuez. Laudonniere voyant ne pouvoir plus soustenir, en esquivant pensa estre tué, & se sauve dans les bois avec les Sauvages, où il trouva nombre de ses soldats, qu'il r'allia avec beaucoup de peine. S'acheminant par des palus & marescages difficiles, fait tant qu'il arrive à l'entrée de la riviere de May, où estoit un vaisseau, y commandant un Nepveu du Capitaine Ribaus[29], qui n'avoit peu gaigner que ce lieu, pour la grande tourmente. Les autres vaisseaux furent perdus à la coste; comme aussi plusieurs soldats & mariniers, Ribaus pris, avec beaucoup d'autres, qu'ils firent mourir cruellement & inhumainement & en pendirent aucuns, avec un escriteau sur le dos, portant ces 23/679 mots: _Nous n'avons pas fait pendre ceux-cy comme François, mais comme Luthériens, ennemis de la foy._ [Note 29: Jacques Ribaut.] Laudonniere voyant tant de desastres, délibere s'en retourner en France, le 23 Septembre 1565. Il fait lever les anchres, met souz voile le 11 de Novembre[30], & arrive proche de la coste d'Angleterre, où se trouvant malade, se fit mettre à terre pour recouvrer sa santé, & de là venir en France faire son rapport au Roy. Cependant les Espagnols se fortifient en trois endroits, pour s'asseurer contre tout evenement. Nous verrons au chapitre suivant le chastiment que Dieu rendit aux Espagnols, pour l'injustice & cruauté dont ils userent envers les François. [Note 30: «L'onzième de Novembre ilz se trouverent à soixante-quinze brasses d'eau... sur la côte d'Angleterre.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p. 116.)] _Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut des Espagnols en la cruauté qu'ils exercerent envers les François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est assailly des Espagnols, qu'il défait & les traitte comme ils avoient fait les François._ CHAPITRE IIII. Le Roy sçachant l'injustice & les ignominies faites aux François ses subjects par les Espagnols, comme j'ay dit cy dessus, eut raison d'en demander justice & satisfaction à Charles V. [31] Empereur & Roy d'Espagne, comme estant un 24/680 outrage fait au prejudice de ce que les Espagnols leur avoient promis, de ne les inquiéter ny molester en la conservation de ce qu'avec tant de travail ils s'estoient acquis en la Nouvelle France, suivant les commissions du Roy de France leur maistre, que les Espagnols n'ignoroient point; & neantmoins les firent mourir ainsi ignominieusement, souz le pretexte specieux qu'ils estoient Luthériens, à leur dire, quoy qu'ils fussent meilleurs Catholiques qu'eux[32], sans hypocrisie, ny superstition, & initiez en la foy Chrestienne plusieurs siecles devant que les Espagnols. [Note 31: C'était alors Philippe II, fils de Charles V, qui régnait en Espagne. Il avait, comme son père, les titres d'empereur d'Allemagne et de roi d'Espagne.] [Note 32: Voici comme Menendez rend compte lui-même, au roi d'Espagne, des motifs de sa conduite. «J'ai sauvé la vie à deux jeunes gens d'environ dix-huit ans, et à trois autres, le fifre, le tambour et le trompette, et j'ai passé au fil de l'épée Jean Ribaut, avec tous les autres, jugeant la chose utile au service de Notre Seigneur et de Votre Majesté, et j'estime que sa mort est d'un grand avantage, car le roi de France pouvait plus avec lui et cinq cents ducats, qu'avec d'autres et cinq mille, et il pouvait plus en un an, qu'un autre en dix; c'était en effet le plus habile marin et commandant que l'on connût, et d'une grande adresse dans cette navigation des Indes et des côtes de la Floride; il était si aimé en Angleterre, qu'il y fut nommé capitaine général de toute l'armée anglaise contre les catholiques de France, dans la guerre qui a eu lieu, il y a quelques années, entre l'Angleterre et la France.» (_Carta de Pedro Menendez, apud_ F. Parkman, _Pioneers_, p. 132.)] Sa Majesté dissimula cette offence pour un temps, pour avoir les deux Coronnes quelques differents à vuider auparavant, & principalement avec l'Empereur, qui empescha que l'on ne tiraft raison de telles inhumanitez. Mais comme Dieu ne delaisse jamais les tiens, & ne laisse impunis les traittemens barbares qu'on leur fait souffrir, ceux-cy furent payez de la mesme monnoye qu'ils avoient payé les François. Car en l'an 1567, se presenta le brave Chevalier de Gourgues[33], qui plein de valeur & de courage, pour venger cet 25/681 affront fait à la nation Françoise; & recognoissant qu'aucun d'entre la Noblesse, dont la France foisonne, ne s'offroit pour tirer raison d'une telle injure, entreprint de le faire. Et pour ne faire cognoistre du commencement son dessein, fit courir le bruit qu'un embarquement se faisoit pour quelque exploict qu'il vouloit faire en la coste d'Afrique. Pour ce sujet nombre de matelots & soldats s'assemblent à Bourdeaus, où se faisoit tout l'appareil de mer: il se pourveut & fournit de toutes les choses qu'il jugea estre necessaires en ce voyage. [Note 33: «Dominique de Gourgues, gentilhomme gascon, né au Mont-de-Marsan, dans le comté de Comminges d'une famille distinguée de tout temps par un attachement inviolable à l'ancienne religion: lui-même ne s'en éloigna jamais, quoique le dernier historien espagnol de la Floride l'ait accusé d'avoir été hérétique furieux.» (Charlevoix, Hist. de la Nouv. France, liv. II.)] Son embarquement se fit le 23 Aoust de la mesme année en trois vaisseaux, ayant avec luy 250 hommes[34]. Estant en mer, il relascha à la coste d'Afrique, soit pour se rafraischir, ou autrement, mais ce ne fut pas pour long temps: car incontinent il fit voile, & fait publier par quelques siens amis affidez, qu'il avoit changé son premier dessein en un autre plus honorable que celuy de la coste d'Afrique, moins périlleux, & plus facile à exécuter: & au lieu où il avoit relasché, il eut advis que ce qu'il disoit deplaisoit à plusieurs des siens, qui 26/682 croyoient que le voyage estoit rompu, & qu'il faudroit s'en retourner sans rien faire: toutesfois ils avoient tous grand desir de tenter quelque autre dessein. [Note 34: «Il s'embarqua à Bourdeaux le second jour d'aoust... & descend le long de la riviere à Royan à vingt lieues de Bourdeaux, où il fait sa monstre, tant de soldats que de mariniers. Il y avoit cent harquebouziers aians tous harquebouze de calibre & morrion en teste, dont plusieurs estoient gentilshommes, & quatre vingtz mariniers... Après la monstre faicte, le Cappitaine Gourgue donne le rendez-vous accoustumé en telles expéditions. Mais ainsi qu'il estoit prest à partir, se leve ung vent contraire qui le contrainct de sejourner huict jours à Roian, ce vent estant un peu remis il se meit sur mer pour faire voille; mais bientost après il fut repoussé vers la Rochelle, & ne pouvant mesme estre à la radde de la Rochelle pour la violance du temps, il fut contrainct de se retirer à la bouche de la Charente, & sejourner là huict jours... Le vingt-deuxiesme jour d'aoust, le vent estant cessé, & le ciel donnant apparence d'un plus doulx temps pour l'advenir, il se remect sur mer.» (_La reprinse de la Floride_, Ternaux-Compans, p. 309, 310.)] Le Sieur de Gourgues sçachant la volonté de ses compagnons, qui ne perdoient point courage, & estant asseuré de son équipage, trouva à propos d'assembler son conseil, auquel il fit entendre la raison pourquoy il ne pouvoit exécuter ce qu'il avoit entrepris, qu'il ne falloit plus songer à ce dessein: mais aussi que de retourner en France sans avoir rien fait, il n'y avoit point d'apparence. Qu'il sçavoit une autre entreprise non moins glorieuse que profitable, à des courages tels qu'ils en avoit en ses vaisseaux, & de laquelle la mémoire seroit immortelle, qui estoit un exploict des plus signalez qui se puisse faire: chacun brusloit d'ardeur & de desir de voir l'effect de ce qu'il disoit; & leur fit entendre que s'il estoit bien assisté en ceste louable entreprise, il se sentiroit fort glorieux de mourir en l'exécutant. Et voulant ledit Sieur de Gourgues leur déclarer son dessein, les ayant tous fait assembler, parla ainsi. «Mes compagnons & fidèles amis de ma fortune, vous n'estes pas ignorans combien je chéris les braves courages comme vous, & l'avez assez tesmoigné par la belle resolution que vous avez prise de me suivre & assister en tous les périls & hazards honorables que nous aurons à souffrir & essuyer, lors qu'ils se presenteront devant nos yeux, & l'estat que je fais de la conservation de vos vies; ne desirant point vous embarquer au risque d'une entreprise que je sçaurois 27/683 réussir à une ruine sans honneur: ce seroit à moy une trop grande & blasmable témérité, de hazarder vos personnes à un dessein d'un accez si difficile, ce que je ne croy pas estre, bien que j'aye employé une bonne partie de mon bien & de mes amis, pour équiper ces vaisseaux, & les mettre en mer, estant le seul entrepreneur de tout le voyage. Mais tout cela ne me donne pas tant de sujet de m'affliger, comme j'en ay de me resjouir, de vous voir tous resolus à une autre entreprise, qui retournera à vostre gloire, sçavoir d'aller venger l'injure que nostre nation a receue des Espagnols, qui ont fait une telle playe à la France, qu'elle saignera à jamais, par les supplices & traictemens infames qu'ils ont fait souffrir à nos François, & exercé des cruautez barbares & inouïes en leur endroit. Les ressentimens que j'en ay quelquefois, m'en font jetter des larmes de compassion, & me relevent le courage de telle sorte, que je suis resolu, avec l'assistance de Dieu, & la vostre, de prendre une juste vengeance d'une telle felonnie & cruauté Espagnolle, de ces coeurs lasches & poltrons, qui ont surpris mal-heureusement nos compatriotes, qu'ils n'eussent osé regarder sur la defense de leurs armes. Ils sont assez mal logez, & les surprendrons aisément. J'ay des hommes en mes vaisseaux qui cognoissent très-bien le païs, & pouvons y aller en seureté. Voicy, chers compagnons, un subject de relever nos courages, faites paroistre que vous avez autant de bonne volonté à exécuter ce bon dessein, que vous avez d'affection à me suivre: ne serez vous pas contents de remporter les lauriers triomphans de la despouille de nos ennemis?» 28/684 Il n'eut pas plustost achevé de parler, que chacun de joye s'escrierent: «Allons où il vous plaira, il ne nous pouvoit arriver un plus grand plaisir & honneur que celuy que vous nous proposez, & mille fois plus honorable qu'on ne se peut imaginer, aimans beaucoup mieux mourir en la poursuitte de cette juste vengeance de l'affront qui a esté fait à la France, que d'estre blessez en une autre entreprise; tout nostre plus grand souhait est de vaincre ou mourir, en vous tesmoignant toute sorte de fidélité: commandez ce que vous jugerez estre plus expédient, vous avez des soldats qui ont du courage de reste pour effectuer ce que vous direz: nous n'aurons point de repos jusques à ce que nous nous voyons aux mains avec l'ennemy.» La joye creut plus que jamais dans les vaisseaux. Le sieur de Gourgues fait changer la routte, & tirer quelques coups de canon, pour commencer la resjouissance, & donner courage à tous les soldats: & alors ce généreux Chevalier fait singler vers les costes de la Floride, & fut tellement favorisé du beau temps, qu'en peu de jours il arriva proche du fort de la Caroline, & le jour apperceu, les Sauvages du pays firent voir force fumées, jusques à ce que le Le sieur de Sieur de Gourgues eust fait abbaisser les voiles, & mouiller l'anchre. Il envoya à terre s'informer des Sauvages de l'Estat des Espagnols, qui estoient fort ailes de voir le sieur de Gourgues resolu de les attaquer. Ils asseurerent qu'ils estoient en nombre de 400, très bien armez, & pourveus de tout ce qui leur estoit 29/685 necessaire. Puis s'estant fait instruire de la façon en laquelle les Espagnols estoient campez, il commença d'ordonner ses gens de guerre pour les assaillir. Voyons s'ils auront le courage de soustenir le Sieur de Gourgues, comme ils firent Laudonniere, mal pourveu de munitions, & de ce qui luy estoit necessaire. Doncques le Sieur de Gourgues se faisant conduire par ses hommes, & de quelques Sauvages par l'espaisseur des bois, sans estre apperceu des Espagnols, fait recognoistre les places, & l'estat auquel elles estoient: & le Samedy d'auparavant _Quasimodo_[35], au mois d'Avril 1568. attaque furieusement les deux forts[36],& se dispose de les avoir par escalade, en quoy il trouva grande resistance: & le combat s'eschauffant, ce fut alors que parut le courage de nos François, qui se jettoient à corps perdu parmy les coups, tantost repoussez, puis reprenans coeur retournent au combat avec plus de valeur qu'auparavant. Bien attaqué, mieux défendu. La mort ny les blesseures ne les fait point paslir, ny ne leur fait perdre le sens, ny la vaillance. [Note 35: Le samedi d'avant la _Quasimodo_ était le 24 d'avril.] [Note 36: Outre le grand fort de la Caroline, les Espagnols en avaient élevé deux petits, pour protéger l'entrée de la rivière de May, comme on l'apprit de la bouche d'un jeune français, Pierre Debré, natif du Havre-de-Grâce, qui était demeuré parmi les sauvages. (Reprinse de la Floride, Tern.-Compans, p. 332.) Ces deux petits forts furent emportés du premier coup le même jour 24 avril. De Gourgues laissa reposer ses soldats le dimanche et le lundi, et commença par assurer cette première victoire avant d'entreprendre l'attaque du grand fort.] Nostre généreux Chevalier de Gourgues le coutelas à la main, leur enflamme le courage, & comme un lion hardy à la teste des tiens gaigne le dessus du rampart, repousse les Espagnols, se fait voye parmy eux. Ses soldats se suivent, & combattent vaillamment, entrent de force dans les deux forts, tuent 30/686 tout ce qu'ils rencontrent: de sorte que le reste de ceux qui y moururent & s'enfuirent, demeurèrent prisonniers des François; & ceux qui pensoient se sauver dans les bois, furent taillez en pièces par les Sauvages, qui les traitterent comme ils avoient fait les nostres. Deux jours après le sieur de Gourgues se rend maistre du grand fort, que les ennemis avoient abandonné, après quelque resistance, desquels partie furent tuez, les autres prisonniers. Ainsi demeurant victorieux, & estant venu à bout d'une si glorieuse entreprise, se ressouvenant de l'injure que les Espagnols avoient faite aux François, en fit pendre quelques-uns, avec des escriteaux sur le dos, portans ces mots: _Je n'ay pas fait pendre ceux-cy comme Espagnols, mais comme pirates bandoliers & escumeurs de mer_[37] Après ceste exécution, il fit démolir & ruiner les forts(38), puis s'embarque pour revenir en France, laissant au coeur des Sauvages un regret immortel de se voir privez d'un si magnanime 31/687 Capitaine. Son partement fut le 30 de May[39] 1568 & arriva à la Rochelle le 6 de Juin, & de là à Bourdeaus, où il fut receu aussi honorablement, & avec autant de joye, que jamais Capitaine auroit esté. [Note 37: «Ils sont branchez aux mesmes arbres où ils avoient penduz les François, & au lieu d'un escriteau que Pierre Malendez y avoit faict mettre contenant ces mots en langage Espaignol: _Je ne faicts cecy comme à François mais comme à Luthériens_, le cappitaine Gourgue faict graver en une table de sapin avec ung fer chault: Je ne faicts cecy comme à Espaignols, n'y comme à Marannes; mais comme à traistres, volleurs & meurtriers.» (Manuscrit de Gourgues.) On sait que Maran ou Marane était un terme de mépris que les Espagnols donnaient aux Maures, et, par suite, à tous les malfaiteurs.] [Note 38: De Gourgues eut l'adresse d'intéresser les sauvages à la ruine de ces forts. «Affin, dit le manuscrit déjà cité, que les sauvaiges ne trouvassent mauvais que les fortz fussent ruynez, ains qu'en estant bien aises ils les ruynassent eulx-mesmes, il assemble les Rois, & leur aiant remonstré du commencement comment il leur avoit tenu promesse, & les avoit vengez de ceulx qui les avoient tirannisez si cruellement, il vint tomber puis après sur le propos de ruyner les forts, employant tout ce qui pouvoit servir à leur persuader que tout ce qu'il en vouloit faire estoit pour leur proffit & en haine de tant de meschancetez & cruaultez que les Espaignols y avoient commises. A quoy ils presterent si volontiers l'oreille, que le Cappitaine Gourgue n'eut pas plustost achevé de parler, qu'ils s'en coururent droict au fort, crians & appellans leurs subjects après eulx, où ils feirent telle diligence qu'en moing d'ung jour ils ne laisserent pierre sur pierre.»] [Note 39: «Le troisiéme jour de May (ung lundi), le rendez-vous fut donné comme l'on a accoustumé de faire sur mer, & les anchres levées firent voilles, & eurent le vent si propre qu'en dix-sept jours ils firent unze cens lieues de mer, & depuis continuantz leur navigation arrivèrent à la Rochelle le lundy sixiéme jour de juing...» (Reprinse de la Floride.)] Mais il n'est si tost arrivé en France, que l'Empereur envoya au Roy demander justice de ses subjects, que le Sieur de Gourgues avoit fait pendre en l'Inde Occidentale: dequoy sa Majesté fut tellement irritée, qu'elle menaçoit ledit Sieur de Gourgues de luy faire trencher la teste, & fut contraint de s'absenter pour quelque temps, pendant lequel la colère du Roy se passa: & ainsi ce généreux Chevalier repara l'honneur de la nation Françoise, que les Espagnols avoient offensée: ce qu'autrement eust esté un regret à jamais pour la France, s'il n'eust vengé l'affront receu de la nation Espagnolle. Entreprise genereuse d'un Gentil-homme, qui l'exécuta à ses propres cousts & despens, seulement pour l'honneur, sans autre esperance: ce qui luy a réussi glorieusement, & ceste gloire est plus à priser que tous les tresors du monde [40]. [Note 40: «Il est fâcheux cependant pour sa gloire,» remarque M. Ferland, «que de Gourgues ait imité la conduite des Espagnols, en livrant ses prisonniers à la mort; ces tristes représailles ne sauraient être approuvées par la justice, puisque souvent elles tombent sur des innocents, plutôt que sur les coupables.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 57.)] On a remarqué aux voyages de Ribaus & de Laudonniere de grands défauts & manquemens. Ribaus fut blasmé au sien, pour n'avoir porté des vivres que pour dix mois, sans donner ordre de faire défricher les terres, & les rendre aptes au labourage, pour remédier aux disettes qui peuvent survenir, & aux périls que courent les vaisseaux sur mer, ou bien pour le retardement de 32/688 leur arrivée en saison convenable, pour soulager les necessitez, qui en fin reduisent les entrepreneurs à de grandes extremitez, jusques à estre homicides les uns des autres, pour se nourrir de chair humaine, comme ils firent en ce voyage, qui causerent de grandes mutineries des soldats contre leur chef, & ainsi le désordre & la desobeissance régnant parmy eux, en fin ils furent contraints (quoy qu'avec un regret incroyable, & après une perte notable d'hommes & de biens) d'abandonner les terres & possessions qu'ils avoient acquises en ce pays; & tout cela, faute d'avoir pris leurs mesures avec jugement & raison. L'experience fait voir qu'en tels voyages & embarquemens les Roys & les Princes, & les gens de leur conseil qui les ont entrepris, avoient trop peu de cognoissance és exécutions de leurs desseins. Que s'il y en a eu d'experimentez en ces choses, ils ont esté en petit nombre, pource que la plus-part ont tenté telles entreprises sur les vains rapports de quelques cajoleurs, qui faisoient les entendus en telles affaires, dont ils estoient tres-ignorans, seulement pour se rendre considerables: car pour les commencer, & terminer avec honneur & utilité, faut consommer de longues années aux voyages de mer, & avoir l'expérience de telles descouvertes[41]. [Note 41: Dans la plupart des exemplaires de l'édition originale, ce passage se termine là. Mais quelques-uns renferment la phrase censurée qui obligea l'auteur de réimprimer les feuilles DII et DIII, et qui finissait ainsi; «... de telles descouvertes; ce que n'ont pas les grands hommes d'estat, qui sçavent mieux manier & conduire le gouvernement & l'administration d'un Royaume, que celle de la navigation, des expéditions d'outre-mer, & des pays loingtains, pour ne l'avoir jamais practiqué.» (H. Stevens, _Historical Nuggets_, I, 131.)] La plus grande faute que fit Laudonniere, qui y alloit à 33/689 dessein d'y hyverner, fut de n'estre fourny que de peu de vivres, au lieu qu'il se devoit gouverner sur l'exemple de l'hyvernement du Capitaine Albert à Charles-fort, que Ribaus laissa si mal pourveu de toutes choses; & ces manquemens arrivent ordinairement en telles entreprises, pour s'imaginer que les terres de ces pays là rapportent sans y semer; joint à cela, qu'on entreprend mal à propos tels voyages sans practique ny expérience. Il y a bien de la différence à bastir de tels desseins en des discours de table, parler par imagination de la scituation des lieux, de la forme de vivre des peuples qui les habitent, des profits & utilitez qui s'en retirent; envoyer des hommes au delà des mers en des pays loingtains, traverser des costes & des isles incognues, & se former ainsi telles chimères en l'esprit, faisans des voyages & des navigations idéales & imaginaires; ce n'est pas là le chemin de sortir à l'honneur de l'exécution des descouvertes: il faut auparavant meurement considerer les choses qui se presentent en telles affaires, communiquer avec ceux qui s'en sont acquis de grandes cognoissance, qui sçavent les difficultez & les périls qui s'y rencontrent, sans s'embarquer ainsi inconsiderément sur de simples rapports & discours. Car il sert de peu de discourir des terres lointaines, & les aller habiter, sans les avoir premièrement descouvertes, & y avoir demeuré du moins un an entier, afin d'apprendre la qualité des pays, & la diversité des saisons, pour par après y jetter les fondemens d'une Colonie. Ce que ne font pas la plus-part des entrepreneurs & voyageurs, qui se contentent seulement de voir les costes & les élevations des terres en passant, sans s'y arrester. 34/690 D'autres entreprennent telles navigations sur de simples relations, faites à des personnes, qui, quoy que bien entendues dans les affaires du monde, & ayent de grandes & longues expériences, neantmoins estans ignorans en celles-cy, croyent que toutes choses se doivent gouverner selon les élevations des lieux où ils sont, & c'est en quoy ils se trouvent grandement trompez: car il y a des changemens si estranges en la nature, que ce que nous en voyons nous fait croire ce qui en est. Les raisons de cela sont fort diverses & en grand nombre, qui est cause que j les passeray souz silence. J'ay dit cecy en passant, afin que ceux qui viendront après nous, & qui bastiront de nouveaux desseins, s'en servent, & les considerent: de sorte que lors qu'ils s'y embarqueront, la ruine & la perte d'autruy leur serve d'exemple, & d'apprentissage. Le troisiesme défaut, & le plus prejudiciable, est en ce que fit Ribaus, de n'avoir fait descharger les vivres & munitions qu'il avoit apportez pour Laudonniere & ses compagnons, avant que s'exposer au risque de perdre tout, comme il fit (quoy qu'il n'y allast pas pour combatre l'ennemy) mais demeurer tousjours sur la defensive, aider avec ses hommes à Laudonniere, se fortifier, & attendre de pied ferme ceux qui le viendroient assaillir: pouvant bien juger que puis que son dessein estoit de prendre le Fort, qu'il devoit estre plus fort que ceux qui le gardoient, sans s'exposer inconsiderément au péril & à la fortune & eust mieux fait de recognoistre les forces de l'ennemy avant qu'il l'allast attaquer, & qu'il ne 35/691 fust asseuré de la victoire. Mais au contraire ayant mesprisé les conseils de Laudonniere, qui estoit plus expérimenté que luy en la cognoissance des lieux, il luy en prit très-mal. Davantage, en telles entreprises les vaisseaux qui portent les vivres & les munitions de guerre pour une Colonie, doivent tousjours faire leur routte le plus droit qu'il est possible, sans se détourner pour donner la chasse à quelque autre vaisseau, d'autant que s'il se faut battre, & qu'ils viennent à se perdre, ce mal-heur ne leur sera pas seulement particulier, mais ils mettent la Colonie en danger d'estre perdue, & les hommes contraints d'abandonner toutes choses, se voyans réduits à souffrir une mort miserable, causée par la faim, qui les assailliroit faute de vivres, pour ne s'estre pourveus & munis du moins pour deux ans, en attendant que la terre soit défrichée, pour nourrir ceux qui sont dans le pays. Fautes très-grandes, qui sont semblables à celles qu'ont faites ces nouveaux entrepreneurs, qui n'ont fait défricher aucunes terres, ny trouvé moyen de le faire depuis vingt-deux ans[42] que le pays est-habité, n'ayans eu autre pensée qu'à tirer profit des pelleteries: & un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons. Ce qui est aisé à juger si le Roy n'y fait ordonner un bon règlement. [Note 42: Ce passage est une nouvelle preuve que l'édition de 1632 a été commencée peu de temps après la prise de Québec; car, au printemps de 1630, il y avait juste vingt-deux ans que notre auteur était parti de la vieille France, pour venir fonder, dans la nouvelle, cette petite habitation de Québec, que l'avarice des sociétés marchandes tint jusqu'à cette époque dans un état de faiblesse qui lui fait dire ici: «Un jour arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons... si le Roy n'y fait ordonner un bon règlement.»] Ce sont les plus grands défauts qui se peuvent remarquer és premiers voyages, & les suivans n'ont esté gueres plus heureux. 36/692 _Voyage, que fit faire le Sieur de Roberval. Envoye Alphonse Sainctongeois vers Labrador. Son partement: son arrivée. Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort, pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son entreprise._ CHAPITRE V. L'An 1541[43] le Sieur de Roberval ayant renouvellé cette saincte entreprise, envoya Alphonse Sainctongeois (homme des plus entendus au faict de la navigation qui fust en France de son temps) qui voulut par ses descouvertes voir & rencontrer plus au Nort un passage vers Labrador. Il fit équiper deux[44] bons vaisseaux de ce qui luy estoit necessaire pour ceste descouverte, & partit audit an 1541.[45] Et après avoir navigé le long des costes du Nort, & terres de Labrador, pour trouver un passage qui peust faciliter le commerce avec les Orientaux, par un chemin plus court que celuy que l'on fait par le Cap de bonne esperance, & destroit de Magellan, les obstacles fortunez, & le risque qu'il courut à cause des glaces, le fit retourner sur ses brisées, & n'eut pas plus dequoy se glorifier que Cartier. [Note 43: Cinq des vaisseaux qui faisaient partie de l'expédition de M. de Roberval, partirent en effet de Saint-Malo le 23 mai 1541, sous les ordres de Jacques Cartier; mais il ne put partir lui-même qu'au printemps suivant, le 16 avril 1542, avec trois autres vaisseaux; et Jean Alphonse, son premier pilote, était avec lui. (Hakluyt, III, 232, 237, 240.)] [Note 44: Trois. (Relation de Roberval.)] [Note 45: 1542.] 37/693 Ceste seconde entreprise n'estoit que pour decouvrir un passage[46], mais l'austre estoit pour le profond des terres, & y habiter, s'il se pouvoit; & ainsi ces deux voyages n'ont pas réussi. Pour le passage, je n'allegueray point le discours au long des nations estrangeres qui ont tenté fortune de trouver passage par le Nort, pour aller aux Indes Orientales, comme és années 1576, 77 & 78. Messire Martin Forbichet[47] fit trois voyages: sept ans aprés Hunfoy Gilbert y fut avec 5 vaisseaux, qui se perdit sur l'isle de Sable, où il demeura deux ans[48]. Après Jean Davis Anglois fit trois voyages, pénétra souz le 72e degré, passa par un destroit appellé aujourd'huy de son nom. Un autre appellé le Capitaine Georges [49], en l'an 1590. fit ce voyage, & fut contraint à cause des glaces de s'en retourner sans effect: & quelques autres qui l'ont entrepris, ont eu pareille fortune. [Note 46: Tel était, sans aucun doute, le but auquel aspirait le pilote saintongeois; mais M. de Roberval avait bien certainement dessein de fonder une colonie, comme le prouve abondamment la relation de son voyage.] [Note 47: Frobisher. La relation de ses trois voyages se trouve dans Hakluyt, vol. III.] [Note 48: Sir Humphrey Gilbert périt en ce voyage, l'année même de son départ. (Hakl. III.)] [Note 49: D'après Bergeron, le capitaine George Weymouth fit un voyage pour chercher le passage du nord-ouest, mais en l'année 1602. (Traité de la Navigation, ch, X.)] Quant aux Espagnols & Portugais, ils y ont perdu leur temps. Les Hollandois n'en ont pas eu plus certaine cognoissance par la nouvelle Zambie du costé de l'Est, pour trouver ce passage, que les autres ont perdu tant de temps pour le chercher par l'Occident, au dessus des terres dites Labrador. Tout cecy n'est que pour faire cognoistre que si ce passage tant desiré se fust trouvé, combien cela eust apporté d'honneur 38/694 à celuy qui l'eust rencontré, & de biens à l'Estat ou Royaume qui l'eust possedé. Puis donc que nous seuls avons jugé ceste entreprise d'un tel prix, elle n'est pas moins à mépriser en ce temps cy, & ce qui ne s'est peu faire par un lieu, se peut recouvrer par un autre avec le temps, pourveu que sa Majesté vueille assister les entrepreneurs d'un si louable dessein. Je laisseray ce discours, pour retourner à nos nouveaux conquerans au pays de la nouvelle France. Le Sieur Marquis de la Roche de Bretagne, poussé d'une saincte envie d'arborer l'estendart de Jesus Christ, & y planter les armes de son Roy, en l'an 1598[50] prit commission du Roy Henry le Grand (d'heureuse mémoire) qui avoit de l'amour pour ce dessein, fit équiper quelques vaisseaux, avec nombre d'hommes, & un grand attirail de choses necessaires à un tel voyage: mais comme ledit Sieur Marquis de la Roche n'avoit aucune cognoissance des lieux, que par un pilote de navire appelle Chédotel, du pays de Normandie, il mit les gens dudit Sieur Marquis sur l'isle de Sable, distante de la terre du Cap Breton de 25 lieues au Sud, où cependant les hommes qui resterent en ce lieu avec fort peu de commoditez, furent sept ans abandonnez sans secours que de Dieu, & furent contraints de se tenir comme les renards dans la terre, pour n'y avoir ny bois, ny pierre en ceste isle propre à bastir, que le débris & fracas des vaisseaux qui viennent à la coste de ladite isle; & vescurent seulement de la chair des boeufs & vaches, qu'ils y trouverent 39/695 en quantité, s'y estans sauvez par la perte d'un vaisseau Espagnol qui s'estoit perdu voulant aller habiter l'isle du Cap Breton; & se vestirent de peaux de loups marins, ayans usé leurs habits, & conserverent les huiles pour leur usage, avec la pescherie de poisson, qui est abondante autour de ladite isle; jusques à ce que la Cour de Parlement de Rouen par arrest condamna ledit Chédotel d'aller repasser ces pauvres miserables, à la charge qu'il auroit la moitié des commoditez de ce qu'ils auroient peu pratiquer pendant leur sejour en cette isle, comme cuirs de boeufs, peaux de loups marins, huile, renards noirs, ce qui fut exécuté: & revenans en France au bout de sept ans, partie vint trouver sa Majesté à Paris, qui commanda au Duc de Suilly de leur donner quelques commoditez, comme il fit, jusques à la somme de 50 escus, pour les encourager de s'en retourner[51]. [Note 50: Le marquis de la Roche avait déjà obtenu une première commission en 1578. (Voir Voyage 1613, p. 4, note 1.)] [Note 51: Lescarbot rapporte la chose un peu différemment. «Cependant ses gens demeurent cinq ans dégradés en ladite isle, se mutinent, & coupent la gorge l'un à l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant lesdits cinq ans ils ont là vécu de pêcherie, & des chairs des animaux... dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui leur fournissaient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit Marquis étant délivré fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui étoit survenu. Le Roy commanda à Chef-d'hotel Pilote d'aller recueillir ces pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, & en trouva douze de reste, auxquels il ne dit point le commandement qu'il avoit du Roy, afin d'attraper bon nombre de cuirs, & peaux de Loups marins dont ils avoient fait réserve durant lesdites cinq années. Somme, revenus en France ilz se presentent à sa Majesté vêtus dédites peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent, & se retirèrent. Mais il y eut procès entre eux, & ledit Pilote, pour les cuirs & pelleteries qu'il avoit extorquées d'eux, dont par après ilz composerent amiablement.» (Hist. de la Nouv. France, liv. III, ch. XXXII.--Voir Biographie Générale des hommes illustres de la Bretagne, par Pol de Courcy, Cours d'Hist. du Canada, par M. Ferland, I, 60, 6l.)] Cependant le Marquis de la Roche estant à poursuivre en Cour les choses que sa Majesté luy avoit promises pour son dessein, elles luy furent déniées par la sollicitation de certaines personnes qui n'avoient desir que le vray culte de Dieu 40/696 s'accreust, ny d'y voir florir la Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce qui luy causa un tel desplaisir, que pour cela, & autre chose, il se trouva assailly d'une forte maladie, qui l'emporta, après avoir consommé son bien & son travail, sans en ressentir aucun fruict. En ce sien dessein se remarquent deux défauts; l'un, en ce que ledit Marquis n'avoit fait descouvrir & recognoistre le lieu par quelque homme entendu en telle affaire, & où il devoit aller habiter, premier que s'obliger à une despense excessive. L'autre, que les envieux qui estoient en ce temps prés du Roy en son Conseil, empescherent l'effect & la bonne volonté qu'avoit sa Majesté de luy faire du bien. Voila comme les Roys sont souvent deceus par ceux en qui ils ont quelque confiance. Les histoires du temps passé le font assez cognoistre, & ceste-cy nous en peut fournir d'eschantillon. Voicy un quatriesme voyage rompu, venons au cinquiesme. _Voyage du Sieur de Sainct Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour de S. Chauvin & du Pont en France, Second voyage de Chauvin: son entreprise._ CHAPITRE VI. UN an après, l'an 1599, le Sieur Chauvin de Normandie, Capitaine pour le Roy en la marine, homme très-expert & entendu au faict de la navigation (qui avoit servy sa Majesté aux 41/697 guerres passées, quoy qu'il fust de la religion pretendue reformée) entreprit ce voyage souz la commission de sadite Majesté, à la sollicitation du Sieur du Pont Gravé, de Sainct Malo (fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait plusieurs) accompagnez d'autres vaisseaux jusques à Tadoussac, quatre vingts dix lieues à mont la riviere, lieu où ils faisoient trafic de pelleterie & de castors, avec les Sauvages du pays, qui s'y rendoient tous les printemps: ledit du Pont desireux de trouver moyen de rendre ce trafic particulier, va en Cour rechercher quelqu'un d'authorité & pouvoir eminent auprés du Roy, pour obtenir une commission, portant que le trafic de ceste riviere seroit interdit à toutes personnes, sans la permission & consentement de celuy qui seroit pourveu de ladite commission, à la charge qu'ils habiteroient le pays, & y feroient une demeure. Voila un commencement de bien faire, sans qu'il en couste rien au Roy, si ce qui est en ladite commission s'effectue, ayant dessein d'y mener cinq cents hommes, pour s'y fortifier & défendre le pays. Le Roy qui avoit grande confiance en cet entrepreneur, qui neantmoins pretendoit n'y faire que la moindre despense qu'il pourroit, pour souz le prétexte d'habiter, & exécuter tout ce qu'il promettoit, vouloit priver tous les sujects du Royaume de ce trafic, & retirer luy seul les castors. Et pour donner un esclat à ceste affaire, se met en devoir de l'exécuter. Les vaisseaux s'équipent de choses les plus necessaires qu'il croit estre propres à son entreprise. Plusieurs personnes d'arts & de mestiers s'acheminent & se rendent au lieu de Hondefleur lieu 42/698 de l'embarquement. Ses vaisseaux hors, il met ledit Pont Gravé pour son Lieutenant en l'un d'iceux: mais le chef estant de contraire religion, ce n'estoit pas le moyen de bien planter la foy parmy des peuples qu'on veut réduire, & c'estoit à quoy l'on songeoit le moins. Ils navigent jusques au port de Tadoussac, lieu de la traitte, & fut ceste affaire assez mal conduite pour y faire grand progrés. Ils se délibèrent d'y faire une habitation; lieu le plus desagreable & infructueux qui soit en ce pays, qui n'estant remply que de pins, sapins, bouleaux, montagnes, & rochers presque inaccessibles, & la terre très-mal disposée pour y faire aucun bon labourage, & où les froidures sont si excessives, que s'il y a une once de froid à 40 lieues à mont la riviere, il y en a là une livre: aussi combien de fois me suis-je estonné, ayant veu ces lieux si effroyables sur le printemps. Or comme ledit Sieur Chauvin y vouloit bastir, & y Laisser des hommes, & les couvrir contre la rigueur des froidures extrêmes, ayant sceu du Pont Gravé que son opinion n'estoit que l'on y deust bastir, remonstra audit Sieur Chauvin plusieurs fois qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux trois rivieres, pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux. Le Sieur de Mons fit le mesme voyage pour son plaisir, avec ledit Sieur Chauvin, qui estoit de la mesme opinion que Gravé, qui recognoissant ce lieu estre fort desagreable, eust bien voulu voir plus à mont ledit fleuve[52]. Mais quoy que c'en 43/699 soit, ou le temps ne le permettant pour lors, ou autres considerations qui estoient en l'esprit de l'entrepreneur, fut cause qu'il employa quelques ouvriers à édifier une maison de plaisance, de quatre toises de long, sur trois de large, de huict pieds de haut, couverte d'ais, & une cheminée au milieu, en forme d'un corps de garde, entouré de clayes, (laquelle j'ay veue en ce lieu là) & d'un petit fossé fait dans le sable[53]. Car en ce pays là où il n'y a point de rochers, ce sont tous sables fort mauvais. Il y avoit un petit ruisseau au dessous, où ils laisserent 16 hommes fournis de peu de commoditez, qu'ils pouvoient retirer dans le mesme logis, où ce peu qu'il y avoit estoit à l'abandon des uns & des autres, ce qui dura peu. Les voila bien chaudement pour leur hyver. Ce qui fut cause que le sieur Chauvin s'en retourna, ne voulant voir, ny descouvrir plus avant, comme aussi fit le dit du Pont. [Note 52: La mauvaise impression que fit ce voyage sur l'esprit de M. de Monts, explique pourquoi il ne se décida à faire une habitation sur le fleuve qu'après plusieurs tentatives infructueuses pour s'établir dans des climats moins rigoureux.] [Note 53: Voir la carte des environs de Tadoussac, 1613.] Pendant qu'ils sont en France, nos hyvernans consomment en bref ce peu qu'ils avoient, & l'hyver survenant, leur fit bien cognoistre le changement qu'il y avoit entre la France & Tadoussac: c'estoit la cour du Roy Petault, chacun vouloit commander; la paresse & faineantise, avec les maladies qui les surprirent, ils se trouverent réduits en de grandes necessitez, & contraints de s'abandonner aux sauvages, qui charitablement les retirèrent avec eux, & quittèrent leur demeure; les unze moururent miserablement, les autres patissans fort attendans le retour des vaisseaux. 44/700 Le sieur Chauvin voyant ses gens humer le vent du Saguenay, fort dangereux, poursuit ses affaires pour refaire un second voyage, qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure long temps sans estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde. Ce qui fut à blasmer en ceste entreprise, est d'avoir donné une commission à un homme de contraire religion, pour pulluler la foy Catholique, Apostolique, & Romaine, que les hérétiques ont tant en horreur, & abhomination. Voila les défauts que j'avois à dire sur ceste entreprise. _Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur de Chaste. Le Sieur de Pont Gravé esleu pour le voyage de Tadoussac. L'Autheur se met en voyage. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louys. Sa difficulté à le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage._ CHAPITRE VII. LA quatrième entreprise fut celle du Sieur Commandeur de Chaste, gouverneur de Dieppe, qui estoit homme très-honorable, bon Catholique, grand serviteur du Roy, qui avoit dignement & fidèlement servy sa Majesté en plusieurs occasions signalées. Et bien qu'il eust la teste chargée d'autant de cheveux gris que d'années, vouloit encore laisser à la posterité par ceste louable entreprise une remarque très charitable en ce dessein, 45/701 & mesmes s'y porter en personne, pour consommer le reste de ses ans au service de Dieu & de son Roy, en y faisant une demeure arrestée, pour y vivre & mourir glorieusement, comme il esperoit, si Dieu ne l'eust retiré de ce monde plustost qu'il ne pensoit, & se pouvoit-on bien asseurer que souz sa conduite l'heresie ne se fust jamais plantée aux Indes: car il avoit de tres-chrestiens desseins, dont je pourrois rendre de bons tesmoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose. Donc après la mort dudit sieur Chauvin, il obtint nouvelle commission de sa Majesté. Et d'autant que la despense estoit fort grande, il fit une societé avec plusieurs Gentils hommes, & principaux marchands de Rouen, & d'autres lieux, sur certaines conditions. Ce qu'estant fait, ils font équiper vaisseaux tant pour l'exécution de ceste entreprise, que pour descouvrir & peupler le pays. Ledit Pont-Gravé avec commission de sa Majesté (comme personne qui avoit desja fait le voyage, & recognu les defauts du passé) fut éleu pour aller à Tadoussac, & promet d'aller jusques au Sault Sainct Louys, le descouvrir, & passer outre, pour en faire son rapport à son retour, & donner ordre à un second embarquement; & ledit Sieur Commandeur quitter son gouvernement, avec la permission de sa Majesté, qui l'aimoit uniquement, s'en aller au pays de la nouvelle France. Sur ces entre-faites, je me trouvay en Cour, venu fraischement des Indes Occidentales, où j'avois esté prés de deux ans & 46/402 demy[54], après que les Espagnols furent partis de Blavet[55], & la paix faite en France, où pendant les guerres j'avois servy sadite Majesté souz Messeigneurs le Mareschal d'Aumont, de Sainct Luc, & Mareschal de Brissac. Allant voir de fois à autre ledit Sieur Commandeur de Chaste, jugeant que je luy pouvois servir en son dessein, il me fit ceste faveur, comme j'ay dit, de m'en communiquer quelque chose, & me demanda si j'aurois agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, & ce que les entrepreneurs y feroient. Je luy dis que j'estois son serviteur: que pour me licencier de moy-mesme à entreprendre ce voyage, je ne le pouvois faire sans le Commandement de sadite Majesté, à laquelle j'estois obligé tant de naissance, que d'une pension de laquelle elle m'honoroit, pour avoir moyen de m'entretenir prés d'elle, & que s'il luy en plaisoit parler, & me le commander, que je l'aurois tres-agreable. Ce qu'il me promit, & fit, & receut commandement de sa Majesté pour faire ce voyage, & luy en faire fidel rapport: & pour cet effect Monsieur de Gesvre Secrétaire de ses commandemens, m'expédia, avec lettre addressante audit Pont-Gravé, pour me recevoir en son vaisseau, & me faire voir & recognoistre tout ce qui se pourroit en ces lieux, en m'assistant de ce qui luy seroit possible en ceste entreprise. [Note 54: Champlain avait été deux ans et deux mois à ce voyage des Indes Occidentales. Parti du Blavet au commencement d'août 1598, avec son oncle le capitaine Provençal, il se rendit en Espagne, où on lui confia le commandement d'un des vaisseaux de la flotte des Indes, qui partit au «commencement de janvier 1599». Il fut de retour au commencement de 1601.] [Note 55: Aujourd'hui Port-Louis, département du Morbihan.] Me voila expédié, je pars de Paris, & m'embarque dans le vaisseau dudit du Pont l'an 1603. nous faisons heureux voyage 47/703 jusques à Tadoussac, avec de moyennes barques de 12 à 15 tonneaux, & fusmes jusques à une lieue à mont le Grand-sault Sainct Louis. Le Pont Gravé & moy nous nous mettons dans un petit bateau fort léger, avec cinq matelots, pour n'en pouvoir faire naviger de plus grand, à cause des difficultez. Ayant fait une lieue avec beaucoup de peine dans une forme de lac, pour le peu d'eau que nous y trouvasmes, & estans parvenus au pied dudit Sault, qui se descharge en ce lac, nous jugeasmes impossible de le passer avec nostre esquif, pour estre si furieux, & entre-meslé de rochers, que nous nous trouvasmes contraints de faire presque une lieue par terre, pour voir le dessus de ce Sault, n'en pouvans voir d'avantage, & tout ce que nous peusmes faire fut de remarquer les difficultez, tout le pais, & le long de ladite riviere, avec le rapport des Sauvages de ce qui estoit dedans les terres, des peuples, des lieux, & origines des principales rivieres, & notamment du grand fleuve S. Laurent. Je fis dés lors un petit discours, avec la carte[56] exacte de tout ce que j'avois veu & recognu, & ainsi nous nous en retournasmes à Tadoussac, sans faire que fort peu de progrés: auquel lieu estoient nos vaisseaux qui faisoient la traitte avec les Sauvages, ce qu'estant fait, nous nous embarquasmes, mettant les voiles au vent, jusques à ce que nous fussions arrivez à Honnefleur, où sceusmes les nouvelles de la mort du Sieur Commandeur de Chaste[57], qui m'affligea fort, 48/704 recognoissant que mal-aisément un autre pourroit entreprendre ceste entreprise, qu'il ne fust traversé, si ce n'estoit un Seigneur de qui l'authorité fust capable de repousser l'envie. [Note 56: Cette carte ne se trouve pas même dans l'exemplaire du Voyage de 1603 que possède la Bibliothèque Impériale.] [Note 57: Il était mort le 13 mai de cette année 1603 (Asseline, _ms_ de Dieppe). Son tombeau est dans l'église de Saint-Rémi à Dieppe.] Je n'arresté gueres en ce lieu de Honnefleur, que j'allay trouver sa Majesté, à laquelle je fis voir la carte dudit pays, avec le discours fort particulier que je luy en fis, qu'elle eut fort agréable, promettant de ne laisser ce dessein, mais de le faire poursuivre & favoriser. Voila le cinquiesme voyage rompu par la mort dudit Sieur commandeur. En ceste entreprise je n'ay remarqué aucun defaut pour avoir esté bien commencé: mais je sçay qu'aussi tost plusieurs marchands de France qui avoient interest en ce négoce, commençoient à faire des plaintes de ce qu'on leur interdisoit le trafic des pelleteries, pour le donner à un seul. _Voyage du Sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu Commandeur de Chastes. Obtient commission du Roy pour aller descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands de Rouen & de la Rochelle, L'Autheur voyage avec luy. Arrivent au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le Sieur de Poitrincourt va avec le Sieur de Mons. Plaintes dudit Sieur de Mons. Sa commission revoquée._ CHAPITRE VIII. Aprés la mort du Sieur Commandeur de Chaste, le Sieur de Mons[58], de Sainctonge, de la religion prétendue reformée, 49/705 Gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy, & Gouverneur de Pons, qui avoit rendu de bons services à sa Majesté durant toutes les guerres passées, en qui elle avoit une grande confiance, pour sa fidélité comme il a tousjours fait paroistre jusques à sa mort, porté d'un zèle & affection d'aller peupler & habiter le pays de la nouvelle France, & y exposer sa vie & son bien, voulut marcher sur les brisées du feu sieur Commandeur audit pays, où il avoit esté, comme dit est, avec le sieur Chauvin, pour le recognoistre, bien que ce peu qu'il avoit veu, luy avoit fait perdre la volonté d'aller dans le grand fleuve Sainct Laurent, n'ayant veu en ce voyage qu'un fascheux pays, luy qui desiroit aller plus au Midy, pour jouir d'un air plus doux & agréable. Et ne s'arrestant aux relations que l'on luy en avoit faites, vouloit chercher un lieu duquel il ne sçavoit l'assiette ny la température que par l'imagination & la raison, qui trouve que plus vers le Midy il y fait plus chaud. Estant en volonté d'exécuter ceste genereuse entreprise, il obtient commission du Roy l'an 1623,[59] pour peupler & habiter le pays, à condition d'y planter la foy Catholique, Apostolique & Romaine, permettant de laisser vivre chacun selon sa religion. Cela estant, il continue sa societé avec les marchands de Rouen, de la Rochelle, & autres lieux, à qui la traitte de pelleterie estoit accordée par ladite commission privativement à tous les subjects de sa Majesté. Toutes choses ordonnées, ledit Sieur de Mons fait son embarquement au Havre de Grâce, s'embarque faisant équiper 50/706 plusieurs vaisseaux tant pour ledit trafic de pelleterie de Tadoussac, que des costes de la nouvelle France. Il assembla nombre de Gentils-hommes, & de toutes sortes d'artisans, soldats & autres, tant d'une que d'autre religion, Prestres & Ministres. [Note 58: Pierre du Gast, ou du Gua, sieur de Monts.] [Note 59: Cette commission est du 8 novembre 1603. (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv, IV, c. I.)] Ledit Sieur de Mons me demanda si j'aurois agréable de faire ce voyage avec luy. Le desir que j'avois eu au dernier s'estoit accreu en moy, qui me fit luy accorder, avec la licence que m'en donneroit sa Majesté, qui me le permit, pour tousjours en voyant & descouvrant, luy en faire fidel rapport. Estans tous à Dieppe, on s'embarque, un vaisseau va à Tadoussac, ledit du Pont avec la commission dudit sieur de Mons à Canseau, & le long de la coste vers l'isle du Cap Breton, voir ceux qui contreviendroient aux défenses de sa Majesté. Le Sieur de Mons prend sa routte plus à val vers les costes de l'Acadie[60], & le temps nous fut si favorable, que nous ne fusmes qu'un mois à parvenir jusques au Cap de la Héve, où estans, nous passasmes plus outre cherchans lieu pour y habiter, ne trouvans celuy-cy agréable. Le Sieur de Mons me commit à la recherche de quelque lieu qui fut propre: ce que je fis avec quelque pilote que je menay avec moy, où descouvrismes plusieurs ports & rivieres, jusques à ce que ledit Sieur de Mons s'arresta en une isle, qu'il jugea d'assiette forte, & le terroir d'alentour très-bon, la température douce, sur la hauteur de 45.5°[61] de latitude, comme[62] Saincte Croix. [Note 60: D'après l'édition de 1613 et Lescarbot, M. de Monts ne serait parti qu'avec deux vaisseaux: celui du capitaine Morel, et celui du capitaine Timothée; ici cependant l'auteur en mentionne évidemment trois, qui ont une mission tout à fait distincte. (Voir 1613, p. 6, 7; Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv. IV, c. II.)] [Note 61: L'île de Sainte-Croix n'est que quelques minutes au-delà du quarante-cinquième degré.] [Note 62: Lisez _nommée_.] 51/707 Il y fait venir ses vaisseaux, employé chacun selon sa condition, & mestier, tant pour les descharger, que pour se loger promptement. Ses vaisseaux deschargez, il les renvoye au plustost, & le sieur de Poitrincourt (qui estoit venu avec ledit sieur de Mons pour voir le pays, afin de l'habiter, & avoir quelque lieu de luy, en vertu de sa commission) s'en retourna. Mais laissons-le aller, en attendant si nous aurons meilleur marché des froidures, que ceux qui hyvernerent à Tadoussac. Nos vaisseaux estans retournez en France, ouirent un nombre infiny de plaintes tant des Bretons, Basques, que autres, de l'excez & mauvais traittement qu'ils recevoient aux costes, par les Capitaines dudit Sieur de Mons, qui les prenoit, & empeschoit de faire leur pesche, les privans de l'usage des choses qui leur avoient tousjours esté libres: de sorte que si le Roy n'y apportoit un règlement, toute ceste navigation s'en alloit perdre, & ses douanes par ce moyen diminuées, leurs femmes & enfans pauvres & miserables, & contraints à mendier leurs vies. Requestes sont presentées à ce sujet, mais l'envie & les crieries ne cessent point; il ne manque en Cour de personnes qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser la commission du Sieur de Mons. Ceste affaire se practique en telle façon, que ledit Sieur de Mons ne sceut si bien faire, que la volonté du Roy ne fust destournée par quelques personnages qui estoient en crédit, qui luy avoient promis d'entretenir trois cents hommes audit pays. Doncques en peu de 52/708 temps la commission de sa Majesté fut revoquée, pour le prix de certaine somme qu'un certain personnage eut, sans que sadite Majesté en sceust rien. Cependant, pour recompense de trois ans que le Sieur de Mons avoit consommez, avec une despense de plus de 100000 livres, en la première desquelles trois années il souffrit beaucoup, & endura de grandes incommoditez à cause des rigueurs du froid, & la longue durée, des neges de trois pieds de haut, durant cinq mois, bien que l'on puisse aborder en tout temps aux costes où la mer ne gele point, si ce n'est à l'entrée des rivieres qui charrient des glaces qui vont se descharger en la mer. Outre cela, presque la moitié de ses hommes moururent de la maladie de la terre, & fut contraint de faire revenir le reste de ses gens, avec le Sieur de Poitrincourt, qui en ceste année estoit son Lieutenant: car le Pont Gravé l'avoit esté l'an precedent. Voila tous les desseins du Sieur de Mons rompus, lequel s'estoit promis d'aller plus au Midy pour faire une habitation plus saine & tempérée que l'Isle de Saincte Croix, où il avoit hyverné, & depuis l'on fut au port Royal, où l'on se trouva un peu mieux, pour n'avoir trouvé l'hyver si aspre, souz la hauteur de 45 degrez de latitude. Pour recompense de ses pertes, luy fut ordonné par le Conseil de sa Majesté 6000 livres, à prendre sur les vaisseaux qui iroient trafiquer des pelleteries. Mais quelle despense luy eust-il fallu faire en tous les ports & havres, pour recouvrer ceste somme, s'informer de ceux qui auroient traitté, & le département qu'il faudroit, sur plus de quatre vingts vaisseaux qui fréquentent ces costes? c'estoit 53/709 luy donner la mer à boire, en faisant une despense qui eust surmonté la recepte, comme il en a bien apparu. Car ledit Sieur de Mons n'en a presque rien retiré & a esté contraint de laisser aller cet arrest comme il a peu. Voila comme ces affaires furent mesnagées au Conseil de sa Majesté: Dieu face pardon à ceux qu'il a appellez, & amender ceux qui sont vivans. Hé bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout se revoque de la façon, sans juger meurement des affaires, premier que d'en venir là? ceux qui ont le moins de cognoissance crient le plus fort, & en veulent plus sçavoir que ceux qui en auront une parfaite expérience; & ne parlent que par envie, ou pour leur interest particulier, sur de faux rapports & apparences, sans s'en informer davantage. Il se trouve quelque chose à redire en ceste entreprise, qui est, en ce que deux religions contraires ne font jamais un grand fruict pour la gloire de Dieu parmy les Infideles, que l'on veut convertir. J'ay veu le Ministre & nostre Curé s'entre-battre à coups de poing, sur le différend de la religion. Je ne sçay pas qui estoit le plus vaillant, & qui donnoit le meilleur coup, mais je sçay très-bien que le Ministre se plaignoit quelquefois au Sieur de Mons d'avoir esté battu, & vuidoient en ceste façon les poincts de controverse. Je vous laisse à penser si cela estoit beau à voir; les Sauvages estoient tantost d'un costé tantost de l'autre, & les François menez selon leur diverse croyance, disoient pis que pendre de l'une & de l'autre religion, quoy que le Sieur de Mons y apportast la paix le plus qu'il pouvoit. Ces insolences 54/710 estoient véritablement un moyen à l'infidèle de le rendre encore plus endurcy en son infidélité. Or puis que ledit Sieur de Mons n'avoit voulu aller habiter au fleuve Sainct Laurent, il devoit envoyer recognoistre un lieu propre pour y jetter les fondemens d'une Colonie, qui ne fut subjecte à estre delaissée comme celle de Saincte Croix, & Port Royal, où personne n'y cognoissoit rien, & devoit faire une despense de quatre à cinq mille livres, pour estre asseuré du lieu, & mesme donner charge d'y passer un hyver, pour cognoistre ce climat. Cela estant, il n'y a point de doute que le terroir, & la chaleur, correspondans à quelque bonne température, l'on s'y fust arresté. Et bien que la commission dudit sieur de Mons eust esté revoquée, l'on n'eust pas laissé d'habiter le pays en trois ans & demy, comme l'on avoit fait en l'Acadie, & eust-on assez défriché de terre, pour se pouvoir passer des commoditez de France. Que si ces choses eussent esté bien ordonnées, peu à peu l'on s'y fust habitué, & les Anglois & Flamens n'auroient jouy des lieux qu'ils ont surpris sur nous, qui s'y sont establis à nos despens. Il ne sera hors de propos pour contenter le lecteur curieux, & principalement les voyageurs de mer, de descrire les descouvertes de ces costes, pendant trois ans & demy que je fus à l'Acadie, tant à l'habitation de Saincte Croix, qu'au Port Royal, où j'eus moyen de voir & descouvrir le tout, comme il se verra au Livre suivant. Fin du premier Livre. 55/711 [Illustration] LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. LIVRE SECOND. _Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap Negre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie, Du port de Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui sont le long de la coste d'Acadie._ CHAPITRE PREMIER. Le Cap de la Héve est un lieu où il y a une Baye, où sont plusieurs isles couvertes de sapins, & la grande terre de chesnes, ormeaux, & bouleaux. Il est à la coste d'Acadie par les 44 degrez, & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de declinaison de la Guide-aymant, distant à l'Est nordest du Cap Breton 75 [63] lieues. [Note 63: L'édition de 1613 porte 85. De la Hève au cap Breton, il y a un peu plus de quatre-vingts lieues.] 711a [Illustration-carte] A sept lieues de cestuy-cy s'en trouve un autre appelle le Port 56/712 au Mouton, où sont deux petites rivieres par la hauteur de 44 degrez, & quelques minutes de latitude, dont le terroir est fort pierreux, remply de taillis & de bruyères, il y a quantité de lapins, & bon nombre de gibbier, à cause des estangs qui y sont. Allant le long de la coste, se voit aussi un port très-bon pour les vaisseaux, & au fonds une petite riviere, qui entre assez avant dans les terres, que je nommay le port du Cap Negré, à cause d'un rocher qui de loin en a la semblance, lequel est eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passasmes le mesme jour[64], qui en est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort dangereux, à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes que je veis jusques là sont fort basses, couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibbier. Tirant plus outre, nous fusmes passer la nuict à la Baye de Sable, où les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre, sans aucune crainte de danger. [Note 64: En abrégeant le texte de 1613, on a oublié de retrancher les dates, qui, ici, ne veulent rien dire. Ce jour était le 19 mai 1604. (Voy. 1613, p, 9.)] Le cap de Sable, distant de deux bonnes lieues de la Baye de Sable, est aussi fort dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent presque une lieue à la mer. De là on va en l'isle aux Cormorans qui en est à une lieue, ainsi appellée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oiseaux, & remplismes une barrique de leurs oeufs: & de ceste isle faisant l'ouest environ six lieues traversant une baye [65] qui fuit au nort 57/713 deux ou trois lieues, l'on rencontre plusieurs isles [66] qui jettent deux ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la plus-part fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes marées, & des rochers qui sont, à fleur d'eau. Ces isles sont remplies de pins, sapins, bouleaux, & de trembles. Un peu plus outre [67], il y en a encores quatre. En l'une y a si grande quantité d'oiseaux appellez tangueux, qu'on les peut tuer aisément à coups de bâton. En une autre y a des loups marins. Aux deux autres il y a une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer, si l'on ne l'avoit veu, comme cormorans, canards de trois sortes, oyes, marmettes, outardes, perroquets de mer, beccacines, vaultours, & autres oiseaux de proye: mauves, allouetes de mer de deux ou trois especes: hérons, goillans, courlieux, pies de mer, plongeons, huats, appoils, corbeaux, grues, & autres sortes, lesquels y font leurs nids. Je les nommay isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de latitude, distantes de la terre ferme, ou cap de Sable, de quatre à cinq lieues. De là l'on va à un cap que j'appellay le port Fourchu [68], d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les vaisseaux en son entrée, mais au fonds il asseche presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, 58/714 toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez agréable. La pesche de morues y est bonne auprès du port; faisant le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances, ou playes très-belles, dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois y sont très-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sapins. Ceste coste est fort saine, sans isles, rochers, ne bases: de sorte que selon mon jugement les vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste, je fus à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui gist nort nordest, & sur surouest, laquelle fait passage pour aller dedans la grande baye Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons. [Note 65: La baie Courante, aujourd'hui la baie de Townsend.] [Note 66: Les îles Tousquet.] [Note 67: C'est-à-dire, plus loin au large.] [Note 68: Le cap Fourchu. Dans la Table de sa grande carte, l'auteur appelle ce port, port du cap Fourchu.] Cette isle est de six lieues de long, & a en quelques endroits prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement. Elle est remplie de quantité de bois, comme pins, & bouleaux. Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux, & n'y a point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle quelques petites retraites pour des chaloupes, & trois ou quatre islets de rochers, où les Sauvages prennent force loups marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit passage de l'isle, qui est fort dangereux pour les vaisseaux, s'ils vouloient se mettre au hazard de le passer. Du passage de l'isle Longue faisant le nordest deux lieues[69], y a une ance où les vaisseaux peuvent anchrer en seureté, laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de 59/715 rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent tres-bonne, selon le rapport d'un Mineur appellé maistre Simon, qui estoit avec moy[70]. A quelques lieues plus outre est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demie lieue dans les terres, à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle il y a un port bon pour les vaisseaux, où nous trouvasmes une mine de fer, que le Mineur jugea rendre cinquante pour cent. Tirant trois lieues plus outre au nordest, y a une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles & agréables prairies. Le terroir d'alentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus avant il y a encores une autre riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour duquel y a nombre de prez, & de bonnes terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Ceste baye peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds environ six lieues. Toute la coste des mines[71] est terre assez haute, découpée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & à son entrée un banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demie d'eau, & l'ayant passé, on en trouve trois, & bon fonds. [Note 69: Dans la baie Sainte-Marie.] [Note 70: En 1604. (Voyages 1613, p. 12.)] [Note 71: La côte nord-ouest de la baie Sainte-Marie.] 60/716 Entre les deux pointes du port il y a un islet de cailloux qui couvre de plaine mer. Ce lieu va demie lieue dans les terres. La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moules, coques, & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu: & nommay ce port, le port Saincte Marguerite [72]. Toute cette coste du suest est terre beaucoup plus basse que celle des mines, qui ne sont qu'à une lieue & demie de la coste du port de Saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, & la trouvay par les 45 degrez & demy, & Un peu plus de latitude[73], & 17 degrez 16 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Ceste baye fut nommée la baye Saincte Marie. [Note 72: Parce qu'il y entra probablement le 10 juin, en 1604.] [Note 73: Le fond de la baie Sainte-Marie est à environ 44° 35'.] _Description du Port-Royal, & des particularités d'iceluy. De l'isle Haute. Du Port aux mines. De la grande baye Françoise. De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs belles isles qui y sont. De l'isle de Saincte Croix, & autres choses remarquables d'icelle coste._ CHAPITRE II Du passage de l'isle Longue, mettant le cap au nordest 6 lieues, il y a une ance[74] où les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre à 4, 5, 6, & 7 brasses d'eau. Le fonds est sable. Ce 61/717 lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux lieues, l'on entre en l'un des beaux ports qui soit en toutes ces costes, où il pourroit grand nombre de vaisseaux en seureté. L'entrée est large de 800 pas, & sa profondeur de 25 brasses d'eau; a deux lieues de long, & une de large, que je nommay[75] port Royal, où descendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de l'Esquille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un esplan, qui s'y pesche en quantité; comme aussi on fait du haranc, & plusieurs autres sortes de poissons qui y sont en abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son entrée, où il y a une isle[76], laquelle peut contenir demie lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches, bouleaux, trembles, & quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit nombre. [Note 74: La fosse de Gulliver.] [Note 75: Voir Voyages 1613, p. 18, note I.] [Note 76: L'île aux Chèvres, que l'on trouve indiquée, dans la carte de Lescarbot, sous le nom de Biencourville.] Il y a deux entrées en ladite riviere, l'une du costé du nort[77], l'autre au sud de l'isle[78]. Celle du nord est la meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre à l'abry de l'isle à 5, 6, 7, 8, & 9 brasses d'eau: mais il faut se donner garde de quelques bases qui sont tenant à l'isle, & à la grande terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal. je fus 14 ou 15 lieues où la mer monte, & ne va pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter bateaux. En ce lieu 62/718 elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demie d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes, fresnes, & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au lieu où nous fusmes, y a nombre de prairies, mais elles sont inondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des chaloupes & bateaux peuvent aller de plaine mer. Dedans le port y a une autre isle[79], distante de la première prés de deux lieues, où il y a une autre petite riviere[80] qui va assez avant dans les terres, que j'ay nommée la riviere Sainct Antoine [81]. Son entrée est distante du fonds de la baye Saincte Marie d'environ quatre lieues par le travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere, ce n'est qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce soit, pour le peu d'eau. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez de latitude[82], & 17 degrez 8 minutes de declinaison de la Guide-aimant. [Note 77: La Bonne-Passe.] [Note 78: La Passe-aux-Fous.] [Note 79: L'île d'Hébert, appelée aussi Imbert, et enfin _Bear Island_.] [Note 80: Voir Voyages 1613, note 2 de la page 19.] [Note 81: Lescarbot l'appelle rivière Hébert. Elle a pris plus tard le nom d'Imbert, et les Anglais l'ont appelée _Bear River_.] [Note 82: La latitude de ce premier Port-Royal, qui était situé au nord du port, était d'environ 44° et trois quarts. Il ne faut pas le confondre avec le second Port-Royal, qui a pris le nom d'Annapolis; ce dernier était au sud du port Royal, et situé un peu plus haut que le premier.] Partant du port Royal, mettant le cap au nordest 8 ou 10 lieues, rangeant la coste du port Royal, je traversay une partie de la baye, comme de quelque 5 ou 6 lieues, jusques à un lieu qu'ay nommé le Cap des deux Bayes[83], & passay par une isle[84] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de 63/719 circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut, toute entourée de gros rochers, horsmis en un endroit qui est en talus, au pied duquel y a un estang d'eau salée, qui vient par dessous une pointe de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de l'isle est plat, couvert d'arbres, avec une fort belle source d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là j'allay à un port[85] qui en est à une lieue & demie, où il y a aussi une mine de cuivre. Ce port est souz les 45 degrez deux tiers de latitude[86], lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer & recognoistre une batture de sable qui est à l'entrée, laquelle va rangeant un canal, suivant l'autre costé de terre ferme, puis on entre dans une Baye qui contient prés d'une lieue de long, & demie de large. En quelques endroits le fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer. La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Ce Cap des deux Bayes où est le port aux mines est ainsi appellé, parce qu'au nort & sud dudit cap y a deux Bayes[87] qui courent vers l'est nordest, & nordest quelques 12 à 15 lieues, & y a un destroit à chaque Baye qui ne contient pas plus de demie lieue de large. Cela passé, il s'eslargit tout d'un coup d'environ 3, 4, à 5 lieues. Il y a aussi quelques isles en ceste Baye[88] où il y a des estangs, & deux ou trois petites rivieres qui y descendent avec les canaux des Sauvages, qui y vont à Tregaté, & Misamichy dans le golphe Sainct Laurent, partie par eau, partie par terre. [Note 83: Le cap de Chignectou.] [Note 84: L'île Haute.] [Note 85: Le port aux Mines, appelé plus tard Havre à l'Avocat.] [Note 86: 45° 25'.] [Note 87: La baie de Chignectou, et le bassin des Mines.] [Note 88: Celle de Chignectou.] 64/720 Tout le pays que j'ay veu depuis le petit passage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le pays est remply de quantité de pins & bouleaux, & à mon advis n'est pas trop bon. Nous fismes l'ouest deux lieues jusques au Cap des deux Bayes, puis le nort[89] cinq ou six lieues, & traversasmes l'autre Baye. Faisant l'ouest quelques six lieues, y a une petite riviere[90], à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la mer, & un peu dans les terres une montagne qui a la forme d'un chapeau de Cardinal. En ce lieu y a une mine de fer, & n'y a anchrage que pour des chaloupes. A quatre lieues à l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui advance un peu vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort dangereuses. Proche de la pointe y a une ance[91] qui a environ demie lieue de circuit, en laquelle est une autre mine de fer, qui est tresbonne. A quatre lieues encores plus avant y a une belle Baye[92] qui entre dans les terres, où au fonds y a trois isles & un rocher, deux sont à une lieue du cap tirant à l'ouest, & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes que j'eusse encores veu, que je nommay la riviere Sainct Jean, pource que ce fut ce jour là que j'y arrivay, & des Sauvages elle est appellée Ouygoudy. Ceste riviere est dangereuse, si on ne recognoist bien certaines 65/721 pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroite en son entrée, puis vient à s'eslargir, & ayant doublé une pointe elle estressit derechef, & fait comme un sault entre deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vistesse, qu'en y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit-on plus: mais attendant la plaine mer, l'on peut passer fort aisément ce destroit, & lors elle s'eslargit environ une lieue par aucuns endroits, où il y a trois isles, auxquelles y a grande quantité de prairies & beaux bois, comme chesnes, hestres, noyers, & lambruches de vignes sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de Sainct Laurent, & ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere Sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues [93]. A l'entrée d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers[94], y a une mine de fer. Les chaloupes ne peuvent aller plus de quinze lieues dans ceste riviere, à cause des saults qui ne se peuvent naviger que par les canaux des Sauvages. [Note 89: Par les détails que l'auteur donne un peu plus loin, il paraît évident qu'il traversa la baie de Chignectou plutôt dans la direction du nord-nord-ouest, vers la hauteur de la tête Saint-Martin.] [Note 90: La rivière et la tête de Quaco.] [Note 91: Cette ance porte aujourd'hui le nom de Gardner.] [Note 92: Le havre de Saint-Jean, qui forme l'embouchure de la rivière Saint-Jean.] [Note 93: De l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a en ligne droite, environ cent lieues.] [Note 94: 45° et un tiers.] De la riviere Sainct Jean je fus à quatre isles, en l'une desquelles y a grande quantité d'oiseaux appellez margos, dont les petits sont aussi bons que pigeonneaux. Ceste isle est esloignée de la terre ferme de trois lieues. Plus à l'ouest y a d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui s'appelle des Sauvages Menane[95], au sud de laquelle il y a entre les isles plusieurs ports, bons pour les vaisseaux. [Note 95: Menane est le vrai nom de cette île. L'auteur, par inadvertance sans doute, avait mis dans l'édition de 1613, Manthane. Quelques exemplaires, sous le millésime 1632 et 1640, portent encore Manthane, dans la marge, et Menane dans le texte.] 66/722 Des isles aux Margos[96] je fus à une riviere en la grande terre, qui s'appelle la riviere des Etechemins[97], nation de Sauvages ainsi nommée en leur pays, & passe-t'on par si grande quantité d'isles, assez belles, que je n'en ay peu sçavoir le nombre; les unes contenans deux lieues, les autres trois, les Cul de sac autres plus ou moins. Elles sont toutes en un cul de sac[98], qui contient à mon jugement plus de quinze lieues de circuit, y ayant plusieurs endroits bons pour y mettre tel nombre de vaisseaux que l'on voudra; autour desquelles y a bonne pescherie de mollues, saulmons, bars, harancs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest trois lieues par les isles, l'on entre dans une riviere[99] qui a presque demie lieue de large en son entrée, où ayant fait une lieue ou deux, il y a deux isles, l'une fort petite proche de la terre de l'ouest, & l'autre au milieu, qui peut avoir huict ou neuf cents pas de circuit, elevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers, fors un petit endroit d'une pointe de sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, & autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des vaisseaux de quatre vingts à cent tonneaux, mais il asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, bouleaux, érables, & chesnes. De soy elle est en fort bonne scituation, & n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé 67/423 à fortifier: les costes de la terre ferme en estans des deux costez éloignées d'environ neuf cents à mille pas, les vaisseaux ne pourroient passer sur la riviere qu'à la mercy du canon d'icelle, qui est le lieu que l'on jugea le meilleur, tant pour la scituation, bon pays, que pour la communication que l'on pretendoit avec les Sauvages de ces costes, & du dedans des terres, estans au milieu d'eux, lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du service, & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu fut nommé par le sieur de Mons l'isle Saincte Croix[100]. Passant plus outre, on voit une grande baye en laquelle y a deux isles, l'une haute, & l'autre platte, & trois rivieres, deux médiocres, dont l'une tire vers l'Orient, & l'autre au nort, & la troisiesme grande, qui va vers l'Occident: c'est celle des Etechemins. Allant dedans icelle deux lieues, il y a un sault d'eau, où les Sauvages portent leurs canaux par terre environ 500 pas, puis r'entrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de terre, on va dans la riviere de Norembegue[101] & de Sainct Jean. En ce lieu du sault les vaisseaux ne peuvent passer, à cause que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que 4 à 5 pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de harancs & bars, que l'on y en pourroit charger des bateaux. Le terroir est des plus beaux, & y a 15 ou 20 arpents de terre défrichée. Les Sauvages s'y retirent quelquefois cinq ou six sepmaines durant la pesche. 68/724 Tout le reste du pays sont forests fort espoisses. Si les terres estoient défrichées, les grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minutes de declinaison de la Guide-aymant. En cet endroit y fut faite l'habitation en l'an 1604. [Note 96: Ces îles ont été aussi appelées îles aux Oiseaux. Aujourd'hui elles portent le nom de _Wolves Islands_.] [Note 97: La rivière Sainte-Croix, ou _Scoudic_.] [Note 98: La baie Passamaquoddi, y compris sans doute celle de Capscouk.] [Note 99: C'est ici proprement l'embouchure de la rivière Sainte-Croix.] [Note 100: Voir 1613, p. 25, et la carte de l'île Sainte-Croix, _ibid_.] [Note 101: Le Pénobscot.] _De la coste, peuples, & riviere de Norembeque._ CHAPITRE III. DE ladite riviere de Saincte Croix continuant le long de la coste faisant environ 25 lieues, passasmes[102] par une grande quantité d'isles, bancs, battures, & rochers, qui jettent plus de 4 lieues à la mer par endroits, que je nommay les isles rangées, la plus-part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres meschans bois. Parmi ces isles y a force beaux & bons ports, mais mal agréables & passay proche d'une isle qui contient environ 4 ou 5 lieues de long. De ceste isle jusques au nort de la terre ferme[103] il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute, & coupée par endroits, qui paroissent, estant en la mer, comme 7 ou 8 montagnes rangées les unes proches des autres. Le sommet de la plus-part d'icelles est desgarni d'arbres, parce que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins, & bouleaux. Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts. La hauteur est par les 44 degrez & demy de latitude. [Note 102: Le 5 septembre 1604. (Voir 1613, page 26-30.)] [Note 103: Il faudrait ou _jusques au nort à la terre ferme_, ou bien _jusqu'à la terre ferme au nort._] 69/725 Les Sauvages de ce lieu ayans fait alliance avec nous, ils nous guidèrent en leur riviere de Pemetegoit[104], ainsi d'eux appellée, où ils nous dirent que leur Capitaine nommé Bessabez, estoit chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que plusieurs Pilotes & Historiens appellent Norembegue[105], & que la plus-part ont escrit estre grande & spacieuse, avec quantité d'isles, & son entrée par la hauteur de 43 & 3/4 & demy[106], & d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de Sauvages adroits &, habiles, ayans du fil de cotton. Je m'asseure que la plus-part de ceux qui en font mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en sçavoient pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont peu en avoir veu l'emboucheure, à cause qu'en effect il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: mais qu'aucun y ait jamais entré, il n'y a point d'apparence, car ils l'eussent descrit d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ce doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay recognu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté. [Note 104: Voir 1613, p. 31, note 2.] [Note 105: Voir 1613, p. 31, note 4.] [Note 106: L'entrée de la baie de Pénobscot, qui forme l'embouchure de cette rivière, est un peu au-delà de 44°. Il paraît bien évident qu'il faut lire plutôt comme dans l'édition de 1613, d'où ceci est tiré: «43 & 43 & demy, & d'autres par les 44 degrez...»] Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de la terre ferme 10 ou 12 lieues, qui sont par la hauteur de 44. degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant. 70/426 L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure, tirant à l'est, & l'autre est une terre basse appellée des Sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, distantes l'une de l'autre neuf ou dix lieues: & presque au milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un nombre infiny de plusieurs grandeurs & largeurs, mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne, comme aussi la chasse du gibbier. A deux ou trois lieues de la pointe de Bedabedec, rangeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au sud de l'isle haute, en la rangeant comme d'un quart de lieue, où il y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montagnes qui sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf découpées de l'isle des Monts-deserts, & celle de Bedabedec, l'on fera[107] le travers de la riviere de Norembegue, & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les plus hautes montagnes dudit Bedabedec, & ne verrez aucunes isles devant vous, & pouvez entrer seurement, y ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les eviter la sonde en la main, pour plus grande seureté, & croy, à ce que j'en ay peu juger, 71/727 que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre endroit, sinon avec des petits vaisseaux ou chaloupes: car (comme j'ay dit cy-dessus) la quantité des isles, rochers, bases, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte, que c'est chose estrange à voir. [Note 107: Dans l'édition de 1640, on a mis _l'on fera_; ce qui n'était pas fort à propos.] Or pour revenir à la continuation de nostre routte[108], entrant dans la riviere il y a de belles isles qui sont fort agréables, comme des prairies, Je fus jusques à un lieu où les Sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de lieue de large, & à quelque deux cents pas de la terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues: & depuis ce lieu estroit (qui est la moindre largeur que nous eussions trouvée) après avoir fait environ 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller l'anchre; d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de basse mer; & aussi que quand nous eussions voulu passer plus avant, il eust esté impossible de faire demie lieue, à cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8 pieds, que je veis allant dedans un canau, avec les Sauvages que nous avions, & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau: mais passé le sault, qui a environ deux cents pas de large, la riviere est belle & plaisante, jusques au lieu où nous avions mouillé l'anchre. Je mis pied à terre pour voir le pays, & allant à la chasse je le trouvay fort plaisant & agréable en ce 72/728 que j'y fis de chemin, & semble que les chesnes qui y sont ayent esté plantez par plaisir. J'y veis peu de sapins, mais bien quelques pins à un costé de la riviere; tous chesnes à l'autre, & un peu de bois taillis qui s'estendent fort avant dans les terres: & diray que depuis l'entrée où je fus, qui sont environ 25 lieues, je ne veis aucune ville, ny village, ny apparence d'y en avoir eu, mais bien une ou deux cabannes de Sauvages, où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites de la mesme façon que celles des Souriquois, couvertes d'escorces d'arbres; & à ce que j'ay peu juger, il y a peu de Sauvages en icelle riviere, qu'on appelle aussi Pemetegoit [109]. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques mois en esté durant la pesche du poisson, & la chasse du gibbier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de retraite arrestée, à ce que j'ay recognu, & appris d'eux: car ils hyvernent tantost en un lieu, & tantost à un autre, où ils voyent que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour subvenir aux disettes qui sont grandes quelquefois. [Note 108: C'était au voyage de découverte que fit M. de Monts, dans l'automne de 1604, avec Champlain.] [Note 109: Les sauvages de Pentagouet étaient des Etchemins. En 1613, l'auteur avait dit: _qu'on appelle aussi Etechemins_. En remplaçant ici leur nom par celui de leur rivière, on a oublié de retrancher le mot _aussi_.] Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que j'ay costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus dites, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part, il ne peut y en avoir qui entrent avant dans les terres, d'autant que la grande riviere Sainct Laurent costoye la coste d'Acadie & de 73/729 Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre de 45 lieues, ou 60 au plus large en droite ligne. Or je laisseray ce discours, pour retourner aux Sauvages qui m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue, lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres Sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir aussi le leur, nommé Cabahis, & luy donner advis de nostre arrivée. Le 16 du mois[110] il vint à nous environ trente Sauvages, sur l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de guide. Vint aussi ledit Bessabez nous trouver ce mesme jour avec six canaux. Aussi tost que les Sauvages qui estoient à terre le veirent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer, sauter, jusques à ce qu'il eust mis pied à terre: puis après s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume, lors qu'ils veulent faire quelque harangue, ou festin. Cabahis l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses compagnons, qui se retirèrent à part, & se resjouirent fort de nous voir, d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec deux de mes compagnons, & deux de nos Sauvages, qui nous servoient de truchement, & donnay charge à ceux de nostre barque d'approcher prés des Sauvages, & tenir leurs armes prestes pour faire leur devoir s'ils appercevoient quelque émotion de ces peuples contre nous. Benabez nous voyant à terre 74/730 nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils font ordinairement auparavant que faire leur discours, & nous firent present de venaison & de gibbier. Tout le reste de ce jour & la nuict suivante, ils ne firent que chanter, dancer, & faire bonne chère, attendant le jour. Par après chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples. [Note 110: Le 16 de septembre 1604. (Voir, 1613, liv. I, c. v.)] Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez, & 25 minutes de latitude. Ce fait, je partis pour aller à une autre riviere appellée Quinibequy, distante de ce lieu de 35 lieues, & prés de 15 de Bedabedec. Ceste nation de Sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins[111], aussi bien que ceux de Norembegue. [Note 111: Voir 1613, p. 38, note 1.] Le 18 du mois je paissay prés d'une petite riviere où estoit Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque environ 12 lieues. Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de Norembegue, il me dit qu'elle passe le sault dont j'ay fait cy-dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle, on entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de Saincte Croix quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des Etechemins. Plus au lac descend une autre riviere par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, & passent par le milieu puis estans parvenus au bout, ils font encore ..................................................... ............................................................ autre petite riviere [112] qui va se descharger dans le grand 75/731 fleuve Sainct Laurent. Tous ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux de castors, & autres fourrures, comme les Sauvages Canadiens & Souriquois, & ont mesme façon de vivre. [Note 112: La rivière Etchemin.] Voilà au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes, peuples, que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal agréable en hyver, que celuy de Saincte Croix. _Descouvertures de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste des Almouchiquois_[113] _jusques au 42e degré de latitude, & des particularités de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes passent le temps durant l'hyver._ [Note 113: Les sauvages de Kénébec, quoique etchemins aussi bien que ceux de Pentagouet et de la rivière Sainte-Croix, étaient ennemis de ceux-ci. (Voy. 1613, p. 38, 39). C'est ce qui explique pourquoi les auteurs font commencer le pays des Almouchiquois tantôt au-delà et tantôt en-deçà du Kénébec.] CHAPITRE IIII. Rangeant la coste de l'ouest, l'on passe les montagnes de Bedabedec, & cogneusmes[114] l'entrée de la riviere, où il peut aborder de grands vaisseaux, mais dedans il y a quelques battures qu'il faut eviter la sonde en la main. Faisant environ 8 lieues, rangeant la coste de l'ouest, passasmes par quantité d'isles & rochers qui jettent une lieue à la mer, jusques à une isle[115] distante de Quinibequy dix lieues, où à l'ouvert 76/732 d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avions nommée la Tortue[116], & entre icelle & la grande terre y a quelques rochers espars, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la Tortue, & la riviere [117] sont sud suest, & nort norouest. Comme l'on y entre, il y a deux moyennes isles, qui sont l'entrée, l'une d'un costé, & l'autre de l'autre, & à quelques 300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'anchre à 300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Je me resolus d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere, & les Sauvages qui y habitent. Ayans fait quelques lieues, nostre barque pensa se perdre sur un rocher que nous frayasmes en passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la plus-part muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostasmes ces Sauvages, qui nous guidèrent. Et allans plus avant pour voir leur Capitaine, appellé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieues, nous passasmes par certaines isles, destroits, & ruisseaux, qui se deschargent dans la riviere, où je veis de belles prairies: & costoyant une isle[118] qui a environ 4 lieues de long, ils nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 Sauvages, lequel aussi tost que nous eusmes mouillé l'anchre, vint à nous dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompagnoient. Approchant prés de nostre barque il fit 77/733 une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous voir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance, & faire paix avec leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux autres Capitaines Sauvages qui estoient dedans les terres, l'un appellé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de Quinibequy. [Note 114: En septembre 1604 et en juin 1605. (Voir 1613, p. 31-39, et 46.)] [Note 115: Cette île, située à huit lieues de la pointe de Bedabedec, et à environ dix lieues de l'embouchure du Kénébec, est celle que Champlain appela la Nef, et dont le nom est aujourd'hui Monahigan. (Voy. 1613, p. 74, note 2.)] [Note 116: L'île Séguin.] [Note 117: La rivière de Kénébec,] [Note 118: L'île de Jérémysquam.] Le lendemain ils nous guidèrent en descendant la riviere[119] par un autre chemin que n'estions venus, pour aller à un lac [120], & passans par des isles, ils laisserent chacun une flesche proche d'un cap, par où tous les Sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoient, il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres. [Note 119: Ce que l'auteur appelle _la rivière_, était un des nombreux chenaux par où la rivière de Chipscot vient confondre son embouchure avec celle du Kénébec. (Voir 1613, p. 47, 48.)] [Note 120: La baie de Merry-Meeting, qui est une espèce de lac où viennent se joindre les eaux du Kénébec et de la rivière Androscoggin.] Par delà ce cap nous passasmes un sault d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté: car encores qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans nos voiles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusmes nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous. Ainsi nous fismes tant à force de bras, avec l'aide du vent qui nous favorisoit, que le passasmes. Les Sauvages qui estoient avec nous portèrent leurs canaux par terre, ne les pouvans passer à la rame. Après avoir franchi ce sault, nous veismes de belles prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant avec la marée 78/734 nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme auparavant, qui nous donna grand contentement. Poursuivans nostre routte, nous vinsmes au lac, qui a trois à quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descend deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, & l'autre[121] du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour, & voyant qu'ils ne venoient point, resolusmes d'employer le temps. Nous levasmes donc l'anchre, & vint avec nous deux Sauvages de ce lac pour nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'anchre à l'emboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos Sauvages allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous descendismes ladite riviere est beaucoup plus seur & meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la Tortue, qui est devant l'entrée de ladite riviere, est par la hauteur de 44 degrez de latitude, & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il y a environ 4 lieues de là en mer, vers le suest trois petites isles, où les Anglois font pesche de moluës. L'on va par ceste riviere au travers des terres jusques à Québec quelque 50 lieues, sans passer qu'un trajet de terre de 2 lieues, puis on entre dedans une autre petite riviere[122] qui vient descendre dedans le grand fleuve Sainct Laurent. Ceste riviere de Quinibequy est dangereuse pour 79/735 les vaisseaux à demie lieue au dedans, pour le peu d'eau, grandes marées, rochers, & bases qu'il y a, tant dehors que dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit bien recognu. Si peu de païs que j'ay veu le long des rivages est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts. Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les autres rivieres cy dessus dites. Les peuples vivent comme ceux de nostre habitation, & nous dirent, que les Sauvages qui semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, & qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes, pour la guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre. Voila ce que j'ay peu apprendre de ce lieu, lequel je crois n'estre meilleur que les autres. [Note 121: La rivière Sagadahoc, ou Androscoggin.] [Note 122: La rivière Chaudière.] Les Sauvages qui habitent en toutes ces costes sont en petite quantité. Durant l'hyver au fort des neges ils vont chasser aux eslans, & autres bestes dequoy ils vivent la plus-part du temps: & si les neges ne sont grandes, ils ne font gueres bien leur profit, d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort. Lors qu'ils ne vont à la chasse, ils vivent d'un coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'hyver de bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessouz des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de certaines raquetes, deux fois aussi grandes que celles de 80/736 pardeça, qu'ils s'attachent souz les pieds, & vont ainsi sur la nege sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant trouvée ils la suivent, jusques à ce qu'ils appercoivent la beste, & lors ils tirent dessus avec leurs arcs, ou la tuent avec coups d'espées emmanchées au bout d'une demie pique, ce qui se fait fort aisément, d'autant que ces animaux ne peuvent aller sur les neges sans enfoncer dedans; & lors les femmes & enfans y viennent, & là cabannent, & se donnent la curée: après ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres. Costoyant la coste[123], fusmes mouiller l'anchre derrière un petit islet proche de la grande terre, où nous veismes plus de quatre vingts Sauvages qui accouroient le long de la coste pour nous voir, dançans, & faisans signe de la resjouissance qu'ils en avoient. Je fus visiter[124] une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la terre défrichée, & force vignes, qui apportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers que j'esse veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve: nous la nommasmes l'isle de Bacchus[125]. Estans de pleine mer nous levasmes l'anchre, & entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes plustost, d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie, 81/737 & du grand de l'eau deux brasses: quand on est dedans il y en a trois, quatre, cinq, & six. Comme nous eusmes mouillé l'anchre, il vint à nous quantité de Sauvages sur le bord de la riviere, qui commencerent à dancer. Leur Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appelloient Honemechin. Il arriva environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de nostre barque. Ces peuples se razent le poil de dessus Comme les le crâne assez haut, & portent le reste fort long, qu'ils peignent & tortillent par derrière en plusieurs façons fort proprement, avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de noir & rouge, comme les autres Sauvages que j'ay veus. Ce sont gens disposts, bien formez de leur corps. Leurs armes sont piques, massues, arcs, & flesches, au bout desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelle signoc[126]: d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu. Au lieu de charrues ils ont un instrument de bois fort dur, fait en façon d'une besche. Cette riviere s'appelle des habitans du pays Chouacoet[127]. [Note 123: M. de Monts et Champlain partirent de Kénébec le 8 juillet (1605), et ce fut après avoir côtoyé _la côte_ une partie de ce jour et du suivant, qu'ils mouillèrent l'ancre près de ce petit îlet, non loin de la rivière de Chouacoet ou Saco. (Voy. 1613, p. 50, 53.)] [Note 124: L'édition de 1613 porte «le sieur de Mons fut visiter.»] [Note 125: Probablement _Richmond_ ou _Richman's Island_.] [Note 126: Ou _siguenoc_, comme l'auteur l'écrit ailleurs. (_Limulus Polyphenius;_ LAM.) Voir 1613, p. 70, 71.] [Note 127: Aujourd'hui Saco.] Je fus à terre pour voir leur labourage sur le bord de la riviere, & veis leurs bleds, qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages, semans trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de terre, puis à trois pieds de là en sement encore 82/738 autant, & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque touffeau ils plantent 3 ou 4 febves de Bresil, qui viennent de diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelacent autour dudit bled, qui leve de la hauteur de 3 à 6 pieds, & tiennent le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y veismes force citrouilles, courges, & petum, qu'ils cultivent aussi. Le bled d'Inde que j'y veis pour lors estoit de deux pieds de haut: il y en avoit aussi de trois. Ils le sement en May, & le recueillent en Septembre. Pour les febves, elles commençoient à entrer en fleur, comme aussi les courges & citrouilles. J'y veis grande quantité de noix, qui sont petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessouz, qui estoient de l'année précédente. Il y a aussi force vignes, ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de très-bon verjus, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, me fit juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous hyvernasmes, ny que les autres lieux de la coste. Les forests dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres, fresnes, & ormeaux. Dans les lieux aquatiques il y a quantité de saules. Les Sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont une grande cabanne entourée de pallissades faites d'assez gros arbres rangez les uns contre les autres, où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre; & couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort 83/739 plaisant, & aussi agréable que l'on en puisse voir: la riviere abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté. _Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux Isles. Canots de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur Chef honorablement receu de nous. CHAPITRE V. Le Dimanche 12[128] du mois nous partismes de la riviere appellée Choüacoet, & rangeant la coste, après avoir fait environ 6 ou 7 lieues, le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller l'anchre & mettre pied à terre, où nous veismes deux prairies, chacune desquelles contient une lieue de long, & demie de large. Depuis Choüacoet jusques en ce lieu (où veismes de petits oiseaux, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orengées) il y a quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes 2 ou 3 lieues devers Choüacoet, jusques à un cap qu'avons nommé le port aux isles[129], bon pour des vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. [Note 128: Le 12 de juillet 1605 était un mardi. D'après l'édition de 1613, M. de Monts et Champlain arrivèrent à Chouacouet le 10, et durent n'en repartir que le 12.] [Note 129: Le cap du Port-aux-Isles est le cap Purpoise. (Voir 1613, p. 55, note 3.)] 84/740 Mettant le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on entre en un autre port[130] où il n'y a aucun passage (bien que ce soient isles) que celuy par où on entre, où à l'entrée y a quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y a tant de groiselles rouges, que l'on ne voit autre chose en la plus-part, & un nombre infiny de tourtes, dont nous en prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43 degrez 25 minutes de latitude. [Note 130: Probablement l'entrée de la rivière _Kenebunk_.] Costoyans la coste nous apperceusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne veismes aucun Sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuis. Le Soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, & sablonneuse. Mettant le cap au sud pour nous esloigner, afin de mouiller l'anchre, ayans fait environ deux lieues, nous apperceusmes un cap [131] à la grande terre au sud quart du suest de nous, où il pouvoit avoir six lieues: à l'est deux lieues apperceusmes trois ou quatre isles[132] assez hautes, & à l'ouest un grand cul de sac[133]. La coste de ce cul de sac toute rangée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où nous estions environ 4 lieues: il en a 2 de large nord & sud, & 3 en son entrée. Et ne recognoissant aucun lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap 85/741 cy-dessus à petites voiles une partie de la nuict, & en approchasmes à 16 brasses d'eau, où nous mouillasmes l'anchre attendant le poinct du jour. [Note 131: Le cap Anne, que l'auteur appelle plus loin cap aux Iles.] [Note 132: Les îles de Battures _(Isles of Shoals)_.] [Note 133: La baie Longue, comme l'auteur l'appelle lui-même dans sa Table de la grande carte de 1632. C'est cet enfoncement que forme la côte au nord-ouest du cap Anne.] Le lendemain nous fusmes au susdit cap, où il y a trois isles proches de la grande terre, pleines de bois de différentes sortes, comme à Choüacoet, & par toute la coste; & une autre platte, ou la mer brise, qui jette un peu plus bas à la mer que les autres où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux isles, proche duquel apperceusmes un canau où il y avoit 5 ou 6 Sauvages qui vindrent à nous, lesquels estans prés de nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Je fus à terre pour les voir, & leur donner à chacun un couteau, & du biscuit; ce qui fut cause qu'ils redancerent mieux qu'auparavant. Cela fait, je leur fis entendre le mieux qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste. Après leur avoir dépeint avec un charbon la baye & le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le mesme crayon une autre baye [134], qu'ils representoient fort grande, où ils mirent six cailloux d'égale distance; me donnans par là à entendre que chacune de ces marques estoient autant de chefs & peuplades [135]: puis figurèrent dedans ladite baye[136] une riviere [137] que nous avions passée, qui s'estend fort loin, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en quantité, dont le verjus estoit un peu plus gros que des pois, & force noyers, dont les noix n'estoient pas plus grosses que 86/742 des balles d'harquebuze. Ces Sauvages nous dirent, que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemençoient la terre comme les autres qu'avions veus auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez & quelques minutes de latitude [138]. [Note 134: La baie de Massachusetts.] [Note 135: Voir 1613, p. 58, note 1.] [Note 136: La dite baie Longue.] [Note 137: Le Merrimack.] [Note 138: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.] Doublant le cap[139], nous entrasmes en une ance[140] où il y avoit force, vignes, pois de Bresil, courges, citrouilles & des racines qui sont bonnes, tirans sur le goust de cardes que les Sauvages cultivent. [Note 139: En septembre 1606. Dans l'édition de 1632, on a intercalé ici la description du Beau-Port, que M. de Monts n'avait pas visité en 1605, mais que Champlain avait remarqué en passant. Les trois alinéas qui suivent font partie de la narration du voyage de M. de Poutrincourt, qui eut lieu dans l'automne de 1606.] [Note 140: Le Beau-Port, aujourd'hui la baie de Gloucester, ou havre du cap Anne. (Voir 1613, p. 94, 95, 96.)] Ce lieu, qui est assez agréable, est fertile en quantité de noyers, cyprès, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont très-beaux. Nous veismes là un Sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope; autour duquel vindrent nombre d'autres chantans quelque temps avant qu'ils le touchassent: puis faisans certaines gestes des pieds & des mains, luy remuoient la teste, & le soufflant il revint à soy. Nostre Chirurgien le pensa, & ne laissa pour cela de s'en aller gayement. Ayans fait demie lieue[141] nous apperceusmes plusieurs Sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la coste, en dançant, vers leurs compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayans monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de fumées, pour nous monstrer l'endroit de 87/743 leur habitation & fusmes mouiller l'anchre proche d'un petit islet, où l'on envoya nostre canau pour leur porter des couteaux & des gallettes, & apperceusmes à la quantité qu'ils estoient, que ces lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus. Après avoir arresté deux heures pour considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faits d'escorce de bouleau, comme les Canadiens[142], Souriquois, & Etechemins, nous levasmes l'anchre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la voile. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y veismes plusieurs isles à l'un & l'autre bord. Ayant fait 7 à 8 lieues, nous mouillasmes l'anchre proche d'une isle, où apperceusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup de Sauvages qui accouroient pour nous voir. L'on envoya 2 ou 3 hommes vers eux dedans un canau, ausquels on bailla des couteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a quantité de terre défrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays est fort plaisant & agréable, y ayant force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux faits tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner, & n'en avions point encores veu de ceste façon. Voicy comme ils les font. Aprés avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps à abatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre (car ils n'en ont point en 88/744 ce temps d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en recouvrent par le moyen des Sauvages de la coste d'Acadie, ausquels on en porte pour traicter de pelleterie) ils ostent l'escorce, & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce; & prennent quelquefois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent aussi dessus, & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent avec un peu d'eau, non pas du tout, mais seulement de peur que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantaisie, il le raclent de toutes parts avec ces pierres. Les cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos pierres à fuzil. [Note 141: Ici reprend le récit du voyage de M. de Monts, en 1605. (Voir 1613, p. 58.) Par conséquent cette demi-lieue doit se compter du cap Anne, et non du Beau-Port.] [Note 142: A cette époque, on appelait Canadiens les tribus montagnaises du bas du fleuve.] Le lendemain 17 dudit mois[143] nous levasmes l'anchre pour aller à un cap, que nous avions veu le jour précédant, qui nous demeuroit comme au sud surouest. Ce jour nous ne peusmes faire que 5 lieues, & passasmes par quelques isles remplies de bois. Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les Sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre routte, il en vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la terre ferme. Nous fusmes anchrer à une lieue du cap qu'ay nommé Sainct Louys[144], où nous apperceusmes plusieurs fumées: & y voulant aller, nostre barque eschoua sur une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement remedié, elle eust bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: 89/745 mais Dieu nous preserva, & fusmes mouiller l'anchre proche du susdit cap, où vindrent 15 ou 16 canaux de Sauvages, & en tel y en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que nous n'entendions nullement. L'on envoya 3 ou 4 hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut quelques couteaux, & autres jolivetez, que trouvay à propos leur donner[145], lequel nous vint voir jusques en nostre bord, avec nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyez devers eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont très-bonnes; & du pourpié, qui vient en quantité parmy le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises herbes. Nous veismes en ce lieu grande quantité de petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled d'Inde. [Note 143: Le 17 juillet 1605.] [Note 144: Aujourd'hui la pointe Brandt.] [Note 145: Dans l'édition de 1613, il y avait «que le sieur de Mons luy donna.» Dans l'édition de 1640, on remarque une autre correction: le mot _luy_ a été mis à la place de _leur_.] Plus y a en icelle baye une riviere[146] qui est fort spacieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas, qui, à mon jugement, va rendre vers les Hiroquois, nation qui a guerre ouverte avec les montagnars qui sont en la grande riviere Sainct Laurent. [Note 146: Probablement la rivière Charles. (Voir 1613, p. 61, note 3.)] 90/746 _Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois, & de ce, qu'y avons remarqué de particulier._ CHAPITRE VI. LE lendemain[147] doublasmes le cap S. Louys, que nous avons ainsi nommé, terre médiocrement basse, souz la hauteur de 42 degrez 3 quarts de latitude[148], & fismes ce jour 2 lieues de coste sablonneuse; & passant le long d'icelle, nous y veismes quantité de cabannes & jardinages, & entrasmes dedans un petit cul de sac. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche des morues, & autres poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des haims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os, qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte, le tout estant en forme d'un petit crochet. La corde qui y est attachée est de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France; & me dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledit canau s'en retourna à terre advertir ceux de son habitation, qui nous firent des fumées, & apperceusmes 18 ou 20 Sauvages qui vindrent sur le bord de la coste, & se mirent à dancer. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques bagatelles, dont ils furent fort contents. Il en vint aucuns devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'anchre 91/747 pour ce faire: mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de base mer, & fusmes contraints de mouiller l'anchre à l'entrée d'icelle. Je descendis à terre, où j'en veis quantité d'autres qui nous receurent fort gracieusement, & fus recognoistre la riviere, où je n'y veis autre chose qu'un bras d'eau qui s'estend quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées, dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter bateaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit, en l'une des entrées duquel y a une manière d'isle couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans ladite baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, & autour d'icelle, la mer asseche presque toute de basse marée. Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons nommé le port du cap Sainct Louys[149], distant dudit cap deux lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur du cap Sainct Louys. [Note 147: Le 18 juillet 1605.] [Note 148: 46° 6'.] [Note 149: Les Pèlerins _(Pilgrim Fathers)_ lui donnèrent, quinze ans plus tard, le nom de Plymouth.] Nous partismes[1509] de ce lieu, & rangeant la coste comme au sud, nous fismes 4 à 5 lieues, & passasmes proche d'un rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre routte, nous apperceusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans plus prés, nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous demeuroit au nort norouest, qui estoit le cap d'une grande baye 92/748 contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous engouffrasmes tellement, qu'il nous fallut mettre à l'autre bord pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap Blanc[151], pource que c'estoient sables & dunes, qui paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu, car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettez à la coste. Ceste baye est fort saine, pourveu qu'on n'approche la terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui entre assez avant dans les terres, que nommasmes Saincte Suzanne du cap Blanc [152], d'où jusques au cap Sainct Louys y a dix lieues de traverse. Le cap Blanc est une pointe de sable qui va en tournoyant vers le sud environ six lieues. Ceste coste est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau, jusques à ce qu'on vienne à dix brasses en approchant de la terre, qui est tres-saine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur le bord de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont fort agréables, & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'anchre à la coste, & veismes quelques Sauvages, vers lesquels furent 4 de nos gens, qui cheminans sur une dune de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demie de nous, vint à eux dançant (comme ils nous rapportèrent) un 83/749 Sauvage, qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation. [Note 150: Le 19 juillet 1605. (Édit. 1613, liv. I, c. VIII.)] [Note 151: Le capitaine Gosnold lui avait déjà donné, dès 1602, le nom de cap Cod, qu'il conserve encore aujourd'hui.] [Note 152: Probablement la baie de Wellfleet.] Le lendemain[153] nous fusmes en ce lieu que nos gens avoient apperceu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause des bases & bancs, où nous voyons briser de toutes parts. Il estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y avoit que 4 pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il y a 2 brasses. Comme nous fusmes dedans, nous veismes ce lieu assez spacieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout entourée de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y descend une petite riviere qui est assez belle, où de basse mer y a environ 3 pieds & demy d'eau, & y a 2 ou 3 ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est très-beau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, & trouvay 42 degrez de latitude, & 18 [154] degrez 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il vint à nous quantité de Sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes parts en dançant. Nous nommasmes ce lieu le port de Mallebarre[155]. [Note 153: Le 20 juillet 1605.] [Note 154: Voir 1613, p. 65; note 1.] [Note 155: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41° 50'.] Le lendemain nous fusmes voir leur habitation avec nos armes, & fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé de bled d'Inde, à la façon que nous avons dit cy-dessus. Il estoit en fleur, & avoit de haut 5 pieds & demy, & d'autre 94/750 moins advancé, qu'ils sement plus tard. Nous veismes aussi force feves de Bresil, & des citrouilles de plusieurs grosseurs, bonnes à manger; du petum & des racines qu'ils cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de chesnes, noyers, & de très beaux cyprés[156], qui sont rougeastres, & ont fort bonne odeur. Il y avoit aussi plusieurs champs qui n'estoient point cultivez, d'autant qu'ils laissent reposer les terres; & quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs besches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes faites de roseaux, & par en haut il y a au milieu environ un pied & demy de descouvert, par où fort la fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup: ce que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y efforçassent par signes, en prenant du sable en leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de nos rabats &, qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un pied, & d'autres nous monstroient moins; nous donnans aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'hyver n'y est pas rude. [Note 156: Le _Juniperus Virginiana_. (Voir 1613, p. 66, note 1.)] Tous ces Sauvages depuis le cap aux isles ne portent point de robbes, ny de fourrures, que fort rarement, & sont icelles robbes faites d'herbes, & de chanvre, qui à peine leur couvrent le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la 95/751 nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière, tout le reste du corps estant nud & lors qu'elles nous venoient voir, elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes se coupent le poil dessus la teste, comme ceux de la riviere de Choüacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par dessus de petites patenostres de porceline; une partie de ses cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entre-lacé de diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge, noir, & jaulne. Ils n'ont presque point de barbe, & se l'arrachent à mesure qu'elle croist, & sont bien proportionnez de leur corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du tout, & ne sçavent adorer, ny prier. Pour armes, ils n'ont que des picques, massues, arcs, & flesches. Il semble à les voir qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort, mais à dire vray ils sont meschans, & si peu de fréquentation que l'on a avec eux, les fait aisément cognoistre. Ils sont grands larrons, & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils taschent de le faire avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé souventefois: & se faut donner garde de ces peuples, & vivre en méfiance avec eux, sans toutefois leur faire appercevoir. Ils nous troquèrent leurs arcs, flesches, & carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur, ils en eussent fait autant. Ils nous 96/752 donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, puis le reduisent en poudre[157]. Quand ils mangent le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre, qu'ils font d'autre manière que nous[158]. Il le pilent aussi dans des mortiers de bois, & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou. [Note 157: Voir 1613, p. 70, note 1.] [Note 158: Voir 1613, p. 70, note 2.] Il y a quelques terres défrichées[159], & en défrichoient tous les jours. En voicy la façon. Ils coupent les arbres à la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois coupez, & par succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port[160] est très-beau & bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude, & l'avons nommé le Beau-port[161]. [Note 159: Il s'agit du Beau-Port. L'on passe, ici, du voyage de M. de Monts à celui de M. de Poutrinconrt, en 1606.] [Note 160: Le Beau-Port. (Voir 1613, p. 96.)] [Note 161: La baie de Gloucester, ou havre du cap Anne.] Le dernier de Septembre[162] nous partismes du Beau-port, & passasmes par le cap Sainct Louys, & fismes porter toute la nuict pour gaigner le cap Blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap Blanc en la baye blanche[163] à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous mouillasmes l'anchre, pour n'en approcher de plus prés, en attendant le jour, & voir comme nous estions de la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chaloupe, & 97/753 ne trouva-on plus de 8 pieds d'eau, de façon qu'il fallut délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua jusques à 5 pieds & nostre barque talonnoit quelquefois sur le sable sans toutesfois s'offenser, ny faire aucun dommage car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de 3 pieds d'eau souz nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous donna grande esperance. [Note 162: De l'année 1606.] [Note 163: La baie du cap Cod.] Le jour estant venu, nous apperceusmes une coste de sable fort basse, où nous estions le travers plus à val le vent, & d'où on envoya la chaloupe pour sonder vers un terroir qui est assez haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau, & de faict on y en trouva 7 brasses. Nous y fusmes mouiller l'anchre, & aussi tost appareillasmes la chaloupe avec neuf ou dix hommes, pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fust eslevé plus grand qu'il n'estoit. Estant recogneu, nous y entrasmes à 2. 3. & 4. brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 & 6 Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres[164], & est par la hauteur de 42 degrez de latitude [165]. 11 y vint à nous trois canaux de Sauvages. Ce jour le vent nous fut favorable, qui fut cause que nous levasmes l'anchre pour aller au cap Blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au nort un quart du nordest, & le doublasmes. [Note 164: La baie de Barnstable.] [Note 165: 41° 45'.] 98/754 Le lendemain 2 d'Octobre [166] arrivasmes devant Mallebarre, où sejournasmes quelque temps, pour le mauvais vent qu'il faisoit, durant lequel nous fusmes avec la chaloupe, avec douze à quinze hommes, visiter le port, où il vint au devant de nous cent cinquante Sauvages, en chantant & dançant, selon leur coustume. Après avoir veu ce lieu, nous nous en retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes voile le long de la coste courant au sud. [Note 166: De l'année 1606.] _Continuation des susdites descouvertures jusques au port Fortuné, & quelque vingt lieues par delà._ CHAPITRE VII. Comme nous fusmes à six lieues de Malebarre, nous mouillasmes l'anchre proche de la coste, dautant que n'avions bon vent. Le long d'icelle nous advisasmes des fumées que faisoient les Sauvages, ce qui nous fit délibérer de les aller voir, & pour cet effect on équipa la chaloupe. Mais quand nous fusmes proche de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder, car la houlle estoit trop grande. Ce que voyans les Sauvages, ils mirent un canau à la mer, & vindrent à noua 8 ou 9 en chantant, & faisans signe de la joye qu'ils avoient de nous voir, puis nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous pourrions mettre nostre barque en seureté. Ne pouvant mettre pied à terre, la chaloupe s'en revint à la barque, & les Sauvages retournèrent à terre, après les avoir traicté humainement. 99/755 Le lendemain[167] le vent estant favorable, nous continuasmes nostre routte au nort 5 lieues[168], & n'eusmes pas plustost fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau, estans esloignez une lieue & demie de la coste. Et allans un peu de l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demie, & deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehension, voyans la mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel nous peussions retourner sur nostre chemin, car le vent y estoit entièrement contraire. [Note 167: Le 3 octobre 1606.] [Note 168: Voir 1613, p. 99, note 1.] De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable, il fallut passer au hazard, selon que l'on pouvoit juger y avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que 4 pieds au plus, & vinsmes parmy ces brisans jusques à quatre pieds & demy. En fin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous passasmes par dessus une pointe de sable, qui jette prés de trois lieues à la mer, au sud suest, lieu fort dangereux. Doublant ce cap, que nous nommasmes le cap Batturier[169], qui est à douze ou treize lieues de Mallebarre, nous mouillasmes l'anchre à deux brasses & demie d'eau, d'autant que nous nous voiyons entourez de toutes parts de brisans & battures, reservé eu quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On envoya la chaloupe pour trouver un achenal, afin d'aller à un 100/756 lieu que jugions estre celuy que les Sauvages nous avoient donné à entendre; & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere, où nous pourrions estre en seureté. [Note 169: Ce cap Batturier paraît correspondre à la tête de Sankaty, qui forme la pointe sud-est de l'île de Nantucket, et qui est en effet à environ douze lieues du port de Mallebarre, ou Nauset.] Nostre chaloupe y estant, nos gens mirent pied à terre, & considererent le lieu, puis revindrent avec un Sauvage qu'ils amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions entrer, ce qui fut resolu; & aussi tost levasmes l'anchre, & fusmes par la conduite du Sauvage, qui nous pilota, mouiller l'anchre à une rade qui est devant le port à six brasses d'eau, & bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la nuict nous surprint. Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc de sable qui est à l'emboucheure du port; puis la plaine mer venant y entrasmes à 2 brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, & craignions que parmy ces bases & fortes marées il ne rompist derechef, qui eust esté cause de nostre perte. Dedans ce port[170] il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer deux; à l'est y a une baye qui refuit au nort environ trois lieues, dans laquelle se voyent une isle & deux autres petits culs de sac, qui décorent le pays: là sont beaucoup de terres défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage de bled & autres grains dont ils vivent. Il y a aussi de tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprés, & peu de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du 101/757 labourage, & font provision de bled d'Inde pour l'hyver, lequel ils conservent en la façon qui ensuit. [Note 170: Le port de Chatham, que l'auteur appelle plus loin port Fortuné.] Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le fable 5 à 6 pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres grains, qu'ils mettent dans de grands sacs d'herbe, qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de fable 3 ou 4 pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à leur besoin, & se conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en nos greniers. Nous veismes en ce lieu cinq à six cents Sauvages, qui estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes aussi couvrent la leur avec des peaux, ou des fueillages, & ont les cheveux tant l'un que l'autre bien peignez, & entrelacez en plusieurs façons, à la manière de ceux de Choüacoet, & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans le teint olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres jolivetez, qu'ils accommodent fort proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches, & massues: & ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs & laboureurs. Pour ce qui est de leur police, gouvernement, & Leur croyance, je n'en ay peu que juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que nos Sauvages Souriquois & Canadiens, lesquels n'adorent ny le Soleil, ny la Lune, ny aucune chose, & ne prient non plus que les bestes. Bien ont-ils parmy eux quelques gens qu'ils disent avoir intelligence avec le diable, à qui ils ont grande 102/758 croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir, encores qu'ils mentent le plus souvent: c'est pourquoy ils les tiennent comme Prophètes, bien qu'ils les enjaulent comme les Egyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de village. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond, couverts de natte, ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement d'un lict ou deux, eslevez un pied de terre, faits avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon d'Espagne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou trois doigts) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de pulces en esté, mesme parmy les champs. En nous allans pourmener nous en fusmes remplis en telle quantité, que nous fusmes contraints de changer d'habits. Tous les ports, bayes & costes depuis Choüacoet sont remplis de toutes sortes de poisson, semblable à celuy qui est aux costes d'Acadie, & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne veissions & entendissions passer aux costez de nostre barque plus de mille marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse des oiseaux y est fort abondante. 103/759 C'est un lieu fort propre pour y bastir, & jetter les fondemens d'une République, si le port estoit un peu plus profond, & l'entrée plus seure qu'elle n'est. Il fut nommé le port Fortuné, pour quelque accident qui y arriva[171]. Il est par la hauteur de 41 & un tiers de latitude, à 13 lieues de Mallebarre. Nous visitasmes tout le pays circonvoisin, lequel est fort beau, comme j'ay dit cy-dessus, où nous veismes quantité de maisonnettes ça & là. [Note 171: Voir 1613, p. 105, 106, 107.] Partans du port Fortuné, ayans fait six ou sept lieues, nous eusmes cognoissance d'une isle, que nous nommasmes la Soupçonneuse [172], pour avoir eu plusieurs fois croyance de loing que ce fust autre chose qu'une isle. Rangeant la coste au surouest prés de douze lieues, passasmes proche d'une riviere qui est fort petite, & de difficile abord, à cause des bases & rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom. Ce que nous veismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses, qui ne laissent d'estre belles & bonnes, toutesfois de difficile abord, n'ayans aucunes retraites, les lieux fort batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses sept à huict brasses, encores cela ne duroit que la longueur du câble, aussi tost l'on revenoit à deux ou trois brasses, & ne s'y fie qui voudra qu'il ne l'aye bien recognue la sonde à la main. [Note 172: Probablement _Martha's Vineyard_.] Voila toutes les costes que nous descouvrismes tant à l'Acadie, que és Etechemins & Almouchiquois[173], desquelles je fis la 104/760 carte fort exactement de ce que je veis, que je fis graver en l'an 1604[174] qui depuis a esté mite en lumière aux discours de mes premiers voyages. [Note 173: Depuis 1604, jusqu'à l'automne de 1606.] [Note 174: Champlain ne put faire graver, en 1604, que la carte du voyage d'exploration qu'il fit dans le Saint-Laurent, en 1603, avec Pont-Gravé. Cette première carte est encore à retrouver.] _Descouverture depuis le Cap de la Héve jusques à Canseau, fort particulièrement._ CHAPITRE VIII Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre[175], qui est une isle ainsi appellée par quelques Mallouins, distante de la Héve de 15 lieues, se trouvent en ce chemin quantité d'isles, qu'avons nommées les Martyres, pour y avoir eu des François autrefois tuez par les Sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac & bayes, en l'une desquelles y a une riviere appellée Saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la hauteur de 44 degrez, & 25 minutes de latitude. Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche du poisson y est abondante, comme aussi la chasse des oiseaux. [Note 175: Aujourd'hui Sambro.] De Sesambre passasmes une baye fort saine[176] contenant 7 à 8 lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau, & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues, mettant le 105/761 cap au nordest quart d'est, qui est assez bon pour des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son entrée y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande terre. Nous avons nommé ce lieu le port Saincte Heleine[177], qui est parla hauteur de 44 degrez 40 minutes peu plus ou moins de latitude. [Note 176: La baie de Chibouctou, aujourd'hui le havre d'Halifax.] [Note 177: Probablement ce qu'on appelle aujourd'hui le havre de Jeddore.] De ce lieu fusmes à une baye appellée la baye de toutes isles [178], qui peut contenir 14 à 15 lieues: lieux qui sont dangereux à cause des bancs, bases, & battures qu'il y a. Le pays est tres-mauvais à voir, remply de mesmes bois que j'ay dit cy-dessus. [Note 178: Voir 1613, p. 128, note 2.] De là passasmes proche d'une riviere qui en est distante de six lieues, qui s'appelle la riviere de l'isle verte[179], pour y en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez un quart de latitude. [Note 179: La rivière Sainte-Marie. (Voir 1613, p. 128, note 3.)] De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac[180] & deux ou trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte trois lieues. Nous passasmes aussi par plusieurs isles qui sont rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles rangées, distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après passasmes par une autre baye[181] où il y a plusieurs isles, & fusmes jusques à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de 106/762 la terre, distantes des isles rangées 4 lieues, & appellasmes ce lieu le port de Savalette[182], qui estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche, qui estoit Basque. [Note 180: Aujourd'hui _Country Harbour_.] [Note 181: Aujourd'hui _Torbay_.] [Note 182: Probablement White Haven. (Voir 1613, p. 129, note 3.)] Partant de ce lieu arrivasmes à Canseau[183] le 27 du mois, distant du port de Savalette six lieues, où passasmes par quantité d'isles jusques audit Canseau, ausquelles y a telle abondance de framboises, qu'il ne se peut dire plus. [Note 183: Voir 1613, p. 130, note I.] Toutes les costes que nous rangeasmes depuis le cap de Sable jusques en ce lieu, sont terres médiocrement hautes, & costes de rochers, en la plus-part des endroits bordées de nombre d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abord des vaisseaux: neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & rades le long des costes & isles. Pour ce qui est de la terre, elle est plus mauvaise, & mal agréable qu'en autres lieux qu'eussions veus, excepté en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut douter qu'en ces lieux l'hyver n'y soit froid, durant prés de six mois[184]. [Note 184: L'édition de 1640 porte «prés de six à sept mois,» comme l'édition de 1613.] Ce port de Canseau est un lieu entre des isles, qui est de fort mauvais abord, si ce n'est de beau temps, pour les rochers & brisans qui sont autour. Il s'y fait pesche de poisson verd & sec. De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton, qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude[185], & 14. 107/763 degrez 50 minutes de declinaison de l'Aymant y a huict lieues, & jusques au cap Breton 25 où entre les deux y a une grande baye[186] qui entre environ 9 ou 10 lieues dans les terres, & fait partage entre l'isle du cap Breton, & la grand'terre qui va rendre en la grande baye Sainct Laurent, par où on va à Gaspé & isle Percée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle du cap Breton est fort estroit. Les grands vaisseaux n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des grands courans & transports de marées qui y sont, & avons nommé ce lieu le passage courant[187], qui est par la hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude. [Note 185: La latitude du cap Breton est d'environ 45° 57', et la variation de l'aiguille y est aujourd'hui de près de 24° de déclinaison occidentale.] [Note 186: La baie de Chédabouctou.] [Note 187: Aujourd'hui le détroit de Canseau.] Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a 80 lieues de circuit, & est la plus-part terre montagneuse, toutesfois en quelques endroits agréable. Au milieu d'icelle y a une manière de lac[188], où la mer entre par le costé du nort quart du nordest, & du sud quart du suest[189], & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de gibbier, & coquillages de plusieurs sortes, entre autres des huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a plusieurs ports & endroits où l'on fait pesche de poisson, sçavoir le port aux Anglois[190], distant du cap Breton environ deux à trois lieues: & l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues plus au nort. Les Portugais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y passerent un hyver: mais la rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur 108/764 habitation. Toutes ces choses veues, je repassay en France, après avoir demeuré quatre ans tant à l'habitation de Saincte Croix, qu'au port Royal[191]. [Note 188: Le Bras-d'or, ou Labrador.] [Note 189: Voir 1613, p. 132, note 2.] [Note 190: Appelé depuis Louisbourg.] [Note 191: Champlain partit de Canseau le 3 septembre 1607; il avait quitté le Havre au commencement d'avril 1604: il y avait donc trois ans et cinq mois qu'il, était à l'Acadie.] _Fin du second Livre._ 109/765 LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. LIVRE TROISIESME. _Voyages du sieur de Poitrincourt en la nouvelle France, où il laisse son fils le Sieur de Biencourt. Pères Jesuites qui y sont envoyez & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir la Foy Chrestienne._ CHAPITRE PREMIER. Le sieur de Poitrincourt père ayant obtenu un don du Sieur de Mons, en vertu de sa commission, de quelques terres adjacentes au port Royal, qu'il avoit abandonnées, l'habitation demeurant en son entier, ledit Sieur de Poitrincourt fait tout devoir de l'habiter, & y laisse son fils Sieur de Biencourt, lequel pendant qu'il excogite les moyens de s'y pouvoir establir, les Rochelois & les Basques l'assistent en la plus grande partie des embarquemens, souz esperance d'avoir les pelleteries par leur moyen: mais son dessein ne luy réussit pas comme il desiroit. Car Madame de Guercheville très-charitable, 110/766 s'entremet en ceste affaire en faveur & consideration des Pères Jesuites. En voicy le discours. Ledit sieur Jean de Poitrincourt, avant que le sieur de Mons partist de la nouvelle France, luy demanda en don le Port Royal, qu'il luy accorda, à condition que dans deux ans en suitte ledit sieur de Poitrincourt s'y transporteroit avec plusieurs autres familles, pour cultiver & habiter le pays; ce qu'il promit faire, & en l'an 1607, le feu Roy Henry le Grand luy ratifia & confirma ce don, & dit au feu Reverend Père Coton qu'il vouloit se servir de leur Compagnie en la conversion des Sauvages, promettant deux mille livres pour leur entretien. Le Père Coton obéît au commandement de sa Majesté; & entre autres de leurs Peres se presenta le Pere Biard, pour estre employé en un si sainct voyage: & l'an 1608, il fut envoyé à Bordeaux, où il demeura long temps sans entendre aucunes nouvelles de l'embarquement pour Canada. L'an 1609, le sieur de Poitrincourt arriva à Paris: le Roy en estant adverty, & ayant sceu que contre l'opinion de sa Majesté il n'avoit bougé de France, se fascha fort contre luy. Mais pour contenter sadite Majesté, il s'équipe pour faire le voyage. Sur cette resolution le Père Coton offre luy donner des Religieux: sur quoy ledit sieur de Poitrincourt luy dit qu'il seroit meilleur d'attendre jusques en l'an suivant, promettant qu'aussi tost qu'il seroit arrivé au port Royal, il renvoyeroit 111/767 son fils, avec lequel les PP. Jesuites viendroient. De faict l'an 1610, ledit sieur de Poitrincourt s'embarqua sur la fin de Fevrier, & arriva au port Royal au mois de Juin suivant, où ayant assemblé le plus de Sauvages qu'il peut, il en fit baptiser environ 25 le jour de sainct Jean Baptiste, par un Prestre appelle Messire Josué Fleche, surnommé le Patriarche. Peu de temps après il renvoya en France le sieur de Biencourt son fils, aagé d'environ 19 ans, pour apporter les bonnes nouvelles du baptesme des Sauvages[192], & faire en sorte qu'il fust en brief secouru de vivres, dont il estoit mal pourveu, pour y passer l'hyver. [Note 192: Lescarbot nous a conservé les noms de vingt-et-un sauvages baptisés à Port Royal par un prêtre du diocèse de Langres, nommé Jessé Fléché. (Hist. de la Nouv. France, liv. V, ch. VIII.)] Le Reverend Père Christoffe Balthazar, Provincial, commit pour aller avec le sieur de Biencourt, les Peres Pierre Biart, & Remond Masse[193]; le Roy Louys le Juste leur ayant fait delivrer cinq cents escus promis par le feu Roy son père, & plusieurs riches ornemens donnez par les Dames de Guercheville & de Sourdis. Estans arrivez à Dieppe, il y eut quelque contestation entre les Pères Jesuites, & des marchands[194], ce qui fut cause que lesdits Pères se retirèrent en leur Collège d'Eu. [Note 193: Enemond Massé. (Voir Hist. de la Colonie française en Canada, t. I, note de la p. 101.)] [Note 194: Ces marchands étaient Duchesne et Dujardin, tous deux de la religion prétendue reformée. (Relat. du P. Biart, ch. XII.--Lescarbot, liv. V, ch. X.--Asseline, _ms_. de Dieppe.)] Ce qu'ayant sceu Madame de Guercheville, fut fort indignée de ce que de petits marchands avoient esté se outrecuidez d'avoir offensé, & traversé ces Peres, dit qu'ils devoient estre punis, 112/768 mais tout leur chastiement fut qu'ils ne furent receus à l'embarquement. Et ayant sceu que l'équipage ne se monsteroit qu'à quatre mil livres, elle fit une queste en la Cour, & par cet office charitable elle recueillit ladite somme dont elle paya les marchands qui avoient troublé lesdits Pères, & les fit casser de toute association: & du reste de ceste somme, & d'autres grands biens, fit un fonds pour l'entretien desdits Peres, ne voulant qu'ils fussent à charge au sieur de Poitrincourt, & faire en sorte que le profit qui reviendroit des pelleteries & des pesches que le navire remporteroit, ne reviendroit point au profit des associez, & autres marchands, mais retourneroit en Canada, en la possession des Sieurs Robin & de Biencourt, qui l'employeroient à l'entretien du port Royal & des François qui y resident. A ce subject fut conclu & arresté que cet argent de Madame de Guercheville, ayant esté destiné pour le profit de Canada, les Jesuites auroient part aux émoluments de l'association desdits sieurs Robin & de Biencourt, & y participeroient avec eux. C'est ce contract d'association qui a fait tant semer de bruits, de plaintes, & de crieries contre les Pères Jesuites, qui en cela, & en toute autre chose se sont equitablement gouvernez selon Dieu & raison, à la honte & confusion de leurs envieux & mesdisans. Le 26. Janvier 1611, les mesmes Peres s'embarquerent avec ledit sieur de Biencourt, lequel ils assisterent d'argent pour mettre le vaisseau hors, & soulager les grandes necessitez qu'ils 113/769 avoient eues en ceste navigation; d'autant que costoyans les costes ils s'arreterent & sejournerent en plusieurs endroits avant qu'arriver au port Royal, qui fut le 12 juin[195] 1611, le jour de la Pentecoste; & pendant ce voyage lesdits Peres eurent grande disette de vivres, & d'autres choses, ainse que rapportèrent les pilotes David de Bruges, & le Capitaine Jean Daune, tous deux de la religion prétendue reformée, confessans qu'ils avoient trouvé ces bons Peres tout autres que l'on les leur avoit dépeint. [Note 195: Le 22 mai, comme le prouvent abondamment les détails renfermés dans les lettres du P. Biard. C'est ce jour-là, au reste, que tombait la Pentecôte en 1611.] Le sieur de Poitrincourt desirant retourner en France, pour mieux donner ordre à ses affaires, laissa son fils le sieur de Biencourt, & les Pères Jesuites auprés luy, qui faisoient tous ensemble environ 20[196] personnes. Il partit la my-Juillet de la mesme année 1611 & arriva en France sur la fin du mois d'Aoust. [Note 196: «Vingt & deux personnes, en comptant les deux Jesuites,» dit la Relat. du P. Biard ch. XXV.] Pendant l'hyvernement ledict sieur de Biencourt fit encores quelques fascheries aux gens du fils dudit Pontgravé, appelle Robert Gravé(197), qu'il traitta assez mal: mais en fin par le travail des Pères Jesuites, le tout fut appaisé, & demeurèrent bons amis. [Note 197: «Le jeune du Pont avoit l'année prochainement passée, esté faist prisonnier par le sieur de Poitrincourt, d'où s'estant évadé subtilement, il avoit esté contrainct courir les bois en grande misere... Le P. Biard supplia le sieur de Poitrincourt d'avoir esgard aux grands merites du sieur du Pont le père, & aux belles esperances qu'il y avoit du fils... Il amena ledit du Pont au sieur de Poitrincourt, & paix & reconciliation faicte on tira le canon.» (Relat. du P. Biard, ch. XIV.) «Reconciliatus quoque magni quidam juvenis & animi & spei. Is, quod sibi a D. Potrincurtio timeret, annum jam unum cum silvicolis eorum more atq vestitu pererrabat, & suspicio erat pejoris quoq rei. Obtulit eum mihi Deus: colloquor deniq post multa juvenis sese credit. Deduco eum ad Potrincurtium. Non poenituit fidei datae: pax facta est maximo omnium gaudio, & juvenis postridie, antequam ad sacram Eucharistiam accederet, suapte ipse sponte a circumstantibus mali exempli veniam petiit.» (Lettre du P. Biard, 1612, Archives du Gesu.)] Le sieur de Poitrincourt cherchant en France tous moyens 114/770 d'aller secourir son fils. Madame de Guercheville, pieuse, vertueuse, & fort affectionnée à la conversion des Sauvages, ayant desja recueilly quelques charitez, en communiqua avec luy, & dit que très-volontiers elle entreroit en la compagnie, & qu'elle envoyeroit avec luy des Peres Jesuites, pour le secours de Canada. Le contract d'association fut passé, lad. Dame authorisée de Monsieur de Liencour[198], premier Escuyer du Roy, & Gouverneur de Paris, son mary. Par ce contract fut arresté, Que presentement elle donneroit mil escus pour la cargaison d'un vaisseau, moyennant quoy elle entreroit au partage des profits que ce navire rapporteroit, & des terres que le Roy avoit données au sieur de Poitrincourt, ainsi qu'il est porté en la minute de ce contract. Lequel sieur de Poitrincourt se reservoit le port Royal, & ses terres; n'entendant point qu'elles entrassent en la communauté des autres Seigneuries, Caps, Havres, & Provinces qu'il dit avoir audit pays contre le port Royal. Ladite Dame luy demanda qu'il eust à faire paroistre tiltres par lesquels ces Seigneuries & terres luy appartenoient, & comme il possedoit tant de domaine. Mais il s'en excusa, disant que ses filtres & papiers estoient demeurez en la nouvelle France. [Note 198: Dans d'autres exemplaires cette phrase se lit ainsi: «Le contract d'association fut passé avec lad. Dame, authorisée de Mr. de Liencourt...»] Ce qu'entendant ladite Dame, se mesfiant de ce que disoit le sieur de Poitrincourt, & voulant se garder d'estre surprise, elle traicta avec le sieur de Mons, à ce qu'il luy retrocedast tous les droicts, actions, & prétentions qu'il avoit, ou jamais 115/771 eu en la nouvelle France, à cause de la donation à luy faite par feu Henry le Grand. La Dame de Guercheville obtient lettres de sa Majesté à present régnant, par lesquelles donation luy est faite de nouveau[199] de toutes les terres de la nouvelle France, depuis la grande riviere, jusques à la Floride, horsmis seulement le port Royal, qui estoit ce que ledit sieur de Poitrincourt avoit presentement[200], & non autre chose. [Note 199: L'édition de 1640 porte: «donation nouvelle luy est faite de toutes...»] [Note 200: L'édition de 1640 porte: «premièrement.»] Ladite Dame donna l'argent aux Pères Jesuites pour le mettre entre les mains de quelque marchand à Dieppe: mais ledit sieur de Poitrincourt fit tant avec les mesmes Peres, que de ces mille escus il en tira quatre cents. Il commit à cet embarquement un sien serviteur appellé Simon Imbert Sandrier, qui s'acquitta assez mal de l'administration de ce navire équipé & frété. Il partit de Dieppe le 31 de Décembre au fort de l'hyver, & arriva au port Royal le 23 de Janvier l'an suivant 1612. Le sieur de Biencourt fort aise d'une part de voir ce nouveau secours arrivé, & d'autre fasché de voir Madame de Guercheville hors de ceste compagnie, suivant ce que ledit Imbert luy avoit dit, & des plaintes que luy firent les Pères Jesuites du mauvais mesnage fait en tel embarquement par cet Imbert, qui à tort & sans cause accusoit les Peres, lesquels neantmoins le contraignirent de confesser qu'il estoit gaillard quand il parla audit sieur de Biencourt. En fin toutes ces choses estans appaisées & pardonnées, le Pere 116/772 Masse estant avec les Sauvages pour apprendre leur langue, il devint malade en un lieu, où il eut grande disette, car tout estoit en désordre en ceste demeure. Le Père Biart demeura au port Royal, où il souffrit plusieurs fatigues, & de grandes necessitez quelques jours durant, à amasser du gland, & chercher des racines pour son vivre. Pendant ce temps on dressoit en France un equipage pour retirer les jesuites du port Royal, & fonder une nouvelle demeure en un autre endroit. Le chef de cet équipage estoit la Saussaye, ayant avec luy trente personnes qui y devoient hyverner, y compris deux jesuites & leur serviteur, qui se prendroient au port Royal. Il avoit desja avec luy deux autres Peres Jesuites, sçavoir le Père Quentin[201], & le Père Gilbert du Thet [202], mais ils devoient revenir en France avec l'équipage des matelots, qui estoient 38.[203] La Royne avoit contribué à la despense des armes, des poudres, & de quelques munitions. Le vaisseau estoit de cent tonneaux, qui partit de Honnefleur le 12 Mars l'an 1613, & arriva à la Héve à l'Acadie le 16 de May, où ils mirent pour marque de leur possession les armes de Madame de Guercheville. Ils vindrent au port Royal, où ils ne trouverent que 5 personnes, deux Peres Jesuites, Hébert[204] Apoticaire (qui tenoit la place du Sieur de Biencourt, pendant qu'il 117/773 estoit allé bien loin chercher dequoy vivre) & deux autres personnes. Ce fut à luy qu'on presenta les lettres de la Royne, pour relascher les Pères, & leur permettre aller où bon leur sembleroit; ce qu'il fit: & ces Peres retirèrent leurs commoditez du pays, & laisserent quelques vivres audit Hébert, afin qu'il n'en eust necessité. [Note 201: Jacques Quentin. «On a quelquefois confondu ce P. Jacques Quentin avec Claude Quentin, que nous trouvons porté sur le Catalogue de 1625 comme étudiant en théologie à la Flèche.».(Première mission des Jésuites en Canada, par le P. Carayon, note de la p. 109.)] [Note 202: Gilbert du Thet n'était que Frère.] [Note 203: Le P. Biard dit 48. (Relat, ch. XXIII.)] [Note 204: Louis Hébert, qui plus tard vint s'établir à Québec.] Ils sortirent de ce lieu, & furent habiter les monts deserts à l'entrée de la riviere de Pemetegoet. Le pilote arriva au costé de l'est de l'isle des monts deserts, où les Peres logèrent, & rendirent grâces à Dieu, eslevans une croix, & firent le sainct sacrifice de la Messe: & fut ce lieu nommé Sainct Sauveur, à 44 degrez & un tiers de latitude. Là à peine commençoient-ils à s'accommoder, & deserter le lieu, que l'Anglois survint, qui leur donna bien d'autre besongne. Depuis que ces Anglois se sont establis aux Virgines, afin de se pourveoir de moluës, ont accoustumé de venir faire leur pesche à seize lieues de l'isle des monts deserts: & ainsi y arrivans l'an 1613, estans surpris des bruines & jettez à la coste des Sauvages de Pemetegoet, estimans qu'ils estoient François, leur dirent qu'il y en avoit à Sainct Sauveur. Les Anglois estans en necessité de vivres, & tous leurs hommes en pauvre estat, deschirez, & à demy nuds, s'informent diligemment des forces des François: & ayans eu response conforme à leur desir, ils vont droit à eux, & se mettent en estat de les combattre. Les François voyans venir un seul navire à pleines voiles, sans sçavoir que dix autres approchoient, recogneurent que c'estoient Anglois. Aussi tost le sieur de la Motte le Vilin, Lieutenant de la Saussaye, & quelques autres, accourent 118/774 au bord pour le défendre. La Saussaye demeure à terre avec la plus-part de ses hommes: mais en fin l'Anglois estant plus fort que les François, après quelque combat prirent les nostres. Les Anglois estoient en nombre de 60 soldats, & avoient 14 pièces de canon. En ce combat Gilbert du Thet fut tué[205] d'un coup de mousquet, quelques autres blessez, & le reste furent pris, excepté Lamets, & quatre autres qui se sauverent[206]. Par après il entrent au vaisseau des François s'en saisissent, pillent ce qu'ils y trouvent, desrobent la Commission du Roy que la Saussaye avoit en son coffre. Le Capitaine qui commandoit en ce vaisseau s'appelloit Samuel Argal. [Note 205: Il reçut un coup de mousquet au travers du corps, et mourut de sa blessure le lendemain. Outre ce Frère, deux autres français furent tués, et quatre blessés, du nombre desquels était le capitaine Flory. «Or le P. Biard ayant sceu la blessure du P. Gilbert du Thet, fit demander au Capitaine que les blessez fussent portez à terre, ce qui fut accordé, & par ainsi le dit Gilbert eut le moyen de se confesser, & de louer & bénir Dieu juste & misericordieux en la compagnie de ses frères, mourant entre leurs mains; ce qu'il fit avec grande constance, resignation & devotion vingt-quatre heures après sa blessure. Il eut son souhait, car au départ de Honfleur, en presence de tout l'équipage, il avoit haussé les mains & les yeux vers le ciel, priant Dieu qu'il ne revinst plus en France, mais qu'il mourust travaillant à la conqueste des âmes & au salut des Sauvages. Il fut enterré le mesme jour au pied d'une grande croix que nous avions dressée du commencement.» (Relat. du P. Biard.)] [Note 206: «Le Capitaine anglois avoit une espine au pied qui le tourmentoit: c'estoit le pilote & les matelots qui estoient evadez, & desquels il ne pouvoit sçavoir nouvelles. Ce pilote appellé le Bailleur, de la ville de Rouen, s'en estant allé pour recognoistre, ainsi qu'il vous a esté dit, ne put point retourner à temps au navire pour le deffendre, & partant il retira sa chaloupe à l'escart, & la nuict venue, prit encore avec luy les autres matelots, & se mit en sureté hors la veue & le pouvoir des Anglois,» _(Ibid.)_] Les ennemis mettent pied à terre, cherchent la Saussaye, qui s'estoit retiré dans les bois. Le lendemain vint trouver l'Anglois, qui luy fit bonne réception: & luy demandant sa Commission, il va à son coffre pour la prendre, croyant qu'on ne l'auroit point ouvert. Il y trouve toutes ses bardes & commoditez, horsmis la Commission, dont il demeura fort 119/775 estonné. Et alors l'Anglois faisant le fasché, luy dit: _Quoy? vous nous donnez à entendre que vous avez Commission du Roy vostre Maistre, & ne la pouvez produire? vous estes donc des forbans & pirates, qui meritez la mort._ Dés lors les Anglois partirent le butin entr'eux. Les Pères Jesuites voyans le péril auquel les François estoient réduits, font en sorte avec Argal, qu'ils appaiserent les Anglois, & par des raisons puissantes que luy donna le Père Biart, il prouve que tous leurs hommes estoient gens de bien, & recommandez par sa Majesté Tres-chrestienne. L'Anglois fit mine de s'accorder, & croire aux raisons des Peres, & dirent au sieur de la Saussaye: _Il y a bien de vostre faute de laisser ainsi perdre vos lettres._ Et par après firent disner lesdits Peres à leur table. Il fut parlé de renvoyer les François en France, mais on ne leur vouloit donner qu'une chaloupe à 30 qu'ils estoient, pour aller trouver passage le long des costes. Les Pères leur remonstrerent qu'il estoit impossible qu'une chaloupe peust suffire à les conduire sans péril. Et alors Argal dit: _J'ay trouvé un autre expédient pour les conduire aux Virgines_. Les artisans, souz promesse qu'on ne les forceroit point au faict de leur religion, & qu'après un an de service on les feroit repasser en France, trois acceptèrent cet offre: aussi le sieur de la Motte avoit dés le commencement consenty de s'en aller à la Virgine, avec ce Capitaine Anglois, lequel l'honoroit pour l'avoir trouvé faisant son devoir; & luy permit d'amener quelques uns des siens avec luy, & le Père Biart: que quatre qu'ils estoient, sçavoir deux Peres, & deux autres, fussent 120/776 conduits aux isles où les Anglois faisoient la pesche des moluës, & qu'il leur mandast que par leur moyen il peust passer en France: ce que le Capitaine Anglois luy accorda très-volontiers. De cette façon la chaloupe se trouva capable de porter les hommes divisez en trois bandes. Quinze estoient avec le pilote qui s'estoit eschapé: quinze avec l'Anglois, & quinze en la chaloupe accordée, où estoit le Pere Masse, & fut delivrée entre les mains de la Saussaye, & du mesme Pere Masse, avec quelques vivres, mais il n'y avoit aucuns mariniers, & de bonne fortune le pilote la rencontra, qui fut un grand bien pour eux, & furent jusques à Sesembre, par delà la Héve, où estoit le vaisseau de Robert Gravé, & un autre. Ils diviserent les François en deux bandes, pour les repasser en France, & arriverent à Sainct Malo, sans avoir couru aucun peril par les tempestes. Le Capitaine Argal mena les quinze François & les Pères Jesuites aux Virgines, où estans, le chef d'icelle appellé le Mareschal, commandant au pays, menaçoit de faire mourir les Peres, & tous les François: mais Argal se banda contre luy, disant qu'il leur avoit donné sa parole.. Et se voyant trop foible pour les soustenir & défendre, se resolut de monstrer les Commissions qu'il avoit dérobés; & le Mareschal les voyant s'apaisa, & promit que la parole qu'on leur avoit donnée leur seroit tenue. Ce Mareschal fait assembler son conseil, & se resoult d'aller à la coste d'Acadie, & y razer toutes les demeures & forteresses jusques au 46e degrée, pretendant que tout ce pays luy appartenoit. 121/777 Sur ceste resolution du Mareschal, Argal reprend la routte avec trois vaisseaux, divise les François en iceux, & retournent à Sainct Sauveur; ou croyans y trouver la Saussaye, & un navire nouvellement arrivé, ils sceurent qu'il estoit retourné en France. Ils y plantèrent une croix, au lieu de celle que les Peres y avoient plantée, qu'ils rompirent, & sur la leur ils escrivirent le nom du Roy de la grand'Bretagne, pour lequel ils prenoient possession de ce lieu. De là il fut à la Saincte Croix, qu'il brusla, osta toutes les marques qui y estoient, & print un morceau du sel qu'il y trouva. Par après il fut au port Royal, conduit d'un Sauvage qu'il print par force, les François ne le voulant enseigner, met pied à terre, entre dedans, visite la demeure, & n'y trouvant personne, prend ce qui y estoit de butin, la fit brusler, & en deux heures le tout fut réduit en cendres, & osta toutes les marques que les François y avoient mises: de sorte que ceux qui y estoient furent contraints d'abandonner ceste demeure, & s'en aller avec les Sauvages. Un François meschant & desnaturé, qui estoit avec ceux qui s'estoient sauvez dans les bois, approchant du bord de l'eau, cria tout haut, & demanda à parlementer, ce qui luy fut accordé, & lors il dit: _Je m'estonne qu'y ayant avec vous un Jesuite Espagnol, appellé, le Pere Biart, vous ne le faites mourir comme un meschant homme, qui vous fera du mal s'il peut, si le laissez faire._ Est-il possible que la nation Françoise 122/778 produise de tels monstres d'hommes detestables, semeurs de faussetez calomnieuses, pour faire perdre la vie à ces bons Peres? Les Anglois partent du port Royal le 9 Novembre 1613 pour retourner aux Virgines. En ce voyage la contrariété des vents & des tempestes fut telle, que les trois vaisseaux se separerent. La barque où estoient six Anglois ne s'est peu recouvrer du depuis, & le vaisseau du Capitaine Argal abordant les Virgines, qui fit entendre au Mareschal ce qu'estoit le Père Biart, qu'il tenoit pour Espagnol, & qui l'attendoit pour le faire mourir. Il estoit alors au troisiesme vaisseau, où commandoit un Capitaine nomme Turnel, ennemy mortel des Jesuites; & ce vaisseau fut tellement battu du vent de surouest, que mettant à contre-bord, il fut contraint de relascher aux Sores[204], à 500 lieues des Virgines, où l'on tua tous les chevaux qui avoient esté pris au port Royal, qu'ils mangèrent au defaut d'autres vivres. En fin ils arriverent à une isle des Sores, & alors il dit au Pere: _Dieu est courroucé, contre nous, & nous contre vous[208], pour le mal que nous vous avons fait souffrir injustement. Mais je m'estonne comme des François estans dans les bois, au milieu de tant de miseres & apprehensions, ayant fait courir le bruit que vous estes Espagnol: & l'ont non seulement dit & asseuré, mais l'ont signe? Monsieur_ (dit le Père) _vous sçavez que pour toutes les calomnies & mesdisances, je n'ay jamais mal parlé de ceux qui m'accusoient, vous estes tesmoin de la patience que j'ay eue contre tant d'adversitez, 123/779 mais Dieu cognoist la vérité. Non seulement je n'ay jamais esté en Espagne, ny aucun de mes parents, mais je suis bon fidèle François pour le service de Dieu, & de mon Roy, & feray tousjours paroistre au péril de ma vie que c'est à tort que l'on m'a calomnié, & que l'on m'appelle Espagnol. Dieu leur pardonne, & qu'il luy plaise nous delivrer d'entre leurs mains, & vous particulièrement, pour nostre bien, & oublions le passé._ [Note 207: L'édition de 1640 porte: «Esores.»] [Note 208: _Et non contre vous_. (Voir Relat. du P. Biard.)] De là ils vont mouiller l'anchre à la rade de l'isle du Fal [209], qui est une des Sores, & furent contraints d'anchrer en ce port, & cacher les Peres en quelque endroit au fonds du vaisseau, & tirèrent parole d'eux qu'ils ne se descouvriroient point, ce qu'ils firent. [Note 209: L'édition de 1640 porte: «Fayal, qui est une des Esores.»] La visite du vaisseau fut faite par les Portugais, qui descendirent au bas où les Peres estoient, & qui les voyoient sans faire aucun signe, & neantmoins s'ils se fussent donnez à cognoistre aux Portugais, ils eussent esté aussi tost delivrez, & tous les Anglois pendus: mais ces visiteurs pour ne chercher exactement, ne veirent point les Peres Jesuites, & s'en retournèrent à terre, & ainsi les Anglois furent delivrez du hazard qu'ils couroient d'estre pendus, allèrent quérir tout ce qui leur estoit necessaire, puis levans l'anchre, mettent en mer, & font mille remerciemens aux Peres, qu'ils caressent; & n'ayans plus opinion qu'ils fussent Espagnols, les traittent le plus humainement qu'ils peuvent, admirent leur grande constance & vertu à souffrir les paroles qu'ils avoient dites d'eux, & ne furent que bienveillances & tesmoignages de bonne amitié, jusques à ce qu'ils fussent arrivez en Angleterre: leur 124/780 monstrans par là que c'estoit contre l'opinion de plusieurs ennemis de l'Eglise Catholique & au prejudice de la vérité, qu'ils leur imposent que leur doctrine enseigne qu'il ne faut garder la foy aux Hérétiques. En fin Argal arrive au port de Milfier l'an 1614. en la Province de Galles, où le Capitaine fut emprisonné[210], pour n'avoir passe-port, ny commission, son Général l'ayant, & s'estant esgaré, comme avoit fait son Vice-Admiral. [Note 210: Suivant le P. Biard, Argal fut emprisonné à Pembroke, «ville principale de cest endroit & vice-admirauté.» (Relat. du P. Biard, ch. XXXII.)] Les Peres Jesuites racontèrent comme le tout s'estoit passé, & par après le Capitaine Argal fut delivré, & retourna en son vaisseau, & les Peres furent retenus à terre, aimez & caressez de plusieurs personnes. Et sur le discours que le Capitaine de leur vaisseau faisoit de ce qui se passa aux Esores, la nouvelle vint à Londres à la Cour du Roy de la grand'Bretagne, l'Ambassadeur de sa Majesté Tres-chrestienne poursuivit la delivrance des peres, qui furent conduits à Douvre, & de là passèrent en France, & se retirèrent en leur Collège d'Amiens, après avoir esté neuf mois & demy entre les mains des Anglois. Le sieur de la Motte arriva aussi au mesme temps en Angleterre, dans un vaisseau qui estoit de la Bermude, ayant passé aux Virgines. Il fut pris en son vaisseau, & arresté, mais delivré par l'entremise de Monsieur du Biseau, pour lors Ambassadeur du Roy en Angleterre. Madame de Guercheville ayant advis de tout cecy, envoya la 125/781 Saussaye à Londres, pour solliciter la restitution du navire, & fut tout ce que l'on peut retirer pour lors trois François moururent à la Virginie, & 4 y resterent, pendant qu'on travailloit à leur delivrance. Les Pères y baptiserent 30 petits enfans, excepté trois, qui furent baptisez en necessité[211]. [Note 211: Cette phrase, qui, évidemment, est extraite de la relation du P. Biard, comme tout le reste de ce chapitre, se rapporte aux travaux des PP. Jésuites à l'Acadie: «Le Patriarche Flesche, dit ce Père, en avoit baptisé» [des sauvages] «peut-estre quatre-vingts, les Jesuites seulement une vingtaine, & iceux petits enfans, horfmis trois qui ont esté baptisez en extrême necessité de maladie, & sont allez jouir de la vie bienheureuse, après avoir esté régénérez à icelle, comme aussi aucun des petits enfans.» (Relat. de la Nouv. France, ch. XXXIV.)] Il faut advouer que ceste entreprise fut traversée de beaucoup de malheurs, qu'on eust bien peu eviter au commencement, si Madame de Guercheville eust donné trois mil six cents livres au sieur de Mons, qui desiroit avoir l'habitation de Québec, & de toute autre chose. J'en portay parole deux ou trois fois au R. P. Coton, qui mesnageoit cet affaire, lequel eust bien desiré que le traicté se fust fait avec de moindres conditions, ou par d'autres moyens, qui ne pouvoit estre à l'avantage dudit sieur de Mons, qui fut le sujet pourquoy rien ne se fit, quoy que je peusse representer audit Pere avec les avantages qu'il pourroit avoir en la conversion des infidèles, que pour le commerce & trafic qui s'y pouvoit faire par le moyen du grand fleuve Sainct Laurent, beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal aisée à conserver, à cause du nombre infiny de ses ports, qui ne se pouvoient garder que par de grandes forces, joint que le terroir y est peu peuplé de Sauvages, outre que l'on ne pourroit pénétrer par ces lieux dans les terres, où sont nombre 126/782 d'habitans sedentaires, comme on pourroit faire par ladite riviere Sainct Laurent, plustost qu'aux costes d'Acadie. D'avantage, que l'Anglois qui faisoit alors ses peches en quelques isles esloignées de 13 à 14 lieues de l'isle des monts deserts, qui est l'entrée de la riviere de Pemetegoet, feroit ce qu'il pourroit pour endommager les nostres, pour estre proche du port Royal & autres lieux. Ce que pour lors ne se pouvoit esperer à Québec, où les Anglois n'avoient aucune cognoissance. Que si ladite dame de Guercheville eust en ce temps là entré en possession de Quebec, on se fust peu asseurer[212] que par la vigilance des Pères Jesuites, & les instrucions que je leur pouvois donner, le pays se fust beaucoup mieux accommodé, & l'Anglois ne l'eust trouvé dénué de vivres & d'armes, & ne s'en fust emparé, comme il a fait en ces dernières guerres. Ce qu'il a fait par l'industrie de quelques mauvais François, joint qu'alors lesdits Pères n'avoient avec eux aucun homme pour conduire leur affaire, excepté la Saussaye, peu expérimenté en la cognoissance des lieux. Mais on a beau dire & faire, on ne peut eviter ce qu'il plaist à Dieu de disposer. [Note 212: On eût pu s'assurer.] Voila comme les entreprises qui se font à la haste, & sans fondement, & faites sans regarder au fonds de l'affaire, reussissent tousjours mal. 127/783 _Seconde entreprise du Sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que l'Autheur fait au lieu de Quebec. Crieries contre le Sieur de Mons._ CHAPITRE II. Retournons & poursuivons la seconde entreprise du Sieur de Mons, qui ne perd point courage, & ne veut demeurer en si beau chemin. Le R. P. Coton ayant refusé de convenir avec luy des 3600 livres, il me discourut particulièrement de ses desseins. Je le conseillay, & luy donnay advis de s'aller loger dans le grand fleuve Sainct Laurent, duquel j'avois une bonne cognoissance par le voyage que j'y avois fait, luy faisant goutter les raisons pourquoy il estoit plus à propos & convenable d'habiter ce lieu qu'aucun autre. Il s'y resolut, & pour cet effect il en parle à sa Majesté, qui luy accorde, & luy donne Commission de s'aller loger dans le pays. Et pour en supporter plus facilement la despense, interdit le trafic de pelleterie à tous ses subjects, pour un an seulement. Pour cet effect il fait équiper 2 vaisseaux à Honnefleur, & me donna sa lieutenance au pays de la nouvelle France l'an 1608. Le Pont Gravé prit le devant pour aller à Tadoussac, & moy après luy dans un vaisseau chargé des choses necessaires & propres à une habitation. Dieu nous favorisa si heureusement, que nous arrivasmes dans ledit fleuve au port de Tadoussac; auquel lieu je fais descharger toutes nos commoditez, avec les 128/784 hommes, manouvriers, & artisans, pour aller à mont ledit fleuve trouver lieu commode & propre pour habiter. Trouvant un lieu le plus estroit de la riviere, que les habitans du pays appellent Québec, j'y fis bastir & édifier une habitation, & défricher des terres, & faire quelques jardinages. Mais pendant que nous travaillons avec tant de peine, voyons ce qui se pane en France pour l'exécution de ceste entreprise. Le Sieur de Mons qui estoit demeuré à Paris pour quelques siennes affaires, & esperant que sa Majesté luy continueroit sadite Commission, il ne demeura pas beaucoup en repos que l'on ne crie plus que jamais qu'il faut aller au Conseil. Les Bretons, Basques, Rochelois & Normands renouvellent les plaintes; & estans ouis de ceux qui les veulent favoriser, disent que c'est un peuple, c'est un bien public. Mais l'on ne recognoist pas que ce sont peuples envieux, qui ne demandent pas leur bien, ains plustost leur ruine, comme il se verra en la suitte de ce discours. Quoy que c'en soit, voila pour sa seconde fois la Commission revoquée, sans y pouvoir remédier. Il s'en faudra retourner de Québec au printemps prochain; de sorte que qui plus y aura mis, plus y aura perdu, comme sera sans doute ledit Sieur de Mons, lequel me r'escrivit ce qui s'estoit passée, qui me donna sujet de retourner en France voir ces remuemens, & comme l'habitation demeuroit au sieur de Mons, qui en convint quelque temps de là avec ses associez; lequel cependant la met entre les mains de quelque marchand de la Rochelle, à certaines conditions, pour 129/785 leur servir de retraitte à retirer leurs marchandises, & traicter avec les Sauvages. C'estoit en ce temps là que je fis l'ouverture aud. Reverend Pere Coton, pour Madame de Guercheville, si elle le vouloit avoir, ce qui ne se pût, comme j'ay dit cy-dessus, puis que la traicte estoit permise, jusques à ce qu'il renouvellast une autre commission, qui apportait un meilleur règlement que par le passé. J'allay trouver le sieur de Mons, auquel je representay tout ce qui s'estoit passé en nostre hyvernement, et ce que j'avois peu cognoistre & apprendre des commoditez que l'on pouvoit esperer dans le grand fleuve Sainct Laurent, qui m'occasionna de voir sa Majesté pour luy en faire particulièrement récit, auquel elle y prit grand plaisir. Cependant le sieur de Mons porté d'affection d'embrasser cet affaire à quelque prix que ce fust, fait derechef ce qu'il peut pour avoir nouvelle commission. Mais ses envieux, au moyen de la faveur, avoient mis si bon ordre, que son travail fut en vain. Ce que voyant, pour le desir qu'il avoit de voir les terres peuplées, il ne laissa, sans commission, de vouloir continuer l'habitation, & faire recognoistre plus particulièrement le dedans des terres à mont ledit fleuve. Et pour l'exécution de ceste entreprise, il fait équiper avec la Société des vaisseaux, comme font plusieurs autres, à qui le trafic n'estoit pas interdit, qui couroient sur nos brisées, qui emportèrent le lucre des peines de nostre travail, sans qu'ils voulussent contribuer à ses entreprises. Les vaisseaux estans prests, le Pont Gravé & moy nous embarquasmes pour faire ce voyage l'an 1610. avec artisans & 130/786 autres manouvriers, & fusmes traversez de mauvais temps. Arrivans au port de Tadoussac, & de là à Québec, nous y trouvasmes chacun en bonne disposition. Premier que passer plus outre, j'ay pensé qu'il ne seroit hors de sujet de descrire la description de la grande riviere, & de quelques descouvertes que j'ay faites à mont ledit fleuve Sainct Laurent, de sa beauté & fertilité du pays, & de ce qui s'est passé és guerres contre les Hiroquois. _Embarquement de, l'Autheur pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere de Saguenay. De l'isle d'Orléans._ CHAPITRE III. Aprés avoir raconté au feu Roy tout ce que j'avois veu & descouvert, je m'embarquay pour aller habiter la grande riviere Sainct Laurent au lieu de Québec, comme Lieutenant pour lors du sieur de Mons. Je partis de Honnefleur le 13 d'Avril 1608. & le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac, distant de Gaspé 80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'anchre à la rade du port de Tadoussac, qui est à une lieue du port, qui est comme une ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort estrange pour sa vistesse, où quelquefois se levent des vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que cette riviere a 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au premier sault, qui vient du nort norouest. Ce port est petit, & n'y pourroit qu'environ 20 vaisseaux. 131/787 Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay, & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer. Le reste sont montagnes hautes eslevées, où il y a peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sapins & bouleaux. Il y a un petit estang proche du port renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée sont deux pointes, l'une du costé du surouest, contenant prés d'une lieue en la mer, qui s'appelle la pointe aux Allouettes, & l'autre du costé du nordouest, contenant demy quart de lieue, qui s'appelle la pointe aux roches[213]. Les vents du sud suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre, mais bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées, assechent de basse mer. [Note 213: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)] En ce lieu y avoit nombre de Sauvages qui y estoient venus pour la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre vaisseau avec leurs canaux, qui sont de 8 ou 9 pas de long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts. Ils sont fort subjects à tourner si on ne les sçait bien gouverner, & sont faits d'escorce de bouleau, renforcez par dedans de petits cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez, & sont si légers, qu'un homme en porte aisément un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis Choüacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac, ils sont tous semblables. 132/788 Je fus visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une grande profondeur, comme de 80 & 100 brasses. A 50 lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand sault d'eau, qui descend d'un fort haut lieu, & de grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans ceste riviere fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins & bruyères. Elle contient de large demie lieue en des endroits, & un quart en son entrée, où il y a un courant si grand, qu'il est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte encores hors: & en toute la terre que j'y aye veue, ce ne sont que montagnes & promontoires de rochers, la plus-part couverts de sapins & bouleaux; terre fort mal plaisante, tant d'un costé que d'autre: en fin ce sont de vrais deserts inhabitez. Allant chasser par les lieux qui me sembloient les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme arondelles, & quelques oiseaux de riviere, qui y viennent en esté; autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure qu'il y fait. Ceste riviere vient du norouest. Les Sauvages m'ont fait rapport qu'ayans passé le premier sault ils en passent huict autres, puis vont une journée sans en trouver, & derechef en passent dix autres, & vont dans un lac, où ils font trois journées[214], & en chacune ils peuvent faire à leur aise dix lieues en montant. Au bout du lac y a des peuples qui vivent errans. Il y a 3 rivieres qui se deschargent dans ce lac, l'une venant du nort, fort proche de la mer, 133/789 qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les autres deux d'autres costes par dedans les terres, où il y a des peuples Sauvages errans, qui ne vivent aussi que de la chasse, & est le lieu ou nos Sauvages vont porter les marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures qu'ils ont, comme castors, martres, loups cerviers, & loutres, qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos vaisseaux. Ces peuples Septentrionaux disent aux nostres qu'ils voyent la mer salée; & si cela est, comme je le tiens pour certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les terres par les parties du nort. Les Sauvages disent qu'il peut y avoir de la mer du nort au port de Tadoussac 40 à 50 journées, à cause de la difficulté des chemins, rivieres, & pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a des neges. Voila au vray ce que j'ay appris de ce fleuve. J'ay souvent desiré faire ceste descouverte, mais je ne l'ay peu faire sans les Sauvages, qui n'ont voulu que j'allasse avec eux, ny aucuns de nos gens; toutesfois ils me l'avoient promis [215]. [Note 214: Voir 1613, p. 143, note 3.] [Note 215: Voir 1613, p. 143, 144, notes, et 1603, p. 21.] _Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du sault de Montmorency. CHAPITRE IIII. Je partis de Tadoussac[216] pour aller à Québec, & passasmes prés d'une isle qui s'appelle l'isle aux Lievres, distante de 6 lieues dudit port, & est à deux lieues de la terre du nort, & à 134/790 prés de 4 lieues [217] de la terre du sud. De l'isle aux Lievres, nous fusmes à une petite riviere qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau. Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons[218], à cause que nous y en prismes. Costoyant la coste du nort, nous fusmes à une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin [219], distant de la riviere aux Saulmons trois lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle[220], distant du cap Dauphin 8 lieues. Entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer[221], & peut tenir environ lieue & demie. Elle est quelque peu unie, venant en diminuant par les deux bouts. A celuy de l'ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui advancent quelque peu dans la riviere: & du costé du surouest elle est fort batturiere, toutesfois assez agréable, à cause des bois qui l'environnent, distante de la terre du nort d'environ demie lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nommée la riviere platte, ou malle 135/791 baye [222], d'autant que le travers d'icelle la marée y court merveilleusement: & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort emeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat, & y a force rochers en son entrée, & autour d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste, fusmes à un cap, que nous avons nommé le cap de Tourmente, qui en est à sept lieues[223], & l'avons ainsi appellé, d'autant que pour peu qu'il face de vent, la mer y esleve comme si elle estoit pleine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle d'Orléans, où, il y a deux lieues, en laquelle du costé du sud y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort agréables remplies de grandes prairies, & force gibbier, contenans à ce que j'ay peu juger, les unes deux lieues, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers, & bases fort dangereuses à passer, qui sont esloignez d'environ deux lieues de la grande terre du sud. Toute ceste coste, tant du nort, que du sud, depuis Tadoussac, jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse, & fort mauvaise, où il n'y a que des pins, sapins & bouleaux, & des rochers tres-mauvais, & ne sçauroit-on aller en la plus-part de ces endroits. [Note 216: Le 30 juin 1608.] [Note 217: Près de trois lieues.] [Note 218: Probablement la rivière du port à l'Équille, ou port aux Quilles. (Voir 1613. P. 145, note 3.)] [Note 219: Le cap au Saumon.] [Note 220: Aujourd'hui le cap aux Oies.] [Note 221: En reproduisant ici le texte de 1613, on a passé, dans l'édition de 1632, ce qui suit: «Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux Couldres, qui en est distante une bonne lieue...»] [Note 222: Ces mots «& l'avons nommée la riviere platte ou malle baye» devaient être, dans la pensée de l'auteur, placés quelques lignes plus haut, et le contre-sens que l'on remarque ici, est évidemment le fait de l'imprimeur. Pour que l'on puisse mieux en juger, nous remettrons en entier le passage de l'édition de 1613, tel que Champlain a du vouloir le corriger: «Entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse mer, & l'avons nommée la riviere platte ou malle baye. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux Couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui aduancent quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre, d'autant que le travers d'icelle la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour 'icelle...» (Voir 1613, p. 146, note 2.)] [Note 223: Environ huit lieues.] Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du sud, distante de la grande terre une lieue & demie, & du costé du nort demie 136/792 lieue, contenant de long six lieues, & de large une lieue, ou lieue & demie par endroits. Du costé du nort elle est fort plaisante, pour la quantité des bois & prairies qu'il y a, mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits, & à l'emboucheure[224] des vignes & autres bois comme nous avons en France. [Note 224: A l'entrée du bois.] Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere, où il y a de son entrée 120 lieues. Au bout de l'isle y a un torrent d'eau du costé du nort, que j'ay nommé le sault de Montmorency, qui vient d'un lac[225] qui est environ dix lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a prés de 25 toises de haut[226], au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à voir, bien que dans le pays on voye de hautes montagnes, qui paroissent de 15 à 20 lieues. [Note 225: Le lac des Neiges.] [Note 226: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.] _Arrivée de l'Autheur à Quebec, ou il fit ses logemens. Forme de vivre des Sauvages de ce pays là._ CHAPITRE V. DE l'isle d'Orléans jusques à Québec y a une lieue, & y arrivay le 3 Juillet, où estant, je cherchay lieu propre pour nostre habitation: mais je n'en peus trouver de plus commode, ny mieux 137/793 scitué que la pointe de Québec, ainsi appellé des Sauvages, laquelle estoit remplie de noyers & de vignes. Aussi tost j'employay une partie de nos ouvriers à les abbatre, pour y faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre à fouiller la cave, & faire des fossez, & l'autre à aller quérir nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun & le soin que j'en eu[227]. Proche de ce lieu est une riviere agréable[228], où anciennement hyverna Jacques Cartier. [Note 227: Ici se trouvent, dans l'édition de 1613, les détails de la conspiration tramée contre Champlain, et de la construction des premiers logements élevés sur la pointe de Québec. (1613, p. 148-156.)] [Note 228: La Petite-Rivière, ou rivière Saint-Charles, à laquelle Cartier donna le nom de Sainte-Croix. (Voir 1613, p. 156-161.)] Pendant que les Charpentiers, Scieurs d'aix, & autres ouvriers travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à défricher autour de l'habitation, afin de faire des jardinages pour y semer des grains & graines, pour voir comme le tout succederoit, d'autant que la terre paroissoit fort bonne. Cependant quantité de Sauvages estoient cabannez proche de nous, qui faisoient pesche d'anguilles, qui commencent à venir comme au 15 de Septembre & finit au 15 Octobre. En ce temps tous les Sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font secher pour l'hyver jusques au mois de Fevrier, que les neges sont grandes comme de deux pieds & demy, & trois pieds pour le plus, qui est le temps que quand leurs anguilles, & autres choses qu'ils font secher, sont accommodées, ils vont chasser 138/794 aux castors, où ils sont jusques au commencement de janvier. Ils ne firent pas grand chasse de castors, pour estre les eaues trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi qu'ils nous dirent. Quand leurs anguilles leur faillent, ils ont recours à chasser aux eslans & autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le printemps, où j'eus moyen de les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort particulièrement leurs coustumes. Tous ces peuples patissent tant, que quelquefois ils sont contraints de vivre de certains coquillages, & manger leurs chiens, & peaux, dequoy ils se couvrent contre le froid. Qui leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car il s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent à propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschanceté en eux, qui est d'user de vengeance, d'estre grands menteurs, & ausquels il ne le faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu, la plus-part n'ayans point de loy, selon que j'ay peu voir, avec tout plein d'autres faulses croyances. Je leur demanday de quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu; ils me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un chacun le prioit en son coeur comme il vouloit. Voila pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes brutes, mais je croy qu'ils seroient bien tost réduits au Christianisme, si on habitoit & cultivoit leur terre, ce que la plus-part désirent. Ils ont 139/795 parmy eux quelques Sauvages qu'ils appellent Pilotois[229], qu'ils croyent parler au diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils facent tant pour la guerre, que pour autres choses, & s'ils leur commandoient qu'ils allassent mettre en exécution quelque entreprise, ils obéiroient aussi tost à son commandement. Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils ont, sont véritables: & de faict, il y en a beaucoup qui disent avoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en parler avec vérité, ce sont visions diaboliques, qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur croyance bestiale. [Note 229: Ce mot, cependant, serait basque, suivant le P. Biard. (Rel. de la Nouv. France, ch. VII.)] Tous ces peuples sont bien proportionnez de leurs corps, sans difformité, & sont dispos. Les femmes sont aussi bien formées, potelées, & de couleur bazannée, à cause de certaines peintures dont elles se frotent, qui les fait paroistre olivastres. Ils sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie descouverte: mais l'hyver ils remédient à tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'eslan, loutres, castors, ours, loups marins, cerfs, & biches, qu'ils ont en quantité. L'hyver quand les neges sont grandes, ils font une manière de raquettes, qui sont grandes deux ou trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont aussi une façon de mariage, qui est, Que quand 140/796 une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs, elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques à la fin de leur vie: sinon qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble, & elles n'ont point d'enfans, l'homme se peut démarier, & prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien. Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes. Depuis qu'elles sont mariées elles sont chastes, & leurs maris sont la plus-part jaloux, lesquels donnent des presens aux pères ou parents des filles qu'ils ont espousées. Voila les cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou une femme meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien qu'ils ont, comme chaudieres, fourrures, haches, arcs, flesches, robbes, & autres choses: puis ils mettent le corps dans la fosse, & le couvrent de terre, & mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & une autre debout, qu'ils peindent de rouge par en haut. Ils croyent l'immortalité des âmes, & disent qu'ils sont se resjouir en d'autres pays, avec leurs parents & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres d'auctorité, ils vont après leur mort 3 fois l'an faire un festin, chantans & dançans sur leur fosse. Ils sont fort craintifs, & appréhendent infiniment leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme 141/797 nous, sçavoir, veiller une partie, tandis que les autres dormiront, & chacun avoir ses armes prestes, comme celuy qui fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils se reposent. Mais peu leur servoient ces remonstrances, & disoient que nous sçavions mieux nous garder de toutes ces choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays, ils le pourroient apprendre. _Semences de vignes plantées à Quebec par l'Autheur. Sa charité envers les pauvres Sauvages._ CHAPITRE VI LE premier Octobre[230] je fis semer du bled, & au 15 du seigle. [Note 230: De l'année 1608.] Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les fueilles des arbres commencèrent à tomber au 15. Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent fort belles. Mais après que je fus party de l'habitation pour venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soin, ce qui m'affligea beaucoup à mon retour. Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne durèrent que deux tours sur la terre. Le 5 Fevrier il negea fort. Le 20 du mois il apparut à nous quelques Sauvages qui estoient au delà de la riviere, qui crioient que nous les allassions secourir: mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de 142/798 la riviere qui charrioit un grand nombre de glaces. Car la faim pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je les assisterois en leur extrême necessité. Ayant donc prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs enfans, & se mirent en leurs canaux, pensans gaigner nostre coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faite: mais il ne furent si tost au milieu de la riviere, que leurs canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces. Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans, que les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon. Comme ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir. Mais l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables qu'une grande glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si rudement, qu'elle les jetta à terre. Eux voyans ce coup si favorable, furent à terre avec autant de joye que jamais ils en receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en vindrent à nostre habitation si maigres & défaits, qu'ils sembloient des anatomies, la plus-part ne se pouvans soustenir. Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils avoient passé, veu qu'ils estoient si foibles & débiles. Je leur fis donner du pain & des febves, mais ils n'eurent pas la patience qu'elles fussent cuites pour les manger: & leur prestay des escorces d'arbres pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabanoient, ils advisèrent une charongne qu'il y avoit prés de deux mois 143/799 que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en prenions de noirs & de roux, comme ceux de France, mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye & un chien, qui avoient esté exposés durant la chaleur & le froid. Quand le temps s'adoucissoit; elle puoit si fort que l'on ne pouvoit durer auprès, neantmoins il ne laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, où aussi tost ils la devorerent à demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir qu'ils n'en mangeassent point, s'ils ne vouloient mourir. Comme ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent une telle puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont ils avoient chacun une pièce en la main, qu'ils penserent rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arrêtèrent gueres. Je ne laissay pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit pour la quantité qu'ils estoient, & dans un mois ils eussent bien mangé tous nos vivres, s'ils les eussent eus en leur pouvoir, tant ils sont gloutons. Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve, & en font chère continuelle jour & nuict, puis après ils meurent de faim. Ils firent encores une autre chose aussi miserable que la première. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appast aux martres & oiseaux de proye, où je prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie. Ces Sauvages furent à l'arbre, & ne pouvans monter dessus à cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, & 144/800 aussi tost enleverent le chien, où il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante & infecte, qui fut incontinent devoré. Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en hyver: car en esté ils ont assez dequoy se maintenir, & faire des provisions, pour n'estre assaillis de ces extrêmes necessitez, les rivieres abondantes en poisson, & chasse d'oiseaux, & autres bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous leurs voisins Algomequins, Hurons[231], & Hiroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine, pour y sçavoir remédier par le foin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils vivent heureusement au prix de ces Montaignets, Canadiens[232], & Souriquois, qui sont le long des costes de la mer. Les neges y sont 5 mois sur la terre, qui est depuis le mois de Décembre, jusques vers la fin d'Avril, qu'elles sont presque toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap Breton, nie de terre neufve, & grand baye[233], les glaces & neges y sont encores en la plus-part des endroits jusques à la fin de May: auquel temps quelquefois l'entrée de la grande riviere est seellée de glaces, mais à Québec il n'y en a point, qui monstre une estrange différence pour 120 lieues de chemin en longitude: car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 & 51 degré de latitude, & nostre habitation par les 46 & demy[234]. [Note 231: Dans l'édition de 1613, Champlain avait mis _Ochastaiguins_. C'était le nom d'un de leurs chefs.] [Note 232: Voir 1613, p. 169, note 2.] [Note 233: Ce qu'on appelait la _Grand Baye_ était cette partie du Golfe qui s'étend vers le nord-est, entre la côte de Terreneuve et celle du Labrador.] [Note 234: L'édition de 1613 porte, en cet endroit: «46 & deux tiers.» Ce qui était plus proche de ce qu'on a trouvé de notre temps: d'après Bayfield, la latitude de Québec, au bastion de l'observatoire, est de 46° 49' 8".] 145/801 Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains & graines à maturité, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forests par deçà, & quantité de fruicts, bien qu'ils soient sauvages, pour n'estre cultivez: comme noyers, cerisiers, pruniers, vignes, framboises, fraises, groiselles vertes & rouges, & plusieurs autres petits fruicts qui y sont assez bons. Aussi y a-il plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les rivieres, où il y a quantité de prairies & gibbier, qui est en nombre infiny. Le 8 d'Avril en ce temps les neges estoient toutes fondues, & neantmoins l'air estoit encores assez froid jusques en May, que les arbres commencent à jetter leurs fueilles. _Partement de Québec jusques à l'isle Sainct Eloy, & de la rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Uchataiguins._ CHAPITRE VII. Pour cet effect[235] je partis le 18 dudit mois[236], où la riviere commence à s'eslargir quelquefois d'une lieue, & lieue & demy en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellissant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere, & terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle 146/802 est dangereuse en beaucoup d'endroits, à cause des bancs & rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde à la main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons par deçà, comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bord de la riviere, & quantité de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont navigeables qu'avec des canaux. Nous passasmes proche de la pointe Saincte Croix. Cette pointe est de sable qui advance quelque peu dans la riviere, à l'ouvert du norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prairies, mais elles sont innondées des eaues à toutes les fois que vient la plaine mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce partage est fort dangereux à passer pour la quantité de rochers qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est fort tortu, où la riviere court comme un ras, & faut bien prendre le temps à propos pour le passer. Ce lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant nous avons trouvé le contraire: car pour descendre du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du grand courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de flot pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15 brasses d'eau en l'achenal. [Note 235: C'est-à-dire: «Pour faire les descouvertures du pays des Yroquois.» (Voir 1613, fin du ch. VI, et commencement du ch. VII.)] [Note 236: Le 18 juin. _(Ibid.)_] Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est 147/803 fort agréable, distante du lieu de Saincte Croix de neuf lieues, & de Québec 24 & l'avons nommée la riviere Saincte Marie[237]. Toute ceste riviere depuis Saincte Croix est fort plaisante & agréable. [Note 237: Aujourd'hui la rivière Sainte-Anne, qui est à une vingtaine de lieues de Québec.] Continuant nostre routte, je fis rencontre de deux ou trois cents Sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle appellée S. Eloy[238], distante de Saincte Marie d'une lieue & demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit des nations de Sauvages appeliez Ochateguins & Algoumequins, qui venoient à Québec, pour nous assister aux descouvertures du pays des Hiroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle, n'espargnant aucune chose qui soit à eux. [Note 238: Cette île est située devant l'église de Batiscan. Mais il y a apparence que le petit chenal qui la sépare de la côte nord, et qui porte encore le nom de Saint-Éloi, s'est exhaussé depuis le temps de Champlain.] Après les avoir recognus, je fus à terre pour les voir, & m'enquis qui estoit leur chef. Ils me dirent qu'il y en avoit deux, l'un appellé Yroquet, & l'autre Ochasteguin, qu'ils me monstrerent: & fus en leur cabane, où ils me firent bonne réception, selon leur coustume. Je commençay à leur faire entendre le sujet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis, & après plusieurs discours je me retiray. Quelque temps après ils vindrent à ma chaloupe, où ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouinance, & de là s'en retournèrent à terre. Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils furent une espace de temps sans dire mot, en songeant & 148/804 petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à haranguer hautement à tous leurs compagnons qui estoient sur le bord du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir, Qu'il y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne réception, & desirions les assister contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient dés long temps la guerre, pour beaucoup de cruautez qu'ils avoient exercées contre leur nation, souz prétexte d'amitié; & qu'ayans tousjours depuis desiré la vengeance, ils avoient sollicité tous les Sauvages sur le bord de la riviere de venir à nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous venir voir, & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois. Qu'ils n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui sçavoient faire la guerre, & pleins de courage, sçachans le pays & les rivieres qui sont au pays des Hiroquois, & que maintenant ils me prioient de retourner en nostre habitation, pour voir nos maisons: que trois tours après nous retournerions à la guerre tous ensemble: & que pour signe de grande amitié & resjouissance je fisse tirer des mousquets & harquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fia. Ils jetèrent de grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus. Après les avoir ouis, je leur fis response, que pour leur plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation, 149/805 pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne portant avec moy que dés armes, & non des marchandises pour traicter, comme on leur avoit donné à entendre. Que mon desir n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si j'eusse sceu qu'on leur eust rapporté quelque chose de mal, que je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me dirent qu'ils n'en croyoient rien, & que jamais ils n'en avoient ouy parler, neantmoins c'estoit le contraire: car il y avoit quelques Sauvages qui le dirent aux nostres. Je me contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir monstrer par effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy. _Retour à Quebec, & depuis continuation avec les Sauvages jusques au saut de la riviere des Hiroquois._ CHAPITRE VIII. Le lendemain[239] nous partismes tous ensemble pour aller à nostre habitation, où ils se resjouirent cinq ou six jours, qui se passèrent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient que nous fussions à la guerre. [Note 239: Le 21 ou le 22 de juin 1609. (Voir 1613, ch. VIII et IV.)] Le Pont vint aussi tost de Tadoussac avec deux petites barques pleines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir le plus promptement qu'il luy seroit possible. Les Sauvages le voyans arriver se resjouirent encores plus que 150/806 devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens pour les assister, & que peut estre nous irions ensemble. Le 28 du mois[240] je partis de Québec pour assister ces Sauvages. Le premier Juin[241] arrivasmes à saincte Croix, distant de Québec de 15 lieues, avec une chaloupe équipée de tout ce qui m'estoit necessaire. Je partis de Saincte Croix le 3 de Juin[242] avec tous les Sauvages, & passasmes par les trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantité de beaux arbres. De ce lieu à Saincte Croix y a 15 lieues. A l'entrée d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de 15 à 1600 pas de long, qui sont fort plaisantes à voir: & proche du lac Sainct Pierre[243], faisant environ deux lieues dans la riviere [244] y a un petit sault d'eau, qui n'est pas beaucoup difficile à passer. Ce lieu est par la hauteur de 46 degrez quelques minutes moins de latitude. Les Sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à quelques journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a dix journées, & puis on passe quelques saults, & après encore 3 ou 4 autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent derechef dans un autre lac[245], où le Saguenay prend la meilleure part de sa source. Les Sauvages viennent dudit lieu à Tadoussac. Les trois rivieres vont 20[246] journées des Sauvages; & disent qu'au 151/807 bout d'icelle riviere il y a des peuples[247] qui sont grands chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent la mer du nort en moins de six journées. Ce peu de terre que j'ay veu est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de quantité de pins & sapins sur le bord de la riviere: mais entrant dans la terre environ un quart de lieue, les bois y sont très-beaux & clairs, & le pays uny. [Note 240: Le 28 juin 1609.] [Note 241: Le premier juillet. (Voir 1613, p. 184, note I.)] [Note 242: Le 3 juillet.] [Note 243: Voir 1613, p. 179, note 2.] [Note 244: Dans le Saint-Maurice. (Voir 1603, p. 30, 31.)] [Note 245: Le lac Saint-Jean.] [Note 246: L'édition de 1613 porte: «40 journées.» Les sources du Saint-Maurice sont à environ cent lieues des Trois-Rivières.] [Note 247: Probablement les _Atticamègues_, ou Poissons-Blancs.] Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac Sainct Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le lac à 2, 3 & 4 brases d'eau, lequel peut contenir de long 8 lieues, & de large 4. Du costé du nort nous veismes une riviere qui est fort agréable, qui va dans les terres 50 lieues, & l'ay nommée saincte Suzanne[248]: & du costé du sud il y en a deux, l'une appellée la riviere du Pont[249], & l'autre de Gennes [250], qui sont très-belles, & en beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du costé du nort il paroist des terres à 12 ou 13 lieues du lac, qui sont un peu montueuses. L'ayant traversé, nous passasmes par un grand nombre d'isles[251], qui sont de plusieurs grandeurs, où il y a quantité de noyers, & vignes, & de belles prairies, avec force gibbier, & animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions 152/808 veu. De ces isles fusmes à l'entrée de la riviere des Hiroquois[252], où nous sejournasmes deux jours, & nous rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux & poissons, que nous donnoient les Sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque différend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les autres s'en retournèrent en leur pays avec leurs femmes & marchandises, qu'ils avoient traictées. [Note 248: Aujourd'hui, la rivière du Loup.] [Note 249: Aujourd'hui, la rivière de Nicolet. (Voir 1613, p. 180, note 2.)] [Note 250: Probablement la rivière d'Yamaska.] [Note 251: Les îles de Sorel.] [Note 252: Cette rivière a porté, depuis, les noms de Richelieu, de Sorel et de Chambly.] Partant de cette entrée de riviere (qui a environ 4 à 500 pas de large, & est fort belle, courant au sud) nous arrivasmes à un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez de latitude, à 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son entrée jusques au premier sault, où il y a 15 lieues, est fort platte & environnée de bois, comme sont tous les autres lieux cy-dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a neuf ou dix belles isles jusques au premier sault des Hiroquois, lesquelles tiennent environ lieue, ou lieue & demie, remplies de quantité de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits prés de demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entrée du sault est une manière de lac[253] où l'eau descend, qui contient environ trois lieues de circuit, & y a quelques prairies où il n'y habite aucuns Sauvages, pour le sujet des guerres. Il y a fort peu d'eau au sault, qui court d'une grande vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les Sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien. 153/809 Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la riviere à la rame. [Note 253: Le bassin de Chambly.] Aussi tost que je fus arrivé au sault, je prins 5 hommes[254], & fusmes à terre voir si nous pourrions passer ce lieu, & fismes environ lieue & demie sans en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une grande impetuosité, où d'un costé & d'autre y avoit quantité de pierres, qui sont fort dangereuses, & avec peu d'eau. Le sault peut contenir 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit impossible couper les bois, & faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions promis, d'autant que les Sauvages m'avoient asseuré que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire, comme j'ay dit cy-dessus, qui fut l'occasion que nous en retournasmes en nostre chaloupe, où j'avois laissé quelques hommes pour la garder, & donner à entendre aux Sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long dudit sault. [Note 254: Dans l'édition de 1613, on lit: «Des Marais, la Routte & moy, & cinq hommes fusmes à terre»...] Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en retournant nous fismes rencontre de quelques Sauvages, qui venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre chaloupe, où nous les trouvasmes fort contents & satisfaits de 154/810 ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le rapport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait. Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de passer le sault avec nostre chaloupe, cela m'affligea, & me donna beaucoup de desplaisir de m'en retourner sans avoir veu un grand lac remply de belles isles, & quantité de beau pays, qui borne le lac où habitent leurs ennemis, comme ils me l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que j'avois, & m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, & prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Car quand ce fut à bon escient que nos gens veirent que je me deliberay d'aller avec leurs canaux, ils saignerent du nez, ce qui me les fit renvoyer à Tadoussac[255]. [Note 255: Au lieu de cette dernière phrase, il y avait, dans l'édition de 1613: «Après avoir proposé mon dessein à des Marais & autres de la chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation avec le reste de nos gens, soubs l'esperance qu'en brief, avec la grâce de Dieu, je les reverrois.»] Aussi tost je fus parler aux Capitaines des Sauvages & leur donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce que j'avois veu au sault, sçavoir, qu'il estoit hors nostre puissance d'y pouvoir passer avec la chaloupe, toutesfois que cela ne m'empescheroit de les assister comme je leur avois promis. Ceste nouvelle les attrista fort, & voulurent prendre une autre revolution: mais je leur dis, & les y sollicitay, qu'ils eussent à continuer leur premier dessein, & que moy troisiesme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs canaux, pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois 155/811 manquer de parole en leur endroit, bien que je fusse seul, & que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy. Ils furent fort contents de ce que je leur dis & d'entendre la resolution que j'avois, me promettant toujours de me faire voir choses belles. _Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer les Hiroquois._ CHAPITRE IX. Je partis dudit Sault de la riviere des Hiroquois le 2. Juillet[256]. Tous les Sauvages commencèrent à apporter leurs canaux, armes & bagage par terre environ demie lieue, pour passer l'impetuosité & la force du sault, ce qui fut promptement fait. [Note 256: Probablement le 12 juillet. (Voir 1613, p. 184, note 1.)] Aussi tost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun, avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque canot par terre environ 1 lieue 1/2 que peut contenir ledit sault, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus large de trois à quatre cents pas. Après que nous eusmes passé le sault, qui ne fut sans peine, tous les Sauvages qui estoient allez par terre, par un chemin assez beau & pays 156/812 uny, bien qu'il y aye quantité de bois, se rembarquèrent dans leurs canaux. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau, dedans un canau. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se trouva 24 canaux, où il y avoit 60 hommes. Après avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques à une isle[257] qui tient trois lieues de long, remplie des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse, & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre le repos la nuict ensuivant. [Note 257: L'ile Sainte-Thérèse.] Incontinent un chacun d'eux commença l'un à couper du bois, les autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs cabanes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de gros arbres pour se barricader sur le bord de la riviere autour de leurs cabanes; ce qu'ils sçavent si proprement faire, qu'en moins de deux heures cinq cents de leurs ennemis auroient bien de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup mourir. Il ne barricadent point le costé de la riviere où sont leurs canaux arrangez, pour s'embarquer si l'occasion le requeroit. Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canaux avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils n'apperceuront rien, qui après se retirent. Toute la nuict ils se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est une tres-mauvaise coustume en eux: car quelquefois ils sont 157/813 surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour se défendre. Recognoissant cela, je leur remonstrois la faute qu'ils faisoient, & qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient veu faire toutes les nuicts, & avoir des hommes aux aguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien; & ne point vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la chasse; d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros, qui sont tousjours sur leurs armes: & l'autre partie en avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines marques que les Chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner d'allarme ny de détordre, mais sur la retraite & du costé qu'ils n'appréhendent leurs ennemis, & continuent ainsi jusques à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs ennemis, qu'ils vont de nuict à la desrobée, tous en corps, horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, où ils répètent, sans s'esgarer ny mener bruit, ni faire aucun feu, afin de n'estre apperceus, si par fortune leurs 158/814 ennemis passoient, ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps. Ils ne font du feu que pour petuner; & mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessité, & quand ils sont proches de leurs ennemis, où quand ils font retraitte après leurs charges, ils ne s'amusent à chasser, se retirant promptement. A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois, ou Ostemouy[258], qui sont manières de gens qui font les devins, en qui ces peuples ont croyance, lequel fait une cabanne entourée de petits bois, & la couvre de sa robbe. Après qu'elle est faite, il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon, puis Comme ce prend un des piliers de sa cabanne, & la fait bransler, marmotant certaines paroles entre ses dents, par lesquelles il dit qu'il invoque le diable, & qu'il s'apparoist à luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable; puis aussi tost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il soit nud. Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des singes. Ils me disoient souvent que le branslement que je voyois de la cabanne, estoit le diable qui la faisoit mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car c'estoit (comme j'ay dit cy-dessus) le Pilotois 159/815 qui prenoit un des bâtons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut, ce que je ne veis point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse & claire, parlant en langage incogneu aux autres Sauvages, & quand ils la representent cassée, ils croyent que c'est le diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent. Neantmoins tous ces garnimens que font les devins, de cent paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer quelque denrée du peuple. Je leur remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy. [Note 258: L'édition de 1613 porte: «Ostemoy.» Ce mot, que Lescarbot écrit _Aoutmoin_, était employé par les Souriquois; le mot pilotais paraît être d'origine basque. (Voir 1613, p. 187, note 1.)] Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qui leur doit succeder, les Chefs prennent des bâtons de la longueur d'un pied autant en nombre qu'ils sont, & signalent par d'autres un peu plus grands, leurs Chefs: puis vont dans le bois, & esplanadent une place de cinq ou six pieds en quarré, où le chef, comme Sergent major, met par ordre tous ces bâtons comme bon luy semble, puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces Sauvages regardent attentivement, remarquans la figure que leur chef a faite avec ces bâtons, & aprés se retirent de là, & commencent à se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdits bâtons, puis se meslent les uns parmy les autres, & retournent derechef en leur ordre, continu ans deux ou trois fois, & font 160/816 ainsi à tous leurs logemens, sans qu'il soit besoin de Sergent pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien garder, sans se mettre en confusion. Voila la règle qu'ils tiennent à leur guerre. Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de belles isles, qui sont basses, remplies de très-beaux bois & prairies, où il y a quantité de gibbier, & chasse d'animaux, comme cerfs, daims, faons, chevreuls, ours, & autres sortes d'animaux qui viennent de la grand'terre ausdites isles. Nous y en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de castors tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns Sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le sujet de leurs guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au profond des terres; afin de n'estre si tost surpris. Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estendue, comme de 50 ou 60 lieues[259], où j'y veis 4 belles isles[260], contenans 10, 12 & 15 lieues de long, qui autrefois ont esté habitées par les Sauvages, comme aussi la riviere des Hiroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu guerre les uns contre les autres: aussi y a-il plusieurs rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de nombre de beaux arbres, de mesmes especes que nous avons en France, avec force vignes, plus belles qu'en aucun lieu que 161/817 j'eusse veu: force chastaigniers, & n'en avois encores point veu que dessus le bord de ce lac, où il y a grande abondance de poisson de plusieurs especes. Entre autres y en a un, appellé des Sauvages du pays _chaoufarou_[261], qui est de plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, à ce que m'ont dit ces peuples, huict à dix pieds. J'en ay veu qui en contenoient 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux poings, avec un bec de deux pieds & demy de long, & a double rang de dents fort aiguës & dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet, mais il est armé d'escailles si fortes, qu'un coup de poignard ne les sçauroit percer, & est de couleur de gris argenté. Il a aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce poisson fait la guerre à tous les autres qui sont dans ces lacs & rivieres, & a une industrie merveilleuse, à ce que m'ont asseuré ces peuples, qui est, que quand il veut prendre quelques oiseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de façon que lors que les oiseaux viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire par les pieds souz l'eau. Les Sauvages m'en donnèrent une teste, dont ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal à la teste, ils se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur, qui se passe soudain. [Note 259: L'auteur, en 1632, avait acquis des idées plus exactes sur l'étendue du lac Champlain, qu'il n'en avait lors de sa première expédition. Aussi, au lieu de «80 ou 100 lieues,» comme il avait dit en 1613, il ne met ici que «50 ou 60»: ce qui cependant est encore un peu trop fort, car le lac Champlain n'a que trente et quelques lieues de long.] [Note 260: Voir 1613, p. 189, note 2.] [Note 261: Voir 1613, p. 190, note 1.] Continuant nostre routte dans ce lac du costé de l'Occident, 162/818 considerant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la nege. Je m'enquis aux Sauvages si ces lieux estoient habitez: ils me respondirent qu'ouy, & que c'estoient Hiroquois[262], & qu'en ces lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en bleds, comme j'en ay mangé aud. pays, avec infinité d'autres fruicts; & que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre esloignées de nous, à mon jugement, de 15 lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les premières, horsmis qu'il n'y avoit point de nege. Les Sauvages me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver leurs ennemis, & qu'elles estoient for peuplées, & qu'il falloit passer par un sault d'eau que je veis depuis, & de là entrer dans un autre lac[263] qui contient trois à quatre lieues de long, & qu'estans parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire 4 lieues[264] de chemin par terre, & passer une riviere, qui va tomber en la coste des Almouchiquois, tenant à celle des Almouchiquois[265], & qu'ils n'estoient que deux jours à y aller avec leurs canaux, comme je l'ay sceu depuis par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort particulièrement de tout ce qu'ils en avoient recogneu, par le moyen de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient la langue des Hiroquois[266]. [Note 262: Voir 1613, p. 191, note 1.] [Note 263: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George, qui a une dizaine de lieues de long. C'est aussi la longueur que lui donne Champlain, en 1613.] [Note 264: L'édition de 1613 porte: «quelques deux lieues.»] [Note 265: En comparant ce passage avec le texte de 1613, qui lui-même est fautif en cet endroit, on peut juger que l'auteur a voulu mettre: «passer une rivière (l'Hudson), qui va tomber en la côte des Almouchiquois, tenant à celle de Norembègue.»] [Note 266: L'auteur s'exprimait ainsi dès 1613.] 163/819 Or comme nous commençasmes à approcher à deux ou trois journées de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la nuict, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient tousjours de faire leurs superstitions accoustumées, pour sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises, & souvent me venoient demander si j'avois songé, & avois veu leurs ennemis. Je leur respondois que non, & leur donnois courage, & bonne esperance. La nuict venue, nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, où nous nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou onze heures, après m'estre quelque peu proumené autour de nostre logement, je me fus reposer, & en dormant, je songeay que je voyois les Hiroquois nos ennemis dedans le lac, proche d'une montagne, qui se noyoient à nostre veue; & les voulant secourir, nos Sauvages alliez me disoient qu'il les falloit tous laisser mourir, & qu'ils ne valloient rien. Estant esveillé, ils ne faillirent comme à l'accoustumée, de me demander si j'avois songé quelque chose. Je leur dis en effect ce que j'avois songé. Cela leur apporta une telle croyance, qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir pour leur bien. Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canaux pour continuer nostre chemin: & comme nous allions fort doucement, & sans mener bruit, le vingt-neufiesme du mois[267] nous fismes 164/820 rencontre des Hiroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap[268] qui advance dans le lac du costé de l'Occident, lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau, & les Hiroquois mirent pied à terre, & arrangèrent tous leurs canaux les uns contre les autres, & commencerent à abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils gaignent quelquefois à la guerre, & d'autres de pierre, & se barricadèrent fort bien. [Note 267: Le 29 juillet 1609.] [Note 268: Probablement la pointe Saint-Frédéric _(Crown Point)_.] Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez les uns contre les autres attachez à des perches pour ne s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin; & estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de leurs barricades. Comme ils furent armez & mis en ordre, ils envoyerent deux canaux separez de la troupe, pour sçavoir de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accordé par les nostres; & en attendant toute la nuict se passa en dances & chansons, tant d'un costé que d'autre, avec une infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage qu'ils avoient, avec le peu d'effect & resistance contre leurs armes, & que le jour venant, ils le sentiroient à leur ruine. Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils verroient des effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; & 165/821 tout plein d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege de ville. Après avoir bien chanté, dancé & parlementé les uns aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent, preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans toutesfois separez, chacun en un des canaux des Sauvages montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous prismes chacun une harquebuse, & descendismes à terre. Je vey sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200 hommes fort & robustes à les voir, qui venoient au petit pas au devant de nous, avec une gravité & asseurance, qui me contenta fort, à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient trois grands pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes qui estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement nous les desferions tous, mais qu'il n'y avoit remède: que j'estois tres-aise de leur donner courage, & leur monstrer la bonne volonté qui estoit en moy, quand serions au combat. Aussi tost que fusmes à terre ils commencèrent à courir environ deux cents pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, & n'avoient encores apperceu mes compagnons, qui s'en allèrent 166/822 dans les bois avec quelques Sauvages. Les nostres commencerent à m'appeller à grands cris; & pour me donner passage ils s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant environ 20 pas devant, jusqu'à ce que je fusse à 30 pas des ennemis, où aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je couchay mon harquebuse en joue, & visay droit à un des trois chefs, duquel coup il en tomba deux par terre, & un de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en mourut. J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse. Les nostres ayans veu ce coup si favorable pour eux, ils commencèrent à jetter de si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Hiroquois furent fort estonnez, que si promptement deux hommes avoient esté tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de cotton, & de bois, à l'espreuve de leurs flesches; ce qui leur donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyans leurs chefs morts, qu'ils perdirent courage, se mirent en fuitte, & abandonnèrent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où les poursuivant, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos Sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en prindrent dix ou douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en eut des nostres quinze ou seize de blessez de coups de flesches, qui furent promptement guéris. Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre 167/823 force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & aussi leurs armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Et ayans fait bonne chère, dancé & chanté, trois heures après nous en retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques minutes de latitude, & je nommay le lac de Champlain. _Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin._ CHAPITRE X. Aprés avoir cheminé huict lieues, sur le soir ils prindrent un des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez que luy & les tiens avoient exercées en leur endroit, sans avoir eu aucun égard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en recevoir autant, & luy commandèrent de chanter, s'il avoit du courage; ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à ouir. Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien embrazé, ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de tourmens. Ils le laissoient quelquefois, luy jettant de l'eau sur le dos, puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du feu sur les extremitez des doigts, & de son membre. Après ils luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras prés des poignets, & avec des bâtons tiroient les nerfs, & les arrachoient à force: & comme ils voyoient qu'ils ne les 168/824 pouvoient r'avoir, ils les coupoient. Ce pauvre miserable jettoit des cris estranges, & me faisoit pitié de le voir traitter de la façon; toutesfois il estoit si constant, qu'on eust dit qu'il ne sentoit par fois aucune douleur. Ils me sollicitoient fort de prendre du feu, pour faire comme eux: mais je leur remonstrois que nous n'usions point de ces cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que s'ils vouloient que je luy donnasse un coup d'harquebuze, j'en serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils veirent que je n'en estois content, ils m'appellerent, & me dirent que je luy donnasse un coup d'harquebuse: ce que je fis, sans qu'il en veist rien. Après qu'il fut mort, ils ne se contentèrent pas: car ils luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles dedans le lac, puis luy coupèrent la teste, les bras, & les jambes, qu'ils separerent d'un costé & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils avoient escorchée, comme ils avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez à la charge. Ils firent encores une autre meschanceté, qui fut, de prendre le coeur, qu'ils coupèrent en plusieurs pieces & le donnerent à manger à un sien frere, & autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels en mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent avaler. Quelques Sauvages Algoumequins qui les avoient en garde, le firent recracher à aucuns, & le jetterent dans l'eau. Voila comme ces peuples traittent ceux qu'ils 169/825 prennent en guerre, & vaudroit mieux pour eux mourir en combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers, qui alloient toujours chantans, sans autre esperance d'estre mieux traittez que l'autre. Estans aux sauts de la riviere des Hiroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur pays, & aussi les Ochatequins[269], avec une partie des prisonniers, fort contents de ce qui s'estoit passe en la guerre, & de ce que librement j'estois allé avec eux. Nous nous departismes donc les uns des autres avec de grandes protestations d'amitié, & me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays, pour les assister tousjours comme frere: je le leur promis, & m'en revins avec les Montagnets. [Note 269: Ochateguins; c'étaient des hurons, dont le chef s'appelait Ochateguin.] Après m'estre informé des prisonniers de leurs païs, & de ce qu'il pouvoit y en avoir, nous ployasmes bagage pour nous en revenir: ce que fismes avec telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs canaux, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes à l'entrée de la riviere des Hiroquois, il y eut quelques Sauvages qui songèrent que leurs ennemis les poursuivoient. Ce songe leur fit aussi tost lever le siege, encores que ceste nuict fust fort mauvaise, à cause des vents & de la pluye qu'il faisoit, & furent passer la nuict dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac Sainct Pierre, jusqu'au lendemain. Deux tours après arrivasmes à nostre 170/826 habitation, où je leur fis donner du pain, des pois, & des patenostres, qu'ils me demanderent pour parer la teste de leurs ennemis, pour faire des resjouissances à leur arrivée. Le lendemain je fus avec eux dans leurs canaux à Tadoussac, pour voir leurs cérémonies. Approchans de la terre, ils prindrent chacun un bâton, où au bout estoient pendues les testes de leurs ennemis, avec ces patenostres, chantans les uns & les autres. Comme ils en furent prés, les femmes se despouillerent toutes nues, & se jetterent en l'eau, allans au devant des canaux pour prendre ces testes, pour après les pendre à leur col, comme une chaisne precieuse. Quelques tours après ils me firent present d'une de ces testes, & d'une paire d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, afin de les monstrer au Roy: ce que je leur promis, pour leur faire plaisir[270]. [Note 270: Ici, l'édition de 1613 renferme quelques détails de plus, sur ce qui se passa dans l'automne de 1609 et au printemps de 1610. (Voir 1613, p. 200-211.)] _Desfaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere des Hiroquois._ CHAPITRE XI. L'an 1610[271] estant allé dans une barque & quelques hommes de Québec à l'entrée de la riviere des Hiroquois, attendre 400 Sauvages qui devoient me venir trouver pour les assister en une autre guerre qui se presenta plus proche que nous ne pensions, un Sauvage Algomequin avec son canot vint en diligence advertir 171/827 que les Algoumequins avoient fait rencontre des Hiroquois, qui estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien barricadez, & qu'il seroit mal aisé de les emporter, si les Misthigosches ne venoient promptement, (ainsi nous appellent-ils). [Note 271: Champlain partit de Québec le 14 juin, et arriva le 19, «à une isle devant ladite riviere des Yroquois.» (Voir 1613, p. 210, 211.)] Aussi tost l'allarme commença parmy quelques Sauvages, & chacun se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais avec confusion; car ils se precipitoient si fort, qu'au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre barque, me prians d'aller avec eux dans leurs canaux, & mes compagnons aussi, & me presserent si fort, que je m'y embarquay moy cinquiesme. Je priay la Routte, qui estoit nostre pilote, de demeurer en la barque, & m'envoyer encores 4 ou 5 de mes compagnons. Ayant fait environ demie lieue en traversant la riviere[272], tous les Sauvages mirent pied à terre, & abandonnans leurs canaux prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues, & espées, qu'ils emmanchent au bout de grands bâtons, & commencèrent à prendre leur course dans les bois de telle façon, que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous laisserent 5 que nous estions sans guide: neantmoins nous les suivismes tousjours. Comme nous eusmes cheminé environ demie lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet de piquier, qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantité des mousquites qui estoient si espoisses qu'elles ne nous 172/828 permettoient point presque de reprendre nostre baleine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement, que c'estoit chose estrange, & ne sçavions où nous estions sans deux Sauvages que nous apperceusmes traversans le bois lesquels nous appellasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire où estoient les Hiroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller, & nous esgarerions; ce qu'ils firent. Ayans un peu cheminé, nous apperceusmes un Sauvage qui venoit en diligence nous chercher, pour nous faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu forcer la barricade des Hiroquois, & qu'ils avoient esté repoussez, & les meilleurs hommes des Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez. Qu'ils s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce Sauvage, qui estoit capitaine Algoumequin, que nous entendions les heurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre-disoient des injures, escarmouchans tousjours légèrement en nous attendant. Aussi tost que les Sauvages nous apperceurent, ils commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la barricade des ennemis pour la recognoistre. Elle estoit faite de puissans arbres arrangez les uns sur les autres en rond, qui 173/829 est la forme ordinaire de leurs forteresses[273]. Tous les Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de lad. barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups d'harquebuze à travers les fueillards, d'autant que nous ne les pouvions voir comme eux nous. Je fus blessée en tirant le premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de flesche qui me fendit le bout de l'oreille, & entra dans le col. Je la prins, & l'arrachay: elle estoit ferrée par le bout d'une pierre bien aiguë. Un autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi blessé au bras d'une autre flesche, que je luy arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos Sauvages aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches de part & d'autre menu comme gresle. Les Hiroquois s'estonnoient du bruit de nos harquebuzes, & principalement de ce que les balles perçoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement l'espouvente de l'effect qu'elles faisoient, voyans plusieurs de leurs compagnons tombez morts, & blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups estre sans remède, ils se jettoient par terre quand ils entendoient le bruit, aussi ne tirions nous gueres à faute, & deux ou trois balles à chacun coup, & avions la plus-part du temps nos harquebuzes appuyées sur le bord de leur barricade. Comme je veis que nos munitions commençoient à manquer, je dis à tous les Sauvages qu'il les falloit emporter de force, & rompre leurs barricades, & pour ce faire, prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en 174/830 approcher de si prés, que l'on peust lier de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & à force de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort, & que cependant nous à coups d'harquebuzes repousserions les ennemis qui viendroient se presenter pour ses en empescher, & aussi qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les renverser dessus pour les accabler. Que d'autres couvriroient de leurs rondaches, pour empescher que les ennemis ne les endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on estoit en train de parachever, la barque qui estoit à une lieue & demie de nous, nous entendoient batre par l'écho de nos harquebuzades qui retentissoit jusques à eux, qui fit qu'un jeune homme de Sainct Malo, plein de courage, appellé des Prairies, qui avoit sa barque prés de nous pour la traitte de pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des Sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il avoit trop l'honneur en recommandation, & ne vouloit point qu'on luy peust faire ce reproche: & sur cela délibéra de me venir trouver dans une chaloupe avec quelques siens compagnons, & des miens, qu'il amena avec luy. [Note 272: C'est-à-dire, le fleuve. (Voir 1613, p. 21l et 212, où il y a quelques détails de plus.)] [Note 273: En comparant le dessin que l'auteur nous a conservé de cette bataille de 1610, dans l'édition de 1613, avec les diverses circonstances du récit, on doit conclure que la barricade des Iroquois était à environ une lieue de l'embouchure du Richelieu, et du côté de Contrecoeur, comme l'indique assez la position de la chaloupe du sieur des Prairies; car il est évident qu'elle ne dut pas remonter au-delà de la barricade.] Aussi tost qu'il fust arrivé, il alla vers le fort des Hiroquois, qui estoit sur le bord de la riviere, où il mit pied à terre, & me vint chercher. Comme je le veis, je fis cesser 175/831 nos Sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des Prairies & ses compagnons de taire quelques salves d'harquebuzades, auparavant que nos Sauvages les emportassent de force, comme ils avoient délibéré: ce qu'ils firent, & tirèrent plusieurs coups, où chacun se comporta selon son devoir. Après avoir assez tiré, je m'addresse à nos Sauvages, & les incitay de parachever. Aussi tost s'approchans de ladite barricade, comme ils avoient fait auparavant, & nous à leurs aisles, pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la rompre, ils se comportèrent si bien & si vertueusement, qu'à la faveur de nos harquebuzades ils y firent ouverture, neantmoins difficile à passer, car il y avoit encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: toutesfois quand je veis l'entrée assez raisonnable, je dis qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait. Au mesme instant vingt ou trente, tant des Sauvages, que de nous autres, entrasmes dedans l'espée à la main, sans trouver gueres de resistance. Aussi tost ce qui restoit sain commença à prendre la fuitte, mais ils n'alloient pas loin, car ils estoient défaits par ceux qui estoient à l'entour de ladite barricade, & ceux qui eschaperent se noyèrent dans la riviere. Nous prismes 15 prisonniers, & le reste fut tué à coups d'harquebuzes, de flesches, & d'espées. Quand ce fut fait, il vint une autre chaloupe, & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop tard, toutesfois assez à temps pour la despouille du butin, qui n'estoit pas grand'chose: car il n'y 176/832 avoit que des robbes de castor, des morts pleins de sang, que les Sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la dernière chaloupe. Ayans obtenu la victoire, par la grâce de Dieu, ils nous donnèrent beaucoup de louange. Ces Sauvages escorcherent les testes de leurs ennemis morts, ainsi qu'ils ont accoustumé de faire pour trophée de leur victoire, & les emportèrent. Ils s'en retournèrent avec 50 blessez des leurs, & 3 morts desdits Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers avec eux. Ils pendirent ces testes à des bâtons devant leurs canaux, & un corps mort coupé par quartiers, pour le manger par vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste façon jusques où estoient nos barques, au devant de ladite riviere des Hiroquois. Mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chaloupe, où je me fis penser de ma blesseure. Je demanday aux Sauvages un prisonnier Hiroquois, lequel ils me donnèrent. Je le delivray de plusieurs tourments qu'il eust soufferts, comme ils firent à ses compagnons, ausquels ils arrachèrent les ongles, puis leur coupèrent les doigts, & les bruslerent en plusieurs endroits. Cedit jour ils en firent mourir trois de la façon. Ils en amenèrent d'autres sur le bord de l'eau, & les attachèrent tous droits à un bâton, puis chacun venant avec u flambeau d'escorce de bouleau, les brusloient tantost sur une partie, tantost sur l'autre; & ces pauvres miserables sentans ce feu, jettoient des cris si hauts, que c'estoit chose estrange à ouir. Après les avoir bien fait languir de la façon, ils prenoient de l'eau, & 177/833 leur versoient sur le corps, pour les faire languir davantage; puis leur remettoient derechef le feu de telle façon, que la peau tomboit de leurs corps, & continuoient avec grands cris & exclamations, dançans jusques à ce que ces pauvres malheureux tombassent morts sur la place. Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frapoient dessus à grands coups de bâton, puis luy coupoient les bras & les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour homme de bien entr'eux, celuy qui ne coupoit un morceau de sa chair, & ne la donnoit aux chiens. Neantmoins ils endurent tous ces tourments si constamment, que ceux qui les voyent en demeurent tout estonnez. Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux Algoumequins, que Montagnets, ils furent conservez pour les faire mourir, par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, & les surpassent encores en cruauté: car par leur subtilité elles inventent des supplices plus cruels, & prennent plaisir de leur faire ainsi finir leur vie. Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet, & un autre Ochategin[274], qui avoient 80 hommes, & estoient bien faschez de ne s'estre trouvez à la défaite. En toutes ces nations il y avoit bien prés de 200 hommes, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations. [Note 274: Ochateguin.] Nous fusmes trois jours ensemble à une isle[275] le travers de 178/834 la riviere des Hiroquois, puis chacune nation s'en retourna en son pays. J'avois un jeune garçon[276], qui avoit hyverné deux ans à Québec, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins, pour apprendre la langue, cognoistre leur pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, & quels peuples y habitent: ensemble descouvrir les mines, & choses plus rares de ces lieux, afin qu'à son retour il nous peust donner cognoissance de toutes ces choses. Je luy demanday s'il l'avoit agréable, car de l'y forcer capitaine ce n'estoit ma volonté. Je fus trouver le Capitaine Yroquet, qui m'estoit fort affectionné, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune garçon avec luy en son pays pour y hyverner, & le ramener au printemps. Il me promit le faire, & le tenir comme son fils. Il le dit aux Algoumequins, qui n'en furent pas trop contents, pour la crainte qu'il ne luy arrivast quelque accident[277]. [Note 275: Vraisemblablement l'île de Saint-Ignace. (Voir 1613, p. 219, note 1.)] [Note 276: Ce jeune garçon était, ce semble, Étienne Brûlé; car on lit, dans l'édition de 1619: «Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne Brûlé, l'un de nos truchemens, qui s'estoit adonné avec eux depuis 8 ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur langue & façon de vivre»... (1619, p. 133.)] [Note 277: L'édition de 1613 renferme ici quelques détails de plus sur cet échange d'un jeune français, que nous croyons être Étienne Brûlé, pour un jeune sauvage, (p. 220, 221, 222.)] Leur ayant remonstré le desir que j'en avois, ils me dirent: Que puis que j'avois ce desir, qu'ils l'emmeneroient, & le tiendroient comme leur enfant; m'obligeant aussi de prendre un jeune homme[278] en sa place, pour mener en France, afin de leur rapporter ce qu'il y auroit veu. Je l'acceptay volontiers, & en fut fort aise. Il estoit de la nation des Ochateguins dits Hurons[279]. Cela donna plus de sujet de mieux traitter mon 179/835 garçon, lequel j'equipay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin. [Note 278: Savignon, dont il est parlé en plusieurs endroits de l'édition 1613, et surtout dans, le Troisième Voyage.] [Note 279: Voir ci-dessus, p. 144.] Quelques jours après ce prisonnier Hiroquois que je faisois garder, par la trop grande liberté que je luy donnois, s'enfuit & se sauva, pour la crainte & appréhension qu'il avoit, nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa nation, que nous avions en nostre habitation[280]. [Note 280: Dans l'édition de 1613, on trouve, à la fin de ce chapitre, plusieurs autres détails importants sur ce qui se passa jusqu'au retour des vaisseaux en 1610, et l'on y voit en même temps pourquoi l'auteur place ici la description de la pêche à la baleine, qui occupe le chapitre suivant. (Voir 1613, p. 222-226.)] _Description de la pesche des Baleines en la nouvelle France._ CHAPITRE XII. Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite description de la pesche des Baleines que plusieurs n'ont veue & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant qu'il y a de si impudents menteurs qui l'afferment à ceux qui n'en sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinément sur ces faux rapports. Ceux donc qui sont plus adroits à ceste pesche sont les Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un port de seureté, où proche de là ils jugent y avoir quantité de Baleines, & équipent plusieurs chaloupes garnies de bons hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longueur pour le moins cent cinquante brasses, & ont force pertuisanes longues de 180/836 demie pique, qui ont le fer large de six poulces, d'autres d'un pied & demy, & deux de long, bien trenchantes. Ils ont en chacune chaloupe un harponneur, qui est un homme des plus dispos & adroits d'entre eux, aussi tire-t'il les plus grands salaires après les maistres, d'autant que c'est l'office le plus hazardeux. Ladite chaloupe estant hors du port, ils regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque baleine allant à la borde d'un costé & d'autre; & ne voyans rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire le plus haut qu'ils trouvent, pour descouvrir de plus loing, où ils mettent un homme en sentinelle, qui appercevant la baleine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle jette par les évans, qui est plus d'un poinçon à la fois, & de la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huile. Il y en a telle d'où l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons, d'autres moins. Or voyans cet espouventable poisson, ils s'embarquent promptement dans leurs chaloupes, & à force de rames, ou de vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la chaloupe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds & demy de large par les orillons, emmanché en un baston de la longueur d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où s'attache la haussiere; & aussi tost que le dit harponneur voit son temps, il jette son harpon sur la baleine, lequel entre fort avant, & incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au 181/837 fonds de l'eau. Et si d'avanture en se retournant quelquefois, avec sa queue elle rencontre la chaloupe, ou les hommes, elle les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant. Mais aussi tost qu'ils ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere, jusques à ce que la baleine soit au fonds: & quelquefois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la chaloupe plus de huict ou neuf lieues, & va aussi viste qu'un cheval, & sont le plus souvent contraints de couper leur haussiere, craignant que la baleine ne les attire souz l'eau. Mais aussi quand elle va tout droit au fonds, elle y repose quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau, & à mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu à peu, & puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois chaloupes autour avec leurs pertuisanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups; & se sentant frapée, elle descend derechef souz l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle façon, qu'elle n'a plus de force ny de vigueur, & revenant sur l'eau, ils achevent de la tuer. Quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de l'eau: & lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la traînent à terre, au lieu où ils font leur degrat, qui est l'endroit où ils font fondre le lard de ladite baleine, pour en avoir l'huile. Voila la façon comme elles se peschent, & non à coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy-dessus[281]. [Note 281: À la suite de cette description, se trouvent, dans l'édition de 1613, les détails du retour en France et des dangers que courut l'auteur en revenant en Canada le printemps suivant. (Voir 1613, p. 229-242.)] 182/838 _Partement de l'Autheur de Quebec: du Mont Royal, ses rochers. Isles ou se trouve la terre à potier. Isle de Saincte Hélène_[282]. [Note 282: Il nous paraît évident que le titre de ce chapitre n'a pas été fait par l'auteur lui-même. D'abord, cette expression du Mont Royal, pour désigner autre chose que la Montagne, n'est pas ordinaire à Champlain, qui, dans ce chapitre-ci même, se sert encore des noms saut Saint-Louis, ou Grand-Saut, et fait la remarque que ces rochers et basses sont à une lieue du Mont Royal. En second lieu, Champlain n'aurait pas de lui-même fait usage de ces mots Isles ou se trouve la terre à potier; puisque, dans le texte, il donne à entendre que cette terre à potier se trouvait dans les prairies voisines. «Il y a aussi, dit-il, quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier.» Or il est clair que le petit Islet, qui avait à peine «cent pas de long,» ne pouvait contenir quantité de prairies. (Voir ci-après, p. 184.)] CHAPITRE XIII. L'an 1611, je remenay mon Sauvage à ceux de sa nation, qui devoient venir au grand Sault Sainct Louys, & retirer mon serviteur qu'ils avoient pour ostage. Je partis de Québec le 20 [283] de May, & arrivay audit grand sault le 28, où je ne trouvay aucun des Sauvages, qui m'avoient promis d'y estre au 20 dudit mois. Aussi tost je fus dans un meschant canot avec le Sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens. Après avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois, que le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation d'une habitation, & y préparer une place pour y bastir, je cheminay 8 lieues par terre costoyant le grand sault par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques à un lac[284], où nostre Sauvage me mena, où je consideray fort particulièrement le pays. Mais en tout ce que je veis, je ne trouvay point de 183/839 lieu plus propre qu'un petit endroit[285], qui est jusques où les barques & chaloupes peuvent monter aisément, neantmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la Place royale) à une lieue du Mont royal, y a quantité de petits rochers & bases, qui sont fort dangereuses. Et proche de ladite Place Royale y a une petite riviere[286], qui va assez avant dans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpents de terre desertées qui sont comme prairies, où l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autrefois des Sauvages y ont labouré, mais ils les ont quittées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande quantité d'autres belles prairies, pour nourrir tel nombre de bestail que l'on voudra, & de toutes les sortes de bois qu'avons en nos forests de pardeça, avec quantité de vignes, noyers, prunes, cerises, fraises, & autres sortes qui sont très-bonnes à manger; entre autres une qui est fort excellente, qui a le goust sucrain, tirant à celuy des plantaines (qui est un fruict des Indes) & est aussi blanche que nege, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux de différentes especes, & celle des cerfs, daims, chevreuls, caribous, lapins, loups cerviers, ours, castors, & autres petites bestes qui y 184/840 sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit sault, nous n'en manquasmes aucunement. [Note 283: On voit, par l'édition de 1613, que Champlain arrêta à Québec le 21, pour étancher sa barque, et qu'il en repartit le même jour. (1613, p. 241, 242.)] [Note 284: Probablement celui des Deux-Montagnes.] [Note 285: C'est l'endroit même où se fixèrent, en 1642, les premiers habitants de Montréal, près de ce qu'on a appelé depuis Pointe-à-Callières, ou Pointe-Callières.] [Note 286: La petite rivière Saint-Pierre.] Ayant donc recogneu fort particulièrement, & trouvé ce lieu un des plus beaux qui fust en ceste riviere, je fis aussi tost couper & défricher le bois de ladite place Royale, pour la rendre unie, & preste à y bastir, & peut-on faire passer l'eau autour aisément, & en faire une petite isle, & s'y establir comme l'on voudra. Il y a un petit islet[287] à 20 toises de ladite Place royale, qui a environ cent pas de long, où l'on peut faire une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier, tant pour brique, que pour bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une partie[288], & y fis une muraille de quatre pieds d'espoisseur, & 3 à 4 de haut, & 10 toises de long, pour voir comme elle se conserveroit durant l'hyver quand les eaux descendroient, qui à mon opinion ne sçauroit[289] parvenir jusques à ladite muraille, d'autant que le terroir est de 12 pieds eslevé dessus ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle d'environ trois quarts de lieue de circuit, capable d'y bastir une bonne & forte ville, & l'ay nommée l'isle de Saincte 185/841 Heleine[290]. Ce sault descend en manière de lac, où il y a deux ou trois isles, & de belles prairies. [Note 287: Ce petit îlet, dans la carte du _grand sault Saint-Louis_, est indiqué par la lettre C, et l'auteur ajoute, au bas: «où je fis faire une muraille de pierre.»] [Note 288: Ces mots «J'en fis accommoder une partie,» ont été remplacés, dans l'édition de 1640, par ceux-ci: «J'en fis faire un bon essay.» Comme il est très-probable que cette correction n'est pas de Champlain, il est permis de douter qu'elle ait été faite à propos: car elle change le sens d'une phrase qui, suivant nous, est parfaitement intelligible, «J'en fis accommoder une partie,» c'est-à-dire, je fis accommoder, ou préparer une partie de l'îlet, «& y fis une muraille,» etc.] [Note 289: L'édition de 1640 remplace ce mot par «pouvoit.»] [Note 290: Voir 1613, p. 245, note 1.--_Hist. de la Colonie française en Canada_, I, p. 129, 130.] En attendant les Sauvages je fis faire deux jardins, l'un dans les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le deuxiesme jour de juin l'y semay quelques graines, qui sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui demonstre la bonté de la terre. Je me resolus d'envoyer Savignon nostre Sauvage avec un autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire haster de venir & se deliberent[291] d'aller dans nostre canot, qu'ils doutoient, d'autant qu'il ne valloit pas beaucoup. [Note 291: L'édition de 1640 porte: «delibererent.»] Le 7e jour[292] je fus recognoistre une petite riviere[293] par où vont quelquefois les Sauvages à la guerre, qui se va rendre au sault de la riviere des Hiroquois: elle est fort plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force terres, qui se peuvent labourer. Elle est à une lieue du grand sault, & lieue & demie de la Place Royale. [Note 292: Le 7 juin.] [Note 293: La rivière Saint-Lambert. Les prairies dont parle ici Champlain, nous font connaître l'origine du nom de Laprairie, où passe cette rivière.] Le 9e jour nostre Sauvage arriva, qui fut quelque peu pardelà le lac [294], qui a environ dix lieues de long, lequel j'avois veu auparavant, où il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne peurent passer plus loin à cause de leurd. canot qui leur manqua, & furent contraints de s'en revenir. Ils nous rapportèrent que passant le sault ils veirent une isle où il y 186/842 avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout couvert. Il y eut un jeune homme[295] appellé Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel entendans cela voulut y aller contenter sa curiosité, & pria fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le Sauvage luy accorda, avec un Capitaine Sauvage Montagnet, fort gentil personnage, appelle Outetoucos. Dés le matin ledit Louys fut appeller les deux Sauvages, pour s'en aller à ladite isle des Hérons. Ils s'embarquèrent dans un canot, & y furent. Ceste isle est au milieu du sault[296], où ils prirent telle quantité de heronneaux, & autres oiseaux qu'ils voulurent, & se r'embarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de l'autre Sauvage, & de l'instance qu'il peut faire, voulut passer par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de trois pieds de haut, disant que d'autres fois il y avoit passé, ce qui estoit faux. Il fut long temps à débattre contre nostre Sauvage, qui le voulut mener du costé du sud le long de la grand terre, par où le plus souvent ils ont accoustumé de passer: ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit point de danger. Comme nostre Sauvage le veit opiniastre, il condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins on deschargeast le canot d'une partie des oiseaux qui estoient dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils voyoient qu'il y eust du péril pour eux. Ils se laisserent donc tomber dans le courant. [Note 294: Le lac des Deux-Montagnes a environ dix lieues dans sa plus grande longueur, et c'est là que Champlain s'était rendu quelques jours auparavant. (Voir ci-dessus, p. 182.)] [Note 295: «Qui estoit au sieur de Mons.» (Édit. 1613.)] [Note 296: Voir 1613, p. 246, note 3.] 187/843 Comme ils furent dans la cheutte du sault, ils en voulurent sortir, & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps, car la vistesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussi tost dans les bouillons du sault, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas, & ne l'abandonnèrent de long temps. En fin la roideur de l'eau les lassa de telle façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit aucunement nager, perdit tout jugement, & le canot estant au fonds de l'eau, il fut contraint de l'abandonner; & revenant au haut, les deux autres qui le tenoient tousjours ne veirent plus nostre Louys, & ainsi mourut miserablement[297]. [Note 297: Voir 1613, p. 247, note 2.] Estans sortis hors dudit sault, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager, abandonna le canot, pour gaigner la terre, si que l'eau y courant de grande vistesse, il se noya: car il estoit si fatigué & rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver. Nostre Sauvage Savignon mieux advisé, tint tousjours fermement le canot, jusques à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant de l'eau l'avoit porté, & sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eust eue, qu'il vint tout doucement à terre, où estant arrivé il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehension qu'on ne se vengeast sur luy, comme ils font entr'eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous apportèrent du desplaisir. 188/844 Le lendemain[298] je fus dans un autre canot audict sault avec le Sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils s'estoient perdus, & aussi si nous trouverions les corps. Je vous asseure que quand il me monstra le lieu, les cheveux me herisserent en la teste, & m'estonnois comme les defuncts avoient esté si hardis & hors de jugement de passer en un endroit si effroyable, pouvans aller ailleurs: car il est impossible d'y passer, pour avoir sept à huict cheuttes d'eau, qui descendent de degré en degré, le moindre de trois pieds de haut, où il se faisoit un frein & bouillonnement estrange, & une partie dudit sault estoit toute blanche d'escume, avec un bruit si grand, que l'on eust dit que c'estoit un tonnerre, comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Aprés avoir veu & consideré particulièrement ce lieu, & cherché le long du rivage lesdits corps, cependant qu'une chaloupe assez légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes sans rien trouver. [Note 298: Vraisemblablement, le 11 juin.] _Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit baillé & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de France. Plusieurs discours de part & d'autre. CHAPITRE XIIII Le 13e jour dudit mois[299], deux cents Sauvages Hurons[300], 189/845 avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet, & Tregouaroti[301], frère de nostre Sauvage, amenèrent mon garçon. Nous fusmes fort contents de les voir, & fus au devant d'eux avec un canot, & nostre Sauvage. Cependant qu'ils approchoient doucement en ordre, les nostres s'appareillèrent de leur faire une escopeterie d'harquebuzes & mousquets, & quelques petites pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où ils nous louoient fort, & nous tenant pou véritables, de ce que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les venir trouver audit sault. Après avoir fait trois autres cris, l'escopeterie tira par deux fois, qui les estonna de telle façon, qu'ils me prièrent de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus grand'part qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la façon, & craignoient qu'il ne leur fist mal, & furent fort contents de voir nostredict Sauvage sain, qu'ils pensoient estre mort, sur des rapports que leur avoient faits quelques Algoumequins, qui l'avoient ouy dire à des Sauvages Montagnets. Le Sauvage se loua grandement du bon traittement que je luy avois fait en France, & des singularitez qu'il y avoit veues, dont ils entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le bois assez légèrement, attendant le lendemain que je leur monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logeassent. Aussi je veis mon garçon qui estoit habillé à la Sauvage, qui se loua aussi[302] du bon traittement des Sauvages, selon leur pays, & me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son hyvernement, & ce qu'il avoit appris avec eux. [Note 299: Le 13 de juin.] [Note 300: Comparez 1613, p. 249.] [Note 301: Tregouaroti était huron, puisque Savignon, son frère, était de la nation huronne, comme il est dit plus haut. Mais Iroquet était algonquin.] [Note 302: L'édition de 1640 remplace _aussi_ par _bien_.] 190/846 Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner, où les anciens & principaux deviserent fort ensemble. Et aprés avoir esté un long temps en cet estat, ils me virent appeller seul avec mon garçon, qui avoit fort bien appris leur langue[303], & luy dirent qu'ils desiroient contracter une estroitte amitié avec moy, veu les courtoisies que je leur avois faites par le passé, en se louant tousjours du traittement que j'avois fait à nostre Sauvage, comme à mon frère, & que cela les obligeoit tellement à me vouloir du bien, que tout ce que je desirerois d'eux, ils essayeroient à me satisfaire. Après plusieurs discours, ils me firent un prêtent de 100 cators. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de marchandises, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 Sauvages qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardez, fut un prisonnier Hiroquois qui estoit à moy, qui s'estoit eschapé, & s'en estoit retourné en son pays. Qu'il avoit donné à entendre que je luy avois donné liberté, & des marchandises, & que je devois aller audit sault avec 600 Hiroquois attendre les Algoumequins, & les tuer tous. Que la crainte de ces nouvelles les avoit arrestez, & que sans cela ils fussent venus. Je leur fis response, que le prisonnier s'estoit desrobé sans que je luy eusse donné congé, & que nostredit Sauvage sçavoit bien de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y avoit aucune apparence de laisser leur amitié, comme ils avoient ouy dire, ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon 191/847 garçon en leur pays, pour entretenir leur amitié, & que la promesse que je leur avois si fidèlement tenue, le confirmoit encores. Ils me respondirent, Que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pensé, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient esloignez de la vérité; & que s'ils eussent creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de François, que mon garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cents Algoumequins dans cinq ou six tours, si on les vouloit attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les Hiroquoits, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire. Je les entretins fort sur le sujet de la source de la grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, terres, que des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils me dirent aussi que l'hyver précédant il estoit venu quelques Sauvages du costé de la Floride, par derrière le pays des Hiroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec lesd. Sauvages. En fin ils m'en discoururent fort exactement, me demonstrans par figures tous les lieux où ils avoient esté, prenans plaisir à me raconter toutes ces choses; & moy je ne m'ennuyois à les entendre, pour sçavoir d'eux ce dont j'estois en doute. Après tous ces discours finis, je leur dis qu'ils mesnageassent ce peu de commoditez qu'ils avoient, ce qu'ils firent. [Note 303: Cette circonstance vient encore nous confirmer dans l'opinion que ce jeune français était Étienne Brûlé: c'est parce qu'il possédait bien la langue huronne, que l'on continua à l'employer comme interprète pendant un grand nombre d'années.] 192/848 Le lendemain[304] après avoir traicté tout ce qu'ils avoient, qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur logement, du costé du bois, & disoient que c'estoit pour leur seureté, afin d'eviter la surprise de leurs ennemis: ce que nous prismes pour argent comptant. La nuict venue, ils appellerent nostre Sauvage, qui couchoit à ma patache, & mon garçon, qui les furent trouver. Après avoir tenu plusieurs discours, ils me firent aussi appeller environ sur la my-nuict. Estant en leurs cabanes, je les trouvay tous assis en conseil, où ils me firent asseoir prés d'eux, disans que leur coustume estoit que quand ils vouloient proposer quelque chose, ils s'assembloient de nuict, afin de n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais à mon opinion ils me vouloient dire leur volonté en cachette, se fians en moy, comme ils me donnèrent à entendre depuis, me disans qu'ils eussent bien desiré me voir seul. Que quelques-uns d'entr'eux avoient esté battus. Qu'ils me vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayans telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, mais qu'ils se mesfioient fort des autres Sauvages. Que si je retournois, que j'amenasse telle quantité de gens que je voudrois, pourveu qu'ils fussent souz la conduite d'un chef, & qu'ils m'envoyoient quérir, pour m'asseurer d'avantage de leur amitié, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point fasché contre eux. Que sçachans que j'avois pris délibération de voir leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs vies, 193/849 m'assistans d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par tout, & qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils faisoient de nous. Aussi tost ils firent venir 30 castors & 4 carquans de leurs porcelaine (qu'ils estiment entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or). Que ces presens estoient d'autres Capitaines, qui ne m'avoient jamais veu, qui me les envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis: mais que s'il y avoit quelques François qui voulurent aller avec eux, qu'ils en eussent esté fort contents, & plus que jamais, pour entretenir une ferme amitié. [Note 304: Le 15 de juin.] Après plusieurs discours, je leur proposay, Qu'ayans la volonté de me faire voir leur pays, je supplierois sa Majesté de nous assister jusques à 40 ou 50 hommes armez de choses necessaires pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin pour nostre vivre durant ledit voyage. Que je leur apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par où nous passerions, puis nous nous en reviendrions hyverner en nostre habitation. Que si je recognoissois le pays bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations, & que par ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur feroit cognoistre. Ils furent fort contents de ceste proposition, & me prierent d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce qui leur seroit possible pour en venir à bout; & que pour ce qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus 194/850 qu'eux-mesmes: m'asseurans derechef de me faire voir ce que je desirois. Là dessus je pris congé d'eux au poinct du jour en les remerciant de la volonté qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de tousjours continuer. Le lendemain 17e jour dudit mois, ils délibererent s'en retourner, & emmener Savignon, auquel je donnay quelques bagatelles, me faisant entendre qu'il s'en alloit mener une vie bien pénible, au prix de celle qu'il avoit eue en France. Ainsi il se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre deschargé. Deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent. Je m'embarquay, & mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au sault, nous fusmes dans le bois quelques lieues, où ils estoient cabannez sur le bord d'un lac, où j'avois esté auparavant. Comme ils me veirent, ils furent fort contents, & commencerent à s'escrier selon leur coustume, & nostre Sauvage s'en vint au devant de moy me prier d'aller en la cabanne de son frère, où aussi tost il fit mettre de la chair & du poisson sur le feu, pour me festoyer. Durant que je fus là il se fit un festin, où tous les principaux furent invitez, & moy aussi. Et bien que j'eusse desja pris ma refection honnestement, néantmoins pour ne rompre la coustume du pays j'y fus. Après avoir repeu ils s'en allèrent dans les bois tenir leur conseil, & cependant je m'amusay à contempler le païsage de ce lieu, qui est fort agréable. Quelque temps après ils m'envoyerent appeller pour me communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux. 195/851 J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & n'avoir point manqué à ma parole de ce que je leur avois promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit à leur continuer mon amitié, & que devant que partir, ils desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent aller sans me voir encore une fois, croyans qu'autrement je leur eusse voulu du mal[305]. Ils me prièrent encores de leur donner un homme. Je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller, que j'en serois fort content. [Note 305: _Conf._ 1613, p. 257.] Après m'avoir fait entendre leur volonté pour la dernière fois, & moy à eux la mienne, il y eut un Sauvage qui avoit esté prisonnier par trois fois des Hiroquois, & s'estoit sauvé fort heureusement, qui resolut d'aller à la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines me prièrent de l'en destourner si je pouvois, d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageait si avant parmy les ennemis avec si petite troupe, qu'il n'en revinst jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les raisons que je luy peus alléguer, lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses doigts coupez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit la vengeance, & que son coeur luy disoit qu'il falloit qu'il partist au plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit. 196/852 Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre patache. Pour ce faire, ils équipèrent 8 canaux pour passer ledit sault, & se despouillerent tout nuds, & me firent mettre en chemise; car souvent il arrive que d'aucuns se perdent en le passant parquoy se tiennent-ils les uns prés des autres pour se secourir promptement, si quelque canot venoit à se renverser. Ils me disoient: Si par mal-heur le tien venoit à tourner, ne sçachant point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te tiens bien à de petits bâtons qui y sont par le milieu, car nous te sauverons aisément. Je vous asseure que ceux qui n'ont veu ny passé ledit endroit en des petits bateaux comme ils ont, ne le pourroient pas passer sans grande apprehension, mesmes les plus asseurés du monde. Mais ces peuples sont si adroits à passer les sauts, que cela leur est facile. Je le passay avec eux: ce que je n'avois jamais fait, ny aucun Chrestien, horsmis mon garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logeay une bonne partie[30306]. [Note 306: _Conf._ 1613, p. 260.] Il y eut un jeune homme des nostres qui se delibéra d'aller avec les Sauvages qui sont Hurons[307], esloignez du sault d'environ 180 lieues, & fut avec le frère de Savignon[308], qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout ce qu'il pourroit[309]. [Note 307: L'édition de 1613 porte: «Charioquois.»] [Note 308: Tregouaroti.] [Note 309: «Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin.» (1613, p. 260.)] Le lendemain[310] vindrent nombre de Sauvages Algoumequins, qui traitterent ce peu qu'ils avoient, & me firent encores present 197/853 particulièrement de trente castors, dont je les recompensay. Ils me prierent que je continuasse à leur vouloir du bien: ce que je leur promis. Ils me discoururent fort particulièrement sur quelques descouvertures du costé du nort, qui pouvoient apporter de l'utilité. Et sur ce sujet ils me dirent que s'il y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulust aller avec eux, qu'ils luy feroient voir chose qui m'apporteroit du contentement, & qu'ils le traitteroient comme un de leurs enfans. Je leur promis de leur donner un jeune garçon[311], dont ils furent fort contents. Quand il print congé de moy pour aller avec eux, je luy baillay un memoire fort particulier des choses qu'il devoit observer estant parmy eux. [Note 310: Le 16 de juillet. L'édition de 1613 renferme beaucoup de détails sans lesquels il est difficile de bien entendre ce passage. (Voir 1613, p. 260-263.)] [Note 311: Il est assez probable que ce jeune garçon était Nicolas de Vignau, dont il est parle quelques pages plus loin; car nous avons vu (p. 178, 190) que celui qu'il confia aux sauvages, en 1610, étai vraisemblablement Étienne Brûlé, et il ne paraît pas qu'il en ait envoyé d'autres les années précédentes, ni en 1612.] Après qu'ils eurent traicté tout le peu qu'ils avoient, ils se separerent en trois, les uns pour la guerre, les autres par ledit grand sault, & les autres par une petite riviere, qui va rendre en celle dudit grand sault; & partirent le 18e jour dudit mois[312], & nous aussi. Le 19 j'arrivay à Québec, où je me resolus de retourner en France[313], & arrivay à la Rochelle le 11 d'Aoust[314]. [Note 312: Le 18 juillet.] [Note 313: «Le 23 j'arrivay à Tadoussac, où estant je me resolus de revenir en France, avec l'advis de Pont-gravé.» (1613, p. 264.)] [Note 314: Le 10 septembre. En revoyant le texte de l'édition de 1613, on reconnaît aisément que c'est ici une inadvertance. (Voir 1613, p. 265.) Champlain s'embarque, à Tadoussac, dans le vaisseau du capitaine Tibaut de La Rochelle, le 11 d'août, et il arrive à La Rochelle le 10 septembre. L'édition de 1613 renferme de plus les détails de toutes les difficultés qui retinrent l'auteur en France l'année suivante. Ces détails, dans l'édition de 1632, que nous reproduisons ici, forment le chapitre V du livre suivant, et l'auteur y ajoute, entre autres choses, la commission qui lui fut donnée par le comte de Soissons.] Fin du troisiesme Livre. 198/854 [Illustration] LES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. LIVRE QUATRIESME. _Partement de France; & ce qui se passa jusques à nostre arrivée au Sault Sainct Louys._ CHAPITRE PREMIER. Je partis de Rouen le 5 Mars[315] pour aller Honfleur, où je m'embarquay(316), & le 7 May j'arrivay à Québec, où je trouvay ceux qui y avoient hyverné en bonne disposition, sans avoir esté malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point esté grand, & que la riviere n'avoit point gelé. Les arbres commençoient aussi à se revestir de fueilles, & les champs à s'esmailler de fleurs. [Note 315: De l'année 1613. Pour plus amples détails, voir 1613, p. 283-287, et ci-après, ch. v.] [Note 316: Il s'embarqua le lendemain, 6 de mars, dans le vaisseau de Pont-Gravé. (1613, P. 287.)] Le 13, je partis de Québec pour aller au Sault Sainct Louys, où j'arrivay le 21[317]. Or n'ayant que deux canaux, je ne pouvois 199/855 mener avec moy que 4 hommes, entre lesquels estoit un nommé Nicolas de Vignau, le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel autrefois avoit hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé aux descouvertes les années précédentes. Il me rapporta à son retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la mer du nort. Que la riviere des Algoumequins[318] sortoit d'un lac qui s'y deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du Sault Sainct Louys à ladite mer. Qu'il avoit veu le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, qui s'estoit perdu à la coste, où il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvez à terre, que les Sauvages tuèrent, à cause que lesdits Anglois leur vouloient prendre leurs bleds d'Inde, & autres vivres, par force, & qu'il en avoit veu les testes, qu'iceux Sauvages avoient escorchées (selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient gardé. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouvé bien prés ce que je cherchois bien loin. Ainsi je le conjuray de me dire la verité, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il donnoit quelque mensonge à entendre, il se mettoit la corde au col: aussi que si sa relation estoit veritable, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompensé. Il me l'asseura encor avec serments plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son rolle, il me bailla une relation du pays, qu'il disoit avoir faite au mieux qu'il luy avoit esté 200/856 possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicité de laquelle se le jugeois plein, la relation qu'il avoit dressée, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy-devant dites, avoient grande apparence, avec le voyage des Anglois vers Labrador, en l'année 1612. où ils ont trouvé un destroit qu'ils ont couru jusques par le 63 degré de latitude, & 290 de longitude, & ont hyverné par le 53 degré & perdu quelques vaisseaux, comme leur relation en fait foy[319]. Ces choses me faisans croire son dire véritable, j'en fis dés lors rapport à Monsieur le Chancelier[330]; & le fis voir à Messieurs le Mareschal de Brissac, & President Jeanin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me dirent qu'il falloit que je veisse la chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur Georges, marchand de la Rochelle, de luy donner passage dans son vaisseau, ce qu'il fit volontiers; où estant, il l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage. Et d'autant qu'il luy estoit inutile, il luy demanda s'il esperoit quelque salaire, lequel fit response que non, & qu'il n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour me monstrer la mer du nort, qu'il avoit veue, & luy en fit à la Rochelle une déclaration pardevant deux Notaires. [Note 317: _Conf._ 1613, p. 290, 291.] [Note 318: L'Outaouais.] [Note 319: Voir 1613, p. 293.] [Note 320: Nicolas Brûlart de Sillery.] Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le our de la Pentecoste[321], aux prières desquels je me recommandois, & de tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il m'avoit cy devant dit n'estoit vray, qu'il ne me donnast la peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire, il falloit 201/857 courir plusieurs dangers. Il asseura encores derechef tout ce qu'il avoit dit, au péril de sa vie. [Note 321: La Pentecôte, cette année, tombait le 26 de mai.] Ainsi nos canaux chargez de quelques vivres, de nos armes & marchandises, pour faire present aux Sauvages, je partis le Lundy 27 May de l'isle de Saincte Heleine, avec quatre François & un Sauvage, & me fut donné un adieu de nostre barque avec quelques coups de petites pièces. Ce jour nous ne fusmes qu'au Sault Sainct Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, à cause du mauvais temps, qui ne nous permit de passer plus outre. Le 29, nous le passasmes partie par terre, partie par eau, où il nous fallut porter nos canaux, hardes, vivres & armes sur nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont pas accoustumez: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous entrasmes dans un lac[322] qui a de circuit environ 12 lieues, où se deschargent 3 rivieres[323], l'une venant de l'ouest, du costé des Ochataiguins, esloignez du grand sault de 150 ou 200 lieues: l'autre du sud pays des Hiroquois, de pareille distance: & l'autre vers le nort, qui vient des Algoumequins & Nebicerini, aussi à peu prés de semblable distance. Ceste riviere du nort (suivant le rapport des Sauvages) vient de plus loin[324], & passe par des peuples qui leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux. [Note 322: Le lac Saint-Louis. (Voir 1613, p. 294, note 2.)] [Note 323: Voir 1613, p. 295, notes 1, 2, 3, 4.] [Note 324: vient de plus loin que les nebicerini: l'outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac nipissing.] Ce lac est remply de belles & grandes isles, qui ne sont que 202/858 prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibbier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le pays qui l'environne est remply de grandes forests. Nous fusmes coucher à, l'entrée dudit lac, & fismes des barricades, à cause des Hiroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs ennemis; & m'asseure que s'ils nous eussent tenu, ils nous eussent fait le mesme traittement; c'est pourquoy toute la nuict nous fismes bon guet. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude. Sur les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du nort, & passasmes un petit sault par terre pour soulager nos canaux, & fusmes à une isle le reste de la nuict en attendant le jour. Le dernier May nous passasmes par un autre lac[325] qui a 7 ou 8 lieues de long, & 3 de large, où il y a quelques isles. Le pays d'alentour est fort uny, horsmis en quelques endroits, où il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un sault, qui Sault de est appellé de ceux du pays _Quenechouan_[326], qui est remply de pierres & rochers, où l'eau y court de grand' vistesse; & nous fallut mettre en l'eau, & traisner nos canaux bord à bord de terre avec une corde. A demie lieue de là nous en passasmes un autre petit à force d'avirons, ce qui ne se fait sans suer, & y a une grande dextérité à passer ces sauts, pour eviter les bouillons & brisans qui les traversent: ce que les Sauvages sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les destours & lieux plus aisez qu'ils cognoissent à l'oeil. [Note 325: Le lac des Deux-Montagnes.] [Note 326: Voir 1613, p. 296, note 4.] 203/859 Le Samedy premier de Juin nous passasmes encor deux autres sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second une lieue, où nous eusmes bien de la peine: car la rapidité du courant est si grande, qu'elle fait un bruit effroyable; & descendant de degré en degré, fait une escume si blanche par tout, que l'eau ne paroist aucunement. Ce sault est semé de rochers, & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins & cèdres blancs. Ce fut là où nous eusmes de la peine: car ne pouvans porter nos canaux par terre, à cause de l'espoisseur du bois, il nous les falloit tirer dans l'eau avec des cordes, & en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement entre deux rochers, le canot m'entraisnoit, d'autant que je ne peus défaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à l'entour de ma main, qui me l'offensa fort, & me la pensa couper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer mon canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se fait en ces sauts: & lors estant eschapé je louay Dieu, le priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner si j'estois curieux de conserver nostre canot: car s'il eust esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente à ceux qui n'ont dequoy disner, & qui ne sont accoustumez à telle fatigue. Pour nos François, ils n'en eurent pas meilleur marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la 204/860 divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous nous reposasmes, ayans assez travaillé. Nous rencontrasmes le lendemain 15 canaux de Sauvages appellez Quenongebin[327], dans une riviere, ayans passé un petit lac long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté advertis de ma venue par ceux qui avoient passé au sault S. Louis, venans de la guerre des Hiroquois. Je fus fort aise de leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnerent de me voir avec si peu de gens, & avec un seul Sauvage. Après nous estre saluez à la mode du pays, je les priay de ne passer outre, pour leur déclarer ma volonté, & fusmes cabaner dans une isle. [Note 327: Ou Kinounchepirini. (Voir 1613, p. 298, note I.)] Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leur pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je leur avois par cy devant faite; & que s'ils estoient resolus d'aller à la guerre, cela m'agréroit fort, d'autant que j'avois amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort satisfaits. Et leur ayant dit que je voulois passer outre, pour advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner, disans qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions rien veu jusques alors. Pour ce je les priay de me donner un de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme canot, & aussi pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien. Ils le firent volontiers & en recompense je leur fis un present, & leur baillay un de nos François, le moins 205/861 necessaire, lequel je renvoyois au sault, avec une fueille de tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir de mes nouvelles. Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre routte à mont ladite riviere, en trousasmes une autre fort belle & spacieuse, qui vient d'une nation appellée Ouescharini[328], lesquels se tiennent au nort d'icelle, & à 4 journées de l'entrée. Ceste riviere est fort plaisante, à cause des belles isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la bordent: & la terre est bonne pour le labourage. [Note 328: Ou Ouaouiechkaïrini, la Petite Nation. (Voir 1613, p. 299, note 1.)] Le 4, nous passasmes proche d'une autre riviere[329] qui vient du nort, où se tiennent des peuples appellez Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve Sainct Laurent, trois lieues aval le Sault Sainct Louys(330) qui fait une grande isle contenant prés de 40 lieues, laquelle[331] n'est pas large, mais remplie d'un nombre infiny de sauts, qui sont fort difficiles à passer. Quelquefois ces peuples passent par ceste riviere pour eviter les rencontres de leurs ennemis, sçachans qu'ils ne les recherchent en lieux de il difficile accez. [Note 329: La Gatineau.] [Note 330: En remontant la Gatineau, on va tomber par le Saint-Maurice, trente lieues à val le saut Saint-Louis. (Voir 1613, p. 299, note 3.)] [Note 331: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.] A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre[332] qui vient du sud, où à son entrée il y a une cheutte d'eau admirable: car elle tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses[333] de haut, qu'elle fait une arcade, ayant de largeur prés de 400 206/862 pas. Les Sauvages passent dessouz par plaisir, sans se mouiller, que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu de ladite riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour, remplie de pins & cèdres blancs. Quand les Sauvages veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant leurs canaux, & font demie lieue par terre. Les terres des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui fait que les Sauvages s'y arrestent plustost. Les Hiroquois y viennent aussi quelquefois les surprendre au passage. [Note 332: La rivière Rideau.] [Note 333: Cette chute a une trentaine de pieds de haut.] Nous passasmes un sault à une lieue de là, qui est large de demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a quantité de petites isles, qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé par succession de temps un large & profond bassin: si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent _asticou_, qui veut dire chaudiere. Ceste cheutte d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passans par là, font une cérémonie que nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au pied dudit sault, où les Sauvages prirent les canaux, & nos François & moy, nos armes, vivres, & autres commoditez, pour passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que contient le sault, & aussi tost nous fallut embarquer, puis 207/863 derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis environ 300 pas; & aprés se mettre en l'eau pour faire passer nos canaux par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu, & trouvay 45 degrez 38 minutes de latitude[334]. [Note 334: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.] Après midy nous entrasmes dans un lac[335] ayant 5 lieues de long, & 2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de vignes, noyers, & autres arbres agréables: & 10 ou 12 lieues de là amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de pins. La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en couleur cramoisie, de laquelle les Sauvages se peindent le visage, & mettent de petits affiquets à leur usage. Il y a aussi une coste de montagnes du long de ceste riviere, & le pays des environs semble assez fascheux. Le reste du jour nous le passasmes dans une ise fort agréable. [Note 335: Le lac de la Chaudière.] Le lendemain[336] nous continuasmes nostre chemin jusques à un grand sault[337], qui contient prés de 3 lieues de large, où l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, & fait un merveilleux bruit. Il est remply d'une infinité d'isles couvertes de pins & de cèdres; & pour le passer il nous fallut resoudre de quitter nostre maïs ou bled d'Inde, & peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner à vivre selon les lieux, & l'heur de la chasse. Ainsi, allégez, 208/864 nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en portant nos canaux & armes par ledit sault, qui a une lieue & demie de long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce travail, & accoustumez à endurer telles necessitez, nous soulagerent beaucoup. [Note 336: Le 5 de juin.] [Note 337: Ce saut et les deux autres mentionnés plus loin, forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.] Poursuivans nostre routte nous passasmes deux autres sauts, l'un par terre, l'autre à la rame, & avec des perches en debouttant, puis entrasmes dans un lac[338] ayant 6 ou 7 lieues de long, où se descharge une riviere[339] venant du sud, où à cinq journées de l'autre riviere il y a des peuples qui y habitent appellez Matououescarini. Les terres d'environ ledit lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté presque tous bruslez par les Sauvages. Il y a quelques isles, dans l'une desquelles nous reposasmes, & veismes plusieurs beaux cyprès rouges, les premiers que j'eusse veu en ce pays, desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle, en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme j'ay fait aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay cette isle, l'isle Ste Croix. [Note 338: Le lac des Chats.] [Note 339: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskaïrini.] Le 6 nous partismes de ceste isle saincte Croix, où la riviere est large d'une lieue & demie, & ayans fait 8 ou 10 lieues, nous passasmes un petit sault à la rame, & quantité d'isles de différentes grandeurs. Icy nos Sauvages laisserent leurs sacs avec leurs vivres, & les choses moins necessaires, afin d'estre plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs sauts qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre 209/865 nos Sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit aucun danger par les sauts, & qu'il y falloit passer. Nos Sauvages luy dirent, Tu es las de vivre. Et à moy, que je ne le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance desdits lieux, je suivis l'advis des Sauvages, dont bien m'en print, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour me dégouster de l'entreprise, comme il confessa depuis (dequoy sera parlé cy-aprés). Nous traversasmes donc la riviere à l'ouest, qui couroit au nort, & pris la hauteur de ce lieu, qui estoit par 46° 2/3[340] de latitude. Nous eusmes beaucoup de peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour ma part de trois harquebuzes, autant d'avirons, de mon capot, & quelques petites bagatelles. J'encourageois nos gens, qui estoient un peu plus chargez, & plus grevez des mousquites, que de leur charge. [Note 340: Il faut lire 45° et deux tiers. (Voir 1613, p. 303, note 1.)] Ainsi après avoir passe quatre petits estangs, & cheminé deux lieues & demie, nous estions tant fatiguez, qu'il nous estoit impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit prés de 24 heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson rosty, sans autre saulce, car nous avions laisse nos vivres, comme j'ay dit cy-dessus. Nous nous reposasmes sur le bord d'un estang, qui estoit assez agréable, & fismes du feu pour chasser les mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité desquelles est si estrange, qu'il est impossible d'en pouoir faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques poissons. 210/866 Le lendemain[341] nous passasmes cet estang, qui pouvoit contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des pays difficiles plus que n'allions encor veu, à cause que les vents avoient abbatu des pins les uns sur les autres, qui n'est pas petite incommodité, car il faut passer tantost dessus & tantost dessouz ces arbres. Ainsi nous parvinsmes à un lac[342], ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font leur pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages qui cultivent la terre, & recueillent du maïs. Le chef se nomme Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé comment nous avions peu passer les sauts & mauvais chemins qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté du petum selon leur mode, il commença à haranguer ses compagnons, leur disant; Qu'il falloit que fussions tombez des nues, ne sçachant comment nous avions peu passer, & qu'eux demeurans au pays avoient beaucoup de peine à traverser ces mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de tout ce que mon esprit vouloit. Bref qu'il croyoit de moy ce que les autres Sauvages luy en avoient dit. Et sçachans que nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous mangeasmes: & après disné, je leur fis entendre par Thomas mon truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrez. Que j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que je desirois aller plus avant voir quelques autres Capitaines 211/867 pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il y avoit du maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource s'adonnent plus à la chasse qu'au labeur, au contraire des Ochataiguins[343]. Quand ils veulent rendre un terroir labourable, ils coupent & bruslent les arbres, & ce fort aisément: car ce ne sont que chesnes & ormes. Le bois bruslé ils remuent un peu la terre, & plantent leur maïs grain à grain, comme ceux de la Floride. Il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut. [Note 341: Le 7 de juin.] [Note 342: Le lac au Rat-Musqué.] [Note 343: Ou Hurons.] _Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon entreprise, me remonstrans les difficultés. Response à ces difficultés. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté ou il disoit. Il leur maintint son dire véritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession._ CHAPITRE II. Nibachis fit équiper deux canaux pour me mener voir un autre Capitaine nommé Tessouat[344], qui demeuroit à 8 lieues de luy, sur le bord d'un grand lac[345], par où passe la riviere que 212/868 nous avions laissée qui refuit au nort. Ainsi nous traversasmes le lac à l'ouest norouest prés de 7 lieues, où ayans mis pied à terre, fismes une lieue au nordest parmy d'assez beaux pays, où il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer aisément; & arrivasmes sur le bord de ce lac, où estoit l'habitation de Tessouat, qui estoit avec un autre chef sien voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit que ce fust un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De là nous passasmes en une isle[346], où leurs cabanes sont assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjecte aux inondations des eaux, comme sont les autres isles du lac. [Note 344: _Conf_. 1603, p. 12.] [Note 345: Le lac des Allumettes.] [Note 346: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 307, note 1.)] Cette isle est forte de scituation: car aux deux bouts d'icelle, & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il y a des sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte, & s'y sont logez pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est par les 47[347] degrez de latitude, comme est le lac, qui a 10 lieues de long[348], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson, mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne. [Note 347: Par les 46°. (Voir 1613, p. 307, note 2.)] [Note 348: Conf. 1613, p. 307.] Ainsi comme je visitois l'isle, j'apperceus leurs cimetières, où je fus grandement estonné, voyant des sepulchres de forme semblable aux bières, faits de pièces de bois, croisées par en haut, & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ. Sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de celuy ou celle qui y est enterré. 213/869 Si c'est un homme, ils y mettent une rondache, une espée emmanchée à leur mode, une masse, un arc, & des flesches. S'il est capitaine, il aura un pennache sur la teste, & quelque autre bagatelle ou joliveté. Si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche. Si une femme, ou fille, une chaudière, un pot de terre, une cueillier de bois, & un aviron. Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de largeur 4, les autres moins. Ils sont peints de jaulne & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi délicats que le tombeau. Le mort est ensevely dans sa robbe de castor, ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses richesses auprès de luy, comme haches, couteaux, chaudières, & aleines, afin que ces choses luy servent au pays où il va: car ils croyent l'immortalité de l'âme, comme j'ay dit autre part[349]. Ces sepulchres de ceste façon ne se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve-il peu entr'eux. [Note 349: Voir 1603, p. 19, 20, et 1613, p. 165.] Après avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais pays, veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoient desert & abandonné, comme le Sault Sainct Louys. Ils me respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seureté, & que l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de François au Sault Sainct Louys, comme j'avois 214/870 promis, qu'ils quitteroient leur demeure pour se venir loger prés de nous, estans asseurez que leurs ennemis ne leur feroient point de mal pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste année nous ferions, les préparatifs de bois & pierres, pour l'année suivante faire un fort, & labourer ceste terre. Ce qu'ayans entendu, ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous les Chefs et principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain en la grand'terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que la je leur dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent, & dés lors envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver. Le lendemain[350] tous les conviez vinrent avec chacun son escuelle de bois, & sa cueillier, lesquels sans ordre ny cérémonie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur distribua une maniere de bouillie faite de maïs, escrazé entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupez par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoient aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilly à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, à cause qu'ils cuisinent fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour l'accommoder à ma mode, qu'ils me donnèrent. Pour le boire, nous avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie, nous entretenoit sans manger, suivant leur coustume. [Note 350: Le 8 juin.] La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux 215/871 harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient demeurez commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume. Après avoir parmy un si long silence amplement petuné, je leur fis entendre par mon truchement que le sujet de mon voyage n'estoit autre, que pour les asseurer de mon affection, & du desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme j'avois fait auparavant. Que ce qui m'avoit empesché l'année dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que le Roy m'avoit occupé en d'autres guerres, mais que maintenant il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au sault Sainct Louys. Que je m'estois venu promener en leur pays pour recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres & mer, qu'ils m'avoient dit estre en leur pays. Que je desirois voir une nation distante de 8 journées d'eux, nommée Nebicerini, pour les convier aussi à la guerre; & pource je les priay de me donner 4 canaux, avec 8 Sauvages, pour me conduire esdites terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands amis des Nebicerini[351], ils sembloient m'escouter avec plus grande attention. [Note 351: Voir 1613, p. 311, note 1.] Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis Tessouat pour tous print la parole, & dit; Qu'ils m'avoient 216/872 tousjours recogneu affectionné en leur endroit, qu'aucun autre François qu'ils eussent veu. Que les preuves qu'ils en avoient eues par le passe, leur facilitoient la croyance pour l'advenir. De plus, que je monstrois bien estre leur amy, en ce que j'avois passé tant de hazards pour les venir voir, & pour les convier à la guerre, & que toutes ces choses les obligeoient à me vouloir du bien comme à leurs propres enfans. Que toutesfois l'année dernière je leur avois manqué de promesse, & que 200 Sauvages estoient venus au sault, en intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire des presens; & ne m'ayans trouvé, furent fort attristez, croyans que je fusse mort, comme quelques-uns leur avoient dit: aussi que les François qui estoient au sault ne les voulurent assister à leurs guerres, & qu'ils furent mal traittez par aucuns, de sorte qu'ils avoient resolu entr'eux de ne plus venir au sault[352], & que cela les avoit occasionnez (n'esperans plus de me voir) d'aller à la guerre seuls, comme de faict 200 des leurs y estoient allez. Et d'autant que la 217/873 plus-part des guerriers estoient absents, ils me prioient de remettre la partie à l'année suivante, & qu'ils feroient sçavoir cela à tous ceux de la contrée. Pour ce qui estoit des quatre canaux que je demandois, ils me les accordèrent, mais avec grandes difficultez, me disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois. Que ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient fait mourir beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis. Au surplus, que pour la guerre je n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoient de petit coeur, me voulans destourner, avec plusieurs autres propos sur ce sujet. [Note 352: Ce passage nous fait voir combien Pont-Gravé et Champlain avaient raison de cultiver tous ces peuples. Comment, en effet, établir solidement une colonie dans un pays aussi éloigné, avec si peu de moyens, si l'on ne commençait par s'assurer l'amitié des nations indigènes? si l'on ne cherchait à s'en faire des alliés, en les secourant même contre leurs ennemis, afin de pouvoir explorer le pays, en bien connaître toutes les ressources, et les avantages qu'il pouvait offrir soit au commerce, soit à la colonisation et à la culture des terres? Voilà ce qui explique la plupart des démarches de Champlain, dans ses rapports avec les sauvages du Canada. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que nos historiens modernes n'aient pas mieux saisi les motifs de sa conduite, quand il prend la peine de les donner lui-même en cent endroits différents, et surtout au commencement de son expédition de 615: «Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames qu'il estoit tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger d'avantage à nous aymer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, & préparation, pour venir au Christianisme, en faveur dequoy je me resolu d'y aller recognoistre leurs pais, & les assister en leurs guerres, afin de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis.» (1619, p. 14, 15.--Voir de plus 1603, p. 7, 8; 1613, p. 173, 175-178, 208, 220, 257, 260, 264, 290, 291.)] Moy d'autre-part qui n'avois autre desir que de voir ces peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du nort, facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas loin jusques en leurs pays. Que pour les mauvais partages, ils ne pouvoient estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par cy-devant: & pour le regard de leurs sortileges, qu'ils n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu m'en preserveroit. Que je cognoissois aussi leurs herbes, & par ainsi je me garderois d'en manger. Que je les voulois rendre ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect, m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces raisons, ils m'accordèrent, comme j'ay dit, ces quatre canaux, dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées, sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée. Pour passer le reste du jour, je me fus proumener par les 218/874 jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles, phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où Thomas mon truchement, qui entendoit fort bien la langue, me vint trouver pour m'advertir que ces Sauvages, après que je les eus quittez, avoient songé que si j'entreprenois ce voyage, que je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces canaux promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entr'eux qui me voulust conduire, mais que je remisse ce voyage à l'année prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon équipage, pour se défendre d'iceux, s'ils leur vouloient mal faire, pource qu'ils sont mauvais. Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimez hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroient enfans & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié. Toutesfois que s'ils se sentoient incommodez de quatre canaux, qu'ils ne m'en baillassent que deux, & 4 Sauvages seulement. Ils me representerent derechef la difficulté des passages, le nombre des sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit pour crainte qu'ils avoient de me perdre qu'ils me faisoient ce refus. Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu. Que j'avois un garçon (leur monstrant mon imposteur) qui avoit esté dans leur pays, & n'avoit recogneu toutes les difficultez qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais qu'ils disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, & 219/875 specialement Tessouat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyverné, & l'appellant par son nom, luy dit en son langage: Nicolas, est-il vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini? Il fut long temps sans parler, puis il leur dit en leur langue, qu'il parloit aucunement, Ouy, j'y ay esté. Aussi tost ils le regardèrent de travers, & se jettans sur luy, comme, s'ils l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessouat luy dit: Tu es un asseuré menteur: tu sçais bien que tous les soirs tu couchois à mes costez avec mes enfans, & tous les matins tu t'y levois: si tu as esté vers ces peuples, c'a esté en dormant. Comment as tu esté si impudent d'avoir donné à entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir hazarder sa vie parmy tant de dangers? tu es un homme perdu, & te devroit faire mourir plus Cruellement que nous ne faisons nos ennemis. Je ne m'estonne pas s'il nous importunoit tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust à respondre, & que s'il avoit esté en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la peine où il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu. Alors je le tiray à l'escart des Sauvages, & le conjuray de me déclarer s'il avoit veu ceste mer, & s'il ne l'avoit veue, qu'il me le dist. Derechef avec juremens il afferma tout ce qu'il avoit par cy-devant dit, & qu'il me le feroit voir, si ces Sauvages vouloient bailler des canaux. Sur ces discours Thomas me vint advertir que les Sauvages de l'isle envoyoient secrettement un canot aux Nebicerini, pour 220/876 les advertir de mon arrivée. Et pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesd. Sauvages, pour leur dire que j'avois songé ceste nuict qu'ils vouloient envoyer un canot aux Nebicerini, sans m'en advertir; dequoy j'estois adverty, veu qu'ils sçavoient que j'avois volonté d'y aller. A quoy ils me firent response, disans que je les offensois fort, en ce que je me fiois plus à un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'à tant de braves Capitaines qui estoient mes amis, & qui cherissoient ma vie. Je leur repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit esté en ceste contrée avec un des parens de Tessouat, & avoit veu la mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les Sauvages avoient, & un jeune garçon Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire present. Ils s'escrierent plus que devant, entendans parler de la mer, des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs, rivieres & chemins par lesquels il avoit passé. A quoy il fit response, qu'il avoit oublié le nom du Sauvage, combien qu'il me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le jour de devant. Pour les particularitez du pays, il les avoit descrites dans un papier qu'il m'avoit baillé. Alors je presentay la carte, & la fis interpréter aux Sauvages, qui l'interrogèrent sur icelle: à quoy il ne sit response, ains par son morne silence manifesta sa meschanceté. 221/877 Mon esprit voguant en incertitude, je me retiray à part, & me representay les particularitez du voyage des Anglois cy-devant dites, & les discours de nostre menteur estre assez conformes; aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage: mais qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations des Sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est véritable, il faut que la mer du nort ne soit pas esloignée de ces terres de plus de 100 lieues de latitude: car j'estois souz la hauteur de 47 degrez de latitude, & 296 de longitude[353]: mais il se peut faire que la difficulté de passer les sauts, l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer: bien m'ont-ils tousjours dit, que du pays des Ochataiguins il n'y a que 35 ou 40 tournées jusques à la mer qu'ils voyent en 3 endroits, ce qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais aucun ne m'a parlé de ceste mer du nort, que ce menteur, qui m'avoit fort resjouy à cause de la briefveté du chemin. [Note 353: Voir 1613, p. 293, note 3, 307 note 2, et 316 note 2.] Or comme ce canot s'apprestoit, je le fis appeller devant ses compagnons, & en luy representant tout ce qui s'estoit passé, je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il falloit dire s'il avoit veu les choses dites, ou non. Que je me voulois servir de la commodité qui se presentoit. Que j'avois oublié tout ce qui s'estoit passé: mais que si je passois plus outre, je le ferois pendre & estrangler. 222/878 Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux, & me demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dit, tant en France, qu'en ce pays, touchant ceste mer, estoit faux. Qu'il ne l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le village de Tessouat; & avoit dit ces choses pour retourner en Canada. Ainsi transporté de colère je le fis retirer, ne le pouvant plus voir devant moy, donnant charge à Thomas de s'enquérir de tout particulièrement: auquel il acheva de dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, à cause des dangers, croyant que quelque difficulté se pourroit presenter, qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces Sauvages, qui ne me vouloient bailler des canaux: ainsi que l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en France, il auroit recompense pour sa descouverture, & que si je le voulois laisser en ce pays, qu'il iroit tant qu'il la trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui me furent rapportées par Thomas, qui ne me contenterent pas beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de ce menteur: ne pouvant m'imaginer comment il avoit forgé ceste imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy mentionné, & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense comme il disoit, il avoit en la témérité de mettre cela en avant. Peu de temps après je fus advertir les Sauvages, à mon grand regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochans le peu de confiance que j'avois en eux, qui estoient Capitaines, mes 223/879 amis, qui disoient tousjours vérité, & qu'il falloit faire mourir ce menteur, qui estoit grandement malicieux, me disans: Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir? donne le nous, & nous te promettons qu'il ne mentira jamais. Comme je veis qu'eux & leurs enfans crioient tous après luy, je leur défendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au sault pour luy faire faire son rapport, & qu'estant là, j'adviserois ce que j'en ferois. Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture, le regret de n'avoir mieux employé le temps me demeura, avec les peines & travaux qu'il me fallut tollerer patiemment. Si je me fusse transporté d'un autre costé, suivant la relation des Sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il fallut remettre à une autre fois. N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je conviay les Sauvages de venir au Sault Sainct Louis, où ils recevroient bon traittement, ce qu'ils firent sçavoir à tous leurs voisins. Avant que partir, je fis une croix de cedre blanc, laquelle je plantay sur le bord du lac en un lieu eminent, avec les armes de France, & priay les Sauvages la vouloir conserver, comme aussi celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous avions passé. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je retournerois vers eux. 224/880 _Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de la Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun. Nostre retour en France._ CHAPITRE III. Le 10 Juin je prins congé de Tessouat, auquel je fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me conservoit en santé, de venir l'année prochaine en équipage, pour aller à la guerre: & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce temps là, disant, que je ne verrois que Sauvages, & armes, qui me donneroient contentement; & me bailla son fils pour me faire compagnie. Ainsi nous partismes avec 4[354] canaux, & passasmes par la riviere que nous avions laissée, qui court au nort[355], où nous mismes pied à terre pour traverser des lacs[356]. En chemin nous rencontrasmes 9 grands canaux de Ouescharini, avec 40 hommes forts & puissans, qui venoient aux nouvelles qu'ils avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient ensemble 60 canaux, & 20 autres qui estoient partis devant nous, ayans chacun assez de marchandises. [Note 354: L'édition de 1613 porte «40.»; ce qui paraît plus vraisemblable.] [Note 355: La rivière court au nort à l'endroit où il l'avait quittée.] [Note 356: Voir 1613, p. 319, note 2.] Nous passasmes six ou sept sauts depuis l'isle des Algoumequins[357] jusques au petit sault, pays fort desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par là, que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & mal-aisément eussions nous passé: & ce n'estoit sans raison que les Sauvages 225/881 contestoient contre nostre menteur, qui ne cherchoit qu'à me perdre. [Note 357: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 320, notes 1 et 2.)] Continuant nostre chemin dix ou douze lieues au dessouz l'isle des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable, remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau poisson. Sur la minuict arriva deux canaux qui venoient de la pesche plus loin, lesquels rapportèrent avoir veu quatre canaux de leurs ennemis. Aussi tost on depescha trois canaux pour les recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En ceste asseurance chacun print le repos, excepté les femmes, qui se resolurent de passer la nuict dans leurs canaux, ne se trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un Sauvage songeant que les ennemis le chargeoient, se leva en sursault, & se print à courir vers l'eau pour se sauver, criant, _On me tue_. Ceux de sa bande s'esveillerent tout estourdis; & croyans estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme aussi fit un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce bruit nous autres qui estions esloignez, fusmes aussi tost esveillez, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux. Mais les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnez, ne les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se défendre. Après que j'eus enquis nostre François de la cause de ceste émotion, & m'avoir raconté comme cela estoit arrivé, tout se passa en risée & moquerie. En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au sault de la Chaudière, où les Sauvages firent la ceremonie accoustumée, qui 226/882 est telle. Après avoir porté leurs canaux au bas du sault, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petum. La queste faite, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dancent à l'entour, en chantant à leur mode: puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que dés long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garentis de leurs ennemis: qu'autrement il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dit ailleurs. Cela fait, le harangueur prend le plat, & va jetter le petum au milieu de la chaudière, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient fait ceste cérémonie en ce lieu, d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus avant à cause des mauvais chemins, & les surprennent là quelquefois. Le lendemain nous arrivasmes à une isle qui est à l'entrée du lac, distante du grand sault Sainct Louis de 7 à 8 lieues, où reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages croyans avoir veu des canaux de leurs ennemis: ce qui leur fit faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre leur remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir, qu'au lieu de se cacher, ils se manifestoient. Le 17 Juin nous arrivasmes au Sault Sainct Louys, où je leur fis entendre que je ne desirois pas qu'ils traittassent aucunes 227/883 marchandises que je ne leur eusse permis[358], & que pour des vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivez; ce qu'ils me promirent, disans qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, & fusmes saluez de quelques canonades, dequoy quelques uns de nos Sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnez, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied à terre, Maisonneufve me vint trouver, avec le passeport de Monseigneur le Prince. Aussi tost que je l'eus veu, je le laissay luy & les siens jouir du bénéfice d'iceluy, comme nous autres, & fis dire aux Sauvages qu'ils pouvoient traitter le lendemain. [Note 358: On se demande pourquoi cette défense, quand Champlain lui-même les a engagés à venir à la traite: c'est que, comme il est dit dans l'édition de 1613, «L'Ange était venu au-devant de l'auteur, dans un canot, pour l'avertir que le sieur de Maisonneuve, de Saint-Malo, avait apporté un passe-port de Monseigneur le Prince pour trois vaisseaux.» (1613, p. 322.)] Ayant raconté à tous ceux de la barque[359] les particularitez de mon voyage, & la malice de nostre menteur, ils furent fort estonnez, & les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence, des Sauvages, & de ses compagnons, il declarast sa meschanceté; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblez, ils le firent venir, & l'interrogèrent pourquoy il ne m'avoit monstré la mer du nort, comme il m'avoit promis. Il leur fit response, qu'il avoit promis une chose impossible, d'autant qu'il n'avoit jamais veu cette mer: mais que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre. Parquoy les prioit luy vouloir pardonner, comme il fit à moy, confessant avoir grandement failly: mais que si 228/884 je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant qu'il repareroit la faute, verroit ceste mer, & en rapporteroit certaines nouvelles l'année suivante. Pour quelques considerations je luy pardonnay, à ceste condition[360]. [Note 359: Conf. 1613, p. 323.] [Note 360: Ici, l'édition de 1613, renferme quelques détails de plus. (Voir 6l3, p. 323, 324.)] Après que les Sauvages eurent traitté leurs marchandises, & qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur faire voir le pays, & les obliger à les ramener, dont ils firent grande difficulté, me representans la peine que m'avoit donné nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports, comme il avoit fait. Je leur fis response, que s'ils ne les vouloient emmener ils n'estoient pas mes amis, & pour ce ils s'y resolurent. Pour nostre menteur, aucun de ces Sauvages n'en voulut, pour prière que je leur fis, & le laissasmes à la garde de Dieu. Voyant n'avoir plus rien à faire en ce pays, je me resolus de passer en France, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet. Le 8 Aoust[361] le temps se trouva propre, qui nous en fit partir, & le 26 du mesme mois[362] nous arrivasmes à Sainct Malo. [Note 361: Le 8 juillet. (Voir 1613, p. 325, note 1.)] [Note 362: Le 26 août.] 229/885 _L'Autheur va trouver le Sieur de Mons, qui luy commet la charge d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse à Monsieur le Prince qui le prend en sa protection._ CHAPITRE IIII.[363] [Note 363: Chapitre V de la première édition. Le chapitre IV, ayant rapport aux années 1616-1620, a été remis à la place que l'auteur lui-même a dû lui destiner, c'est-à-dire, à la fin de cette première partie.] Aprés mon retour en France[364], je fus trouver le Sieur de Mons à Pons en Xainctonge, d'où il estoit gouverneur, auquel je fis entendre le succez de toute l'affaire, & le remède qu'il y falloit apporter. Il trouva bon tout ce que je luy en dis; & es affaires ne luy pouvant permettre de venir en Cour, il m'en commit la poursuitte, & m'en laissa toute la charge, avec procuration d entrer en ceste societé, de telle somme que j'adviserois bon estre pour luy. Estant arrivé en Cour, j'en dressay des mémoires, lesquels je communiquay à feu Monsieur le President Jeannin, qui les trouva tres-justes, & m'encouragea à la poursuitte, & mesmes voulut me faire ceste faveur que de se charger desdits mémoires, pour les faire voir au Conseil. Et voyant bien que ceux qui aimeroient à pescher en eau trouble 230/886 trouveroient ces reglemens fascheux, & recercheroient les moyens de l'empescher, comme ils avoient fait par le passé, il me sembla à propos de me jetter entre les bras de quelque grand, du quel l'auctorité peust repousser l'envie. [Note 364: En 1611. (Voir 1613, p. 284.) L'auteur semble avoir voulu, dans ce chapitre, faire comme un résumé de toutes les difficultés qu'il fallut surmonter depuis que les associés de M. de Monts «ne voulurent plus continuer en l'association, pour n'avoir point de commission qui pût empêcher un chacun d'aller en ces nouvelles découvertures négocier avec les habitants du pays» (1613, p. 266). Mais pour avoir une idée complète de ce qui se passa alors, il faut rapprocher de ce passage les suivants: 1613, p. 265-7, 283-7; 1619, p. 2, 108, 112.] Ayant eu cognoissance avec feu Monseig. le Comte de Soissons (Prince pieux & affectionné en toutes vertueuses & sainctes entreprises) par l'entremise de quelques miens amis qui estoient de son conseil, je luy monstray l'importance de l'affaire, le moyen de la régler, le mal que le désordre avoit apporté par le passé, & apporteroit une ruine totale, au grand deshonneur du nom François, si Dieu ne suscitoit quelqu'un qui le voulust relever. Comme il fut instruit de toute l'affaire, il veit la carte du pays, & me promit souz le bon plaisir du Roy d'en prendre la protection. Cependant monsieur le President Jeanin fait voir les articles à Messeig. du Conseil, par lesquels nous demandions à sa Majesté qu'il luy pleust nous donner mond. Seigneur le Comte pour protecteur. Ce qui fut accordé par nosdits Seigneurs de son Conseil; lequel renvoya neantmoins les articles à feu Monseig. le Duc d'Anville, Pair & Admiral de France, qui approuva grandement ce dessein, promettant d'y apporter tout ce qu'il pourroit du sien en faveur de ceste entreprise. Comme j'estois sur le point de faire publier les patentes de sa Commission[365] par tous les ports & havres du Royaume, & m'ayant honoré de sa Lieutenance, pour faire telle societé qui me sembleroit bonne, ainsi qu'il 231/887 se voit par sad. Commission icy insérée, une griesve maladie surprit mond. Seigneur à Blandy, dont il mourut[366], qui recula ceste affaire; ausquelles choses nos envieux n'avoient osé attenter, jusques après sa mort, qu'ils pensoient que tout fust décheu. [Note 365: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612. (Voir 1613, p. 285, note 1.)] [Note 366: «Le jour de la Toussaincts premier de Novembre» (1612) «à quatre heures du matin, Monsieur le Comte de Soissons, Prince du sang de France, mourut en son chasteau de Blandy. Tous les François regrettèrent ce Prince pour sa vertu.» (Mercure François, an. 1612, p. 582.)] «CHARLES DE BOURBON Comte de Soissons, Pair & grand Maistre de France, Gouverneur pour le Roy és pays de Normandie & Dauphiné, & son Lieutenant général au pays de la nouvelle France. A tous ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. Sçavoir faisons à tous qu'il appartiendra, que pour la bonne & entière confiance que nous avons de la personne du Sieur Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, & de ses sens, suffisance, practique & expérience au faict de la marine, & bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays, pour les diverses négociations, voyages & fréquentations qu'il y a faits, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy Sieur de Champlain pour ces causes, & en vertu du pouvoir à nous donné par sa Majesté, Avons commis, ordonné & député, commettons, ordonnons & députons par ces presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne audit pays de la nouvelle France: & pour cet effect luy avons ordonné d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu appelle Québec, estant dedans 232/888 le fleuve Sainct Laurent, autrement appellé la grande riviere de Canada audit pays de la nouvelle France: & audit lieu, & autres endroits que ledit Sieur de Champlain advisera bon estre, y faire construire & bastir tels autres forts & forteresses qui luy sera besoin & necessaire pour sa conservation, & de sesdits gens, lequel fort, ou forts, nous gardera à son pouvoir: pour audit lieu de Québec, & autres endroits en l'estendue de nostre pouvoir, & tant & si avant que faire se pourra, establir, estendre, & faire cognoistre le nom, puissance, & autorité de sa Majesté, & à icelle assubjectir, souz-mettre, & faire obéir tous les peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle, & par le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer & esmouvoir à la cognoissance & service de Dieu, & à la lumière de la foy & Religion Catholique, Apostolique & Romaine, la y establir, & en l'exercice & profession d'icelle maintenir, garder & conserver lesdits lieux souz l'obeissance & auctorité de sad. Majesté. Et pour y avoir égard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons en vertu de nostredit pouvoir, permis audit Sieur de Champlain commettre, establir, & constituer tels Capitaines & Lieutenans que besoin sera. Et pareillement commettre des Officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la police, reglemens & ordonnances, traitter, contracter à mesme effect, paix, alliance, & confédération, bonne amitié, correspondance & communication avec lesdits 233/889 peuples, & leurs Princes, ou autres ayans pouvoir & commandement sur eux, entretenir, garder, & soigneusement conserver les traittez & alliances dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de leur part. Et à ce default, leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener à telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur, obeissance, & service de Dieu, & l'establissement, manutention & conservation de l'authorité de sadite Majesté parmy eux; du moins pour vivre, demeurer, hanter, & fréquenter avec eux en toute asseurance, liberté, fréquentation, & communication, y négocier & trafiquer amiablement & paisiblement: faire faire à ceste fin les descouvertures & recognoissances desdites terres, & notamment depuis ledit lieu appellé Québec, jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'icelui, dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve Sainct Laurent, pour essayer de trouver le chemin facile pour aller par dedans ledit païs au païs de la Chine & Indes Orientales, ou autrement, tant & si avant qu'il se pourra, le long des costes, & en la terre ferme: faire soigneusement rechercher & recognoistre toutes sortes de mines d'or, d'argent, cuivre, & autres métaux, & minéraux; les faire faire fouiller, tirer, purger, & affiner, pour estre convertis, & en disposer selon & ainsi qu'il est prescript par les Edicts & Reglemens de sa Majesté, & ainsi que par nous sera ordonné. Et où led. Sieur de Champlain trouveroit des François, & autres, trafiquans, negocians, & communiquans avec les Sauvages, & peuples estans depuis led. lieu de Québec, & au dessus d'iceluy, comme dessus 234/890 est dit, & qui n'ont esté reservez par sa Majesté, Luy avons permis & permettons s'en saisir & apprehender, ensemble leurs vaisseaux, marchandises, & tout ce qui s'y trouvera à eux appartenant, & iceux faire conduire & amener en France és havres de nostre Gouvernement de Normandie, és mains de la justice, pour estre procédé contre eux selon la rigueur des Ordonnances Royaux, & ce qui nous a esté accordé par sad. Majesté: Et ce faisant, gerer, négocier, & se comporter par led. Sieur de Champlain en la fonction de lad. charge de nostre Lieutenant, pour tout ce qu'il jugera estre à l'advancement desd. conqueste & peuplement: Le tout, pour le bien, service, & authorité de sad. Majesté, avec mesme pouvoir, puissance & authorité que nous ferions si nous y estions en personne, & comme si le tout y estoit par exprés & plus particulièrement specifié & déclaré. Et outre tout ce que dessus, Avons audit Sieur de Champlain permis & permettons d'associer & prendre avec luy telles personnes, & pour telles sommes de deniers qu'il advisera bon estre pour l'effect de nostre entreprise. Pour l'execution de laquelle, mesme pour faire les embarquemens, & autres choses necessaires à cet effect qu'il fera és villes & havres de Normandie, & autres lieux où jugerez estre à propos, Vous avons de tout donné & donnons par ces presentes, toute charge, pouvoir, commission, & mandement special; & pource vous avons substitué & subrogé en nostre lieu & place, à la charge d'observer & faire observer par ceux qui 235/891 seront souz vostre charge & commandement, tout ce que dessus, & nous faire bon & fidel rapport à toutes occasions de tout ce qui aura esté fait & exploité, pour en rendre par Nous prompte raison à ladite Majesté. Si prions & requérons tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers, leurs Lieutenans généraux, Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines de leurs villes & forts maritimes, ports, costes, havres, & destroits, donner audit Sieur de Champlain pour l'entier effect & exécution de ces presentes, tout support, secours, assistance, retraite, main-forte, faveur & aide, si besoin en a, & en ce qu'ils pourront estre par luy requis. En tesmoin de ce nous avons cesdites presentes signées de nostre main, & fait contre-signer par l'un de nos Secrétaires ordinaires, & à icelles fait mettre & apposer le cachet de nos armes; A Paris le quinziesme jour d'Octobre, mil six cents douze.» _Signée_ CHARLES DE BOURBON. _Et sur le reply_, Par Monseigneur le Comte, BRESSON. Mais ceste affaire ne dura que le moins qu'il me fut possible: car je me resolus de m'addresser à Monseig. le Prince; auquel ayant remonstré l'importance & le merite de ceste affaire, que mond. Seigneur le Comte avoit embrassée, comme protecteur d'icelle, il eust pour tres-agreable de la continuer souz son authorité; qui m'occasionna de faire dresser ses 236/892 Commissions[367], sa Majesté luy ayant donné la protection. Ses Commissions seellées, mond. Seigneur me continua en l'honneur de la Lieutenance de feu Monseigneur le Comte, avec l'intendance d'icelle, pour associer telles personnes que j'adviserois bon estre, & capables d'aider à l'execution de ceste entreprise. [Note 367: Cette commission est du 22 novembre 1612. (Voir, ci-après, celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15 février 1625, seconde partie, liv. II, ch. I.)] Comme je moyennois de faire publier en tous les ports & havres du Royaume les Commissions de mond. Seigneur le Prince, quelques brouillons qui n'avoient aucun interest en l'affaire, l'importunerent de la faire casser, luy faisans entendre le pretendu interest de tous les marchands de France, qui n'avoient aucun sujet de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit receu en l'association, & par ainsi l'on ne se pouvoit justement offenser: c'est pourquoy leur malice estant recognue, ils furent rejettez, avec permission seulement d'entrer en la societé. Pendant ces altérations[368], il me fut impossible de rien faire pour l'habitation de Québec, & se fallut contenter pour ceste année[369] d y aller sans aucune association qu'avec passe-port de Monseigneur, qui fut donné pour cinq vaisseaux, sçavoir trois de Normandie, un de la Rochelle, & un autre[370] de Sainct Malo; à condition que chacun me fourniroit six[371] hommes, avec ce qui leur seroit necessaire, pour m'assister aux 237/893 descouvertes[372] que j'esperois faire par delà le, grand Sault, & le vingtiesme de ce qu'ils pourroient faire de pelleterie, pour estre employé aux réparations de l'habitation, qui s'en alloit en décadence. C'est donc tout ce qui se peut faire pour ceste année, en attendant que la societé se formast. [Note 368: Altercations. C'est aussi ce que porte l'édition de 1613 (p. 286).] [Note 369: 1613.] [Note 370: Ce cinquième vaisseau n'est pas mentionné dans l'édition de 1613. (_Conf_. 1613, p. 286.)] [Note 371: L'édition de 1613 porte «quatre.»] [Note 372: L'auteur omet ici un motif qu'il avait exprimé en 1613, celui de faire la guerre aux sauvages. C'est que Champlain ne se joignit aux nations alliées que par la nécessité des circonstances, et pour parvenir plus efficacement au but que l'on devait se proposer: connaître le pays et ses ressources.] Tous ces vaisseaux s'appresterent chacun en son port & havre, & moy je m'en allay embarquer à Honnefleur[373] avec led. sieur du Pont-gravé, qui faisoit pour les anciens associez qui ne s'estoient desunis. Nous voila embarquez jusques à arriver à Tadoussac[374], & de là à Quebec[375], où tous estoient en bonne santé, qui fut l'an 1613. [Note 373: _Conf_. 1613, p. 287, et ci-devant, liv. IV, ch. I.] [Note 374: Le 29 avril. (1613, p. 289.)] [Note 375: Le 7 mai. (Ci-dessus, p. 198, et 1613, p. 290.)] De là continuant nostre voyage jusques au grand Sault Sainct Louis[376], où chacun faisoit sa traitte de pelleterie, je cherchay le vaisseau le plustost prest pour m'en retourner, qui fut celuy de Sainct Malo, dans lequel je m'embarquay; & levant les anchres & mettant souz voile, nous singlasmes si favorablement, qu'en peu de jours[377] nous arrivasmes en France, où estant, je donnay à entendre à plusieurs marchands le bien & utilité qu'apportoit une compagnie bien réglée, & conduitte souz l'authorité d'un grand Prince, qui les pouvoit maintenir contre toute sorte d'envie, & qu'ils eussent à 238/894 considerer ce que par le dérèglement du passé ils avoient perdu, & mesme en la presente année, à l'envie les uns des autres. Et jugeans bien tous ces défauts, ils me promirent venir en Cour pour former leur compagnie, souz de certaines conditions. Ce qu'estant accordé, je m'acheminay à Fontainebleau, où estoit le Roy, & Monseigneur le Prince, ausquels je fis fidèle rapport de tout mon voyage. [Note 376: Champlain, cette année 1613, arriva au saut Saint-Louis le 21 de mai, et en repartit, après avoir remonté l'Outaouais avec son imposteur de Vignau, le 27 juin, pour Tadoussac, d'où il fit voile pour la France le 8 juillet, dans le vaisseau de Maisonneuve. (Voir 1613, p. 288, 289 et 325.)] [Note 377: Le vaisseau partit de Tadoussac le 8 juillet, et arriva à Saint-Malo le 26 août. (Voir 1613, p. 325, 326.)] Quelques jours après ceux de Sainct Malo & de Normandie se trouverent prests, mais ceux de la Rochelle manquèrent. Cependant je ne laissay de faire la societé à Paris, reservé le tiers aux Rochelois, qu'au cas que dedans un certain temps ils n'y voulussent entrer, ils n'y seroient plus receus. Ils furent si longtemps en ceste affaire, que ne venans pas au temps ils furent démis, & ceux de Rouen & Sainct Malo prirent l'affaire moitié par moitié. En ce temps il falloit de tout bois faire flesches, car les importunitez qu'avoit Monseig. le Prince, occasionnoit que je faisois beaucoup de choses par son commandement. Voila donc la societé & le contract fait, lequel je fais ratifier à mond. Seig. le Prince, & de sa Majesté, pour unze années. Ceste Société ayant vescu quelque temps en tranquillité, il y eut quelque dissention entr'eux & les Rochelois, qui estoient faschez de ce qu'on les avoit démis, pour ne s'estre trouvez au temps prescrit, qui fit qu'ils eurent un grand procez, lequel est demeuré au crocq, jusques à ce qu'ils obtindrent de mond. Seign. le Prince un passe-port par surprise pour un vaisseau, qui par la permission de Dieu se perdit à quinze lieues à val de Tadoussac, à la coste du nort. Car sans ceste fortune, il 239/895 n'y a point de doute que comme il estoit bien armé, il se fust battu, voulant jouir de son passe-port injustement acquis contre les nostres, où mond. Seig. s'obligeoit ne donner passe-port autre qu'à ceux de nostre Société, & que s'il s'en trouvoit d'autres obtenus en quelque manière & façon que ce fust, qu'il les declaroit nuls dés à present comme dés lors. C'est pourquoy il y eust eu raison de se saisir des Rochelois, ce qui ne se pouvoit faire qu'avec la perte de nombre d'hommes. Partie des marchandises de ce vaisseau furent sauvées, & prises par les nostres, qui en firent très-bien leur profit avec les Sauvages, qui leur causa une très-bonne année: aussi à leur retour eurent-ils un grand procez contre les Rochelois, qui fut enfin jugé au bénéfice de lad. Société[378]. [Note 378: Apparemment, les tribunaux d'alors ne jugeaient point des choses comme l'a fait, de nos jours, certain historien. Ils condamnèrent les Rochelois, parce que sans doute ils jugèrent qu'un vaisseau qui, après avoir refusé ou négligé d'entrer dans la société, venait, avec un passe-port frauduleux, enlever à une compagnie légalement constituée, sa principale source de revenu, prêt au besoin à employer la force pour soutenir ses injustes prétentions, devait être regardé comme un vrai pirate, et poursuivi comme tel suivant toute la rigueur du droit. Mais l'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_, voit, et tient à faire voir les choses sous un autre jour; à l'entendre, c'est tout bonnement un vaisseau jeté à la côte, qui devient la victime de l'injustice et de la rapacité de ses compatriotes. «Un vaisseau Rochelois,» dit-il, «ayant échoué près de Tadoussac, la société ne manqua pas de tirer avantage de son privilège,» (quel crime!) & la rigueur dont elle usa dans cette occasion montre combien l'intérêt mercantile étouffait jusqu'aux sentiments de fraternité inspirés par l'esprit de secte.» Cette dernière phrase, pour avoir un sens, suppose admises deux choses dont l'une est au moins incertaine, et l'autre fausse, savoir: 1° que le vaisseau rochelois était de la religion prétendue réformée, ce que l'on ne sait pas au juste, puisque Champlain est le seul qui parle de ce vaisseau, et qu'il ne le dit point; 2° que la compagnie était également toute calviniste, comme le même auteur le fait dire à Champlain ailleurs (voir ci-après, ch. VIII), ce qui est faux. Cette compagnie renfermait, à la vérité, des marchands qui étaient de la réforme; mais il y avait aussi des catholiques, pour le moins Champlain lui-même, ce qui était bien quelque chose, puisque c'était lui qui avait formé cette société. Après une réflexion si peu fondée, le même auteur cite la phrase suivante entre guillemets, tout en la retouchant un peu, suivant sa coutume: «Une partie des marchandises que portait ce navire furent sauvées, dit Champlain, & prises par les nôtres, qui en firent très-bien leur profit avec les sauvages, ce qui leur causa une très-bonne année.» Mais il n'a garde de pousser plus loin la citation, le reste de la phrase étant de nature à faire naître des doutes sur la justesse de son appréciation, puisque les cours de justice jugèrent le procès en faveur de la société.] 240/896 Continuant tousjours ceste entreprise souz l'authorité de mond. Seign. le Prince, & voyant que nous n'avions aucun Religieux, nous en eusmes par l'entremise du sieur Houel[379], qui avoit une affection particulière à ce sainct dessein, & me dit que les pères Recollets y seroient propres, tant pour la demeure de nostre habitation, que pour la conversion des infideles. Ce que je jugeay à propos, estans sans ambition, & du tout conformes à la règle sainct François. J'en parlay à mond. Seig. le Prince, qui l'eut pour très-agréable; & ceste Compagnie s'offrit volontairement de les nourrir, attendant qu'ils peussent avoir un Séminaire, comme ils esperoient, par les charitables aumosnes qui leur seroient faites, pour prendre & instruire la jeunesse. [Note 379: Voir 1619, p. 4, note 2.] Quelques particuliers de Sainct Malo poussez par d'autres aussi envieux qu'eux, de n'estre de la Societé, (bien qu'il y en eust de leurs compatriotes) voulurent tenter une chose: mais n'osans se presenter devant mond. Seig. le Prince, ny trouver des Conseillers d'Estat, qui se voulussent charger de leur requeste contre son authorité, ils font en sorte de faire mettre dans le cahier général des Estats[380], Qu'il fut permis d'avoir la traitte de pelleterie libre en toute la Province comme chose très-importante. C'estoit un article fort serieux, & ceux qui l'avoient fait coucher devoient estre pardonnez, car ils ne sçavoient pas bien ce que c'estoit de ceste affaire, qu'on leur avoit donné à entendre, contraire à la vérité. [Note 380: Voir 1619, p. 6, note 1.] 241/897 Voila comme par les plus célèbres assemblées il se commet souvent des fautes, sans s'informer davantage. Ces envieux pensent avoir fait un grand coup, & qu'en ceste assemblée des Estats tenus à Paris il se feroit des merveilles sur ce sujet, comme s'ils n'eussent eu autre fil à devider. Ayant ouy le vent de cecy, j'en parlay à Monseigneur le Prince, & luy remonstray l'interest qu'il avoit en la defense si juste de cet article, & que s'il luy plaisoit me faire l'honneur de me faire ouir, je ferois voir que la Bretagne n'a nul interest en cela, que ceux de Sainct Malo, dont des plus apparents avoient entré en ladite societé, & que d'autres l'avoient refusée, & pour ce desplaisir avoient fait insérer cedit article au cahier général de la Province. Il me dit qu'il me feroit parler à ces Messieurs; ce qui fut fait, où je fis entendre la vérité de l'affaire, qui fut cause que l'article estant recogneu, il ne fut mis au néant. _Embarquement de l'Autheur pour aller en la nouvelle France. Nouvelles descouvertures en l'an 1615._ CHAPITRE V.[381] [Note 381: Chapitre VI de la première édition.] Nous partismes de Honnefleur le 24e jour d'Aoust[382] 1615, avec quatre Religieux[383], & fismes voile avec vent fort favorable, & voguasmes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, & en peu de temps arrivasmes à Tadoussac le 25e jour de May, où nous rendismes grâces à Dieu, de nous avoir conduit si à propos au port de salut. [Note 382: Le 24 avril. (Voir 1619, p. 9, note 1.)] [Note 383: Voir 1619, p. 7, 8, 9, où il y a d'intéressants détails sur l'arrivée de ces religieux.] 242/898 On commença à mettre des hommes en besongne pour accommoder nos barques, afin d'aller à Québec, lieu de nostre habitation, & au grand Sault Sainct Louys, où estoit le rendez-vous des Sauvages qui y viennent traitter[384]. Incontinent que je fus arrivé au Sault[385], je visitay ces peuples, qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur donnerions quelques-uns d'entre nous pour les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous remonstrans que mal aisément ils pourroient venir à nous, si nous ne les assistions, parce que les Yroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur le chemin, qui leur fermoient le passage; outre que je leur avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par leur truchement. Sur quoy j'advisay[386] qu'il estoit tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger davantage à nous aimer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises, & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement & préparation pour venir au 243/899 Christianisme, en faveur de quoy je me resolus d'y aller recognoistre leurs pays, & les assister en leurs guerres, afin de les obliger à me faire voir ce qu'ils m'avoient tant de fois promis. [Note 384: Il est bon de remarquer qu'on a omis, dans l'édition de 1632, tous les détails qui ont rapport aux Pères Récollets. Ici, l'édition de 1619 s'étendait assez au long sur ce qui se passa à leur arrivée (_Conf_. 1619, p. 9-14). Il faut se rappeler de plus, qu'au moment où cette édition de 1632 se publiait, les Récollets faisaient d'inutiles efforts pour venir reprendre leurs missions. Maintenant, en jetant un coup-d'oeil sur ces passages de 1619 auxquels nous renvoyons, on comprend aisément, à voir l'obscurité et l'embarras de la narration, qu'il n'y avait que Champlain lui-même qui pût ou compléter le récit, ou le remettre dans un ordre plus clair, et tout autre que Champlain devait renoncer à débrouiller le chaos. De sorte que, tout bien considéré, il semble que l'édition de 1632 n'ait pas été faite, ou surveillée, par l'auteur lui-même, et de plus qu'elle ait été confiée à un père jésuite ou à un ami de leur ordre, comme on peut encore en trouver d'autres raisons ailleurs.] [Note 385: Vers le 20 de juin (1619, p. 14, note 1).] [Note 386: L'édition de 1619 porte: «Sur quoy ledit du Pont & moy advisasmes» (p. 14, note 2).] Je les fis tous assembler pour leur dire ma volonté, laquelle entendue, ils promirent nous fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient merveilles, & qu'à ceste fin je menasse de ma part le plus d'hommes qu'il me seroit possible: ce que je leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien délibérez. Lors je commençay à leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour combattre, à quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec demonstration d'une bonne esperance de victoire. Toutes ces resolutions prises, nous nous separasmes, avec intention de retourner pour l'exécution de nostre entreprise. Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je fisse un voyage à nostre habitation, pour donner ordre, pendant mon absence, aux choses qui y estoient necessaires. Et le jour ensuivant[387], je partis de là pour retourner à la riviere des Prairies, avec deux canaux de Sauvages[388]. [Note 387: L'édition de 1619 porte; «Et.....le jour de.....ensuivant.» Vraisemblablement le 23 de juin. (Voir 1619, p. 16, note 1.)] [Note 388: Ici encore, l'édition de 1619 renferme d'assez amples détails sur les Récollets, et sur les premières messes qu'ils dirent dans ce pays (p. 16-19).] Le 9 dudit mois[389] je m'embarquay moi troisiesme, à sçavoir l'un de nos truchemens, & mon homme, avec dix Sauvages, dans lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter, d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarrassez de hardes, ce qui m'empeschoit de mener des hommes davantage. [Note 389: Le 9 de juillet 1615. (Voir 1619, p. 19.)] 244/900 Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve Sainct Laurent environ six lieues, & fusmes par la riviere des Prairies, qui descharge dans ledit fleuve, laissant le sault sainct Louys cinq ou six lieues plus à mont, à la main senextre, ou nous passasmes plusieurs petits sauts par cette riviere, puis entrasmes dans un lac[390], lequel passé, r'entrasmes dans la riviere, où j'avois esté autrefois, laquelle va & conduit aux Algoumequins, distante du sault sainct Louis de 89 lieues[391], de laquelle riviere j'ay fait ample description cy-dessus[392]. Continuant mon voyage jusques au lac des Algoumequins[393], r'entrasmes dedans une riviere [394] qui descend dedans ledit lac, & fusmes à mont icelle environ trente-cinq lieues, & passasmes grande quantité de sauts, tant par terre, que par eau, & en un pays mal agréable, remply de sapins, bouleaux, & quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroits un peu montagneux. Au surplus fort desert, sterile, & peu habité, si ce n'est de quelques Sauvages Algoumequins, appeliez Otaguottouemin[395], qui se tiennent dans les terres, & vivent de leurs chasses & pescheries qu'ils font aux rivieres, estangs, & lac, dont le pays est assez muny. Il est vray qu'il semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses & desertes quelque chose en sa saison, pour servir de 245/901 rafraischissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande quantité de blues[386], qui est un petit fruict fort bon à manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle quantité, que c'est merveille: desquels fruicts ces peuples qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissasmes icelle riviere qui vient du nort[397], & est celle par laquelle les Sauvages vont au Sacquenay pour traitter des pelleteries, pour du petum. Ce lieu est par les 46 degrez[398] de latitude, assez agréable à la veue, encores que de peu de rapport. [Note 390: Le lac des Deux-Montagnes.] [Note 391: Lisez: 8 à 9 lieues. (Voir 1619, p. 19, 20.)] [Note 392: Livre IV, chapitre I, II et III.] [Note 393: Le lac des Allumettes. (Voir 1619, p. 20, note 4.)] [Note 394: La rivière Creuse, qui est une partie de l'Outaouais. (1619, p. 20, note 5.)] [Note 395: _Outaoukotouemiouek_ suivant la Relation de 1650, et _Kotakoutouemi_ suivant celle de 1640. (Voir 1619, p. 20, note 6.)] [Note 396: Voir 1619, p. 21, note 1.] [Note 397: Voir 1619, p. 21, note 2.] [Note 398: Voir 1619, p. 21, note 3.] Poursuivant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere des Algoumequins, nous passasmes par plusieurs lacs, où les Sauvages portent leurs canaux, jusques à ce que nous entrasmes dans le lac des Nipisierinij[3999], par la hauteur de quarante-six degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dud. mois[400], après avoir fait tant par terre, que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce fait, nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne réception, & estoient en bon nombre. Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A, vous monstre l'habit de ces peuples allans à la guerre. B, celuy des femmes, qui ne diffère en rien de celuy des montagnars, & Algommequins, grands peuples, & qui s'estendent fort dans les terres[401]. [Note 399: Le lac Nipissing.] [Note 400: Le 26 de juillet. Cette phrase, évidemment, doit se rattacher à la précédente.] [Note 401: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.] 246/902 Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, & autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins, selon leur coustume, & mettoient peine d'aller pescher & chasser, pour nous traitter le plus délicatement qu'ils pouvoient. Ils estoient bien en nombre de sept à huict cents âmes, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de six lieues de long, où il y a trois ou quatre beaux estangs, & nombre de belles prairies, avec de très-beaux bois qui l'environnent, & y a grande abondance de gibbier, qui se retire dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du poisson. Le costé du Septentrion dudit lac est fort agréable. Il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, & plusieurs petites rivieres qui se deschargent dedans. Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de plusieurs sortes de poisson, entre autres d'un très-bon, qui est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes, que les Sauvages peschent pour faire secher, & en font provision. Ce lac[402] a en son estendue environ 8 lieues de large, & 25 de long, dans lequel descend une riviere[403] qui vient du norouest, par où ils vont traitter les marchandises que nous leur donnons en trocq, & retour de leurs pelleteries, 247/903 & ce avec ceux qui y habitent[404], lesquels vivent de chasse, & de pescherie, parce que ce pays est grandement peuplé tant d'animaux, oiseaux, que poisson. [Note 402: Le lac Nipissing.] [Note 403: La rivière aux Esturgeons. (Voir 1619, p. 23, notes 2 et 3.)] [Note 404: Les Outimagami, qui demeuraient vraisemblablement au lac Timiscimi, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, et les Kiristinons, ou Cris. (Voir Relat, 1640, ch. x.)] Après nous estre reposez deux jours avec le Chef desdits Nipisierinij, nous nous r'embarquasmes en nos canaux, & entrasmes dans une riviere[405] par où ce lac se descharge, & fismes par icelle environ 33 lieues, & descendismes par plusieurs petits sauts, tant par terre, que par eau, jusques au lac Attigouantan. Tout ce pays est encores plus mal agréable que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix arpents de terre labourable, sinon rochers, & montagnes. Il est bien vray que proche du lac des Attigouantan[406] nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où nos Sauvages prirent des citrouilles, qui nous semblerent bonnes, car nos vivres commençoient à nous faillir, par le mauvais mesnage des Sauvages, qui mangèrent si bien au commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions qu'un repas le jour: & nous aidèrent beaucoup ces blues & framboises (comme j'ay dit cy dessus) autrement nous eussions esté en danger d'avoir de la necessité. [Note 405: La rivière des Français.] [Note 406: Le lac Huron. (Voir note 2 de la page suivante et note 3 de la page 249.)] Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous nommasmes les cheveux relevez, pour les avoir fort relevez & ageancez, & mieux peignez que nos Courtisans, & n'y a nulle comparaison, quelques fers & façons qu'ils y puissent apporter: ce qui semble leur donner une belle apparence. A. C. monstre la 248/904 façon qu'ils s'arment allant à la guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc & la flesche, fait en la façon que voyez dépeints, qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir bouilly, qui est d'un animal comme le bufle[407]. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la massue. Ils n'ont point de brayer, & sont fort découpez par le corps, en plusieurs façons de compartiment: & se peindent le visage de diverses couleurs, ayans les narines percées, & les oreilles bordées de patenostres. Les ayant visitez, & contracté amitié avec eux, je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi content & resjouy, que si je luy eusse fait quelque riche present. Et m'enquerant sur ce qui estoit de son païs, il me le figura avec du charbon sur une escorce d'arbre: & me fit entendre qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce fruict appellé blues, pour leur servir de manne en hyver, lors qu'ils ne trouvent plus rien. [Note 407: _Conf_. 1619, p. 25. Tout ce passage a été remanié, dans l'édition de 1632.] Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin le long du rivage de ce lac des Attigouantan[408], où il y a un grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de trois[409] cents lieues de longueur de l'Orient à l'Occident, & de large 249/905 cinquante[410]; & à cause de sa grande estendue, je l'ay nommé la mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes de très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux que n'avons pas, & principalement des truittes qui sont monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à quatre pieds & demy de long, & les moindres qui se voyent sont de deux pieds & demy. Comme aussi des brochets au semblable, & certaine manière d'esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du costé du nort, & en partie plat, & inhabité de Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes. Puis après nous traversasmes une baye[411], qui fait une des extremitez du lac, & fismes environ sept lieues[412], jusques à ce que nous arrivasmes en la contrée des Attigouantan[413], à un village appelle Otouacha[414], qui fut le premier jour d'Aoust, ou trouvasmes un grand changement de pays, cestuy-cy estant fort beau, & la plus grande partie deserté, accompagné de force collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir agréable. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient lors fort advancez pour la saison. [Note 408: Attignouantan, ou Attignaouantan; c'est le lac Huron, ou mer Douce. Les Attignaouantan, nation des Ours, formaient l'une des tribus huronnes les plus considérables, et demeuraient plus proche du lac que les autres tribus.] [Note 409: L'édition de 1640, pour se conformer sans doute à celle de 1619, a remis dans le texte comme à la marge: «quatre cents.» Le lac Huron n'a environ que quatre-vingts lieues de longueur; mais, dans son immense contour, on peut bien compter quatre cents lieues, et c'est peut-être ce que Champlain a voulu dire, ou ce que lui auront dit les sauvages. Il est possible aussi que le manuscrit portât en toutes lettres _quatre vint_, et que le typographe ait lu _quatre cent_.] [Note 410: L'édition 1640 ajoute le mot «lieues.»] [Note 411: La baie de Matchidache.] [Note 412: C'est-à-dire, la traverse même de cette baie de Matchidache. (Voir 1619, p. 26, note 2.)] [Note 413: La contrée des Attignaouantan, ou des Ours, se composait principalement de cette pointe du comté actuel de Simcoe, qui s'étend de inq à six lieues vers le nord-ouest dans la baie Géorgienne, entre la baie de Matchidache et celle de Nataouassagué.] [Note 414: Otouacha, qui est probablement le même que Toanché, ou Toanchain, paraît avoir été situé à environ un mille du fond de la baie du Tonnerre. Il ne faut pas confondre ce premier emplacement d'Otouacha, ou de Touanché, avec le second dont parle la Relation de 1635, qui était encore un mille plus loin de la baie. (Voir 1619, p. 26, notes 3 et 4.)] 250/906 Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si mauvaise contrée d'où nous venions de sortir. Le lendemain je fus à un autre village appelle Carmaron[413], distant d'iceluy d'une lieue, où ils nous receurent fort amiablement, nous faisans festin de leur pain, citrouilles, & poisson. Pour la viande, elle y est fort rare. Le chef dudit village me pria fort d'y sejourner, ce que je ne peus luy accorder, ains m'en retournay à nostre village[414]. [Note 415: A environ trois ou quatre milles au sud-est d'Otouacha, l'on trouve encore les restes d'un village qui doit avoir été Carmaron. Ce nom, que l'auteur semble donner comme huron, a probablement été mal lu par le typographe, la langue huronne n'ayant pas de labiales. Il est très-possible que Champlain ait écrit _Cannaron_, ou _Connarea_, mot qui se rapproche beaucoup de _Kontarea_, mentionné dans les Relations et dans la carte de Ducreux; or la position de ce dernier village pourrait répondre à celle de Carmaron. (Voir 1619, p. 27, note 2.)] [Note 416: _Conf_. 1619, p. 27.] Le lendemain[417] je partis de ce village pour aller à un autre, appellé Touaguainchain[418], & à un autre appellé Tequenonquiaye[419], esquels nous fusmes receus des habitans desdits lieux fort amiablement, nous faisans la meilleure chere qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons, tant ce pays est beau & bon, par lequel il fait beau cheminer. [Note 417: Probablement le 3 d'août.] [Note 418: Il semble que Touaguainchain soit le nom huron de ce que les Pères Jésuites appelèrent plus tard Sainte-Madeleine. Il devait être à environ quatre milles au sud d'Otouacha, et deux milles à l'ouest de Carmaron. (Voir 1619, p. 28, note 2.)] [Note 419: «Autrement nommé, dit Sagard, _Quieuindohian,_ par quelques François la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel.» (Hist. du Canada, p. 208.) Quelques années plus tard, la Rochelle portait le nom d'Ossossané, et les Jésuites y établirent la résidence de la Conception. (Voir 1619, p. 28, note 3.) Ce village était à environ quatre lieues au sud-sud-est d'Otouacha, et par conséquent deux lieues plus au sud que Carmaron. (Sagard, et Relations des Jésuites.)] De là je me fis conduire à Carhagouha[420], fermé de triple pallissade de bois, de la hauteur de trente-cinq pieds, pour 251/907 leur defense & leur conservation. Estant en ces lieux[421] le 12 d'Aoust[422], j'y trouvay 13 à 14 François[423] qui estoient partis devant moy de ladite riviere des Prairies. Et voyant que les Sauvages apportoient une telle longueur à faire leur gros, & que j'avois du temps pour visiter leur pays, je deliberay de m'en aller à petites journées de village en village à Cahiagué[424], où devoit estre le rendez-vous de toute l'armée, distant de Carantouan[425] de 14 lieues, & partis de ce village le 14 d'Aoust avec dix de mes compagnons. Je visitay cinq des principaux villages[426], fermez de pallissades de bois, jusques à Cahiagué, le principal village du pays, où il y a deux cents cabannes assez grandes, où tous les gens de guerre se devoient assembler. Par tous ces villages ils nous receurent fort courtoisement & humainement. Ce païs est très-beau, souz la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & fort deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y vient très-beau, comme aussi des citrouilles, herbe au Soleil, dont ils font de l'huile de la graine, de laquelle ils se frottent la teste. Il est fort traversé de ruisseaux qui se deschargent dedans le lac: & y a force vignes & prunes, qui sont très-bonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages, noix, & une manière de fruict qui est de la forme & couleur de petits citrons, comme de la grosseur d'un oeuf. La plante qui 252/908 le porte a de hauteur deux pieds & demy, & n'a que trois à quatre fueilles pour le plus, de la forme de celle du figuier, & n'apporte que deux pommes chaque plante. Les chesnes, ormeaux, & hestres y sont en quantité, comme aussi force sapinieres, qui est la retraite ordinaire des perdrix & lapins. Il y a aussi quantité de petites cerises[427], & merises, & les mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France, sont en ce pays là. A la vérité ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort peuplé d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les autres contrées où je n'ay pas esté, qui sont (au rapport commun) autant ou plus peuplées que ceux cy-dessus: me representant que c'est grand pitié que tant de créatures vivent & meurent, sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune religion, ny loy, soit divine, politique, ou civile, establie parmy eux. Car ils n'adorent & ne prient en aucune façon, ainsi que j'ay peu recognoistre en leur conversation. Ils ont bien quelque espece de cérémonie entr'eux, que je descriray en son lieu, comme pour ce qui est des malades, ou pour sçavoir ce qui leur doit arriver, mesme touchant les morts; mais ce sont de certains personnages qui s'en veulent faire accroire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des anciens Payens, qui se laissoient emporter aux persuasions des enchanteurs & devins: neantmoins la plus-part de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils 253/909 sont assez charitables entr'eux, pour ce qui est des vivres, mais au reste fort avaricieux, & ne donnent rien pour rien. Ils sont couverts de peaux de cerfs, & castors, qu'ils traittent avec les Algommequins & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines d'iceluy. [Note 420: Voir 1619, p. 28, note 4.] [Note 421: _Conf_. 1619, p. 28, 29. Les détails omis ici, dans l'édition de 1632, ont rapport au P. le Caron. Cette suppression est assez significative, et prouve jusqu'à l'évidence que l'éditeur tenait à ne point nuire à la cause des Pères Jésuites. Voilà pourquoi, sans doute, le Mémoire des Récollets de 1637 insiste sur ce point d'une manière remarquable.] [Note 422: Champlain arriva à Carhagouha vers le 4 ou le 5 d'août. (Voir 1619, p. 28, 29.)] [Note 423: Le P. Joseph était parti avec douze français, non pas précisément de la rivière des Prairies, mais du saut Saint-Louis. (1619, p. 18, 19.)] [Note 424: Cahiagué ne peut être autre chose que le nom huron du village que les missionnaires appelèrent plus tard Saint-Jean-Baptiste. Ce village devait être situé vers le centre de la presqu'île entourée par la rivière Matchidache ou Sévern. (Voir 1619, p. 20 note 4.)] [Note 425: Il faut lire Carhagouha. (Voir 1619, p. 19.)] [Note 426: À part Tequenonkiayé et Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat, Teanaustayaé, et Taenhatentaron. (Voir 1619 p. 30 note 1.)] [Note 427: L'édition de 1640 a remis le texte de 1619: «cerises petites.»] _Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays: naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommodités que nous receusmes._ CHAPITRE VI.[428] [Note 428: Chapitre VII de la première édition.] Le dix-septiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, ou le fus receu avec grande allegresse, & recognoissance de tous les Sauvages du pays[429]. Ils receurent nouvelles comme certaine nation de leurs alliez[430], qui habitent à trois bonnes journées plus haut que les Entouhonorons[431], ausquels[432] les Hiroquois font aussi la guerre, les vouloient assister en ceste expédition de cinq cents bons hommes, & faire alliance, & jurer amitié avec nous, ayans grand desir de nous voir, & que nous fissions la guerre tous ensemble, & tesmoignoient avoir du contentement de nostre cognoissance: & moy pareillement d'avoir trouvé ceste opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir des nouvelles de ce pays là. Ceste nation est fort belliqueuse, à ce que tiennent ceux de la nation des Attigouotans. Il ny a 254/910 que trois villages qui sont au milieu de plus de vingt autres, ausquels ils font la guerre, ne pouvans avoir de secours de leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays des Chouontouarouon[433], qui est fort peuplé, ou bien faudroit prendre un bien grand tour de chemin. [Note 429: _Conf_. 1619, p. 32.] [Note 430: Les Carantouanais. (Voir 1619, p. 32, note 1.)] [Note 431: Entouhoronons, ou Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 33, note 1.)] [Note 432: Auxquels alliés. (Voir 1619, p. 33, note 2.)] [Note 433: Ou Sountouaronon, Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 34, note 1.)] Arrivé que je fus en ce village, où il me convint sejourner, attendant que les hommes de guerre vinsent des villages circonvoisins, pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins & dances, pour la resjouissance en laquelle ils estoient de nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme s'asseurans desja de la victoire. La plus grande partie de nos gens assemblez, nous partismes du village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord d'un petit lac[434], distant dudit village de trois lieues, où il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent pour l'hyver. Il y a un autre lac[435] tout joignant, qui a 26 lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroit où se fait la grande pesche dudit poisson, par le moyen de quantité de pallissades, qui ferment presque le destroit, y lainant seulement de petites ouvertures où ils mettent leurs filets, où le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires, on 255/911 se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui je trouveroient en la troupe, pour aller donner advis de nostre partement à ceux qui nous devoient assister de cinq cents hommes pour nous joindre, afin qu'en un mesme temps nous nous trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération prinse, ils depescherent deux canaux, avec douze Sauvages des plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchemens[436], qui me pria luy permettre faire le voyage, ce que je luy accorday facilement, puis qu'il en avoit la volonté, & par ce moyen verroit leur pays, & recognoistroit[437] les peuples qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, dautant qu'il falloit passer par le milieu des ennemis. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, & fismes environ cinq à six lieues dans ces lacs [438], & de là les Sauvages portèrent leurs canaux environ dix lieues par terre, & rencontrasmes un autre lac[439] de l'estendue de six à sept lieues de long, & trois de large. C'est d'où sort une riviere[440] qui se va descharger dans le grand lac des Entouhoronons[441]. Et ayans traversé ce lac, nous passasmes un sault d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours à val, environ soixante-quatre lieues, qui est l'entrée dudit val [442] des Entouhonorons, & passasmes cinq sauts par terre, les uns de quatre à cinq lieues 256/912 de long, où y a plusieurs lacs qui sont d'assez belle estendue; comme aussi ladite riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons poissons, & est tout ce pays fort beau & plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres y ayent esté plantez par plaisir en la pluspart des endroits: aussi que tous ces pays ont esté autrefois habitez de Sauvages, qui depuis ont esté contraints de l'abandonner, pour la crainte de leurs ennemis. Les vignes & noyers y sont en grande quantité, & les raisins y viennent à maturité, mais il y reste tousjours une aigreur acre, ce qui provient à faute d'estre cultivez: car ce qui est deserté en ces lieux est assez agréable. [Note 434: Le lac Couchichine. (Voir 1619, p. 34, note 2.)] [Note 435: Le lac Simcoe. (Voir 1619, p. 34, note 3.)] [Note 436: Étienne Brûlé, (Voir 1619, pages 35 et 133.)] [Note 437: L'édition de 1640 porte: recognoistre.] [Note 438: La traverse du lac Simcoe de l'ouest à l'est est d'environ cinq lieues.] [Note 439: Le lac à l'Éturgeon _(Sturgem lake)_. (Voir 1619, p. 35, note 3.)] [Note 440: La rivière Otonabi, qui, au-dessous du lac au Riz, prend le nom de Trent, et se jette dans la baie de Quinté.] [Note 441: Le lac Ontario.] [Note 442: Lisez: lac.] La chasse des cerfs & des ours y est fort fréquente. Nous y chassasmes, & en prismes bon nombre en descendant. Pour ce faire, ils se mettoient quatre ou cinq cents Sauvages en haye dans le bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchans par ordre ayans l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours jusques à ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs, sont contraints de se jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la mercy des flesches qui leur sont tirées par les chasseurs, & cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis exprés sur le bord du rivage, s'approchent des cerfs, & autres animaux chassez & harassez, & fort estonnez. Lors les chasseurs les tuent facilement avec des lames d'espées emmanchées au bout d'un bois, en façon de demie pique, & font ainsi leur chasse; 257/913 comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a à quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de coups d'harquebuze, dont ils s'estonnoient fort. Mais il arriva par malheur qu'en tirant sur un cerf, un Sauvage se rencontra devant le coup, & fut blessé d'une harquebuzade, n'y pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il s'ensuivit une grande rumeur entre eux, qui neantmoins s'appaisa, en donnant quelques presens au blessé, qui est la façon ordinaire pour appaiser & amortir les querelles. Et où le blessé decederoit, on fait les presens & dons aux parens de celuy qui aura esté tué. Pour le gibbier, il y est en grande quantité lors de la saison. Il y a aussi force grues blanches comme les cygnes, & plusieurs autres especes d'oiseaux semblables à ceux de France. Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où estans, nous fismes la traverse[443] en l'un des bouts, tirant à l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct Laurent, par la hauteur de quarante-trois degrez[444] de latitude, où il y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes environ quatorze lieues pour passer jusques à l'autre costé du lac, tirant au sud, vers les terres des ennemis. Les Sauvages cachèrent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage. Nous fismes par terre environ 4 lieues 258/914 sur une playe de sable, où je remarquay un pays fort agréable & beau, traversé de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres[445] qui se deschargent audit lac, & force estangs & prairies, où il y avoit un nombre infiny de gibbier, force vignes & beaux bois, grand nombre de chastaigniers, dont le fruict estoit encore en son escorce, qui est fort petit, mais d'un bon goust. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a 80 lieues de long, & 25 de large[446]; la plus grande partie duquel est habité de Sauvages sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre chemin par terre 25 à 30 lieues. Durant quatre journées nous traversasmes quantité de ruisseaux, & une riviere[447], procédante d'un lac[448] qui se descharge dans celuy des Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les Hiroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui y est en abondance. [Note 443: De la baie de Quinté à la pointe à la Traverse, aujourd'hui _Stoney point_, (Voir 1619, p. 38, note 2.)] [Note 444: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.] [Note 445: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine (dont on a fait _Salmon river._)] [Note 446: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, et dix-sept ou dix-huit de large.] [Note 447: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen. Les Anglais disent _Oswego_.] [Note 448: Le lac des Onneyouts, appelé encore aujourd'hui _Oneida_.] Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allans pour descouvrir, rencontrèrent unze Sauvages qu'ils prindrent prisonniers, à sçavoir 4. femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes, qui alloient à la pesche de poisson, esloignez du fort des ennemis de 4 lieues. Or est à noter que l'un des chefs voyant ces prisonniers, coupa le doigt à une de ces pauvres femmes pour commencer leur supplice ordinaire. Sur quoy je survins sur ces entrefaites, & blasmay le Capitaine Hiroquet, luy 259/915 representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre, comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes, qui n'ont defense aucune que les pleurs, lesquelles à cause de leur imbécillité & foiblesse, on doit traitter humainement. Mais au contraire qu'on jugeroit cet acte provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, il ne me donneroit courage de les assister, ny favoriser en leur guerre[449]. A quoy il me répliqua pour toute response, que leurs ennemis les traittoient de mesme façon. Mais puis que ceste façon m'apportoit du desplaisir, il ne feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes. [Note 449: Cette remontrance, pleine de courage et dictée par un profond sentiment d'humanité, est une preuve entre mille que Champlain ne s'était pas joint aux sauvages alliés pour faire un «usage meurtrier des armes à feu contre les Iroquois,» comme l'avance l'auteur de l'_Histoire de la Colonie Française en Canada_ t. I, p. 137. Il est bien évident que cette expédition se fit aussi régulièrement qu'il était possible de le faire alors, et suivant les règles d'une bonne guerre.] Le lendemain sur les trois heures après midy nous arrivasmes devant le fort[450] de leurs ennemis, où les Sauvages firent quelques escarmouches les uns contre les autres, encores que nostre dessein ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peut permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de voir tirer sur leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par trop engagez. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur monstrasmes ce qu'ils n'avoient jamais veu, ny ouy. Car aussi tost qu'ils nous veirent, & entendirent les coups d'harquebuze, & les balles siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur 260/916 fort, emportans leurs morts & blessez, & nous aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut. [Note 450: Ce fort devait être situé vers le fond du lac de Canondaguen, ou _Canandaiga_, dans le comté d'Ontario, état de New-York. (Voir 1619, p. 40, note 1.)] Cela estant fait, nous nous retirasmes à la portée d'un canon, hors de la veue des ennemis, néantmoins contre mon advis, & ce qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur user & dire des paroles assez rudes & fascheuses, afin de les inciter à se mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruine. Neantmoins je ne laissay pas de leur envoyer & proposer des moyens dont il falloit user pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par dessus leurs pallisades, sur lequel on poseroit quatre ou cinq de nos harquebuziers, qui tireroient par dessus leurs pallissades & galleries qui estoient bien munies de pierres & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offensoient de dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une manière de mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesches & de pierres. Lesquelles choses, à sçavoir ledit cavallier, & les mantelets, se pourroient porter à la main à force d'hommes, & y en avoit un fait en telle sorte que l'eau ne pouvoit pas esteindre le feu, que l'on appliqueroit devant le fort. Se ceux qui seroient sur le cavallier feroient leur devoir, avec quelques harquebuziers qui y seroient logez, & en ce faisant nous nous défendrions en sorte, qu'ils ne pourroient approcher pour 261/917 esteindre le feu que nous appliquerions à leurs clostures. Ce que trouvans bon, le lendemain[451] ils se mirent en besongne pour bastir & dresser lesdits cavalliers & mantelets, & firent telle diligence, qu'ils furent faits en moins de quatre heures. Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce que ne s'estans point trouvez au rendez-vous, comme on leur avoit donné charge, & l'avoient promis, cela affligeoit fort nos Sauvages. Mais voyans qu'ils estoient bon nombre pour prendre leur fort, & jugeant de ma part que la longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du moins à beaucoup de choses, je les pressay d'attaquer led. fort, leur remonstrant que les ennemis ayans recogneu leurs forces, & l'effect de nos armes, qui perçoient ce qui estoit à l'espreuve des flesches, ils se seroient barricadez & couverts, comme de faict ils y remédièrent fort bien: car leur village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de grosses pièces de bois entrelassées les unes parmy les autres, où il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre deux, de la hauteur de trente pieds, & les galeries comme en manière de parappel, qu'ils avoient garnies de double pièces de bois, à l'espreuve de nos harquebuzes, & estoient proches d'un estang, où l'eau ne leur manquoit aucunement, avec quantité de goutieres qu'ils avoient mises entre deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans à couvert pour esteindre le feu. Voilà la façon dont ils usent tant en leurs fortifications, qu'en leurs 262/918 defenses,& bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres. [Note 451: Le 11 octobre.] Donc nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter nostre cavallier par deux cents hommes des plus forts, qui le poserent devant à la longueur d'une pique, où je fis monter quatre[452] harquebuziers, bien à couvert des flesches & pierres qui leur pouvoient estre tirées & jettées. Cependant l'ennemy ne laissa pour cela de tirer & jetter grand nombre de flesches & de pierres par dessus leurs pallissades. Mais la multitude des coups d'harquebuze qu'on leur tiroit, les contraignit de desloger, & d'abandonner leurs galeries. Et comme on portoit le cavallier, au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy où nous devions mettre le feu, il les abandonnèrent & se mirent à crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches dedans le fort, qui (à mon opinion) ne faisoient pas beaucoup d'exécution. Il les faut excuser, car ce ne sont pas gens de guerre, & d'ailleurs ils ne veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur semble bon. C'est pour quoy inconsiderément un mit le feu contre le fort tout au rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fit aucun effect. Le feu passé, la plus-part des Sauvages commencèrent à apporter du bois contre les pallissades, mais en si petite quantité, que le feu ne fit grand effect aussi le désordre qui survint entre ce peuple fut si grand, qu'on ne se pouvoit entendre. J'avois beau crier après eux, & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible, 263/919 le danger où ils se mettoient par leur mauvaise intelligence, mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient. Et voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes remonstrances estoient vaines, & n'y avoit moyen de remédier à ce désordre, je me resolus avec mes gens de faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions descouvrir, & appercevoir. Cependant les ennemis faisoient profit de nostre désordre: ils alloient à l'eau, & en jettoient en telle abondance, qu'on eust dit que c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs goutieres, tellement qu'en moins de rien le feu fut du tout esteint, & ne cessoient de tirer plusieurs coups de flesches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient sur le cavallier en tuèrent & estropierent beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois heures. Il y eut deux de nos Chefs, & des principaux blessez, à sçavoir un appelle Ochateguain, l'autre Orani, & environ quinze d'autres particuliers. Les autres de leur costé voyans leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, commencèrent à parler de retraitte sans plus combattre, attendant les cinq cents hommes[453], qui ne devoient plus gueres tarder à venir, & ainsi se retirèrent, n'ayans que ceste boutade de désordre. Au reste, les Chefs n'ont point de commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur volonté, & font à leur fantaisie, qui est la cause de leur désordre, & qui ruine toutes leurs affaires. Car ayans resolu quelque chose entr'eux, il ne faudra qu'un belistre, pour rompre leur resolution, & faire un nouveau dessein. Ainsi les uns pour les 264/920 autres ils ne font rien, comme il se peut voir par ceste expédition. [Note 452: _Conf_. Éd. 1619, p. 43.] [Note 453: Les Carantouanais, qui arrivèrent deux jours trop tard. (Voir 1619, p. 135.)] Ayant esté blessé de deux coups de flesche, l'un dans la jambe, & l'autre au genouil, qui m'apporta une grande incommodité, nous nous retirasmes en nostre fort. Où estans tous assemblez, je leur fis plusieurs remonstrances sur le desordre qui s'estoit passe, mais tous mes discours ne servirent de rien, & ne les esmeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de fatigue & d'incommodité aux autres faisant la retraite, pour les porter. Que de retourner plus contre leurs ennemis, comme je leur proposois, il n'y avoit aucun moyen: mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq cents hommes qui devoient venir, & estans venus, ils feroient encores un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le passé. Il en fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy devant est representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste figure l'on peut entendre & voir, que celles des amis & ennemis sont semblablement fortifiées. Le lendemain[454] il fit un vent fort impétueux qui dura deux jours, grandement favorable à mettre derechef le feu au fort des ennemis; sur quoy je les pressay fort: mais craignans d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez, cela fut cause qu'ils n'en voulurent rien faire. [Note 454: Le 12 octobre.] 265/921 Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps il se fit quelques escarmouches entre les ennemis & les nostres, qui demeuroient le plus souvent engagez parmy eux, plustost par leur imprudence, que faute de courage; & vous puis certifier qu'il nous falloit à toutes les fois qu'ils alloient à la charge, les aller desgager de la presse, ne se pouvans retirer qu'en faveur de nos harquebuzades, que les ennemis redoutoient & apprehendoient fort. Car si tost qu'ils appercevoient quelqu'un de nos harquebuziers, ils se retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion, que nous ne nous meslassions point en leurs combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requérir de les assister, avec tout plein d'autres discours sur ce sujet. Voyant que les cinq cents hommes ne venoient point, ils délibérèrent de partir, & faire retraite au plustost, & commencèrent à faire certains paniers pour porter les blessez, qui sont mis là dedans, entassez en un monceau, pliez & garrotez de telle façon, qu'il est impossible de se mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans leur faire ressentir de grandes douleurs. Je le puis certifier, ayant esté porté quelques jours sur le dos de l'un de nos Sauvages ainsi lié & garroté, ce qui me faisoit perdre patience. Aussi tost que je peux avoir la force de me soustenir, je sortis de ceste prison, ou à mieux dire, de la géhenne. Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue de loin, pour essayer d'attraper quelques-uns de ceux qui faisoient l'arrière-garde: mais leurs peines furent inutiles, & se retirèrent. 266/922 Tout ce que j'ay remarqué de bon en leur guerre, est qu'ils font leur retraite fort seurement, mettans tous les blessez & les vieux au milieu d'eux, estans sur le devant, aux aisselles[455], & sur le derrière bien armez, & arrangez par ordre de la façon, jusques à ce qu'ils soient en lieu de seureté, sans rompre leur ordre. Leur retraite estoit fort longue, comme de 25 à 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & à ceux qui les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en temps. [Note 455: _Aux aisles_. Étant bien armés sur le devant, aux ailes et sur le derrière.] Le 18 dudit mois il tomba force neiges, qui durerent fort peu, avec un grand vent, qui nous incommoda fort: neantmoins nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudit lac des Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachez, que l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les ennemis les eussent rompus. Estans tous assemblez, & prests de se retirer à leur village, je les priay de me remener à nostre habitation; ce qu'ils ne voulurent m'accorder du commencement: mais en fin ils s'y resolurent, & cherchèrent 4 hommes pour me conduire, lesquels s'offrirent volontairement. Car (comme j'ay dit cy-dessus) les Chefs n'ont point de commandement sur leurs compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce qu'ils voudroient bien. Ces 4 hommes estans prests, il ne se trouva point de canau, chacun ayant affaire du sien. Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, au contraire cela m'affligeoit, fort, d'autant qu'ils m'avoient promis de me remener & conduire après leur guerre, à nostre habitation: 267/923 outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas soucié. Quelques jours après j'apperceus que leur dessein estoit de me retenir, & mes compagnons aussi, tant pour leur seureté, craignans leurs ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs conseils & assemblées, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire à l'advenir. Le lendemain 28 dudit mois, chacun commença à se préparer, les uns pour aller à la chasse des cerfs, les autres aux ours, castors, autres à la pesche du poisson, autres à se retirer en leurs villages. Et pour ma retraite & logement, il y eut un des principaux Chefs appelle Darontal[456], avec lequel j'avois quelque familiarité, qui me fit offre de sa cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux. Après avoir traversé le bout du lac de ladite isle[457], nous entrasmes dans une riviere[458] environ 12 lieues, puis ils portèrent leurs canaux par terre demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un lac qui a d'estendue 10 à 12 lieues de circuit, ou il y avoit grande quantité de gibbier, comme cygnes, grues blanches, outardes, canards, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien, attendant la prise de quelque cerf, auquel lieu nous fusmes en 268/924 un certain endroit esloigné de dix lieues, où nos Sauvages jugeoient qu'il y en avoit quantité. Ils s'assemblerent 25 Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de pièces de bois, accommodées les unes sur les autres, & les calfeutrèrent avec de la mousse, pour empescher que l'air n'y entrast, les couvrant d'escorces d'arbres. Ce qu'estant fait, ils furent dans le bois, proche d'une petites sapiniere, où ils firent un clos en forme de triangle, fermé des deux costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort pressé, de la hauteur de 8 à 9 pieds, & de long de chacun costé prés de mil cinq cents pas; au bout duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de branchages, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds, comme la largeur d'un moyen portail, par où les cerfs devoient entrer. Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat. Cependant d'autres Sauvages alloient à la pesche du poisson, comme truites & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous manquèrent en aucune façon. Toutes choses estans faites, ils partirent demie heure devant le jour pour aller dans le bois, à quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns des autres de quatre vingts pas, ayant chacun deux bastons, desquels ils frapent l'un sur l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques à ce qu'ils arrivent à leur clos. Les cerfs oyans ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques à ce qu'ils arrivent au clos, où les Sauvages les pressent d'aller, & se joignent peu à peu vers l'ouverture de leur triangle, où 269/925 les cerfs coulent le long desdites pallissades, jusques à ce qu'ils arrivent au bout, où les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests à descocher, & estant au bout de leurdit triangle ils commencent à crier, & contrefaire les loups, dont y a quantité, qui mangent les cerfs: lesquels oyans ce bruit effroyable, sont contraints d'entrer en la retraitte par la petite ouverture, où ils sont poursuivis fort vivement à coups de flesches, & là sont pris aisément: car cette retraitte est si bien close & fermée, qu'ils n'en peuvent sortir. Il y a un grand plaisir en ceste chasse, qu'ils continuoient de deux jours en deux jours, si bien qu'en trente-huict jours[459] ils en prirent six vingts, desquels ils se donnent bonne curée, reservans la graine pour l'hyver, & en usent comme nous faisons du beurre, & quelque peu de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des festins entr'eux, & des peaux ils en font des habits. [Note 456: Voir 1619, p. 49, note 1.] [Note 457: Voir 1619, p. 49, note 2.] [Note 458: Probablement celle de Cataracoui. (Voir 1619, p. 50, note 1.)] [Note 459: Du 28 octobre au 4 décembre.] Ils ont d'autres inventions à prendre les cerfs, comme au piège, dont ils en font mourir beaucoup, ainsi que voyez cy-devant dépeinte la forme de leur chasse, clos, & pièges. Voila comme nous passasmes le temps attendant la gelée, pour retourner plus aisément, d'autant que le pays est grandement marescageux. Au commencement que nous sortismes pour aller chasser, je m'engageay tellement dans les bois à poursuivre un certain oiseau, qui me sembloit estrange, ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la grosseur d'une poulie, le tout jaulne, fors 270/926 la teste rouge, & les aisles bleues, & alloit de vol en vol comme une perdrix. Le desir que l'avois de le tuer me le fit poursuivre d'arbre en arbre fort long temps, jusques à ce qu'il s'envolla. Et perdant toute esperance, je voulus retourner sur mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui avoient tousjours gaigné pays jusques à leur clos: & taschant de les attraper, allant ce me sembloit droit où estoit ledit clos, je m'esgaray parmy les forests, allant tantost d'un costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la nuict survenant, je la passay au pied d'un grand arbre. Le lendemain je commençay à faire chemin jusques sur les 3 heures du soir, où je rencontray un petit estang dormant, & y apperceus du gibbier, & tuay trois ou quatre oiseaux. Las & recreu je commençay à me reposer, & faire cuire ces oiseaux dont je me repeus. Mon repas pris, je pensay à par-moy ce que je devois faire, priant Dieu qu'il luy pleust m'assister en mon infortune dans ces deserts, car trois tours durant il ne fit que de la pluye entre-meslée de nege. Remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que devant, allant ça & là tout le jour sans appercevoir aucune trace ou sentier que celuy des bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement bon nombre, & passay ainsi la nuict sans aucune consolation. L'aube du jour venu (après avoir un peu repeu) je pris resolution de trouver quelque ruisseau, & le costoyer, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il s'allast descharger en la riviere, ou sur le bord où estoient nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay si bien, que sur le midy se me trouvay sur le bord d'un petit lac, comme de 271/927 lieue & demie, où l'y tuay quelque gibbier, qui m'accommoda fort, & avois encores huict à dix charges de poudre. Marchant le long de la rive de ce lac pour voir où il deschargeoit, je trouvay un ruisseau assez spacieux, que je suivis jusques sur les cinq heures du soir, que j'entendis un grand bruit: & prestant l'oreille, je ne peus comprendre ce que c'estoit, jusques à ce que j'entendis ce bruit plus clairement, & jugeay que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois. M'approchant de plus prés, j'apperceus une escluse, où estant parvenu, je me rencontray en un pré fort grand & spacieux, où il y avoit grand nombre de bestes sauvages. Et regardant à la main droite, je veis la riviere large & spacieuse. Desirant recognoistre cet endroit, & marchant en ce pré, je me rencontray en un petit sentier, où les Sauvages portent leurs canaux. Ayant bien consideré ce lieu, je recogneus que c'estoit la mesme riviere, & que j'avois passée par là. Bien aise de cecy, je soupay de si peu que j'avois, & couchay là la nuict. Le matin venu, considerant le lieu où j'estois, je jugeay par certaines montagnes qui sont sur le bord de ladite riviere, que je ne m'estois point trompé, & que nos chasseurs devoient estre au dessus de moy de quatre ou cinq bonnes lieues, que je fis à mon aise, costoyant le bord de lad. riviere, jusques à ce que j'apperceus la fumée de nosd. chasseurs: auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de contentement, tant de moy, que de deux[460] qui me cerchoient, & avoient perdu esperance de me revoir, & me 272/928 prièrent de ne m'escarter plus d'eux, ou que je portasse mon cadran sur moy, lequel j'avois oublié, qui m'eust peu remettre en mon chemin. Ils me disoient: _Si tu ne fusses venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux François, de peur qu'ils ne nous eussent accusez de t'avoir fait mourir._ Du depuis Darontal estoit fort soigneux de moy quand j'allois à la chasse, me donnant toujours un Sauvage pour m'accompagner. Retournant à mon propos, ils ont une certaine resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils faisoient rostir de la viande prise en ceste façon, ou qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de cerfs, & pour ce sujet me prioient de n'en point faire rostir. Pour ne les scandaliser, je m'en deportois, estant devant eux: puis leur ayant dit que j'en avois fait rostir, ils ne me vouloient croire, disans que si cela eust esté, ils n'auroient pris aucuns cerfs, telle chose ayant esté commise. [Note 460: _Conf_. 1619, p. 54.] _Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre._ CHAPITRE VII.[461] [Note 461: Chapitre VIII de la première édition.] Le quatrième jour de Decembre nous partismes de ce lieu, marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs & estangs glacez, & par les bois, l'espace de dix-neuf jours, qui 273/929 n'estoit pas sans beaucoup de peine & travail, tant pour les Sauvages qui estoient chargez de cent livres pesant chacun comme de moy-mesme qui portois la pesanteur de 20 livres. Il est bien vray que j'estois quelquefois soulagé par nos Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas de recevoir beaucoup d'incommoditez. Quant à eux, pour traverser plus aisément les glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines traînées[462] de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges, & les traisnent après eux sans aucune difficulté, & vont fort promptement. Quelques jours après il arriva un grand dégel qui nous tourmenta grandement: car il nous falloit passer par dedans des sapinieres pleines de ruisseaux, estangs, marais & pallus, avec quantité de boisées renversées les unes sur les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des embarrassemens qui nous apportoient de grandes incommoditez, pour estre tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours en cet estat, à cause qu'en la plus grande partie des lieux les glaces ne portoient point: & fismes tant, que nous arrivasmes à nostre village[463] le 23e jour dudit mois, où le capitaine Yroquet vint hyverner avec ses compagnons, qui sont Algommequins, & son fils, qu'il amena pour faire traitter & penser, lequel allant à la chasse avoit esté fort offensé d'un ours, le voulant tuer. [Note 462: Traînes. (Voir 1619, p. 56, note 1.)] [Note 463: Cahiagué.] M'estant reposé quelques jours je deliberay d'aller voir[464] les peuples en l'hyver, que l'esté & la guerre ne m'avoient peu 274/930 permettre de visiter. Je partis de ce village le 14[465] de Janvier ensuivant, après avoir remercié mon hoste du bon traittement qu'il m'avoit fait: & croyant ne le revoir de trois mois, je prins congé de luy. Menant avec moy quelques François[466], je m'acheminay à la nation du petum[467], où j'arrivay le 17 dudit mois de Janvier. Ces peuples sement le maïs, appellé par deçà bled de Turquie, & ont leur demeure arrestée comme les autres. Nous fusmes en sept autres villages leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes amitié, & nous promirent de venir un bon nombre à nostre habitation. Ils nous firent fort bonne chère, & nous firent present de chair & poisson pour faire festin, comme est leur coustume, où tous les peuples accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amitié, & nous conduisoient en la plus-part du chemin. Le pays est remply de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir agréable. Ils commençoient à bastir deux villages, par où nous passasmes, au milieu des bois, pour la commodité qu'ils trouvent d'y bastir & les enclorre. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la nation neutre, qui est puissante, qui tient une grande estendue de pays, à trois journées d'eux. [Note 464: _Conf_ 1619, p. 57. Ici encore l'édition de 1632 fait une suppression assez significative: elle ôte simplement le nom du P. Joseph, qui, comme on sait, était récollet.] [Note 465: Ou plutôt probablement le 4. Ici, comme dans le texte de 1619, il y a erreur quelque part; mais il nous paraît évident qu'il faut faire la correction en cet endroit. Arrivé à Cahiagué le 23 décembre, Champlain se repose quelques jours. Il repart pour aller rejoindre le P. Joseph le 4 janvier; le 5, il est à Carhagouha, où il demeure avec lui quelques jours. Le 15, ils partent ensemble pour aller visiter les Tionnontatés, où ils arrivent le 17. Après s'être rendus chez les Cheveux-Relevés, ils reviennent vers la mi-février.] [Note 466: _Conf_. 1619, p. 57.] [Note 467: Les Tionnoncatéronons.] 275/931 Après avoir visité ces peuples, nous partismes de ce lieu, & fusmes à une nation de Sauvages, que nous avons nommez les cheveux relevez[468], lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec lesquels nous fismes aussi amitié, & qui pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir à ladite habitation. En cet endroit[469] il m'a semblé à propos de les dépeindre, & faire une description de leurs pays, moeurs, & façons de faire. En premier lieu, ils font la guerre à une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueronon, qui veut dire gens de feu, esloignez d'eux de dix journées. Ce fait, je m'informay fort particulièrement de leur pays, & des nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantité. Icelle nation sont en grand nombre, & la plus-part grands guerriers, chasseurs, & pescheurs. Ils ont plusieurs Chefs qui commandent chacun en leur contrée. La plus grand' part sement des bleds d'Inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par troupes en plusieurs régions & contrées, où ils trafiquent avec d'autres nations esloignées de plus de quatre à cinq cents lieues. Ce sont les plus propres Sauvages en leurs mesnages que j'aye veu, & qui travaillent le plus industrieusement aux façons des nattes, qui sont leurs tapis de Turquie. Les femmes ont le corps couvert, & les hommes descouvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leurs corps, qui est en façon de manteau, laquelle ils laissent 276/932 ordinairement, & principalement en esté. Les femmes & les filles ne sont non plus émeues de les voir de la façon, que si elles ne voyoient rien, qui sembleroit estrange. Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leurs maris, ou les filles d'avec leurs pères & mères, & autres parents, s'en allans en de certaines maisonnettes, où elles se retirent pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles qui les ont, & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands festins, & plus que les autres nations. Ils nous firent fort bonne chère, & nous receurent fort amiablement, & me prièrent fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le bord de la mer douce, esloignée de deux cents lieues; à quoy je leur dis que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommodé des choses necessaires. [Note 468: Les Andatahouats. (Voir 1619, p. 24 et 58.)] [Note 469: _Conf_. 1619, p. 58.] Il y a aussi à deux ou trois journées d'iceux une autre nation de Sauvages, d'un costé tirant au sud, qui font grand nombre de petum, lesquels s'appellent la nation neutre[470], qui sont grand nombre de gens de guerre, qui habitent vers le midy de la mer douce, lesquels assistent les Cheveux relevez contre les gens de feu. Mais entre les Yroquois & les nostres, ils ont paix, & demeurent comme neutres. J'avois grand desir de voir ceste nation, mais ils m'en dissuaderent, disans que l'année précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la guerre 277/933 des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez: nous representans qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne regardans point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier qu'ils rencontrent de la nation, ou bien de leurs amis, ils leur font porter la peine, quand ils en peuvent attraper, si auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & avoir donné quelques dons & presens aux parens du defunct; qui m'empescha pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun mal pour cela. Ce qui nous donna sujet & occasion de retourner par le mesme chemin que nous estions venus: & continuant mon voyage, j'allay trouver la nation des Pisierinij[471], qui avoient promis de me mener plus outre en la continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'où estoit le Capitaine Yroquet, à sçavoir que ceux de la nation des Attignouantans avoient mis & déposé entre ses mains un prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Capitaine Yroquet deust exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en liberté, ains l'ayant trouvé habile, excellent chasseur, & tenu comme son fils, les Attignouantans seroient entrez en jalousie, & resolus de s'en venger: & de faict avoient disposé un homme pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il estoit. Comme il fut exécuté en la presence des principaux de la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de 278/934 colère, tuèrent sur le champ ce téméraire entrepreneur meurtrier; duquel meurtre les Attignouantans se trouvans offensez, & comme injuriez en ceste action, voyans un de leurs compagnons mort, prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des Algommequins (qui viennent hyverner proche de leurdit village) lesquels offenserent fort ledit Capitaine Yroquet, qui fut blessé de deux coups de flesche; & une autre fois pillèrent quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent mettre en defense, aussi le party n'eust pas esté égal. Neantmoins cela, lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de donner ausdits Attignouantans quelques colliers de pourceline, avec cent brasses d'icelle, ce qu'ils estiment de grand valeur entr'eux: & outre ce, nombre de chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place du mort. Bref ils furent en grande dissention (c'estoit ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie) & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seureté, nonobstant leurs presens, jusques à ce qu'ils se veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort, me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux, que pour nous, qui estions en leur pays. [Note 470: Les Attiouandaronk. (Voir 1619, p. 58 et 60, note 2.)] [Note 471: _Nipissirini_, ou Nipissingues.] Ce fait, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand village, qui me solliciterent fort d'y aller, pour les mettre d'accord, me disans que si je n'y allois, aucuns d'eux ne reviendroient plus vers les François, ayans guerre avec lesdits Algommequins, & nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant, je 279/935 m'acheminay au plustost, & en partant je visitay les Pisirinis pour sçavoir quand ils seroient prests pour le voyage du nort; que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fit entendre, & que ledit Capitaine Yroquet estoit venu à toutes ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver à l'habitation des François, en mesme temps que luy, pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaanitans, & qu'ils remissent ledit voyage du nort à une autre fois. Pour cet effect ledit Yroquet avoit donné de la pourceline pour rompre ledit voyage, & nous promirent de se trouver à nostred. habitation au mesme temps qu'eux. Qui fut bien affligé ce fut moy, m'attendant bien de voir en ceste année, ce qu'en plusieurs autres précédentes j'avois recherché avec beaucoup de soing & de labeur. Ces peuples vont négocier avec d'autres qui se tiennent en ces parties Septentrionales, estans une bonne partie de ces nations en lieu fort abondant en chasses, & où il y a quantité de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux: & m'ayans figuré leur forme, j'ay jugé estre des buffles: aussi que la pesche du poisson y est fort abondante. Ils sont 40 jours à faire ce voyage, tant à aller, que retourner. Je m'acheminay vers nostred. village le 15e jour de Fevrier, menant avec moy six de nos gens, où estans arrivez, les habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins, que j'envoyay visiter par nostre truchement[472], pour sçavoir comme le tout s'estoit passé tant d'une part que d'autre, n'y 280/936 ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit passé: ce fait, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant en l'une de leurs cabannes, après quelques discours, ils demeurèrent d'accord de tenir, & avoir agréable tout ce que je dirois, comme arbitre sur ce sujet; & ce que je leur proposerois, ils le mettroient en exécution. Colligeant & recherchant la volonté & inclination de l'une & de l'autre partie, & jugeant qu'ils ne demandoient que la paix, je leur representay que le meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour resister plus facilement à leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention de future de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois cur ce différend, puis qu'ils m'avoient prié d'en dire mon opinion. Sur quoy ils me dirent derechef, qu'ils n'avoient desiré mon retour à autre fin. Moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contents les uns des autres, chacun d'eux pensant avoir le meilleur droict, aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je n'eusse esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit tousjours bien traitté, & mal-aisément en pourrois-je trouver 281/937 un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient la faute, disans qu'il n'y avoit que luy de Capitaine qui fist prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirais mon advis, & ce qui m'en sembleroit. [Note 472: Voir. 1619, p. 64, note 2.] Voyant qu'ils remettoient le tout à ma volonté, comme à leur pere, & me promettans en ce faisant qu'à l'advenir je pourrois disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit; je leur fis response que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volonté de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le bien et utilité des peuples. D'autre costé j'estois fort affligé d'avoir entendu d'autres tristes nouvelles, à sçavoir la mort de l'un de leur parents & amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne s'en fust ensuivy que guerre perpetuelles entre les uns et les autres avec plusieurs grand dommages, & alteration de leur amitié, et par consequent les François privez de leur veue & frequentation, & contraints d'aller chercher d'autres nations & ce d'autant que nous nous aimions comme freres, laissant à nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'avoient merité. Je leur remonstray, que ces façons de faire entre deux nations, amis, & freres, comme ils se disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit à faire aux bestes brutes. D'ailleurs, qu'ils estoient assez empeschez à repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, les battans le plus souvent, & les prenans prisonniers, jusques dans leurs 282/938 villages: lesquels voyans une telle division, & des guerres civiles entr'eux, se resjouiroient & en feroient leur profit, & les pousseroient & encourageroient à faire & exécuter de nouveaux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien tost leur ruine, du moins s'affoiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray & facile moyen pour les vaincre & triompher d'eux, & se rendre les maistres de leurs contrées, n'estans point secourus les uns des autres. Qu'ils ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver. Que pour la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de demeurer en perpétuelle servitude. Qu'à la vérité un homme estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme il avoit esté tué, & considerer que ce n'estoit pas de propos délibéré, ny pour commencer une guerre civile parmy eux; cela estant trop evident que le defunct avoit premièrement orienté en ce que de guet-à-pens il avoit tué le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop audacieusement entreprise, encores qu'il fust ennemy. Ce qui esmeut les Algommequins: car voyans un homme si téméraire d'avoir tué un autre en leur cabane, auquel ils avoient donné la liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu à quelques-uns plus qu'aux autres se seroient advancez, ne se pouvans contenir, ny commander à leur colère, & auroient tué cet homme dont est question: mais pour cela ils n'en vouloient nullement à toute la nation, & n'avoient dessein plus avant à l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien mérité ce qu'il 283/939 avoit eu, puis qu'il l'avoit luy-mesme recherché. Et d'ailleurs, qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se sentant frapé de deux coups dedans le ventre, arracha le cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certifié: de façon qu'on ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient Algommequins qui eussent tué. Et pour monstrer aux Attigouantans que les Algommequins n'aimoient pas le prisonnier, & que Yroquet ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais plustost de bestes brutes. D'ailleurs, que les Algommequins estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passé, & que s'ils eussent pensé que telle chose fust arrivée, ils leur eussent donné cet Yroquois en sacrifice. D'autre part, qu'ils avoient recompensé icelle mort, & faute, (si ainsi il la falloit appeller) avec de grands presens, & deux prisonniers, n'ayans sujet à present de se plaindre, & qu'ils devoient se gouverner plus modestement en leurs deportemens envers les Algommequins, qui sont de leurs amis; & que puis qu'ils m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les priois les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit passé entr'eux, sans jamais plus y penser, ny se porter aucune haine & mauvaise volonté, & ce faisant, qu'ils nous obligeroient à les aimer, & les assister, comme l'avois fait par le passé. Et ou ils ne seroient contents de mon advis, je les priois de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils 284/940 pourroient à nostre habitation, où devant tous les Capitaines des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, & adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs ennemis, à quoy il falloit penser. Lors ils dirent qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois dit, & fort contents en apparence s'en retournèrent en leurs cabanes, sinon les Algommequins, qui dérogèrent pour faire retraitte en leur village: mais selon mon opinion ils faisoient demonstration de n'estre pas trop contents, d'autant qu'ils disoient entr'eux qu'ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. La mort de ces deux hommes leur ayant par trop cousté[473], je m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay le plus de courage qu'il me fut possible, afin de l'esmouvoir à venir à nostre habitation, & d'y amener tous ceux du pays. [Note 473: Il est évident que ces mots doivent se rattacher à la phrase précédente.] Pendant quatre mois que dura l'hyver, j'eus assez de loisir pour considerer leur païs, moeurs, coustumes, & façon de vivre, & la forme de leurs assemblées, & autres choses, que je descriray cy-aprés. Mais auparavant il est necessaire de parler de la scituation du païs[474], & contrées, tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quant à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, elle contient prés de quatre cents cinquante lieues de long, & deux cents par endroits de largeur du Midy au Septentrion, souz la hauteur de quarante & un degré de latitude, jusques à quarante-huict & quarante-neuf. Ceste terre est comme une isle, que la grande 285/941 riviere Sainct Laurent enceint, partant par plusieurs lacs de grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrestées, les uns[475] amateurs du labourage de la terre, & autres qui ne le sont pas, lesquels neantmoins ont diverses façons de vivre, & de moeurs, & les uns meilleurs que les autres. Au costé vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent lieues par delà vers les Attigouantans, le pays est partie montagneux, & l'air y est assez tempéré, plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, souz la hauteur de quarante & un degré de latitude. Toutes ces parties & contrées sont abondantes en chasses, comme de cerfs, caribous, eslans, daims, buffles, ours, loups, castors, regnards, fouines, martes, & plusieurs autres especes d'animaux que nous n'avons pas par deçà. La pesche y est abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantité, & qui y viennent en leur temps & saison. Le pays est traversé de grand nombre de rivieres, ruisseaux & estangs, qui se deschargent les uns dans les autres & en leur fin aboutissent dedans le fleuve Sainct Laurent, & dans les lacs par où il passe. Le pays est fort plaisant, estant chargé de grandes & hautes forests, remplies de bois de pareilles especes que ceux que nous avons en France. Bien est-il vray qu'en plusieurs endroits il y a quantité de pays deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi 286/942 ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui sert pour la nourriture desdits animaux. Le pays du nort de ceste grande riviere n'est si agréable que celuy du midy, souz la hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude, remply de forts rochers en quelques endroits, à ce que j'ay peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages, qui vivent errans parmy le pays, ne labourans & ne faisans aucune culture, du moins si peu que rien, & sont ambulatoires[476], estans ores en un lieu, & tantost en un autre, le pays y estant assez froid & incommode. L'estendue d'icelle terre du nort souz la hauteur de quarante-neuf degrez de latitude de l'Orient à l'Occident, a six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles & grandes rivieres qui viennent de ce costé, & se deschargent dedans ledit fleuve, & d'autres qui (à mon opinion) se deschargent en la mer, par la partie & costé du nort, souz la hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de latitude, suivant le rapport & relation que m'en ont fait ceux qui vont négocier, & traitter avec les peuples qui y habitent.[477] [Note 474: _Du pays en général_, c'est-à-dire, de la Nouvelle-France. C'est ce que n'a pas compris Sagard. (Hist. du Canada, p. 201, 202.)] [Note 475: _Conf_. 1619, p. 69.] [Note 476: _Conf_. édit. 1619, et 1627, _verso_ 74.] [Note 477: 1619, p. 71, note 3.] Quant aux parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en pouvons sçavoir bonnement le trajet, dautant que les peuples n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou plus, vers l'Occident, d'où vient ladite grande riviere, qui passe entre autres lieux par un lac qui contient prés de trente journées de leurs canaux, à sçavoir celuy 287/943 qu'avons nommé la mer douce, eu esgard à sa grande estendue, ayant quarante journées de canaux[478] de Sauvages, avec lesquels nous avons accez, qui ont guerre avec d'autres nations, tirant à l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en pouvons pas avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont dit par plusieurs & diverses fois, que quelques prisonniers de ces lieux leur ont rapporté y avoir des peuples semblables à nous en blancheur, ayans veu de leur chevelure, qui est fort blonde. Je ne puis que penser là dessus, sinon que ce soient gens plus civilisez qu'eux. Pour en bien sçavoir la vérité, il faudroit les voir, mais il faut de l'assistance, & n'y a que le temps & le courage de quelques personnes de moyens, qui puissent ou vueillent entreprendre ce dessein. [Note 478: Quarante _journées de canot_ peuvent donner environ quatre cents lieues; ce qui est à peu près la mesure de l'immense contour du lac Huron. (Voir ci-dessus, p. 248, note 3.)] Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, de diverses nations, ayans guerre les uns contre les autres. Le pays y est fort agréable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, & l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres & fruicts qu'il n'y a pas au nort dudit fleuve, aussi n'est-il pas de tant de profit & d'utilité quant aux lieux où se font les traittes de pelleteries. Pour ce qui est des terres du costé de l'Orient, elles sont assez cogneues, d'autant que la grand' mer Oceane borne ces endroits là, à sçavoir les costes de Labrador, Terre-neufve, Cap Breton, l'Acadie, Almouchiquois, comme aussi des peuples qui y habitent, en ayant fait ample description cy-dessus. 288/944 La contrée de la nation des Attigouantan est souz la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, & 230 lieues de longitude à l'Occident[479]. Il y a 18 villages, dont 8[480] sont clos & fermez de pallissades de bois à triple rang, entre-lacez les uns dans les autres, où au dessus y a des galeries qu'ils garnissent de pierres & d'eau, pour ruer & esteindre le feu, que leurs ennemis pourroient appliquer contre. Ce pays est beau & plaisant, la plus-part deserté, ayant la forme & mesme scituation que la Bretagne, estant presque environné & enceint de la mer douce. Ces 18 villages (selon leur dire) sont peuplez de 2000 hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peut faire en nombre 20000. ames[481]. Leurs cabanes sont en façon de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de large, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de large, qui va d'un bout à l'autre. Aux deux costez y a une manière d'establie[482], de la hauteur de quatre pieds où ils couchent en esté, pour eviter l'importunité des pulces, dont ils ont grande quantité: & en hyver ils couchent en bas sur des nattes, proches du feu, pour estre plus chaudement. Ils font provision de bois sec, & en emplissent leurs cabanes, pour se 289/945 chauffer en hyver. Au bout d'icelles cabanes y a une espace, où ils conservent leurs bleds d'Inde, qu'ils mettent en de grandes tonnes faites d'escorces d'arbres, au milieu de leur logement. Il y a des bois qui sont suspendus, où ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris, qui y sont en grande quantité. En telle cabane y aura 12 feux, qui font 24 mesnages, où il fume à bon escient en hyver, qui fait que plusieurs en reçoivent de grandes incommoditez aux yeux, à quoy ils sont subjects, jusques à en perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ny ouverture, que celle qui est au dessus de leurs cabanes, par où la fumée sort. Ils changent quelquefois leur village de dix, vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues, d'autant que leur terre se lasse d'apporter du bled sans estre amendée, & par ainsi vont deserter en autre lieu, & aussi pour avoir le bois plus à commodité, s'ils ne sont contraints par leurs ennemis de desloger, & s'esloigner plus loin, comme ont fait les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la forme de leurs logemens, qui sont separez les uns des autres, comme de trois à quatre pas, pour la crainte du feu, qu'ils appréhendent fort. [Note 479: _Conf_. 1619, p. 73. Cette phrase, qui d'abord, en 1619, avait été mal lue par un typographe, est devenue, par une malheureuse suppression, absolument inintelligible. Voici, suivant nous, ce qu'a voulu dire l'auteur: La contrée des Attigouantan, c'est-à-dire, le pays huron, est sous la hauteur de 44 degrés et demi, et a douze ou treize lieues de longitude (longueur) de l'Orient à l'Occident, et dix de latitude (largeur).] [Note 480: L'édition de 1619, et celle de 1627 portent «six.»] [Note 481: Les éditions de 1619 et de 1627 portent «30000.»] [Note 482: Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 248.)] Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyans qu'il ne s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger & vivre ordinaire est le bled d'Inde, & febves du Bresil, qu'ils accommodent en plusieurs façons. Ils en pilent en des mortiers de bois, & le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la 290/946 fleur par le moyen de certains vans faits d'escorce d'arbres, & d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font premièrement bouillir un bouillon, comme le bled d'Inde, pour estre plus aisé à battre, & mettent le tout ensemble: quelquefois ils y mettent des blues, ou des framboises seches; autrefois des morceaux de graisse de cerf: puis ayans le tout destrempé avec eau tiède, ils en font des pains en forme de gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire souz les cendres, & estans cuites ils les lavent,& les enveloppent de fueilles de bled d'Inde, qu'ils y attachent, & mettent en l'eau bouillante, mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte qu'ils appellent migan, à sçavoir, ils prennent le bled d'Inde pilé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou trois poignées dans un pot de terre plain d'eau, le font bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne brusle, ou qu'il ne se prenne au pot; puis mettent en ce pot un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner goust audit migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante, principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour n'en vouloir prendre la peine. Ils en font de deux especes, & l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de ce poisson, ledit migan ne sent pas mauvais, ains seulement à la venaison. Le tout estant cuit, ils tirent le poisson, & l'escrasent bien menu, ne regardans de si prés à oster les arestes, les escailles, ny les tripailles, comme nous faisons, & mettent le tout ensemble dedans le pot, qui cause le plus 291/947 souvent le mauvais goust: puis estant ainsi fait, ils en départent à chacun quelque portion. Ce migan est fort clair, & non de grande substance, comme on peut bien juger. Pour le regard du boire, il n'est point de besoin, estant ledit migan assez clair de soy-mesme. Ils ont une autre sorte de migan, à sçavoir, ils font greller du bled nouveau, premier qu'il soit à maturité, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson, ou de la chair, quand ils en ont une autre façon, ils prennent le bled d'Inde bien sec, le font greller dans les cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre: lequel migan fait de ceste façon est le meilleur, à mon goust. Pour le faire, ils font cuire force viande & poisson, qu'ils découpent par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce fait, ils recueillent avec une cueillier la graisse de dessus, qui provient de la chair & poisson, puis mettent d'icelle farine grullée dedans, en la mouvant tousjours jusques à ce que ledit migan soit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & départent à chacun un plat, avec une cueillerée de ladite graisse: ce qu'ils ont coustume de faire aux festins. Or est-il que ledit bled nouveau grullé, est grandement estimé entr'eux. Ils mangent aussi des febves, qu'ils font bouillir avec le gros de la farine grullée, y meslant un peu de graisse, & poisson. Les chiens sont de requeste en leurs festins, qu'ils font souvent les uns aux autres, principalement durant leurs 292/948 l'hyver, qu'ils sont de loisir. Que s'ils vont à la chasse aux cerfs, ou au poisson, ils les reservent pour faire ces festins, ne leur demeurant rien en leurs cabanes que le migan clair pour ordinaire, lequel ressemble à de la branée que l'on donne à manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, & le mettent dans l'eau, souz la bourbe, le laissant deux ou trois mois en cet estat, jusques à ce qu'ils jugent qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de là, & le font bouillir avec la viande ou poisson, puis le mangent: aussi le font-ils gruller, & est meilleur en ceste façon que bouilly. Il n'y a rien qui sente si mauvais que ce bled sortant de l'eau tout boueux, & neantmoins les femmes & enfans le succent, comme on fait les cannes de sucre, n'y ayant chose qui leur semble de meilleur goust, ainsi qu'ils le demonstrent. D'ordinaire ils ne font que deux repas le jour. Ils engraissent aussi des ours, qu'ils gardent deux ou trois ans, pour se festoyer: & ay recognu que s'ils avoient du bestial, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort bien, leur ayant monstré la façon de le nourrir, chose qui leur seroit aisée, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en grande quantité, soit pour chevaux, boeufs, vaches, moutons, porcs, & autres especes: à faute dequoy on les juge miserables, comme il y a de l'apparence. Neantmoins avec toutes leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont plus asseurez que ceux qui sont errans par les forests, comme bestes 293/949 brutes, aussi mangent-ils force citrouilles, qu'ils font bouillir, & rostir souz les cendres. Quant à leurs habits, ils sont faits de plusieurs sortes & façons de diverses peaux de bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres qu'ils eschangent pour leur bled d'Inde, farines, pourcelines, & filets à pescher, avec les Algommequins, Piserinis, & autres nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées. Ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux, faisans leur brayer d'une peau de cerf moyennement grande, & d'une autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques à la ceinture, estant fort plissé. Leurs souliers sont de peaux de cerfs, ours, & castors, dont ils usent en bon nombre. Plus ils ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils portent à la façon Irlandoise, ou Egyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le derrière. Voila comme ils sont habillez durant l'hyver, ainsi qu'il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils ceignent leur robbe autour du corps, mais estans à leur village, ils quittent leurs manches, & ne se ceignent point. Les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de colle, & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes en plusieurs façons, ainsi qu'ils s'advisent, y mettans par endroits des bandes de peinture rouge-brun, parmy celles de colle, qui paroissent tousjours blancheastres, n'y perdant point leurs façons, quelques sales qu'elles puissent estre. Il y en a entre ces nations qui sont bien plus propres à passer les peaux les uns que les autres, & ingénieux pour inventer des compartimens à 294/950 mettre dessus leurs habits. Sur tous autres nos Montagnais & Algommequins y prennent plus de peine, lesquels mettent à leurs robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils teindent en fort belle couleur d'escarlate. Ils tiennent ces bandes bien chères entr'eux, & les détachent pour les faire servir à d'autres robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure grâce. Quand ils se veulent bien parer, ils se peindent le visage de noir & rouge, qu'ils démeslent avec de l'huile, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse d'ours ou autres animaux. Comme aussi ils se teindent les cheveux, qu'ils portent les uns longs, les autres courts, les autres d'un costé seulement. Pour les femmes & les filles, elles les portent tousjours d'une mesme façon. Elles sont vestues comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs robbes ceintes, qui leur viennent jusqu'au genouil. Elles ne sont point honteuses de monstrer leur corps, à sçavoir depuis la ceinture en haut, & depuis la moitié des cuisses en bas, ayans tousjours le reste couvert, & sont chargées de quantité de pourceline, tant en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs robbes, pendant à leurs ceintures, bracelets, & pendans d'oreilles, ayans les cheveux bien peignez, peints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs cheveux par derrière, qui sont liez de peaux d'anguilles, qu'ils accommodent & font servir de cordon, où quelquefois ils attachent des platines d'un pied en quarré, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derrière, 295/951 & en ceste façon vestues & habillées poupinement, elles se monstrent volontiers aux dances leurs pères & mères les envoyent, n'espargnans rien pour les embellir & parer, & puis asseurer avoir veu en des dances, telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur elle, sans les autres bagatelles dont elles sont chargées & atourées. Cy-contre se voit comme les femmes sont habillées, comme monstre F. & les filles allans à la dance, G. Se voit aussi comme les femmes pilent leur bled d'Inde, lettre H. [Illustration relocation] Ces peuples sont d'une humeur assez joviale (bien qu'il y en aye beaucoup de complexion triste & saturnienne). Ils sont bien formez & proportionnez de leurs corps, y ayant des hommes forts & robustes. Comme aussi il y a des femmes & des filles fort belles & agréables, tant en la taille, couleur (bien qu'olivastre) qu'aux traits du visage, le tout à proportion, & n'ont point le sein ravalé que fort peu, si elles ne sont vieilles. Il s'en trouve parmy elles de fort puissantes, & de hauteur extraordinaire, ayans presque tout le soing de la maison, & du travail: car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la filent, dont du filet ils font les rets à pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires. Comme aussi de faire la cueillette de leurs bleds, les serrer, accommoder à manger, & dresser leur mesnage. De plus, elles suivent leurs maris de lieu en lieu, aux champs, où elles servent de mulles à porter le bagage. Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller à la chasse du 296/952 cerf, & autres animaux, pescher du poisson, faire des cabannes, & aller à la guerre. Ces choses faites, ils vont aux autres nations, où ils ont de l'accez & cognoissance, pour traitter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point; & estans de retour, ils ne bougent des festins dances, qu'ils se font les uns aux autres, & à l'issue se mettent à dormir, qui est le plus beau de leur exercice. Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand une fille est en l'aage d'onze, douze, treize, quatorze, ou quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs, selon ses bonnes grâces, qui la rechercheront, & la demanderont aux père & mère, bien que souvent elles ne prennent pas leur contentement, fors celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se souzmettent à leur volonté. Cet amoureux ou serviteur presentera à la fille quelques colliers, chaisnes & bracelets de pourceline. Si la fille a ce serviteur agréable, elle reçoit ce present: ce fait, il viendra coucher avec elle trois ou quatre nuicts sans luy dire mot, où ils recueillent le fruict de leurs affections. Et arrivera le plus souvent qu'après avoir passé huict ou quinze jours ensemble, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera engagé pour ses colliers, & autres dons par luy faits. Frustré de son esperance, il en recherchera une autre, & elle aussi un autre serviteur, & continuent ainsi jusques à une bonne rencontre. Il y en a telle qui aura passé ainsi sa jeunesse avec plusieurs maris, lesquels ne sont pas seuls en la jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la 297/953 nuict venue, les jeunes femmes courent d'une cabane à une autre, comme font les jeunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon leur semble, toutesfois sans aucune violence, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mary fera le semblable à sa voisine, sans que pour cela il y ait aucune jalousie entr'eux, ou peu, & n'en reçoivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle. Quand elles ont des enfans, les maris précédents reviennent vers elles, leur remonstrer l'amitié & l'affection qu'ils leur ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant qui naistra est à luy, & est de son faict. Un autre luy en dira autant; & par ainsi il est au choix & option de la femme de prendre & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses amours gaigné beaucoup de pourceline. Elles demeurent avec luy sans plus le quitter, ou si elles le laissent, il faut que ce soit avec un grand sujet, autre que l'impuissance, car il est à l'espreuve: neantmoins estans avec ce mary, elles ne laissent pas de se donner carrière, mais se tiennent & resident tousjours au mesnage, faisans bonne mine: de façon que les enfans qu'ils ont ensemble ne se peuvent asseurer légitimes: aussi ont-ils une coustume, prevoyans ce danger qu'ils ne succedent jamais à leurs biens; mais font leurs héritiers & successeurs les enfans de leurs soeurs, desquels ils sont asseurez d'estre issus & sortis. Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans, ils les mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & les vestent & enveloppent de fourrures, ou peaux, & les bandent sur 298/954 ladite planchette: puis la dressent debout, & y laissent une petite ouverture par où l'enfant fait ses petites affaires. Si c'est une fille, ils mettent une fueille de bled d'Inde entre les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout de ladite fueille dehors, qui est renversée, & par ce moyen l'eau de l'enfant coule par ceste fueille, sans qu'il soit gasté de ses eaues. Ils mettent aussi souz les enfans du duvet fait de certains roseaux, que nous appelions pied de lievre, sur quoy ils sont couchez fort mollement, & le nettoyent du mesme duvet: & pour le parer, ils garnissent lad. planchette de patenostres, & en mettent à son col, si petit qu'il soit. La nuict ils les couchent tout nuds entre les peres & meres, où faut considérer en cela la providence de Dieu, qui les conserve de telle façon, sans estre estouffez, que fort rarement. Ces enfans sont grandement libertins, pour n'avoir esté chastiez, & sont de si perverse nature, qu'ils battent leurs pères & mères, qui est une espece de malédiction que Dieu leur envoye. Ils n'ont aucunes loix parmy eux, ny chose qui en approche, n'y ayant aucune correction ny reprehension à l'encontre des mal-faicteurs, rendans le mal pour le mal, qui est cause que souvent ils sont en dissentions & en guerres pour leurs différents. Comme aussi ils ne recognoissent aucune Divinité, & ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque, vivans comme bestes brutes. Ils ont quelque respect au diable, ou d'un nom semblable, parce que souz ce mot qu'ils prononcent, sont entendues diverses significations, & comprend en soy plusieurs choses: de façon 299/955 que mal-aisément peut-on sçavoir & discerner s'ils entendent le diable, ou autre chose: mais ce qui fait croire que c'est le diable, est, que lors qu'ils voyent un homme faire quelque chose extraordinaire, ou est plus habile que le commun, vaillant guerrier, furieux, & hors de soy-mesme, ils l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit, ou un grand diable. Il y a de certaines personnes entr'eux qui sont les Oqui, ou Manitous (ainsi appeliez par les Algommequins & Montagnais) lesquels se meslent de guarir les malades, penser les blessez, & prédire les choses futures. Ils persuadent à leurs malades de faire, ou faire faire des festins, en intention d'y participer; & souz esperance d'une prompte guerison, leur font faire plusieurs autres cérémonies, croyans & tenans pour vray tout ce qu'ils leur disent. Ces peuples ne sont possedez du malin esprit comme d'autres Sauvages plus esloignez qu'eux, qui fait croire qu'ils se reduiroient en la cognoissance de Dieu, si leur pays estoit habité de personnes qui prissent la peine & le soin de les enseigner par bons exemples à bien vivre. Car aujourd'huy ont-ils desir de s'amender, demain ceste volonté leur changera, quand il conviendra supprimer leurs sales coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs incivilitez. Maintefois les entretenant[483] sur ce qui estoit de nostre croyance, loix & coustumes, ils m'escoutoient avec grande attention en leurs conseils, puis me disoient: _Tu dis des choses qui surpassent nostre esprit & nostre entendement, & que ne pouvons comprendre 300/956 par discours. Mais si tu desires que les sçachions, il est necessaire d'amener en ce pays femmes & enfans, afin qu'apprenions la façon de vivre que tu meines, comme tu adores ton Dieu, comme tu obéis aux loix de ton Roy, comme tu cultives & ensemences les terres, & nourris les animaux. Car voyans ces choses, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt, jugeans nostre vie miserable au prix de la tienne._ Leurs discours me sembloient d'un bon sens naturel, qui demonstre le desir qu'ils ont de cognoistre Dieu[484]. [Note 483: Conf. 1619, p. 87.] [Note 484: _Conf_. 1619, p. 88, 89] Quand ils sont malades, ils envoyent quérir l'Oqui, lequel après s'estre enquis de leur maladie, fait venir grand nombre d'hommes, femmes & filles, avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonné par ledit Oqui, lesquels entrent en leurs cabanes en dançant, ayans chacune une peau d'ours, ou d'autres bestes sur la teste, mais celle d'ours est la plus ordinaire, comme la plus monstrueuse, & y a deux ou trois autres vieilles qui sont proches du patient ou malade, qui l'est souvent par imagination: mais de cette maladie ils sont bien tost guéris, & font des festins aux despens de leurs parents ou amis, qui leur donnent dequoi mettre en leur chaudière, outre les dons & presens qu'ils reçoivent des danceurs & danceuses, comme de la pourceline, & autres bagatelles, ce qui fait qu'ils sont bien tost guéris. Car comme ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'ils ont peu amasser: mais les autres qui sont fort malades, difficilement se guerissent-ils de tels jeux, dances, & façons de faire. Les vieilles qui sont proches du malade reçoivent les 301/957 presens, chantans chacune à son tour, puis cessent de chanter: & lors que tous les presens sont faits, ils commencent à lever leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensemble, & frapans à mesure avec des bâtons sur des escorces seiches d'arbres; puis toutes les femmes & filles se mettent au bout de la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet, les vieilles marchans les premières avec leurs peaux d'ours sur leurs testes. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque proportion, l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dançoit le trioly de Bretagne, & ont assez bonne grâce. Il s'y entremet souvent avec elles de jeunes hommes, lesquels ayans dancé une heure ou deux, les vieilles prendront le malade, qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en dance, où estant, il dancera & s'esjouira comme les autres. Quelquefois le Médecin y acquiert de la réputation, de voir si tost son malade guery & debout: mais ceux qui sont accablez & languissans, meurent plustost que de recevoir guerison. Car ils font un tel bruit & tintamarre depuis le matin, jusques à deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Que s'il luy prend envie de faire dancer les femmes & les filles ensemble, il faut que ce soit par l'ordonnance de l'Oqui: car luy & le Manitou, accompagnez de quelques autres, font des singeries & des conjurations, & se tourmentent de telle façon, qu'ils sont le plus souvent hors d'eux-mesmes, comme fols & insensez, jettans le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeans des 302/958 charbons ardans (les ayans tenus un espace de temps en leurs mains) puis jettent des cendres toutes rouges sur les yeux des spectateurs. L'on diroit les voyant de la sorte, que le diable Oqui, ou Manitou (si ainsi les faut appeller) les possedent, & les font tourmenter e la sorte. Ce bruit & tintamarre ainsi fait, ils se retirent chacun chez soy: mais les femmes de ces possedez & ceux de leurs cabanes sont en grande crainte, qu'ils ne bruslent tout ce qui est dedans, qui fait qu'ils ostent tout ce qui y est. Car lors qu'ils arrivent, ils viennent tout furieux, les yeux estincellans & effroyables, tantost debout, & tantost assis, ainsi que la fantaisie les prend, & empoignans tout ce qu'ils trouvent & rencontrent, le jettent d'un costé & d'autre, puis se couchent & dorment quelque espace de temps, & se reveillans comme en sursault, ils prennent du feu & des pierres, qu'ils jettent de toutes parts, sans aucun égard. Cette furie se passe par le sommeil qui les reprend, puis venans à suer, ils appellent leurs amis pour suer avec eux, croyans estre le vray remede pour recouvrer leur sante. Ils se couvrent de leurs robbes, & de grandes escorces d'arbres, ayans au milieu d'eux quantité de cailloux qu'ils font rougir au feu, chantans tousjours durant qu'ils suent. Et d'autant qu'ils sont fort altérez, ils boivent grande quantité d'eau, qui est l'occasion que de fols ils deviennent sages. Il arrive par rencontre, plustost que par science, que trois ou quatre de ces malades se portent bien, ce qui leur confirme leur fausse croyance d'avoir esté guéris par le moyen de ces cérémonies, sans considerer qu'il en meurt dix autres. 303/959 Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, & marchent sur les mains & pieds comme bestes, mais elles ne font tant de mal. Ce que voyant l'Oqui, il commence à chanter, puis faisant quelques mines il la soufflera, luy ordonnant à boire de certaines eaues, & qu'elle face un festin, soit de chair, ou de poisson, qu'il faut trouver. La crierie faite, & le banquet finy, chacun se retire en sa cabane, jusques à une autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec plusieurs autres appellez pour cet effect, tenans en la main une tortue seiche remplie de petits cailloux, qu'ils font sonner aux oreilles du malade, luy ordonnant qu'elle face trois ou quatre festins tout de suitte, une partie de chanterie & dancerie, où toutes les filles se trouvent parées & peintes, avec des mascarades, & gens desguisez. Ainsi assemblez, ils vont chanter prés du lict de la malade, puis se promènent tout le long du village, cependant que le festin s'appreste & se prépare. Pour ce qui concerne leur mesnage & vivre, chacun vit de ce qu'il peut pescher & recueillir, ayant autant de terre comme il leur est necessaire. Ils la desertent avec grand' peine, pour n'avoir des instrumens propres pour ce faire, puis émondent les arbres de toutes ses branches, qu'ils bruslent au pied d'iceluy, pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre entre les arbres, puis sement leur bled de pas en pas, où ils mettent en chacun endroit environ dix grains, & continuent ainsi jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre ans de provision, craignans qu'il ne leur arrive quelque mauvaise année, sterile & infructueuse. 304/960 S'il y a quelque fille qui se marie en hyver, chasque femme & fille est tenue de porter à la nouvelle mariée un fardeau de bois pour sa provision (car chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire) d'autant qu'elle ne le pourroit faire seule, & aussi qu'il convient vacquer à d'autres choses qui sont lors de temps & saison. Pour ce qui est de leur gouvernement, les anciens & principaux s'assemblent en un conseil, où ils décident & proposent tout ce qui est de besoin pour les affaires du village; ce qui se fait par la pluralité des voix, ou du conseil de quelques uns d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement; lequel conseil ainsi donné, est exactement suivy. Ils n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillans, qu'ils nomment Capitaines. Quant aux chastiemens ils n'en usent point, ains font le tout par prieres des anciens, & à force de harangues & remonstrances, & non autrement. Ils parlent tous en général, & là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de faire quelque chose pour le bien du village, ou aller en quelque part pour le service du commun, si on le juge capable d'exécuter ce qu'il promet, on luy remonstre & persuade par belles paroles qu'il est homme hardy, propre à telles entreprises, & qu'il y acquerra beaucoup de réputation. S'il veut accepter, ou réfuter ceste charge, il luy est permis, mais il s'en trouve peu qui la réfutent. Quant ils veulent entreprendre des guerres, ou aller au pays de 305/961 leurs ennemis, deux ou trois des anciens ou vaillans Capitaines entreprendront ceste conduitte pour ceste fois, & vont aux villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en leur donnant des presens, pour les obliger de les accompagner. Puis ils délibèrent le lieu où ils veulent aller, disposant des prisonniers qui seront pris, & autres choses de consideration. S'ils font bien, ils en reçoivent de la louange, s'ils font mal ils en sont blasmez. Ils font des assemblées générales chacun an en une ville qu'ils nomment, où il vient un Ambassadeur de chaque Province, & là font de grands festins & dances durant un mois ou cinq sepmaines, selon qu'ils advisent entr'eux, contractans nouvelle amitié, decidans ce qu'il faut faire pour la conservation de leur pays, & se donnans des presens les uns aux autres. Cela estant fait, chacun se retire en son quartier. Quand quelqu'un est décédé, ils enveloppent le corps de fourrures, & le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne aussi couverte d'escorces d'arbres de la longueur du corps. Ces corps ne sont inhumez en ces lieux que pour un temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du village advisent le lieu où se doivent faire leurs cérémonies, ou pour mieux dire, conseil général, où tous ceux du païs assistent. Cela fait, chacun s'en retourne à son village, prenant tous les ossemens des deffuncts, qu'ils nettoyent & rendent fort nets, & les gardent soigneusement; puis les parens & amis les prennent, avec leurs colliers, fourrures, haches, chaudières, & autres 306/962 choses de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au lieu destiné, où estans tous assemblez, ils mettent ces vivres où ceux de ce village ordonnent, y faisans des festins & dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, pendant lesquels les autres nations y accourent de toutes parts, pour voir les cérémonies qui s'y font, par le moyen desquelles ils contractent une nouvelle amitié, disans que les os de leurs parents & amis sont pour estre mis tous ensemble, posans une figure, que tout ainsi qu'ils sont assemblez en un mesme lieu, aussi doivent-ils estre unis en amitié & concorde, comme parents & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os estans ainsi meslez, ils font plusieurs discours sur ce sujet, puis après quelques mines ou façons de faire, ils font une grande fosse, dans laquelle ils les jettent, avec les colliers, chaisnes de pourceline, haches, chaudières, lames d'espées, couteaux, & autres bagatelles, lesquelles ils prisent beaucoup, & couvrans le tout de terre, y mettent plusieurs grosses pièces de bois, avec quantité de piliers à l'entour & une couverture sur iceux. Aucuns d'eux croyent l'immortalité des âmes, disans qu'aprés leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme les corbeaux. Reste à déclarer la forme & manière qu'ils usent en leurs pesches. Ils font plusieurs trous en rond sur la glace, & celuy par où ils doivent tirer la seine a environ cinq pieds de long, & trois de large, puis commencent par ceste ouverture à mettre leur filet, lequel ils attachent à une perche de bois de six à sept pieds de long, & la mettent dessouz la glace, & la font 307/963 courir de trou en trou, où un homme ou deux mettent les mains par iceux, prenant la perche où est attaché un bout du filet, jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq à six pieds. Ce fait, ils laissent couler le rets au fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent à force de bras par ses deux bouts, & ainsi amènent le poisson qui se trouve prins dedans. Après avoir discouru amplement des moeurs, coustumes, gouvernement, & façon de vivre de nos Sauvages, nous reciterons qu'estans assemblez pour venir avec nous, & reconduire à nostre habitation, nous partismes de leur pays le 20e jour de May[485], & fusmes 40 jours sur les chemins, où peschasmes grande quantité de poisson de plusieurs especes: comme aussi nous prismes plusieurs sortes d'animaux, & gibbier, qui nous donna un singulier plaisir, outre la commodité que nous en receusmes, & arrivasmes vers nos François[486] sur la fin du mois de Juin, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu de France avec deux vaisseaux, qui desesperoit presque de me revoir pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des Sauvages que j'estois mort. [Note 485: Voir 1619, p. 102, note 3.] [Note 486: Au saut Saint-Louis. (Voir plus loin.)] Nous veismes aussi tous les Pères Religieux, qui estoient demeurez à nostre habitation, lesquels furent fort contents de nous revoir, & nous aussi eux: puis je me disposay de partir du Sault Sainct Louis, pour aller à nostre habitation, menant avec 308/964 moy mon hoste Darontal. Parquoy prenant congé de tous les Sauvages, & les asseurant de mon affection, je leur dis que je les reverrois quelque jour pour les assister, comme j'avois fait par le passé, & leur apporterois des presens pour les entretenir en amitié les uns avec les autres, les priant d'oublier les querelles qu'ils avoient eues ensemble, lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent faire. Nous partismes le 8e jour de Juillet, & arrivasmes à nostre habitation le 11 dudit mois, où trouvasmes chacun en bon estat, & tous ensemble, avec nos Pères Religieux, rendismes grâces à Dieu, en le remerciant du soin qu'il avoit eu de nous conserver & preserver de tant de périls & dangers où nous nous estions trouvez. Pendant cecy, je faisois la meilleure chère que je pouvois à mon hoste Darontal, lequel admirant nostre bastiment, comportement, & façon de vivre, me dit en particulier, Qu'il ne mourroit jamais content qu'il ne veist tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeure avec nous, afin d'apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie, qu'il estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur. Que ce qu'il ne pouvoit comprendre par le discours, il l'apprendroit beaucoup mieux & plus facilement par la fréquentation qu'il auroit avec nous[487]. Que pour l'advancement de cet oeuvre nous fissions une autre habitation au Sault Sainct Louys, pour leur donner la seureté du passage de la riviere, pour la crainte de leurs ennemis, & qu'aussi tost ils viendroient en 309/965 nombre à nous pour y vivre comme frères: ce que je luy promis faire le plustost qu'il me seroit possible. Ainsi après avoir demeuré 4 ou 5 jours ensemble, & luy ayant donné quelques honnestes dons (desquels il se contenta fort) il s'en retourna au Sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient[488]. [Note 487: Ici encore, dans l'édition de 1632, a été retranché comme à dessein un passage où se trouvait mentionné le P. Joseph. (Voir 1619, p. 104.)] [Note 488: En cet endroit, l'édition de 1619 (p. 105, et 106) renferme de plus quelques détails sur les travaux faits à l'habitation et sur le passage des PP. Denis et Joseph en France.] Pendant mon sejour à l'habitation, je fis couper du bled commun, à sçavoir du bled François qui y avoit esté semé, lequel estoit très-beau, afin d'en apporter en France, pour tesmoigner que ceste terre est très-bonne & fertile. Aussi y avoit-il du bled d'Inde fort beau, & des entes & arbres que nous y avions porté[489]. [Note 489: L'édition de 1632 retranche encore ici un passage important, où il est question des Pères Récollets: «Nous estans,» dit Champlain, «sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux à nostre habitation, à sçavoir les Pères Jean d'Elbeau & Père Paciffique» (P. Jean d'Olbeau et Frère Pacifique), «fort content de tout le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y attendre le retour du Père Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fit l'année suivante.» (1619, p. 107.)] Je m'embarquay en nos barques le 20e jour de Juillet, & arrivay à Tadoussac le 23e jour dudit mois, où le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest & appareillé, dans lequel nous nous embarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si à propos que nous arrivasmes à Honnefleur le 10 jour de Septembre 1616, où nous rendismes louange & action de grâces à Dieu de nous avoir preservez de tant de périls & hazards où nous avions esté exposez, & de nous avoir ramenez en santé dans nostre patrie. A luy donc soit gloire & honneur à jamais. Ainsi soit-il[490]. [Note 490: _Conf_. 1619, p. 108. Ici se termine le voyage de 1615; l'édition de 1619 renferme en outre le voyage de 1618, que l'édition de 1632 n'a pas cru devoir reproduire soit qu'on ait jugé de peu d'importance les faits qui y sont rapportés, soit qu'on ait trouve difficile de retrancher la part qu'y ont eue les Pères Récollets.] 310/966 Changement de Viceroy de feu M. le Mareschal de Themines, qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux. CHAPITRE VIII.[491] [Note 491: Chapitre IV de la première édition.] Estant arrivé en France, nous eusmes nouvelles de la détention de Monseigneur le Prince[492], qui me fit juger que nos envieux ne tarderoient gueres à vomir leur poison, & qu'ils feroient ce qu'ils n'avoient osé faire auparavant: car le chef estant malade, les membres ne peuvent estre en santé. Aussi dés lors les affaires changerent de face, & firent naistre un nouveau Vice-roy, par l'entremise d'un certain personnage, lequel s'addresse au Sieur de Beaumont Maistre des Requestes, lequel estoit amy de Monsieur le Mareschal de Themines, qui donne advis de demander la charge de Lieutenant de Roy de la nouvelle France, pendant la détention de mond. Seigneur le Prince: lequel l'obtint de la Royne-mere Régente. Cet entremetteur va trouver Monsieur le Mareschal de Themines, luy fait voir que l'on donnoit un cheval de mille escus à Monseigneur le Prince, & qu'il en pourroit bien avoir un de quatre mil cinq cents livres, par les moyens qu'il luy dira, 311/967 moyennant que mond. sieur luy face quelque gratification, & le continue en la charge de faire les affaires de la Compagnie, & pouvoir estre son Secrétaire. Il luy dit qu'en consideration de l'advis qu'il luy avoit fait donner, & aussi pour le soin qu'il avoit des affaires, il le recognoistroit, comme dit est. Cela accordé, ledit Solliciteur dit aux associez, Qu'il avoit appris que Monsieur de Themines avoit l'affaire de Canada, & demandoit cinq cents escus davantage que les mille, d'autant qu'il y en avoit d'autres qui vouloient prendre ce party, & luy offroient, mais qu'il les vouloit préférer. Ces associez adjoustent foy à cecy, jusques à ce que la mesche fust descouverte par l'un des Secrétaires de mond. Sieur de Themines, fasché de ce que ce personnage emportoit ce qui luy devoit estre acquis. En ces entrefaites, on donne advis à Monseigneur le Prince de tout ce qui se passoit, qui donna charge à Monsieur Vignier de mesnager ceste affaire: lequel fait arrest de ce qui estoit deub à mond. Seign. le Prince, & que s'ils payoient à Monsieur de Themines, ils payeroient deux fois. Voila un procez qui s'esmeut au Conseil entre les associez, Monseigneur le Prince, le Sieur de Themines, & le Sieur de Villemenon, comme Intendant de l'Admirauté, qui s'y entremet pour Monseigneur de Montmorency, sur quelque poinct qui dependoit de la charge dudit Sieur, pour le bien de la Société, qui desiroit aussi que les mille escus fussent employez au bien du païs: chose qui eust esté tres-raisonnable. Ils sont tous au Conseil, & de là renvoyez à la Cour de Parlement. Laissons les plaider, pour aller 312/968 appareiller nos vaisseaux, qui ne perdoient temps pour aller secourir les hyvernans de l'habitation. [Note 492: Le prince de Condé avait été arrêté le premier de septembre de cette année 1616. (Mercure français, t. IV, an. 1616, p. 195 et suiv.)] En ce mesme temps remonstrances furent faites à Messieurs les associez du peu de fruict qu'ils avoient fait cognoistre à advancer le progrez de l'habitation, & qu'il n'y avoit chose plus capable de rompre leur societé, s'ils n'y remedioient par quelque augmentation de faire bastir, & envoyer quelques familles pour défricher les terres. Ils se resolurent donc d'y remédier, & pour cet effect le Sieur de Mons desirant de voir de plus en plus fructifier ce dessein, met la plume à la main, fait quelques articles, par lesquels lad. Compagnie s'obligeoit à l'augmentation des hommes pour la conservation du pays, munitions de guerre, & des vivres necessaires pour deux ans, attendant que la terre peust fructifier. Ces articles furent mis entre les mains de Monsieur de Marillac, pour estre rapportez au Conseil. Voicy un bel acheminement sans profit: car le tout s'en alla en fumée, par je ne sçay quels accidents, & Dieu ne permit pas que ces articles eussent lieu. Neantmoins Monsieur de Marillac trouva tout cela juste, & s'en resjouit, grandement porté à l'advancement de ceste affaire. Pendant ces choses, je fus à Honnefleur pour aller au voyage, où estant, un de la compagnie, aussi malicieux, que grand chicaneur, appellé Boyer, comparoissant pour toute icelle Compagnie, me tait signifier un arrest de Messieurs de la Cour de Parlement, par lequel il disoit que je ne pouvois plus 313/969 prétendre l'honneur de la charge de Lieutenant de Monseigneur le Prince, attendu que la Cour avoit ordonné que les Seigneurs Prince de Condé, de Montmorency, & de Themines, sans prejudicier à leurs qualitez, ne pourroient recevoir aucuns deniers de ce qu'ils pouvoient prétendre, & defense aux associez de ne rien donner, sur les peines du quadruple. Tout cela ne me touchoit point; car ayant servy comme j'avois fait, ils ne me pouvoient oster ny la charge, ny moins les appointemens, à quoy volontairement ils s'estoient obligez lors que je les associay. Voila la recompense de ces Messieurs les associez, qui se deschargeoient sur ledit Boyer, que ce qu'il avoit fait estoit de son mouvement. Je protestay au contraire, attendant le retour de mon voyage. Je m'embarquay donc pour le voyage de l'an 1617. où il ne se pana rien de remarquable[493]. Estant de retour à Paris, je fus trouver mond. sieur de Themines, duquel j'avois eu la commission de son Lieutenant pendant la détention de mond. Seigneur le Prince. Il obtient lettres du Conseil de sa Majesté pour y faire renvoyer l'affaire, qui n'avoit pas esté jugée à son profit. Estant au Conseil, la Compagnie ne demande maintenant que la descharge de ce qu'elle doit payer, & qu'ils ne payent point à deux. Ordonné que l'on donnera l'argent à mond. sieur de Themines. Neantmoins led. sieur Vignier Intendant de Monseig. le Prince, dit que les Associez regardent ce qu'ils font, à ce qu'un jour ils ne payent derechef. Ceste Compagnie se trouve en peine, & eust voulu qu'ils se fussent accordez. [Note 493: Voir 1619, p. 108, 109, 110, où nous avons donné un résumé de ce voyage.] 314/970 Quoy que c'en soit, ils payent à M. de Themines, en vertu de l'arrest du Conseil. Or c'est à faire à payer encore une autre fois, s'il y eschet (dirent-ils). Au lieu que tous devroient contribuer à ce sainct dessein, on en oste les moyens. Car les associez disent qu'ils ne peuvent faire aucun advancement au pays, si on ne les veut assister, & employer le peu d'argent qu'ils donnent annuellement, ou le donner aux Religieux, pour aider à faire leur Séminaire: lesquels perdirent ceste occasion envers mond. Seigneur le Prince. Estans pour lors empeschez à des affaires qui leur touchoient d'avantage que celles de cette entreprise, ils ne s'y voulurent employer, disans qu'ils avoient assez d'affaires pour eux en France, sans solliciter pour celles de Canada. Cecy fut froidement sollicité; qui est le moyen de ne rien faire, si Dieu n'eust suscité d'autres voyes. En ceste mesme année arrive un autre assault des effects du malin esprit. Les envieux croyent qu'ils auroient meilleur marché pendant la détention de Monseigneur le Prince, pour faire rompre sa commission & par consequent celle de Monsieur de Themines; & font tant que Messieurs des Estats de Bretagne tentent la fortune pour la seconde fois, afin de les favoriser, & de coucher en leurs articles celuy de la traitte libre pour la Province de Bretagne. Ils viennent à Paris, presentent leurs cahiers à Messieurs du Conseil; lesquels leur accordent cet article, sans avoir ouy les parties, qui estoient engagées bien avant en ceste affaire. J'en parlay au feu sieur Evesque de 315/971 Nantes, député pour lors des Estats, & à Moniteur de Sceaux, qui avoit les régistres des Estats de Bretagne, lequel me disant que c'estoit la vérité, je luy repartis: _Monsieur, comment est-il possible que l'on aye octroyé si promptement cet article sans ouyr partie?_ Il me respondit, _L'on ny a pas songé_. Je fais aussi tost presenter une requeste à Messieurs du Conseil, qui ordonnèrent des Commissaires pour juger l'affaire. Cependant l'article est sursis, jusques à ce qu'il en aye esté autrement ordonné, & que les parties seroient appellées & ouïes sur ce faict. J'escris aussi tost à nos associez à Rouen, qu'ils eussent à venir promptement, ce qu'ils firent, car la chose leur touchoit de prés. Estans venus, les Commissaires s'assemblent chez Monsieur de Chasteau-neuf. Messieurs les Députez des Estats & moy s'y trouvent avec nos associez, pour décider de ceste affaire. L'on fut long temps à débattre sur ce que les Bretons pretendoient la préférence de ce négoce aux autres subject de ce Royaume, & plusieurs raisons furent agitées d'un costé & d'autre. Je n'y oubliay rien de ce que j'en sçavois, & avois peu apprendre par des Autheurs dignes de foy. Le tout bien consideré, fut dit, que l'article seroit rayé, jusques à ce que plus à plain il en fust ordonné, & cependant defenses faites aux Bretons, de par le Roy, de trafiquer en aucune manière que ce soit de pelleterie, avec les Sauvages, sans le consentement de lad. Société: & tans l'advis que j'en eus, l'affaire eust esté rompue pour lors. Car combien de querelles & procez se fussent-ils émeus tant en la nouvelle France, qu'au Conseil de sa Majesté? 316/972 En la mesme année 1618, les Associez craignans d'estre démis de la traitte de pelleterie, pour ne faire quelque chose de plus que ce qu'ils estoient obligez par leurs articles, comme de passer des hommes par delà pour habiter & défricher les terres; à quoy je les portois le plus qu'il m'estoit possible; & au default des personnes, s'offroient d'en mener, en leur accordant les mesmes privileges qu'ils avoient. Que de moy j'avois à informer sad. Majesté & Monseig. le Prince, du progrés qui se faisoit de temps en temps comme j'avois fait. Que les troubles ordinaires qui avoient esté en France avoient empesché sad. Majesté d'y remédier, & qu'ils eussent à mieux faire. Qu'autrement, ils pourroient estre depossedez de toutes leurs prétentions, qui ne tendoient qu'à leur profit particulier, bien dissemblable aux miennes, qui n'avois autre dessein que de voir le pays habité de gens laborieux, pour défricher les terres, afin de ne point s'assubjectir à porter des vivres annuellement de France, avec beaucoup de despense, & laisser les hommes tomber en de grandes necessitez, pour n'avoir dequoy se nourrir, comme il estoit ja advenu, les vaisseaux ayans retardé prés de deux mois plus que l'ordinaire, & pensa y avoir une émotion & revolte à ce sujet les uns contre les autres. A tout cecy nosd. Associez disoient, que les affaires de France estoient si muables, qu'ayans fait une grande despense, ils n'avoient lieu de seureté pour eux, ayans veu ce qui s'estoit passé au sujet du Sieur de Mons. Je leur dis, qu'il y avoit bien de la différence de ce temps là à cestuy cy, entant que 316/973 c'estoit un Gentil-homme qui n'avoit pas assez d'authorité pour se maintenir en Court contre l'envie dans le Conseil de sa Majesté. Que maintenant ils avoient un Prince pour protecteur, & Viceroy du pays, qui les pouvoit protéger & défendre envers & contre tous, souz le bon plaisir du Roy. Mais j'appercevis bien qu'une plus grande crainte les tenoit; que si le pays s'habitoit leur pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux tout ce qu'ils voudroient, & seroient frustrez de la plus grand' partie des pelleteries, qu'ils n'auroient que par les mains des habitans du pays, & peu après seroient chassez par ceux qui les auroient installez avec beaucoup de despense. Considerations pour jamais n'y rien faire, par tous ceux qui auront de semblables desseins; & ainsi souz de beaux prétextes promettent des merveilles pour faire peu d'exécution, & empescher ceux qui eussent eu bonne envie de s'habituer en ces terres, qui volontiers y eussent porté leur bien, & leur vie, s'ils n'en eussent esté empeschez. Et si cela eust réussi, jamais l'Anglois n'y eust esté, comme il a fait, par le moyen des rebelles François. A force de solliciter lesd. Associez, ils s'assemblerent, & firent un estat du nombre d'hommes & familles qu'ils y devoient envoyer, outre celles qui y estoient: duquel estat j'en pris copie pardevant Notaires, comme il s'ensuit. _Estat des personnes qui doivent estre menées & entretenues en l'habitation de Quebec, pour l'année 1619._ Il y aura 80 personnes, y compris le Chef, trois Peres Recollets, commis, officiers, ouvriers, & laboureurs. 317/974 Deux personnes auront un matelas, paillasse, deux couvertes, trois paires de linceulx neufs, deux habits à chacun, six chemises, quatre paires de souliers, & un capot. Pour les armes, 40 mousquets avec leurs bandolieres, 24 piques, 4 harquebuzes à rouet de 4 à 5 pieds, 1000 livres de poudre fine, 1000 de poudre à canon, 1000 livres de balles pour les pièces, six milliers de plomb, un poinçon de mesche. Pour les hommes, une douzaine de faux avec leur manche, marteaux, & le reste de l'équipage, 12 faucilles, 24 besches pour labourer, 12 picqs, 4000 livres de fer, 2 barils d'acier, 10 tonneaux de chaulx (l'on n'en avoit encore point trouvé audit pays comme l'on a fait depuis) dix milliers de tuille creuse, ou vingt mille de platte, dix milliers de brique pour faire un four & des cheminées, deux meules de moulin, car il ne s'y en estoit trouvé que depuis trois ans. Pour le service de la table du Chef, 36 plats, autant d'escuelles & d'assiettes, 6 salieres, 6 aiguieres, 2 bassins, 6 pots de deux pintes chacun, 6 pintes, 6 chopines, 6 demy-septiers, le tout d'estain, deux douzaines de nappes, vingt-quatre douzaines de serviettes. Pour la cuisine, une douzaine de chaudières de cuivre, 6 paires de chesnets, 6 poisles à frire, 6 grilles. Sera aussi porté deux taureaux d'un an, des genices, & des brebis ce que l'on pourra: de toutes sortes de graines pour semer. 319/975 Il y eust bien fallu plusieurs autres commoditez qui manquoient en ce mémoire: mais ce n'eust pas esté peu, s'il eust esté accomply comme il estoit. De plus y avoit: Celuy qui commandera à l'habitation, se chargera des armes & munitions qui y sont, & de celles qui y seront portées, durant qu'il y demeurera. Et le Commis qui sera à l'habitation pour la traitte des marchandises, se chargera d'icelles, ensemble des meubles & ustensiles qui seront à la compagnie, & de tout il envoyera par les navires un estat, lequel il signera. Sera aussi porté une douzaine de materas garnis, comme ceux des familles, qui seront mis dans le magazin, pour aider aux malades & blessez. Il sera besoin aussi que le navire qui pourra estre acheté pour la compagnie, ou frété, aille à Québec, & qu'il soit porté par la charte partie, & selon la facilité qui se trouvera, il faudra aussi faire monter le grand navire de la compagnie. Fait & arresté par nous souz-signez, & promettons accomplir en ce qui sera possible le contenu cy dessus. En tesmoin dequoy nous avons signé ces presentes. A Paris le 21 Décembre 1619[494]. Ainsi signé, Pierre, Dagua[495], Le Gendre, tant pour luy que pour les Vermulles, Bellois, & M. Dustrelot. [Note 494: 1618.] [Note 495: Pierre Dugua.] Collationné à l'original en papier. Ce fait rendu par les Notaires souz-signez, l'an 1619, le 11e jour de Janvier. GUERREAU. FOURCY. Je portay cet estat à Monsieur de Marillac, pour le faire voir 320/976 à Messieurs du Conseil, qui trouverent très-bon qu'il s'executast, recognoissans la bonne volonté qu'avoient lesdits Associez de se porter au bien de ceste affaire, & ne voulurent entendre d'autres propositions qui leur estoient faites par ceux de Bretagne, la Rochelle, & Sainct Jean de Lus. Quoy que ce soit, ce fut un bruit & une demonstration de bien augmenter la peuplade, qui ne sortit pourtant à nul effect. L'année s'escoula, & ne se fit rien, non plus que la suivante, que l'on recommença à crier, & se plaindre de ceste Société, qui donnoit des promesses, sans rien effectuer. Voila comme ceste affaire se passa, & sembloit que tous obstacles se mettoient au devant, pour empescher que ce sainct dessein ne reussist à la gloire de Dieu. Une partie de cesdits associez estoient de la religion prétendue reformée, qui n'avoient rien moins à coeur que la nostre s'y plantast, bien qu'ils consentoient d'y entretenir des Religieux, parce qu'ils sçavoient que c'estoit la volonté de sa Majesté. Les Catholiques en estoient très-contents, & c'estoit la chambre my-partie: car au commencement on n'y avoit peu faire davantage, & ne se trouvoit des Catholiques qui voulussent tant hazarder, qui fit que l'on receut les prétendus reformez, à la charge neantmoins que l'on n'y feroit nul exercice de leur religion. Ce qui occasionnoit en partie tant de divisions & procez les uns contre les autres, que ce l'un vouloit, l'autre ne le vouloit pas, vivans ainsi avec une telle mesfiance, que chacun avoit son commis, pour avoir égard à tout ce qui se passeroit, qui n'estoit qu'augmentation de despense. 321/977 Et de plus, combien ont-ils eu de procez contre les Rochelois, qui n'en vouloient perdre leur part, souz des passe-ports qu'ils obtenoient par surprise, sans rien contribuer? & autres sans commission se mettoient en mer à la desrobée pour aller voler & piller contre les défenses de sadite Majesté, & ne pouvoit-on avoir aucune raison ny justice en l'enclos de leur ville: car quand on alloit pour faire quelque exploict de Justice, le Maire disoit: _Je crois ne vous faire pas peu de faveur & de courtoisie, en vous conseillant de ne faire point de bruit, & de vous retirer au plustost. Que si le peuple sçait que veniez en ce lieu, pour exécuter les commandemens de Messieurs du Conseil vous courez fortune d'estre noyez dans le port de la Chaisne, à quoy je ne pourrois remédier._ Si faut-il que je dise encore, que ce qui sembloit n'estre à leur advantage, l'estoit plus qu'ils ne pensoient; d'autant que c'est chose certaine, qu'outre le bien spirituel, le temporel s'accroît infiniment par les peuplades, & plus il y a de gens laborieux, plus de commoditez peut-on esperer, lesquels ayant leur nourriture & logement, se plaisent à faire valloir les commoditez qui y sont, & le débit ne se peut faire que par les vaisseaux qui y vont porter des marchandises qui leur sont necessaires, pour les eschanger en celles du pays: & par ainsi ceux qui ont les commissions de sa Majesté, d'aller seuls trafiquer privativement à tous autres avec les François habituez, pour subvenir à la despense qu'ils pourroient avoir faite à y mener des hommes de toutes conditions, avec ce qui leur seroit necessaire, ils peuvent s'asseurer que pendant le 322/978 temps de leur commission les habitans de ces lieux seroient contraints & forcez de porter au magazin des associez ce qu'ils pourroient avoir de pelleterie, qui sont de mauvaise garde pour un long temps, pour les inconveniens qui en peuvent arriver: en les faisant valoir un honneste prix pour recevoir de France beaucoup de choses qui leur seroient necessaires. Que les vouloir contraindre à ne traitter avec les Sauvages, cela leur donneroit tel mescontentement, qu'ils tascheroieht à perdre le tout, plustost que les porter au magazin, comme j'ay veu plusieurs fois. Car à quoy penseroit-on que ces peuples voulurent faire amas de pelleterie que pour leur usage, & traitter le reste pour avoir des commoditez du magazin, dont ils ne se peuvent passer? Au contraire, trafiquant & négociant, en leur laissant la traitte libre, ils prendront courage de travailler, & d'aller en plusieurs contrées faire ce négoce avec les Sauvages, pour trouver quelque advantage en ce commerce. Les Associez ayans leur arrest en main, font nouveaux équipages, & apprestent leur vaisseau. Je me mets en estat de partir avec ma famille, & leur fais sçavoir, lesquels entrent en doute: neantmoins ils me mandent qu'ils me feront bonne réception, & qu'ils avoient advisé entr'eux que le Sieur du Pont devoit demeurer pour commander à l'habitation sur leurs gens, & moy à m'employer aux descouvertes, comme estant de mon faict, & à quoy je m'estois obligé. C'estoit en un mot, qu'ils pensoient avoir le gouvernement à eux seuls, & faire là comme 323/979 une Republique à leur fantaisie, & se servir des Commissions de sa Majesté pour effectuer leurs passions, sans qu'il y eust personne qui les peust controller, pour tousjours tirer le bon bout devers eux, sans y rien adjouster, s'ils n'estoient bien pressez. Ils n'ont plus affaire de personne, & tout ce que j'avois fait pour eux n'entre point en consideration. Je suis honneste homme, mais je ne dépens pas d'eux. Ils ne considerent plus leurs articles, & à quoy ils s'estoient obligez tant envers le Roy, qu'envers Monseigneur le Prince, & moy. Ils n'estiment rien leurs contracts & promesses qu'ils avoient faites souz leur seing, & sont sur le haut du pavé. Je ne sçay pas en fin ce qui en sera, mais je sçay bien qu'ils n'avoient point de raison ny de justice de plaider contre leur seing. Tout cecy s'esmouvoit à la sollicitation de Boyer, qui dans le tracas vivoit des chicaneries qu'il exerçoit: car s'il despensoit un sol, il en comptoit pour le moins quatre à chacun, ainsi que j'ay ouy dire depuis. Voyant ce qu'ils m'avoient mandé, je leur escrivis, & m'achemine à Rouen avec tout mon équipage[496]. Je leur monstre les articles, & comme Lieutenant de Monseigneur le Prince, que j'avois droict de commander en l'habitation, & à tous les hommes qui y seroient, fors & excepté au magazin où estoit leur premier Commis, qui demeuroit pour mon Lieutenant en mon absence. Que pour les descouvertes, ce s'estoit point à eux de 324/980 me donner la loy: que je les faisois, quand je voyois l'occurence des temps propres à cet effect, comme j'avois fait par le passé. Que je n'estois pas obligé à plus que ce que les articles portoient, qui ne disoient rien de tout cela. Que pour le Sieur du Pont j'estois son amy, & que son aage me le feroit respecter comme mon père: mais de consentir qu'on luy donnast ce qui m'appartenoit par droict & raison, je ne le soufrirois point. Que les peines, risques, & fortunes de la vie que j'avois couru aux descouvertes des terres & peuples amenez à nostre cognoissance, dont ils en recevoient le bien, m'avoient acquis l'honneur que je possedois. Que le Sieur du Pont & moy ayans vescu par le passé en bonne amitié, je desirois y perseverer. Que je n'entendois point faire le voyage qu'avec la mesme auctorité que j'avois eue auparavant: autrement, que je protestois tous despens, dommages & interests contre eux à cause de mon retardement. Et sur cela, je leur presentay ceste lettre de sa Majesté. [Note 496: Il est évident que, par cette expression «mon équipage», Champlain veut parler ici du personnel de sa maison; car, après les articles convenus et signés (ci-dessus, p. 322), c'est-à-dire, au printemps de 1619, «il se mit en état départir avec sa famille.» Madame de Champlain serait donc venue au Canada dès 1619, sans les difficultés que soulevèrent les associés. (Voir ci-après, p. 325.)] «DE PAR LE ROY. Chers & bien-aimez, Sur l'advis qui nous a esté donné, qu'il y a eu cy-devant du mauvais ordre en l'establissement des familles & ouvriers que l'on a menez en l'habitation de Quebec, & autres lieux de la Nouvelle France, Nous vous escrivons ceste lettre, pour vous déclarer le desir que nous avons que toutes choses aillent mieux à l'advenir: & vous mander, que nous aurons à plaisir que vous assistiez, autant que vous le pourrez 325/981 commodément, le sieur de Champlain, des choses requises & necessaires pour l'execution du commandement qu'il a receu de Nous, de choisir des hommes expérimentez & fidèles pour employer à descouvrir, habiter, défricher, cultiver, & ensemencer les terres, & faire tous les ouvrages qu'il jugera necessaires pour l'establissement des Colonies que nous desirons de planter audit pays, pour le bien de nostre service, & l'utilité de nos Subjects, sans que pour raison desdites descouvertures & habitations, vos Facteurs, Commis, & Entremetteurs au faict: du trafic de la pelleterie, soient troublez ny empeschez en aucune façon & manière que ce soit, durant le temps que nous vous avons accordé. Et à ce ne faites faute. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le 12e jour de Mars, 1618. Ainsi signé LOUIS. Et plus bas, POTIER.» Ils ne voulurent rien dire davantage que ce qu'ils m'avoient escrit; ce qui m'occasionna de faire ma protestation, & m'en retournay à Paris. Ils font leur voyage[497], & ledit du Pont hyverna ceste année à l'habitation, pendant que je plaide mon droict au Conseil de sa Majesté. [Note 497: On voit que Champlain ne vint point au Canada en 1619.] Je presente requeste avec la copie des articles, afin de les faire venir. Nous voila à chicaner, & Boyer qui n'en devoit rien à personne, cecy me donna sujet de suivre le Conseil à Tours, où je fais voir la malice de leur plaidoyé, assez recogneuë d'un chacun. Et après avoir bien débattu, j'obtiens 326/982 un arrest de Messieurs du conseil, par lequel il estoit dit que je commanderois tant à Québec, qu'autres lieux de la nouvelle France, & defenses aux Associez de ne me troubler, ny empescher en la fonction de ma charge, à peine de tous despens, dommages & interests, & d'amende arbitraire, & hors de despens: Lequel arrest je leur fais signifier en plaine Bourse de Rouen. Ils s'excusent sur ledit Boyer, & disent qu'ils n'y avoient pas consenty: mais j'estois tres-asseuré du contraire. En ce temps Monseigneur le Prince estant mis en liberté[498], on luy donne mille escus, desquels il en donna cinq cents aux Pères Recollets, pour aider à faire leur Séminaire, qui ne firent pas grand' chose. Estant r'entré en possession de sa commission pour la nouvelle France, Monsieur le Mareschal de Thémines hors de ses prétentions, le Sieur de Villemenon qui dés long temps avoit desir que ceste affaire tombast entre les mains de Monseigneur l'Admiral, pource qu'il croyoit que toutes choses seroient mieux réglées à l'honneur de Dieu, du service du Roy, & bien dudit pays; & qu'ayant l'intendance de l'Admirauté, tout se feroit avec advancement; Il en parle à Monseigneur de Montmorency, qui monstroit le desirer par les ouvertures que led. Sieur de Villemenon luy donna. Mond. Seigneur en parle à Monseigneur le Prince, qui remet ceste affaire au Sieur Vignier, qui fait en sorte qu'il tire de Monseigneur de Montmorency unze mille escus pour ses prétentions, & promet souz le bon plaisir du Roy, luy donner la 327/983 commission de Vice-roy aud. pays de la nouvelle France, qui en donne l'intendance à Monsieur Dolu, grand Audiancier de France, pour y apporter quelque bon règlement: lequel s'y employe de toute son affection, bruslant d'ardeur de faire quelque chose à l'advancement de la gloire de Dieu, & du pays, & mettre nostre Société en meilleur estat de bien faire qu'elle n'avoit fait. Je le veis sur ceste affaire, & luy fis cognoistre ce qui en estoit, & luy en donnay des memoires pour s'en instruire. [Note 498: Le prince de Condé fut mis en liberté le 20 octobre 1619; la lettre de grâce du roi est du 9 novembre, et elle ne fut vérifiée en parlement que le 26 suivant. (MERC.)] Mond. Seigneur de Montmorency me continuant en l'honneur de sa Lieutenance en lad. nouvelle France, me commande de faire le voyage, & d'aller à Québec m'y fortifier au mieux qu'il me seroit possible, & luy donner advis de tout ce qui se passeroit, pour y apporter l'ordre requis. Donc je partis de Paris avec ma famille, équipé de tout ce qui m'estoit necessaire. Estant à Honnefleur, il y eut encore quelque brouillerie sur le commandement que je devois avoir audit pays, & ceste compagnie receut un extrême desplaisir de ce changement. J'en escris à Monseigneur, & aud. Sieur Dolu, qui leur mandent que le Roy & Monseigneur entendoient que j'eusse l'entier & absolu commandement en toute l'habitation, & sur tout ce qui y seroit, horsmis pour ce qui estoit du magazin de leurs marchandises, desquelles leurs commis ou facteurs pouvoient disposer. Que sa Majesté avoit promis de nous donner armes & munitions de guerre, pour la defense du fort que je ferois bastir. Et s'ils ne vouloient obeir aux volontez de sa 328/984 Majesté, & de mond. seigneur que je fisse arrester le vaisseau, jusques à ce que cela fust exécuté. On en r'escrit au sieur de Brécourt, maistre d'hostel de mond. Seigneur, & Receveur de l'Admirauté, & aux Officiers nos associez, bien faschez de tout cecy, mais en fin ils acquiescerent à la raison. Au mesme temps sa Majesté me fit l'honneur de m'escrire ceste lettre sur mon partement. CHAMPLAIN, Ayant sceu le commandement que vous aviez receu de mon cousin le Duc de Montmorency, Admiral de France, & mon Vice-roy en la nouvelle France, de vous acheminer audit païs, pour y estre son Lieutenant, & avoir soin de ce qui se presentera pour le bien de mon service, j'ay bien voulu vous escrire ceste lettre, pour vous asseurer que j'auray bien agreables les services que me rendrez en ceste occasion, surtout si vous maintenez led. païs en mon obeissance, faisant vivre les peuples qui y sont, le plus conformément aux loix de mon Royaume, que vous pourrez, & y ayant le soin qui est requis de la Religion Catholique, afin que vous attiriez par ce moyen la bénédiction divine sur vous, qui sera reussir vos entreprises & actions à la gloire de Dieu, que je prie (Champlain) vous avoir en sa saincte & digne garde. Escrit à Paris le 7e jour de May, 1620. Signé, LOUIS. Et plus bas, BRULART. 1/985 [Illustration] SECONDE PARTIE DES VOYAGES DU SIEUR de Champlain. LIVRE PREMIER. _Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son arrivée à Québec. Prend possession du Pais, au nom de monsieur de Montmorency._ CHAPITRE PREMIER. L'an 1620, je retournay avec ma famille à la Nouvelle France, où arrivasmes au mois de May[499]. Nous traversasmes plusieurs Isles, & entr'autres celles aux Oyseaux, où il y en a tel nombre, qu'on les tue à coups de bastons. Le 24[500] nous passasmes proche Gaspey, entrée du fleuve sainct Laurent. [Note 499: Juin. Champlain, étant arrivé à la rade de Tadoussac le 7 juillet, après une traversée de deux mois, avait dû partir de Honfleur vers le 8 de mai, comme le prouve du reste la date de la lettre que le roi lui adressa «sur son parlement» (p. 328, 1ère partie). Il devait donc être en vue de Terreneuve vers le 20 de juin; puisque le 24 il n'était qu'à Gaspé.] [Note 500: Le 24 juin.] 2/986 Le 7 de Juillet nous mouillasmes l'anchre au moulin Baudé, à une lieue du port de Tadoussac, ayant esté deux mois à la traverse de nostre voyage, où un chacun loua Dieu de nous voir à port de salut, & principalement moy, pour le sujet de ma famille, qui avoit beaucoup enduré d'incommoditez en cette fascheuse traverse. Le lendemain un petit batteau vient à nostre bord, qui nous dit que le vaisseau où estoit le Sieur Deschesnes, party un mois auparavant nous, estoit arrivé, qui fut prés de deux mois à sa traverse[501]. Le Sieur Boullé, mon beau frère estoit en ce batteau, qui fut fort estonné de voir sa soeur, & comme elle s'estoit resolue de passer une mer fascheuse, & fut grandement resjouy, & elle & moy au prealable; lequel nous dit que deux vaisseaux de la Rochelle, l'un du port de 70 tonneaux, l'autre de 45 estoient venus proche de Tadoussac traitter; nonobstant les deffences du Roy, & avoient couru fortune d'estre pris par ledit Deschesnes proche du Bicq, à 15 lieues de Tadoussac, neantmoins se sauverent comme meilleurs voilliers. Ils emportèrent cette année nombre de pelleteries, & avoient donné quantité d'armes à feu, avec poudre, plomb, mesche, aux Sauvages; chose tres-pernicieuse & prejudiciable, d'armer ces infidèles de la façon, qui s'en pourroyent servir 3/987 contre nous aux occasions. Voila comme tousjours ces rebelles ne cessent de mal faire, n'ayant encore bien commencé, desobeissant aux commandemens de sa Majesté, qui le défend par ses Commissions, sur peine de la vie. Telles personnes meriteroient d'estre chastiez severement, pour enfraindre les Ordonnances: mais quoy, dit on, sont Rochelois, c'est à dire très mauvais & desobeissans subjects, où il n'y a point de justice: prenez les si pouvez & les chastiez, le Roy vous le permet par les commissions qu'il vous donne. D'avantage ces meschans larrons qui vont en ce païs subornent les sauvages, & leurs tiennent des discours de nostre Religion, très-pernicieux & meschans, pour nous rendre d'autant plus odieux en leur endroit. [Note 501: Ce vaisseau était _la Sallemande_. On voit, par une lettre du P. Jamay, qui y était passager, avec Frère Bonaventure, qu'il partit de Honneur le 5 d'avril, et arriva à Tadoussac le 30 mai. «Nous nous divisames en deux bandes,» dit-il, «je partis le premier avec l'un de nos frères appellé F. Bonaventure, dans le premier Navire, qu'on nomme la Sallemande; nous sortismes du Havre de Honfleur le Dimanche de la Passion» (qui, cette année, 1620, tombait le 5 avril), «& arrivâmes le Samedy des Octaves de l'Ascension» (30 mai), «dans le port de Tadoussac.» (Sagard. Hist. du Canada, p. 58.)] Nous apprismes que les sieurs du Pont & Deschesne estoient partis de Québec pour aller à mont ledit fleuve affin de traitter à une isle devant la riviere des Hiroquois, ayant laissé à Tadoussac deux moyennes barques pour nous attendre, & les dépescher promptement, afin de leur porter marchandises, avant que sçavoir de nos nouvelles; ce qui fut fait ce jour mesme, & en envoyerent une devant l'autre, que nous retinsmes pour nous en aller à Québec. Nous sceusmes la mort de frère Pacifique[502], bon Religieux, qui estoit très charitable, & celle de la fille[503] de Hébert en travail d'enfant, tout le reste se portoit bien: & pour l'habitation, elle estoit en très 4/988 mauvais estat, pour avoir diverty les Ouvriers à un logement que l'on avoit fait aux Pères Recollets, à demy lieue de l'habitation, sur le bord de la riviere sainct Charles[504], & deux autres logemens, un pour ledit Hébert à son labourage [505], un autre proche de l'habitation pour le Serrurier & Boulenger, qui ne pouvoient estre en l'enclos des logemens. Locquin partit promptement dans une chaloupe chargée de marchandises, pour aller treuver ledit du Pont. [Note 502: Le Frère Pacifique du Plessis «décéda ledit 23e jour d'Aoust, après avoir receu tous les sacremens en grande devotion, & fut enterré à la Chappelle de Kebec, avec les cérémonies de la S. Eglise.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 55.--Mortuologe des Récollets, 26 d'août. Archives de l'Archevêché de Québec.)] [Note 503: Anne Hébert, fille aînée de Louis Hébert; elle était mariée à Étienne Jonquest.] [Note 504: Ce logement des Pères Récollets était précisément à l'endroit où est aujourd'hui l'Hôpital-Général. «Le 7. Septembre,» dit Sagard (Hist. du Canada, p. 56), «l'on commença d'amasser les matériaux, & de joindre la charpenterie de nostre Convent de nostre Dame des Anges, où le Père Dolbeau fist mettre la première pierre le 3 juin 1620.» «A nostre arrivée,» dit le P. Denis Jamay, dans une lettre datée de Québec le 15 août 1620, «nous sceumes que le sieur du Pont Gravé Capitaine pour les Marchands dans l'habitation, avoit commencé à nous faire bastir une maison (laquelle depuis nostre arrivée nous avons fait achever) dont je fus fort resjouy tant pour l'assiette du lieu, que de la beauté du bastiment. Le corps du logis donc est faist de bonne & forte charpente, & entre les grosses pièces une muraille de 8 & 9 pouces jusques à la couverture, sa longueur est de trente-quatre pieds, sa largeur de vingt deux, il est à double estage: nous divisons le bas en deux: de la moitié nous en faisons nostre Chappelle en attendant mieux: de l'autre une belle grande chambre, qui nous servira de cuisine & où logeront nos gens: au second estage nous avons une belle grande chambre, puis quatre autres petites; dans deux desquelles, que nous avons faict faire tant soit peu plus grandes que les autres, y a des cheminées pour retirer les malades, à ce qu'ils soient seuls: la muraille est faicte de bonne pierre, bon sable & meilleure chaux que celle qui se faict en France, au dessoubs est la cave de vingt pieds en carré, & sept de rofond.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 58, 59.)] [Note 505: Quelque respect que nous ayons pour les opinions de M. Ferland, nous ne pouvons admettre que la maison d'Hébert ait été «vers la partie de la rue Saint-Joseph, où elle reçoit les rues Saint-François et Saint Flavien» (Notes sur les Registres, p. 10). D'abord, l'acte de partage de 1634, sur lequel M. Ferland paraît s'appuyer (Cours d'Hist. P. 190), est fort obscur sur ce point et très-peu concluant; en second lieu, cette première maison était dans le voisinage de celle de Couillard, comme le prouve un acte d'arbitrage de 1639, (Étude de Piraube, Greffe de Québec). Des arbitres, nommés pour faire la visite d'un «estre de maison scituée proche celle de Couillard, de la succession de deffunt [Guill.] Hébert, & contenant trente-huict piedz de long sur dix-neuf de large,» le jugent «inhabitable & non manable... comme fondant en ruyne» depuis longtemps... Or, en 1639, il ne pouvait y avoir, à la haute-ville, que la maison d'Hébert qui fût dans un pareil état de vétusté, puisque les autres maisons durent être construites après 1632. (Relat. 1632.) Cette première maison a dû être vers l'emplacement de l'archevêché; car la part de Guillaume Hébert et de Guillaume Hubou, à qui était remariée la veuve Hébert, était de ce côté. (Archives du Séminaire de Québec, acte de partage 1634, et acte d'échange entre Guill. Hébert et Nicolas Pivert en 1637, passé pardevant Audouart 1641.)] Le 11 je partis de Tadoussac avec ma famille, & les Religieux 5/989 que nous avions menez, au nombre de trois[506], mon beau-frère, qui avoit hyverné deux ans & demy, & Guers, arrivasmes à Québec, où estant fusmes à la Chapelle rendre grâces à Dieu de nous voir au lieu ou nous esperions. Le lendemain je fis charger le canon, ce qu'estant fait, après la saincte Messe dite un Père Recollet[507] fit un sermon d'Exhortation, où il remonstroit à un chacun le devoir où l'on se devoit mettre pour le service de sa Majesté, & de celuy de mondit seigneur de Montmorency, & que chacun eut à se comporter en l'obeissance de ce que je leur commanderois, suivant les patentes de sa Majesté, données à mondit seigneur le Viceroy, & la Commission à moy donnée de son Lieutenant, lesquelles seroient leuës publiquement en presence de tous, à ce qu'ils n'en pretendissent cause d'ignorance. Après ceste exhortation l'on sortit de la Chappelle, je fis assembler tout le monde, & commanday à Guers Commissionnaire, de faire publique lecture de la Commission de sa Majesté, & de celle de Monseigneur le Viceroy à moy donnée. Ce faict chacun crie Vive le Roy, le Canon fut tiré en signe d'allegresse, & ainsi je pris possession de l'habitation & du Pays au nom de mondit seigneur 6/990 le Viceroy. Ledit Guers en fit son procès verbal pour servir en temps & lieu. [Note 506: Il était venu en effet trois religieux, cette année 1620, le P. Denis Jamay, le P. George le Baillif et le Frère Bonaventure; mais le P. Denis et le Frère Bonaventure étaient arrivés, depuis plus d'un mois, dans le vaisseau du sieur Deschesnes (voir ci-dessus, p. 2); le P. Georges était avec Champlain.--Cette phrase semble donner à entendre que le P. Denis et Frère Bonaventure auraient attendu à Tadoussac que le second vaisseau fût arrivé, pour monter tous ensemble à Québec. Ce qu'il y a du moins de certain, d'après Sagard et le Clercq, c'est que ce fut le P. d'Olbeau qui fit la bénédiction de la première pierre du couvent de Notre-Dame-des-Anges, le 3 juin; d'où l'on peut inférer avec un peu de vraisemblance, que le P. Denis, qui revenait avec la charge de supérieur, n'était pas encore arrivé.] [Note 507: D'après le P. le Clercq, ce fut le P. Denis Jamay. (Premier établiss. de la Foy, I, 163.)] Je resolus d'envoyer ledit Guers avec six hommes aux trois rivieres où estoit le Pont & les Commis de la societé, pour sçavoir ce qui se passeroit par delà, & moy je fus visiter quelques petits jardinages & les bastiments dont on m'avoit parlé; & en effect je treuvay cette habitation si desolée & ruinée qu'elle me faisoit pitié. Il y pleuvoit de toutes parts, l'air entroit par toutes les jointures des planchers, qui s'estoient restressis de temps en temps, le magasin s'en alloit tomber, la court si salle & orde, avec un des logements qui estoit tombé, que tout cela sembloit une pauvre maison abandonnée aux champs où les Soldats avoient passe, & m'estonnois grandement de tout ce mesnage: tout cecy estoit pour me donner de l'exercice à reparer ceste habitation. Et voyant que le plustost qu'on se mettroit à reparer ces choses estoit le meilleur, j'employay les ouvriers pour y travailler, tant en pierre, qu'en bois, & toutes choses furent si bien mesnagées, que tout fut en peu de temps en estat de nous loger, pour le peu d'ouvriers qu'il y avoit, partie desquels commencèrent un Fort[508], pour eviter aux dangers qui peuvent advenir, veu que sans cela il n'y a nulle seureté en un pays esloigné presque de tout secours. J'establis ceste demeure en une scituation très bonne, sur une montagne[509] qui commandoit 7/991 sur le travers du fleuve sainct Laurent, qui est un des lieux des plus estroits de la riviere[510], & tous nos associez n'avoient peu gouster la necessité d'une place forte, pour la conservation du Pays & de leur bien. Ceste maison ainsi bastie ne leur plaisoit point, & pour cela il ne faut pas que je laisse d'effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy, & cecy est le vray moyen de ne point recevoir d'affront, pour un ennemy, qui recognoissant qu'il n'y a que des coups à gaigner, & du temps, & de la despence perdue, se gardera bien de se mettre au risque de perdre ses vaiseaux & ses hommes. C'est pourquoy il n'est pas tousjours à propos de suivre les passions des personnes, qui ne veulent régner que pour un temps, il faut porter sa consideration plus avant. [Note 508: Le fort Saint-Louis. «Le lieu qui fut choisi, dit M. Ferland, est celui où, pendant près d'un siècle et demi, résidèrent les gouverneurs français du Canada, et d'où les ordres du représentant des rois très-chrétiens étaient portés jusques aux confins du Mexique. Longtemps après la cession du Canada aux Anglais, le drapeau de la Grande-Bretagne a flotté au même endroit, sur la demeure des gouverneurs généraux de l'Amérique Britannique.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 191.)] [Note 509: Environ 172 pieds anglais au-dessus du niveau du fleuve.] [Note 510: Le fleuve n'a, en cet endroit, qu'un quart de lieue de large, ou une vingtaine d'arpents.] Quelques tours après lesdits du Pont & Deschesnes descendirent des trois rivieres avec leurs barques, & les peleteries qu'ils avoient traittées. Il y en avoit la pluspart à qui ce changement de Viceroy & de l'ordre ne plaisoit pas; ledit du Pont se resolut de repasser en France qui avoit hyverné, & laissa Jean Caumont, dit le Mons, pour commis du magazin & des marchandises pour la traitte. Ledit du Pont s'en alla à Tadoussac[511], & nous fit apporter le reste de nos vivres, & mande Roumier sous-commis, qui avoit aussi hyverné, lequel s'en retourna en France, sur ce qu'on ne luy vouloit rehausser ses gages, & moy demeurant visitay les vivres, pour les mesnager 8/992 jusques à l'arrivée des vaisseaux, faisant tousjours fortifier & continuer les réparations ja commencées, attendant d'en faire une nouvelle de pierre: car nous avions treuvé de bonnes pierres à chaux, qui estoit une grande commodité. Ils demeurèrent ceste année à hyverner 60 personnes, tant hommes, que femmes, Religieux, & enfans, dont il y avoit dix hommes pour travailler au Séminaire des Religieux & à leurs despens: tout l'Automne & l'hyver fut employé à reparer l'habitation, & les maisons d'auprès, & nous fortifier: chacun se porta très-bien, horsmis un homme qui fut tué par la cheute d'un arbre qui luy tomba sur la teste, & l'escrasa, & ainsi mourut miserablement. [Note 511: Pont-Gravé dut partir de Québec peu après le 15 d'août, comme le laisse supposer la date de la lettre du P. Denis. (Sagard, Hist. du Canada, p. 63.)] _Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France. Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de France apportées au sieur de Champlain._ CHAPITRE II. Le quinziesme de May[512], une barque estant preste l'on la mit à l'eau, qui fut chargée de vivres, pour traitter avec les Sauvages de Tadoussac. Le Mons commis s'embarqua en icelle luy huictiesme, & en son chemin fit rencontre d'une chalouppe, où estoit le Capitaine du May, & Guers, Commissionnaires de monseigneur de Montmorency, avec cinq matelots, trois soldats, & un garçon, qui fut cause que nostre commis retourna sur sa 9/993 route, & s'en revinrent ensemble à nostre habitation. Ledit du May fut très-bien receu, venant de la part de mondit seigneur de Montmorency, lequel me dit estre venu devant, en un vaisseau du port d'environ trente cinq tonneaux, avec trente personnes en tout, pour me donner advis de ce qui se passoit en France, & que proche de Tadoussac, il avoit fait rencontre d'un petit vaisseau volleur de Rochelois, de quarante cinq tonneaux, & en avoit approché de si prés, qu'ils s'en tendoient parler, estans l'un & l'autre sous voiles: Mais comme le Rochelois estoit meilleur voilier, il se sauva. Ce fut une belle occasion perdue, par ce que ceux qui estoient dedans avoient traitté nombre de peleteries. [Note 512: Il est évident, par le contexte, que c'est le 15 mai 1621.] Ledit Guers me donna les lettres qu'il pleut au Roy & à Monseigneur me faire l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur de Puisieux, & autres, des sieurs Dolu, de Villemenon & de Caen. Voicy celle du Roy. «Champlain, j'ay veu par vos lettres du 15 du mois d'Aoust, avec quelle affection vous travaillez par delà à vostre establissement, & à ce qui regarde le bien de mon service, dequoy, comme je vous sçay très-bon gré, aussi auray-je à plaisir de le recognoistre à vostre advantage, quand il s'en offrira l'occasion: & ay bien volontiers accordé quelques munitions de guerre, qui m'ont esté demandées, pour vous donner tousjours plus de moyen de subsister, & de continuer en ce bon devoir, ainsi que je me le promets de vostre soing & fidelité. 10/994 A Paris le 24e jour de Fevrier 1621. Signé LOUIS, et plus bas, Brulart.» En suitte de celle de sa Majesté, j'en receus une autre de Monsieur de Puisieux, Secrétaire de ses commandements, par laquelle entr'autres choses, il me mandoit que le sieur Dolu avoit demandé des armes pour m'envoyer, à laquelle chose on avoit pourveu, & icelles envoyées. Auparavant Monseigneur le Duc de Montmorency m'écrivit la présente. «Monsieur Champlain, pour plusieurs raisons J'ay estimé à propos, d'exclure les anciens Associez de Rouen, & de sainct Malo, pour la traitte de la Nouvelle France, d'y retourner. Et pour vous faire secourir, & pourvoir de ce qui vous y est necessaire, j'ay choisi les sieurs de Caen[513] oncle & nepveu, & leurs Associez, l'un est bon Marchand, & l'autre bon Capitaine de mer, comme il vous sçaura bien ayder & faire recognoistre l'authorité du Roy de delà sous mon gouvernement. Je vous recommande de l'assister, & ceux qui iront de sa part, contre tous autres, pour les maintenir en la jouissance des articles que je leur ay accordez. J'ay chargé le sieur Dolu Intendant des affaires du pays, de vous envoyer coppie du traitté par le premier voyage, afin que vous scachiez à quoy ils sont tenus, pour les faire executer, comme je desire leur 11/995 entretenir ce que je leur ay promis. J'ay eu soing de faire conserver vos appointements, comme je croy que vous continuerez au desir de bien servir le Roy, ainsi que continue en la bonne volonté, Monsieur Champlain, Vostre plus affectionné & parfait amy, _signé_, MONTMORANCY, DE PARIS le 2 Fevrier 1621.» [Note 513: Guillaume de Caen, marchand, et son neveu, Émery ou Émeric, alors capitaine de vaisseau.] Les lettres du sieur Dolu me mandoient que j'eusse à fermer les mains des Commis, & me saisir de toutes les marchandises tant traittées que à traitter, pour les interests que le Roy & mondit Seigneur pretendoient contre ladite Société ancienne, pour ne s'estre acquittée au peuplement comme elle estoit obligée, & que pour le sieur de Caen, bien qu'il fust de la religion contraire, on se promettoit tant de luy, qu'il donnoit esperance de se faire Catholique, & que pour ce qui estoit de l'exercice de sa religion que je luy die qu'il n'en devoit faire ny en terre ny en mer, remettant le reste à ce que j'en pouvois juger. Celle du sieur de Villemenon Intendant de l'admiraulté, ne tendoit qu'à la mesme fin: la lettre dudit sieur de Caen se conformant aussi à la sienne, & qu'il venoit avec deux bons vaisseaux bien armez & munitionnez de toutes les choses necessaires, tant pour luy que pour nostre habitation, avec de bons arrests qu'il esperoit apporter en sa faveur. Davantage ayant fait assembler le sieur de May & Guers commissionnaire, & le père George[514], auquel Monseigneur, & les sieurs Dolu, & Villemenon, luy avoient escrit des lettres à 12/996 mesme fin que celles qu'ils m'escrivoient, m'enchargeant de ne rien faire sans luy communiquer, & resolu que rien ne se perderoit en quelque façon que ce fut, & qu'il ne falloit innover aucune chose attendant ledit sieur de Caën, qui estoit assez fort, ayant l'arrest en main à son advantage, pour se saisir des vaisseaux & marchandises, & ce pendant je conserverois toutes les pelleteries, jusqu'à ce que l'on vit dequoy les pouvoir prendre & saisir justement. [Note 514: Le P. Georges le Baillif, «illustre par sa naissance, par son mérite personnel, & par l'estime singuliere dont sa Majesté l'honoroit.» (Premier Établiss. de la Foy, I, 162.)] De plus qu'il falloit considerer les inconveniens qui en pourroient arriver d'autre part, ne voyant aucun pouvoir du Roy, à quoy ledit commis [515]vouloit obéir, & non aux advis que nous avions receus de France. Ledit commis fut adverty de ce, par les Matelots du sieur de May, qui faisoient courir un bruit que ledit sieur de Caen, se saisiroit de tout ce qui leur appartenoit, quand il seroit arrivé: ils donnèrent tellement en l'esprit du Commis & de tous, qu'ils deliberoient entr'eux de ne permettre de se saisir de leurs marchandises, jusques à ce que je leur fisse apparoir lettre ou commandement de sa Majesté, ce que je ne pouvois, & tous les hommes qui dependoient des associez & gagez, craignans de perdre leurs gages, comme on leur donnoit à entendre, pretendoient comme les plus forts de l'empescher s'ils eussent peu, quand j'eusse eu la volonté de saisir leurs marchandises. C'est pourquoy pendant qu'une societé, en un païs comme cetuy-cy, tient la bource, elle paye, donne & assiste qui bon luy semble: ceux qui 13/997 commandent pour sa Majesté sont fort peu obéis n'ayant personne pour les assister, que sous le bon plaisir de la Compagnie, qui n'a rien tant à contre coeur: que les personnes qui sont mis par le Roy ou les Vice-rois, comme ne dépendant point d'eux, ne desirant que l'on voye & juge de ce qu'ils font, ny de leurs actions & deportemens en telles affaires, veulent tout attirer à eux, ne s'en soucient ce qu'il arrive, pourveu qu'ils y trouvent leur compte. De forts & forteresses, ils n'en veulent que quand la necessité le requiert, mais il n'est plus temps. Quand je leurs parlois de fortifier, c'estoit leur grief, j'avois beau leur remonstrer les inconvenients qui en pourroient arriver, ils estoient sourds: & tout cela n'estoit que la crainte en laquelle ils estoient, que s'il y avoit un fort ils seroient maistrisez, & qu'on leur feroit la loy. Ce pendant ces pensées, ils mettoient tout le pays & nous en proye du Pirate ou ennemy, qui pensant faire du butin n'estant en estat de se deffendre ira tout ravager. J'en escrivois assez à messieurs du Conseil, il falloit y donner ordre, qui jamais n'arrivoit: & si sa Majesté eust seulement donné le commerce libre aux associez avoir leur magazin avec leur commis. Pour le reste des hommes qui devoient estre en la plaine puissance du Lieutenant du Roy audit pays, pour les employer à ce qu'il jugeroit estre necessaire, tant pour le service de sa Majesté, qu'à se fortifier, & défricher la terre, pour ne venir aux famines qui pourroient arriver s'il arrivoit fortune aux vaisseaux. Si cela se pratiquoit, l'on verroit plus d'advencement & de progrez en dix ans, qu'en trente, en la 14/998 façon que l'on fait: & permettre aussi qu'à ceux qui iroient pour habiter en desertant les terres, qu'ils pourroient traitter avec les Sauvages de peleteries, & des commoditez que le pays produit: en les livrant au commis à un pris raisonnable, pour donner courage à un chacun d'y habiter, & ne pouvant traitter que ce qui viendroit du pays, sur les peines portées qu'il plairoit à sa Majesté, 11 n'y a point de doute que la Société en eut receu quatre fois plus de bien qu'elle ne pouvoit esperer par autre voye, d'autant qu'il est fort malaisé à des peuples d'un pays de pouvoir empescher de s'accommoder de ce qui croist au lieu: Car dire qu'on ne les pourra contraindre à une certaine quantité pour une necessité: c'est la mer à boire, car ils feront tout le contraire, quand ils deveroient perdre tout ce qu'ils en auroient, plustost qu'on s'en saisit sans leur payer: l'expérience a fait assez cognoistre ces choses. Voila ce que j'avois à vous dire sur ce sujet. [Note 515: Jean Caumont, dit le Mons. (Voir ci-dessus, p. 7.)] Pour revenir à la suitte du discours, ledit commis & tous les autres ensemble, commencèrent à murmurer: disant, Qu'on leur vouloit faire perdre leurs salaires, & qu'il valloit autant qu'ils perdissent la vie que de les traitter de la façon: ce qui donna suject audit commis de m'en parler de rechef, & me faire ses plaintes, que si j'avois commandement du Roy, qu'il ne falloit que le monstrer pour le contenter, & maintenir chacun en paix. Je luy dis qu'on ne luy feroit point de tort, ny à ses marchandises, & qu'il pouvoit traitter avec autant d'asseurance comme il avoit fait par le passé, il se contenta, & un chacun. Je fis une réprimande aux matelots du sieur de 15/999 May, qui leur avoient donné cette crainte, & semé ce bruit, & de plus qu'ils s'asseurassent que je n'innoverois rien que ledit de Caen ne sut arrivé avec arrest de sa Majesté, qui donneroit ordre à toute chose, auquel il faudroit obéir. D'avantage fut advisé si l'on permettoit[516] la traitte au sieur de May, qui avoit apporté des marchandises pour eschanger à des castors avec les sauvages: il fut arresté que pour lever tout ombrage l'on ne le permetteroit point, & aussi qu'ils n'avoient aucun pouvoir de ce faire, les deux societez estant en procez au Conseil de sa Majesté, quand ils partirent de France, & que l'ancienne pouvoit tousjours jouir des privileges que le Roy leur avoit accordez sous l'authorité de monseigneur le Prince, attendant qu'il en fut autrement ordonné: mais que si messieurs du Conseil donnoient un arrest si favorable qu'il confisquast au profit de la Nouvelle Société, que cela ne servoit de rien, puisque le tout luy demeureroit, comme il se promettoit, & que si autrement il avoit permission de traitter comme l'ancienne Société, que l'on verroit la facture des marchandises que l'on avoit envoyées, & que suivant icelles l'on donneroit des castors du magazin pour la valleur des marchandises, suivant la traitte qui se faisoit alors, & par ainsi ladite barque ne perderoit rien de ce qu'elle pouvoit prétendre, pour ne traitter jusques à ce qu'on eust l'arrest du Conseil, que devoit apporter ledit sieur de Caen: Ainsi fut arresté en la presence dudit sieur de May & Guers, faisant pour ladite nouvelle Société. [Note 516: Permettroit.] 16/1000 Ce délibéré, je fais partir le Capitaine du May, le 25 de May, pour donner advis audit sieur de Caen de tout ce qui s'estoit passé, de l'Estat en quoy il nous avoit laissé, & m'envoyer des hommes de renfort. _Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France, & de Hallard avec l'equipage du sieur de Caen. L'Autheur fait advertir les sauvages de la venue dudit de Caen. Arrest du Conseil permettant le trafic aux deux Compagnies. De Caen saisit par force le vaisseau du sieur du Pont._ CHAPITRE III. Le 3 de Juin arriva ledit de May dans une chalouppe luy onziesme, qui me donna advis de l'arrivée du sieur du Pont, en un vaisseau de cent cinquante tonneaux nommé la Salemande, avec soixante cinq hommes d'esquipage, accompagnés de tous les commis de l'ancienne Société, & sçavoir en quoy je le voudrois employer. Voicy qui rejouit grandement les commis de l'ancienne Société, & un chacun des hommes qui dependoient d'eux: c'est un renfort qui leur vient, & si nous les eussions desobligez sans un pouvoir absolu du Roy, ou de monseigneur, par la saisie de leurs marchandises, ils pouvoient nous nuire grandement, car le petit vaisseau dudit du May, qui estoit à Tadoussac pouvoit estre pris, où il n'y avoit que dix-huict hommes, & quelque douze que j'avois à Québec avec moy, lesquels avoient fort peu de vivres qui fut l'occasion que j'en secourus ledit du May. 17/1001 Ce qu'ayant entendu, je me délibéré de mettre ledit du May en un petit fort, ja commencé, contre le sentiment dudit commis, avec mon beau-frère Boullé, & huict hommes, & quatre de ceux des pères Recollets qu'ils me donnèrent: & quatre autres hommes de l'ancienne societé, faisant porter quelques vivres, armes, poudre, plomb, & autres choses necessaires, au mieux qu'il me fut possible, pour la defence de la place: en ceste façon nous pouvions parler à cheval, faisant tousjours continuer le travail du fort pour le mieux mettre en defence. Pour mon particulier je demeuray en l'habitation, avec trois hommes dudit du May, & quatre autres des pères Recollets, & Guers commissionnaire, & le reste des hommes de l'habitation: le fort asseuroit tout, avec l'ordre que j'avois donné audit Capitaine du May. Le Lundy 7e jour du mois arriva la barque de nostre habitation, où estoient les commis des anciens associez au nombre de trois, ce que voyant je fais prendre les armes, donnant à chacun son quartier, & semblablement au fort, & fis lever le pont-levis de l'habitation: le père George accompagné de Guers furent sur le bort du rivage, attendant que lesdits commis vinssent à terre, & sçavoir avec quelle ordre ils venoient, quelle commission ils avoient, n'ignorant point ce qui ce passoit en France, sur les advis que nous avions receus. Ils dirent qu'ils n'avoient autre ordre que de leur compagnie, pour estre encore au droict du contract & articles que je leurs avois donnez, sous le bon 18/1002 plaisir de Monseigneur le Prince, attendant un arrest de Nosseigneurs du Conseil, qu'ils esperoient avoir favorable contre la nouvelle societé, qui les vouloit demettre de leur societé, devant que leur temps fut fini. De plus qu'ils avoient protesté contre ceux de l'admirauté, qui ne leurs avoient pas voulu donner de congé, & que voyant les dangers evidents où toutes les affaires devoient aller, tant pour les hommes qui estoient icy, comme pour recevoir leurs marchandises, que l'on ne pouvoit prétendre qu'injustement, qu'il s'estoit mis en tout devoir d'obéir au Roy. Ils dirent tout ce qu'ils voulurent, avec plusieurs autres discours, monstrant avoir un grand desplaisir de se voir receus ainsi extraordinairement, ce qu'ils n'avoient accoustumé. Ledit père ayant ouy une partie de leurs plaintes, il leur demanda s'ils nous apportoient des vivres pour nous maintenir, ils dirent que ouy, & qu'ils croyoient asseurement estre d'accord avec mondit seigneur, ou qu'ils auroient un arrest favorable: Tous ces discours passez ledit père leur dit, qu'il me venoit treuver pour me donner advis, & sçavoir ce que je voudrois faire, lequel m'ayant rapporté ce qu'ils disoient, nous advisasmes pour le mieux ce qu'il falloit faire. Il fut conclud en suitte de la première resolution, voyant que ledit sieur de Caen n'estoit encore venu, pour esviter aux dangers qui pouvoient arriver. Il fut arresté qu'on laisseroit entrer les commis au nombre de 19/1003 cinq, qu'on leur livreroit leurs marchandises, pour traitter amont ledit fleuve sainct Laurent, & les assister de ce qu'ils auroient affaire, ce qu'ils acceptèrent. Ils entrèrent en l'habitation, où particulièrement je leur fis entendre la volonté de sa Majesté, & ce qu'ils avoient commis contre l'intention du Roy, qui me commandoit de maintenir le pays en paix, & sous son obeissance, comme faisoit aussi monseigneur, qui les avoit exclus de la societé par une nouvelle: qu'ils ne dénotent pas venir sans un bon arrest en main de Nosseigneurs du Conseil, & attendant la venue des autres vaisseaux, qui apporteroient tout ordre, on leur livreroit en bref des marchandises pour traittes, ce qu'ils acceptèrent, & leurs furent livrées sans tirer à la rigueur: ils demandèrent des armes, ce que je ne leurs pus accorder, leur disant qu'ils ne devoient pas venir sans cela: ils chargèrent deux barques, & me demandèrent les castors qui estoient en l'habitation: je leur refusay, leurs disant, qu'ils ne pouvoient partir de l'habitation, que nous n'eussions des vivres pour maintenir parmy nous l'authorité du Roy, en cas qu'il arrivast quelque accident audit sieur de Caen, & qu'ayant des peleteries nous aurions des vivres que nous apporteroient les vaisseaux qui estoient à Gaspay. Ils firent tout ce qu'ils peurent pour les avoir, menaçant de faire des protestations, sur ce que je refusois leurs peleteries, & munitions: & de plus que j'eusse à faire sortir ledit Capitaine de May, & ses hommes, du fort & habitation, où je l'avois mis sans 20/1004 commandement du Roy: Je leur dis que sadite Majesté me commandoit de maintenir le pays, & conserver la place: que le mandement que j'avois de Monseigneur suffisoit, qui estoit celuy du Roy, & qu'à cela j'obeissois, recevant ledit Capitaine du May pour y avoir toute fiance. Cela seroit bon, dirent ils, s'il avoit apporté un arrest du Conseil, ce qu'il n'avoit fait, en attendant je me maintiendrais au mieux qu'il me seroit possible, & qu'ils fissent telles protestations qu'ils voudroient pour leurs descharges. Quand il fut question de les faire, je les sceus bien rembarer sur leurs protestations, leur monstrant qu'ils ne sçavoient pas en quelle forme il la falloit faire, ce qui leur fit changer d'advis, craignant de s'engager mal à propos, en chose qui leur eust peu nuire: & ainsi ils s'embarquèrent pour aller aux trois rivieres, & y traitter: qui fut le 9 de Juin. Ce mesme jour, je fis esquipper la chalouppe dudit Capitaine du May, avec six hommes pour aller à Tadoussac advertir ledit sieur de Caen, qu'aussi tost qu'il seroit arrivé il ne manquast à nous envoyer des hommes pour nous r'enforcer: me persuadant qu'il auroit arrest en sa faveur, comme il m'avoit fait esperer par ses lettres. 21/1005 _Arrivée du sieur du Pont & du Canau d'Halard, & du sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Magasin de Québec achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec._ CHAPITRE IV. Le Dimanche 13 Avril[517] arriva ledit du Pont, dans une moyenne barque, luy treiziesme avec marchandises de traitte, lequel fut receu comme les précédents, luy ayant fait entendre le commandement que j'avois tant du Roy que de mondit Seigneur, de conserver ceste place, & la maintenir en son obeissance, & tenir toutes choses en paix, faisant recognoistre son authorité: & que attendant nouvelle desdits vaisseaux, qui devoient venir, pour voir & sçavoir particulièrement ce qui se seroit passé au Conseil de sa Majesté, sur les différents qu'ils avoient eus avec mondit Seigneur qui les avoit exclus de la societé, pour y adjoindre la Nouvelle societé. Il me dit qu'il croyoit que tout seroit d'accord, estant sur lesdits termes quand il partit de Honnefleur. Je luy dis que je m'estonnois comme il avoit quitté son vaisseau, puisque sa presence y eust esté bien requise à la venue dudit sieur de Caen: il respondit que pour y estre il n'auroit pas mieux fait, & que l'ordre qu'il avoit laissé à un appellé la Vigne, dudit Honnefleur, qui commandoit en son absence, estoit tel que si 22/1006 l'on apportoit un arrest du Conseil en bonne forme, qu'il eust à y subir sans aucune resistance, que s'ils estoient d'accord avec leur societé, qu'il eust à l'assister de tout ce qui seroit en son possible & pouvoir, si autrement qu'il se conservast du mieux qu'il pourroit, suivant l'ordre qu'il luy avoit laissé, & que l'on ne pouvoit rien prétendre, que l'on ne vit l'arrest des Messeigneurs du Conseil: ce qu'attendant je leurs rendisse la justice, laquelle m'avoit esté enchargée: ce que je promis faire. Je luy fis aussi entendre comme j'avois retenu les peleteries qui estoient en ceste habitation, pour subvenir aux necessitez qui pourroient arriver; il me dit que c'estoit bien fait: le lendemain il s'en alla aux trois rivieres, pour traitter avec les sauvages. [Note 517: Le 13 de juin était un dimanche.] Le 15 dudit mois[518] arriva un Canau où il y avoit un homme appelé Halard, de l'esquipage dudit sieur de Caen, qui m'apporta une lettre par laquelle il me donnoit advis de son arrivée, & la contrariété du temps qu'il avoit eu au passage, ayant chose importante à me communiquer, de la part de Monseigneur le Viceroy, qui ne pouvoit estre si tost par delà: d'autant qu'il croit avoir affaire avec ledit sieur du Pont, & de plus me prioit d'envoyer une chalouppe advertir les sauvages de sa venue, & du nombre des marchandises qu'il leur apportoit, qu'il m'envoyeroit le sieur de la Ralde, pour communiquer quelques affaires en renvoyant ledit du May: que si je pouvois l'aller treuver que je le fisse, mais alors le temps, & les affaires, ne me le peurent permettre: Car ce n'estoit pas la 23/1007 saison de laisser l'habitation ny le fort, veu tant de dangers arrivez à ceux qui ont fait semblables choses. [Note 518: La suite donne à entendre que c'était le 15 juillet.] Le Vendredy 16[519], n'ayant point de chalouppe, je délibéré d'envoyer un Canau avec ledit Halard, & un gentilhomme appellé du Vernay[520], de l'esquipage dudit du May, avec un autre de l'habitation, advertir les sauvages de la venue dudit sieur de Caen. [Note 519: Le 16 juillet, qui était en effet un vendredi.] [Note 520: Ce gentilhomme avait déjà voyagé au Brésil. (Sagard, Hist. du Canada, p. 658.)] Le 17 de Juillet arriva une chaloupe, où estoit Rommier[521], l'un des Commis de la nouvelle societé: qui l'an précèdent avoit hyverné en ceste habitation, avec ledit du Pont, lequel m'apporta plusieurs despesches, avec lettres des sieurs Dolu, de Villemenon, & dudit de Caen, lequel surprit quelque lettres, avec coppie de l'arrest en faveur des anciens Associez, que l'on envoyoit audit du Pont, par lesquelles nous vismes, que l'arrest avoit esté signifié audit sieur de Caen, estant en son vaisseau, à la radde de Dieppe: lequel avoit protesté de nullité, & fut ledit arrest publié à son de trompe, dans ladite ville de Dieppe, & autres lieux où besoin a esté. [Note 521: Ou Roumier, il avait été sous-commis dans l'ancienne société (ci-dessus, p. 7).] Après avoir veu & consideré toutes ces choses, avec l'advis de ceux que je trouvay à propos, & voyant que sur le procès advenu entre les deux societés, sa Majesté a ordonné que lesdits articles seroient representez, pour après iceux estant veus & examinés, y estre pourveu, soit par la réunion des deux societés, ou par l'establissement d'une nouvelle, ce pendant 24/1008 permis aux associez des deux compagnies, de trafiquer, & faire traitte, pour l'année 1621 seulement, tant par les deux vaisseaux ja partis, que par deux autres à eux appartenans, chargés & prest à partir, sans se donner aucun empeschement, ny user d'aucune violence, à peine de la vie: à la charge qu'ils seront tenus de contribuer pour la presente année, esgalement & par moitié, à l'entretenement des Capitaines, soldats, & des religieux establis & residens en l'habitation: & neantmoins deffences sont faictes ausdits Porée[522], & à tous autres, de sortir à l'advenir aucuns vaisseaux des ports & havres de ce Royaume, ny faire embarquement, sans prendre congé dudit sieur Admiral, en la manière accoustumée, à peine de confiscation des vaisseaux & marchandises, & autres plus grandes peines s'il y eschet. Signifié le 26 dudit mois[523]. Voila l'arrest du Conseil de sa Majesté. Lesdits articles dudit sieur Dolu, furent confirmez par le Conseil, le 12 de Janvier 1621 hormis quelques uns. [Note 522: Les principaux associés de Thomas Forée, étaient Lucas Legendre, Louis Vermeulle, Mathieu Dusterlo, Daniel Boyer, et autres, tous membres de l'ancienne société. (Voir M. Ferland, I, p. 200, note 1.)] [Note 523: Probablement le 26 de novembre 1620, les lettres de la nouvelle société étant du 8 novembre de cette même année. (Voir M. Ferland, I, 200, note 1.)] Il fut resolu que ledit père George prendroit la peine d'aller à Tadoussac en diligence, & Guers avec luy, dans la mesme chaloupe, pour treuver ledit de Caen, & apporter le remède requis à toutes ces affaires, sçachant bien que ledit du Pont voudroit jouir du bénéfice dudit arrest, où il y alloit de la vie, à celuy des deux qui useroit de violence: & pour ce qui 25/1009 estoit de la faute qu'ils avoient commise, de partir sans congé de l'Admirauté: ledit arrest monstroit qu'on en avoit fait mention, & instance au Conseil, où estoit porté, que si à l'advenir ils partoient sans congé, il y auroit confiscation du vaisseau, & marchandises, avec autres punitions, sans despens, & que chacun partiroit par moitié aux frais de l'habitation, aux hyvernans, & que chacun jouiroit du bénéfice de la traitte à son proffit. Ledit Père partit ce mesme jour 17 de Juillet, avec plain pouvoir de moy, d'accommoder toutes choses à l'amiable, avec le sieur de Caen, & par mesme moyen le satisfaire des plaintes qu'il faisoit, des Pères Paul[524] & Guillaume, qui avoient esté saisis de quelques lettres, usé de paroles & de menaces à son desavantage, taschant le mettre mal avec son esquipage: qu'il les avoit traittez favorablement, selon le rapport qui en fut fait, & ne peut on si bien faire, qu'il ne tombast quelque lettre entre les mains dudit du Pont, & une autre que je receus de leur part, où il me faisoit entendre ce qui s'estoit passé, & que j'eusse à rendre la justice selon la volonté du Roy, & quelqu'autres discours de compliment: je donne les lettres au Père, pour les faire voir au sieur de Caen. [Note 524: Le P. Paul Huet, venu en Canada dès 1617, était repassé en France avec Champlain en 1618. «On lui avait donné ordre d'y solliciter les pouvoirs et les aumônes nécessaires pour commencer l'établissement d'un couvent régulier à Québec, en titre de séminaire, où les enfants seraient entretenus et instruits.» (Prem. établiss. de la Foy, I, 150.) Il était de retour à Québec, avec le P. Guillaume Poullain, depuis le mois de juin 1619. (_Ibid_. P. 154.).] Le 24 de Juillet, arriva ledit père George, lequel me dit que ledit sieur de Caen, se vouloit saisir du vaisseau dudit du 26/1010 Pont, en son arrivée: & estant sur le point de l'exécuter, comme le confirmoient les lettres dudit sieur de Caen, & qu'il ne passeroit plus outre, attendant ma venue, ce qui m'estonna grandement, considerant ledit arrest, qui defendoit sur peine de la vie, de ne s'inquiéter: Je renvoyay la chaloupe avec ledit Guers, & lettres adressantes audit sieur de Caen, où je luy fis entendre, que pour les incommoditez qu'il y avoit en la chaloupe, que je n'y pouvois aller, & que dans neuf jours au plus tost, je serois audit Tadoussac. Je despesché promptement un canau, & mandé audit du Pont qu'il m'envoyast une de ses barques pour m'en aller à Tadoussac, ce qu'il fit, que dans six jours la barque fut à Québec, & ledit du Pont dedans, pour sçavoir ce qu'il auroit à faire, avec ledit sieur de Caen, estant arrivé à Québec: je m'embarquay à la solicitation dudit Père, n'estant pas mon dessein de partir de l'habitation, & mander seulement ce qui me sembloit, de la volonté qu'il avoit de se saisir dudit vaisseau. Mais les persuasions avec les raisons que me donnoit ledit Père, m'y firent resoudre, ayant laissé ledit, du May, en ma place pour commander, & enchargé à tous mes compagnons de luy obeir, comme à moy mesme, je m'embarquay[525] le dernier de Juillet; ce mesme jour nous fismes telle diligence, que le lendemain au soir arrivasmes à demie lieue de Tadoussac, prés la poincte aux allouettes, où je fis mouiller l'ancre. 27/1011 Aussi-tost[526] ledit sieur de Caen me vient trouver, où il me fit entendre ce qui estoit de son dessein: je luy dis que le service du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, m'avoit amené en ce lieu pour luy donner les conseils que je croyois qui luy seroient necessaires, & raisonnables, s'il les vouloit suivre, qui estoient de ne rien altérer au service de sa Majesté, ny de ses arrests; & que l'authorité de Monseigneur demeurast en son entier: il me dit, qu'il n'avoit autre intention. [Note 525: Avec le P. George, comme on le voit plus loin.] [Note 526: Par cette expression «aussitost», il semble qu'il faut entendre «dès le lendemain matin.» Car, d'après les dates qui précèdent, Champlain serait arrivé à la pointe aux Alouettes le premier d'août; et, quelques lignes plus bas, il dit: «le lendemain 3 d'Aoust.»] Le lendemain 3 d'Aoust nous entrasmes audict Port de Tadoussac, où ledit sieur de Caen me receut avec toutes sortes de courtoisies, m'offrant son vaisseau pour m'y retirer, le remerciant de tout mon coeur & le priant me permettre de demeurer en ma barque, pour ne me monstrer passionné à un party, ny à l'autre, puisqu'il estoit question de rendre justice, & voyant qu'il estoit à propos de ne m'en aller que tout ne fut en paix. Il fut question de traitter d'affaire, ledit de Caen fit quelque proposition sur le fait de la peleterie; que l'on ne treuva à propos, & luy en donna-on les raisons: il s'opiniastre & dit avoir des commandements particuliers, je le somme de les monstrer pour y obéir, il m'en fait refus, je luy offre de mettre papiers sur table, & qu'il en fit de mesme, ce qu'il ne voulut, & dit qu'il desiroit avoir le vaisseau dudit du Pont, pour aller à la guerre, contre les ennemis qui estoient en la riviere: je luy remonstre, qu'il regarde de ne contrevenir à l'arrest, je luy dis les raisons qui l'obligoient de s'en distraire: & pour ce qui estoit de chasser les ennemis, il avoit trois vaiseaux, deux entr'autres 28/1012 capables de courir toutes les costes, avec cent cinquante hommes, & qu'il avoit plus de force qu'il n'en failloit: il persiste de vouloir avoir ledit vaisseau, je le somme de donner ses advis, il le fait; après avoir fait quelque refus, je luy respons par articles: je luy envoye la response avec les articles, qu'il ne trouve à sa fantaisie. Il avoit fait faire une protestation audit du Pont, contenant un grand discours, des interests qu'il avoit sur ledit du Pont, & veut avoir son vaisseau: ledit du Pont me presente requeste sur ce que veut faire ledit de Caen contre les arrests du Roy, & prevoyant la ruine manifeste qui pouvoit arriver, de voir un arrest enfraint, bien que ledit sieur de Caen dit, qu'il n'y veut rien attenter au contraire: Le pere[527] & ledit sieur de Caen, eurent plusieurs paroles, qui apportoient plustost de l'altération, que la paix, voyant ne pouvoir rien gaigner sur luy, je fais des ouvertures, comme il peut servir le Roy, je m'offre d'aller dans le vaisseau dudit du Pont, courir sur les ennemis, le suivre par tout, non seulement dans des vaisseaux, mais dans des barques, chalouppes, ou canaus, par terre s'il en est besoin. Je luy dis qu'il ne peut refuser l'offre que je luy fais, me donnant de ses hommes, estant en lieu qui despende de ma charge, & luy remonstre qu'en ce faisant, ce sera servir le Roy, & mondit Seigneur, & qu'ainsi il n'usera de violence, & ne contreviendra aux arrests de sa Majesté, & mondit Seigneur y sera servy, & que s'il a des prétentions, il les vuidera en France. [Note 527: Le P. George.] 29/1013 Il n'en veut rien faire, il s'attache à sa charge, & aux particuliers commandemens qu'il avoit du Roy, & de mondit Seigneur. Je le prie & conjure derechef, me les monstrer pour y satisfaire: il s'opiniastre plus que jamais; le voyant ainsi resolu, je prens le vaisseau dudit sieur du Pont en ma sauvegarde, & voulant le conserver pour l'authorité du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, devant tout son esquipage, & après qu'il en useroit comme bon luy sembleroit la forme de justice, qu'il falloit que je fisse ainsi. Ledit sieur de Caen, proteste devant tout son esquipage, de s'aller saisir dudit vaisseau, & qu'il chastiera ceux qui voudront resister, disant qu'il ne recognoissoit de justice en ce lieu. J'envoye prendre possession dudit vaisseau, & ledit sieur de Caen y envoya un homme, pour faire inventaire de ce qu'il y avoit, & ainsi s'en saisit, comme ayant la force en main: voila comme se passa cette affaire. Or premier que ledit sieur de Caen entrait au vaisseau, dudit du Pont, je leve l'ancré le 12 d'Aoust, & m'en allay passer le Saguenay, pour ne me trouver à la prise que feroit ledit de Caen, lequel le lendemain me vient trouver avec sa chalouppe, pour traicter de l'ordre que nous devions tenir, pour la conservation de ladite habitation: je le priay de me donner quelques Charpentiers pour achever le magazin encommencé, & qu'il n'y avoit aucun lieu où l'on peust mettre aucune chose à couvert; il me dit qu'il avoit affaire de ses hommes, pour accommoder son vaisseau, qu'il vouloit partir 30/1014 promptement, pour aller à Gaspey, & autres lieux, courir sur l'ennemy, si lieu avoit, avec sa barque, & qu'il me l'envoyeroit avec le reste des hommes, qui devoient hiverner à l'habitation. Il me demande le payement des vivres qu'il avoit vendus audit du Pont, pour ceux qui devoient hyverner de leur part à l'habitation, pour le prix de mille Castors, & sept cens pour les marchandises, qui avoient esté estimées en sa barque, suivant la traicte qui se faisoit avecques les Sauvages, d'autant que nous avions interdit ladite traicte, pour les raisons que j'ay dit cy dessus. Aussi tost que ledit sieur de Caen se fut saisi du vaisseau dudit du Pont, il luy remit entre les mains, disant qu'il n'estoit point armé comme il falloit. Ledit père fut à Tadoussac, le 14 dudit mois, luy faire delivrer les Castors, & ainsi nous nous separasmes. Le lendemain, ledit sieur de Caen envoya faire une protestation par Hébert [528]: s'il eust voulu suivre le conseil que je luy voulus donner, il eust fait ses affaires, sans rien altérer, & avec suject de pretendre de grands interests pour le Roy, & Monseigneur, dautant que ledit du Pont n'avoit apporté aucuns vivres pour les hyvernans, & qu'à faute de ce, l'habitation pouvoit estre abandonnée, & le service du Roy, altéré. [Note 528: Louis Hébert, apothicaire, qui était dans le pays depuis quatre ans.] C'estoit à moy (à faute que ledit du Pont ne m'eust fourny les commoditez) de les demander audit de Caen, pour conserver la place; & en me les delivrant, avecques hommes pour hyverner, 31/1015 j'estois tenu, par la voye de justice, de renvoyer tous ceux de l'ancienne societé, prendre ceux dudit de Caen, & retenir toutes les marchandises, traictées ou à traicter, sans les delivrer qu'à son retour, qu'indubitablement ils luy eussent esté adjugées par voye de justice: Mais au contraire, les vivres que n'avoit ledit du Pont, pour fournir 25 hommes en leur part, ledit sieur de Caen luy vendit les tiens, ce qu'il ne devoit faire, & fut ce qui m'estonnoit, ne pouvant gouster ceste proposition, croyant selon mon opinion, que mille Castors, qu'il tiroit contant, luy estoient plus aseurez en les apportant, que ce qu'il eust peu esperer par justice, de ceux qui estoient entre mes mains, qui néantmoins estoit chose bien asseurée. Ce pendant que l'on s'amusoit à toutes ces contestations, il y avoit un petit vaisseau Rochelois, qui traittoit avec les sauvages, à quelque cinq lieues de Tadoussac, dans une Isle appellée l'Isle verte[529], où ledit sieur de Caen envoya après nostre département: mais c'estoit trop tard, les oyseaux s'en estoient allez un jour ou deux auparavant, & n'y treuvast on que le nid, qui estoit quelque retranchement de pallissade qu'ils avoient fait, pour se garder de surprise, pendant qu'ils traittoient, l'on mit bas les pallissades y mettant le feu. [Note 529: C'est, sans doute, parce que les Rochelois venaient faire la traite à cette île, malgré les privilèges des compagnies, qu'elle était appelée île de la Guerre, dès le temps de Jean Alphonse.] Le Capitaine le Grand qui y avoit esté, s'en reuint, comme il estoit party. Nous fismes voilles de la pointe aux allouettes le 15 d'Aoust, & arrivasmes à Québec le 17 où estant je donné 32/1016 ordre à faire parachever le magazin, & ledit sieur de Caen envoya les armes, que le Roy nous donnoit pour la defence du fort. _S'ensuit les armes qui me furent livrées, par les commis tant du sieur de Caen & Guers, commis de Monseigneur de Montmorency, que par Jean Baptiste Varin, & Halard, le Mercredy 18 d'Aoust 1621._ 12 Hallebardes, le manche de bois blanc, peintes de noir. 12 Harquebuses à rouet, de cinq à six pieds de long. 2 autres à mesche de mesme longueur. 523 livres de bonne mesche. 187 autre de pourrie. 50 Piques communes. 2 Petarts de fonte verte, pesant 44 livres chacun. Une tante de guerre en forme de pavillon. 2 Armets de Gens-d'armes, & une senderiere. 64 Armes de Piquers sans brasards. 2 Barils de plomb en balles à Mousquets pesant 439 livres. Lesdites armes & munitions cy-dessus ont esté contées & receues à Québec, par monsieur de Champlain Lieutenant général de Monseigneur le Viceroy en la Nouvelle France, present le sieur Jean Baptiste Varin, envoyé exprés en ce lieu par monsieur de Caen, & de moy commissionnaire de mondit seigneur. Fait audit Québec, le susdit jour que dessus. Signé Guers commissionnaire, & au dessous Jean Baptiste Varin. J'ay soussigné Jaques Hallard, confesse avoir mis entre les mains de monsieur de Champlain Lieutenant de Monseigneur de Montmorency, Viceroy de ces terres, trois cens dix livres de 33/1017 Poudre à canon, en deux Barils, & 2479 livres de plomb, en balles à mousquet, en six barils, ne sçachant dire si cesdites munitions sont du Roy ou de monsieur de Caen. A Québec ce jourd'huy dernier jour d'Aoust 1621. Signé Isaac[530] Halard. [Note 530: Jacques. Ce Jacques Halard, ou Allard, paraît être celui qu'on retrouve plus tard établi dans le pays.] Je demanday ausdits commis si ledit sieur de Caen ne m'envoyoit point de mousquets, & d'avantage de poudre, & meilleure que celle à canon, pour les mousquets: ils me dirent qu'ils n'avoient receu que les armes qu'ils m'avoient données. Je ne me pouvois imaginer que sadite Majesté n'eust ordonné des armes à feu avec de la poudre, qui sont les choses principales & necessaires, pour la defence d'une place, & se maintenir contre les ennemis: & ainsi fallut s'en passer, à mon grand regret. Je ne me pouvois imaginer que sa Majesté nous eust envoyé si peu de munitions de guerre, veu les lettres qu'elle m'avoit fait l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur de Puisieux, comme j'ay dit cy-devant. Quelques jours après, ledit sieur de Caen envoya des vivres, pour la nourriture des hommes qui devoient hyverner au nombre de 25, comme j'avois demandé à chacun des deux societés, qui m'avoient esté promis pour la conservation de la place, il n'en vint que 18 de sa part, & trente que laissa l'ancienne societé. Ledit sieur de Caen ayant mis ordre à ses affaires, partit de Tadoussac le 29e jour d'Aoust. 34/1018 Et le mardy 7 de Septembre partit aussi ledit sieur du Pont, & le père George[531], de Québec, qui me promit communiquer audit sieur Dolu, tout ce qui s'estoit passé & fait: ne doutant point, que ce faisant tout iroit à l'amiable, & auroit esté en paix, & que tant de discours inutils qui s'estoient faits & passez par delà, se fussent appaisez; esperant avoir plus de repos à l'advenir: & oster le plus que l'on pourroit les chicaneries. Deux mesnages retournerent. Car depuis deux ans, 35/1019 ils n'avoient pas deserté une vergée de terre, ne faisant que se donner du bon temps, à chasser, pescher, dormir, & s'enyvrer avec ceux qui leurs en donnoient le moyen: je fis visiter ce qu'ils avoient fait, où il ne se trouva rien de deserté, sinon quelques arbres couppez, demeurans avec le tronc & leurs racines: c'est pourquoy je les renvoyay comme gens de néant, qui despensoient plus qu'ils ne valloient: c'estoient des familles envoyées, à ce que l'on m'avoit dit, de la part dudit Boyer en ces lieux, au lieu d'y envoyer des gens laborieux & de travail, non des bouchers & faiseurs d'aiguilles, comme estoient ces hommes qui s'en retournèrent, il me sembla bon, pour esviter aux chicaneries, de faire quelques ordonnances, pour tenir chacun en son devoir. Lesquelles je fis publier le 12 de Septembre[532]. [Note 531: Le P. George était porteur de la requête suivante: SCACHENT TOUS QU'IL APPARTIENDRA. Que l'an de grâce 1621, le 18e jour d'Aoust, du Règne de très-haut, tres-puissant & tres-Chrestien Monarque Louys 13e du nom, Roy de France, de Navarre & de la nouvelle France ditte Occidentale, du Gouvernement de haut & puissant Seigneur Messire Henry Duc de Montmorency & de Dampville, Pair & Admiral de France, Gouverneur & Lieutenant général pour le Roy en Languedoc, & Viceroy des pays & terres de la nouvelle France ditte Occidentale, de la Lieutenance de noble homme Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine, Lieutenant général esdits pays & terres dudit seigneur Viceroy, que par permission dudit sieur Lieutenant se seroit faicte une assemblée générale de tous les François habitans de ce païs de la nouvelle France, afin d'aviser des moiens les plus propres sur la ruyne & desolation de tout ce païs, & pour chercher les moiens de conserver la Religion Catholique, Apostolique & Romaine en son entier, l'authorité du Roy inviolable & l'obeissance deue audit Seigneur Viceroy, après que par ledit sieur Lieutenant, Religieux & habitans, presence du sieur Baptiste Guers Commissaire dudit seigneur Viceroy, a esté conclud & promis de ne vivre que pour la conservation de ladicte Religion, obeissance inviolable au Roy & conservation de l'autorité dudit Seigneur Viceroy, voyant cependant la prochaine ruine de tout le pays, a esté d'une pareille voix délibéré, que l'on feroit choix d'une personne de l'assemblée pour estre député de la part de tout le général du pays, afin d'aller aux pieds du Roy, faire les très humbles submissions ausquelles la nature christianisme & obligation, rendent tous sujects redevables, & presenter avec toute humilité le Cahier du pays, auquel seront contenus les desordres arrivez en ce pays, & notamment ceste année mil six cens vingt-un. Et aussi qu'iceluy député aille trouver nostre-dit seigneur Viceroy, pour luy communiquer semblablement des mesmes desordres, & le supplier se joindre à leur complainte, pour la demande de l'ordre necessaire à tant de mal-heurs, qui menacent ces terres d'une perte future, & finallement pour qu'iceluy député puisse agir, requérir, convenir, traicter & accorder pour le Général dudit pays, en tout & par tout ce qui sera l'advantage dudit pays. Et pour ce tous d'un pareil consentement & de la mesme voix cognoissant la saincte ardeur à la Religion Chrestienne, le zèle inviolable au service du Roy, & de l'affection passionnée à la conservation de l'autorité dudit seigneur Viceroy, qu'à tousjours constamment & fidellement tesmoigné le Reverend Père Georges le Baillif Religieux de l'ordre des Recollects, joint sa grande probité, doctrine & prudence. Nous l'avons commis, député, & délégué, avec plain pouvoir & charge de faire, agir, representer, requérir, convenir, escrire & accorder, pour & au nom de tous les habitans de ceste terre, suppliant avec toute humilité sa Majesté, son conseil & nostre-dit seigneur Viceroy, d'agréer ceste nostre délégation, conserver & protéger ledit R. Père en ce qu'il ne soit troublé ny molesté de quelque personne que ce soit, ny sous quelque pretexte que ce puisse estre, à ce que paisiblement il puisse faire, agir & poursuivre les affaires du pais, auquel nous donnons de rechef pouvoir de réduire tous les advis à luy donnez par les particuliers en un cahier général, & à iceluy apposer sa signature avec ample déclaration que nous faisons, d'avoir pour aggreable & tenir pour vallable tout ce qui sera par iceluy Reverend Père faist, signé, requis, negotié & accordé pour ce qui concernera ledit pays, & de plus luy donnons pouvoir de nommer & instituer un ou deux Advocats au Conseil de sa Majesté, Cours souveraines & jurisdictions, pour & en son nom & au nostre, escrire, consulter, signer, plaider & requérir de sa Majesté & de son Conseil, tout ce qui concernera les affaires de ceste nouvelle France. Si requérons humblement tous les Princes, Potentats, Seigneurs, Gouverneurs, Prélats, Justiciers & tous qu'il appartiendra, de donner assistance & faveur audit Reverend Père, & empêcher qu'iceluy allant, venant, ou sejournant en France, ne soit inquiété ou molesté en ceste délégation avec particulière obligation de recognoissance, autant qu'il sera à nous possibles. Donné à Kebec en la nouvelle France sous la signature des principaux habitans, faisans pour le général, lesquels pour autentiquer d'avantage ceste délégation, ont prié le tres-Reverend Père en Dieu Denis Jamet, Commissaire des Religieux, qui sont en ces terres d'apposer son sceau Ecclesiastique ce jour & an que dessus, signé Champlain, Frère Denis Lamet Commissaire, Frère Joseph le Caron, Hébert Procureur du Roy, Gilbert Courseron Lieutenant du Prevost, Boullé, Pierre Reye, le Tardif, I. Le Groux, P. Desportes, Nicolas Greffier de la jurisdiction de Kebec & Greffier de l'assemblée, Guers Commissionné de Monseigneur le Viceroy & present en ceste eslection, & seellée en placard du seel dudit Reverend Père Commissaire. (Sagard, Hist. du Canada, p. 73 et suiv.)] [Note 532: Le 12 de septembre était un dimanche.--«L'on ne trouve plus de copie, dit M. Ferland, des règlements faits par Champlain. Il serait fort intéressant de connaître cette première ébauche d'un code canadien.» (Cours d'Hist. du Canada, I, note 1 de la p. 202.)] 36/1020 _L'Autheur faict travailler au fort de Quebec. Voye asseurée qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin commis du sieur Dolu. Réunion des deux sociétés._ CHAPITRE V. Ce n'est pas peu que de vivre en repos, & s'asseurer d'un païs, en si fortifiant & y mettant quelques soldats pour la garde d'iceluy, qui apporteroit plus de gloire mille fois que n'en vaudroit la despence, & le Viceroy en recevroit du contentement, pour estre hors de danger de l'ennemy. Les sauvages nous assisterent de quelque Eslan, qui nous fit grand bien, car nous avions esté assez mal accommodez de toute chose, hormis de pain, & d'huille; les petites divisions qu'il y avoit eues entre les deux societés l'année d'auparavant, avoit causé ce mal: & estans bien reunies, il n'en pouvoit que bien arriver, tant pour le peuplement, que descouvertures, que augmentation du trafficq, ausquelles choses chacun y doit contribuer du sien en temps qu'il pourra. L'une des choses que je tiens en ceste affaire, & pour l'augmentation d'icelle, est les descouvertures, & comme elles ne se peuvent faire qu'avec de grandes peines & fatiques, parmy plusieurs régions & contrées, qui sont dans le milieu des terres, & sur les confins d'icelle à l'occident de nostre 37/1021 habitation, parmy plusieurs nations, aux humeurs & forme de vivre, desquels il faut que les entrepreneurs se conforment. Il y a bien à considerer d'entreprendre meurement, & hardiment cest affaire, avec un courage masle: mais aussi est il bien raisonnable, que le labeur de telles personnes soyent recogneus par quelques honneurs & bien-faits, comme font les estrangers en telles affaires, pour leurs donner plus d'affection & de courage d'entreprendre: & si on ne le fait, mal-aisément se peut il faire chose qui vaille. Pour la societé, ce seroit elle qui deveoit autant y apporter du leur que personnes, car un grand bien leur en reviendroit, encores que ceux de l'ancienne societe jusques à present, n'ayent jamais gratifié les entrepreneurs d'aucune chose: au contraire ont osté le moyen de bien faire, en temps qu'ils ont peu. Et pour ouvrir le chemin à cest affaire, j'avois pense préparer quelque voye, qui fut seure & advantageuse pour les entrepreneurs, afin qu'avec plus de courage & asseurance, ils entreprinssent ce dessein. Qui estoit d'attirer quelques nombres de sauvages prés de nous, & y avoir une telle confiance, que nous ne puissions estre desceus ny trompez d'eux, & pour cet effect, j'avois pratiqué l'amitié d'un sauvage appelle Miristou, qui avoit tout plein d'inclination particulière à aymer les François, & recognoissant qu'il estoit desireux de commander, & estre chef d'une trouppe, comme estoit son feu père, il m'en parla plusieurs fois, avec tout plein de protestations d'amitié qu'il me dit nous porter, bien que se jugeasse que ce n'estoit en 38/1022 partie que pour parvenir à son dessein, mais il faut tenter la fortune, & me dit que si je pouvois faire en sorte qu'il peust obtenir ceste grade de Capitaine, qu'il feroit merveille pour nous: Je l'entretins une bonne espace de temps, depuis l'Automne jusques au Printemps, où conférant avec luy, je luy dis, Si tu es esleu par les François, j'y feray consentir tes compagnons, & te tiendront pour leur chef, mais aussi qu'au préalable, il devoit nous tesmoigner une parfaite amitié, ce qu'il promit faire. Le 8 de Juin[533] arriva le sieur Santein, l'un des commis de la nouvelle societé, qui me donna advis de la reunion des deux societés, que l'ancienne ayma mieux entrer en la aocieté nouvelle, que donner dix mille livres à la nouvelle, ayant cinq douziesme, & la nouvelle pour les sept durant quinze années, & ainsi que le conseil par arrest l'avoit ordonné. [Note 533: 1622.] La première chose que je dis à ce sauvage, estoit qu'avec ses compagnons ils cultiveroient les terres proches de Québec, faisant une demeure arrestée, luy et ses compagnons, qui estoient au nombre de trente, qu'ayant mis les terres en labeur, ils recueilleroient du bled d'Inde pour leurs necessitez, sans endurer quelques fois la faim qu'ils ont, & par ainsi nous les tiendrions comme frères. De plus nous monstrions un chemin à l'advenir aux autres sauvages, que quand ils voudroient eslire un chef, que ce seroit avec le consentement des François, qui feroit commencer à prendre quelque domination sur eux, & pour les mieux instruire en nostre créance. 39/1023 Il me promit de faire ainsi, & de fait il fit si bien avec ses compagnons (desquels il avoit gaigné l'affection) que pour monstrer un tesmoignage de sa bonne volonté, premier que d'estre receu Capitaine. Ils commencèrent à deserter tous ensemble au Printemps, à demie lieue de nostre habitation, & s'ils eussent eu de bon bled dinde ceste année là, ils l'eussent ensemencé, ce qu'ils ne peurent faire qu'en une partie, laquelle contient prés de sept arpents de terre[534], assez pour une premiere fois. Quelques jours après descendirent des sauvages des trois rivieres, où ils se trouverent trois à quatre competiteurs, qui pretendoient la mesme charge, & y eut beaucoup de discours & conseils entr'eux, sur ce fait Miristou me vint treuver, luy sixiesme des plus anciens, me faisant entendre tout ce qui s'estoit passé, je l'asseuray qu'il ne se mit en peine, que je le ferois eslire chef, & que nous n'en cognoistrions point d'autre que luy en sa troupe, & le ferois entendre à ses compagnons, & à ceux qui luy disputoient ceste charge: le contentement qu'il eut, fit qu'il me presenta quelques quarante castors, & luy en fis donner une partie, pour avoir des vivres pour le festin de ses compagnons. [Note 534: C'est probablement ce que l'on a appelé plus tard le désert des Sauvages, qui était situé à la Canardière, au pied du second coteau parallèle au fleuve. (Voir Concession de Michel Hupé, 1652, greffe d'Audouard.)] Il s'en alla fort satisfait & content, je parlay à tous ses compagnons & competiteurs, leurs faisant entendre le suject qui m'esmouvoit à desirer qu'il fut chef, ils m'entendirent patiemment, & tous tesmoignerent qu'ils en estoient contens puisque je le desirois. 40/1024 Ils s'en retournerent avec volonté de l'eslire pour chef, & faire les cérémonies accoustumées. Cela fait il me vint treuver, accompagné de tous les principaux Sauvages, avec un present de 65 Castors, disant, J'ay esté esleu pour chef, comme tels & tels que tu as cognus, l'un estoit mon père qui avoit succedé à un autre de qui il portoit le nom de _Annadabijou_[535] il entretenoit le païs parmy les nations, & les François, j'en desire faire de mesme, & me tenir tellement lié avec vous que ce ne sera qu'une mesme volonté, & les presens qu'il m'avoit donnez n'estoient à autre intention, que pour tousjours estre en mon amitié, & me devoit appeller son frère, pour plus de tesmoignage d'affection, chose qui avoit esté resolue de l'advis de ses compagnons. [Note 535: Annadabijou.] Je le confirmé en tout & par tout, l'asseurant que tant qu'ils seroient bons nous les aymerions comme nos frères, & que je les assisterois contre ceux qui voudroient leur faire du desplaisir: ils monstroient signe d'une grande resjouissance, & souvent se levoient en me venant mettre leurs mains dans les miennes, avec inclination, pour monstrer le contentement qu'ils avoient. Et me dit qu'il avoit changé son nom qui estoit _Mahigan aticq_, qui veut dire loup & cerf, _aticq_ veut dire cerf, & _Mahigan_ loup, je luy demandé pourquoy ils luy donnoient ces deux noms si contraires, il me dit qu'en leur païs il n'y avoit beste si cruelle qu'un loup, & un animal plus doux qu'un cerf, 41/1025 & qu'ainsi il seroit bon, doux, & paisible, mais s'il estoit outragé & offencé il seroit furieux & vaillant. Je fus assez satisfait de ceste response pour un sauvage: voyant leur bonne volonté, je me deliberé luy faire un festin, & à tous ses compagnons tant hommes que femmes & enfans, afin que devant tous il fut receu capitaine: pour plus de marque je fis le festin de la valleur de 40 castors, où ils se remplirent bien leur ventre, sans quelque petit trouble qui survint, il y eut eu plus de plaisir, mais le père & le meurtrier son fils se trouverent à ce festin, ausquels j'avois défendu d'y assister, & mesme de venir à nostre habitation, mais l'effronterie & l'audace de ces coquins fut grande & extrême, ce que sçachant, je parlé au chef pour voir comme il s'acquiteroit en sa nouvelle charge, luy disant, qu'il sçavoit bien pourquoy nous ne le désirions voir, & qu'il eut à le renvoyer, ce que fit aussi tost ledit _Mahigan aticq_, le meurtrier fait semblant de s'en aller, & le chef me le vint dire, je luy tesmoignay que je n'estois bien content, & ne me trouvay point au festin, où tous nos sauvages ne laissoient perdre un moment de temps à festiner, pendant que _Mahigan aticq_ m'entretenoit un peu. Après un de nos gens me vint dire que le meurtrier ne s'estoit point retiré, je fais semblant d'estre plus en collere que je n'estois, en me levant je fis prendre une arme pour aller treuver ledit meurtrier, ce que voyant _Mahigan aticq_, il me dit, je te prie de sursoir & ne l'aller chercher, & que c'estoit un fol, ce qu'il fit, & luy dit rudement & en collere, qu'il se retiraft, ce que firent le père & le fils, qui fut le 42/1026 subjet que la cérémonie ne se passa pas comme je me l'estois promis. Pour lors tous nos sauvages s'en retournèrent fort saouls & remplis de viandes ayant fait faire la cuisine en une chaudière à brasser de la bière, qui tenoit prés d'un tonneau. Le lendemain nos sauvages me vindrent trouver, avec tous les principaux, faisant apporter cent castors, en me disant que je n'eusse aucun desplaisir de ce qui s'estoit passé, & que cela n'arriveroit plus: entr'autre estoit un sauvage, qui avoit prétendu d'estre chef, fils d'un premier _Annadabigeou_, qui avoit esté capitaine de ces lieux la, me representant les grands biens qu'avoit son feu père, & qu'il estoit descendu de l'un des plus grands chefs qui fut en ces contrées, & autres discours sur ce suject & que quoy qu'il n'eust esté esleu chef avec la forme accoustumée, que neantmoins il estoit capitaine, ayant tousjours porté une affection particuliere aux François, qu'il venoit pour se faire recognoistre non comme principal chef, mais comme le second après _Mahigan aticq_. _Mahigan aticq_ reprenant la parole, dit qu'il l'advouoit pour tel, & comme sa seconde personne: & qu'à son defaut il commanderoit, & que nous devions avoir la mesme confiance qu'en luy, & que se joignant ensemble ils tiendroient tout le monde en paix, que quand lesdits capitaines François seroient arrivez à Tadoussac, sçavoir les sieurs de Caen & du Pont, estans en ce lieu ils les aseureroient derechef de leur bonne affection & fidélité, sieurs de donnant lesdits cent castors à nous trois: pour estre bien réunis ensemble, à les maintenir de nostre 43/1027 part. Je leurs fis responce que si par le passé, ils avoient veu quelque chose entre les François, ce n'estoit pas jusques là pour en venir à une guerre comme ils croyoient, estant tous bons amis, & que maintenant ils ne verroient plus de dispute entr'eux comme ils avoient veu par le passé, entre lesdits de Caen & du Pont, de plus qu'ils seroient fort satisfaits de l'eslection qui avoit esté faite. Tous ces discours finis, je m'imaginay que puisqu'ils ne vouloient estre esleuz, que par contentement des François, & pour leur donner quelque sorte d'envie & d'honneur extraordinaire, tant pour eux que pour leurs descendans à l'advenir: qu'il estoit à propos de les recevoir capitaines avec quelques formalitez que je leurs fis entendre, que quand on recevoit un chef, que l'on obligeoit tels capitaines, à porter les armes contre ceux qui nous voudroient offencer, ce qu'il promit faire, je luy donnay deux espées, qu'il eut pour agréables, & de ceste bonne réception & present, il fallut aller monstrer ces presens à tous ses compagnons, & leur faire entendre tout ce qui s'estoit passé, & leur fis donner de quoy faire festin, ce que je fis à la valeur de quelque nombre de castors: & après s'en allèrent. Ainsi je cherchois quelque moyen de les attirer à une parfaite amitié, qui pourroit un jour leur faire cognoistre en partie l'erreur où ils sont jusques à present, ou à leurs enfans qui seroient proche de nous: incitant les pères à nous envoyer leurs enfans, pour les instruire à nostre Foy, & par ainsi estans habitez, si la volonté leur continuoit, l'on pourroit estre asseurez, que si on les menoit en quelque lieu aux descouvertures, qu'ils ne 44/1028 nous fausseront point compagnie, ayant de si bons ostages prés de nous, comme, leurs femmes & enfans: car sans les sauvages, il nous seroit impossible de pouvoir descouvrir beaucoup de chose dans un grand pays, & se servir d'autres nations, car il n'y auroit pas grande seureté, & ne leurs faudroit que prendre une quinte pour vous laisser au milieu de la course. _L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du Conseil. Des commodités qui reviendroient de ces decouvertures. Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de faire la paix entr'eux._ CHAPITRE VI. La cognoissance que de long temps j'ay eue, en la recherche & descouverture de ces terres, m'a tousjours augmenté le courage de rechercher les moyens qui m'ont esté possible, pour parvenir à mon dessein, de cognoistre parfaictement les choses que plusieurs ont douté. Ce que je tiens pour certain selon les relations des peuples, & ce que j'ay peu conjecturer de l'assiete du pays, qui sans doute me donne une grande esperance, que l'on peut faire une chose digne de remarque, & de louange, estant assisté des peuples des contrées, lesquels il faut contenter par quelque moyen que ce toit, ce qui (à mon opinion) sera aisé, & à tout le moins arrive ce qui pourra, pourveu que Dieu conserve les Entrepreneurs, il ne peut qu'il 45/1029 n'en revienne de grandes commoditez, qui serviront beaucoup en ceste affaire. Il y a long temps que j'ay proposé & donné mon advis à Nosseigneurs du Conseil, qui ont tousjours esté bien receus; mais la France a esté si brouillée ces années dernières, que l'on recherche à faire la paix, ne pouvant y faire despence. Je peux bien asseurer, que s'il ne se faict rien en ce temps, malaisément se pourra-il faire quelque chose à l'advenir: tous hommes ne sont pas propres à risquer, la peine & la fatigue est grande; mais l'on a rien sans peine: c'est ce qu'il faut s'imaginer en ces affaires; ce sera quand il plaira à Dieu: de moy, je prepareray tousjours le chemin à ceux qui voudront après moy, l'entreprendre. Il y a quelque temps, que nos Sauvages moyennerent la paix avec les Yrocois, leurs ennemis; & jusques à present, il y a eu tousjours quelque accroche pour la méfiance qu'ils ont des uns & des autres; ils m'en ont parlé plusieurs fois, & assez souvent m'ont prié d'en donner mon advis, leurs ayant donné, & treuvé bon qu'ils vesquissent en paix les uns avec les autres, & que nous les assisterions: mais quand il est question de faire la paix avecques des Nations, qui sont sans loy, il faut bien penser à ce que l'on doit faire, pour y avoir une parfaicte seureté. Je leur proposay, leur en donner des moyens, & seroit un grand bien proche de nous; l'augmentation du trafic, & la descouverture plus aysée, & la seureté pour la chasse de nos Sauvages, qui vont aux Castors, qui n'osent aller 46/1030 en de certains lieux, où elle abonde, pour la crainte qu'ils ont les uns des autres; & y ont tousjours travaillé jusques à present. Le 6 dudit mois de Juin, arriverent deux Yrocois aux trois rivieres, pour traitter de ceste paix: le Capitaine m'en donne aussi-tost advis, & y envoyerent deux Canaux, pour les amener à leurs Cabanes, proche de Québec, où ils estoient logez. Le 9, ils vindrent aux Cabanes de nos Sauvages, lesquels ne manquèrent de m'envoyer une chalouppe, pour aller voir la réception qu'il leur feroit: le m'enbarquay, accompagné dudit Sentein, & de cinq de mes compagnons, avec chacun son mousquet, où arrivant sur le bord du rivage, devant leurs cabanes, Le Capitaine Mahigan Aticq, accompagné de ses compagnons, avec les deux Yrocois à son costé, s'en vient au devant de nous, battant leurs mains, & la mettant en la nostre, & en firent faire autant aux deux Yrocois, nous tenans chacun par la main, jusques à ce que nous fussions à la Cabane dudit Capitaine; où arrivant, nous trouvasmes nombre de peuples assis, chacun selon son rang. Ledit Chef, me tesmoigna estre fort satistaict, & tous ses compagnons, de ce que je m'estois acheminé vers eux, pour voir les Yrocois, lesquels firent rapport, envers les leurs, de la bonne intelligence qui estoit entre nous, & eux. Ce faict, trois de nos Sauvages, avec les deux Yrocois, danserent, & après m'avoir demandé si je l'aurois agréable, je leur tesmoignay estre contant. Ceste dance dura une bonne espace de temps; & achevé qu'ils eurent de danser, chacun d'eux baisa sa main, & me la vindrent 47/1031 mettre en la mienne, en signe de paix, & bien-vueillance. Le meurtrier estoit l'un de ces trois danseurs, qui voulut mettre sa main dans la mienne, je ne le voulus jamais regarder; ce qui luy donna un grand desplaisir, de se voir ainsi mesprisé devant les Yrocois, & de toute l'assemblée: il n'arresta gueres qu'il ne sortist de la cabane. Ce pendant le Chef commanda à tous les hommes, femmes & filles, de danser; ce qu'ils firent quelque temps: La danse finie, il me remercia à sa façon, & me pria de tousjours les maintenir en amitié: le luy dis, qu'il ne devoit point douter de mon affection, lors qu'il se comportera doucement avec nous. Je le priay de me venir voir le lendemain, & douze de ses principaux, & les deux Yrocois (nous traiterons du subjet de leur venue) ce qu'ils m'accordèrent; & leur fis tirer quelques coups de mousquets: de là, nous nous r'embarquasmes pour retourner en nostre habitation. Le lendemain, ils ne faillirent à venir avec les deux Yrocois; peu après leur arrivée, je leur fis festin, suivant leur façon de faire: Après qu'ils eurent repeu, nous entrasmes en discours, sur ce qui estoit du traicté de paix avec les Yrocois, le leur demanday comment ils entendoient faire ce traicté: ils dirent que l'entreveue des uns aux autres, estoit avec amitié, tirant parolles de leurs ennemis, de ne les nuire ny empescher de chasser par tout le païs; & eux au semblable en feroient de mesme envers les Yroquois: & ainsi, ils n'avoient d'autres traictez à faire leur paix. Je leur dis que parlementer, estoit véritablement faire les 48/1032 approches à une paix, mais il falloit les seuretez d'icelle; & puis qu'ils m'en demandoient mon advis, je leur en dirois ce qui m'en sembleroit, s'ils me vouloient croire, à quoy ils accorderent, & me prierent derechef, de leur en donner mon advis qu'ils suivroient au mieux qu'il leur seroit possible; & qu'aussi bien, ils estoient las & fatiquez des guerres qu'ils avoient eues, depuis plus de cinquante ans[536]; & que leurs pères n'avoient jamais voulu entrer en traicté, pour le desir de vengeance qu'ils avoient de tirer du meurtre de leurs parens & amis, qui avoient esté tuez; mais qu'ayant consideré le bien qui en pourroit revenir, ils se resoudoient, comme dit est, de faire la paix. [Note 536: Ce passage nous donne, au moins d'une manière approximative, l'époque de cette fameuse querelle dont parlent Nicolas Perrot et la Relation de 1660 (ch. II), et qui fit des Algonquins et des Iroquois d'irréconciliables ennemis. Cette profonde division remonterait donc vers l'an 1570, si toutefois ce n'était pas une simple recrudescence d'une inimitié encore plus ancienne; car les sauvages que Cartier trouva dans le pays, et qui semblent avoir été ce que l'on a appelé les _bons Iroquois_, avaient déjà pour ennemie, dès 1535, une nation vers le sud, appelée alors Toudamans (les mêmes sans doute que les Tsountouans, ou Tsonnontouans), «qui leur menoient continuellement la guerre.»] Response à la première question que je leur fis sçavoir, si ces deux Yrocois estoient venus pour leur particulier, ou s'ils avoient esté envoyez de leur nation. Ils me dirent, qu'ils estoient venus de leur propre mouvement: & le desir qu'ils avoient de voir leurs parens & amis, qui estoient parmy eux détenus prisonniers de longue main, les avoit fait venir; & l'asseurance qu'ils avoient du traitté de paix, commencé depuis quelque temps, estans comme en tresve les uns & les autres, jusqu'à ce que la paix fut du tout asseurée ou rompue. Je leurs dis que puisque ces hommes n'estoient députez du pays, qu'ils les devoient traitter amiablement, avec 49/1033 toute sorte de paix & amitié, non pas en la façon comme s'ils estoient députez du pays, & qu'ils devoient estre receuz, avec plus d'allegresse & de cérémonie. De plus puisqu'ils voulaient venir à une bonne paix, qu'il falloit qu'ils choisissent quelque homme d'esprit parmy eux, & l'envoyer avec ces deux Yrocois, ayant charge de traitter de paix, & les inciter à envoyer en ce lieu de Québec de leur part: lors qu'ils verroient que nous y assisterions, que cela seroit occasion de se mieux asseurer, comme estans obligez à les maintenir. Ils trouverent cet advis bon, & de fait ils se resolurent d'y envoyer quatre hommes, sçavoir deux aux Yrocois, distans de Québec de cent cinquante lieues, & leur fis donner la valleur de 38 castors de marchandises, des cent dont ils leurs avoient fait presents, & ces marchandises estoient pour faire present à leurs ennemis à leur arrivée, comme est leur coustume, & ainsi s'en allèrent fort contens. Voila un bon acheminement. _Arrivée du Sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se passa le reste de l'année 1622, & aux premiers mois de 1623._ CHAPITRE VII. Le 15 de Juin arriverent lesdits du Pont & de la Ralde, avec 4 barques chargées de vivres & marchandises, ausquels je fis la meilleure réception qu'il me fut possible, & ne trouverent que 50/1034 toute sorte de paix, ce que plusieurs ne croyoient pas, suivant ce qui s'estoit passé. Ils ne sçavoient point que le subject en estoit osté, occasion pourquoy toutes choses s'estoient passées avec douceur, ils furent quelques huict jours à faire leurs affaires, où durant ce temps, je leurs fis entendre comme ces sauvages avoient esleu un chef par nostre consentement, & le bien qui en pouvoit reussir, pourveu qu'on l'entretienne en ceste amitié. Mahigan aticq vient voir ces messieurs qui le receurent fort humainement sur ce que je leurs en avois dit. Lesdits du Pont & de la Ralde, partirent pour monter amont ledit fleuve aux trois rivieres, où ils trouverent quelque nombre de sauvages, en attendant un plus grand. Quelques jours après arriva le Sire, commis, qui nous apporta nouvelle de l'arrivée dudit sieur de Caen à Tadoussac, qui m'escrivoit qu'en bref il s'achemineroit par devers nous, après sa barque montée: me priant luy envoyer quelques scieurs d'aiz, & un canau en diligence audit du Pont & de la Ralde, ce que je fis, & ledit le Sire partit ce mesme jour pour retourner le treuver à Tadoussac. Trois tours après arriva une barque des trois rivieres, qui alloit audit Tadoussac, suivant l'ordre qui luy avoit donné. Le Vendredy 15 de Juillet sur le soir, arriva ledit sieur de Caen dedans une chalouppe, craignant n'estre assez à temps à la traitte des trois rivieres: ayant laissé charge de despescher sa barque à Tadoussac, pour l'aller treuver aux trois rivieres, 51/1035 je le receus au mieux qu'il me fut possible, me faisant entendre tout ce qui s'estoit passé en toutes les affaires, tant de la Nouvelle que de l'ancienne societé, à quoy je satisfis au mieux qu'il me fut possible. Il me rendit la lettre suivante de sa Majesté. «Monsieur de Champlain, voulant conserver mon cousin le Duc de Montmorency aux droits & pouvoirs que je luy ay cy-devant accordez en la Nouvelle France, suivant les lettres patentes que je luy ay fait expédier, j'ay treuvé bon que la contestation qui estoit à mon Conseil, entre l'ancienne compagnie, faite par les precedents Gouverneurs, pour faire les voyages audit païs de la Nouvelle France, establis par mon cousin, suyvant son pouvoir; que ladite Nouvelle soit conservée au traitté, joignant en icelle ceux de l'ancienne qui y voudront entrer, ainsi que vous verrez par l'arrest de mon Conseil, qui vous sera envoyé par le sieur Dolu, suivant lequel je veux & entend que vous vous gouverniez avec lesdits nouveaux associez, maintenant le païs en paix, en y conservant mon auctorité, en tout ce qui sera de mon service, à quoy m'asseurant que vous ne manquerez, je prie Dieu qu'il vous ayt Monsieur de Champlain en sa saincte garde, escrit à Paris le 20 de Mars 1622. signé Louis, & plus bas Potier.» Ledit de Caen fut deux jours à Québec, & delà s'en alla aux trois rivieres. Le lendemain sa barque arriva de Tadoussac, qui l'alla treuver. 52/1036 Le dernier dudit mois de Juillet, passa ledit de la Ralde, qui s'en retournoit à Tadoussac, pour apprester son vaisseau, & delà aller à Gaspey, voir si n'y avoit point de vaisseaux, qui contrevinsent aux defences de sa Majesté. Ledit de la Ralde arrive à Tadoussac, & eut quelques paroles avec Hébert, que ledit sieur de Caen avoit laissé en sa place pour commander à son vaisseau bien qu'arrivant ledit de la Ralde, le commandement estoit à luy comme lieutenant dudit de Caen, & l'autre estoit son enseigne, qui ne voulut cognoistre ledit de la Ralde, & leur dispute vint sur le fait de la religion, bien que tous deux catholiques: car quand ledit de Caen qui estoit de la religion prétendue reformée, faisoit faire les prieres sur le derriere en sa chambre, & les catholiques sur le devant: & durant que ledit Hébert demeura au vaisseau, les prieres s'y continuoient, comme quand son chef y estoit: mais quand ledit de la Ralde y fut arrivé comme lieutenant, & commandant audit vaisseau, il voulut que les catholiques vinssent faire leurs prières en la chambre, & que les prétendus reformez fussent en leur rang, sur le devant pour prier, Hébert s'y opposa, disant, que son capitaine ne l'entendoit, & ne luy en avoit donné Charge, ledit de la Ralde dit, quand le chef y est, il fait comme il l'entend, Mais quand j'y suis en son absence, je fais comme il me semble, & sur ce sujet il s'esmeut une grande dispute, qui s'appaisa par le moyen de quelques peres Recolets, comme d'autres personnes qui s'y treuverent. Hébert eut le tort de ceste dispute, & n'avoit pas de raison. 53/1037 Ledit sieur de Caen arriva des trois rivieres, le 19 d'Aoust, & le mercredy 24, je fis lire & publier les articles de messieurs les Associez, arrestez par le Roy en son Conseil. Le Jeudy 25, ledit de Caen partit de Québec pour aller à Tadoussac, & je fus avec luy jusques à son departement qui fut le 5e jour de Septembre 1622. Ledit du Pont fut laissée à l'habitation, pour principal commis de Messieurs les Associez, & hyvernasmes ensemble. En cet hyvernement estoient, tant hommes que femmes, & enfans cinquante personnes. Ledit de Caen estant party, nous eschouasmes quelque chalouppe, & sur le soir, qui fut le 6, levasmes les ancres pour aller à Québec, où fusmes contrariez de si mauvais temps, que nous nous pensasmes perdre au port aux saumons sur nos ancres, ne pouvant appareiller: mais le vent venant à s'appaiser au 13 dudit mois, nous nous mismes sous voilles, & arrivasmes à Québec le 20. Le lendemain nous eschouasmes nostre barque, & fismes descharger le reste des commoditez, & aussi tost que tout fut deschargé, Desdame fut despesché avec ne chalouppe luy septiesme, pour aller à Tadoussac mener des matelots, & ramener une barque que l'on avoit laissée avec quelques cinq hommes, pour la garder, attendant que l'on y fust pour la ramener, d'autant qu'il n'y avoit point de matelots, pour esquipper les deux barques. Le 10 d'Octobre arriva la barque de Tadoussac, qui nous dit qu'un vaisseau de 50 à 60 tonneaux, estoit arrivé à Tadoussac 54/1038 pour faire pesche de baleine, laquelle il n'avoit peu faire à la grande Baye, ny en autre port, & qu'il avoit esté mis hors, à ce qu'ils dirent, par monsieur de Grandmont, comme ils firent paroistre par leur commission qu'ils montrèrent au Baillif ayde de sous commis, qui estoit resté audit Tadoussac: il estoit armé de quatre pièces de canon de fonte verte, d'environ de sept à huict cens pesant chacune, deux breteuils, & le vaisseau bien armé avec vingt quatre hommes, un bon pont de corde bien pouessé, tout à l'espreuve du mousquet, ayant à la valeur de six à sept cens escus de marchandises, pour traitter, au reste tres-mal amunitionnez de vivres, qui les contraignit de prendre du Bailly deux barils de pois, demy baril de lard, qu'ils payèrent en chaudière de cuivre rouge, celuy qui y commandoit s'appelloit Guerard basque, qui s'estoit associé avec un Flamant, pour ce qui touchoit la marchandise de traitte. Ledit Guerard escrivit un mot de lettre audit du du Pont, par laquelle il luy demandoit des castors, pour la moictié moins que l'on traittoit, pour les marchandises qu'il avoit, luy en envoyant le memoire. Voila ce que nous apprismes. De plus ils dirent qu'il venoit un vaisseau espagnol audit Tadoussac de deux cens tonneaux, pour faire sa pesche de balaine, & dit que durant que les vaisseaux estoient à Tadoussac, qui estoit[537] à l'Isle verte, & avoit veu partir ledit vaisseau de la Ralde 55/1039 de Tadoussac, & que presque toutes les nuicts il venoit avec une chalouppe au port, & oyoit la plus part des discours qui se disoyent au vaisseau dudit sieur de Caen, jusques à son départ. [Note 537: Qu'il estoit.] De pouvoir y remédier il estoit impossible, pour n'avoir des matelots ny des hommes de main, affin de s'en servir en telles affaires, car il eut fallu au moins huict matelots d'ordinaire en l'habitation, & quelques dix ou douze quand il est question d'aller attaquer un ennemy, avec une vingtaine d'hommes, qui sceussent ce que c'est d'aller à la guerre, c'est ce qui ne se voit point à Québec, l'on pense estre trop fort, & que personne ne seroit[538] entreprendre en ces lieux, mais la meffiance est la mère de seureté, c'est pourquoy suivant les advis que souvent je donnois, l'on devoit remédier à la conservation du pays, & à l'asseurance des hommes qui y demeurent, qui estoit d'achever le fort ja commence, & y avoir de bonnes armes & munitions, & garnison suffisante qui s'y entretiendroit pour peu de chose, autrement rien ne se peut maintenir que par la force. [Note 538: Lisez _n'oseroit._] L'on employa les ouvriers aux choses les plus necessaires de l'habitation. Ledit du Pont tomba malade de la goute le 27 de Septembre, jusques au 21 d'Octobre, & l'incommodité qu'il en sentoit, fit que pendant l'hyver il ne sortit point de l'habitation, pour son indisposition. Je passay le temps à faire accommoder des jardins, pour y semer en l'Automne, & voir ce qui en reussiroit au printemps, ce que je fis y prenant un singulier plaisir, cette occupation n'estoit point inutille pour la commodité qu'en recevoit toute 56/1040 l'habitation, à quoy personne n'avoit fait d'espreuve, car la plus part des hommes voudroient bien cueillir, mais rien semer, ce qui ne se peut, car l'on ne sçauroit dire en ces lieux combien on reçoit d'utilité des jardinages: un peu de soing & vigilance sert beaucoup à un homme de commandement, car s'il n'a de l'affection qu'à de certaine chose, malaisément peut il avoir beaucoup de commoditez sans main mettre, ou commander de ce faire, nos peres y estoient assez vigilans n'ayant autre soing que de prier Dieu & jardiner. L'un de nos peres appellé le père Irenée[539], se resolut le 13 Décembre d'aller hyverner avec les sauvages, pour apprendre leur langue, & profiter quelque chose s'il pouvoit pour l'amour de Dieu: mais le 22 dudit mois, il retourna à son habitation, pour ne se pouvoir accommoder à la vie de ces peuples[540]: Ledit père y retourna pour la seconde fois[541], mais ne pouvant supporter la fatique, il s'en revint, & le père Joseph plus robuste & accoustumé à ceste vie, se délibera d'y aller passer trois mois de temps, qui estoit en bon temps, d'autant que la chasse de l'eslan se faisoit en quantité, où l'on ne 57/1041 mange que de la viande, bien que ce ne soit qu'à cinq ou six lieues de nostre habitation, & partit le mesme jour qu'arriva ledit père Irenée qui fut le 17 de Janvier 1623. [Note 539: Le P. Irénée Piat.] [Note 540: La cause de son retour, suivant Sagard, fut un peu différente. Le frère du sauvage qui s'était chargé du Père étant tombé malade, le pilotois décida que, «le mal ayant esté donné par un sauvage fort esloigné de là, on l'enverroit tuer par l'un des frères du malade... Le P. Irénée, estonné d'un si meschant conseil, & que sa presence ny ses remonstrances ne pouvoient en rien modérer ny divertir ces mauvais desseins (comme nouveau Apostre parmy un peuple gentil) il quitta là tout & s'en retourna au Convent pour y cathéchiser les François...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 99.)] [Note 541: Quoique le P. Irénée eût, sans aucun doute, l'intention de se former et s'habituer aux fatigues des missions, il paraîtrait, d'après Sagard, que ce second voyage n'était pas précisément une mission. Il allait avec le Frère Charles, à quelques lieues de Québec, chercher un élan, dont les sauvages avaient fait présent aux missionnaires. (Sagard, Hist. du Canada, p. 101 et suiv.)] Le 23 de Mars ledit du Pont retomba malade de ses gouttes ou il fut très-mal avec de si grandes douleurs, que l'on n'osoit presque le toucher, quelque remède que le Chirurgien luy peust apporter, & fut ainsi tourmenté jusques au septiesme de May qu'il sortit de sa chambre. Le 19 de Mars il fit un temps fort violent accompagné de vens, tonnerre, gresle & esclairs, bien qu'en ce temps l'air est encore froid, & le pays remply de neiges & glaces. Le 19 d'Avril l'on commença à accommoder une barque, pour aller à Tadoussac, ce qu'estant achevée le premier de May, elle partit avec Desdames sous-commis & hommes, & ledit du Pont n'y peust aller pour son indisposition. Le 16 d'Avril il y avoit un pied de neige en quelques endroits. Je semé toutes sortes de grains le 20 dudit mois derrière l'habitation, où les neges estoient plustost fondues qu'ailleurs, pour estre au midy & à l'abry du vent de Nortouest, qui est fort dangereux. Le lundy 8 de May, nos ouvriers allant coupper du bois pour scier, le mal-heur en voulut à un jeune homme nommé Jean le Cocq, qu'une bûche roulant d'un lieu à autre passa par dessus luy, qui luy rompit le col, & luy escrasa la teste, & ainsi mourut pauvrement. Le 10 dudit mois, le père Irenée se resolut d'aller à Tadoussac, pour essayer de faire quelque fruict aux sauvages de 58/1042 par delà, cela m'estonnoit, voyant qu'il avoit assez à faire, & de quoy s'employer par deçà, à ce que je luy remonstré: mais ne le pouvant dissuader de ce voyage, il s'embarqua dans une chalouppe avec des sauvages qui le devoient mener: mais estant à Tadoussac il changea de resolution[542], & s'en revint à Québec le 22 dudit mois, & son entreprise fut rompue, & ne pût demeurer à Tadoussac avec nos gens, pour n'estre accommodé comme il eust desiré. [Note 542: «Les Sauvages du Père, dit Sagard, ayant esté abouchez par un autre plus grand nombre qui estoient là attendans d'autres de leurs amis pour aller à la guerre, ils furent persuadez d'estre de la partie, & de renvoyer ledit Père dans son Convent, jusques à un autre temps, qu'ils le reprendroient pour son dessein, tellement qu'il fallut qu'il s'en retournast dans un canot de Montagnais sans pouvoir passer plus outre, marry que son voyage ne luy avoit mieux succedé.» (Hist. du Canada, p. 109.)] Voyant que jusques au 14 de juin l'on n'avoit point nouvelle des vaisseaux, & craignant que quelque accident ne fut arrivé, l'on délibéra d'envoyer une chalouppe à Tadoussac, ce qui fut fait avec cinq hommes, & Olivier[543] Truchement pour faire revenir la barque si les vaisseaux n'estoient arrivez, pour retourner & aller à Gaspey, recouvrir des vivres pour ceux qui resteroient à l'habitation, & rapasser dans les vaisseaux pescheurs, partie des gens les moins utiles. En ce temps je fis paver la cour de l'habitation, avec quelques réparations au logis. [Note 543: Olivier le Tardif, qui devint plus tard commis de la Compagnie générale des Cent-Associés, et seigneur en partie de la côte de Beaupré.] Le Vendredy 16 arriva une chalouppe avec la nostre, où estoit un matelot appellé Jean Paul[544] qui nous dit l'arrivée du sieur Deschesnes à Tadoussac, dans une barque, & avoit laissé son vaisseau à Gaspey, pour taire pesche de poissons. [Note 544: Peut-être Jean-Paul Godefroy.] 59/1043 Le 28 arriva Desdames avec la Realle, & deux Religieux, l'un apellé le père Nicolas[545], & l'autre 1623. le frère Gabriel[546], qui nous dirent que ledit sieur de Caen, n'estoit point encore arrivé, qui nous mettoit en peine. [Note 545: «Le P. Nicolas Viel, qui faisoit de grandes instances depuis trois ans» pour venir en Canada, «en reçut à Montargis la permission.» (Le Clercq, Premier Etabliss. de la Foy, I, 246.)] [Note 546: Gabriel Sagard, Théodat. Voici comme il raconte lui-même son arrivée. «Pendant que j'admirois» ce saut (de Montmorency), «un doux zephir enflant favorablement nos voiles, nous portoit à Kebec, où nous arrivames la veille de S Pierre S. Paul, sur les cinq heures du soir en très-bonne santé & assez bien mouillez d'une pluye qui nous tomboit du Ciel, de quoy nous louâmes Dieu, & prîmes port au lieu accoustumé. Ayans posé l'anchre, & mis ordre à ce qui nous concernoit, nous descendismes à terre, saluames les Chefs de l'habitation, qui nous estoient venu recevoir au Port & nous entrames dans la Chapelle, où nous rendîmes actions de grâce à nostre Seigneur de sa divine assistance; & en suitte poussez d'un desir extrême de voir nos Frères dans leur petit Convent, nous pensames prendre congé du sieur de Champlain pour nous y rendre au plustost, mais sa charité, outre les pluyes continuelles & l'obscurité du temps nous en empescherent, & nous retint à coucher jusques au lendemain matin, que nous y fusmes conduits par un des Matelots de l'habitation.» (Hist. du Canada, p. 159, l60.)] Le 2 de Juillet, arriva un Canau où estoit Estienne Bruslé truchement, avec Desmarests, qui nous apporta nouvelle qu'il estoit arrivé, il n'arresta à Québec qu'une nuict partant plus outre, pour advertir les sauvages, & aller au devant d'eux pour les haster de venir. Le 4 dudit mois arriva Loquin commis, dans une barque pour aller en traitte, qui estoit à ce voyage lieutenant dudit sieur de Caen en son vaisseau, où montant haut, fit rencontre dudit du Pont, qui avoit esté avec une chalouppe à la riviere des Yrocois, pour persuader les sauvages de descendre à Québec, ce qu'il asseura audit Loquin, qui fit qu'ils rebrousserent chemin & s'en revindrent audit Québec sur ceste esperance, que véritablement ce seroit une bonne chose s'ils pouvoient descendre à ladite habitation, que cela releveroit de grandes 60/1044 peines & risques que l'on court. En ce temps un sauvage appellé la Foyriere[547], donna advis que la plus grande partie des sauvages avoient deliberé de nous surprendre, en mesme temps tant à Tadoussac qu'à Québec, & assommer tout, à la sollicitation du meurtrier, auquel advis l'on donna tel ordre, que depuis ledit meurtrier a desnié fort & ferme qu'il n'eust voulu faire ce mal, disant que l'autre estoit un imposteur. Lesdits Deschesnes & Loquin voyant que les sauvages ne venoient point comme ils avoient promis audit du Pont, partirent avec deux barques le 9 de juillet, pour aller à mont ledit fleuve, & rencontrèrent seize canaux proche de Québec, qui les fit retourner pour traitter ce qu'ils avoient, pour puis après suivre leur première délibération. [Note 547: Ou la Forière, suivant Sagard.] Le 13 dudit mois arriva ledit sieur de Caen avec deux barques, où je le receus au mieux qu'il me fut possible, estant arrivé il se délibéra d'envoyer une barque, pour essayer d'amener lesdits sauvages s'ils les rencontroient, & ledit Deschesnes partit pour cet effect. Le 16 dudit mois, ledit de Caen ne tarda gueres qu'il ne suivit ledit Deschesnes, je m'embarquay en la barque qu'il me donna, & s'en vint en une autre: nous fismes voille avec quatre barques, chargées de marchandises pour la traitte. 61/1045 _Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yrocois. Advis du Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en l'isle S. Jean. Plainte des Sauvages accordées. Le meurtrier est pardonné. Ceremonies observées en recevant le pardon du Roy de France. Accord entre ces nations sauvages & les François. Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de Nouveaux édifices._ CHAPITRE VIII. LE 23 dudit mois, nous fusmes devant la riviere des Yrocois, où treuvasmes ledit Deschesnes, qui dit avoir eu nouvelle qu'il devoit arriver quelques trois cens Hurons, où Estienne Bruslé les avoit rencontrez, au sault de la chaudière, 75 lieues de ladite riviere des Yrocois. Cedit jour, arriverent quelques 60 Canaux de Hurons, & Algommequins qui r'amenerent du Vernay, & autres hommes qu'on leur avoit donné pour hyverner en leur païs, afin de tousjours les tenir en amitié, & les obliger à venir. Ce jour là mesmes arriva le pilote Doublet, luy sixiesme, dans une double chalouppe, qui venoit de l'Isle S. Jean & Miscou, où estoit le sieur de la Ralde en pescherie, qui donnoit advis au sieur de Caen, que des Basques s'estoient retirez à ladite isle S. Jean, pour se mettre en deffence si on les alloit attaquer, ne voulant subir aux commissions de sa Majesté; & qu'ils s'estoient saisis d'un moyen vaisseau où estoit un nommé 62/1046 Guers[548], qui l'année d'auparavant estoit venu à Tadoussac comme j'ay dit cy dessus: il se contenta de luy prendre ses marchandises de traitte, le laissant aller avec ses munitions, & canons de fonte verte: il meritoit qu'on luy fit ressentir le chastiment que doivent recevoir ceux qui contreviennent aux ordonnances & decrets de sa Majesté, il treuva de la courtoisie à son advantage, ce qu'il n'eut fait en beaucoup de personnes, qui l'eussent traitte avec plus de severité. Le pilote fit avec ceste chalouppe le long des costes & fleuve sainct Laurent, prés de deux cens lieues: il dit que ces Basques avoient donné de mauvaises impressions de nous aux sauvages de ces costes, disant, que s'ils nous treuvoient à leur advantage, ils nous feroient un mauvais party, & de fait il eut couru ceste fortune sans un pere Recollet, qui estoit parmy ces sauvages il y avoit deux ans, lequel escrivit une lettre à nos peres, de l'estat auquel il estoit parmy ces peuples, qui l'affectionnoient fort, & esperoit y faire quelque fruict moyennant la grâce de Dieu, estant fort advancé au langage du païs. [Note 548: Vraisemblablement Guerar ou Guerard. (Voir ci-dessus, p. 54.)] Le 17 dudit mois arriverent des sauvages, qui firent une assemblée entr'eux, où ils formèrent quelques plaintes des uns & des autres, touchant les passages qui n'estoient pas libres aux Hurons, que les Algommequins les traittoyent mal, leur faisant contribuer de leurs marchandises, & ne se contentant pas de ce, les déroboient, qui leur donnoit encore suject d'un grand mescontentement: on les on les accorda sur toutes ces plaintes, ils firent des presens de quelques castors qui leurs furent payés plus qu'ils ne valoient. 63/1047 Le 30 fut célébré la saincte Messe[549]. Ce jour mesme l'on fit un pourparler, pour l'accord du meurtrier, auquel je ne pouvois entendre, pour la perfidie qu'il avoit commise, en l'assassinat de nos hommes, neantmoins plusieurs considerations, & les raisons dudit sieur de Caen, qui me dit que sa Majesté & mondit seigneur luy remettoient la faute, qui m'y firent condescendre, à la charge que l'affaire feroit une satisfaction devant toutes les nations, confessant que malicieusement, perfidement & meschamment, il avoit tué nos compagnons, méritant la mort si on ne luy faisoit grâce, ce qui fut accordé. [Note 549: Le 30 juillet était un dimanche.] Le lendemain fut délibéré de faire quelques presens à toutes les nations, pour les obliger à nous aymer, & traitter bien les François qui alloient en leur païs, pour les conserver contre leurs ennemis, & ainsi leur donner courage de revenir avec plus d'affection. Cet accord ne se pouvoit faire que devant toutes les nations afin qu'elles recogneussent quelle est nostre bonté, au respect de leurs cruautez, & afin que le meurtrier en receut plus de honte, l'obligeant après le pardon d'estre autant affectionné à nous aymer, comme il avoit esté nostre ennemy mortel: il nous fallut user de quelque cérémonie, car il faut user de demonstrations parmy ces peuples, avec les discours: la cérémonie fut telle qui s'ensuit. Le dernier de Juillet, tous trouverent bon de suivre la volonté 64/1048 de sa Majesté, de pardonner au meurtrier qui avoit tousjours esté en crédit, & fait capitaine par les sauvages pour avoir tué nos hommes, ledit meurtrier se devoit mettre au milieu de toutes les nations assemblées en ce lieu, & celuy qui s'avoit assisté en ce meurtre, & luy faire un discours devant tout le peuple, du bien qu'il avoit receu des François, qu'il avoit très-mal recognu, comme meschamment & traistreusement il avoit assassiné nos hommes depourveus d'armes, sous ombre d'amitié, qu'on n'eust jamais peu penser ny aucun de nostre habitation, qu'il eust eu le coeur si desloyal & perfide comme il l'avoit monstré, que ce pendant le chef qui pour lors estoit à l'habitation, & autres du depuis n'avoient voulu user du pouvoir & droict que la justice leur donnoit de le faire mourir, comme il le meritoit. Ce pendant, l'affection que nous avions porté à ceux de sa nation, & comme estant allié des principaux, nous avoit empesché de le faire mourir, nous estans contentez de le chasser de nostre habitation, pour ne le voir, ny raffraichir la mémoire de nos hommes massacrez. Et voyant qu'il avoit recogneu sa faute, s'estant mis en devoir de recevoir le chastiment qu'il meritoit, qu'on luy pardonnoit, par la volonté de nostre Roy, qui luy donnoit la vie, & à la requeste de tous les peuples: A la charge de jamais ne retourner, ny tomber en cette faute, ny aucuns de sa nation; estans personnes qui ne nous contentions de presens, pour payement de la mort de nos hommes, comme ils faisoient entr'eux: & que s'il arrivoit à l'advenir qu'ils commissent telles perfidies & trahisons, on 65/1049 feroit punir de mort les autheurs du mal; les tenans pour nos ennemis: & tous ceux qui voudroient empescher: & plusieurs autres discours sur ce sujet; & quelques autres cérémonies qui furent faictes. Cela achevé, le meurtrier se leva, & son compagnon, me venant demander pardon, avec promesse à l'advenir, de se comporter si fidellement avec les François, qu'il n'auroit autre volonté que reparer ceste faute par quelques bons services: & ainsi furent libérez[550]. [Note 550: Quelques exemplaires portent «délibérez.»--Sagard nous a conservé, sur cette affaire, quelques détails de plus. «Les meurtriers ayans esté grandement blasmez, furent en fin pardonnez à la prière de ceux de leur nation, qui promirent un amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen général de la flotte, affilié du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une espée nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit entièrement pardonnée, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien dissimuler, & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays, tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en mocquerent disans que toute la cholere des François avoit esté noyée en céte espée, & que pour tuer un François on en seroit doresnavant quite pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelque jour trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.» (Hist. du Canada, p. 236, 237.)] Mais quoy que s'en toit, ces peuples qui n'ont aucune consideration, si c'est par charité ou autrement; ils croyent que le pardon a esté faict faute de courage, & pour n'avoir osé entreprendre de le faire mourir, bien qu'il le meritoit, & cela nous mettoit en assez mauvaise estime parmy eux, de n'en avoir point eu de resentiment. Toutes ces nations tres-aises & satisfaits, ils nous remercièrent, nous louans de ce que nous n'avions tesmoigné un mauvais coeur, & accordèrent de mener onze François pour la defence de leurs villages, contre leurs ennemis, dont il en demeureroit huict en leurs villages, & trois qui reviendroient 66/1050 avec eux au printemps en traitte. Ils emmenèrent trois peres Recolets, sçavoir les pères Nicolas, Joseph, & frère Gabriel [551], pour voir s'ils pourroyent profiter au païs, pour la gloire de Dieu, & apprendre François langue. Deux autres François furent donnez aux Algommequins, pour les maintenir en amitié, & inciter à venir en traitte: Il leur fut fait un grand festin selon leur coustume, qui fit l'accomplissement de la feste, & par ainsi s'en allèrent grandement contans. [Note 551: Frère Gabriel (et probablement aussi les PP. Nicolas et Joseph) était arrivé «au port du Cap de la Victoire, le jour de la saincte Magdelene,» c'est-à-dire, le 22 juillet, «environ les six à sept heures du soir.» (Hist. du Canada, p. 174.)] Le 2 d'Aoust s'embarquèrent tous nos François avec les sauvages en leurs canaux, chacun avec son homme[552], & ce mesme jour l'on rechargea toutes les marchandises qui restoient en terre, se levent les ancres, nous mismes voilles, & le quatriesme jour arrivasmes à Québec, où les barques estant toutes assemblées, l'on fit visiter, & treuva on quantité de castors parmy les matelots, que l'on fit serrer, attendant qu'ils fussent de retour en France, pour les contenter, s'il se treuvoit par la societé que cela fut raisonnable, ne leur estant permis de traitter à leur prejudice, ce qui occasionna ceux des équipages d'estre mal contens, comme ils le temoignerent. [Note 552: «La traite estant faite, dit Sagard, & les Hurons prests à partir, nous les abordâmes en la compagnie du sieur de Caen général de la flotte, lequel nous fit accepter chacun pour un canot moyennant quelque petit prêtent de haches, cousteaux, & canons ou petits tuiaux de verre qu'on leur donna pour nostre despence. Toute la difficulté fut de nous voir sans armes qu'ils eussent desiré en nous plustost que tout autre chose, pour guerroyer leurs ennemis, mais comme les espées & les mousquets n'estoient pas de nostre gibier, nous leur fismes dire par le] Truchement que nos armes estoient spirituelles, avec lesquelles nous les instruirions & conserverions à l'encontre de leurs ennemis moyennant la grâce de Dieu, & que s'ils vouloient croire nos conseils, les Diables mesmes ne leur pourroient plus nuire: Cette responce les contenta fort, & nous eurent dans une très-haute estime, tenans à faveur de nous avoir comme nous de les accompagner, & servir en une si belle occasion.» (Hist. du Canada, p. 174, 175.) 67/1051 Le 8 dudit mois fut despesché ledit Deschesnes, avec six barques, pour aller quérir les vivres pour l'habitation, & luy de s'en aller à Gaspey en son vaisseau, pour faire faire diligence de la pesche du poisson. Ledit sieur de Caen & moy, fusmes au Cap de tourmente, pour voir ce lieu, où estant arrivé & visité, fut trouve très agréable, pour la scituation, & les prairies[553] qui l'environnent estant un lieu propre pour la nourriture du bestial. [Note 553: Vraisemblablement, ces prairies naturelles étaient situées entre le Petit-Cap et le cap Tourmente même. Elles sont, encore aujourd'hui, à l'état de prairies naturelles; mais la richesse des prairies artificielles qui les avoisinent, a presque fait oublier le mérite de leurs aînées. Il faut dire aussi que, de mémoire d'homme, elles ont diminué considérablement de profondeur, par la violence des eaux, qui, tous les ans, y enlèvent quelque chose au rivage.] Ayant veu particulièrement ce lieu, lequel s'il estoit mis en l'estat, que l'industrie & l'artifice des hommes pourroit y apporter, il seroit très-beau, car tout ce qui s'y peut desirer, pour une belle rencontre s'y treuve: partant de ce lieu, retournasmes à Québec le 17 dudit mois, où vismes toutes les barques de retour, qui deschargeoient les commoditez de ladite habitation, laquelle fut visitée par des Massons & Charpentiers, pour voir si elle estoit en estat de subsister & durer, il fut jugé que l'on auroit plustost fait d'en édifier une nouvelle, que reparer annuellement la vieille, qui estoit si caduque qu'elle attendoit l'heure de tomber, fors le magazin de pierre à chaux & à sable, (comme dit est,) auquel je fis faire une porte par dehors, qui alloit dans la cave, faisant condamner une trappe qui estoit dans le magazin des marchandises, par où on alloit souvent boire nos boissons, sans aucune consideration. 68/1052 Ledit du Pont se resolut de s'en aller en France, à cause de l'incommodité qu'il avoit, & ne pouvant avoir les choses necessaires icy pour sa maladie, qui l'occasionna de partir avec ledit sieur de Caen de Québec, le 23 d'Aoust avec trois barques, pour s'en aller embarquer à Tadoussac, delà en France, & passer à Gaspey, pour sçavoir nouvelle de ce qui s'estoit passé durant son absence, pour le suject des Basques qui estoient à l'isle de sainct Jean. Le premier de Septembre, ledit pilote Doublet arriva avec une chalouppe, & lettre dudit sieur de Caen, qui me prioit d'envoier le plus promptement que je pourrois les ouvriers restant pour retourner, ce qu'ils firent en deux chalouppes, le trouvent à Gaspey, où il leur avoit donné le rendez-vous. Recognoissant l'incommodité que nous avions eue par les années passées, de faire le foin si tard pour le bestial, j'en fis faire au Cap de tourmente deux milles bottes, dés le mois d'Aoust, & les envoyay quérir avec une de nos barques. Recognoissant la décadence, en quoy s'alloit réduire nostre habitation, nous avions resolu d'en faire une nouvelle: pour le plus abrégé je fis le plan d'un nouveau bastiment, abbatant tout le vieux, fors le magazin, & en suitte d'iceluy faire les autres corps de logis de dix-huict toyses, avec deux aisles de dix toyses de chaque costé, & quatre petites tours aux quatre 69/1053 coings du logement[554], & un ravelin devant l'habitation, commendant sur la riviere, entouré le tout de fossez & pont-levis: & pour ce faire je jugé que premier que bastir il falloit assembler les matériaux pour commencer à bastir au printemps, je fis faire quantité de chaux, abbatre du bois, tirer de la pierre, apprester tous les matériaux necessaires pour la massonnerie, charpenterie, & le chauffage, qui incommodoit grandement pour le divertissement des hommes, & n'y en eut que dix-huict de travail à toutes ces choses, où l'on fit assez de besongne pour si peu qu'il y avoit. L'incommodité que l'on recevoit à monter la montagne, pour aller au fort sainct Louis, me fit entreprendre d'y faire faire un petit chemin[555] pour y monter avec facilité, ce qui fut fait le 29. de Novembre, & sur la fin dudit mois la petite riviere Sainct Charles fut presque prise de glace, & depuis le mois de Novembre jusques à la fin dudit mois, le temps fut fort variable, & se passa en journées assez froides, au matin avec gelée, bien qu'il fist beau le reste du jour; se faisoit 70/1054 quelques fois de la pluye, & des neiges, qui par fois se fondent à mesure qu'elles tombent: Ayant remarqué qu'il n'y a point quinze tours de differens, d'une année à autre pour la température de l'hyver, qui est depuis le 20 Novembre, jusques en Avril, que les neiges se fondent, & May est le printemps: quelques fois, les neiges sont plus grandes en une année qu'en l'autre, qui sont de pied & demy, & trois & quatre pieds au plus, au plat pays: car aux montaignes du costé du Nord, elles sont de cinq à six pieds de haut. [Note 554: Ce plan ne fut exécuté qu'en partie. Pendant l'absence de Champlain les ouvriers, ou les conducteurs des travaux, simplifièrent l'ouvrage, et ne firent que deux des tourelles projetées, comme on le voit, tant par le texte même de l'auteur (voir un peu plus loin), que par le plan et le dessin qui nous sont restés de ce second magasin. Ces deux tourelles étaient sur la rue Notre-Dame, l'une à l'encoignure de la rue Sous-le-Fort, l'autre quelques pieds en avant du portail de l'église actuelle de la basse ville.] [Note 555: Ce petit chemin, que Champlain fit faire à la fin de novembre 1623, pour monter au fort avec facilité, est, sans aucun doute, l'origine du pied de la côte actuelle qui conduit de la basse à la haute ville. Car d'abord il ne peut être question, ici, du haut de la montée, c'est-à-dire, de la partie voisine du fort, puisque la pente du terrain y est comparativement douce. En second lieu, des trois montées qui ont existé simultanément, le chemin actuel des voitures est sans contredit le moins raide et le plus facile. Tout le monde sait que la Petite-Rue Champlain a toujours été si difficile à gravir, que depuis longtemps on s'est vu obligé d'y pratiquer un escalier; le chemin qui descendait naguères du coude de la rue de la Montagne droit au magasin, et qui, selon toutes les apparences, a été le chemin primitif, n'a jamais pu être que fort escarpé. D'ailleurs ces montées dataient toutes les trois des premiers temps de la colonie, et l'on ne voit pas qu'aucun des successeurs de Champlain ait fait autre chose que de les réparer ou les améliorer. On peut donc conclure que le chemin _facile_, dont parle ici Champlain, est la partie inférieure de la rue de la Montagne.] Aussi nous avions une autre incommodité, tant pour les hommes, que pour le bestial, le long de la riviere S. Charles, à une sapiniere qui estoit bruslée, & tous les bois renversez, qui rendoient le chemin difficile, de sorte que l'on n'y pouvoit passer, qui fit que je me fis faire un chemin où j'emploiay un chacun, qui travaillerent si bien, qu'il fut promptement faict. Le 10 de Décembre, la grande riviere fut chargée d'un grand nombre de glaces, de sorte qu'elle charioit, & le bordage pris, ne pouvoit plus permettre de naviger. Je fis traîner le bois pour le fort sur les neges, comme le temps plus propre le permettoit: les sauvages nous donnèrent un peu d'eslan qui nous fit grand bien, d'autant qu'en hyver l'on a aucun rafreschissement, n'ayant que les commoditez qui viennent de France, pour n'y en avoir au païs à suffisance, ce qu'avec le temps, l'on pourra estre relevé de ceste peine, par le soing que l'on prendra à la nourriture du bestial, duquel il 71/1055 y avoit bon commencement, car le défaut de ces choses, est grandement prejudiciable à la santé de plusieurs, & principallement de ceux qui seroient malades ou blessez, qui n'ont que salures, & les farines. Le 18 d'Avril[556], je fis employer tout le bois qui avoit esté faict pour le fort, afin de le pouvoir mettre en deffence, autant qu'il me seroit possible. Je fis faire quelques réparations à l'habitation qui estoit en décadence, attendant que l'on en eust faict une nouvelle. [Note 556: 1624.] En ce temps, est la saison de la chasse du gibier, qui est en grand nombre jusques à la fin de May, qu'ils se retirent pour faire leurs petits, & ne reviennent qu'au quinziesme de Septembre qui dure jusques à ce que les glaces se forment le long des rivages, qui est environ le 20 de Novembre. Le 20 il fit un grand coup de vent, qui enleva la couverture du bastiment du fort sainct Louis, plus de trente pas par dessus le rempart, par ce qu'elle estoit trop haulte eslevée, & le pignon de la maison de Hébert, qui estoit de pierre, que je luy fis rebastir: ce petit inconvenient apporta un peu de retardement aux autres affaires, car il falut remettre la maison en estat, de laquelle je fis raser le second estage, & la rendis logeable au mieux qu'il me fut possible, attendant l'occasion plus commode pour la mieux édifier. Sur la fin du mois arriva un sauvage appellé des François, Simon; il luy parut avoir quelque fantaisie, à quoy ils sont ordinairement sujets, & principalement lors que contre la 72/1056 volonté de tous les capitaines & compagnons, ils veulent faire la guerre à leurs ennemis les Yrocois, avec lesquels ils estoient en pourparler de paix, il y avoit trois ou quatre jours: & de ce les sauvages m'en donnèrent advis, & me prièrent de faire en sorte de l'en empescher, & leur oster la frenesie qu'avoit cestuy cy: je l'envoyay quérir & luy demandé le suject pourquoy il faisoit cela, luy remonstrant le prejudice qui en pourroit arriver à tous ceux de sa nation, & l'advantage que les ennemis prendroient, du peu d'estat qu'ils faisoient de l'auctorité de leur chef, estans ainsi que des enfans sujects au changement, & n'ayant aucune parole arrestée, & se demonstrant sans foy ny loyauté: De plus que tous les François, ne seroient jamais contens de cette forme de procédé, & que ceste guerre durant un traitté de paix sans suject, estoit meschante & pernicieuse, procédante plustost d'un meschant, & d'un homme lasche & sans courage, d'autant que je sçavois fort bien que le but de ceste guerre n'estoit que d'aller surprendre quelques hommes, ou femmes à l'escart, & les trouvant incapables de se défendre, les assommer sans defence: à tout cela il me fit une courte responce, qui estoit qu'il sçavoit bien qu'ils ne valloient rien, & qu'ils estoient pires que chiens, & s'estoit ainsi imaginé, qu'il ne seroit jamais content qu'il n'eust eu la teste d'un de leurs ennemis, en sorte qu'il estoit resolu, luy quatriesme d'y aller. Comme je le vis obstiné, & que nulle remonstrance ne le pouvoit esmouvoir, je luy usay de quelque menaces s'il le faisoit: & ainsi s'en alla tout pensif, à sa cabane. 73/1057 Deux ou trois jours après les Chefs me vindrent trouver, pour me dire qu'ils estoient bien ayses de ce que j'avois parlé à luy, qu'il avoit changé de resolution de ne point y aller, me disant que je leur fissent donner quelques choses pour festiner, comme est leur coustume, quand il est question de faire quelque accord, ou autres choses semblables. Je leurs fis donner un peu de pois, & s'en allèrent ainsi joyeusement, pensant que ce sauvage oublieroit ce qu'il avoit projetté[557]. Ce pendant deux Charpentiers travailloient à accommoder les barques & chalouppes, & deux autres à faire les fenestres, portes, poutres, & autres choses de charpenterie, pour le nouveau bastiment; & quelques mil cinq cens planches que j'avois fait scier pour couvrir le logis, & trente cinq poutres qui estoient toutes prestes, avec la pluspart du bois de charpenterie assemblé pour la couverture. Le premier de May, je fis creuser la terre pour faire les fondemens du bastiment, qui avoit esté resolu de faire. J'employay trois hommes à aller quérir du sable avec la chalouppe, pour le bastiment; les massons à faire du mortier, attendant que quatre autres ostoient la terre pour les fondements, & le reste à approcher la pierre pour bastir: je fis tirer les allignemens pour commencer à bastir un corps de logis. [Note 557: Voir, quelques pages plus loin, la perfidie de ce Simon.] Le 6 de May, l'on commença à maçonner les fondements, sous 74/1058 lesquels je mis une pierre[558], où estoient gravez les armes du Roy, & celles de Monseigneur; avec la datte du temps, & mon nom escrit, comme Lieutenant de mondit Seigneur, au païs de la Nouvelle France, qui estoit une curiosité qui me sembla n'estre nullement hors de propos, pour un jour à l'advenir, si le temps y eschet, monstrer la possession que le Roy en a prise, comme je l'ay fait en quelques endroits, dans les terres que j'ay découvertes. [Note 558: «Cette pierre, retrouvée dans une des fouilles faites sur l'emplacement du vieux magasin, avait été placée au-dessus de la porte d'entrée d'une maison qui touchait à la chapelle de la basse ville. Un incendie détruisit cette maison en 1854, et l'inscription a disparu.» (M. Ferland, Cours d'Histoire du Canada, I, 213, note 1.)] Le 8 du dit mois, les cerisiers commencèrent à espanouir leurs boutons, pour pousser leur feuilles dehors. En ce temps mesme, sortoient de la terre de petites fleurs, de gris de lin, & blanche, qui sont des primes veres du Printemps, de ces lieux là. Le 9 les framboises commencèrent à boutonner, & toutes les herbes à pousser hors de la terre. Le 10 ou 11 le sureau monstra ses feuilles. Le 12 il y a des violettes blanches, qui se firent voir en fleur. Le 15 les arbres furent boutonnez, & les cerisiers revestus de fueillages & le froment monté à un ampan de hauteur. Les framboisiers jetterent leurs feuilles: le cerfeuil estoit bon là à coupper: dans les bois, l'oseille s'y void à deux pouces de hauteur. Le 18 les bouleaux jettent leurs feuilles: les autres arbres les suivent de prés: le chesne a ses boutons formez; & les pommiers de France que l'on y avoit transplantez, comme aussi les pruniers boutonnoient, les cerisiers y ont la feuille assez grande, la vigne boutonnoit & fleurissoit, l'oseille estoit bonne à couper. 75/1059 Le cerfeuil des bois paroissoit fort grand, les violettes blanches & jaunes estoient en fleur: le bled d'Inde se seme, le bled froment croissoit un peu plus d'un ampan de hauteur. La pluspart de toutes les plantes, & simples, estoient sortis de terre: il y avoit des journées en ce mois, où il faisoit grande chaleur. Le 21. de May, je despechay un canau à Tadoussac avec trois hommes, pour attendre le sieur de Caen, avec lettres que je luy escrivois, & une autre au premier vaisseau de sa flotte. Le 29 dudit mois, les fraises commencèrent à fleurir, & les chesnes à jetter leurs feuilles assez grandes en esté. Le 30 les fraises furent toutes en fleur, les pommiers commencèrent à espanouir leurs boutons, pour jetter leurs feuilles: les chesnes avoient leurs feuilles d'environ un pouce de long, les pruniers & cerisiers en fleur, & le bled d'Inde commençoit à lever. Durant ce temps je fis assoir quelques poutres sur le premier estage de la nouvelle habitation, & poser quelques fenestres & portes à icelle. Le premier du mois de Juin arriva un canau de Tadoussac, qui nous dit qu'aux environs du Bicq, il y avoit un vaisseau Rochelois, qui traittoit les sauvages, que dans ce vaisseau estoit un puissant homme qui y commandoit, estant tousjours masqué, & armé, & les sauvages ne sçavoient comme il s'appelloit, ny moins le cognoissoient ils pour ne l'avoir veu; & ma créance fut telle, que quand ils l'eussent cogneu, ils ne 76/1060 nous l'eussent voulu dire, tant il nous portent d'affection. L'on empesche les autres vaisseaux de venir traitter avec eux, encore que l'on leurs fit le meilleur traittement qu'il fut possible, & ainsi sommes nous aymez d'eux, en recompence du bien que nous leurs faisons. Le meilleur remède que j'ay recognu pour jouir plus facilement d'eux, c'est de n'en faire estat que par occasion, & peu après leur remonstrer hardiment leurs desfauts, & ne se soucier de mille sortes d'insolences qu'ils font le plus souvent: car comme ils voient que l'on en fait point d'estat[559], cela les rend plus audacieux à médire & mal faire, ayant moy-mesme expérimenté plusieurs fois, que lors que j'en faisois moins d'estime c'estoit à lors qu'ils me recherchoient le plus d'amitié, & diray plus que l'on n'a point d'ennemis plus grands que ces sauvages, car ils disent que quand ils auroient tué des nostres, qu'ils ne laisseroient de venir d'autres vaisseaux qui en seroient bien aises, & qu'ils seroient beaucoup mieux qu'ils ne sont, pour le bon marché qu'ils auroient des marchandises qui leurs viennent des Rochelois, ou Basques: Entre ces sauvages, il n'y a que Montaignars qui tiennent tels discours. [Note 559: C'est-à-dire, _un point d'état_.] Arrivée Le 2e. jour de juin arriva une chalouppe où estoit le pilote Gascoin avec cinq ou six matelots, qui nous dit qu'il estoit arrivé au port de Tadoussac, avec un vaisseau de soixante tonneaux, ayant quelque cent barils de pois, sept tonneaux de citre, vingt-quatre baricques tant de biscuit que 77/1061 de galette, & que ledit sieur de Caen devoit partir douze jours après luy, que la prise de l'un de ces vaisseaux, par les Flamans l'avoit fait retourner à Paris pour se plaindre au Roy, & à Monseigneur, du sujet qui occasionnoit le retardement, m'informant de luy, s'il n'avoit aucune lettre pour moy de sa part, il me dit que non, qu'il me faisoit ses recommandations. Je m'estonnay grandement qu'il ne m'avoit escrit un mot d'advis, de sa venue en ce lieu, car cela va à telle consequence, que n'ayant advis de ceux qui ont la conduitte d'une flotte, ou autres telles affaires importantes, ne doivent jamais permettre que leurs vaisseaux partent sans un mot d'advis, au gouverneur ou lieutenant des places, esloignées, comme sont celles-cy, pour leur tesmoigner qu'ils se peuvent fier en eux, leurs donnant entrée libre dans l'habitation ou fort, comme estant de la compagnie. Une lettre que m'escrivoit le sieur le Gendre l'un des associez, m'asseura que le vaisseau venoit de la part dudit sieur de Caen. Le 4 dudit mois je fis mettre deux barques à l'eaue, qui partirent pour aller à Tadoussac, quérir les commoditez qu'avoit apporté ledit vaisseau, lequel avoit ordre de laisser un commis nommé Halard, avec partie des commoditez des vivres, pour traitter audit Tadoussac, ce qui nous fit un grand plaisir, d'autant que nous n'avions des farines & citres, que jusques au 10 dudit mois de Juin; que sans cela il nous eust fallu réduire au Migan[560], avec quatre barique de bled d'Inde, attendant nouvelles de la venue des autres vaisseaux. [Note 560: Voir 1619, p. 76.] 78/1062 Le 12 arriva une barque, qui apporta quelque poinçons de citre, galettes, pois & prunes, & m'apporta une lettre de Halart, qui me mandoit qu'il s'ennuyoit grandement, que le vaisseau dudit sieur de Caen ne venoit, craignant qu'il ne luy fust arrivé quelques accidens par la mer: que recognoissant la necessité des vivres que nous pourrions avoir, il m'envoyoit ce qui luy restoit de commoditez, s'en reservant un peu pour entretenir les sauvages, qui traictoient ordinairement avec les Rochelois, & que je luy eusse à mander ma volonté de ce qu'il devoit faire. Le 24 dudit mois, la barque estant deschargée, prevoyant aux malheurs qui ordinairement peuvent arriver sur la mer, pour les risques qui y sont grandes, voyant que la saison des vaisseaux se passoit, sans sçavoir nouvelles de l'un des deux qui devoit arriver, sçachant bien qu'il ne faut pas attendre aux extremitez à pourvoir en telles affaires, aussi que la necessité des vivres nous pressoit, l'advisay qu'il ne seroit hors de propos d'escrire audit de la Ralde, qui estoit à Miscou, quelques 35 lieues de Gaspey, & luy faire entendre la necessité en laquelle nous allions tomber, s'il ne nous secouroit, au cas qu'il fust arrivé fortune au vaisseau; & avois donné charge au pilote Gascoin, d'attendre audit Tadoussac, jusques au 15 ou 16 de Juillet, & si en ce temps il n'oyoit aucune nouvelle, qu'il eust à aller trouver ledit de la Ralde; & donnois ordre à Marsollet truchement, luy troisiesme, de ne partir de Tadoussac, pour venir à Québec, que ce ne fust au 8 d'Aoust, qui estoit oster toutes sortes d'esperance, si 79/1063 les vaisseaux ne fussent venus en ce temps: Et esquippé la barque de tout ce qui leur estoit necessaire pour leur voyage: & partirent le 24 jour de S. Jean. Le 28 du mois, nous eusmes nouvelles de la descente des Hurons, Algommequins & Bisserains[561], qui furent bien faschez de n'avoir point de nouvelles des vaisseaux. Or le premier du mois de Juillet, du Vernay qui estoit allé aux Hurons, arriva dans un canau, qui nous apporta nouvelles certaine de la descente des Sauvages, à la riviere des Yrocois; & de la mort d'un François, qui avoit esté mon serviteur: & que le Père Nicolas estoit resté avec neuf François, estant revenu quatre de nos hommes[562], Le père Joseph, & le frère Gabriel, qui venoient quérir quelques choses[563] pour porter audit père Nicolas. De plus ledit du Vernay me dit que le François avoit esté mal traitté, parmy quelques Nations, faute que la pluspart ne s'estoient pas bien comportez avec ces peuples. [Note 561: Pour Bissiriniens; ce sont les Nipissingues.] [Note 562: Outre du Vernay, l'un de ces quatre français s'appelait Lamontagne. (Sagard, Hist. du Canada, p. 819.)] [Note 563: Voir Sagard, Hist. du Canada, p. 790.] Ce jour arriva une chalouppe, où estoit le pilote Gascoin, qui ayant apperceu vers l'eau le vaisseau dudit de Caen, qui entroit à Tadoussac, où il avoit envoyé une chalouppe du Bic, avec ordre de ce qu'ils devoient faire audit Tadoussac, qui estoit de depescher promptement une chalouppe, pour enuoyer à Québec faire charger la barque qui y restoit, & envoyer au devant des Hurons, ce qui fut fait, & partit ce mesme jour. 80/1064 En ce temps arriverent les sauvages, qui estoient allez de la part des montagnars aux Yrocois, pour contracter amitié, & y avoit prés de six sepmaines qu'ils estoient partis d'auprès de Québec. Ils furent très bien receus des Yrocois qui leurs firent tout plain de bonne réception, pour achever de faire cette paix. Mais en la compagnie de ces sauvages estoit un appelé Simon, qui devoit aller à la guerre. Après qu'il eut pris congé desdits Yrocois s'en retournant, le meschant traistre & perfide Simon, rencontrant un Yrocois l'assomma, pour la recompence du bon traittement qu'il avoit receu desdits Yrocois. Tous nos sauvages en furent grandement desplaisans, & eurent bien de la peine à reparer cette faute: car il ne faut parmy tels gens qu'un tel coquin, pour faire rompre toutes sortes de bonnes entreprises, pour n'avoir aucune justice entr'eux. Le 10 dudit mois les sauvages vindrent cabaner proche de l'habitation. Le lendemain arriva ledit de Caen, avec deux barques chargées de marchandises: Le jour en suivant l'on commença la traitte avec les sauvages: d'autres Canadiens arriverent en ce mesme temps avec quelques chalouppes. Le 14 dudit mois la traitte fut achevée avec lesdits sauvages, & partirent le mesme jour pour s'en retourner en leurs païs, & un François[56] fut avec les Bissereins. [Note 564: Probablement Jean Richer, leur truchement, (Sagard, Hist. du Canada, p. 801.)] Le 16, le frère Gabriel arriva avec 7 canaux, qui nous resjouit grandement, nous comptant tout ce qui s'estoit passé en son hyvernement, & la mauvaise vie que la pluspart des François 81/1065 avoient mené en ce païs des Hurons, & entr'autres: truchement Bruslé à qui l'on donnoit cent pistolles par an, pour inciter les sauvages à venir à la traitte, ce qui estoit de tres-mauvais exemple, d'envoyer ainsi des personnes si malvivans, que l'on eust deub chastier severement, car l'on recognoissoit cet homme pour estre fort vicieux, & adonné aux femmes, mais que ne fait faire l'esperance du gain, qui passe par dessus toutes considerations. Le 19, ledit de Caen partit pour aller aux trois rivieres avec les barques, pour traitter avec d autres sauvages s'il en rencontroit. Le 20, huict canaux des Hurons qu'avoit amené ledit Bruslé, partirent de Québec. Ce jour mesmes, arriva ledit du Pont. Le 25, arriva aussi à Québec une barque, qui nous dit, qu'il estoit venu six Yrocois, nonobstant la mort de celuy qui avoit esté tué, pour confirmer l'amitié avec tous les sauvages: ayant bien jugé, que le sauvage qui avoit tué leur compagnon, l'avoit fait de sa propre malice, & non du consentement de ses compagnons. Le lendemain, arriva une barque, où il y avoit deux soldats, que le sieur de Caen envoyoit en son vaisseau, pour les mettre à la chaisne, pour quelques legeretez qu'ils avoient commises. Nouvelles vindrent aussi, qu'il estoit arrivé à l'entrée de la riviere des Yrocois, trente canaux Hurons, avec quelques François. 82/1066 Le premier d'Aoust, est arrivé à Québec ledit sieur de Caen, & le 4, il fut au Cap de tourmente, qui dit luy avoir esté donné par monseigneur de Montmorency, avec l'Isle d'Orléans, & quelques autres isles adjacentes: & le 10, il retourna à Québec. En ce temps je me resolus de repasser en France avec ma famille, y ayant hyverné prés de cinq ans, & où durant ce temps, nous fusmes assez mal secourus de raffraichissemens, & d'autres choses fort escharsement; nous n'avions dequoy remercier les associez en cela, car s'ils l'eussent sceu, ils y eussent donné ordre: la courtoisie & le devoir les obligeoit d'avoir soing des personnes qui avoient esgard à la conservation de la place & de leur bien, outre la charité pour ceux qui pouvoient estre malades, fussent morts faute de secours, & ainsi estoit plustost diminuer le courage, que de l'augmenter à servir des personnes, qui ne font estat des hommes qui conservent leur bien, & se tuent de soin & travail à garder ce qui leur appartient, au lieu que peu de choses contante tout un peuple. Je fis embarquer tout mon esquippage, & laissay l'habitation nouvelle bien advancée, & eslevée de 14 pieds de haut, 26 toises de muraille faicte avec quelque poutres au premier estage, & toutes les autres prestes à mettre les planches sciées pour la couverture, la pluspart du bois taillé & amassé pour la charpente de la couverture du logement, toutes les fenestres faictes, & la pluspart des portes, de sorte qu'il n'y avoit plus qu'à les appliquer, je laissay deux fourneaux de chaux cuitte, de la pierre assemblée, & ne restoit plus en tout que sept ou huict pieds de hauteur, que toutes la muraille ne fust eslevée, ce qui se pouvoit en quinze jours, leurs matériaux assemblez pour estre logeable, si l'on y eust voulu 83/1067 apporter la diligence requise. Je les priay d'amasser des fassines, & autres choses, pour achever le fort, jugeant bien en moy-mesme, que l'on n'en feroit rien, d'autant qu'ils n'avoient rien de plus desagreable, bien que c'estoit la conservation, & la seureté du pays, ce qu'ils ne pouvoient, ou ne vouloient comprendre. Cet oeuvre ne s'avançoit que par intervalles, selon la commodité qui se presentoit, lors que les ouvriers n'estoient employez à autres oeuvres. Ledit sieur de Caen laissa son neveu, le sieur Esmery, pour principal commis, & pour commander en mon absence audit Québec, avec cinquante & une personne, tant hommes que femmes, garçons, & enfans. Le Jeudy 15e jour d'Aoust, partismes de Québec le 18. arrivasmes à Tadoussac, ou nous eusmes nouvelles de la mort de cinq hommes du vaisseau dudit Deschesnes, qui estoit à l'Acadie, lesquels hommes, avoient este tuez par les sauvages du lieu, proche du sieur de Biencour, qui estoit demeurant en ces lieux, il y avoit plus de 18 ans[565] avecques les sauvages. [Note 565: D'après ce passage, M. de Biencourt serait venu en Acadie avec son père dès 1605, ou même 1604, c'est-à-dire, à l'âge d'environ quinze ans. (Lescarbot, liv. V, ch. X.)] Le 21 d'Aoust 1624. nous levasmes l'ancre, & mismes soubs voilles, pour retourner en France. Le 25 fusmes mouiller l'ancre devant Gaspey, & trouvasmes de la Ralde qui estoit venu de Miscou, faire sa pescherie de poisson. Le premier de Septembre un vaisseau partit de la flotte où commandoit le capitaine Gerard, pour aller en France devant porter des nouvelles. 84/1068 Le 6, le vaisseau de du Pont acheva de faire sa pesche de poisson audit Gaspey. La nuict venant au samedy[566], ledit sieur de Caen partit avec quatre vaisseaux, en l'un desquels estoit sa personne[567], & en l'autre ledit du Pont[568], au troisiesme ledit de la Ralde, & une patache de 45 à 50 tonneaux, dans laquelle estoit le pilote Cananée[569]. Le 19 l'on apperceut un vaisseau de 60 tonneaux, que l'on jugeoit estre Rochelois, on fist chasse dessus, mais il s'evada, & ainsi se sauva à la faveur de la nuict[570]. [Note 566: Du 6 au 7 septembre.] [Note 567: Et probablement l'auteur avec sa famille. (Conf. Sag., Hist. du Canada, p. 842 et s.)] [Note 568: Avec Dupont, repassait F. Gabriel Sagard, M. Goua, M. Joubert, le sieur de la Vigne et probablement aussi le P. Irénée. (Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 843 et suiv.) Le P. Irénée était député en France par le chapitre des Récollets de Notre-Dame-des-Anges, pour obtenir des jésuites, afin d'aider les premiers missionnaires à la conversion des sauvages; mais, les sentiments de Champlain, que l'on avait sondé là-dessus, paraissant assez équivoques, il avait été arrêté de tenir cette résolution secrète, afin d'en ménager plus-sûrement le succès en France. (Premier établiss. de la Foy, I, 291, 292, 298.)] [Note 569: «A mon voyage de la nouvelle France, je communiquay souvent avec un bon Catholique nommé le Capitaine Cananée, qui avoit receu des disgraces en mer autant qu'homme de sa condition. Il avoit esté pris & repris des Pirates tant d'Alger qu'autres, qui l'avoient mis au blanc, & réduit à servir ceux qu'il auroit pu auparavant commander. Retournant de Canada pour la France le sieur de Caen général de la flotte luy donna le gouvernement & la conduitte d'un petit navire, avec 12 ou 13 Mattelots Catholiques & huguenots pour conduire à Bordeaux. Je desirois fort passer dans son bord, tant pour la devotion que j'avois à la saincte Magdeleine de laquelle le vaisseau portoit le nom, que pour le contentement particulier que je recevois à la communication de ce bon & vertueux Capitaine, mais ledit sieur de Caen général, & le sieur de Champlain avec une quantité de nos amis me dissuaderent de m'embarquer dans un si petit vaisseau, plus aysé à perir qu'un plus grand, outre l'incommodité du balotage. Je me resolus donc à leur conseil & me teins à ce qu'ils en voulurent...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 38, 39.)] [Note 570: «Donnâmes en vain la chasse à un Piratte Rochelois, qui nous estoit venu recognoistre passant au travers de nostre armée. A la vérité la faute que fit nostre avant garde, le corps d'armée, & l'arriere-garde à la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pa gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de là s'aller saisir des Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu sçait quelle prouesse nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui nous estoit venu braver jusques chez nous.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 842.)] Le 27 on treuva fond à la sonde, à 90 brasses. Ce jour la 85/1069 petite barque où commandoit Cananée, se separa de nous, pour aller à Bordeaux, selon l'ordre qu'il en avoit: Depuis nous sceusmes qu'elle fut prise des Turcs, le long de la coste de Bretaigne, qui emmenèrent les hommes qu'ils y trouverent, & les firent esclaves[571]. [Note 571: _Conf_. Sagard, Histoire du Canada, p. 39 et 842.] Le 29 nous recogneusmes en la coste d'Angleterre, le cap appelle Tourbery. Le dernier de Septembre, nous apperceusmes la terre de la Heve. Le premier d'Octobre, entrasmes dans le havre de Dieppe, ou louasmes Dieu de nous avoir amenez à bon port, auquel lieu je sejournay quelques jours, de là, je m'acheminay à Paris avec tout mon train, où estant, je fus treuver à sainct Germain le Roy, & Monseigneur de Montmorency, qui me presenta à sa Majesté, auquel je fis la relation de mon voyage, comme à plusieurs messieurs du Conseil, desquels j'avois l'honneur d'estre cogneus. Ce fait, je m'en retournay à Paris, où je treuvay que les anciens & nouveaux associez, eurent plusieurs contestations sur le mauvais mesnage qui s'estoit fait en l'embarquement, qui apporta plusieurs troubles, cela en partie donna suject à mondit seigneur de Montmorency, de se deffaire de sa charge de Viceroy, qui luy rompoit plus la teste, que ses affaires plus importantes, la remettant à Monseigneur le Duc de Ventadour, qu'il voyoit porté à ce sainct dessein, convenant avec luy d'un certain prix, tant pour la charge de Viceroy, que pour l'interest qu'il avoit en ladite Société, le tout sous le 86/1070 bon plaisir de sa Majesté, laquelle commanda d'expédier les lettres patentes d'icelle commission, au mois de Mars 1625. au nom de mondit seigneur le Duc de Ventadour, n'estant poussé d'autres interests que du zèle & affection qu'il avoit de voir fleurir la gloire de Dieu, en ces pays barbares; & pour cest effect, y envoyer des Religieux, jugeant n'en trouver de plus capables, que les pères Jesuistes, pour amener ces peuples à nostre foy: il en envoya six[572], à ses propres cousts & despens, dés l'année mesmes. Sçavoir estoit, les reverend père l'Almand[573], Principal du Collège de Paris; tres-devot & zélé Religieux, fils du feu sieur l'Almand, qui avoit esté Lieutenant criminel de Paris; & le père Brebeuf[574], le père Massé[575], frère François [576], & frère Gilbert[577], qui s'acheminèrent aussi-tost avec une grande affection, à Dieppe, lieu de l'embarquement. [Note 572: Cinq, comme le prouve la suite même du texte.] [Note 573: Charles Lalemant. (Sagard, Hist. du Canada, p. 868.)] [Note 574: Jean de Brebeuf. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)] [Note 575: Ennemond Massé. (Voir Hist. de la colonie française en Canada, I, 101, note.)] [Note 576: François Charton. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)] [Note 577: Gilbert Buret, d'après le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, I, 304), et Burel, d'après les Relations des Jésuites (1635, p. 23, édit. de Québec).] 87/1071 [Illustration] LIVRE SECOND DES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. _Monsieur le Duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez._ CHAPITRE PREMIER. En ce mesme temps, mondit Seigneur de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France, me continua en l'honneur de la Lieutenance, que j'avois eue de mondit seigneur de Montmorency, me promettant pour icelle année de demeurer proche de luy, pour l'instruire des affaires dudit païs, & donner ordre à quelques miennes autres que j'avois à Paris. 88/1072 S'ensuit la Commission de Monseigneur le Duc de Ventadour Pair de France, donnée à Monsieur de Champlain. «HENRY DE LEVY, Duc de Ventadour, Pair de France, Lieutenant général pour le Roy au gouvernement de Languedoc, Vice-Roy, & Lieutenant général au pays de la Nouvelle France, & terres circonvoisines. A tous ceux qui ces presentes lettres verront salut: Sçavoir faisons, que pour la bonne & entière confiance que nous avons du sieur Samuel de Champlain, Capitaine pour le Roy en la marine: & de ses sens, suffisance, pratiques, expériences au faict d'icelle, bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays, pour les diverses navigations, voyages, frequentations qu'il y a faictes, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy sieur de Champlain, pour ces causes, & en vertu du pouvoir à nous donné par sa Majesté, conformément aux lettres de commissions par luy obtenues, tant du feu sieur Comte de Soissons, que Dieu absolve, de Monsieur le Prince de Condé, & depuis, de monsieur le Duc de Montmorency, nos predecesseurs en ladite Lieutenance Generalle des quinze Octobre, & vingtdeuxiesme Novembre 1612. & 8 Mars 1620 & à la nomination de sa Majesté, par les articles ordonnez par arrest du Conseil du premier Avril 1622. AVONS commis, ordonné, député, commettons, ordonnons, & deputons par ces presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne, 89/1073 audit pays de la Nouvelle France: Et pour cet effect, luy avons ordonné d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu de Québec, estans dedans le fleuve sainct Laurent, autrement appelle la grande riviere de Canada, audict pays de la Nouvelle France, & audit lieu, & autres endroicts que ledit sieur de Champlain advisera bon estre: faire construire & bastir tels forts & forteresses qu'il luy sera besoin & necessaire, pour la conservation de ses gens: Lequel fort, ou forts, il nous gardera à son pouvoir, pour audit lieu de Québec, & autres lieux, & endroicts, en l'estendue de nostredict pouvoir, tant & si avant que faire se pourra: Establir, estendre, & faire cognoistre le nom, puissance & auctorité de sa Majesté: & en icelles, assubjettir, sousmettre, & faire obeyr tous les peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle: & par le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer & esmouvoir à la cognoissance & service de Dieu, & à la foy & religion Catholique, Apostolique & Romaine, là y establir, & en l'exercice & profession d'icelle, maintenir, garder & conserver lesdits lieux, sous l'obeyssance & auctorité de sadite Majesté, & pour y avoir esgard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons, en vertu de nostredit pouvoir, permis audit sieur de Champlain, commettre & establir, & substituer tels Capitaines & Lieutenans pour nous, que besoin sera. Et pareillement commettre des officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la Police, Reglemens & Ordonnances, jusques à ce que par nous 90/1074 autrement en ayt esté pourveu. Traitter, contracter à mesme effect, paix, alliances, confédérations, bonne amitié, correspondance & communication, avec lesdits Peuples, & leurs Princes, ou autres ayant commandement sur eux, entretenir, garder, & soigneusement conserver les traittez & alliances, dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de leur part: & à leur deffaut, leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener à telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur, obeisance, & service de Dieu, & de l'establissement, manutention, & conservation de l'authorité de sadite Majesté parmy eux: du moins pour vivre, hanter, & fréquenter en toute asseurance, liberté, fréquentation, & communication, y négocier & traffiquer amiablement & paisiblement, faire faire à ceste fin les descouvertures desdites terres, & notamment depuis ledit lieu de Québec, jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'iceluy, dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve sainct Laurent, pour essayer à treuver le chemin facile pour aller par dedans ledit païs, au Royaume de la Chine, & Indes Orientales, ou autrement tant & si avant qu'il se pourra estendre, le long des costes dudit païs, tant par mer, que par terre, & faire en ladite terre ferme, soigneusement rechercher & recognoistre toutes sortes de Mines d'Or, d'Argent, Cuivre, & autres métaux & minéraux, les faire fouiller, tirer, purger, & affiner, pour estre convertez & en disposer selon & ainsi qu'il 91/1075 est prescript, par les Edits & Reiglemens de sadite Majesté, & ainsi que par nous sera ordonné, & où ledit sieur de Champlain trouverroit des François, ou autres traffiquans, negocians & communiquans avec les sauvages & peuples, notamment depuis le lieu de Gaspey, par la haulteur de quarante huict & à quarante neuf degrez de latitude, & jusques au cinquante & deuxiesme degré, Nort & Su dudit Gaspey, qui nous est reservé par sadite Majesté, luy avons permis & permettons s'en saisir & les appréhender, ensemble leurs vaisseaux & marchandises & tout ce qui se trouverra à eux appartenans, & iceux faire conduire & mener en France, es mains de la justice, pour estre procédé contr'eux selon la rigueur des ordonnances Royaux, & ce qui nous a esté accordé par sadite Majesté, ce faisant gérer, négocier, & se comporter par ledit sieur de Champlain, en la fonction de sadite charge de nostre lieutenant pour tout ce qu'il jugera estre en l'advencement desdites conquestes & peuplement: le tout pour le bien, service, & auctorité de sadite Majesté, avec mesme pouvoir, puissance & auctorité que nous ferions, si nous y estions en personne, & comme si tout y estoit par exprés & plus particulièrement specifié, déclaré. Luy avons, & de tout ce que dessus, donné, & donnons par ces presentes, charge & pouvoir, commission & mandement special: Et pour ce, & en tout nostre pouvoir esdits pays, à quoy nous n'aurions pourveu, & jusques à y estre par nous particulièrement pourveu: Avons ledit sieur de Champlain 92/1076 substitué, & subrogé en nostre lieu & place; à la charge observer tout ce que dessus, & par ceux qui seront sous sa charge & commandement, & de nous faire bon & fidel rapport, à toutes occasions, de tout ce qu'il aura faict & exploité, pour en rendre par nous, prompte raison à sadite Majesté. SI PRIONS ET REQUERONS, tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers, les Lieutenans généraux, Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines de leurs villes, Forts maritimes, Ports, Costes, Havres & Destroits, donner confort & ayde audit sieur de Champlain, pour l'entier effect & exécution de ces presentes, tout support, assistance, retraicte, & main forte si besoin est, & en soient par luy requis: En tesmoin dequoy nous avons signé les presentes de nostre main; & à icelles faict mettre nostre Seel. DONNÉ à Paris, le 15 Fevrier, 1625. signé VENTADOUR. & plus bas par commandement de mondit Seigneur, GIRARD.» Ledit sieur de Caen fit encore ce voyage, sous la commission de monditseigneur de Ventadour, avec lesquels passerent nosdits Reverends Pères, lesquels il traitta courtoisement au 93/1077 passage[578]. Et un père Recollet appelle père Joseph de la Roche très-bon Religieux, allié de la maison du Comte du Lude, qui avoit quitté les biens & honneurs temporels pour suivre les spirituels. [Note 578: Si les Pères Jésuites furent «traités courtoisement au passage,» l'accueil qu'ils reçurent en arrivant à Québec ne tarda pas à les convaincre qu'on avait semé contre eux bien des préjugés, «On auroit crû,» dit le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, I, 309 et suiv.), «que les Pères Jesuites ayant bien voulu se sacrifier au païs, & commencer leur Mission par un nombre aussi considerable de bons sujets, ils y auroient esté reçus avec toute la reconnoissance possible, & même avec agrément; mais bien loin de cela, il ne se trouva personne ny des chefs, ny des habitans qui n'y témoigna de la répugnance: tous refuserent unanimement de les recevoir s'ils ne voyoient des ordres absolus & un commandement du Roy pour leur établissement: ils ne trouverent même personne qui les voulut loger. Car comme on s'estoit contenté de tirer purement un contentement verbal de Sa Majesté, on n'avoit pas trouvé lieu d'obtenir des lettres authentiques pour l'établissement de ces Reverends Peres. Si bien que l'entreprise alloit échouer: ils estoient sur le point de repasser en France par les mêmes navires, & d'abandonner entièrement leur dessein, lorsque nos Peres après bien des allées & des venues, obtinrent enfin de Monsieur le Général & des Habitans, qu'on trouveroit bon que les PP. Jesuites fussent logez chez nous pour ne faire qu'un esprit & qu'un corps de Missionnaires, sans estre à charge au pais, jusqu'à ce qu'il plût au Roy d'en ordonner autrement. Cet accommodement estant fait, le P. Commissaire & ses Religieux partirent avec la chalouppe du Convent, pour aller à bord faire honneur aux RR. PP. Jesuites & les conduire chez nous avec toute la joye qu'on peut juger. Nos Religieux voyans leurs souhaits accomplis par l'arrivée de ces Peres, le _Te Deum_ fut chanté en action de grâce, & on leur fit du reste tout l'acueil que l'état du pais & la sainte pauvreté pouvoit permettre. On leur offrit, & ils agréerent à leur choix, la moistié de nostre Convent, du Jardin & de nostre Enclos deffriché où ils demeurerent ensuite l'espace de 2 ans, vivans & travaillans avec nos Peres en parfaite intelligence, pendant que leurs affaires s'accomoderoient & s'avanceroient du côté de France & dans le pais, pour un parfait établissement: à quoy sans doute ne servit pas peu la deputation que nos Pères firent en France, principalement pour ce sujet, du Père Joseph le Caron qui y revint l'année suivante, triomphant & glorieux d'avoir obtenu une partie de sa négociation, & ce que nous souhaitions sur ce sujet. Aussi le public sera bien aise & en même temps édifié de voir que les RR. PP. Jesuites n'en furent pas méconnoissans: entre autres témoignages qu'on en pourroit donner, voicy la copie de deux lettres du Révérend Père Lallemant, premier Supérieur des Jesuites du Canada, écrites en France à Monsieur de Champlain, & au Révérend Père Provincial des Recollets de la province de Saint Denis. _«MONSIEUR, Nous voicy grâces à Dieu dans le ressort de vostre Lieutenance, où nous sommes heureusement arrivez, après avoir eu une des belles traversées qu'on ait encore experimenté. Monsieur le Général après nous avoir déclaré qu'il luy estoit impossible de nous loger dans l'habitation, ou dans le Fort, & qu'il faudrait ou repasser en France, ou nous retirer chez les Pères Recollets, nous a contraint d'accepter ce dernier offre. Ces Peres nous ont reçu avec tant de charité, qu'ils nous ont obligez pour un jamais. Nostre Seigneur fera leur récompense. L'un de nos Peres estoit allé à la traite en intention de passer aux Hurons & aux Iroquois avec le Pere Recollet qui estoit venu de France, selon qu'ils aviseroient avec le Père Nicolas qui se devoit trouver à la traite & conférer avec eux: mais il est arrivé que le pauvre Pere Nicolas Recollet s'est noyé au dernier Sault ce qui a esté cause qu'ils sont retournez n'ayant ny connoissance ny Langue, ny information. Nous attendons donc vostre venue pour resoudre ce qui sera à propos de faire. Vous sçaurez tout ce que vous pourrez desirer de ce pays du Révérend Père Joseph. C'est pourquoy je me contente de vous assurer, que je suis Monsieur, vostre très-affectionné Serviteur Charles Lallemant. De Quebec ce 28 Juillet 1625._» Voicy la copie de celle qu'il écrit au R. P. Provincial des Recollets de Paris. «MON R. PERE, (Fax Christi.) _Ce serait estre par trop méconnoissant de ne point écrire à vostre Reverence, pour la remercier de tant de lettres qui furent dernièrement écrites en nostre faveur aux Peres qui sont icy en la Nouvelle France, comme de la charité que nous avons receue des Pères qui nous ont obligez pour un jamais, Je supplie nostre bon Dieu qu'il soit la recompense des uns & des autres. Pour mon particulier, j'écris à nos Supérieurs que j'en ay un tel ressentiment, que l'occasion ne se presentera point que je ne le fasse paroistre; & les supplie quoyque d'ailleurs tres-affectionnez de témoigner à tout vostre Saint Ordre les mêmes ressentimens. Le Père Joseph dira à vostre Révérence le sujet de son voyage pour le bon succés duquel nous ne cesserons d'offrir Prières y Sacrifices à Dieu. Il faut à cette fois avancer à bon escient les affaires de nostre Maistre, & ne rien obmettre de ce qu'on pourra s'aviser estre necessaire. J'en ay écrit à tous ceux que j'ay crû y pouvoir contribuer, qui je m'assure s'y emploiront si les affaires de France le permettent. Je ne doute point que vostre Révérence ne s'y porte avec affection, & ainsi_ vis unita _fera beaucoup d'effet. En attendant le succés, je me recommande aux saints Sacrifices de vostre Révérence, de laquelle le suis très-humble Serviteur Charles Lallemant. De Québec ce 28 Juillet 1621.»_] Ledit sieur de Caen ayant fait son voyage, il vint à Paris, où il eust plusieurs traverses des anciens Associez, qui les mit en un procez au Conseil, pensant tomber d'accord à l'amiable les uns avec les autres: De plus que mondit seigneur avoit du mescontentement dudit sieur de Caen, sur ce qu'on luy rapporta qu'il avoit fait faire les prières de leur religion prétendue, publiquement dans le fleuve sainct Laurent: desirant que les Catholiques y assistassent, chose qui luy avoit esté deffendue 94/1078 par mondit seigneur, lesquelles accusations le sieur de Caen n'approuva, disant que c'estoit la hayne & la malice de ses envieux, qui procuroient tout le mal qu'ils pouvoient contre luy, quoy que ce toit, après avoir bien disputé les uns contre les autres, aux assemblées qui se faisoient en l'hostel de Ventadour. Il falut avoir arrest de Messieurs du Conseil, puisqu'ils ne se pouvoient accorder sur un contrat que l'on avoit fait, auquel l'on quittoit l'affaire audit sieur de Caen, en donnant trente six pour cent d'interests, sur un fond de soixante mil livres: qu'il seroit tenu d'exécuter tous les articles, dont la societé estoit obligée envers le Roy, & dans trois jours donneroit caution bourgeoise dans Paris, & nommeroit un Chef catholique, agréable à monseigneur le Vice-Roy, pour la conduitte des vaiseaux. Le temps venu il ne 95/1079 fournit cautions au gré des Associez, ny ne nomma ledit chef, ce que refusant, les anciens Associez, ledit sieur de Caen les fait appeller devant le juge de l'Admirauté, de là ils furent audit Conseil de sa Majesté, suivant une requeste que lesdits anciens associez avoient presentée, pour faire interdiction au juge de l'Admirauté d'en cognoistre, ils sont un temps à contester les uns contre les autres, en fin le Conseil ordonna que l'enchere qui avoit este faite au Conseil, de quatre pour cent d'advantage que les trente six, par le contract passé entr'eux à l'hostel du seigneur de Ventadour, que ledit de Caen auroit la préférence, en donnant caution suffisante dans Paris: & que attendu l'absence dudit seigneur de Ventadour, ledit de Caen nommeroit un chef catholique pour la conduitte des Vaisseaux qui fut ledit de la Ralde qu'il nomma, & que pour la personne dudit de Caen il ne feroit le voyage: lequel ne laissa tousjours d'appareiller & apprester ses vaisseaux, des choses qu'il jugeoit estre necessaires pour l'habitation de Québec. Ayant son arrest il s'en vint à Dieppe, pour faire partir les vaisseaux, où je me trouvay, estant party de Paris le premier d'Avril 1626, accompagné des sieurs Destouche, & Boullé mon beau frère, lequel mondit Seigneur avoit honoré de ma Lieutenance au fort, & ledit Destouche de mon Enseigne. Les reverends Pere Noyrot, Jesuiste, & de la Nouë & un frère [579], estoient à Dieppe, pour treuver commodité de faire 96/1082 passer des vivres pour vingt ouvriers, qu'ils menoient audit païs pour eux, estant contrains de prendre un vaisseau de quatre vingts tonneaux du sieur de Caen, qui leur fretta pour les passer, avec tout leur attirail, moyennant le prix de trois mil cinq cens livres: voilà tout ce qui se pana jusqu'à l'embarquement qui fut le 15 d'Avril 1626. Je m'embarquay dans le vaisseau la Catherine, du port de 250 tonneaux, & aussi le pere Joseph Caron Recollet[580], qui y avoit autrefois hyverné; nous fusmes à la rade jusques au vingtiesme dudit mois, que nous levasmes l'ancre, & nous mismes sous voille à un heure après midy, faisant un bort sur autre, attendant ledit sieur de Caen, qui desiroit donner quelque ordre audit de la Ralde & Emery son nepveu, qui estoit en la Fleque pour vice-Admiral, qui devoit aller faire sa pesche de poisson à l'Isle percée. [Note 579: Les PP. Philibert Noirot, Anne de Noue, et le Frère Jean Gaufestre (_Conf_. Ducreux, p. 4; Relat. des Jés.; Prem. établiss. de la Foy, I, 340).] [Note 580: Le P. le Caron était passé en France l'année précédente. (Ci-dessus, p. 92, note 1.)] Sur les six heures du soir arriva ledit de Caen, qui fit prester le serment audit de la Ralde, & à ceux de son esquippage, & donna l'ordre qu'il desiroit que l'on tint audit voyage, ce qu'ayant fait il fit publiquement la lecture devant tout son esquippage & autres, d'un petit livre, contenant plusieurs choses que l'on luy imputoit avoir faites. Je creu qu'il y en avoit qui n'estoient pas trop contens de ceste lecture. Ayant fait ce qu'il voulut, il prit congé de la compagnie & s'en retourna à terre, & nous à nostre route au mieux que le temps le peust permettre, qui ne fut que pour battre la mer vingt quatre heures, car le lendemain il nous fallut relascher à la rade de Dieppe. 97/1081 Le Vendredy[581] au soir que mismes sous voilles ayant levé l'ancre cinq vaisseaux de conserve[582]. Le 27, nous apperceusmes un vaisseau que l'on jugeoit estre forban, nous fismes chasse sur luy quelques trois heures, mais estant meilleur voillier que nous, mismes à l'autre bord. [Note 581 Le vendredi était le 24.] [Note 582: Ces cinq vaisseaux étaient: _la Catherine_, ou la _Sainte-Catherine_ (suivant les manuscrits d'Asseline et de Guibert), vaisseau de 250 tonneaux, suivant Champlain, et de 300, suivant ces deux manuscrits, commandé par le capitaine de la Ralde, amiral de la flotte; _la Flèque_, vaisseau de 260 tonneaux (suivant les mêmes manuscrits), où était pour vice-amiral le capitaine Émery de Caen; le troisième et le quatrième vaisseaux, dont on ne connaît pas les noms, étaient de 200 et de 120 tonneaux; enfin le cinquième, nommé _l'Alouette_, était de 80 tonneaux.] Le 23 de May eusmes une tourmente, qui dura deux fois vingt quatre heures, avec orages de pluyes, tonnerres, esclairs, & bruines fort espesses, qui fit que le petit vaisseau des Peres jesuistes, nommé l'allouette, nous perdit de veue. Le 5 de Juin par 44 degrez & demy de latitude, nous eusmes sonde, sur lecore du Ban. Le 12, cognoissance de l'isle de terre neufve, qui estoit le Cap des vierges, & le soir la veue du Cap de Raye. Le 13 fusmes recognoistre le Cap de sainct Laurent & Isle sainct Paul. Le 17. passasmes proche des Isles aux oyseaux. Le 20. nous fusmes mouiller l'ancre, entre l'Isle de Bonadventure & l'Isle percée, où trouvasmes arrivez tous les vaisseaux qui nous avoient quittez comme l'allouette qui nous avoit perdue, durant les coups de vent qu'avions eus; & y avoit quinze jours que ledit Emery de Caen estoit arrivé, tesmoignage que nostre vaisseau n'estoit pas trop bon voillier, nous fusmes deux mois & six jours à cette traverse contrariez de mauvais temps. 98/1082 _Il m'a sembîé n'estre hors de propos de faire une description particuliere, de l'Isle de Terre neufve, & autres costes qui sont du Cap Breton & Golfe S. Laurent, jusques à Québec, bien que j'en aye traicté en quelques endroits, mais non si particulièrement, & de suitte comme je fais ce Chapitre cy dessous._ _Description de l'Isle de Terre Neufve, Isle aux Oyseaux. Ramées S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonnaventure, Miscou, Baye de Chaleu, avec ce qui environne le Golfe S. Laurent, avec les Costes depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là Québec, sur le grand fleuve S. Laurent._ CHAPITRE II. Le Cap de Rase, attenant à l'isle de Terre neufve, est la terre la plus proche de France, esloignée de 25 lieues de Lecore[583] du grand ban où se faict la pesche du poisson vert, il est par hauteur de 46 degrez & 35 minutes de latitude,[584] & d'iceluy cap à celuy de saincte Marie 22 lieues & de hauteur 46 degrez trois quarts, & de ce lieu jusques aux Isles sainct Pierre 23 lieues, du bord de celle qui est le plus Arrouest, & dudit cap de Rase aux Isles Sainct Pierre 45 lieues, qui sont de hauteur prés de 46° & deux tiers, & 40 lieues jusques au cap de Raye, de hauteur 47° & demy, dans toutes ces costes du Su de ladite Isle de terre neufve y a nombres de bons ports, rades, & havres, entr'autres Plaisance, la baye des Trespassez, celle de 1083 tous les Saincts, comme aussi ausdites Isles sainct 99/1083 Pierre, où plusieurs vaisseaux vont faire pesche de poisson sec. [Note 583: Le cap de Rase est à environ 25 lieues de l'écore du Banc-à-Vert.] [Note 584: 46° 4l' suivant Bayfield.] La coste du Nortdest & Surouest de ladite Isle de terre neufve, & celle du Nort un quart au Nordouest, contient quelques 110 lieues jusques au 52e degré, est fournie de plusieurs bons ports & Isles, où y a nombre de vaisseaux, vont faire pescherie de molue, tant François, Malouains, que Basques & Anglois. De l'Isle, à la grande terre du Nort, il y a 8 à 10 lieues par endroits, la coste de l'Isle Nordest & Surouest, qui regarde le golphe S. Laurens a cent lieues de long, n'est cogneu que fort peu, si ce n'est proche le Cap de Raye où il y a quelque port où se fait pesche de poisson: Toute cestedite Isle de terre-neufve tient de circuit plus de 300 lieues, où il y a nombre de bons ports (comme j'ay dit) le terroir est presque tout montueux, remply de pins & sapins, cèdres, bouleaux, & autres arbres de peu de valeur. Il se descharge dans la mer quantité de petites rivieres & ruisseaux qui viennent des montagnes. La pesche du saumon est fort abondante en la plus part de ces rivieres, comme d'autres poissons. Les froidures y sont aspres, & les neges grandes, qui y durent prés de sept mois de l'an. Il y a force eslans, lapins, & gelinotes, icelle n'est point habitée, les sauvages qui y vont quelques fois en Esté de la grandtaire voir les vaisseaux qui font pescherie de molue. Du Cap de Raye qui est par les 47 degrés & demy de latitude, jusques au Cap de S. Laurent, qui est par les 46 degrés 55 100/1084 minutes, il y a 17 à 18 lieues, cet espace est l'une des emboucheures dudit golphe S. Laurent, de ce lieu aux Isles aux oyseaux il y a 17 à 18 lieues qui sont un peu plus de 47 degrés & trois quarts, ce sont deux rochers dans ledit golphe, où il y a telle quantité d'oyseaux appellez tangeux, qui ne se peut dire de plus, les vaisseaux partant par là quand il fait calme, avec leur batteau vont à ces Isles, & tuent de ces oyseaux à coups de bâtons, en telle quantité qu'ils veulent, ils sont gros comme des oyes, ils ont le bec fort dangereux, tous blancs hormis le bout des aines qui est noir, ce sont de bons pescheurs pour le poisson qu'ils prennent & portent sur leurs Isles, pour manger, au Su de ces Isles & au Su & Surouest y en a d'autres qui s'appellent les Isles ramées-brion[585], au nombre de 6 ou 7 tant petites que grandes, & sont une lieue ou deux des Isles aux oyseaux. [Note 585: Ramées et Brion. D'après Denys (Description géographique, t. I, 196 et suiv.), les îles Ramées sont les sept que nous appelons aujourd'hui les îles de la Madeleine; et, de son temps encore, comme au temps de Champlain, la Madeleine était le nom particulier de l'île Aubert (_Amherst' Island_).] En aucunes de ces Isles y a de bons ports, où l'on fait pesche de poisson, elles sont couvertes de bois, comme pins, sapins & bouleaux, aucunes sont plates, autres un peu eslevées comme est celle de Brion qui est la plus grande. La chasse des oyseaux y est à commandement en sa saison, comme est la pesche du poisson, des loups marins, & bestes à la grande dent qui vont sur lesdites Isles, elles sont esloignées de la terre la plus proche de 12 ou 15 lieues, qui est le Cap sainct Laurent, attenant à l'isle du Cap Breton. 101/1085 Desdites Isles aux oyseaux, jusques à Gaspey, il y a 45 lieues qui est de hauteur 48 degrés deux tiers, & au Cap de Raye 70 lieues[586]. [Note 586: «Et de Gaspé au cap de Raye, 70 lieues.»] En ce lieu de Gaspey est une baye contenant de large en son entrée trois à quatre lieues, qui fuit au Norrouest environ cinq lieues, où au bout il y a une riviere qui va assez avant dans les terres: les vaisseaux viennent en ce lieu, pour faire la pesche du poisson sec, où est un gallay où l'on fait la seicherie des molues, & un ruisseau d'eaue douce qui se descharge dans la grand' mer, commodité pour les vaisseaux qui vont mouiller l'ancre à une portée de mousquet, de ce lieu: & à une lieue du Cap de Gaspey, est un petit rocher que l'on nomme le farillon[587], esloigné de la terre d'un jet de pierre, ce dit cap est une pointe fort estroitte, le terrouer en est assez haut, comme celuy qui environne ladite baye couverte de pins, sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche est abondante tant en moluës, harans, saumons, macreaux, & homars. La chasse des lapins & perdrix, comme autre gibier se treuve aussi à l'Isle percée & de Bonadventure, distante de six à sept lieues, plus au midy: entre les deux il y a la baye aux moluës [588], en laquelle se fait pescherie, les terres sont couvertes de mesmes bois que celle du susdit Gaspey. [Note 587: Le Forillon. Ce petit rocher, détaché de la terre, semble avoir donné origine au nom de Gaspé (_Katsepioui_, qui est séparément)] [Note 588: De _Baie des Molues_ (ou _Morues_), les Anglais ont fait _Molue-Bay_, puis _Malbay_.] Ladite Isle percée est par la hauteur de 48 degrés & un tiers, elle est distante de 15 lieues de Miscou, il faut traverser la 102/1086 baye de Chaleu. Ledit Miscou est par la hauteur de 47 degrés 25 minutes[589], la terre est descouppée par plusieurs bras d'eaue qui forment des Isles, & où les vaisseaux se mettent, est[590] entre-deux desdites Isles, qui font un cap à ladite baye de Chaleu, ce lieu est desgarny de bois, ny ayant que des bruieres, herbes, & pois sauvages: l'on fait en ce lieu bonne partie de traitte avec les habitans du pays. Pour des marchandises ils donnent en eschange des peaux d'eslan & quelques castors. Il y a eu d'autrefois des François qui ont hyverné en ce lieu, & ne s'y sont pas trop-bien treuvez pour les froidures trop grandes, comme aussi les neges, neantmoins ce lieu est fort bon pour la pesche. A six lieues delà au Nortdest, est le ban des Orphelins où il y a très bonne pescherie de moluës. [Note 589: Environ 48°.] [Note 590: _Es entre-deux_, dans les entre-deux, ou goulets.] Ceste Baye de Chaleu entre quelques quinze ou vingt lieues[591] dans les terres, ayant dix ou douze lieues de large par endroits: en icelle se deschargent deux ou trois rivieres qui viennent de quelques quinze ou vingt lieues dans les terres, elles ne sont navigeables que pour les canaux des sauvages. [Note 591: Environ trente lieues.] Tout le pays qui environne ladite baye, est partie montueux, autre plat & beau, couvert de bois de pins, sapins, cèdres, bouleaux, ormes, fresnes, érables, & dans lesdites rivieres y a des chesnes. La pesche de plusieurs poissons est abondante en ce lieu, & la chasse des oyseaux de riviere outarde oyes, grues, & de plusieurs autre sorte. Il se treuve en tous ces lieux force eslans, desquels les sauvages en tuent quantité l'hyver. 103/1087 Des Isles de Miscou à l'Isle sainct Jean, y a environ dix ou douze lieues[592] au Suest, elle est par la hauteur de quarante six degrés deux tiers, le bout le plus Nort de ladite Isle[593], ayant environ vingt cinq lieues de longueur, & de ceste Isle à la terre du Sud, une ou deux lieues; en laquelle sont de bons ports, & bonne pescherie de molue, les Basques y vont assez souvent, elle est couverte de bois comme les autres Isles. [Note 592: Environ vingt lieues.] [Note 593: C'est-à-dire, le bout le plus nord de la dite île est par les 47° et quelques minutes.] De l'Isle de sainct Jean au petit passage de Conseau[594] l'on conte vingt lieues, ce passage est par la hauteur de quarante cinq degrés & deux tiers, & jusques aux Isles ramées environ trente lieues. [Note 594: Canseau; ailleurs, l'auteur écrit comme tout le monde _Canseau_, ou _Campseau_. Les Anglais ont adopté l'orthographe _Canso_. (Voir 1613, p. 130, note 1.)] Toute la coste depuis Miscou jusques au passage de Conseau, est abondante en ports, & petites rivieres, qui se deschargent dans la mer: entr'autres rivieres est la baye de Miaamichy[595], tregate[596], le pays est agréable, quelque peu montueux: la pesche & la chasse du gibier y sont fort bonnes en la saison, il y a des eslans en ces terres, mais non en telle quantité qu'aux contrées de la baye de Chaleu. [Note 595: Miramichy.] [Note 596: Tregaté, ou Tracadie.] Au Nortdest de Gaspey est l'isle d'Enticosty, sur la hauteur de cinquante degrés au bout de L'ouest Nortouest de l'isle, & celuy de Lest, Suest, 49 degrés, elle gists est Suest, & Ouest Norrouest, selon le vray méridien de ce lieu, & au compas de la plus part des navigateurs, Suest & Norrouest, elle a quarante 104/1088 lieues de long, & large de quatre à cinq[597] par endroits. La plus part des costes sont hautes & blanchastres comme les falaises de la coste de Dieppe, il y a un port[598] au bout de L'ouest Surouest de l'Isle qui est du costé du Nort, il ne laisse d'y en avoir d'autres, qui ne sont pas cognus, elle est fort redoutée de ceux qui navigent, pour estre baturiere, & y sont quelques pointes qui avancent en la mer, toutesfois nous l'avons rangée, n'en estant esloignée que d'une lieue & demie, & la treuvâmes fort saine le fon bon à trente brasses: le costé du Nort est dangereux y ayant entre la terre du Nort & ceste Isle des Batures & d'autres Isles, bien qu'il y aye passage pour des vaisseaux, & dix à douze lieues jusques à ladite terre du Nort. Ceste Isle n'est point habitée de sauvages, ils disent y avoir nombre d'Ours blancs fort dangereux, icelle est couverte de bois de pins, sapins, & bouleaux. Il fait grand froid, & s'y voyent quantité de neges en hyver: les sauvages de Gaspey y vont quelquesfois, allant à la guerre contre ceux qui se tiennent au Nort. [Note 597: L'île d'Anticosti a environ dix lieues de large vers le milieu.] [Note 598: Le port aux Ours.] Il y a un lieu dans le golphe sainct Laurent, qu'on nomme la grande baye[599], proche du passage du Nort de l'Isle de terre neufve, à cinquante deux degrés, où les Basques vont faire la pesche des balaines. [Note 599: La Grande-Baie était cette partie du golfe comprise entre la cote nord-ouest de Terre-Neuve et le Labrador.] Les sauvages de la coste du Nort sont très meschants, ils font la guerre aux pescheurs, lesquels pour leur seureté arment des 105/1089 pataches, pour conserver les chalouppes qui vont en mer pescher la molue: l'on n'a peu faire de paix avec eux, & sont la plus part petits hommes fort laids de visage, les yeux enfoncez, meschans & traistres au possible: ils se vestent de peaux de loups marins, qu'ils accommodent fort proprement: leurs batteaux sont de cuir, avec lesquels ils vont rodant & faisant la guerre, ils ont fait mourir nombre de Malouains, qui auparavant leurs ont souvent rendu leur change au double, ceste guerre procède de ce que un matelot Malouain par mesgarde ou autrement, tua la femme d'un capitaine de ceste nation. Tout le pays est excessivement froid en hyver, & les neges y sont fort hautes, qui durent sept mois ou plus sur la terre par endroits, elle est chargée de nombre de pins, sapins & bouleaux, en plus de cent lieues des costes qui regardent le golphe saint Laurent. Il y a nombre de bons ports & isles, (où la pescherie de molue & saumont est abondante,) & nombre de rivieres, qui ne sont neantmoins beaucoup navigeables, que pour des chalouppes ou canaux, selon le rapport des sauvages. Ce golphe a plus de quatre cens lieues de circuit, y ayant nombre infiny de ports, havres & isles, qui y sont enclos: c'est comme une petite mer qui parfois est fort esmeue & agitée des vents impétueux qui viennent plus souvent du Nortdest, & parfois y a de grandes bourasques de Norrouest. En ces lieux sont de grands courants de marée non réglez, les uns portent en un temps d'un costé autrefois en un autre, & ainsi changent de 106/1090 fois à autre, ce qui apporte souvent du mesconte aux estimes des navigeans, quand il fait des brunes, à quoy ce lieu est fort suject, & qui durent quelquefois sept ou huict jours, il n'y a qu'une grande pratique qui peut en avoir quelque cognoissance. Du cap de Gaspey à la terre du Nort y a vingt cinq à trente lieues, cest la largeur de l'emboucheure du fleuve de sainct Laurent, les marées sont en tout temps droiturieres en ce lieu comme la riviere, & le vent tousjours de bout, soit à descendre ou monter, & arrive rarement qu'on voye le vent par le travers des terres, de façon qu'un vaisseau estant dans le courant fera sa drive hors du fleuve plustost que d'aller à la coste: les ebes sont beaucoup plus fortes que les flots qui durent sept heures, & quelquefois plus: ce qui fait qu'on a plus de peine à monter qu'à descendre, joint que les vents de Norrouest sont les plus ordinaires & contraires en certaines saisons. Ce Cap de Gaspey (comme j'ay dit) est à l'entrée de la grande riviere du costé de la terre du midy, montant à mont l'on passe si l'on veut une lieue ou deux vers l'eaue du cap des Boutonnières[600], par la hauteur de quarante neuf degrés & un quart, & à douze lieues dudit Gaspey. [Note 600: Vraisemblablement l'un des caps de l'entrée du Grand-Étang.] Et costoyant tousjours la coste du Su, jusques au commencement des mons Nostre Dame vingt lieues dudit cap des Boutonnières, les mons en ont vingt cinq de longueur, à la fin est le Cap de 107/1091 Chatte[601] assez haut, fait en forme de pain de sucre fort ecore: se voyent aussi des terres doubles au dessus qui quelquefois vous en font perdre la cognoissance si le temps n'est clair & serain, si ce n'est que vous approchiez d'une lieue ou deux dudit cap de Chatte. Montant à mont l'on va jusqu'au travers de la riviere de Mantane, où il y a douze à treize lieues dans cette riviere de plaine mer, des moyens vaisseaux de quatre-vingts ou cent tonneaux y peuvent entrer, c'est un havre de basse mer: estant en ladite riviere assez d'eaue pour tenir les vaisseaux à flot. Ce lieu est assez gentil, & s'y fait grande pescherie de saumon & truittes, ayant les filets propres à cet effect, l'on en pourroit charger des bateaux en leur temps & saison. Ceste riviere vient de certaines montagnes, & peut on s'aller rendre par le travers des terres, par le moyen des canaux des sauvages, en les portant un peu par terre en la riviere qui se descharge dans la baye de Chaleu[602], ce lieu de Mantane est fort commode pour la chasse des eslans, où il y en a en grande quantité. [Note 601: Il n'y a aucun doute que ce cap doit son nom à la mémoire du commandeur de Chaste, ou de Chate. L'auteur le mentionne sous ce nom dès 1612 dans sa grande carte.] [Note 602: De la rivière de Matane, on tombe dans celle de Matapédiac, qui se décharge dans celle de Ristigouche, et celle-ci se jette au fond de la baie des Chaleurs.] De Mantane l'on va à l'Isle de sainct Barnabé[603] à seize lieues, elle est par là hauteur de quarante huict degrez trente-cinq minutes, & estant basse; au tour sont des pointes de rochers, elle contient quelque lieue & demie de longueur, fort proche de la terre du Su: il y a passage entre deux pour passer de petites barques, & ne faut laisser de prendre garde à soy, car elle est couverte de bois de pins, sapins & cedres. [Note 603: Cette île s'appelait ainsi dès 1612. (Voir la carte de 1612.)] 108/1092 De sainct Barnabé au Bic[604], il y a quatre lieues, c'est une montagne fort haute & pointue, qui parroist au beau temps de douze à quinze lieues, & elle est seule de ceste hauteur, au respect de quelques autres qui sont proche d'elle. [Note 604: Ou le Pic. (Voir 1603, p. 4, note 4.)] Du Bic on traverse la grande riviere au Norrouest, ou Nort un quart au Norrouest, & va on recognoistre Lesquemain[605] à la terre du Nort, y ayant sept à huict lieues. En ce lieu de Lesquemain proche de terre, est un petit islet de rocher derrière lequel se faisoit un degrat pour la pesche des balaines, & une place pour mettre un vaisseau: mais ce lieu est asseché de basse mer. Proche de là est Riviere une petite riviere fort abondante en saumons, où les sauvages y font bonne pescherie, comme en plusieurs autres. [Note 605: Les Escoumins sont rigoureusement à l'ouest du Bic, si l'on met la carte en son vrai méridien.] De Lesquemain l'on passe prés des Bergeronnettes[606], qui en est à quatre ou cinq lieues, le travers y a ancrage demie lieue vers l'eaue, puis l'on va au moulin Baudé trois lieues, qui est la rade du port de Tadoussac, le bon ancrage d'icelle est qu'il faut ouvrir le moulin Baudé[607], qui est un saut d'eaue venant des montagnes, & au travers jetter l'ancre. [Note 606: On dit, depuis longtemps, Bergeronnes. Il y a les Petites et les Grandes Bergeronnes, qui ne sont séparées l'une de l'autre que par une pointe.] [Note 607: C'est-à-dire, pour que le mouillage soit bon, il faut que le moulin Baudé soit en vue.] Ayant le vent bon à demy flot couru, à cause des marées du Saguenay qui porte hors, bien qu'il y aye les deux tiers de plaine mer, l'on peut lever l'ancré & mettre à la voille, doubler la pointe aux vaches, avec la sonde à la main, & tenir 109/1093 tousjours deux ou trois chalouppes prestes: que si le vent venoit à se calmer tout d'un coup comme il arrive assez souvent, la marée vous porteroit au courant du Saguenay, & ayant doublé ladite pointe aux vaches, vous faire tirer à terre hors des marées dudit Saguenay s'il faisoit calme, & ainsi en terre[608] audit port de Tadoussac, mettant le Cap au Nort, un quart du Norrouest[609], estant dans le port il faut porter une bonne ancre à terre & enfoncer l'orain[610] dans le sable le plus que l'on pourra, & mettre une boite par le travers contre l'orain, & avoir des pieux que vous enfoncerez dans le sable de basse mer le plus avant que l'on pourra pour empescher que le vaisseau ne chasse sur son ancre: dautant que ce qui est le plus à craindre sont les vens de terre, qui viennent du Saguenay & sont fort impétueux & violents, & viennent par bourasques qui durent fort peu, car le vent du travers de la riviere n'est point à craindre, d'autant qu'il y a bonne tenue du costé de vers l'eaue, car l'ancre ne chasse point le cable, ou l'ancre du vaisseau romperoit plustost. [Note 608: Lisez «entrer.»] [Note 609: Quoique ce passage renferme plusieurs fautes qui le rendent presque inintelligible, nous avons cru cependant qu'il valait encore mieux respecter la ponctuation et l'orthographe de l'édition originale, et remettre en note le texte corrigé. L'auteur conseille aux vaisseaux qui veulent entrer au port de Tadoussac, «de tenir deux ou trois chaloupes prêtes, afin de pouvoir, ayant doublé la pointe aux Vaches, se faire tirer à terre en dehors des courants du Saguenay, s'il faisait calme, et ainsi _entrer_ audit port, mettant le cap au nord-quart-norouest.»] [Note 610: L'oreille.] Or les costes du Nort depuis le travers d'Enticosty sont fort baturieres pour la plus part; en quelques endroits il y a de bons ports, mais ils ne sont cognus, hormis Chisedec[611] & le 110/1094 port neuf[612] trente lieues de Tadoussac: aussi il y a nombre de petites rivieres où la pesche du saumon est grande, selon le rapport des sauvages & des Basques qui cognoissent partie d'icelle coste. J'ay costoyé ces terres quelques cinquante ou soixante lieues dans une chalouppe, la terre est basse le long de la mer, mais dans les terres elle paroist fort haute, il n'en fait pas bon approcher que sa sonde à la main. Là est une nation de sauvages qui habitent ces pays, qui s'appellent Exquimaux, ceux de Tadoussac leur font la guerre. [Note 611: Chisedec paraît correspondre à ce que nous appelons rivière Saint-Jean.] [Note 612: Ce qu'on appelle aujourd'hui Portneuf n'est qu'à quinze lieues de Tadoussac.] Et depuis Gaspay jusques au Bic, ce sont terres la plus grande part fort hautes, notamment lesdits monts Nostre Dame, où les neges y sont jusques au 10 & 15 de Juin. Le long de la coste il y a force anses, petites rivieres & ruysseaux, qui ne sont propres que pour de petites barques & chalouppes, mais il faut que ce soit de plaine mer. La coste est fort saine, & en peut on approcher d'une lieue ou deux, & y a ancrage tout le long d'icelle, contre l'opinion de beaucoup, ainsi que l'experience le fait cognoistre: l'on peut estaler les marées pour monter à mont, si le vent n'est trop violent. Tout ce pays est remply de pins, sapins, bouleaux, cedres, & force pois, & persil sauvage, le long de la coste l'on pesche de la molue, jusqu'au travers de Mantane, & force macreaux en sa saison, & autres poissons. Le travers de Tadoussac, qui est par quarante huict degrés deux tiers, à deux lieues au Sud il y a nombre d'Isles, & est entr'autres l'Isle verte, à quelque six lieues dudit Tadoussac, 111/1095 en laquelle les Rochelois venoient à la desrobée traitter de peleteries avec les sauvages[613]. La grande riviere a de large le travers dudit Tadoussac, 5 à 6 lieues. Juqu'à la terre du Su est une riviere par laquelle l'on peut aller à celle de S. Jean, en portant les canaux partie par terre, & le reste par les lacs & rivieres, tous ces chemins ne se font sans difficulté. [Note 613: Voir ci-dessus, p. 31.] Partant de Tadoussac à la pointe aux Allouettes il y a une petite lieue, ceste pointe met hors plus de demy lieue, elle asseche de basse mer. Il y a un islet de cailloux couvert de persil, qui a la feuille fort large, & quantité de pois sauvage. Les barques de plaine mer rangent la grand terre. Du Cap de la riviere du Saguenay[614], l'on passe proche d'un islet qui est au fond d'une anse qui s'appelle l'islet Brulé[615] presque tout rocher. Le travers il y a ancrage à un cable vers l'eaue, au fond de l'anse est un ruisseau qui vient des montagnes. De ce ruysseau rangeant la terre à demy ject de pierre, il n'y a que sable jusques au Cap de la pointe des Allouettes, sur iceluy est une plaine comme une prairie, contenant quelques quatre à cinq arpents de terre, le reste sont bois de pins, sapins, & bouleaux, où il y a force lapins & perdrix. Les barques (comme dit est) passent proche de ce Cap pour abréger chemin, à aller à Québec: car passant dehors la pointe de l'Islet de Cailloux [616] vers l'eaue, il faudroit faire plus d'une lieue & demie qui est le grand passage, où il 112/1096 y a de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce soit: Il se faut donner garde de l'Isle Rouge, où les marées chargent. Ayant le temps clair & sans bruines, il n'y a point de danger en toute ceste pointe, & autre bans de fables qui y sont attenans, asseché tout de basse mer où l'on treuve une quantité de coquillages, comme bregos, coques, moulles, hoursains, & force loches, qui sont sous les pierres en plusieurs endroits: cela va jusqu'à l'anse aux Basques, contenant prés de trois à quatre lieues de circuit[617]. Il s'y voit aussi une infinité de gibier en sa saison, tant oyseaux de riviere, & sarselles, que petites oyes, outardes, & entr'autres il y a un si grand nombre d'allouettes, courlieux, grives, begasses, beccasses[618], pluviers & autres sortes de petits oyseaux, qu'il s'est veu des jours que trois à quatre Chasseurs en tuoient plus de trois cens douzaines, qui sont très grasses & délicates à manger. Pour aller à cette pointe aux Allouettes, il faut traverser le Saguenay, qui tient en son entrée un quart de lieue de large: de ceste riviere j'en ay fait assez ample description[619], tant de ce que j'ay veu que du raport des sauvages qui m'en a esté fait. [Note 614; Ce cap s'appelle aujourd'hui la pointe Noire.] [Note 615: Cet îlet est situé au fond de l'anse Sainte-Catherine.] [Note 616: L'île aux Alouettes, appelée encore îlet Blanc, et île au Mort.] [Note 617: La batture des Alouettes a en effet quatre lieues de circuit, et même plus.] [Note 618: Probablement, l'un de ces deux mots est de trop.] [Note 619: Voir 1603, ch. IV, 1613, p. 142 et suiv., 1632, première partie, p. 130 et suiv.] De la pointe aux Allouettes faisant le Surouest, Cap de un quart au Su, l'on va au Cap de Chafaut aux Basques, en ce lieu il y a ancrage, mais il faut prendre garde, car par des endroits est rocher où les ancres pourroient bien demeurer, si 113/1097 l'on ne recognoist bien le fond, un peu plus vers l'eaue, le mouillage est plus net & vers le Chafaut aux Basques, demeure à sec qui est au fond de l'anse où sont deux ruisseaux qui viennent des montagnes. A l'entrée de ces deux ruisseaux est un islet de rocher, où il y a un peu de terre dessus, & quelques arbres qui assechent tout de basse mer jusqu'à la grande terre, en laquelle est une petite riviere à trois quarts de lieue de la pointe aux Allouettes, & une bonne lieue & d'avantage du Chafaut aux Basques laquelle est abondante en poisson en son temps, comme de truittes & saumons, quantité d'Eplan très-excellent qui s'y prend, le gibier s'y retire en grand nombre[620]. [Note 620: Aussi cette rivière s'appelle la rivière aux Canards.] Du Cap de Chafaut aux Basques, faisant la mesme route jusqu'à la riviere de l'Equille[621], il y a trois lieues, & de la pointe aux Allouettes cinq. Costoyant la coste du Nort l'on passe proche de l'Anse aux Rochers qui est baturiere. A l'entrée du port est un petit islet proche de terre, où il y a mouillage de beau temps pour des barques, au fond de l'anse sont deux petites rivieres qui ne sont que ruisseaux, à une lieue & demie du Cap aux Basques. [Note 621: Le port de l'Equille, ou, comme on dit généralement, le port aux Quilles.] De l'Anse de Rocher à la riviere de l'Equille, il y a prés d'une lieue & demie, un Cap[622] est entre deux: ceste riviere de l'Equille vient des montagnes, & asseche de basse mer, un peu vers l'eaue de l'entrée il y a mouillage pour barques. 114/1098 L'Isle au Liévre demeure au Suest trois lieues[623], la pointe aux Allouettes & ceste dite Isle est Nortnordest & Susurouest: laquelle Isle est esloignée de la terre du Sud prés de trois lieues, entre les deux il y a des Isles[624]: ce costé n'est bien cognu, comme n'estant sur la routte de Québec & Tadoussac. L'Isle aux Liévres ainsi nommée pour y en avoir, est couverte de bois de pins, sapins & cedres, il y a des pointes de rochers assez dangereuses, elle a deux lieues & demie de longueur. [Note 622: La Tête-au-Chien.] [Note 623: Deux lieues.] [Note 624: Les îlots du Pot-à-l'Eau-de-Vie et des Pèlerins.] Du port de l'Equille au port aux femmes[625], il y a une bonne lieue: ce port aux femmes est une anse partie sable & cailloux, proche de là est un petit estang. Les sauvages se cabanent quelques fois en ce lieu, au dessus d'une pointe de terre qui est plate & assez agréable: proche de ce lieu il y a ancrage, pour Barques en beau temps. [Note 625: La rivière Noire.] Du port aux femmes l'on va au port au Persil, distant prés d'une lieue, qui est anse derrière un Cap, où il y a une petite riviere qui asseche de basse mer, elle vient des montagnes qui sont fort hautes, il y a ancrage proche, & à l'abry du vent du Su, venant à Ouest jusques au Nortnordest. Du port au Persil l'on va tournant au tour d'une montagne de rochers qui fait Cap[626]: une lieue après l'on vient au port aux saumons, qui est une anse dans laquelle se deschargent deux ruisseaux, il y a un islet en ce lieu où sont quantité de framboises, fraises, & blues, en leur saison: ceste anse asseche de Bassemer, un peu vers l'eaue de l'islet il y a 115/1099 ancrage pour vaisseaux & barques, l'on est à l'abry du Nortdest. [Note 626: La pointe à l'Homme, au-dessus de laquelle est le cap au Saumon.] Du port aux Saumons à celuy de Malle Baye[627], est distant d'une lieue double, ce Cap rangeant la coste d'un quart, & demy lieue il y a ancrage pour des vaisseaux[628]: cedit Cap & l'Isle aux Liévres sont Nortdest un quart à l'Est, & Surrouest un quart à l'Ouest prés trois lieues. [Note 627: Ce cap de Malle-Baie est ce que nous appelons aujourd'hui le cap à l'Aigle.] [Note 628: Ce passage, pour être intelligible, doit se lire comme suit: «Du port aux Saumons au cap de Malle Baye est distant d'une lieue; doublé ce cap, rangeant la coste d'un quart ou demy lieue, il y a ancrage pour des vaisseaux.»] Du Cap de Male Baye jusqu'à la riviere Plate[629] trois lieues, ceste riviere est dans une anse qui asseche de Bassemer, reservé un petit courant d'eaue qui vient de la riviere, qui est assez spatieuse, il y a force rochers dedans, qui ne la rendent navigeable que pour les canaux des sauvages qui servent à surmonter toutes sortes de difficultez avec leurs bateaux d'escorse. [Note 629: La rivière de la Mallebaie.] De la riviere Plate au Cap de la riviere Plate [630], faisant le Surouest trois lieues & demie, entre les deux est un petit ruisseau anse ou[631] devant iceluy il y a ancrage, comme devant la riviere Platte pour des vaisseaux. Estant un peu vers l'eaue de l'Anse la sonde vous gouverne, vous prendrez tant & si peu d'eaue que vous voudrez, soit pour vaisseaux ou barques, le fond est sable en la plus part de ces endroits. [Note 630: Aujourd'hui le cap aux Oies.] [Note 631: Ou anse.] 116/1100 Du Cap de la riviere Platte au Surouest il y a deux lieues[632], vous passez plusieurs petites anses qui sont remplies de Rochers, comme est partie de toute la coste depuis Tadoussac jusqu'en ce lieu, toutes les terres sont fort hautes, & le pays fort sauvage & desagreable, remplis de pins, sapins, cèdres, bouleaux & quelques autres arbres, si ce n'est quelque rencontre de petites valées qui sont agréables. Du Cap aux oyseaux[633] à l'Isle au Coudre, il y a une bonne lieue, elle a une lieue & demie [634] de longueur, eslevée par le milieu comme un costeau, chargée d'arbres de pins, sapins, cèdres, bouleaux, hestres & des coudriers par endroits. Au bout de ladite Isle du Surouest sont des prez, & un petit ruisseau qui vient de ladite Isle, avec quantité de bonnes sources d'eaues très excellentes, en icelle est nombre de lapins, & quantité de gibier, qui y vient en saison: il se voit nombre de pointes de rochers au tour d'icelle, & notamment une qui avance beaucoup en la riviere du costé du Nort, de quoy il se faut donner de garde, la marée y court avec beaucoup de violence, comme au milieu de Lachenal, elle est esloignée de la terre du Nort demie lieue, terre de rochers assez haute, il y a ancrage entre les deux pour des vaisseaux, en se retirant un peu du courant 117/1101 du costé du Nort demy quart de lieue dudit Cap aux oyes[635]. A une lieue de ladite Isle au Nort, est une grande anse[636] qui asseche de bassemer, où il y a nombre de rochers espars ça & là, en ce lieu descend une riviere qui n'est navigeable que pour des canaux, y ayant nombre de sauts, elle vient des montagnes qui paroissent dedans les terres fort hautes chargées de pins & sapins. [Note 632: C'est-à-dire, «du cap aux Oies, au sud-ouest, l'espace de deux lieues, vous passez,» etc.] [Note 633: Il semble que ce cap correspond au cap Martin.] [Note 634: Deux lieues.] [Note 635: «Il y a ancrage entre l'île et la terre du Nord, en se retirant un peu du courant, du côté du nord _de l'île_, demi-quart de lieue du cap aux Oies (cap à l'Aigle, sur l'île).» Ce mouillage nous paraît être celui de l'anse des Prairies; et le nom de cap aux Oies, donné au cap à l'Aigle de l'île aux Coudres, pourrait bien être la cause de toute la confusion qui règne dans la géographie ancienne de ces parages.] [Note 636: L'anse des Éboulements.] Au Su de l'Isle au Coudre, il y a nombre de basses & rochers, qui sont sur le travers de la riviere prés d'une lieue, tout cela couvre de plaine mer, plus au midy est lachenal, où les vaisseaux peuvent aller, à quatre ou cinq brasses d'eaue de bassemer, rangeant quantité d'Isles, les unes contenant une à deux lieues, & autres moins, en aucunes sont des prairies qui sont fort belles, où en la saison y vient une telle quantité de gibier qu'il n'est pas croyable à ceux qui ne l'ont veue: ces Isles sont chargées de grands arbres, comme pins, sapins, cèdres, bouleaux, ormes, fresnes, érables, & quelque peu de chesnes, en aucunes. Si vous attendez la plaine mer vous treuverez sept à huict brasses d'eaue, jusqu'à ce que l'on soit au travers de l'Isle au Ruos, à lors l'on treuve dix, douze, & treize brasses d'eaue, allant à Québec passant au Su de l'Isle d'Orléans. Du costé du Su de ces Isles est encore un autre partage où il n'y a pas moins de huict brasses d'eaue: pour n'estre encore bien recognue, l'on n'en fait point d'estime ne grande recherche, puisqu'on en a d'autres: De ces Isles à la terre du Su il y a environ deux lieues, la mer y asseche prés d'une 118/1102 lieue: en ce lieu est une riviere fort belle qui vient des hautes terres, toute chargée de forests, où sont quantité d'eslans & cariboux, qui sont presque aussi grands que cerfs, la chasse du gibier abonde sur les batures qui assechent de basse mer. Retournons au Nort du passage de ladite Isle au Coudre, double la pointe de rochers[637] tousjours la sonde à la main, pour suivre la Chenal & eviter les basses, tant de costé que d'autre, mettant le Cap au Surrouest vous rangez sept lieues de coste jusqu'au Cap Brulé demie lieue[638] du Cap de Tourmente, laquelle terre est fort montueuse, pleine de rochers, & couverte de pins, & sapins, y ayant nombre de ruisseaux qui viennent des montagnes se descharger en la riviere. [Note 637: «Doublé la pointe de la Prairie.»] [Note 638: Deux lieues.] Comme l'on est au Cap Brulé, il faut mettre le Cap sur le bout de l'Isle du Nordest appellé des Ruos[639], qui vous sert de marque pour suivre la Chenal, il y a deux lieues de passage qui est le plus dangereux & difficile à passer depuis Tadoussac, à cause des batures & pointes de rochers qui sont en ce traject de chemin, neantmoins il ne laisse d'y avoir assez d'eaue jusques à cinq brasses de bassemer, tousjours la sonde à la main, car par ce moyen vous conduirez le fond jusqu'à ce que treuviez dix à douze brasses d'eaue: alors l'on suit le fond costoyant l'Isle d'Orléans au Su, qui a six lieues de longueur & une & demie de large, en des endroits chargée de quantité de bois, de toutes les sortes que nous avons en France, elle est 119/1103 très belle bordée de prairies du costé du Nort, qui innondent deux fois le jour. Il y a plusieurs petits ruisseaux & sources de Fontaines, & quantité de vignes qui sont en plusieurs endroits. Au costé du Nort de l'Isle y a un autre passage, bien que en la Chenal il y aye au moindre endroit trois brasses d'eaue, cependant l'on rencontre quantité de pointes, qui avancent en la riviere, très dangereuses & peu, de louiage, si ce n'est pour barques, & si faut faire les bordées courtes. Entre l'Isle & la terre du Nort il y a prés de demie lieue de large, mais la Chenal est estroit, tout le païs du Nort est fort montueux. Le long de ces costes y a quantité de petites rivieres qui la plus part assechent de basse mer, elle abonde en poisson de plusieurs sortes, & la chasse du gibier qui y est en nombre infiny, comme à l'Isle & aux prairies du Cap de Tourmente, très beau lieu & plaisant à voir pour la diversité des arbres qui y sont, comme de plusieurs petits ruisseaux qui traversent les prairies, ce lieu est grandement propre pour la nourriture du bestial. [Note 639: «Sur le bout du nordest de l'île aux Reaux.»] De l'Isle d'Orléans à Québec y a une bonne grande lieue, y ayant de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce toit, de façon que qui voudroit venir de Tadoussac l'on le pourroit faire aisement avec des vaisseaux de plus de trois cens tonneaux, il n'y a qu'à prendre bien son temps & ses marées à propos pour y aller avec seureté. Retournant à la continuation de nostre voyage de Québec, ledit de la Ralde fit descharger de ses vaisseaux quelque nombre de bariques de galettes & pois, tant dans le vaisseau des Peres 120/1104 Jesuites, qu'au nostre: Nous sceusmes par des Basques qui s'estoient sauvez de leur navire, lequel s'estoit brûlé dans un port appelle Chisedec qui est au fleuve sainct Laurent, par un petit garçon qui malheureusement mit le feu aux poudres, y estant allez pour faire pesche de balaines, de là furent à Tadoussac avec leurs chalouppes où ils traitterent quelques peleteries, & s'en vinrent à l'Isle Percée, pour treuver passage pour retourner en France, ledit de la Ralde se délibéra de les mener à Miscou pour plus amplement s'informer de ce qu'ils avoient fait & traitté, & premier que partir il vint à bort le 21 dudit mois, & délibéra d'aller à Miscou pour recouvrir de certaines debtes que les sauvages luy devoient, & voir en quel estat estoient les marchandises qu'il avoit aissées l'année d'auparavant en garde à un sauvage appellé Jouan chou, me promettant que dans un mois plus tard il viendroit à Québec, nous apportant toutes les choses qui nous manquoient, principalement des poudres & des mousquets, comme il avoit esté chargé de m'en fournir. Il fit assembler son esquippage, leur disant que ne pouvant aller pour l'heure en son vaisseau, il y mettroit ledit Emery pour y commander, & que l'on luy obéit comme à sa propre personne, en le chargeant particulièrement de dire aux matelots prétendus reformés, qu'il ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans le fleuve sainct Laurent, cela dit il se desembarqua. Et nous levasmes l'ancre & mismes sous voilles avec vent favorable. Le soir ledit Emery fit assembler son esquippage, 121/1105 leur disant que Monseigneur le Duc de Ventadour ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans la grande riviere comme ils avoient fait à la mer, ils commencèrent à murmurer & dire qu'on ne leur devoit oster ceste liberté: en fin fut accordé qu'ils ne chanteroient point les Pseaumes, mais qu'ils s'assembleroient pour faire leurs prières, car ils estoient presque les deux tiers de huguenots, & ainsi d'une mauvaise debte l'on en tire ce que l'on peut. Le 25 de Juin nous mouillasmes l'ancre le travers du Bicq, quatorze lieues à l'Est de Tadoussac. Ledit Emery despescha une chalouppe à Québec pour advertir ledit du Pont de nostre venue. Sur le soir appareillasmes pour aller à Tadoussac. La nuict s'esleva une si grande brune que le l'endemain au matin pensasmes aborder un Islet prés de l'Esquemain terre du Nort, ce qu'ayant esvité heureusement nous mismes vers l'eaue, & la brune continuoit si fort que l'on ne voyoit pas presque la longueur du vaisseau, l'on fit mettre nostre batteau dehors entre la terre & nous, & un trompette, affin que quand ils verroient la terre ils nous en advertissent par le son d'icelle, car l'on n'eust peu voir le bateau à cinquante pas de nous, & comme il s'apperceut en estre fort proche il nous donna advis que n'en devions pas approcher de plus près: & de plus advisa un petit vaisseau d'environ cinquante tonneaux qui avoit mouillé l'ancre entre deux pointes, & qui traittoit avec les sauvages du Port de Tadoussac: ce qu'ayant apperceu il fait devoir de venir à nous, par le moyen du son de la trompette & 122/1106 d'un autre qui leur respondoit de nostre vaisseau, nous ayant apperceus ils nous dirent ces nouvelles: mais comme nous estions de l'avant du vaisseau & le vent & marée contraires pour retourner au lieu où estoit ledit vaisseau la brune qui nous affligeoit fort, & nostre vaisseau mauvais voilier, nous ne peusmes rien faire. Ledit vaisseau ayant sceu que nous estions proche de luy, par le moyen d'un canau de Sauvages qui estoit vers l'eaue, lequel ayant apperceu nostre basteau, les alla promptement advertir, & aussi tost coupperent leurs câbles sur l'escubier, laisserent leur ancre & basteau, mettent sous voiles, ce que nous apperceusmes, & une esclercie, & estant meilleur voilier, il s'esloigna en peu de temps de nous, ce qui nous occasionna de mettre à l'autre bord. Comme le vaisseau des pères Jesuites qui avoit fait chasse sur luy, & s'il eust esté bien armé il l'eust emporté, car il fut jusqu'à parler audit vaisseau, & prit on le basteau du Rochellois: De ceste marée Rochelois fusmes mouillier l'ancre à la pointe des Bergeronnes, attendant la marée pour aller à Tadoussac, auquel lieu l'on envoya des Charpentiers & Calfeustreurs, pour accommoder les barques qui y estoient. Le Samedy 27, levasmes l'ancre & nous vinsmes mouillier le travers du moulin Baudé, à deux lieues du Cap des Bergeronnes. Un François qui estoit venu de Québec, nous dit que du Pont avoit esté malade, tant des gouttes que d'autre maladie, & qu'il en avoit pensé mourir: mais que pour lors il se portoit bien & tous les hyvernans, mais fort necessiteux de vivres 123/1107 comme le mandoit ledit du Pont, lequel avoit despesché une chalouppe pour envoyer à Gaspey & à l'Isle Percée, pour sçavoir des nouvelles, & treuver moyen d'avoir des vivres s'il estoit possible, pour n'abandonner l'habitation, & pouvoir repasser en France la plus grande partie de ceux qui avoient hyverné, craignans que nous ne fussions perdus, ou qu'il fust arrivé quelqu'autre fortune pour estre si tard à venir, qu'ils n'avoient plus que deux poinçons de farines, qu'ils reservoient pour les malades qui pourroient y avoir, estans réduits à manger du Migan comme les sauvages. Voilà les risques & fortunes que l'on court la plus part du temps, d'abandonner une habitation & la rendre en telle necessité qu'ils mourroient de faim, si les vaisseaux venoient à se perdre, & si l'on ne munit ladite habitation de vivres pour deux ans, avec des farines, huilles, & du vinaigre, & ceste advance ne se fait que pour une année, attendant que la terre soit cultivée en quantité pour nourrir tous ceux qui seroient au pays, qui seroit la chose à quoy l'on devroit le plus travailler après estre fortifié & à couvert de l'injure du temps. Ce n'est pas que souvent je n'en donnasse des advis, & representé les inconveniens qui en pouvoient arriver: mais comme cela ne touche qu'à ceux qui demeurent au pays, l'on ne s'en soucie, & le trop grand mesnage empesche un si bon oeuvre, & par ainsi le Roy est très mal servy, & le sera tousjours si l'on n'y apporte un bon reiglement, & estre certain qu'il s'exécutera. 124/1108 Le 29 dudit mois nous entrasmes au port de Tadoussac où il y avoit quelque trente cinq cabanes de sauvages. Le dernier de Juin une barque partit chargée de vivres pour l'habitation, & de marchandises pour la traitte, le père Noyrot Jesuiste & le Père Joseph Recollet s'en allèrent dedans. Le premier de Juillet je partis pour aller à Québec, où arrivé le cinquiesme dudit mois, je vis ledit du Pont, tous les Peres & autres de l'habitation en bonne santé: après avoir visité l'habitation & ce qui s'estoit fait du depuis mon départ pour les logements, je ne le trouvay si advancé comme je m'estois promis, voyant que les hommes & ouvriers ne s'estoient pas bien employez comme ils eussent bien peu faire, & le fort estoit au mesme estat que je l'avois laissé, sans qu'on y eust fait aucune chose, (ce que je m'estois bien promis à mon départ,) ny au bastiment de dedans qui n'estoit que commencé, n'y ayant qu'une chambre où estoient quelques mesnages, attendant qu'on l'eust parachevé, je voyois assez de besongne d'attente, bien qu'à mon départ de deux ans & demy[640] j'avois laissé nombre de matériaux prests, & bois assemblé, & dix-huict cens planches sciées pour les logemens, ausquels les ouvriers firent de grandes fautes, pour n'avoir suivy le dessein que j'avois fait & monstré[641]. [Note 640: Il n'y avait pas encore tout à fait deux ans; Champlain avait quitté Québec le 15 d'août 1624 (voir ci-dessus, p. 83), et il était de retour le 5 juillet 1626.] [Note 641: Voir ci-dessus, p. 68, note 1.] Après avoir tout consideré, je jugé combien par le temps passé les ouvriers perdoient le temps aux plus beaux & longs jours de 125/1109 l'année, pour entretenir le bestial de foin, qu'il falloit aller quérir au Cap de Tourmente à huict lieues[642] de nostre habitation, tant à faucher & faner, qu'à l'apporter à Québec, en des barques qui sont de peu de port, où il failloit estre prés de deux mois & demy, employant plus de la moitié de nos gens de travail, qui ne passoient pas vingt quatre, de cinquante cinq personnes qui estoient en ladite habitation, cela me fit resoudre de mettre en effect ce que long temps auparavant j'avois délibéré. L'ayant donné à entendre aux associez qui fit que j'allay aux prairies dudit Cap de Tourmente, choisir un lieu propre pour y faire une habitation, à y loger quelques hommes pour la conservation du bestial, & y faire une estable pour les retirer, & par ce moyen estant une fois là, l'on ne seroit plus en soucy de ce qui nous donnoit de l'incommodité, & les ouvriers si peu qu'il y en avoit, ne perderoient le temps comme au passé. [Note 642: Huit lieues marines, de 20 au degré. Il faut se rappeler que Champlain ne donne à l'île d'Orléans (ci-dessus, p. 118) que six lieues; et elle n'a guère que six lieues marines aussi. Les prairies naturelles du cap Tourmente étaient donc environ une lieue plus bas que l'île, c'est-à-dire, entre le ruisseau de la Petite-Ferme et la rivière de la Friponne.] Je choisis un lieu[643] où est un petit ruysseau & de plaine mer, où les barques & chalouppes peuvent aborder, auquel joignant y a une prairie de demye lieue de long & davantage, de l'autre costé est un bois qui va jusques au pied de la montagne dudit Cap de Tourmente demie lieue de prairies[644], lequel 126/1110 diversifié de plusieurs sortes de bois, comme chesnes, ormes, fresnes, bouleaux, noyers, pommiers sauvages, & force lembruches de vignes, pins, cèdres & sapins, le lieu de soy est fort agréable, où la chasse du gibier en sa saison est abondante: & là je me resolus d'y faire bastir le plus promptement qu'il me fut possible, bien qu'il estoit en Juillet je fis neantmoints employer la plus part des ouvriers à faire ce logement, l'estable de soixante pieds de long & sur vingt de large, & deux autres corps de logis, chacun de dix-huict pieds sur quinze, faits de bois & terre à la façon de ceux qui se font aux villages de Normandie, ayant donné ordre en ce lieu, je m'en retournay à Québec, pour remédier aux autres choses, qui fut le huictiesme dudit mois, où estant, j'envoyay le sieur Foucher pour avoir esgard à ce que les ouvriers ne perdissent leurs temps, avec des vivres pour leur nourriture, & tous les huict jours je faisois un voyage en ce lieu pour voir l'advancement de leur travail. [Note 643: Ce lieu «où est un petit ruisseau» est l'emplacement actuel des bâtisses de la Petite-Ferme, comme le prouve la carte du sieur Jean Bourdon de 1641, où l'on trouve, précisément à cet endroit, les mots: _Vieille habitation_. Effectivement, l'on y a découvert, il y a quelques années, des restes d'anciennes fondations dont l'existence ne paraît pas pouvoir s'expliquer autrement.] [Note 644: Ces quelques mots, qui font répétition, devaient sans doute aller en marge.] Je consideré d'autre part que le fort[645] que j'avois fait faire estoit bien petit, pour retirer à une necessité les habitans du pays, avec les soldats qui un jour y pourroient estre pour la deffense d'iceluy, quand il plairoit au Roy les envoyer, & falloit qu'il eust de l'estendue pour y bastir, celuy qui y estoit avoit esté assez bon pour peu de personnes, selon l'oyseau il falloit la cage, & que l'agrandissant il se rendroit plus commode, qui me fit resoudre de l'abatre & l'agrandir, ce que je fis jusqu'au pied, pour suivre mieux le 127/1111 dessein que j'avois, auquel j'employay quelques hommes qui y mirent toute sorte de soing pour y travailler, affin qu'au printemps il peust estre en deffence, cela s'exécuta, sa figure est selon l'assiette du lieu que je mesnagé avec deux petits demy bastions bien flanquez, & le reste est la montagne, n'y ayant, que ceste advenue du costé de la terre qui est difficile à approcher, avec le canon qu'il faut monter 18 à 20 toises, & hors de mine, à cause de la dureté du rocher, ne pouvant y faire de fosse qu'avec une extrême peine, la ruine du petit fort servir en partie à refaire le plus grand qui estoit édifié de fascines, terres, gazons & bois, ainsi qu'autrefois j'avois veu pratiquer, qui estoient de très bonnes forteresses, attendant un jour qu'on la fit revestir de pierres à chaux & à sable qui n'y manque point, commandant sur l'habitation, & sur le travers de la riviere. [Note 645: Le fort Saint-Louis, à Québec.] Ainsi je donné ordre à faire couvrir la moitié de l'habitation que j'avois fait commencer premier que partir, & quelques autres commoditez qui estoient necessaires. Voilà tous nos ouvriers employez au nombre de 20, bien qu'une partie du temps il y en avoit qui estoient empeschez à aller dans les barques, qui ne servoient de rien à l'habitation. Le père Noyrot amena vingt hommes de travail que le reverend Pere Allemand[646] employa à se loger, & desfricher les terres où ils n'ont perdu aucun temps, comme gens vigilants & laborieux, qui marchent tous d'une mesme volonté sans discorde, 128/1112 qui eut fait que dans peu de temps ils eussent eû des terres pour se pouvoir nourrir & passer des commoditez de France, & pleust à Dieu que depuis 23 à 24 ans les societez eussent esté aussi reunies & poussées du mesme desir que ces bons Peres: il y auroit maintenant plusieurs habitations & mesnages au païs, qui n'eussent esté dans les trances & apprehensions qu'ils se sont veues. [Note 646: Le P. Charles Lalemant, supérieur.] Le 14 dudit mois arriva le père de la Noue de Tadoussac, qui nous dit que depuis que Emery estoit party dudit lieu[647] que ceux de l'équipage ne s'estoient pas souciez des deffences qu'il avoit faites à son départ, de ne chanter des pseaumes, ils ne laisserent de continuer, de sorte que tous les sauvages les pouvoient entendre de terre, cela n'importe à leur dire, c'est le grand zèle de leur foy qui opère. [Note 647: Il avait dû partir de Tadoussac pour la traite le 30 juin. (Voir ci-dessus, p. 124.)] Les peres de la Nouë &, Breboeuf, qui avoient hyverné avec le reverend Père l'Allemand, se delibererent d'aller aux Hurons[648] hyverner, voir le païs, apprendre la langue, & considerer quelle utilité & bien l'on pourroit esperer pour l'acheminement de ces peuples à nostre foy: aussi il y eut un père Recollet appellé le père Joseph de la Roche qui y avoit hyverné l'année d'auparavant desdits Peres jesuistes, avec le mesme dessein, & quelques François qu'on envoya pour obliger les sauvages à venir à la traitte. [Note 648: D'après la Relation 1626, ils ne seraient partis que vers la fin de juillet.] Le mesme jour arriverent trois ou quatre chaloupes qui alloient à Tadoussac, & d'aucuns qui estoient dedans, dirent qu'il y avoit des prétendus reformez qui faisoient leurs prières en 129/1113 quelques barques, s'assemblant au desceu dudit Emery de Caen, qui fut cause que je luy en donnay advis, afin qu'il y mit ordre, tant là, qu'à Tadoussac. Le 22 dudit mois arriva une chaloupe à Québec, de la part dudit de la Ralde de Miscou, lequel m'escrivit qu'il ne pouvoit venir cette année, d'autant qu'il avoit treuvé plusieurs vaisseaux qui avoient traitté des peleteries, contre les deffences du Roy, & pour ce, s'en vouloir saisir & les amener en France, escrivant audit Emery de Caen qu'il eust à envoyer l'alouette vaisseau des peres Jesuistes & l'armer des choses necessaires pour se rendre tant plus fort & maistre desdits vaisseaux qui traittoient. Un canau arriva de la riviere des Yrocois, ce mesme jour, qui nous dit que cinq Flamands avoient esté tuez par les sauvages Yrocois, qui par cy devant avoient esté leurs amis, qui ont maintenant guerre avec les Mahiganathicoit[649], où sont les Flamands au 40e degré, costes attenantes à celle des Virgines où l'Anglois habite. [Note 649: Probablement une tribu des Mahingans, et peut-être les Mahingans eux-mêmes.] Le 25e jour d'Aoust ledit Emery partit de Québec. Et ledit du Pont se délibéra de repasser en France, bien que ledit sieur de Caen [650] lui mandoit que cela seroit en son option de demeurer s'il vouloit, & s'estant resolu de s'en retourner, Cornaille de Vendremur d'Envers[651] demeura en sa place, pour avoir soing de la traitté & des marchandises du magazin, avec 130/1114 un jeune homme appellé Olivier le Tardif de Honnefleur, sous-commis qui servoit de truchement. Tous nos vivres estans desembarquez je les fis visiter, le nombre qu'il y avoit estoit peu, qui estoit pour tomber en des inconvenients d'une mauvaise attente, comme j'ay dit cy dessus, si Dieu ne nous aydoit par le prompt retour des vaisseaux. [Note 650: Le sieur Guillaume de Caen.] [Note 651: Corneille de Vendremur (peut-être pour Vander-Mur ou Vander-Meer), d'Anvers. Le plus souvent, il est appelé simplement Corneille.] Le 15 de Septembre j'envoyay le bestial au Cap de Tourmente, d'où il y a sept lieues[652]. Et le 21 je fis porter des vivres & commoditez, pour six hommes, une femme & une petite fille. [Note 652: Un peu plus haut, l'auteur compte huit lieues, et il devait y avoir au moins huit grandes lieues. (Voir la note 1 de la page 125.)] Le 24 s'en revindrent tous les ouvriers dudit Cap, qui avoient parachevé le logement tant pour les hommes que pour le bestial, lesquels hommes j'employay à aller couper nombre de pièces de bois pour sier en hyver & faire la charpente necessaire à faire les logements. Le 24 du mois d'Octobre je fus audit Cap de Tourmente, & delà pensois aller aux Isles, qui sont le travers pour recognoistre quelques particularitez, mais le vent de Nordest s'esleva si fort que nous pensasmes périr, toutes nos commoditez furent perdues, nostre chalouppe grandement offencée, qui nous contraignit de relacher & retourner à Québec. Le 30 dudit mois s'esleva un si grand coup de vent, de Nordest, que la mer croissant extraordinairement, nous brisa une de nos barques sans y pouvoir remédier, laquelle estoit toute pourrie au fond pour estre trop vieille, Dieu permettant ce mal-heur pour un autre plus grand bien. 131/1115 Le mois de Novembre est fort variable en ces lieux, tantost il y neige, pleut & gele, avec quelques coups de vents advancoureurs de l'hyver, neantmoins je ne laissay durant ce temps, de faire amaner quantité de pièces de bois pour employer les charpentiers & sieux d'ais pendant l'hyver, qui nous surprit plustost qu'à l'accoustumée, qui fut le 22 dudit mois, la grande riviere commença à charier de petites glaces. Le 7 de Décembre mourut de la jaulnisse un des ouvriers des Peres, qui estoit assez aagé. Le 17 dudit mois le reverend père l'Allemand baptisa un petit sauvage[653], qui n'avoit que dix à douze jours, par la permission de son père appellé Caquémisticq, le lendemain fut enterré au cemetiere de l'habitation[654]. [Note 653: D'après Sagard, c'était une petite fille. On envoya quérir le P. Joseph pour baptiser l'enfant, qui était «assez foible & fluette, ce que sçachant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant trouvé assez forte en différa le baptesme avec consentement de la mère, jusques à l'arrivée du Père Charles Lallemant qu'il fut quérir en nostre Convent, luy référant ceste honneur, en recognoissance de la peine qu'ils avoient prise de nous venir seconder à rendre les Sauvages enfans de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retournèrent de compagnie à la cabane de l'accouchée, où ils trouverent le mary arrivé de son voyage... Ce pauvre sauvage se monstra très content de voir sa femme heureusement accouchée & en bonne santé, marry seulement de voir son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque discours, sçavoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui qu'il en avoit prie le P. Joseph, & sa femme plus attachée à ses superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron & Lallemant, lesquels cognoissans ce petit différent survenu entre le mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent bien tost vaincus de raisons, & fait consentir de rechef qu'elle seroit baptizée, ce qui fut fait par le R. P. Lallemant, à la prière du P. Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, & cohéritière de sa gloire.» (Hist. du Canada, p. 585, 586.)] [Note 654: «Le Père Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils avoient enveloppé à leur mode, pour la mettre en terre saincte au Cimetière proche Kebec... A ceste cérémonie se trouverent deux de nos religieux, sçavoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le F. François Jesuite avec plusieurs François de l'habitation, qui tous ensemblement se transporterent à la cabane de la deffuncte, qu'ils prirent & la portèrent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans le Psaulme ordonné aux enfans, puis le R. P. Lallement ayant dit la saincte Messe on fust l'enterrer au cimetière avec un assez beau convoy pour le pays, car le père de l'enfant marchoit tout le beau premier couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias & bigarures, & avec luy marchoit le sieur Hébert & les autres François en suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonné, non si gravement mais moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque signalé Prélat.» (_Ibid_. P. 587, 588.)] 132/1116 Le 25 de Janvier, Hébert fit une cheute qui luy occasionna la mort[655]: c'a esté le premier chef de famille resident au païs, qui vivoit de ce qu'il cultivoit. [Note 655: «Dieu voulant, dit Sagard, retirer à foy ce bon personnage & le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines après le baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de rendre son âme entre les mains de son Créateur, il se mist en l'estat qu'il desiroit mourir, receut tous ses Sacremens de nostre P. Joseph le Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Après quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans ausquels il fist une briefve exhortation de la vanité de cette vie, des tresors du Ciel & du mérite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il a pleu à nostre Seigneur me faire la grâce de voir mourir devant moy des Sauvages convertis. J'ay passé les mers pour les venir secourir plustost que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre pouvoir. Dieu vous en sçaura gré & vous en recompensera en Paradis: ils sont créatures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que nous s'ils en avoient la cognoissance à laquelle je vous supplie de leur ayder par vos bons exemples & vos prières. Je vous exhorte aussi à la paix & à l'amour maternel & filial, que vous devez respectivement les uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fondée en charité, cette vie est de peu de durée, & celle à venir est pour l'éternité, se suis prest d'aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel il faut que je rende compte de toute ma vie passée, priez le pour moy, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, & que je sois un jour du nombre de ses esleus; puis levant sa main il leur donna à tous sa bénédiction, & rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25e jour de Janvier 1627, jour de la Conversion sainct Paul, & fut enterré au Cimetière de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit demandé estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade, comme si Dieu luy eut donné quelque sentiment de sa mort prochaine.» (Hist. du Canada, p. 590, 591.) Suivant le P. le Clercq, le corps d'Hébert fut relevé en 1678, par les soins du Révérend P. Valenrin le Roux, alors Commissaire et Supérieur des Récollets de Québec, et «transporté solemnellement dans la cave de la Chapelle de l'Eglise» du nouveau couvent qu'on venait de bâtir. «Madame Couillard, fille du sieur Hébert, qui vivoit encore alors, s'y fit transporter, & voulut estre presente à cette translation.» (Prem. établiss. de la Foy, 1, 375.)] Le 22 de Mars, les sauvages me donnèrent deux eslans male & femelle, le malle mourut pour avoir trop couru & travaillé, estant poursuivy des sauvages, lesquels nous firent part de quelque chair d'eslan: l'hyver que j'y passay fut un des plus 133/1117 longs que j'aye veu en ce lieu, qui fut depuis le 21 de Novembre jusqu'à la fin d'Avril, il y avoit sur la terre quatre pieds & demy de neiges, & à Miscou huict, qui est dans le golphe sainct Laurent, à 155 lieues de Québec, où ledit de la Ralde avoit laisse quelques François hyverner, pour traitter quelque reste de marchandises qui luy restoient, & qu'il ne voulut rapporter en France: ils faillirent tous à mourir du mal de terre, j'envoyay visiter ceux qui estoient au Cap de Tourmente, lesquels s'estoient fort bien portez, mais avoient un peu mal mesnagé leurs vivres, & leurs en fallut donner d'autres, aux despens des hyvernans de l'habitation, qui n'avoient pas assez de farines que quelques galettes, qui suppléerent au deffaut: sans cela nous eussions esté très mal, comme de toutes autres choses, pour n'avoir pourvue en France de bonne heure aux commoditez necessaires pour l'habitation. _Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois. L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres_. CHAPITRE III. Pendant l'hyver quelques uns de nos sauvages furent aux habitations des Flamands, lesquels les sauvages dudit pays solliciterent les nostres de faire la guerre aux Yrocois, qui leurs avoient tué vingt quatre sauvages & cinq Flamands qui ne leurs avoient voulu donner partage, pour aller faire la guerre 134/1118 à une nation appellée les Loups ausquels lesdits Yrocois vouloient du mal, & pour engager nos sauvages à ceste guerre, qui avoient la paix avec lesdits Yrocois, ils leurs donnèrent des presens de colliers de pourcelaine, pour faire donner à quelques Chefs, comme au reconcilié & autres, afin de rompre cette paix. Ces Messagers estans de retour donnèrent les colliers aux Chefs, qui les ayant receuz délibérèrent de s'assembler bon nombre, avec les Algommequins & autres nations, & s'en aller treuver les Flamands & sauvages pour faire une grande assemblée ruiner les villages Yrocois, avec lesquels au precedent ils avoient paix, n'estans qu'à deux journées d'eux, & douze de Québec. Il y avoit plusieurs de nos sauvages qui ne vouloient point ceste guerre, ains la continuation de la paix avec les Yrocois, & ce qui fut cause d'un grand trouble entre ces peuples, desquelles nouvelles je n'avois encore rien sceu que par un Capitaine sauvage des nostres, appelle Mahigan Aticq, qui ne voulut consentir à ceste guerre, que premier il n'eust eu mon advis, ce que je luy promis: il me discourut fort particulièrement de toute ceste affaire, jugeant où cela pouvoit aller, car l'importance n'estoit pas seulement de ruiner les Yrocois comme ennemis des Flamands, mais le tout tiroit à plus grande consequence, que je passeray sous silence. Je dis audit Mahigan Aticq que je luy sçavois bon gré de m'avoir donné cet advis, mais que je treuvois fort mauvais, comme ledit reconcilié & autres avoient pris ces presens, & délibéré ceste guerre sans m'en advertir, veu que c'estoit moy 135/1119 qui m'estois entremeslé de faire la paix pour eux avec lesdits Yrocois, considerant le bien qui leur en arrivoit de voyager librement amont la grande riviere, & dans les autres lieux, autrement n'estant qu'en peur de jour en jour, de se voir massacrer & pris prisonniers, eux, leurs femmes & enfans, comme ils avoient esté par le passé: la où recommençant ceste guerre, c'estoit rentrer de fiévre en chault mal, & que pour moy je ne pouvois consentir à une meschanceté: qu'eux & moy leur avions donné parole de ne leurs faire aucune guerre, sans qu'au préalable ils ne nous en eussent donné suject, & que pour ceux qui entreprenoient ceste affaire, touchant la guerre sans nous en communiquer, je ne les tenois point pour mes amis, mais ennemis, & que s'ils faisoient cela sans quelque suject, je ne les voulois point voir à Québec, que néanmoins où je treuverois lesdits Yrocois je les assisterois comme amis, contre les sauvages proche des Flamands, qui estoient ennemis comme leurs ayant fait la guerre, estant allé autre fois aux Mahiganaticois, qui sont ceux de ceste mesme nation qui nous avoient tué malheureusement de nos hommes, que pour le reconcilié s'il avoit pris ces presens, que je ne le voulois plus voir ny tenir pour mon amy, s'il ne les renvoyoit, n'aller en guerre s'il les retenoit, que c'estoit estre de mauvaise foy, que promettre une chose pour en faire une autre, & que se laisser corrompre pour des presens, & je ne pouvois que penser de telles personnes, & que si on leurs en donnoit pour faire quelque meschanceté contre nous, ils le feroient. Et entre autres discours tendant à cet effect, il me dit que j'avois 136/1120 raison, & qu'il falloit aller en diligence aux trois Rivieres, au Conseil qui se devoit delibérer, & que mesme il y en avoit quelque nombre qui vouloient aller faire une course au pays desdits Yrocois pour en attraper quelques-uns, premier qu'aller vers les Flamans, si je n'y allois ou envoyois, & me pria instamment d'y envoyer puis que ma commodité ne le pouvoit permettre d'y aller; d'autant, me dit-il, qu'ils ne me voudroient pas croire de ce que je pourrois leur dire de sa part: mais y envoyant ils verront la vérité, & ce que tu desires. Sur ce je me délibère d'y envoyer Boullé mon beau frere avec un truchement, le lendemain le reconcilié me vint treuver, qui avoit ouy quelque vent que je sçavois quelque chose de cette affaire, je luy fis fort froide réception, & ne me peus empescher de luy tesmoigner le desplaisir que j'en avois: il me dit qu'il ne sçavoit rien de cette affaire, mais jugeant que j'estois bien certain de tout ce qui se passoit, il s'en alla doucement s'embarquer en un Canau, va au trois Rivieres premier que mon beau-frère & ledit Mahigan aticq y fussent, où il tesmoigna n'avoir agréable cette guerre, & se montera aussi contraire comme il y avoit esté porté, mais quelques Algommequins estoient partis pour aller en leur pays, & de là à la guerre sans nostre sceu, qui occasionna du malheur tant pour nos Sauvages que pour nous, comme il sera dit cy-aprés. Le 9 dudit mois de May j'envoyay mon beau-frere pour aller à cette assemblée 30 lieues de Québec amont ledit fleuve, où ils s'assemblerent tous pour prendre la resolution: la moitié 137/1121 desiroit la continuation de la guerre, autres de la paix: il fut en fin resolu de ne rien faire jusques à ce que tous les vaisseaux fussent arrivez, & que les Sauvages d'autres nations seroient assemblés, ce qui occasionna mon beau-frère de revenir le 21 dudit mois, & me dit ce qui avoit esté resolu. Le Pere Joseph Recolet baptisa un petit Sauvage de l'aage de 18 à 20 ans, qui fut nommé Louys[656], au nom du Roy, le 23 de May. Quelque temps après il s'en retourna avec les Sauvages, comme fit un autre[657] qui avoit esté instruit en France, qui sçavoit bien lire, escrire, & passablement parler latin. [Note 656: Ce jeune sauvage était Néogaouachit, fils aîné de Choumin, surnommé le Cadet. Il fut baptisé dans la chapelle de la cour à Notre-Dame-des-Anges, le jour de la Pentecôte, qui tombait cette année le 23 mai, et fut tenu sur les fonts par Champlain lui-même et par Madame Hébert. Pour quelque raison de prudence, l'auteur ne permit pas que le baptême eût lieu à l'église paroissiale. Après la cérémonie, on donna un grand festin à tous les sauvages, et Champlain voulut que son filleul vînt à l'habitation dîner à sa propre table. (Sagard, Hist. du Canada, pp. 541-563.)] [Note 657: L'auteur paraît faire ici allusion à Pierre-Antoine Pastedechouan. (Voir Prem. établiss. de la Foy, I, 363; et Relat. 1633, p. 6.)] Le 7 de juin arriva un Canau où il y avoit deux François qui m'apportoient lettres des sieurs de la Ralde & d'Emery de Caen, qui estoient arrivez à Tadoussac le dernier de May 1627. Le 9 dudit mois de juin arriva ledit Emery, lequel ayant deschargé & pris ce qui luy estoit necessaire pour sa retraitte, il s'en alla au trois Rivieres, & après luy avoir dit ce qui s'estoit passé de cette affaire touchant cette guerre, & l'utilité que la paix nous apporteroit de ce costé-là si on pouvoit la continuer: mais comme Emery fut arrivé où estoient les Sauvages, il ne sceut tant faire, ny tous lesdits Sauvages, qui estoient là, que neuf ou dix jeunes hommes 138/1122 écervelez n'entreprinsent d'aller à la guerre, ce qu'ils firent sans qu'on les peust empescher, pour le peu d'obeissance qu'il portent à leurs chefs, ils furent par la riviere des Yrocois, arrivant au lacq de Champlain, où ils rencontrerent un Canau dans lequel estoit trois Yrocois, qui sous feinte d'estre encore amis, les prirent, un se sauva, & amenèrent les deux aux trois rivieres, de là ils retournèrent devant la riviere des Yrocois, où se devoit faire la traitte, & là commencèrent à mal traitter ces deux prisonniers en leur donnant plusieurs coups de bâtons & arrachant à l'un les ongles des mains, & se delibérant les faire mourir, les faisant promener de Cabanne en Cabanne, & contraignant de chanter comme est leur coustume, voila ce qui fut cause de l'esperance rompue de cette paix par accident. Cependant ledit sieur Emery faisoit ce qu'il pouvoit en suitte de l'advis que je luy avois donné de maintenir cette paix avec les Yrocois, leur remonstrant le peu de foy & de parole, & ne pouvant rien faire avec eux, il m'escrivit une lettre, me faisant entendre toutes les nouvelles: que ma presence y eust esté fort requise, ce qui fut cause qu'aussitost je m'embarquay dans un Canau avec Mahigan aticq qui fut le quatorziesme de Juillet, où arrivant au lieu où estoient lesdits prisonniers, je sceu que le mesme jour le Reconcilié avoit coupé les cordes desquelles ils estoient liez, ne desirant pas qu'il mourussent que premièrement ils ne m'eussent veu, & tenu conseil sur ce qu'ils devoient faire. Après avoir sceu toutes ces nouvelles dudit Emery, je fus à terre voir nos Sauvages & lesdits prisonniers qui se disoient 139/1123 frères, l'un aagé de vingt huict ans, beau Sauvage, & très-bien proportionné, & l'autre de dix-sept, qui me donnèrent de la compassion de les voir, & bien aise de ce qu'ils avoient esté delivrez des tourments qu'on leur vouloit faire souffrir. Le conseil fut assemblé sur ce que je leurs dy qu'ils avoient fait une grande faute de permettre à ces Sauvages d'avoir esté à la guerre, & grande lascheté à ceux qui y avoient esté d'avoir eu si peu de courage que les prendre sous ombre d'amitié, & les ayant si mal traittez comme ils avoient fait, & qu'asseurément cela leur pourroit estre vendu fort cher si l'on n'y trouvoit quelque remède, que les ennemis ne pourroient plus avoir subject de se fier en leurs paroles, que cecy estoit la deuxiesme mechanceté qu'ils leurs avoient faicte, & l'autre estoit qu'allant traitter de paix avec lesdits Yrocois, qui les avoient bien receus, cependant en s'en retournant ils avoient assommé un des leurs, & que leur bonté leur avoit pardonné. Estans tous assemblez je leur donnay à entendre qu'ils considerassent combien de bien ils recevoient de la paix au prix de la guerre, qui n'apporte que plusieurs malheurs, qu'ils sçavoient comme ils en avoient esté par le passe: que pour nous cela nous importoit fort peu: mais que la compaission que nous avions de leur misere nous obligeoit, les aymant comme frères, de les assister de nostre bon conseil, de nos forces contre leurs ennemis quand ils voudroient leur faire la guerre mal à propos, laquelle ils n'avoient encore commencée si ce n'estoit 140/1124 les subjects qu'ils leurs en avoient donné, dont ils pourroient en avoir du ressentiment si nous ne taschions d'y apporter le remède, & aussi qu'ils sçavoient bien que la guerre estant, toute la riviere leur seroit interdite & n'y pourroient chasser ny pescher librement sans courir de grands dangers, crainte & apprehension, & eux principalement qui n'avoient point de demeure arrestée, vivans errans par petites troupes escartées, dont ils se rendent autant plus foibles, & que s'ils estoient tous assemblez en un lieu comme font leurs ennemis, & que c'est ce qui les rend forts. De plus qu'ils considerassent combien ils pourroient endurer de necessitez pour ce subject: Ainsi se tindrent plusieurs autres discours, que pour moy recognoissant l'utilité de la continuation de cette paix il eust esté à propos de bien traitter les deux prisonniers, les renvoyer sans aucun mal, & donner quelque presens aux chefs de leurs villages pour payer la faute qu'ils avoient commises en la prise de ces deux prisonniers, suivant leurs coustumes, & remonstrant aussi qu'ils n'avoient pas esté pris du consentement des Capitaines ny des Anciens, mais de jeunes fols, & inconsiderez qui avoient fait cela, dont tous en avoient conceu un grand desplaisir. La pluspart, & tous d'un consentement, après que chaque Capitaine eut fait sa harangue, ils se resolurent de renvoyer l'un des prisonniers avec le Reconcilié qui s'y offrit, & deux autres Sauvages, accompagnez de presens pour donner aux Capitaines des villages ou ils alloient mener le prisonnier, laissant l'autre en ostage jusques à leur retour: & pour faire 141/1125 plus valoir leur Ambassade, ils nous demandèrent un François avec eux: le leur dis que s'il y en avoit quelques-uns qui y voulussent aller, que pour moy j'en estois comptant: il s'en treuva deux ou trois moyennant qu'on leur donnast quelque gracieuseté pour leur peine, & la risque qu'ils pouvoient courir en ce voyage, l'un d'eux appellé Pierre Magnan, qui avec la volonté qu'il avoit, & la commodité qu'on luy promit, il se delibere de faire le voyage avec le Reconcilié, deux Sauvages & l'Yrocois, lesquels s'accommodèrent des choses les plus necessaires, & partirent le 24 dudit mois, & moy le mesme jour m'en retournay à Quebec, où j'arrivay le lendemain, y trouvant ledit du Pont, qui estoit arrivé le 17 lequel me dist que ledit sieur de Caen voyant qu'il ne s'estoit point embarqué en la Flecque, vaisseau qui venoit pour la pesche de Baleine, qu'il luy avoit escrit & prie que s'il treuvoit moyen de passer en quelque vaisseau pour s'en venir hyverner en ce lieu qu'il luy feroit un singulier plaisir, pour avoir l'administration des choses qui dependoient de son service. Ce que voyant, tout incommodé qu'il estoit, pour l'instante prière qu'il luy en avoit faicte, il s'estoit embarqué en un vaisseau de Honnefleur pour venir à Gaspay & de là prit une double chalouppe avec six à sept Matelots & son petit fils pour s'en venir à Québec, où en chemin il avoit receu de grandes incommoditez de ses gouttes, ce qui en effect estonna un chacun, & mesme ledit de la Ralde, à ce qu'il me dist, qu'il n'eust jamais creu que ledit du Pont eust voulu se mettre en un tel risque ayant l'incommodité qu'il avoit. 142/1126 Ledit Emery me manda que depuis mon département frère Gervais[658] Recolet avoit baptisé un Sauvage appelle Tregatin[659], lequel estant proche de la mort le voulut estre, & le demanda trois fois, ne voulant adjouter foy aux superstitions des Sauvages, promettant que si Dieu luy redonnoit la santé il se feroit instruire aussitost après son baptesme, il recouvra la santé, mais il n'a pas suivy ce qu'il avoit promis, le tout à sa plus grande condemnation, si Dieu ne l'assiste. [Note 658: Le P. Gervais Mohier était arrivé l'année précédente. (Prem. établiss. de la Foy, I, 342.)] [Note 659: C'est le nom que les Français donnaient à Napagabiscou. Sa maladie et son baptême sont rapportés au long dans Sagard, Hist. du Canada, liv. II, ch. XXXV.] _Mort & assassinat de Pierre, Magnan, François, du chef des Sauvages appelle Réconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour d'Emery de Caen & du Père l'Allemand à Québec. Necessitez en la Nouvelle France._ CHAPITRE IV. Le 25 d'Aoust un Sauvage nous apporta la nouvelle de la mort de Pierre Magnan, & du Reconcilié, & des autres deux Sauvages, qui nous dit qu'un Algommequin qui s'estoit sauvé dudit village des Yrocois leur avoit fait entendre au vray comme les ennemis les avoient traittez cruellement. Comme nos Ambassadeurs furent arrivez audit village des Yrocois ils furent bien receus, l'on les mena pour tenir conseil sur le subject de leur Ambassade: A 143/1127 mesme temps les villages circonvoisins en furent advertis, & là les chefs se treuverent pour le traitté de paix: & par malheur pour les nostres, c'est que les Algommequins (comme j'ay dit cy-devant) avoient esté à la guerre contre les Yrocois, & en avoient tué cinq, qui fut le subject que des Sauvages appellez Ouentouoronons[660] d'autre nation, amis desdits Yrocois, vindrent en diligence pour se venger sur ceux qui estoient alliez, & les tuèrent à coups de haches sans que lesdits Yrocois les peuvent empescher, leur disant, Pendant que vous venez pour moyenner la paix, vos compagnons tuent & assomment les nostres, ainsi perdirent la vie malheureusement. Pour le Reconcilié il meritoit bien cette mort, pour avoir massacré deux de nos hommes aussi malheureusement au Cap de Tourmente[661], & ledit Magnan natif d'un lieu proche de Lisieux, avoit tué un autre Magnan. à coups de bastons, dont il fut en peine, & avoit esté contraint de se retirer en la nouvelle France. Voilà comme Dieu chastie quelque fois les hommes qui pensent esviter sa justice par une voye & sont attrapez par une autre. Ces nouvelles nous apporterent un grand desplaisir, tant pour nous voir hors d'esperance de cette paix, qui nous pouvoit apporter de la commodité pour avoir les passages plus libres à nos Sauvages, de pouvoir chasser & pescher. De plus qu'ayant fait mourir un de nos hommes de cette façon, cela alloit à telle consequence que si nous ne nous en ressentions il falloit estre tenus de tous les peuples hommes 144/1128 sans courage, & estre aux risques de recevoir souvent tels affronts si nous ne mettions peine de nous en ressentir. [Note 660: Les mêmes que les Entouoronons, ou Tsonnontouans.] [Note 661: Ce double meurtre fut commis vers la fin de l'été 1616. (Voir 1619, p. 114 et s.)] Ces nouvelles arrivées de la mort des Ambassadeurs parmy nos Sauvages, de rage & de desplaisir qu'ils eurent ils[662] prindrent ce jeune garçon Yrocois qu'ils avoient retenu pour ostage, ils luy arrachent les ongles, le bruslent à petit feu avec des tisons, luy faisant souffrir plusieurs tourments, & ainsi mal traitté en firent un present à d'autres Sauvages pour l'achever de le faire mourir, & les obliger de les assister en leur guerre contre lesdits Yrocois, lesquels Sauvages prirent le garçon, le lièrent à un poteau le bruslant peu à peu. Comme il estoit en ces douleurs extrêmes ils luy coupèrent les mains, les bras, luy levant les espaules, & estant encore vif luy donnèrent tant de coups de cousteaux, qu'il mourut ainsi cruellement, & chacun en emporta sa pièce qu'ils mangèrent. [Note 662: Les Algonquins, et non pas les Ouentouoronons. (Voir ci-dessus, p. 140.)] Ledit Emery ayant faict la traitte, qui fut l'une des bonnes (qui se fust faicte il y avoit long temps) s'en retourna à Québec le dernier de Septembre de là à Tadoussac porter les pelteries. Le 2 d'Octobre deux autres barques partirent pour s'en aller audit Tadoussac, en l'une desquelles repassa le Reverend père l'Allemand lequel s'en retournoit fort affligé de ce que leur vaisseau n'estoit venu[663] leur apporter les commoditez qui 145/1129 leurs estoient necessaires pour la nourriture de vingt sept à vingt huict personnes qui estoient au pays, cela leur faisoit perdre beaucoup de temps, ne pensant à autre chose sinon que les vaisseaux où devoit venir le Père Noyrot (qui s'estoit équipée à Honnefleur) fut perdu & pris par les Anglois, qui fut le subject que nous ne receusmes aucunes lettres de celles qu'il nous apportoit, ne sçachant comme toutes les affaires s'estoient passées en France, que ce que me mandoit ledit sieur de Caen qui estoit peu de chose, & ainsi pour n'avoir des vivres & commoditez, ledit Père l'Allemand fut contrainct de faire passer tous ses ouvriers & autres, horsmis les Pères Massé, Dénoue[664], un frère, & cinq autres personnes pour n'abandonner leur maison, lesquels il accommoda au mieux qu'il peut, traittant quelques dix baricques de galette du magazin, au prix des Sauvages, à sept castors pour bariques de galette que ledit Pere avoit recouvert des uns & des autres à un escu comptant pour Castor, & ainsi achetoit chèrement ce que la necessité leur contraignoit, sans trouver aucune courtoisie. Ledit de la Ralde qui estoit venu pour lors à Québec rapportant n'avoir eu aucun ordre en France de les assister ny mesme de rapasser aucun religieux: Tout cecy ne monstroit que l'animosité qu'il avoit envers lesdits Peres & le sieur de Caen[665] qui avoit eu quelque chose à demesler avec ledit Pere Noyrot qui l'avoit desobligé, à ce qu'il me mandoit, mais tous 146/1130 les Pères qui estoient par delà n'en devoient pâtir, n'estant cause de ce qui s'estoit passée en France. Ils commençoient à se bien establir, & avoient fort advancé, tant en leurs bastiments qu'à deserter les terres: ce neantmoins ledit de la Ralde ne laissa de recevoir ledit Père l'Allemand en son vaisseau & luy faire bonne chère, car à la verité la courtoisie, l'honnesteté, la bonne mine & conversation dudit Pere l'obligeoit trop à luy rendre toute sorte de bon traittement qu'il treuva en sa personne: dans la mesme barque s'en alla ledit Destouches, qui fut le 2 de Septembre. [Note 663: Le P. Noirot avait disposé un navire muni de toutes les choses nécessaires; mais les sieurs de Caen et de la Ralde en prirent ombrage, et d'ailleurs, ayant eu avis que les Pères avaient formé quelques plaintes sur leur conduite, ils firent si bien qu'on arrêta ce qui était pour le compte des Jésuites. (Prem, établiss. de la Foy, I, 371.)] [Note 664: Le P. de Noue, qui est nommé ici, tandis que le P. Brebeuf ne l'est pas, était probablement redescendu des Hurons cette année.] [Note 665: C'est-à-dire, «comme aussi le sieur de Caen en avait lui-même.»] Nous eusmes nouvelles par la dernière barque qui apportoit le reste de nos commoditez que ledit de la Ralde estoit party dans la Catherine le septiesme Septembre, & avoit laissé ledit Emery de Caen dans la Flecque jusques au 5 d'Octobre pour la pesche de la Baleine, & voir ce qui reussiroit de cette entreprise. L'on avoit envoyé quelque genisse[666] d'un an dans le vaisseau qui venoit à Tadoussac pour faire pesche de Baleine, & en fut porté par les barques 16 & quelque 7 ou 8 qui moururent par la mer, à ce que l'on nous dit. [Note 666: «Quelques génisses,» comme la suite le fait voir.] Voila tout ce qui se pana jusques au departement des vaisseaux: Nous demeurasmes cinquante cinq personnes, tant hommes que femmes & enfans, sans comprendre les habitans du pays, assez mal accommodez de toutes les choses necessaires pour le maintien d'une habitation, dont je m'estonnois fort comme l'on nous laissoit en des necessitez si grandes, & en attribuoit on les défauts à la prise d'un petit vaisseau par les Anglois qui 147/1131 venoient de Bisquaye, comme ledit sieur de Caen me le mandoit, je ne sçay d'où en venoit la faute, plusieurs discours se disoient sur ce subject, quoy que s'en soit il nous fallust passer par de là, il n'y avoit point de remède. De ces cinquante cinq personnes il n'y avoit que dix-huict ouvriers, & en falloit plus de la moitié pour accommoder l'habitation du Cap de Tourmente, faucher & faner le foing pour le bestial pendant l'esté & l'Automne. Le parachevement de l'habitation de Québec demeure à parfaire, l'on me devoit donner dix hommes pour travailler au fort de sa Majesté, bien que ledit sieur de Caen & tous ses associez l'eussent souscript, & sa Majesté & le Viceroy le desirassent, neantmoins l'on ne le veut permettre, & empesche on tant que l'on peut. On veut que tous les hommes travaillent à l'habitation, il n'y a remède, pourveu que la traitte se face c'est assez, il n'y a personne qui osast entreprendre de nous enlever, c'est en cecy où j'avois beaucoup de peine à faire gouster les raisons pourquoy le fort nous estoit necessaire, tant pour la conservation de leur bien, que celles des habitans du païs: c'est ce qui donnoit du mescontentement à toutes les societés: neantmoins considerant l'importance & la necessité d'avoir un lieu de conserve, je ne laissois de faire ce qu'il m'estoit possible de temps à autre. Voyant les ordres & commandemens données au contraire de la volonté de mondit seigneur le Vice-roy, je jugeay bien deslors que la plus grande part des associez ne s'en soucioient 148/1132 beaucoup; pourveu qu'on leur donnast d'interest les quarante pour cent: j'en avois dit mon sentiment audit de la Ralde, lequel ne me donnoit beaucoup de contentement, d'autant qu'il avoit prescript ce qu'il devoit faire, c'est en un mot que ceux qui gouvernent la bource font & defont comme ils veulent. Un des deplaisirs que je recognu en ceste affaire estoit fâché que je faisois construire un fort au dessus de l'habitation pour la conservation d'icelle, du païs & des habitans, & cela déplût audit de Caen comme il me fit assez cognoistre par sa lettre, que d'y employer de ses hommes il n'y estoit pas obligé, aussi il ne s'en soucioit pourveu que sa Majesté en fit la despense, en y envoyant des ouvriers pour cet effect: à tout cela je ne peus rien faire pour lors, sinon d'en escrire à mondit seigneur le Viceroy, & luy donner advis de tout ce qui se passoit en ceste affaire, afin qu'il y apportast l'ordre qu'il jugeroit necessaire, & moy de ne laisser, en tant que je pouvois, d'employer quelques hommes au fort, & le reste à travailler à l'habitation. 149/1133 _Guerre déclarée, par les Yrocois. Assemblée des sauvages. Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur veut venger ce meurtre._ CHAPITRE V. Le 20 de Septembre les Sauvages nous dirent que nombre d'Yrocois s'acheminoient pour nous venir faire la guerre, à eux & à nous: nous leurs dismes que nous en estions très aises, mais que nous ne les croyons[667], & qu'ils n'avoient que la hardiesse d'assommer des gens endormis sans se deffendre. [Note 667: _Craignons_ est probablement ce que portait le manuscrit.] Les communes des sauvages, de cinquante à soixante lieues de Québec, s'asemblent tous en ce dit lieu au mois de Septembre & Octobre, pour faire la pesche d'anguilles, qui est en abondance en ce temps là, lesquels ils font boucaner, & les reservent pour en manger jusques au mois de Janvier, que les neiges sont hautes, pour aller à la chasse de l'eslan, dequoy ils vivent jusqu'au Printemps. Le 3 d'Octobre[668] je partis de Québec, pour aller au Cap de Tourmente, voir l'avancement qu'avoient fait nos ouvriers, & en ramener une partie: deux hommes s'en retournèrent par terre, conduire quelque bestial que l'on amenoit dudit Cap de Tourmente à Québec. Après avoir mis ordre en ce lieu, je m'en 150/1134 retournay le 6 dudit mois, où estant arrivé j'appris que quelques sauvages avoient assassiné ces deux hommes endormis, qui conduisoient le bestial, à demie lieue de nostre habitation[669]. Cecy m'affligea grandement: on fut quérir les corps qu'ils avoient traisnez au bas de l'eau afin que la mer les emmenast, estant apportez on les visita, ils avoient la teste escrasée de coups de haches, & plusieurs autres d'espée & cousteaux dans le corps. [Note 668: Le 3 octobre était un dimanche, et la marée était haute vers 1 heure et demie.] [Note 669: Le meurtre paraît avoir été commis à la Canardière quelque part vers l'embouchure du ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers (aujourd'hui rivière Chalifour ou rivière des Fous). Le meurtrier était Mahican-atic ouche, et les deux victimes, Henry, domestique de Madame Hébert, et un autre français appelé Dumoulin. Ces derniers avaient dû partir du cap Tourmente, vraisemblablement le mardi, de bonne heure le matin, afin de pouvoir passer facilement les rivières de la côte pendant que la marée était basse. Arrivés à la Canardière, ils trouvèrent la rivière Saint-Charles encore trop pleine pour pouvoir traverser le soir même; car la marée ne commença à baisser que vers les trois heures de l'après midi. N'ayant pu ouvrir la porte de la cabane de M. Giffard, ils se résignèrent à coucher sous un arbre, enveloppés de leurs couvertures. C'est là que, pendant la nuit, Mahican-atic-ouche, croyant donner la mort au boulanger et au serviteur de M. Giffard auxquels il en voulait, massacra par méprise l'un de ses meilleurs amis, Henry, et un français qui ne lui avait fait aucun mal. (Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IV.)] Nous advisasmes qu'il estoit à propos de conduire ceste affaire meurement, & descouvrir les meurtriers au plustost pour les chasser, & voir comme nous procederions envers ces canailles, qui n'ont point de justice parmy eux: car de nous venger sur beaucoup qui n'en seroient coulpables, il n'y avoit pas aussi de raison, ce seroit déclarer une guerre ouverte, & perdre pour un temps le païs, jusqu'à ce que l'on eust exterminé ceste race, par mesme moyen perdre les traittes du pays, ou pour le moins les bien altérer, aussi que nous estions en un miserable estat, faute de munitions pour guerroyer, & plusieurs autres inconveniens furent considerez, qui pourroient arriver si l'on 151/1135 faisoit les choses trop precipitement. Nous deliberasmes de faire assembler tous les capitaines des sauvages leur conter l'affaire, & leurs faire voir les corps meurtris des defuncts, ce qui fut exécuté. Le lendemain[670] tous les chefs vinrent à nostre habitation, où nous leurs fismes plusieurs remonstrances du bien qu'ils recevoient annuellement de l'habitation nous, que contre tout droit & raison ils faisoient des actes abominables & detestables, de traistres & meschans meurtres, & que si nous avions l'ame aussi diabolique qu'eux, que pour ces deux hommes l'on en feroit mourir cinquante des leurs, & les exterminerions tous: qu'on leurs avoit pardonné n meurtre de deux autres hommes[671], mais que pour cetuy-cy nous voulions avoir les meurtriers, pour en faire la justice, qu'ils nous les declarassent & missent entre les mains, s'ils vouloient que nous vecussions en paix, nous n'en voulions qu'à ceux qui avoient assassiné nos hommes que nous leurs fismes voir. [Note 670: Probablement le 8 octobre.] [Note 671: Voir 1619, p. 133.] Au commencement ils vouloient dire que c'estoit des Yrocois, mais comme il n'y avoit nulle apparence, nous leurs fismes cognoistre le contraire, & que ce meurtre ne venoit que de leurs gens, en fin ils le confesserent, mais ils dirent qu'ils ne sçavoient pas celuy qui avoit fait ce coup. Nos gens soubçonnoient entr'autres un certain sauvage que nous leurs dismes, & qu'ils le fissent venir, ce qu'ils promirent faire. Le lendemain ils l'amenèrent, & fut interrogé sur quelques discours de menace, qu'il avoit fait à quelques-uns de 152/1136 nos ce qu'il nia, & que jamais il n'avoit pensé à une si signalée malice, que de vouloir tuer des François qu'il aymoit comme luy mesme. De plus qu'il avoit sa femme & plusieurs enfans qui l'auroient empesché de faire ce meurtre, quand il auroit eu le dessein. Je luy fis dire que le meurtrier du précèdent avoit bien femme & enfans, & qu'il ne laissa neantmoins d'en assassiner deux des nostres, outre que l'on le cherissoit plus qu'aucun des sauvages de son temps, & par consequent que ses excuses qu'il alleguoit ne pouvoient pas estre suffisantes pour se descharger du soubçon que l'on avoit sur luy: quoy que s'en soit plusieurs discours se passerent entre eux & nous, & nous resolumes d'arrester cettuy-cy, attendant qu'il nous donnast trois jeunes garçons des principaux d'entr'eux, l'un des montagnes[672], le second des trois rivieres, & le troisiesme le fils du soubçonné, jusqu'à ce qu'ils nous livrassent le meurtrier qui avoit fait le coup: ils nous demandèrent terme de trois jours, tant pour délibérer sur cette affaire, que pour essayer de pouvoir descouvrir le meurtrier, ce que nous leurs accordasmes. [Note 672: Des Montagnais.] Ils s'en retournèrent en leurs Cabannes, & alors nous avions à nous tenir sur nos gardes, tant au fort qu'à l'habitation, donnant advis aux peres jesuistes & au Cap de Tourmente que chacun eust à se bien garder, & ne permettre qu'aucun sauvage les accostast sans estre les plus forts: toutes choses estant bien disposées nostre Sauvage que nous avions retenu attendant son fils en sa place & les autres. 153/1137 Le troisiesme jour ils ne faillirent à venir, amenant quant & eux les trois jeunes garçons de l'aage de douze à dix huict ans nous disant qu'ils avoient fait grande recherche & perquisition pour sçavoir ceux qui avoient tué nos hommes, & qu'ils ne l'avoient peu sçavoir, qu'ils feroient en sorte qu'en peu de temps ils nous en donneroient advis, & qu'ils estoient très desplaisans du malheur qui nous estoit arrivé, que pour eux ils estoient tous innocens, & que comme tels, ne se sentoient coulpables. Ils amenèrent ces trois jeunes garçons, le fils de nostre prisonnier, & un de Tadoussac, & l'autre de Mahigan aticq qui demeuroient proche de nostre habitation, & deschargerent ceux des trois Rivieres, disant que ce ne pouvoit avoir esté aucun d'iceux qui eust fait ce meurtre, d'autant qu'ils n'estoient que deux cabannes, que la nuict que nos gens furent tuez ils estoient tous à leurs maisons, au reste ils nous prièrent que nous vescussions en paix, attendant que les meurtriers fussent descouverts, estant plus que raisonnable qu'ils mourussent, & que nous eussions à bien conserver ces Sauvages qu'ils nous laissoient, le père que nous tenions prisonnier dit à son fils, prens garde à vivre en paix avec les François, asseure toy qu'en peu de temps je te delivreray & sçauray celuy qui a fait ce coup, & le plus grand desplaisir que j'ay eu c'est que les François ont eu soubçon sur moy, & les autres Sauvages asseurerent aussi les deux autres, & qu'en peu de jours l'on sçauroit ceux qui avoient fait ce meschant acte. 154/1138 Nous dismes à tous ces Capitaines que le peu d'asseurance qu'il y avoit pour nos hommes d'aller seuls dans les bois & y dormir ayant parmy eux de si meschans traistres qu'à l'advenir jusqu'à ce qu'on eust descouvert les meurtriers & fait justice d'eux, j'enchargerois à tous nos hommes de n'aller plus sans armes & que s'il y avoit aucun d'eux qui les approchast sans leur consentement qu'ils les tireroyent comme ennemis, & qu'ils eussent à se donner de garde, & advertir tous leurs compagnons, d'autant qu'ils ne cognoissoient les meschans qui estoient parmy eux, nous avions à nous donner de garde, mais qu'eux n'avoient nul subject d'entrer en deffiance de nous. Ils nous dirent que nous avions raison de ne faillir à tuer s'il s'en rencontroit aucun qui ne voulussent se retirer quand on leur diroit, que pour le moins l'on cognoistroit quels ils seroient, & que pour les jeunes garçons qu'ils nous laissoient, on leur fist bon traittement, que cependant de leur part ils feroyent toute diligence de descouvrir les assassinateurs, & ainsi se separerent chacun de leurs costez pour aller au lieu où pendant l'hyver ils pourroient treuver de la chasse pour subvenir à leurs necessitez. Sur la fin de Janvier quelques trente Sauvages tant hommes que femmes & enfans pressez de la faim, pour y avoir fort peu de neiges pour prendre de l'eslan & autres animaux, se resolurent de se retirer vers nous pour en leurs extrêmes necessitez estre secourus de quelques vivres, qu'à ce deffaut ils estoient morts: je leur fis encore cognoistre combien le meurtre en la mort de nos hommes estoit detestable, & la punition que 155/1139 justement devoit mériter celuy qui avoit assassiné nos hommes, & que pour ce meschant ils pouvoient tous pâtir & mourir de faim sans le secours de nostre habitation, la bonté des François, dont ils ne recevoient que toutes sortes de bien-faits. Cette trouppe affamée voulant tesmoigner le ressentiment qu'ils avoient en la mort de nos gens, & comme ne trempant aucunement en cette perfidie, desirant se joindre avec nous d'une amitié plus estroitte que jamais ils n'avoient faict, & oster toute sorte de deffiance que pouvions avoir d'eux, ils se resolurent de nous donner trois filles de l'aage de unze à douze & quinze ans, pour en disposer ainsi qu'aviserions bon estre, & les faire instruire & tenir comme ceux de nostre nation, & les marier si bon nous sembloit. Le deuxiesme de Janvier mil six cens vingt huict estant passez la riviere, qui charioit un nombre de glaces, tant pour avoir dequoy assouvir la faim qui les pressoit, comme pour faire present de ces filles, demandèrent à s'assembler & tenir conseil avec nous, où ils nous firent entendre tout ce que dessus, ayant amené les trois filles avec eux. Après nous avoir fait un long discours de l'estroite amitié qu'ils vouloient avoir avec nous, & s'y joindre & habiter & deserter des terres proches du fort, recognoissant qu'ils seroient mieux qu'en lieu qu'ils eussent peu esperer: & pour asseurance de tout ce qu'ils disoient, ils ne pouvoient faire offre de chose qu'ils eussent plus chère que ces trois jeunes 156/1140 filles qu'ils nous prioient de prendre, lesquelles estoient très-contentes de demeurer avec nous[673]. [Note 673: L'un des motifs qui engageaient les sauvages à faire ce présent extraordinaire de trois de leurs filles, était bien celui que donne ici l'auteur; mais il y en avait un autre que sa modestie lui a fait omettre, et que nous devons savoir gré à Sagard de nous avoir fait connaître, «Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la chasse, ils voulurent recognoistre le sieur de Champlain de quelques presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus agréable, car ils tenoient fort chers les plaisirs & l'assistance qu'ils en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les François, au P. Joseph pour en avoir son advis, auquel il dit, mon fils, il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de nos filles pour mener en France & les faire instruire en la loy de Dieu & aux bonnes moeurs; s'il vouloit à present, nous luy en donnerions quelqu'unes, n'en serois-tu pas bien content? A quoy luy repondit le P. Joseph, que ouy, & qu'il luy en falloit parler; ce que les Sauvages firent de si bonne grâce, que le sieur de Champlain voulant estre utile à quelque âme, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une la Foy, la seconde l'esperance, & la troisiesme la Charité... Plusieurs croyoient que les Sauvages n'avoient donné ces filles au sieur de Champlain que pour s'en descharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se trompoient, car Choumin mesme à qui elles estoient parentes, desiroit fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour obliger les François & en particulier le sieur de Champlain». (Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.)] Après que j'eus ouy tous leurs discours je jugeay que pour plus grande seureté de ceux qui demeuroient audit païs, que pour plus estroitte amitié qu'il n'estoit point hors de propos d'accepter cet offre, & de prendre ces filles, ce que jamais ils n'avoient offert, quelque present qu'on leur eust voulu donner pour avoir une fille, & que mesme le Chirurgien quelque temps auparavant desirant en avoir une jeune pour la faire instruire & se marier avec elle, ne peust avec tous les Sauvages avoir le crédit d'en avoir une, quelques offres qu'il fist, bien que tout ce qu'il faisoit n'estoit que pour la gloire de Dieu, & le zèle qu'il avoit audit pays de retirer une âme des enfers: à la vérité je m'estonnois fort des offres qu'ils nous faisoient, ce que jamais, comme j'ay dit cy-dessus, l'on n'avoit peu obtenir. Sur ce jugeant qu'il n'estoit nullement à propos de laisser 157/1141 aller les offres, & qu'ils nous pressoient, je demanday audit du Pont son advis, comme principal commis, & d'autant que les vivres qui estoient pour traitter, comme pois, febves & bled d'Inde, dont il y en avoit suffisamment & en quantité, desquelles choses l'on les nourriroit, car de ceux qui estoient pour les hyvernans il n'y en avoit que fort peu, & ne pouvoit on leur en donner sans oster la pitance. Ledit du Pont dit que pour luy il ne se mesloit de ces choses, bien qu'il recognoissoit cette affaire estre très-bonne, mais que pour les vouloir prendre & nourrir, qu'il ne le desiroit que s'ils le vouloient, qu'ils attendissent le retour des vaisseaux: mais comme en un si long-temps qu'il y avoit jusques à leur arrivée, & que la fantaisie se peut changer, principalement entre lesdits Sauvages, je creus que nous perdrions ce que peut estre nous aurions mesprisé, cela aussi donneroit encore subject ausdits Sauvages de nous vouloir plus de mal, n'en vouloir pas seulement aux meurtriers, mais encore à ceux qui n'en sont coulpables: & de plus que l'on dist aux Sauvages, qu'il n'y avoit que des pois, & que peut estre ils ne pourroient s'accommoder pour le present. A cela elles dirent qu'elles seroient très-contentes & qu'on les prist, quoy que les Commis ne les voulussent recevoir. Je me resolus de les prendre toutes trois, les accommodant des choses necessaires, les retenant en nostre habitation. Ainsi les Sauvages furent tres-aises, & moy aussi, tant pour le bien du pays comme pour l'esperance que je voyois que c'estoient trois âmes gaignées à Dieu, que tout ce qu'il y avoit à faire 158/1142 en cela estoit d'avoir le soing & prendre garde que quelques Sauvages ne les enlevassent, comme quelques uns avoient commencé, ausquelles choses je remediay au mieux qu'il me fut possible[674]. [Note 674: «Tout son dessein en ce bon oeuvre, ajoute Sagard, estoit de gaigner ces trois âmes à Dieu, & les rendre capables de quelque chose de bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement mérité, & qu'il se trouvera peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre qu'il souffre bien la disette, & n'est point délicat en son vivre, il n'a jamais esté soupçonné d'aucune deshonnesteté pendant tant d'années qu'il a demeuré parmy ces peuples Barbares; c'est pourquoy ces filles l'honoroient comme leur père, & luy les gouvernoit comme ses filles.» (Hist. du Canada, p. 914.)] Toutesfois cet offre fut à la charge qu'ils ne pourroient prétendre aucun subject d'empescher que ne fissions recherche & justice du meurtrier s'il estoit descouvert, ains au contraire ils nous dirent que s'ils le sçavoient qu'ils l'accuseroient, comme un perfide & desloyal, & asseurément qu'en peu de jours cela seroit descouvert, en ayant entendu quelque chose de celuy que nous soubçonnons un Sauvage appellé Martin[675] des François, qui avoit donné une de ses trois filles tomba malade, & se voyant à l'extrémité demanda le Baptesme, ce qu'entendant le Père Joseph Coron[676], il s'achemine à sa cabanne, il fait entendre le sujet & la consequence de ce qu'il demandoit, & qu'en telle chose il n'y avoit pas à rire. Car ce n'estoit assez d'estre baptisé mais falloit qu'il promit que si Dieu luy rendoit sa santé, de ne retourner plus à faire la vie sauvage & brutalle qu'il avoit menée par le passé, ains vivre en bon Chrestien & se faire instruire ce qu'il promit. Ce que voyant ledit Père Joseph, faisant oeuvre de charité & d'hospitalité il 159/1143 le fait porter en sa maison, le traitte, l'accommode de tout ce qu'il peut & croit estre necessaire à sa santé, recognoissant (selon son jugement) qu'il ne devoit point reschapper qu'il ne mourust en un jour ou deux au plus tard, il le baptisa le 6 Avril, ce qu'ayant esté fait, il semble se treuver au bout de 4 ou 5 jours mieux qu'il n'avoit fait: & entendant que quelques sauvages estoient venus en ces cabannes, dont il y en avoit un qui le disoit de leurs Pilottouas, soit que ledit Martin, creust avoir plustost du soulagement de son mal, par le moyen de ce nouveau médecin ou autrement: il desire s'en retourner en sa cabanne où il s'y fait porter: il demande à estre pensé, & médeciné par son médecin, pour recouvrir entièrement sa santé. [Note 675: Son nom sauvage était Mecabau. (Sagard, Hist. du Canada, p. 592, 912.)] [Note 676: Le Caron.] Le Pilotoua se met en devoir d'user envers le malade de ses remèdes accoustumés, & chantèrent tant aux aureilles du malade avec un tel bruit & tintamarre, que tout cela estoit plus capable d'avancer ses jours que le guérir, car comment pouvoit il recevoir allégement en ce tintamarre, que le plus sain en eust eu la teste rompue, il usa de tous ses plus subtils medicaments qu'il peust, lesquels ne luy servirent de rien, & cependant ledit Martin ne se resouvenant plus du sainct Baptesme & de ce qu'il avoit promis, retourne en la créance de ses superstitions passées, il y eut de nos gens qui luy firent quelques remonstrances sur le peu d'esprit qu'il avoit, & le mal qu'il faisoit de la perdition de son âme, qui pâtiroit plus aux enfers pour avoir abusé de ce sainct Sacrement que s'il n'eust esté baptisé, il n'en fait nul estat, disant, qu'il 160/1144 n'adjoustoit point de foy en tout ce qu'on luy avoit fait, sans faire davantage de réplique, ainsi demeura en son mal, qui alla en augmentant jusques à la mort, sans qu'il peust treuver de remède pour l'empescher, & mourut le dix-huictiesme dudit mois[677]: les jugemens de cette mort furent divers, d'autant que beaucoup croyoient, que peut-estre premier que de rendre le dernier souspir de la vie il auroit eu un repentir, & Dieu luy auroit pardonné: C'est pour revenir à ce que nous enseigne nostre Seigneur, _Ne jugez point, de peur que ne soyez jugez_. Neantmoins il y avoit bien dequoy craindre en la vie qu'il a menée jusques à la fin, que cette âme ne soit perdue. [Note 677: Le 18 avril 1628. D'après Sagard, il serait mort dans de bonnes dispositions, et n'aurait consenti à se faire _mideciner_ que par complaisance. «Il fut enterré au cimetière de ceux de sa nation, proche le jardin qu'on appelle du Père Denys, pour le contentement de ses parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XXXVII.)] De puis 22 ans qu'on est allé pour habiter & défricher à Québec [678], suivant l'intention de sa Majesté, les societés n'avoient fait deserter un arpent & demy de terre: par ainsi ostoient toute esperance pendant leur temps, de voir le boeuf sous le joug pour labourer, jusqu'à ce qu'un habitant[679] du païs recherchast les moyens de relever de peine les hommes qui 161/1145 travailloient ordinairement à bras, pour labourer la terre, laquelle fut entamée avec le Soc & les boeufs, le 27 d'Avril 1628, qui montre le chemin à tous ceux qui auront la volonté & le courage d'aller habiter, que la mesme facilité se peut esperer en ces lieux comme en nostre France, il l'on en veut prendre la peine & le soing. [Note 678: L'habitation de Québec n'ayant été commencée qu'en 1608, ce passage donnerait à entendre que dès 1630, Champlain avait préparé la seconde partie de l'édition de 1632.] [Note 679: Il n'y avait alors que Guillaume Couillard, qu'on pût appeler _habitant_ proprement dit, parce qu'il était le seul qui fût établi sur une terre.. Cette terre avait été concédée à son beau-père Louis Hébert dès le 4 février 1623, par le duc de Montmorency, concession qui fut ratifiée par le duc de Ventadour le 28 février 1626. Après la mort d'Hébert, Couillard resta sur la terre avec sa belle-mère et son jeune beau-frère Guillaume Hébert; le partage n'eut lieu qu'en 1634, à l'occasion du mariage de ce dernier avec Heleine des Portes. Son contrat de mariage et les arrangements de famille laissèrent à Couillard les trois quarts de l'héritage, et, quelques années plus tard, il rentra par une échange en possession de la part échue à son beau-père Guillaume Hubou. (Archives du Sémin. de Québec.)] Sur la fin dudit mois, il y eust quelques Sauvages qui nous apportèrent nouvelles de la mort de Mahigan Athic, par mesme moyen nous voulurent persuader qu'à cent cinquante lieues amont le fleuve S. Laurent, estoient descendus certains Sauvages Algommequins qui avoient massacré nos hommes, s'estans retirez secrettement sans estre apperceus, mais comme ces discours estoient esloignez de la raison sans apparence, nous ny adjoustasmes foy, disant que le Sauvage que nous tenions pour suspect, estoit devenu insensé courant par les bois comme desesperé, ne sçachant ce qu'il estoit devenu. Le 10 de May un canau arriva de Tadoussac, où estoit la Fouriere capitaine des Sauvages dudit lieu, avec celuy que nous soubçonnions avoir faict le meurtre, lequel n'estoit en tel estat qu'on nous l'avoit representé, qui venoit pour se justifier, sur l'asseurance que luy avoit donné ledit la Fouriere, moyennant quelque present qu'il avoit receu, de retirer son fils d'entre nos mains. Estant en terre il envoya sçavoir si j'aurois agréable qu'il nous vint voir, je le fais venir avec le meurtrier soupçonné, où ledit la Fouriere fit quelque discours sur l'affection que de tous temps il nous avoit portée, que jamais il ne receut tel 162/1146 desplaisir que quand on luy dit de la façon que nos hommes avoient esté tuez, croyant que c'estoient des Yrocois & non d'autres, mais que depuis peu il avoit sceu par un jeune homme de nation Yrocoise & elevé parmy eux, & les Algommequins d'où il venoit mescontant pour l'avoir mal traité qu'il avoit rapporté que trois d'icelle nation estoient venus de plus de cent cinquante lieues tuer de nos gens, chose très certaine, avec autre discours sans raison: Et que les prestres qui prioient Dieu avec cérémonie qu'ils faisoient, estoit le sujet que beaucoup de leurs compagnons mouroient, ce qui n'avoit esté auparavant, avec autres paroles perdues, discours de quelques reformez qui leurs avoient mis cela en la fantaisie, comme de beaucoup d'autres choses de nostre croyance. Je luy fis response de poinct en poinct à toutes ses raisons foibles & débiles, que pour l'amitié & affection, il ne pouvoit aller au contraire qu'on ne luy en eust tesmoigné d'année à autre, & sauvé la vie à plus de cent de ses compagnons, qui fussent morts de faim, sans ce secours qu'ils avoient receus de nous en ces extrêmes necessités, au contraire nous n'avions pas sujet de nous louer d'eux, comme ils avoient de nous, ayant par cy-devant tué de nos hommes, qu'on avoit pardonné au meurtrier, outre plusieurs autres desplaisirs, pensant que le temps le rendroit plus sage, mais que je n'estois plus resolu de temporiser ny souffrir qu'ils nous bravassent en tenant les bras croisez sans ressentiment, d'avoir encore depuis peu assassiné deux de nos hommes estans endormis, que le rapport 163/1147 qui avoit esté fait par ce jeune homme des Algommequins qui avoient tué les nostres, ausquels on n'avoit jamais mesfait estoit chose controuvée, que quand il y auroit quelque vérité, qu'ils eussent passé par plusieurs endrois sur leurs chemins où il y avoit des nostres, qu'ils eussent peu tuer sans prendre la peine de passer parmy eux, & non courir la risque d'estre descouverts pour aller en un lieu du tout esloigné de chemin ny sentier, en lieu où ces hommes ne faisoient que reposer icelle nuict pour le matin s'en revenir avec le bestial. De plus que la nuict qu'ils furent massacrez, il y avoit des canaux proche d'eux, qui faisoient la pesche de l'anguille, tant de sujects estoient suffisans de tuer les premiers, sans se mettre en toutes ces peines, & de passer encore une riviere pour venir à l'effect de ceste exécution, avec d'autres raisons si apparentes qu'il n'y pouvoit respondre: De plus que tous les Capitaines Sauvages qui estoient icy concluerent que le meurtre avoit esté par un des leurs, après avoir visité les corps & les coups qu'ils avoient, promettant faire ce qu'ils pourroient pour descouvrir les meurtriers, & nous les livrer ou en donner advis, estant raisonnable que ceux qui avoient fait le coup mourussent: que nous vouloir persuader par des raisons sans apparence, luy qui ne sçavoit comme la chose s'estoit passée ny estant, qu'il n'avoit nulle raison de vouloir pallier & couvrir ce meurtre. Luy remonstrant que s'il ne sçavoit autre chose pour m'obtenir le droit qu'il pretendoit, qu'il avoit pris de la peine en 164/1148 vain, aussi que nous estions fort contans de ce qu'il avoit amené avec luy le soubçonné qui avoit fait le meurtre, outre le légitime sujet que nous avions eu de demander son fils en ostage. Nous avions des Sauvages qui durant l'hyver nous avoient asseuré qu'il n'y en avoit point d'autre qui eut fait l'assassinat que luy: pour cet effect nous le voulions retenir prisonnier, jusqu'à ce que les informations fussent bien averées, que s'il meritoit la mort il devoit mourir, sinon il seroit libre & ne devoit craindre s'il n'avoit fait le coup, ce pendant il seroit traitté comme son fils, lequel je mis en liberté avec un autre, reservant le plus jeune des trois pour luy tenir compagnie: qui fut estonné ce fut le galand & ledit la Fouriere, à qui l'on fist gouster les raisons qu'il ne sçavoit que de la bouche du meurtrier, qui fut contrainct de se taire, ne sçachant autre chose que ce que luy avoit dit ce jeune Sauvage Yrocois, qui accusoit les Algommequins, où à propos entrèrent deux d'icelle nation, auquel l'on dit ce que ledit la Fouriere avoit dit, qui deffendirent leur nation, & n'avoir jamais fait une telle perfidie, n'y mesme songé, que ce qu'il disoit estoit si esloigné de la raison, que tels discours donnoient plustost sujet de risée que d'y adjouster foy: qu'il sçavoit très-bien que nous n'avions ny n'aurions jamais la croyance de ce faulx bruit. De plus que le Sauvage qu'ils allegoient leur avoir apporté ces nouvelles estoit un enfant, auquel l'on ne pouvoit adjouster foy, estant imposteur, menteur, resentant tousjours la nation d'où il estoit. 165/1149 Tous ces discours finis, l'on arresta prisonnier nostre homme, r'envoya-on son fils & le jeune Sauvage que nous avoit donné feu Mahigan Atic. Ce jour partit quelques jeunes hommes pour aller à la guerre aux Yrocois, conduits par un vieil homme peu expérimenté, qui fit croire qu'il ne feroit pas beaucoup d'expédition. Ledit la Fouriere voyant que son voyage ne luy avoit de rien servy, qu'à nous avoir mis l'oyseau au piège, il s'en alla nous recommandant de traitter doucement le prisonnier, attendant sçavoir plus grande vérité. Quelques jours après le départ dudit la Fouriere, le frère du Reconcilié qui fut tué aux Yrocois, avec nostre homme tua à Tadoussac l'imposteur d'Yrocois qui avoit accusé les Algommequins d'avoir fait ce meurtre, pour s'estre resouvenu que ce jeune homme estoit de nation Yrocoise, qui avoit fait mourir son frère, allant pour traitter de paix & d'amitié, & ainsi se vengent ces brutales gens, sur ceux qui n'en sont causes. Nos jeunes guerriers revinrent comme ils avoient esté, sans avoir fait mal à personne, c'est ce que l'on esperoit de ceste troupe volage, qui ne s'engagea pas si avant dans le pays des ennemis, qu'ils ne peussent bien faire leur retraitte sans appercevoir ny estre apperceus de l'ennemy. Le 14 dudit mois arriva à Québec 7 canaux de Tadoussac, où il y avoit vingt & un Sauvages robustes & dispos, qui s'en alloient à la guerre, pour essayer s'ils seroient quelque chose plus que les autres, ils se promettoient d'aller proche des villages des ennemis & y faire quelque effect, en un mois qu'ils devoient estre à ceste guerre. 166/1150 Le 18 dudit mois[680] revint ledit la Fouriere, pour traitter quelques vivres & du petun: lequel à son retour ne se mit pas beaucoup en peine pour le prisonnier, comme il avoit fait auparavant. Il nous dit qu'il n'avoit encore receu nouvelle d'aucuns vaisseaux qui fussent arrivez à la coste, qui nous mettoit en peine, d'autant que tous nos vivres estoient faillis, horsmis 4 à 5 poinçons de gallettes assez mauvaises, qui estoit peu, & des pois & febves à quoy nous estions réduits sans autres commoditez, voilà la peine en laquelle on estoit tous les ans, sans juger les inconvenients qui en peuvent arriver, je l'ay assez representé cy dessus en plusieurs endroits, des accidents qui en sont arrivez à ce deffaut, de jour en jour nous attendions nouvelles, ne sçachant que penser attendu la disette que l'on pouvoit avoir en laquelle nous estions, & que nous devions avoir des vaisseaux au plus tart à la fin de May pour nous secourir, imaginant que quelque changement d'affaire en ceste societé seroit arrivé, ou contrariété de mauvais temps. [Note 680: La suite fait voir que c'était en juin. Probablement qu'il en est ainsi de la date précédente.] Le 29 dudit mois de Juin arriverent quelque canaux dudit Tadoussac, pour avoir des pois, où ils perdirent leur temps, n'en ayant pas pour nous en suffisance, si les vaisseaux ne nous secouroient, voyant le retardement, le temps qui se passoit, ne pouvant avoir lieu d'aller à Gaspey, 130 lieues à val de Québec, pour recouvrir quelques commodités des navires qui pourroient estre à la coste, & treuver passage pour partie 167/1151 des personnes qui estoient trop, pour le peu de commoditez qui nous restoient: Tout cecy nous fit délibérer de remédier à ce qui nous seroit le plus necessaire, pour n'avoir barque à Québec. Ledit de la Ralde les ayant laissées à Tadoussac au lieu d'en envoyer une pour subvenir aux inconveniens qui pourroient arriver. De plus que l'habitation estoit sans aucun matelot, ny homme qui peust sçavoir ce que c'estoit de les accommoder & conduire: de bray, voiles & cordages nous n'en avions point, & peu d'autres choses qui manquoient pour telles affaires, ainsi estions denuez de toutes commoditez, comme si l'on nous eut abandonnez, car la condition des vivres que l'on nous avoit laissé avec le peu de toutes choses nous le fit cognoistre, c'est assez que la peleterie soit conservée, l'utilité demeure aux associez & à nous le mal: c'est comme sa Majesté est servie, aux desordres qui se commettoient en ces affaires, & l'ennemy qui faisoit profit de nostre desordre & nous succomber si l'on n'y prenoit garde: il ne manque point de François perfides, indignes du nom, qui vont treuver l'Anglois ou Flamand, leur dire l'estat auquel l'on estoit: qui pouvoient s'emparer de ces lieux, n'estans accommodez des choses necessaires pour se deffendre & s'opposer à leurs violences. Ce pendant il nous faut adviser de quel bois l'on fera flèche, pour nous garantir des inconveniens qui pouvoient arriver, nous treuvasmes à propos de mettre tous nos hommes à chercher du bray dans les bois, & sapinieres, suffisamment pour brayer une 168/1152 barque & chalouppe pour envoyer à Tadoussac, accommoder la plus commode, & l'amener à Québec, pour plus facillement & commodément mettre les personnes que nous voulions renvoyer à Gaspey, pour treuver passage aux vaisseaux qui estoient aux costes pour s'en retourner en France. La diligence d'un chacun fut telle, qu'en moins de cinq à six jours nous en eusmes suffisamment, delà fusmes au Cap de Tourmente tuer un boeuf, pour en avoir le suiv, pour mesler avec le bray, l'on fit faire aussitost de l'estouppe de vieux cordage, ramassant toutes choses au moins mal que l'on pouvoit pour nous accommoder, & au nombre de ceux qui devoient retourner, l'on mettoit deux familles qui n'avoient poulce de terre pour se pouvoir nourrir, estans entretenus des vivres du magazin, car tout cela ne nous servoit de rien, qu'à manger nos vivres dix personnes qu'ils estoient en ces deux familles, horsmis les deux hommes qui pourroient estre employez, l'un boulanger, & l'autre qui servoit de matelot. Or comme toutes choses furent prestes il ne failloit plus treuver qu'un homme qui fut entendu à calfeultrer la barque, & l'accommoder de ce qui luy estoit necessaire, nous nous adressasmes à un habitant du pays, qui se nourrit de ce qu'il a defriché au pays, appellé Couillart bon matelot, charpentier, & calfeultreur, qui ne pouvoit estre sujet qu'à la necessité, auquel nous mettions toute nostre asseurance qu'il nous secoureroit de son travail & industrie, d'autant que depuis 169/1153 quinze ans[681] qu'il avoit esté au service de la compagnie, il s'estoit tousjours monstré courageux en toutes choses qu'il faisoit, qu'il avoit gaigné l'amitié d'un chacun, faisant ce que l'on pouvoit pour luy, & de moy je ne m'y suis pas espargné[682] en tout ce qu'il avoit à faire. En fin je luy dis qu'il estoit necessaire, n'ayant personne en nostre habitation, qu'il allast à Tadoussac accommoder ceste barque, il chercha toutes les excuses qu'il peust pour s'en exempter, assez mal à propos & sans raison, qui me fit luy tenir quelques propos fascheux. Bref pour toute conclusion dit qu'il avoit peur des Sauvages qu'ils ne l'assommassent: pour le relever de ceste apprehension, je luy fis offre de luy donner une chalouppe bien esquippée d'hommes & d'armes, & envoyer mon beau-frère pour l'asseurer, tout cela ne servit de rien, sinon que pour accommoder deux chalouppes qui estoient en nostre habitation, qu'il le feroit volontiers, mais d'y aller il craignoit sa eau, & ne vouloit abandonner sa femme[683], pour la conserver, je luy dis vous l'avez tant de fois laissée seule avec sa mère par le passé, allez luy dis-je alors, vous perdez toutes les conditions que l'on pouvoit esperer d'un homme de bien, si ce n'estoit pour peu je vous fairois mettre prisonnier, pour la desobeissance que vous faite en une necessité, vous deservez le Roy en tout cecy, néantmoins on advisera à ce que l'on aura à 170/115 faire. Le sieur du Pont & moy advisasmes que se servir d'un homme par force l'on en auroit jamais bonne issue, & falloit s'en passer, & qu'il nous calfeultrast deux chalouppes, n'en pouvant tirer autre service. [Note 681: Guillaume Couillard serait donc venu au Canada dès l'année 1613, c'est-à-dire, quatre ans avant son beau-père Louis Hébert.] [Note 682: Champlain assista, avec son beau-frère, au mariage de Couillard, en 1621, et fut plus tard, en 1626, parrain de sa fille Marguerite. (Registres de N.-D. de Québec.)] [Note 683: Guillemette Hébert. Couillard avait été marié à Québec par le P. Georges le Baillif vers le 26 août 1621. (Registres de N.-D. de Québec.)] Le 9 de Juillet deux de nos hommes vindrent à pied du Cap de Tourmente, apporter nouvelle de l'arrivée de six vaisseaux à Tadoussac selon le rapport d'un sauvage[684], lequel ce mesme jour nous confirma son dire, qu'un homme de Dieppe nommé le Capitaine Michel commandoit dedans, venant de la part du sieur de Caen[685]: ce discours nous fit penser que ce pouvoit estre celuy avec lequel ledit de Caen avoit part en son vaisseau, qui venoit ordinairement à Gaspey faire pescherie de molue, ces nouvelles aucunement nous resjouirent: d'autre part considerant qu'il y avoit six vaisseaux, chose extraordinaire en ces voyages pour la traitte, que ce Capitaine Michel commandoit à ceste flotte, il n'y avoit pas d'apparence n'estant homme propre à telle conduitte, qui nous fit croire qu'il y avoit plus ou moins en l'affaire, un changement extraordinaire. De plus que le Sauvage estant interrogé particulièrement se treuvoit en plusieurs dire, entr'autre chose nous dit qu'ils avoient pris un Basque qui traittoit à l'Isle Percée, traittant ses marchandises aux Sauvages dudit Tadoussac: desirant en avoir une plus ample vérité, nous resolumes de sçavoir d'un 171/1155 jeune homme truchement de nation grecque, s'il pourroit se deguiser en Sauvage & aller en un canau recognoistre quels vaisseaux ce pouvoient estre, en luy donnant deux Sauvages avec luy, ausquels avions de la créance & fidélité, qui nous promettoient servir en ceste affaire en les gratifiant de quelque honnesteté, ledit Grec se resolut de s'embarquer, l'ayant accommodé de ce qu'il luy estoit necessaire il partit[686]. [Note 684: «Ce sauvage était Napagabiscou, surnommé Trecatin ou Trigatin. Il partit en toute hâte de Tadoussac avec un autre sauvage, en même temps que la barque envoyée pour détruire l'habitation du cap Tourmente. Il y arriva avant la barque; et donna avis au sieur Faucher de tout ce qu'il avait vu. Celui-ci dépêcha deux de ses hommes pour porter ces nouvelles à Québec. Les deux hommes montèrent à pied, comme le dit ici l'auteur, et Trigatin dut continuer en canot, et arriver aussi vite que les deux messagers.] [Note 685: Trigatin le supposait, ou bien les Anglais avaient voulu lui donner le change.] [Note 686: «Le Pere Joseph, ajoute Sagard, se trouva lors fort à propos à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglais ont depuis bruslée avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens servans à dire la saincte Messe.» Il partit, accompagné d'un Frère, avec les messagers envoyés par Champlain. (Hist. du Canada, p. 917.)] Ce pendant j'estois en meffiance, craignant ce que souvent j'avois appréhendé, & les advis que plusieurs fois j'avois donné, sçavoir que ce ne fussent ennemis, qui me fit mettre ordre tant à l'habitation qu'au fort, pour nous mettre en l'estat de recevoir l'ennemy si tel estoit. Voilà qu'une heure après le partement dudit Grec il s'en revient avec deux canaux qui se sauvoient à nostre habitation, en l'un desquels estoit Foucher[697] qui estoit demeurant audit Cap de Tourmente, pour avoir esgard aux hommes qui y estoient habitez, lequel nous dit qu'il s'estoit sauvé des mains des Anglois qui l'avoient pris prisonnier, & trois de ses hommes, une femme & une petite fille [698] qu'ils avoient amené à bort 172/1156 d'une barque qui estoit mouillée à l'ancre le travers dudit Cap de Tourmente, ayant tué en partie ce qu'ils voulurent du bestial, & fait brusler le reste dans leurs estables, où ils l'enfermèrent[699], comme aussi deux petites maisons où se retiroit ledit Foucher & ses hommes, après avoir ravagé tout ce qu'ils peurent jusqu'à des béguins de la petite fille: Cette tuerie de bestial faite, ils s'en retournèrent promptement & se r'embarquerent, mais ce n'estoit pas sans crainte qu'ils avoient qu'on ne les poursuivast, ce que asseurement eust esté fait si nous eussions eu certains advis de leur arrivée par les sauvages, qui le sçavoient tous bien, comme perfides & traistres qu'ils sont, celerent cette meschante nouvelle, au contraire ils faisoient courrir le bruit que c'estoient des nostres & de nos amis, que nous ne nous devions mettre en peine. Cette barque estoit arrivée une heure ou deux devant le jour, & mouillerent l'ancre comme dit est, & aussitost mirent quinze à seize soldats dans une chaloupe, mettant pied à terre venant le long du bois, pensant surprendre nos gens couchés: mais comme ils arriverent proche de l'habitation ils virent ledit Foucher, qui leurs demanda d'où ils estoient, qu'ils eussent à s'arrester, un des siens s'avançant à ceste troupe en laquelle d'abort ne paroissoit que François, qui l'année 173/1157 d'auparavant estoient venus avec ledit sieur de la Ralde, dire, nous sommes de vos amis, ne nous cognoissez vous pas, nous estions l'année passée icy, nous venons de la part de Monseigneur le Cardinal, & de Roquemont[700], allant à Québec leur porter des nouvelles, & en passant avions desir de vous voir. A ces douces paroles & honnestetés ils se saluerent les uns & les autres, pensant que tout ce qu'ils disoient estoit vérité, mais ils furent bien estonnez qu'estans environnez quatre personnes qu'ils estoient, qu'ils furent saisis & pris comme j'ay dit cy dessus, car les traistres Sauvages leurs avoient rapporté l'estat en quoy nous estions. [Note 687: «Ayans à peine advancé 4 ou 5 lieues dans le fleuve, ils apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre, à terre, sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, & ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente. Ce fut une alarme bien chaudement donnée, & augmenta à la veue du sieur Foucher couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais traittement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur malheureuse perte.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 918.)] [Note 688: Sagard ajoute que «Foucher y pensa perdre la vie, car en se sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches, & emmenèrent prisonniers un, nommé Piver» (Nicolas Pivert) «sa femme, sa petite niepce, & un autre homme avec eux.» (Hist. du Canada, p. 919, 920.)] [Note 689: D'après Sagard, il y avait au cap Tourmente quarante à cinquante pièces de bétail. Les envoyés de Kertke «tuèrent quelques vaches pour leur barque, mirent le feu partout, & consommerent jusques aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part du debris. (Hist. du Canada, p. 919.)] [Note 690: Il y avait déjà plus d'un an que le cardinal de Richelieu avait supprimé la compagnie des sieurs de Caen, et avait formé, de concert avec le sieur Claude de Roquemont et plusieurs autres, la Compagnie de la Nouvelle-France, ou compagnie des Cent-Associés. (Le Mercure Français, t. xiv, part. 2, p. 232 et suiv.)] Estant trop acertené de l'ennemy je fais employer tout le monde à faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort des barricades sur les ramparts qui n'estoient parachevez, n'y ayant rien fait depuis le partement des vaisseaux, pour le peu d'ouvriers que nous avions, qui avoient esté assez empeschés tout l'Hyver à faire du bois pour le chauffage, toutes ces choses se faisant en diligence, je disposay les hommes aux lieux que je jugeay estre à propos, afin que chacun cogneut son quartier, & y accourust selon la necessité du temps. Le lendemain 10 du mois[691] sur les trois heures après midy apperceusmes une chalouppe, qui tesmoignoit à voir la manoeuvre qu'ils faisoient, qu'ils desiroient aller dans la riviere sainct Charles pour faire descente ou mettre le feu dans les 174/1158 maisons des Peres, ou bien ils ne sçavoient pas bien prendre la route pour venir droit à nostre habitation, jugeant aussi que ceste chalouppe ne pouvoit faire grand eschet, s'il n'en venoit d'autres, & que venir à l'estourdie de la façon il n'y avoit point d'apparence: car ils pouvoient se promettre d'y demeurer la plus grand part, qu'il falloit que quelque autre sujet les amenait, qui fit que neantmoins je ne voulus négliger ce qui estoit à faire, envoyant quelques Arquebusiers par dedans les bois, recognoistre où ils mettoient pied à terre, là les attendre de pied ferme à leur descente pour les empescher & desfaire s'il y avoit moyen: comme ils approchoient de la terre nos gens cogneurent les nostres[692], qui estoient dedans avec une femme & la petite fille qui les asseura, se monstrant quelques uns leurs disant qu'ils allassent descendre à l'habitation, ce qu'ils firent, recogneusmes que c'estoient des Basques prisonniers des Anglois, qui l'avoient envoyée pour rapporter nos gens, & une lettre de la part du Général, l'un des Basques que je fis venir qui avoit la lettre, me dit, Monsieur le commandement forcé que nous avons du Général Anglois qui est à la radde de Tadoussac, nous a contrainct de venir en ce lieu vous donner ceste lettre de sa part, laquelle verrez s'il vous plaist, vous prie de nous pardonner & excuser puisque la contraincte nous y a obligé. Je pris la lettre & fis entrer les Basques qui estoient au nombre de six, ausquels je 175/1159 fis faire bonne chère, attendant qu'on les eust depesché, il estoit assez tard, qui fit qu'ils ne s'en retournèrent que le lendemain matin. [Note 691: Le 10 juillet 1628.] [Note 692: «Entre lesquels, dit Sagard, estoient Piver, sa femme & sa niepce, avec quelques Basques.» (Hist. du Canada, p. 921.) Nicolas Pivert, l'un des plus anciens et des plus respectables habitants de Québec, était marié à Marguerite Le Sage. (Registres de N.-D. de Québec.)] Ledit sieur du Pont & moy & quelques autres des principaux de nostre habitation, que je fis assembler pour faire la lecture, pour adviser à ce que nous respondrions, voicy la teneur cy dessous. «Messieurs je vous advise comme j'ay obtenu Commission du Roy de la grande Bretagne, mon tres-honoré Seigneur & Maistre, de prendre possession de ces païs sçavoir Canadas & l'Acadie, & pour cet effect nous sommes partis dix huict navires, dont chacun a pris sa route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je me suis desja saisy de la maison de Miscou, & de toutes les pinaces & chalouppes de cette coste, comme aussi de celles d'icy de Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez aussi advertis comme entre les navires que j'ay pris il y en a un appartenant à la Nouvelle Compagnie, qui vous venoit treuver avec vivres & rafraischissements, & quelque marchandise pour la traitte, dans lequel commandoit un nommé Norot: le sieur de la Tour[693] estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel j'ay abordé de mon navire: je m'estois préparé pour vous aller treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une patache & deux chalouppes, pour destruire & se saisir du 176/1160 bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand vous serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que nul navire ne vienne je resous de demeurer icy, jusqu'à ce que la saison soit passée, afin que nul navire ne vienne pour vous avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que desirez faire, si me desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou tard il faut que je l'aye, je desirerois pour vous que ce fut plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de contentement, tant pour vos personnes que pour vos biens, lesquels sur la foy que je prétend en Paradis je conserveray comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la moindre partie du monde. Ces Basques que je vous envoye sont des hommes des navires que j'ay pris, lesquels vous pourront dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, & mesme comme toutes les affaires se panent en France touchant la compagnie nouvelle de ces pays, mandez-moy ce que desirés faire, & si desirés traitter avec moy pour cette affaire, envoyés moy un homme pour cet effect, lequel je vous asseure de chérir comme moy-mesme avec toute sorte de contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que desirerés, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant vostre responce & vous resoudant ce faire ce que dessus je 177/1161 demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affectionné serviteur DAVID QUER[694], Du bord de la Vicaille ce 18 Juillet 1628. Stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et desseus la missive estoit escrit, à Monsieur Monsieur de Champlain, commendant à Québec.» [Note 693: Claude de la Tour.] [Note 694: Ce nom a dû être ainsi orthographié d'après une copie qui portait _Quirc_; car on retrouve pour signature originale _Kearke_ et _Kirke. (State Paper Office, Colonial Papers,_ vol. V.)] La lecture faite nous concluasmes sur son discours que s'il avoit envie de nous voir de plus prés il devoit s'acheminer, & non menacer de si loing, qui nous fit resoudre à luy faire cette responce telle qu'il s'ensuit. «Monsieur, nous ne doutons point des commissions qu'avez obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font tousjours eslection des braves & généreux courages, au nombre desquels il a esleu vostre personne pour s'acquiter de la charge en laquelle il vous a commise pour exécuter ses commandemens, nous faisant cette faveur que nous les particulariser, entre autre celle de la prise de Norot & du sieur de la Tour qui apportoit nos commoditez, la vérité que plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est maintenue. C'est pourquoy ayant encore des grains, bleds d'Inde, pois, febves, sans ce que le pays fournist, dont les soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les meilleures farines du monde, & sçachant très-bien que rendre un 178/1162 fort & habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy, que nous ne fussions reprehensibles, & mériter un chastiment rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattant nous sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne avec vos forces, que si laschement nous abandonnions une chose qui nous est si chère, sans premier voir l'essay de vos canons, approches, retranchement & batterie, contre une place que je m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre, ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si elle vous est favorable vous aurez plus de sujet en nous vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie, que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente, bruslement du bestial, c'est une petite chaumière, avec quatre à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont esté pris sans verd[695] par le moyen des Sauvages, ce sont bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit 179/1163 rien à faire pour vous, que nous attendons d'heure à autre pour vous recevoir, & empescher si nous pouvons les pretentions qu'avez eu sur ces lieux, hors desquels je demeureray Monsieur, & plus bas Vostre affectionné serviteur CHAMPLAIN, & dessus, A Monsieur Monsieur le Général QUER, des vaisseaux Anglois.» [Note 695: Pris au dépourvu: locution empruntée du jeu au verd, dans lequel les joueurs ne doivent jamais être surpris sans avoir sur eux une feuille verte cueillie le jour même.] La responce faite je la donnay aux Basques qui s'en retournèrent & envoyay une chalouppe au Cap de Tourmente pour veoir le débris des Anglois, & s'il n'y avoit point quelque bestial qui se seroit sauvé, il estoit resté quelques six vaches que les Sauvages tuèrent, & une qui fut sauvée qui s'estoit enfuye dans les bois, qui fut ramenée. Les Basques arrivans à Tadoussac donnèrent ma lettre au général Quer que nous attendions de jour en jour. Après s'estre informé des Basques il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, & notamment les Chefs ausquels il leut la lettre, ce qu'ayant fait ils délibérèrent ne perdre temps voyant n'y avoir rien à faire, croyans que nous fussions mieux pourveus de vivres & munitions de guerre que nous n'estions, chaque homme estans réduit à sept onces de pois par jour, n'y ayant pour lors que 50 livres de poudre à canon, peu de mèche & de toutes autres commoditez, que s'ils eussent suivy leur pointe malaisément pouvions nous resister, attendu la misere en laquelle nous estions, car en ces occasions bonne mine n'est pas défendue: Cependant nous faisions bon guet, tenant tousjours mes compagnons en devoir. Ledit Quer n'attendoit plus nos 180/1164 vaisseaux, croyant qu'ils fussent péris ou pris des ennemis, se délibéra de brusler toutes nos barques qui estoient à Tadoussac, ce qu'ils firent, horsmis la plus grande qu'ils emmenèrent, levent les ancres, & mettent sous voiles pour aller chercher des vaisseaux le long des costes pour payer les frais de leur embarquement. Quelques tours après arriva une chalouppe où il y avoit dix Matelots, & un jeune homme appelle Desdames pour leur commander, qui venoit nous apporter nouvelle de l'arrivée du sieur de Roquemont à Gaspey, qui estoit général des vaisseaux François, & nous apportoit toutes commoditez necessaires, & quantité d'ouvriers & familles qui venoient pour habiter & défricher les terres, y bastir & faire les logemens necessaires, luy demandant s'il n'avoit point de lettres dudit sieur de Roquemont, il me dit que non, & qu'il estoit party si à la haste qu'il n'avoit pas eu le loisir de mettre la main à la plume. Je m'estonnay de ce qu'en un temps soupçonneux il ne m'escrivoit comme les affaires s'estoient passées en France touchant la Nouvelle societé qui avoit deposé ledit sieur de Caen de ses prétentions, sur ce qu'il ne s'estoit pas acquitté de ce qu'il avoit promis à sa Majesté, seulement le Reverend Père l'Allemand m'escrivoit un mot de lettre par lequel il me faisoit entendre qu'ils nous verroient en bref s'ils n'estoient empeschez par de plus grandes forces des Anglois que les leurs. Depuis j'eus cognoissance d'une commission que m'envoyoit sa Majesté, de la teneur qui suit. 181/1165 «LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A nostre cher & bien aimé le sieur de Champlain, commendant en la Nouvelle France, en l'absence de nostre très-cher & bien-aimé cousin le Cardinal de Richelieu, grand Maistre, Chef, Sur-intendant général de la navigation & commerce de France, Salut. Comme nous estimons estre obligez de veiller à la conservation de nos subjets, & que par nostre soin rien ne deperisse de ce qui leur peut appartenir, particulièrement en leur absence, & que nous voulons estre bien & deuement informez de l'estat véritable du pays de la Nouvelle France sur l'establissement que nous avons faict depuis quelque temps d'une nouvelle Compagnie pour le commerce de ces lieux, A CES CAUSES, A plain confiant de vostre soin & fidélité nous vous avons commis & député, Commettons & députons par ces presentes, signées de nostre main: Pour incontinent après l'arrivée du premier vaisseau de ladite Nouvelle Compagnie faire inventaire en la presence des Commis de Guillaume de Caen, cy-devant adjudicataire de la traitte dudit pays de toutes les pelleteries si aucune y a, à luy appartenantes & à ses associez esdits lieux: Ensemble de toutes les munitions de guerre, marchandises, victuailles meubles, ustancilles, barques, canaux, agrez, & apparaux avec tous les bestiaux & toutes autres choses generallement quelconque estant esdits lieux appartenantes audits de Caen & ses associez, desquelles choses 182/1166 prisée & estimation sera faite en vostre présence par gens à ce cognoissans, que nommerez d'office, au cas que les commis dudit de Caen sur ce interpellez n'en conviennent dresser procez verbal & arpentage de toutes les terres labourables & jardinages estant en valeur esdits lieux, depuis quel temps elles ont esté défrichées, combien de familles ledit Caen a faict passer en ladite Nouvelle France conformément aux articles que nous luy avons cy-devant accordez, & faire description & figure du fort de Québec & de toutes les habitations & bastimens, tant prétendus par ledit de Caen, que autres, desquels prisée & estimation sera faicte par gens ce cognoissans, & en presence, comme dit est, & de tout ce que dessus dresser procez verbal, pour iceluy veu & rapporté en nostre Conseil estre pourveu sur les prétentions dudit de Caen & ses associez ainsi qu'il appartiendra par raison. De ce faire vous donnons pouvoir, authorité, commission & mandement special, & de passer outre nonobstant oppositions ou appellations quelconques faites ou à faire, recusations, prise à partie pour lesquelles ne voulons estre différé. CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR. Donné à Partenay le 27e jour d'Avril 1628. & de nostre Regne le 18. signé LOUYS, & plus bas par le Roy, Potier, avec le grand sceau.» Après que Desdame m'eut dit ce qu'il sçavoit il me donna à entendre qu'il avoit veu cinq ou six vaisseaux Anglois & nostre barque, estant contraint pour n'estre apperceue d'eschouer 183/1167 aussi-tost, ils firent passer leur chalouppe par dessus une chauffée de caillous, les ennemis estans passez ils remirent leur batteau à l'eau pour parfaire leur voyage, ayant eu charge dudit sieur de Roquemont qu'estant à l'Isle Sainct Barnabé d'envoyer un canau à Québec pour sçavoir l'estat auquel nous estions, s'il estoit vray que les Anglois nous eussent tous pris & tuez, comme les Sauvages leurs avoient donné à entendre, & luy devoit demeurer à ladite Isle, distante de Tadoussac de 18 lieues, attendant le canau: Que ledit sieur de Roquemont venant à la veue de l'Isle il feroit de certains feux dans ses vaisseaux qui seroient faits semblablement sur terre pour signal qu'ils ne seroient point ennemis: que l'on avoit aussi deschargé nombre de farines à Gaspey pour estre plus légers & moins embarrassez à combattre les Anglois, qu'ils iroient chercher jusques à Tadoussac[696]: que le lendemain ils entendirent plusieurs coups de canon, qui leur fit croire que les vaisseaux Anglois avoient fait rencontre des nostres. Je luy dis qu'ayant entendu ces coups, ils devoient retourner pour sçavoir à qui demeureroit la victoire pour en estre certain, il dit qu'il n'avoit aucun ordre de ce faire: cependant ces unze hommes estoient autant de bouches augmentées pour manger nos pois, desquels nous nous fussions bien passez, mais il n'y avoit remède, je leur fis la mesme part qu'à ceux de l'habitation. [Note 696: Si ces renseignements donnés par Desdames sont exacts ils justifient pleinement les remarques que fait l'auteur, dans le chapitre suivant, sur la conduite de M. de Roquemont, qui devait éviter que rechercher l'ennemi, tant qu'il n'avait pas atteint le but de son voyage.] 184/1168 _Défauts observez par L'Autheur au voyage du sieur de Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire la guerre aux Yrocois. CHAPITRE VI. Voicy quelques defauts qui se commirent en ce voyage, d'autant que ledit sieur de Roquemont devoit considerer, que l'embarquement n'estoit faict à autre dessein que pour aller secourir le fort & habitation qui manquoient de toutes commoditez, tant pour l'entretien de la vie, comme de munitions pour la deffende, qu'en allant chercher l'ennemy pour le combattre (arrivant faute de luy) il ne se perdoit pas seul, mais il laissoit tout le pays en ruyne, & prés de cent hommes, femmes & enfans mourir de faim, qui seroient contraints d'abandonner le fort & l'habitation au premier ennemy, faute d'estre secourus, comme l'expérience l'a fait voir. Ledit de Roquemont estant à Gaspey, ayans appris que l'Anglois avoit monté la riviere, plus fort que luy en vaisseaux & munitions, les devoit éviter le plus qu'il pourroit & pour ceste occasion assembler son Conseil, afin de sçavoir des plus expérimentez s'il y avoit en ces costes quelque port où l'on peust se mettre en seureté, & le faire; où l'ennemy ne le peust endommager: car bien que le Capitaine I. Michel qui estoit avec 185/1169 l'Anglois cogneut quelques ports autour de Gaspey & isle de Bonnaventure, il n'eut peu nuire aux nostres, qui sçavoient assez de retraites en ces costes, plus que ledit Michel, mais le trop de courage fit hasarder le combat. Or les vaisseaux dudit de Roquemont estant en bon port très seur, l'on devoit envoyer une chalouppe bien equippée pour decouvrir & voir la contenance de l'ennemy, & quelle exécution il pouvoit avoir fait à Québec, & attendre que les vaisseaux des ennemis fussent partis pour s'en retourner, aussi tost aller donner advis aux nostres: lesquels asseurez que l'Anglois seroit passe, eussent sorty du port, pour mettre à la voile, monter la riviere, & donner secours au fort & habitation, ce qui eust esté facile. Ou bien puisque ledit sieur de Roquemont estoit délibéré d'aller attaquer l'ennemy[697], prendre le petit Flibot de quelques 80 à 100 tonneaux, avantageux de voiles, le charger de farines, poudres, huilles, & vinaigre, y mettant les Religieux, femmes, & enfans, & à la faveur du combat, il pouvoit se sauver, monter la riviere & nous donner secours. De dire que dira-on si je ne voy l'ennemy? je dis qu'en pareilles ou semblables affaires c'est estre prudent, qu'il vaut mieux faire une honorable retraitte, qu'attendre une mauvaise issue. Le mérite d'un bon Capitaine n'est pas seulement au courage, mais 186/1170 il doit estre accompagné de prudence, qui est ce qui les fait estimer, comme estant suivy de ruses, stratagesmes, & d'inventions: plusieurs avec peu ont beaucoup fait, & se sont rendus glorieux & redoutables. [Note 697: D'après Sagard, M. de Roquemont n'aurait pas recherché le combat. «Le 18e jour de Juillet, dit-il, le sieur de Rocmont, Admiral des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé par la diligence des ennemis.» (Hist. du Canada, p. 939.) Voir ci-dessus, p. 180.] Cependant que nous attendions des nouvelles de ce combat avec grande impatience, nous mangions nos pois par compte, ce qui diminuoit beaucoup de nos forces, la pluspart de nos hommes devenant foibles & débiles, & nous voyant dénués de toutes choses, jusques au tel qui nous manquoit, je me deliberay de faire des mortiers de bois où l'on piloit des pois qui se reduisoient en farines, lesquels nous profitoient mieux qu'auparavant, mais à cause de ce travail on estoit long temps en cet estat, je pensay que faire un moulin à bras ce seroit chose encore plus aisée & profitable, mais comme nous n'avions pas de meulle, qui estoit le principal instrument, je m'informay à nostre serrurier s'il pourroit treuver de la pierre propre à en faire une, il me donna de l'esperance, & pour ce subject alla chercher de la pierre, & en ayant treuvé il les taille, un Menuisier entreprend de les monter. De sorte que cette necessité nous fit treuver ce qu'en vingt ans l'on avoit creu estre comme impossible. Ce moulin s'acheve avec diligence, où chacun portoit sa semenée de pois que l'on mouloit & en recevoit on de bonne farine, qui augmentoit nostre bouillie, & nous fit un très-grand bien, qui nous remit un peu mieux que nous n'estions auparavant. La pesche de l'anguille vint qui nous ayda beaucoup, mais les Sauvages habiles à ceste pesche ne nous en donnèrent que fort 187/1171 peu, les nous vendant bien chères, chacun donnans leurs habits & commoditez pour le poisson, il en fut traitté quelque 1200 du magasin pour des Castors neufs, n'en voulant point d'autres, dix anguillles pour Castor, lesquelles furent départies à un chacun, mais c'estoit peu de chose. Nous esperions que le Champ de Heber & son gendre, nous pourroient soulager de quelque grains à la cueillette: dequoy il nous donnoient bonne esperance, mais quand ce vint à les recueillir il se trouva qu'ils ne nous pouvoient assister que d'une petite esculée d'orge, pois & bleds d'Inde par sepmaine, pesant environ 9 onces & demie, qui estoit fort peu de chose à tant de personnes, ainsi nous fallut passer la misere du temps. Les Pères Jesuites avoient un moulin à bras où les mesnages alloient moudre leurs grains le plus souvent. Heber[698] ne faisoit rien que nous ne recogneussions la quantité qu'il en mouloit afin de ne donner sujet de plainte qu'il eust faict meilleure chère que nous, ce que je ne faisois pas semblant de veoir, bien que je pâtissois assez, mais c'est la coustume qu'en telles necessitez chacun tasche de faire magasin à part, sans en rien dire: je m'estois fié à eux de faire la levée de leurs bleds, ce qu'autre que moy n'eust pas permis en telles necessitez, car en leur donnant leur part comme aux autres on en estoit quitte, & le surplus leur estoit payé, c'est dequoy il avoit peur. [Note 698: C'est-à-dire, la maison d'Hébert. Hébert étaitm mort depuis plus d'un an.] Il est vray que ledit sieur de Caen avoit envoyé des meules à Tadoussac, mais par la négligence de ceux qu'il envoyoit au 188/1172 pays peu affectionnez, aymerent mieux les laisser en ce lieu que les porter à Québec, sçachant bien qu'on ne les pouvoit enlever que par leur moyen, c'estoit à ce que l'on dit[699], qu'il y en avoit en la Nouvelle France, mais il eust autant vallu qu'elles eussent esté à Dieppe qu'audit Tadoussac, où depuis les Anglois les ont rompues en plusieurs pièces. [Note 699: «C'était afin que l'on dît, ou que l'on pût dire.»] Voyant le soulagement que nous recevions de ce moulin à bras, je me deliberay d'en faire faire un à eau, & pendant l'hyver employer quelques Charpentiers à apprester le bois qui seroit necessaire pour cet effect, comme pour le logement à le mettre à couvert, & au Printemps faire tailler les meules, & ainsi accommoder un chacun de ceux qui auroient des grains à faire moudre, & ne retomber plus aux peines où l'on avoit esté par le passé, qu'à ce deffaut ceux qui auroient volonté de defricher qu'ils le fissent pendant que commodément ils feroient moudre leurs grains. Tout l'hyver nos hommes furent assez fatiguez à couper du bois, & le traîner sur la neige de plus de 2000 pas pour le chaufage, c'estoit un mal necessaire pour un plus grand bien: quelques Sauvages nous ayderent de quelques Elans, bien que peu pour tant de personnes, & celuy qui nous assista s'appelloit Chomina qui veut dire le raisin, très-bon Sauvage & secourable. J'envoyay quelques-uns de nos gens à la chasse essayer s'ils pourroient imiter les Sauvages en la prise de quelques bestes, mais ils ne furent si honnestes que ces peuples, car ayant pris 189/1173 un Elan tres-puissant ils s'amuserent à le devorer comme loups ravissants, sans nous en faire part, que d'environ 20 livres, ce qui me fit à leur retour user de reproches de leur gloutonnerie, sur ce que je n'avois pas un morceau de vivres que je ne leurs en fisse part: mais comme ils estoient gens sans honneur & civilité, aussi s'estoient ils gouvernez de mesme, & depuis je ne les y envoyay plus, les occupant à autres choses. La longueur de l'hyver nous donnoit assez souvent à penser aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme une seconde prise de nos vaisseaux, & les moyens que nous pouvions avoir pour subvenir à nos necessitez, qui estoient plus grandes qu'elles n'avoient jamais esté, dautant que toutes nos légumes nous defailloient en May, quelque mesnages que j'eusse fait, qui estoit le temps que nous attendions nouvelles, ou bien pour le plus tard à la fin de May, & estoit meilleur pâtir doucement, que manger tout en un coup, puis mourir de faim: c'est ce que je remonstrois à tous nos gens, qu'ils prinssent patience attendant nostre secours. Je pris resolution que si nous n'avions des vaisseaux à la fin de juin, & que l'Anglois vint comme il s'estoit promis, nous voyant du tout hors d'esperance de secours, de rechercher la meilleure composition que je pourrois, d'autant qu'ils nous eussent fait faveur de nous rapasser & avoir compassion de nos miseres, car autrement nous ne pouvions subsister. La seconde resolution estoit en cas que n'eussions aucuns 190/1174 vaisseaux, de faire accommoder une petite barque du port de sept à huict tonneaux, qui estoit restée à Québec parce qu'elle ne valloit rien qu'à brûler. Ceste necessité nous sit resoudre à luy donner un radoub pour s'en pouvoir servir, comme je fis y commencer le premier de Mars, & dans icelle barque y mettre le plus de monde que l'on pourroit, y mettant quelque pelleterie & aller à Gaspey, Miscou & autres lieux vers le Nort, pour trouver passage dans des vaisseaux qui viennent faire pesche de poisson, & payer leur passage en pelleterie, & ainsi la barque pourroit faire deux voyages partant d'heure, ce qui devoit estre pour le premier voyage le 10 de Juillet, & ainsi descharger l'habitation d'un nombres d'hommes, & en retenir suivant la quantité des grains que l'on eust peu recueillir tant au desert d'Hébert comme celuy des peres qui devoient estre ensemencez au printemps, qui avoyent reservé des grains & légumes pour cet effet. Mais tout le mal que je prevoyois en ceste affaire estoit de pouvoir vivre attendant le mois d'Aoust, pour faire la cueillette des grains: car il falloit avoir de quoy passer trois à quatre mois, ou mourir: nostre recours, bien que miserable, estoit d'aller chercher des herbes & racines, & vaquer à la pesche de poisson, attendant le temps de nous voir plus à nostre aise, & s'il eust esté impossible de redonner le radoub à la barque, comme l'on pensoit au commencement c'estoit d'emmener avec moy, 50 à 60 personnes, & m'en aller à la guerre avec les Sauvages qui nous eussent guidés aux Yrocois, & forcer l'un de leurs villages, ou mourir 191/1175 en la peine pour avoir des bleds, & là nous y fortifier en y passant le reste de l'Esté, de l'Automne, & l'Hyver plustost que mourir de faim les uns pour les autres à l'habitation, où nous eussions attendu nouvelle au printemps de ceux de Québec par le moyen des Sauvages, & me promettoient que si tant estoit que Dieu nous favorisast du bon heur de la victoire, que ce seroit le chemin de faire une paix générale, & tenir le païs & les rivieres libres. Voilà les resolutions que j'avois prises, si Dieu ne nous assistoit de secours plus favorable. Le 19 du mois d'Avril arriva un Sauvage appellé Erouachy[700], homme de commandement, il y avoit près de deux ans qu'il estoit party de Québec lors que nos hommes surent massacrés, lequel nous avoit asseuré qu'à son retour (qui ne devoit estre que de 7 à 8 mois) il nous sçauroit à dire au vray le meurtrier de ces pauvres gens, mais comme il avoit halené ceux qui excusoient celuy que nous tenions prisonnier, frappé du mesme coin, il nous voulut imprimer la mesme marque, se voyant vaincu de quelque particularités de la vérité & de la raison qu'on avoit de le retenir, jusques à ce que l'on eust fait une plus particulière recherche, il dit qu'il falloit attendre que tous les Sauvages fussent assemblés, s'asseurant tellement que celuy qui avoit fait le coup viendroit, & nous le livreroit, si n'estoit qu'il fust adverty, qu'en ce cas il ne le pourroit faire, neantmoins que si nous l'aymions bien, qu'on le 192/1176 laisseroit sortir; recognoissant ses raisons foibles, je luy dis qu'il y avoit bien peu d'apparence qu'un homme coulpable voyant un autre retenu en sa place se vint jetter entre nos mains pour estre justifié, pouvant esviter une si mauvaise rencontre: de plus la grande perquisition que l'on avoit fait depuis deux ans qui luy auroit donné plus de suject de s'esloigner, que d'approcher, neantmoins s'il le faisoit, nous estions resolus de delivrer le prisonnier, & les accusateurs comme faux tesmoins seroient recognus pour très-pernicieux & meschants à la louange & gloire de l'accusé. De plus qu'auparavant de venir à l'exécution nous attendrions le retour de nos vaisseaux, & que tous les Sauvages fusent assemblez, ce qu'estant nous parlerions plus clairement à toutes les nations qui jugeroient de la façon que nous nous gouvernions en telles affaires, & s'en trouvant un autre coulpable, comme je luy avois dit, il seroit libre. Voyla qui sera bien, dit il, & pour s'insinuer en nostre amitié, craignant que les discours qu'il nous avoit tenus nous en fissent refroidir, il dit qu'il nous vouloit donner advis que nous eussions à nous donner de garde des Sauvages de Tadoussac qui estoient meschans traistres, ce que nous sçavions bien desja, nous l'ayant assez tesmoigné à la venue de l'Anglois, que si mes compagnons alloient à la chasse ou pesche de poisson pour coucher hors l'habitation, qu'il ne leur conseilloit qu'au préalable il ne donnast un de ses compagnons pour les assister, desirant vivre en paix avec nous, & que le desplaisir qu'il avoit de voir perdre le pays, luy faisoit tenir ces discours. [Note 700: Erouachy, ou Esrouachit, d'après Sagard, est le même que La Forière (Hist. du Canada, p. 698). Il semble en effet que l'auteur parle ici du même sauvage qui s'était donné tant de mouvement lors du meurtre des deux français dont il est parlé plus haut, page 161 et suivantes; seulement, il n'y avait guères qu'un an qu'il avait quitté Québec.] 193/1177 Il nous fit entendre au vray la mort des Sauvages & du François appellé le Magnan, qui estoient allez aux Yrocois, pour traicter de paix, ne l'ayant sceu asseurément comme il nous le conta, l'ayant appris des Yrocois du mesme village, qui avoient esté pris prisonniers par une nation appellée Mayganathicoise (qui veut dire nation des loups) qui avoient guerre depuis deux ans avec les Yrocois à deux journées de leur village, & trois à quatre des Flamans, qui sont habitués au 40e degré, à la coste tirant aux Virginies, les prisonniers furent bruslez. Voicy le récit de toute l'affaire. Un Algommequin de l'Isle qui est à 180 lieues de Québec, fut cause de la mort des Sauvages du François, lequel sçachant qu'un Sauvage appellé Cherououny[701], qui estoit en grande reputation, devoit faire ceste ambassade, luy voulant mal & luy portant une haine particulière, s'en alla aux Yrocois, où il avoit quelques parens: leur donne advis comme amateur de leur conservation, ne desirant point de troubles parmy les nations: & que si ledit Ambassadeur venoit pour moyenner la paix, ils n'eussent à adjouster foy en luy, pour ce que le voyage qu'il entreprenoit n'estoit que pour recognoistre leur pays, & sous ombre de paix & d'amitié les trahir, n'ayant autre dessein que de les faire mourir après qu'il auroit recogneu particulièrement leurs forces. Que c'estoit luy seul qui estoit cause de tant de divisions parmy les nations, mesme qu'il y avoit plus de dix ans qu'il avoit tué deux François, ce qui luy 194/1178 estant pardonné on n'osoit le faire mourir. Les Yrocois luy prestent L'oreille trop légèrement, luy promettent que venant il ne s'en retourneroit pas comme il estoit venu. De là il s'en retourne aussi-tost vers les Algommequins, disant qu'il avoit esté poursuivy des ennemis, qu'ils l'avoient pensé assommer. Ceste nation se laisse aller à ses discours, & croit ce qu'il disoit, jusques à ce que la vérité eust esté recognue. Peu de temps après le galant voyant qu'il ne faisoit pas bon pour luy, il esquive & se va ranger du costé des Yrocois pour mettre la vie en seureté. [Note 701: Cherououny paraît être le nom sauvage du Reconcilié. (Voir ci-dessus, p. 165.)] Ces entremetteurs de la paix s'en allèrent aux premiers villages des Yrocois, qui sçachant leur venue font mettre une chaudière pleine d'eau sur le feu en l'une de leurs maisons, où ils firent entrer nos Sauvages avec le François, à l'abord ils leur montrent bon visage les prient de s'asseoir auprès du feu, leur demandent s'ils n'avoient point de faim, ils dirent que ouy, & qu'ils avoient assez cheminé ceste journée sans manger: alors ils dirent à Cherououny ouy il est bien raisonnable qu'on t'appreste dequoy festiner pour le travail que tu as pris: l'un de ces Yrocois s'addressant audit Cherououny, tirant un cousteau luy coupe de la chair de de ses bras, la met en ceste chaudière, luy commande de chanter, ce qu'il fait, il luy donne ainsi sa chair demy crue, qu'il mange, on luy demande s'il en veut davantage, dit qu'il n'en a pas assez, & ainsi luy en coupent des morceaux des cuisses & autres parties du corps, jusques à ce qu'il eust dit en avoir assez: & ainsi ce pauvre miserable finit inhumainement & barbarement ses tours, le 195/1179 François fut bruslé avec des tisons & flambeaux d'escorce de bouleau, où ils luy firent ressentir des douleurs intolerables premier que mourir. Au troisiesme qui s'en vouloit fuir, ils luy donnèrent un coup de hache, & luy firent passer les douleurs en un instant. Le quatriesme estoit de nation Yrocoise qui avoit esté pris petit garçon par nos Sauvages, & eslevé parmy eux fut lié, les uns estoient d'advis qu'on le fit mourir, d'autant que si on luy donnoit liberté il s'en retourneroit: en fin ils se resolurent de le garder esperant que le temps luy feroit perdre le souvenir & l'amitié qu'il avoit de nos Sauvages de Québec, le tenant comme prisonnier: Voila comme ces pauvres miserables finirent leur vie. Il semble en cecy que Dieu, juste juge, voyant qu'on n'avoit fait le chastiment deu à ce Cherououny, à cause de deux François qu'il avoit tuez au Cap de Tourmente allant à la chasse[702], luy ayant pardonné ceste faute il fut puny par la cruauté que luy firent souffrir les Yrocois, & ledit Magnan de Tougne en Normandie qui avoit aussi tué un homme à coups de bastons, pourquoy il estoit en fuitte, & fut puny de mesme par le tourment du feu. [Note 702: Voir 1619, p. 113-133.] Neantmoins nous avions un légitime suject de nous ressentir de telles cruautés barbares, exercées en nostre endroit, & en la personne dudit Magnan, & pource que si nous ne l'eussions fait, jamais l'on n'eust acquis honneur ny gloire parmy les peuples, qui nous eussent mesprisez comme toutes les autres nations, prenant cette audace à l'advenir de nous avoir à desdain & 196/1180 lasches de courage: car j'ay recognu en ces nations, que si vous n'avez du ressentiment des offences qu'ils vous font, & que leurs preferiés les biens & traittes aux vies des hommes ans vous en soucier, ils viendront un jour à entreprendre à vous couper la gorge, s'ils peuvent, par surprises comme est leur coustume. Ce Sauvage Erouachy nous dit qu'il avoit passé quelque mois parmy une nation de Sauvages qui sont comme au midy de nostre habitation environ de 7 à 8 tournées, appellés Obenaquiouoit[703], qui cultivent les terres, lesquels desiroient faire une estroitte amitié avec nous, nous priant de les secourir contre les Yrocois, perverse & meschante nation entre toutes celles qui estoient dans ce païs, croyans que comme interessés de la mort de nostre François, nous aurions agréable ceste guerre légitime, en destruisant ces peuples, & serions que le pays & les rivieres seroient libres aux commerces: Les nations du païs sçachant nostre resolution par ledit Erouachy, leur feroit sçavoir qu'ils donneroient ordre à ce qu'ils auroient à faire pour le sujet de ceste guerre, soit que nous y fussions ou que nous n'y fussions pas. [Note 703: Ouabenakiouek (ceux de l'aurore), ou Abenaquis. C'est le nom que les Montagnais donnaient aux Etchemins et en particulier aux sauvages du Kénébec, que l'auteur visita lui-même dans ses premiers voyages avec M. de Monts et M. de Poutrincourt.] Je consideray que ceste légation nous pouvoit estre profitable en nos extrêmes necessitez, qu'il nous en falloit tirer advantage, ce qui me fit resoudre d'envoyer un homme tant pour recognoistre ces peuples, que la facilité ou difficulté qu'il y auroit pour y parvenir, & le nombre des terres qu'ils 197/1181 cultivoient, n'estant qu'à 8 tournées de nostre habitation: que ceste nation nous pourroit soulager, tant de leurs grains comme prendre partie de mes compagnons pour hiverner avec eux, par ce moyen nous soulager, au cas que quelque accident fut arrivé à nos vaisseaux, soit par naufrage ou par combat sur la mer, ce que j'apprehendois grandement, les attendant à la fin de May au plus tard, pour estant secourus, oster toutes les prétentions que les Anglois avoient de se saisir de tous ces lieux ils s'estoient promis de faire, cela leur estant fort facile, n'ayant dequoy se substanter, ny monitions suffisantes pour se défendre & sans aucun secours. Voila comme l'on nous avoit laissez despourveus de toutes commoditez, & abandonnez aux premiers pirates ou ennemis, sans pouvoir resister. Cela arresté, je dis audit Erouachy que pour ceste année je ne pouvois assister ces peuples en leurs guerres, attendu la perte, des vaisseaux qu'avions faite avec l'Anglois, qui nous avoient grandement incommodez des choses qui nous eussent esté necessaires en ceste guerre, que neantmoins arrivant nos vaisseaux, & y ayant des hommes assez, je ne laisserois d'y faire tout mon pouvoir de les assister dés l'année mesme, & quoy qu'il arrivast, l'autre ensuivant je les secourerois de cent hommes, si je pouvois les accommoder des choses qui leur seroient necessaires. Sur ce je luy fis veoir des moyens & inventions pour promptement enlever la forteresse des ennemis: dont il fut tres-aise de les voir & les considera avec attention. De plus, que pour asseurer davantage les peuples j'y voulois envoye un homme avec quelque present pour estre tesmoin 198/1182 oculaire de tout ce que je luy disois, & pour plus grande asseurance je m'offrois à leur envoyer de mes compagnons pour hyverner en leur pays, & au printemps se treuver au rendez-vous de la riviere des Yrocois, comme à toutes les nations leurs amis, qui les voudroient assister, aussi que si quelque année leur succedoit mal en la cueille de leurs grains, venant vers nous nous les secourerions des nostres, comme nous esperions d'eux au semblable en les satisfaisant; le tout pour tenir à l'advenir une ferme amitié les uns avec les autres, & quoy que se fusse, si nos vaisseaux ne venoient nous ne laisserions pas d'aller à la guerre, y menant cinquante hommes avec moy, jugeant qu'il valloit mieux faire & exécuter ce dessein, pour descharger l'habitation que mourir de necessité les uns pour les autres, attendant secours de France, & ainsi j'allois cherchant des remèdes au mieux qu'il m'estoit possible. Tout ce discours pleut audit Erouachy, qui tesmoigna en estre grandement satisfaict, comme chose qui le mettoit en crédit avec ces nations. Ce qu'estant treuvé bon d'un chacun, j'eus desir d'envoyer mon beau frère Boulay en ceste descouverture, d'autant qu'il estoit question que celuy qui iroit fust homme de jugement, & s'accommodast aux humeurs de ces peuples, où tout le monde n'est pas propre, & recognoistre exactement le chemin que l'on feroit avec les autheurs[704] des lieux, & plusieurs particularitez qui se rencontrent & qui sont necessaires, à sçavoir à ceux qui vont descouvrir. Mais d'autre part la 199/1183 necessité & confiance que j'avois de luy, si l'Anglois venoit, fist que je ne luy peus permettre ce qu'il desiroit, ce qui me fit resoudre d'y envoyer un autre auquel je promis quelque gratification pour la peine qu'il auroit en ce voyage, luy donnant des presens pour les Sauvages, de nostre part, comme est la coustume en telles affaires, & furent aussi faits des presens aux Sauvages qui luy servoient de guides & truchement, & pour ce faict il partit le 16 de May 1629[705]. [Note 704: Lisez: hauteurs.] [Note 705: Ce jour-là même, la veuve d'Hébert, Marie Rolet, se mariait en secondes noces avec Guillaume Hubou. Le mariage fut célébré par le P. Joseph le Caron, en présence de Champlain et d'Olivier le Tardif.] Cedit jour j'envoyay un Canau avec deux François & un Sauvage qui avoit esté baptisé par le Père Joseph Caron Recollet, fils de Chomina[706], bon Sauvage aux François, mais le fils retourna comme auparavant avec les Sauvages, & par ainsi son fruict fut comme inutile; il y a bien à considerer premier que d'en venir au baptesme, & il y a en cecy des personnes trop faciles pour ces choses, qui sont si chatouilleuses: mais le bon Père fut emporté de zèle. Je les envoyay à Tadoussac pour attendre nos vaisseaux, & pour aussi-tost nous en venir donner advis, comme aussi si c'estoient nos ennemis, leur donnant charge d'attendre jusques au dixiesme de Juin pour commencer à donner l'ordre à nos affaires. Je leur avois donné lettres signées de moy & du sieur du Pont addressantes au premier vaisseau qu'ils pourroient descouvrir, sujet de sa Majesté, qui auroit voulu tenter le hazard de venir à la desrobée traitter avec les Sauvages contre les deffenses de sa Majesté, comme 200/1184 ordinairement il y en va tous les ans, par laquelle nous leur mandions, que s'ils nous vouloient traitter des vivres au prix des Sauvages, on leur donneroit de la pelleterie de plus grande valeur pour eux, promettant prendre toutes leurs marchandises au mesme prix desdits Sauvages, & pour le plaisir qu'ils nous feroient en ceste extrême necessité, nous tascherions les gratifier envers Messieurs les associez si leurs vaisseaux venoient. Ou venant pour le plus tard au dixiesme de Juillet, qu'en repassant partie de nos compagnons en France, on leur promettoit de payer leur passage, & de plus la traitte libre en la riviere, & ainsi nous ne laissions passer aucune occasion qui nous venoit en l'esprit pour remédier en toutes choses, craignant une plus rude secousse que l'année d'auparavant si nos vaisseaux ne venoyent point. Je fus visiter le Père Joseph de la Roche, très-bon Religieux, pour sçavoir si nous pourrions esperer du secours de leurs grains, s'ils en avoient de trop, & que n'en eussions de France: Il me dist que pour ce qui estoit de luy il le feroit & y consentiroit, qu'il en falloit donner advis au Père Joseph Caron Gardien, & qu'il luy en parleroit. [Note 706: Voir ci-dessus, p. 137.] La crainte que nous avions qu'il ne fust arrivé quelque accident à nos vaisseaux, nous faisoit rechercher tous moyens de remédier à la famine extrême qui se preparoit, voyant estre bien avant en May, & n'avoir aucunes nouvelles, ce qui donnoit de l'apprehension à la pluspart des nostres, qu'ayant passé de grandes disettes avec sept onces de farine de pois par jour, qui estoit peu pour nous maintenir, venant à n'avoir rien du 201/1185 tout ce seroit bien pis, ne nous restant des poix que pour la fin de May. Tout cela me donnoit bien à penser, bien que je donnasse le plus de courage qu'il m'estoit possible à un chacun considerant que prest de 100 personnes malaisément pourroient ils subsister sans en mourir beaucoup, si Dieu n'avoit pitié de nous: divers jugemens se faisoient sur le retardement des vaisseaux[707] pour soulager un chacun en leur donnant de bonnes esperances, afin de ne perdre le temps. Nous deliberasmes d'équiper une chalouppe de six Matelots & Desdames commis de la nouvelle societé pour y commander, auquel donnions procuration & lettres, avec un mémoire bien ample de ce qu'il devoit faire pour aller à Gaspey: Les lettres s'adressoient au premier Capitaine des vaisseaux qu'il treuveroit audit lieu ou autres ports & rades des costes, par lesquelles nous leur demandions secours & assistance de leurs vivres, passages, & autres commoditez selon leur pouvoir, & pour les interests qu'ils pourroient prétendre du retardement de leur pesche, que nous tiendrions pour fait tout ce que ledit Desdames feroit suivant la procuration qu'il avoit, & au cas qu'il ne nous arrivast aucun vaisseau au dixiesme de Juillet, n'en pouvant plus esperer en ce temps, comme estant hors de saison, n'estant la coustume de commencer alors un voyage pour y arriver si tard. La chose estant délibérée, ledit Desdames me donna advis qu'un bruit couroit entre ceux qu'il emmenoit, que rencontrant quelque vaisseau ils ne reviendroient, & que de retourner seul 202/1186 il n'y avoit nulle apparence, que j'eusse à y remédier avant que cela arrivast. Ce que sçachant, j'en desiray sçavoir la vérité, ce que je ne peus, me contentant leur dire que telles personnes ne meritoient que la corde, qui tenoient ces discours: car mettant en effect leur pernicieuse volonté, ils ne consideroient la suitte ny la consequence, ne desirant qu'ils fissent le voyage puis qu'il falloit pâtir & endurer, ce seroit tous ensemble se mettre en peine, bien faschez de se veoir frustrez de leur esperance, neantmoins pour remédier à cela je changeay l'équipage, y mettant la moitié des anciens hyvernants qui avoient leurs femmes à l'habitation[708], avec l'autre de Matelots, retenant le reste pour servir en temps & lieu: je les fis apprester de tout ce qui leur estoit necessaire, ayant donné les despesches audit Desdames, & le mémoire pour sa conduitte, soit que par cas fortuit il rencontrast nos vaisseaux ou ceux des ennemis, & de plus le chargeasmes que s'il ne trouvoit aucuns vaisseaux sujects du Roy, il iroit trouver un Sauvage de crédit & amy des François, le prier de nostre part de vouloir recevoir de nos compagnons avec luy pour hyverner, si aucuns vaiseaux ne venoient, & qu'on luy donneroit le printemps venu, une barique de galette & deux robes de castor pour chaque homme. Ils partirent le 17 dudit mois de May. Ces choses expédiées je fis faire diligence 203/1187 de faire faire le radoub à nostre barque, envoyant chercher du bray de toutes parts pour la brayer, car c'estoit ce qui nous mettoit le plus en peine, comme chose très-longue à amasser dans des bois, nous esperions avec cette petite barque mettre quelque 30 personnes pour aller à Gaspey ou autres lieux pour y treuver des vaisseaux, & avoir moyen d'aller en France, suivant la charge qu'avions donné audit Desdames, & n'en trouvant aucun, laisser, comme dit est, partie de nos hommes avec ledit Juan Chou Capitaine Sauvage, & s'ils treuvoient du sel en ces lieux-là faire pesche de molue au lieu de Gaspey ou Isle de Bonaventure, que dans la barque il resteroit quelque 6 à 7 personnes qui nous apporteroient ce qu'ils auroient pesché de poisson, qui eust peu se monter à quelque quatre milliers, & ainsi nous ayder au mieux qu'il nous eust esté possible. [Note 707: La fin de cet alinéa devrait être renvoyée au commencement du suivant.] [Note 708: C'est-à-dire, que la moitié de l'équipage était des anciens hivernants qui avaient leurs femmes à l'habitation. Or, comme nous le verrons ci-après p. 205, 206, il y avait à l'habitation cinq femmes: celle de Hubou, celle de Couillard, celle de Martin, celle de Des Portes et celle de Pivert. Comme Couillard et Martin avaient chacun plusieurs enfants, il est probable que l'auteur choisit les trois autres, Guillaume Hubou, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert.] La deploration la plus sensible en ces lieux en ce temps de disette estoit de voir quelques pauvres mesnages chargez d'enfans qui crioyent à la faim après leurs père & mère, qui ne pouvoient fournir à leur chercher des racines, car malaisément chacun en pouvoit-il treuver pour manger à demy leur saoul dans l'espaisseur des bois, à quatre & cinq lieues de l'habitation, avec l'incommodité des Mousquites, & quelquesfois estre harassez & molestez du mauvais temps. Les societez ne leur ayant en ces pays voulu donner moyen de cultiver des terres, ostant par ce moyen tout sujet d'habiter le pais, néantmoins on faisoit entendre qu'il y avoit nombres de familles, il estoit vray qu'estant comme inutiles ils ne servoient que de nombre, 204/1188 incommodant plus qu'elles n'apportoient de commoditez, car l'on voyoit clairement qu'avenant quelque necessité ou changement d'affaire, il eust fallu qu'elles eussent retourné en France pour n'avoir de la terre défrichée depuis 15 à 20 ans qu'elles y avoient esté menées de l'ancienne societé[709]: il n'y avoit eu que celle de feu Hébert qui s'y est maintenue [710], mais ce n'a pas esté sans y avoir de la peine, après avoir un peu de terre défrichée, le contraignant & obligeant à beaucoup de choses qui n'estoient licites pour les grains qu'il levoit chaque année, l'obligeant de ne les pouvoir vendre ny traitter à d'autres qu'à ceux de ladite societé pour certaine somme. Ce n'estoit le moyen de donner de l'affection d'aller peupler un païs, qui ne peut jouyr du bénéfice du pays à sa volonté, au moins leur devoient-ils faire valoir les castors à un prix raisonnable, & leur lainer faire de leurs grains ce qu'ils eussent desiré. Tout cecy ne se faisoit à dessein que de tenir tousjours le pays necessiteux, & oster le courage à chacun d'y aller habiter pour avoir la domination entière, sans que l'on s'y peust accroistre. Ce qui leur desplaisoit grandement c'estoit de ce qu'ils voyoient que si je faisois construire un fort, n'y voulant contribuer de leur volonté, & blasmant une 205/1189 telle chose, bien que ce fust pour la conservation de leurs biens & sauvegarde de tout le païs, comme il se recogneut à la venue de l'Anglois, que sans cela dés ce temps-là nous eussions tombé entre leurs mains. [Note 709: En 1629, il y avait environ quinze ans que la société de Rouen avait obtenu son privilège. De ce texte, on peut donc conclure que Maître Abraham Martin, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert étaient venus se fixer à Québec dès les années 1614 ou 1615, c'est-à-dire, dans les premières années de l'ancienne société. On sait que Louis Hébert arriva en 1617. Ces quatre anciens habitants de Québec vinrent ici mariés; puisque leurs actes de mariage ne se trouvent pas dans les registres de N.-D. de Québec.] [Note 710: Qui s'y est maintenue sur une terre. De ce passage, on n'est pas en droit de conclure que ces familles étaient repassées en France, puisque l'auteur fait ici remarquer que, si elles n'étaient pas plus avancées que le premier jour, depuis quinze à vingt ans qu'elles étaient dans le pays, c'était par suite de la contrainte où les tenait la compagnie des marchands.] Les commis du sieur de Caen virent bien combien cela estoit necessaire, quoy qu'ils ne le pouvoient confesser auparavant, encores qu'ils le sceussent bien en leurs ames: mais ils estoient si complaisans qu'ils vouloient agréer à ceux qui avoient la bource. Davantage s'il y eust fallu des hommes en la place des femmes & enfans, il eust esté necessaire de leur donner des gages outre la nourriture, ce qui estoit espargné par ce mesnage, & autant de profit aux societez, pour le peu d'ouvriers qui estoient à entretenir: car d'environ 55 à 60 personnes qui estoient pour la Société il n'y en avoit pas plus de 18 pour travailler aux choses necessaires, tant du fort de l'habitation qu'au Cap de Tourmente, où la pluspart des ouvriers estoient empeschez à faucher le foin, le serrer, faner, & faire les réparations des maisons. Cela n'estoit pas pour faire grand ouvrage en toutes ces choses au bout de l'année quand nous eussions eu les vivres & autres commoditez à commandement: car tout le reste des hommes & autres personnes consistoit en trois femmes, l'une desquelles[711] le sieur de 206/1190 Caën avoit amenée pour avoir soin du bestial, qui estoit le plus necessaire, deux autres femmes[712] chargées de huict enfans, quatre Père Recolets[713], tous les autres officiers ou volontaires n'estoient pas gens de travail. [Note 711: Probablement la femme de Nicolas Pivert, Marguerite Le Sage, qui, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (p. 171, note 3), avait été employée avec son mari à l'habitation du cap Tourmente, Elle avait avec elle une petite nièce (_ibid_.); mais il ne paraît pas qu'elle ait eu d'enfants (Registres de N.-D. de Québec; greffe de Piraube, Donation entre Pivert et sa femme), et c'est sans doute pour cette raison même qu'elle pouvait s'occuper du soin du bétail. Les deux autres femmes, mentionnées ici avec la femme de Pivert, parce qu'elles n'étaient pas chargées d'enfants comme les deux dont il est parlé plus bas, étaient vraisemblablement la veuve Hébert et la femme de Pierre Des Portes. La veuve Hébert venait de se remarier à Guillaume Hubou, et n'avait plus d'enfants en bas âge; car Guillaume Hébert, le dernier de la famille, avait alors une douzaine d'années. Françoise Langlois, épouse du sieur Des Portes, avait une fille nommée Hélène, qui devait avoir au moins six à sept ans, puisque cinq ans après elle se mariait avec Guillaume Hébert. Dans son contrat de mariage avec Noël Morin son second mari, Hélène Des Portes est dite native de Québec. On voit en effet que Pierre Des Portes était déjà dans le pays avec sa famille dès 1621, puisqu'il signa comme «français habitant la Nouvelle-France» la requête qui fut alors présentée au roi. (Sagard, Hist. du Canada, p. 77.)] [Note 712: Ces deux femmes chargées de huit enfants, étaient celle de Couillard et celle d'Abraham Martin dit l'Escossois, qui pouvaient en avoir quatre chacune. Quant à la femme d'Abraham, Marguerite Langlois, elle en avait certainement quatre: Anne, Eustache, Marguerite et Hélène; celle de Couillard, Guillemette Hébert, en avait probablement quatre aussi, quoique le Registre des Baptêmes n'en mentionne que deux, Louise et Louis; mais les intervalles qui séparent la naissance des enfants de Couillard permettent de croire qu'il avait à cette époque deux autres enfants qui seraient morts depuis en bas âge.] [Note 713: Pourquoi Champlain ne parle-t-il pas des PP. Jésuites, comme des PP. Récollets? C'est que, dans ce passage, il n'est question que de ceux qui étaient aux charges de la société; et elle s'était engagée à en entretenir six. (Prem. établiss. de la Foy, I, 302, 303.)] 207/1191 [Illustration] LIVRE TROISIESME DES VOYAGES DU SIEUR DE CHAMPLAIN. _Rapport du combat faict entre les François & les Anglais. Des François emmenez, prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle amy des François promet les advertir de toutes les menées des Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient,_ CHAPITRE PREMIER. Le 20 de May vingt Sauvages forts & robustes venant de Tadoussac pour aller à la guerre aux Yrocois, nous dirent le combat qui avoit esté fait entre les Anglois & les 208/1192 François[714], qu'il y avoit eu des nommes tuez, que le sieur de Roquemont avoit esté blessé au pied: que les François avoient esté pris & emmenez à Gaspey, qui depuis les avoient mis tous dans un vaisseau pour s'en retourner en France & retindrent tous les Chefs en leurs vaisseaux & quelques compagnons, ils bruslent une cache de bleds qui estoient aux Pères Jesuites à Gaspey, cela fait s'estoient mis sous un voile[715] pour s'en aller en Angleterre: ils nous dirent aussi que quelques jours après le partement des Anglois vint un vaisseau qui s'estoit sauvé durant le combat auquel ils demandèrent une chalouppe pour nous venir advertir qu'ils avoient des vivres assez, mais qu'ils ne leur voulurent donner: Ils ne me peurent dire le nom du Capitaine qui commandoit dedans, ne me pouvant imaginer pour quel suject ils estoient retournez audit Gaspey, où il pouvoit rencontrer quelques vaisseaux de l'ennemy. [Note 714: Le combat avait eu lieu dès le 18 juillet 1628, dix jours seulement après la sommation de Québec. La nouvelle compagnie, dite des Cent-Associés, avait expédié de Dieppe quatre vaisseaux bien fournis de provisions de bouche et de munitions sous la conduite du sieur de Roquemont. Arrivé à Gaspé, il fut informé par les sauvages qu'il y avait à Tadoussac quatre ou cinq grands vaisseaux anglais, qui s'étaient déjà saisis de quelques navires le long des côtes. On dépêcha à Québec le sieur Desdames (ci-dessus, p. 180), auquel on donna pour rendez-vous l'île Saint-Barnabé. La flotte commença à remonter le fleuve avec précaution, lorsqu'on rencontra les vaisseaux ennemis. Le sieur de Roquemont, voyant que la partie n'était pas égale, crut plus prudent de prendre la fuite. Les Anglais le poursuivirent jusqu'au lendemain vers les trois heures de l'après-midi. Le combat dura quatorze ou quinze heures, suivant Sagard, et il fut tiré de part et d'autre plus de douze cents volées de canon. Les Français tirèrent jusqu'au plomb de leurs lignes; mais à la fin l'amiral, criblé de boulets et sérieusement endommagé par deux bordées tirées à fleur d'eau, se vit contraint de parlementer, et demanda composition. Les conditions furent: Qu'il ne serait fait aucun déplaisir aux religieux; que l'honneur des femmes et des filles serait conservé, et que l'on donnerait passage à tous ceux qui devraient retourner en France, Malgré l'acharnement du combat, il n'y eut que deux français de tués, et quelques autres de blessés. (Sagard, Hist. du Canada, p. 945, 949 et suiv.)] [Note 715: «S'estoient mis sous voile.»] N'ayant encores nouvelles de nos vaisseaux, j'envoyay un Canau pour aller à la chasse aux loups marins vers les isles du Cap de Tourmente, afin d'avoir de l'huile d'iceux pour mesler parmy 209/1193 le bray que nous avions amassé pour brayer nostre 1620 barque. Le 30 du mois partie de nos guerriers revindrent de[716] sans avoir faict aucune exécution, nous apportant nouvelles qu'ils avoient rencontré 2. Canaux des Algommequins, avec un prisonnier Yrocois, qu'ils emmenoient en son païs pour faire la paix, emportant avec eux des presens pour leur donner; que lesdits Yrocois l'Automne passée avoient tué un Algommequin, & pris quelques femmes & enfans qu'ils avoient remené depuis peu ausdits Algommequins, ce qui les avoit occasionnez d'envoyer ces deux Canaux avec ce prisonnier, Se que la nation des Mahigan-Aticois desiroit traitter de paix avec lesdits Yrocois, ayant sceu aussi par quelques Sauvages que des vaisseaux estrangers estoient arrivez aux costes où estoient les Flamens qui desiroient faire une paix generalle de leur costé avec les nations qui avoient guerre entr'eux. [Note 716: Le mot manque dans l'original. Ces guerriers, qui vraisemblablement faisaient partie des vingt mentionnés plus haut, revenaient sans doute des Trois-Rivières, comme les autres qui rrivèrent une semaine après, le 6 de juin (ci-dessous).] Le sixiesme de Juin arriverent le reste des guerriers des trois rivieres, qui furent proche du premier village des ennemis, ne voyant & ne pouvant faire plus d'effect que de tuer quelques femmes qui faisoient leurs bleds, ils en tuèrent sept & un homme, en apportant leurs testes, & faisant une prompte retraitte, ils donnèrent l'alarme au village, qui du commencement pensoient qu'ils fussent en plus grand nombre qu'ils-n'estoient pour les venir surprendre. 210/1194 L'unziesme dudit mois le Canau que j'avois envoyé à Tadoussac revint sans avoir aucunes nouvelles de nos vaisseaux, ce qui nous faisoit penser au suject de ce retardement: car nos pois estans faillis, quelque mesnage que l'eusse peu apporter, & nous voyant si necessiteux & desnuez de tout, nous pensasmes à ce que nous aurions à faire du prisonnier soubçonné d'avoir meurdry nos hommes, n'ayant plus rien pour luy donner à cause que nos vaisseaux n'estoient encore venus, & les attendions de jour autre avec l'assemblée des Sauvages, pour parler à eux, & puis faire la justice de ce Sauvage. Mais comme nous prevoyons que la mer n'estoit si libre que nos vaisseaux ne fussent pris ou perdus pour une seconde fois: je fis que l'on retarda le jugement de nostre prisonnier & que venant aux preuves manifestes & le trouvant coulpable il ne falloit point temporiser, mais l'exécuter sur l'heure, si on en venoit là, ce qui estoit trop vray, selon qu'un Sauvage appellé Choumina nous avoit dit, vray & fidelle amy aux François, aussi en avions nous eu quelque tesmoignage. D'ailleurs nous considerions que si l'on venoit à l'exécution estant en la necessité, que cela pour lors nous eust apporté quelque dommage, car comme ces peuples n'ont aucune forme de justice, ils eussent cherché moyen en nos malheurs de nous faire du pis qu'ils eussent peu, & ne nous en pouvant passer, il fallut songer comme l'on le livreroit. Ledit Erouachy me vint treuver, me priant que puis que les vaisseaux n'estoient point venus, & que nous n'avions aucunes commoditez pour vivre que nous eussions à delivrer le 211/1195 prisonnier si long-temps détenu, qui s'en alloit mourant de jour en autre: je luy dis que si nous le relaschions que ce ne seroit point à cause de la necessité de vivres, car bien que nos pois manquassent, nous allions chercher des racines dequoy il se fust aussi bien, voire mieux passé que nous, luy qui estoit accoustumé d'avoir de telles necessitez: De plus, que si nous eussions voulu luy faire perdre la vie depuis un an qu'il estoit détenu, que nous l'aurions peu faire, mais que nous ne faisions aucune chose sans bonne & juste information. Il dist qu'il le recognoissoit bien, que toutesfois si on le vouloit delivrer qu'il en respondroit, & s'obligeroit de le representer, estant guery d'un mal de jambe dont il estoit entrepris, & de mal d'estomach, que si on n'y apportoit un prompt remède il mourroit en bref: le luy dis que j'y adviserois dans dix jours, qui estoit pour dilayer, attendant tousjours nos vaisseaux. J'advisay que s'il estoit question qu'il sortist, que ce seroit à mon grand regret, & d'ailleurs qu'en le delivrant cela nous pourroit en quelque façon estre profitable, & que toutesfois & quantes que nous le desirerions avoir nous le pourrions reprendre, s'il n'abandonnoit tout le païs. Or comme j'ay dit cy-dessus, entre tous les Sauvages nous n'avions pas cogneu un plus fidelle amy & secourable que Chomina, qui nous advertissoit de toutes les menées qui se passoient parmy les Sauvages, aussi je l'entretenois fort bien le cognoissant vrayement loyal, il estoit, comme j'ay dit cy-dessus, l'accusateur & dénonciateur de nostre meurtrier, 212/1196 soubçonné par ses camarades qui luy portoient envie, mais il y en avoit qui le favorisoient, & principalement Erouachy, qui le portoit fort parmy eux. Je mande Chomina qu'il me vint trouver au Fort, & après luy avoir longuement discouru sur ce subject de la bonne volonté qu'il avoit tousjours eue envers les François, qu'il eust à la continuer, en luy promettant de l'eslire Capitaine à l'arrivée de nos vaisseaux: que tous les chefs feroient estat de sa personne, qu'on le tiendroit comme François parmy nous, qu'il recevroit des gratifications & de beaux presens à l'advenir, luy donnant crédit & honneur entre tous ceux de sa nation, comme aussi de le faire manger à nostre table, honneur que je ne faisois qu'aux Capitaines d'entr'eux, & que pour accroistre son crédit, qu'aucun conseil ny affaire ne se passeroit parmy eux qu'il n'y fust appellé, tenant le premier rang en sa nation: & pour davantage le mettre en réputation & le mettre du tout hors de soupçon de ce qu'on l'accusoit qu'il estoit l'un des tesmoins de nostre meurtrier, qu'il luy vouloit du mal, le menaçant que s'il sortoit une fois de nos mains qu'il se vangeroit de luy. Pour rabatre toutes ces mauvaises volontez, il falloit qu'il creust mon conseil, que s'il avoit bien faict par le passé, il falloit qu'il fist encore mieux à l'advenir: ce qu'il promit faire avec grande demonstration d'allegresse, disant que je m'asseurasse qu'il ne se passeroit rien entre les Sauvages au desadvantage des François qu'il ne nous en donnast advis, qu'il sçavoit bien que la pluspart n'avoient le coeur 213/1197 bon, & qu'Erouachy (duquel nous pensions faire estat) estoit un homme cauteleux, fin & menteur, nous donnant de bons discours, accordant facilement ce qu'on luy proposoit, & neantmoins en arrière il faisoit tout le contraire, pariant autrement, que pour luy il n'avoit rien tant en haine que ces coeurs doubles, mais qu'il falloit quelquesfois faire semblant d'adjouster foy en ces discours, & ne faire neantmoins que ce que l'on jugeroit devoir estre fait par apparence. Il dit qu'il aime grandement les François, c'est le moins qu'il peut dire, les effects le feront assez cognoistre. Alors il me dist, le temps & la saison approchera pour ceux qui auront bon coeur envers toy & tes compagnons, si vos vaisseaux ne viennent, tu es asseuré de moy & de mon frere, lesquels ne feront que ce que tu voudras pour t'assister en ce que tu pourrois avoir affaire de nous, je tascheray encore d'attirer avec moy quelques Sauvages de crédit poussez de mesme volonté, il y en a que j'ay commencé à y disposer, cela fait je ne doute plus rien contre mes envieux, desquels je ne me soucie pas beaucoup: ils demeureront tels avec desplaisir, & moy contant de vostre amitié, en vous servant de tout mon coeur. Voila bien dit (luy dis-je) nous sommes délibérez de mettre le prisonnier dehors pour ton respect, & te faire entrer en crédit: par ce moyen tu diras audit Erouachy que tu m'as prié pour le prisonnier afin de le mettre hors, que je t'ay donné bonne esperance, qu'en peu de jours cela se pourra faire, voyant ce qu'il dira & tous les autres Sauvages, que je m'asseure qu'ils le trouveront bon, jugeant bien que si c'estoit toy qui eust accusé le meurtrier 214/1198 que tu ne poursuivrois pas sa delivrance, mais plustost sa mort, & leur dire à tous les considerations que nous voulons, en cas qu'il sorte. Le premier article, Que le prisonnier laisseroit son petit fils chez le Père Joseph Caron Recolet, qu'il nourrissoit, & seroit comme pour ostage & asseurance que le cas arrivant que les François (qui estoient allez aux Hurons) vinssent, & qu'ils n'y peussent retourner ny aller à la nation des Abenaquioicts, où j'avois envoyé descouvrir, les despartir entr'eux jusques à 25 attendant nos vaisseaux. 2. Que si lesdits Abenaquioicts avoient desir de nous donner de leurs bleds d'Inde ou traitter: qu'ils nous fourniroient de 8 Canaux avec quelques Sauvages & des François que nous y envoyerions pour traitter dudit bled d'Inde. 3. Que luy & ledit Erouachy nous respondroient que le prisonnier ne feroit aucun mal à qui que ce fust estant delivré & guary. 4. Que le temps venu de la pesche des anguilles ils nous en feroient fournir raisonnablement par leurs compagnons en payant. 5. Que je desirois qu'il fust recogneu pour Capitaine entre les Sauvages, attendant que nos vaisseaux fussent venus pour en faire les cérémonies & le faire recevoir, & qu'il auroit pour adjoint & pour son conseil après luy Erouachy, Bastisquan chef des trois rivieres, & le Borgne, qui estoit un bon Sauvage & homme d'esprit, avec un autre de nostre cognoissance, pour resoudre & délibérer des affaires entre-eux. 215/1199 6. Que ledit Erouachy tiendra sa promesse, que s'il void celuy qu'il dit qui avoit tué nos hommes, qu'il s'en saisira ou nous le monstrera, s'il vient en ces lieux, pour en faire justice. Voila les conditions que tu leur diras que je desire, ausquelles je ne voy point de difficulté, & ayant resoult ensemblement, vous me viendrez revoir pour sçavoir ce que l'on fera sur cette affaire, & s'ils seront delibérez d'accorder ce que je te propose. Il me promit d'accomplir le tout, en leur remonstrant combien nous les surpassions en bonté, police, & justice, & comme nous nous comportions en choses criminelles, & ne leur ressemblions, veu qu'aussitost qu'un de leurs hommes avoit esté tué, sans consideration aucune, ils alloient faire mourir le premier de la nation qu'ils rencontroient, fust-ce sa femme ou son enfant: mais parmy nous, au contraire la justice ne s'exerçoit que contre celuy qui avoit tué, & ne le sçachant que par soubçon nous usions de grande patience attendant le temps que nostre Dieu, juste juge (qui ne souffre que les meschans prosperent en leur mal) permet à la fin qu'ils soient descouverts par des tesmoignages bien approuvez & irréprochables, premier que les faire mourir, ou delivrer s'ils n'estoient coulpables, ce que nous faisions avec honneur & louange, & à la honte & infamie de ceux qui l'auroient meschamment accusé, devant souffrir le mesme supplice que le criminel, que nous avions détenu ce prisonnier, & pour le 14 mois, sans luy faire aucun mal que de l'avoir retenu tant de temps, sur ce qu'il m'avoit dit & ouy dire à Martin, Sauvage defunct, & pour le bruict commun qui estoit entre tous les 216/1200 Sauvages, qu'il n'estoit pas prisonnier sans sujet, joint le discours que la femme dudit prisonnier avoit fait, & autres tesmoignages de nos gens, mais qu'à l'advenir il falloit se comporter plus sagement en nostre endroit: qu'ils prinsent courage de nous assister en tout ce que nous leur proposions, vivant en paix les vus avec les autres, qu'ils n'avoient point de suject de se plaindre, ne leur ayant jamais m'esfect ains au contraire en leurs extrêmes necessitez plusieurs d'eux seroient morts sans nostre secours, & ont très-mal recogneu les bienfaicts, nous ayant tué quatre hommes depuis que nous estions habituez à Québec. Il s'esmerveilloit comme nous avions tant de patience, veu que nous pouvions perdre leur païs, & les rendre fugitifs en d'autres contrées où ils seroient très-mal au prix du leur, & ainsi sur ce subject nous fismes plusieurs discours. Chomina s'en alla dire à tous les Sauvages ce que je luy avois dit, Le lendemain il me revint trouver, me disant avoir fait récit à tous ses compagnons en conseil ce que je luy avois proposé, que tous avoient receu une grande resjouyssance, que veritablement cette affaire le mettroit en crédit & hors de toute mesfiance, que dans deux jours ils me viendroient trouver après avoir resolu ce qu'ils auroient à respondre, en confirmant tout ce que nous désirions, avec promesse de nous assister en tout & par tout, quoy que nos vaisseaux ne vinssent, & vivre en bonne intelligence à l'advenir. Ce sont leurs discours ordinaires qu'il faut croire par bénéfice d'inventaire & en tirer ce que l'on peut, comme d'une mauvaise 217/1201 debte, car la moindre mouche qui leur passe devant le nez est capable de diminuer beaucoup de ce qu'ils promettent si on leur refuse de quelque chose, principalement quand les demandes sont générales, autrement non. Au bout de deux jours ledit Chomina, Erouachy, & tous les autres Sauvages me vindrent trouver, Erouachy parlant pour tous, dit ainsi. Il y a long temps que nous avons esté liez d'une estroitte amitié, & notamment depuis prés de 30 ans que vous nous avez assisté en nos guerres & autres necessitez extresmes, sans vous avoir eu que peu de ressentiment, nous jugeans véritablement incapables de vostre affection pour n'avoir fait ce que nous pouvions depuis que les Anglois sont venus en ce lieu, pour moy tu sçais comme estant esloigné je ne pouvois remédier par presence ny conseil, à toutes ces choses passées, & de plus que tout le païs est desnué de Chefs & Capitaines qui sont morts depuis deux ans, & ne restant que des hommes vieux sans commandement, & des jeunes sans esprit & conduite, qui ne jugeant combien vostre bienvueillance nous est necessaire, que sans la continuation d'icelle nous serions miserables, mais comme vostre coeur a tousjours esté entièrement bon nous vous prions le continuer, comme le père à ses enfans. Nous ne recognoissons plus d'anciens amis que toy, qui sçache nos deportemens & gouvernemens trop affectionnez envers nous jusques à present. Il est vray que l'on a tué de vos hommes, mais ce sont des meschans particuliers, & non le général qui en a receu beaucoup de desplaisir, principalement 218/1202 ceux qui ont du jugement, à l'un tu luy as pardonné, l'ayant recognu pour meurtrier qui avoit fait le meurtre par le mauvais conseil de certaines personnes qui sont aussi bien morts que luy: l'autre aussi meschant que le premier, qui est celuy que tu soubçonne, & dis en avoir quelque tesmoignage, ce qu'estant vérifié nous ne le desirons maintenir, mais qu'il meure. Il n'a jamais rien confesse, il proteste ne l'avoir fait, & qu'il n'appréhende pas tant la mort de ce qu'on l'accuse, que s'il les avoit faict mourir qu'il le diroit librement plustost que de demeurer dedans une prison, souffrant plus d'ennuis & de tourments en ses maladies que s'il mouroit tout d'un coup. Que tout ce que j'avois dit à Chomina ils le desiroient effectuer & faire pour les François tout ce qu'ils pourroient, & desirant qu'il fust Capitaine, dit qu'il en estoit très-content, comme aussi tous les Sauvages, mais ce qu'il disoit estoit au plus loin de sa pensée, recognoissant asseurément que delivrant le prisonnier à sa requeste & supplication, qu'il falloit qu'il nous eust grandement obligé. Je luy dis devant tous que les affections de ceux qui promettoient beaucoup ne consistoient pas en paroles & caresses, qui n'estoient que les avant-coureurs des effects en la pluspart du monde tant envers eux qu'envers nous: que pour luy nous l'avions treuvé entre tous les Sauvages de parole effective, il avoit l'esprit, le jugement & la cognoissance très-bonne, sans ingratitude, qui sont les choses autant requises qu'il falloit pour un Chef. Pour le courage il n'en manquoit point, que je le pouvois asseurer que luy & tous ceux 219/1203 qui tiendroient son party je les maintiendrois de tout mon pouvoir contre ceux qui luy voudroient faire du desplaisir: que nous avions le naturel si bon que ceux qui nous avoient obligez pour peu que ce fust, nous n'en estions mescognoissans. Tu pourrois estre en peine de sçavoir qui nous a incité à luy vouloir tant de bien-vueillance. Je te diray que quand il a esté question d'envoyer quelque Sauvage & faire diligence nous voyant en peine il n'a attendu que nous luy en parlassions, mais aussi-tost avec son frere il s'est offert de nous servir sans marchander ny esperer de recompense que nostre volonté, & promptement & d'un coeur franc il nous a servis avec fidélité, s'employant & s'offrant à toutes occasions, ce que n'ont fait les autres: en nos necessitez il ne nous a jamais abandonné ny en hyver ny en esté, nous secourant de ce qu'il pouvoit, desirant plustost mourir avec nous que nous abandonner. Quand quelques uns de mes compagnons alloient en sa maison que ne faisoit-il point pour les caresser & traitter humainement: leur donnant souvent ce qu'il gardoit pour luy. Il prenoit compassion de nos necessitez, & ne faisoit pas comme d'autres qui s'en rioient, nous vendant excessivement un peu de poisson ou viande quand on en desiroit avoir, sans autres infinies obligations que nous luy avons pour tant de tesmoignages de sa fidélité: il s'est offert aussi en cas que l'on voulust se battre avec l'Anglois qu'il viendroit avec nous pour y vivre & mourir: & se mettant en devoir luy & son frere, se sont presentés en nostre fort avec leurs armes pour recevoir tel 220/1204 commandement que j'eusse desiré, ce que n'a jamais fait autre Sauvage que luy: au contraire comme ils virent les Anglois à Tadoussac, ils les conduirent jusques au Cap de Tourmente, leur enseignant volontairement le chemin, aydant aux Anglois à tuer nostre bestial, & piller les maisons de nos gens comme s'ils eussent esté ennemis: regarde & juge quelle raison nous avons à hayr ceux-là, & vouloir du bien à ces hommes cy. Il est vray que voilà de puissantes raisons pour l'affectionner, il s'est trouvé des occasions où il a montré quel estoit son coeur, mais pour moy j'estois absent: je ne laisse pourtant d'avoir le mesme desir de servir si l'occasion se presentoit. Pour ceux qui ont conduit les Anglois, ils sont de Tadoussac, meschans Sauvages qui n'ont point d'amitié, estant assez recogneus pour tels, qui parlent de bouche amiablement, mais le coeur n'en vaut rien, & ne font que du mal. Nous sommes tres-aises de ce que Chomina s'est si bien porté en vostre endroit, vous avez raison de l'aymer: neantmoins nous ne laissons tous de vous affectionner aussi bien que luy. Je ne doute point de sa fidélité, il a montré par effect ce qui nous occasionne à te vouloir du bien, en attendant les effects de nos promesses, asseurez-vous que nous les effectuerons, & les vaisseaux venus l'on recevra ledit Chomina pour Capitaine. Tu sçais la façon de faire quand on eslist un Chef, & qu'il change de nom, tu en as faict d'autres, c'est pourquoy tu seras encore cestuy-cy que nous tiendrons pour tel attendant son eslection comme chef, chacun respondant d'une voix, ainsi sera il. 221/1205 Ce que voyant je dis audit Chomina que quand il voudroit qu'il emmenast le prisonnier, & qu'il luy remonstre d'estre sage à l'advenir, que s'il a esté prisonnier tant de temps, que ce sont les discours des Sauvages, & non nous. Ledit Chomina sortant avec tous les autres Sauvages, le va treuver, luy ayant auparavant donné bonne esperance de sa delivrance qu'il moyennoit, après avoir remonstré plusieurs choses, le prisonnier luy dit, Je sçais bien que les François n'ont point de tort de m'avoir retenu si long-temps, ils avoient juste sujet de le faire, d'autant que les nostres leur avoient donné à entendre que c'estoit moy qui avoit fait le meurtre, quand je seray guary je leur veux tesmoigner qu'un meschant homme ne voudroit faire ce que je feray pour eux. Ces discours finis ils le prennent & le mettent en une couverte, & l'emportant à quatre, car il ne pouvoit se soustenir sur les jambes estant fort desfait & débile: la vérité est que ces gens qui ont accoustumé une grande liberté, la prison de 14 mois leur est un grief supplice, autant presque que s'ils recevoient la mort tout d'un coup: ce fut où la necessité des vivres nous contraignit, veu que sans ceste extrémité il eut tousjours esté prisonnier: mais quoy, c'estoit chose forcée ou estre tousjours en trances & apprehension avec ces Sauvages qui ne nous eussent voulu secourir en nostre necessité: car nous voyant foibles desnuez d'hommes & de tout secours, ils eussent peu entreprendre sur nous ou sur ceux qui alloient chercher des racines dans les bois, avec beaucoup d'autres considerations qui nous excitoient à cela. 222/1206 _Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglais._ CHAPITRE II. Le 25 du mois d'Avril[717] Desdames arriva avec la chalouppe de Gaspey, qui dit n'avoir veu aucuns vaisseaux, ny les Sauvages, & n'en avoit sceu aucunes nouvelles, sinon que quelques uns qui venoient du costé d'Acadie, qui dirent y avoir quelques huict vaisseaux Anglois[718], partie rodant les costes, autres faisant pesche de poisson: que Juan Chou Capitaine Sauvage des Canadiens leur avoit fait bonne réception selon leur pouvoir, s'offrant que si le sieur du Pont vouloit aller en leur païs, au cas que nos vaisseaux ne vinssent, qu'il ne manqueroit d'aucune chose de leur chasse, ce faisant faire une petite maison en quelque endroit. [Note 717: Cette date est évidemment fautive. Desdames ne pouvait pas être si tôt de retour de Gaspé; au reste l'auteur nous dit lui-même (p. 202) que la chaloupe ne partit que le 17 mai. Desdames serait-il arrivé le 25 de mai, c'est-à-dire, au bout de huit jours? Il n'y a guère d'apparence qu'il eût pu faire un pareil voyage en si peu de temps; d'ailleurs, l'auteur donne à entendre plus loin (p. 224) que la chaloupe ne revenait pas assez vite au gré de Du Pont. Elle avait donc dû être un bon mois à ce voyage. D'un autre côté, elle arriva à Québec un vendredi, puisque, le surlendemain dimanche, on lut publiquement les commissions de Champlain et de Pont-Grave (ci-après, p. 227). Il faut donc conclure que Desdames arriva ou le l5 ou le 22 de juin. Or deux raisons nous font croire que ce fut plutôt le 15: d'abord la faute typographique s'explique plus naturellement; ensuite, il paraît évident qu'il s'écoula plusieurs jours entre l'arrivée de la chaloupe et le départ de Boullé avec la barque (voir ci-après, p. 228 et suivantes). Desdames arriva donc de Gaspé vraisemblablement le 15 de juin.] [Note 718: L'amiral David Kertk, parti de Gravesend le 5 avril 1629 avec six vaisseaux et deux pinasses, avait quitté les côtes d'Angleterre le 20 du même mois, et il devait être dans les environs de Canceau dans la première quinzaine de juin; puisqu'il arriva à Gaspé le 25 de ce mois. (Pièces justificatives, n. V.)] 223/1207 De plus qu'il prendroit 20 de nos compagnons qui partiroient[719] parmy les siens pour y passer l'hyver ou ils n'auroient aucune faim, moyennant deux robbes de castors pour chaque homme: Ce n'estoit pas peu de treuver tant de courtoisie & de retraite asseurée parmy eux, beaucoup mieux qu'avec nos sauvages: ils nous apportèrent un baril & demy de sel, sans ce que ceux de la chalouppe ayderent aux peres religieux, lesquelles choses en ce temps là ils prisoient plus que de l'or. Il nous confirma comme les Anglois avoient bruslé tous les vivres qui restoient aux Pères Jesuistes, qu'ils avoient donné quelques six barils de farine aux Sauvages moitiée guerre moitiée marchandise: qu'ils avoient une grande aversion contre les ennemis, notamment contre les François renégats qui les avoient emmenées: Et tout ce que nous avons sceu des Sauvages, il nous le confirma touchant le combat, sçavoir qu'un petit vaisseau François arrivant sur ceste affaire, ne voulant estre de la partie, se sauva partie à la rame & à la voile, & cogneut-on que c'estoit le Reverend Père Norot[720] Jesuiste, qui s'estoit separé depuis long temps d'avec ledit de Roquemont, s'ils eussent eu quelque homme de conduitte & hasardeux, ils eussent entré facillement en la riviere pour venir à Québec nous secourir, ce qui l'occasionna de s'en retourner en France, n'ayant emmené en Angleterre que les Capitaines & Principaux, & le petit Sauvage que l'on remmenoit en son païs: que le général Guer[721] avoit 224/1208 esté dix jours à se r'accommoder à Gaspey, qu'ils n'avoient bruslé les barques ny chalouppes à l'Isle de Bonaventure, ny autres lieux comme on nous avoit dit: que l'on avoit donné deux vaisseaux pour rapasser les François en France, avec partie des maris, femmes & enfans, qui coururent depuis plusieurs fortunes & dangers, tant aux costes d'Espagne qu'ailleurs[722], desquels naufrages ils s'estoient sauvez, fort incommodez de toutes choses: voilà ce que les effects de ceste guerre causerent au commencement en la Nouvelle France aux Anglois, ils faisoient bien d'aller en ces lieux, voyant qu'ils ne pouvoient rien faire en l'isle de Ré, où tout leur avoit mal succedé. [Note 719: Qu'il partiroit, ou distribueroit.] [Note 720: Noirot. (Voir ci-dessus, p. 208.)] [Note 721: Guer, pour Kertk.] [Note 722: Voir Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IX, X.] Entendant de si tristes nouvelles nous voyant comme hors d'esperance de tout secours, nous jugeasmes qu'il n'estoit plus temps de temporiser[723], mais bien de remédier de bonne heure à ce que nous pouvions avoir affaire; nostre petite barque estoit toute preste, ledit du Pont s'estoit resolu de s'en aller dedans sans attendre la chalouppe davantage, craignant qu'elle ne tardast trop, & partant trop tard que malaisément l'on trouveroit des vaisseaux aux costes pour estre possible partis, qu'en chemin faisant pour le plus seur, si nos vaisseaux devoient venir, ils les rencontreroient, ou ladite chalouppe qu'ils emmeneroient avec eux. Ledit du Pont avoit eu de la peine à se resoudre à cause de l'incommodité de ses goutes, mais luy ayant bien remonstré qu'il avoit bien quitté sa maison 225/1209 pour s'embarquer en un meschant petit vaisseau, & de plus qu'il estoit venu à Gaspey parmy tous les dangers de la guerre aussi malade qu'il estoit: davantage qu'il s'estoit mis dans une chalouppe de Gaspey pour venir à Québec avec de si grandes incommoditez qu'on ne l'auroit creu, si on ne l'avoit veu, que ce n'estoit pas de mesme en ceste occasion plus pressante, d'autant que son âge & la réputation qu'il avoit entre les navigeans de ces costes, estoient cause qu'avec les Capitaines & maistres des vaisseaux desquels il estoit cogneu, plus facilement il treuveroit partage, & pourroit plus asseurément contracter avec lesdits chefs des vaisseaux pour le passage; pour sa personne il n'alloit pas dans une chalouppe comme il estoit venu de Gaspey avec de grandes douleurs & incommoditez, mais en une barque fort gentille & bien accommodée, y ayant sa chambre où il seroit très-bien, & avec des personnes qui l'assisteroient, en luy portant toute sorte de respect, pouvant recouvrir plus de rafraichissement le long des costes, changeant d'un jour à autre de lieu que non pas à Québec où il n'y avoit rien: qu'il se trouvoit fort peu de personnes qui voulussent demeurer à l'habitation sans vivres. Que pour sa personne seule il falloit empescher quelquesfois quatre hommes à l'assister & secourir, lesquels ne pourroient demeurer avec luy, de sorte que force leur seroit de l'abandonner pour aller chercher leur vie de jour à autre: Que de tenter la fortune de repasser en France luy seroit chose meilleure que de souffrir de si grandes necessités, ne pouvant plus rien esperer de Québec, ayant le peu qu'il y avoit esté conservé pour luy seul, 226/1210 ce que je ne pensois pas qu'il peut faire, il me dist que pour le voyage qu'il avoit fait de France à Québec, il n'estoit pas à s'en repentir, mais trop tard, je luy dis, Vous sçaviez aussi bien que moy la façon comme l'on nous traitte en ces lieux, où les necessitez ont plus régné que les biens-faits de ceux qui ont cette affaire, vous n'estes point novice en cela, un autre se pourroit excuser, mais vous avez trop d'expérience pour sçavoir & cognoistre ce qui en est: car si à Québec vous aviez les commoditez approchantes de ce qu'il vous faudroit je vous conseillerois d'y demeurer. En fin comme j'ay dit cy-dessus, il se resolut de s'embarquer & laisser le sieur de Marais[724], fils de sa fille en sa place, & emporter avec luy quelque 1000 castors pour subvenir aux frais de la despence, qui furent embarquez. Cela resoulu, le lendemain il me dist si j'aurois agréable qu'il fit lire sa commission que luy avoit donnée le sieur de Caën, afin qu'un chacun sceust la charge qu'il luy avoit donnée en ces lieux, craignant que ledit de Caën ne luy donnast ses gages, lors qu'il luy demanderoit, je luy dis que cela ne m'importoit pas beaucoup, mais qu'il commençoit bien tard, parce que ledit de Caën, outre le droict qui luy pouvoit appartenir, s'attribuoit des honneurs & commandemens qui ne luy appartenoient pas, anticipant sur les charges de Vice-Roy, luy monstrant les principaux points. Pour ce qui touchoit le trafic & commerce de pelleterie il y avoit toute puissance, qu'en cela 227/1211 les articles de sa Majesté nous gouvernoient, à quoy il se falloit arrester: En outre j'avois bonne commission en forme, selon la volonté de sa Majesté, & de Monseigneur le Vice-Roy, & celle dudit sieur de Caën ne pouvoit estre de telle consideration. [Note 723: Nouvelle preuve que la chaloupe de Desdames n'était arrivée ni le 25 de mai, ni encore moins le 25 avril. (Voir ci-dessus, p. 222.)] [Note 724: Ce jeune Des Marais était le fils du sieur Des Marais dont il est parlé si souvent dans les relations précédentes. Il était venu avec son grand-père en 1627. (Voir ci-dessus, p. 141.)] Le lendemain[725], qui estoit le Dimanche, au sortir de la saincte Messe je fais assembler tout le peuple, avec la copie de la commission du sieur du Pont, les articles de sa Majesté & la commission de Monseigneur le Vice-Roy, auquel véritablement je fais entendre le pouvoir que pouvoit donner ledit sieur de Caen à ses commis, differens d'avec celuy que j'avois selon les articles de sa Majesté, que je fis lire contenant aucuns poincts de la commission dudit du Pont, & en suitte ma commission, qui estoit fort ample, disant à tous: Je vous fais commandement de par le Roy, & Monseigneur le Vice-Roy, que vous ayez à faire tout ce que vous commandera ledit du Pont, pour ce qui touche le trafic & commerce des marchandises, suivant les articles de sa Majesté que je vous ay fait lire, & du reste de m'obeir en tout & par tout en ce que je commanderay, & où il y aura de l'interest du Roy & de mondit Seigneur, en me reservant dix hommes gagez dudit de Caën, suyvant les articles resolus de toute la societé, desquels ledit de Caen avoit esté porteur, & me les mit en mains, par l'un desquels estoit porté & enchargé me donner dix hommes, avec toutes les commoditez necessaires pour les employer au Fort, ainsi que j'aviserois bon estre. J'ay creu que ledit sieur de Caen ne s'en ressouvenoit plus, 228/1212 car il n'y avoit pas d'apparence qu'il eust voulu disputer une chose où luy-mesme avoit signé, & le sieur Dolu, & autres associez. La chose la plus importante estoit de se fortifier le mieux que l'on pourroit pour la conservation du païs, qu'à faute de ce faire c'estoit le laisser en proye à un ennemy qui peut recognoistre nostre foiblesse, sans que ledit du Pont ny autres pussent empescher l'effect du commandement que j'ay, sur peine de desobeissance, & punition corporelle. [Note 725: Vraisemblablement le 17 juin, qui était un dimanche. (Voir ci-dessus, note 1 de la page 222.)] Je voy bien (dist le sieur du Pont) que vous protestez ma commission de nullité: Ouy en ce qui heurte l'authorité du Roy & de Monseigneur le Vice-Roy, pour ce qui est de vostre traicté & commerce, suivant les articles de sa Majesté, à quoy il se faut tenir, cela se passa ainsi. La chalouppe (comme j'ay dit cy-dessus) estoit venue de Gaspey, qui interrompit le dessein dudit du Pont de s'en aller, d'autant que son intention n'estoit qu'au cas qu'il n'y eust aucun vaisseau à Gaspey où il peust s'en retourner, de revenir à Québec sans se mettre en peine de passer plus outre pour chercher passage & aller en France dans les vaisseaux François, qui pouvoient estre à l'isle de S. Jean, du Cap Breton, Canseau, Isles de S. Pierre, Plaisance où autres ports, qui sont à l'isle de Terre-Neufve, où il y en avoit, & sembloit qu'il ne voulust aller à Gaspey que pour establir les François avec les Sauvages & s'en revenir à Québec: les matelots qui ne 229/1213 desiroient plus y retourner craignant de mourir de faim, avoient volonté de courir le risque & de chercher passage plustost que de demeurer avec les Sauvages, si ce n'estoit par force: Ce qui me fit luy demander si c'estoit son intention de s'embarquer en la barque, s'il avoit dessein de s'en retourner à Gaspey, il me dit qu'ouy: Alors je luy dis, que pensez-vous qui vous rameine, regardez ce qu'avez à faire, car les matelots ne sont pas délibérez de revenir, & ainsi vous vous trouverez deceu si vous vous attendez à cela, vous voyez que l'on descharge l'habitation de plus d'hommes que l'on peut, ne faisant estat que d'y faire demeurer treize à quatorze personnes, & vous revenant, vous en amènerez une douzaine, ce seroit pour mourir de faim les uns pour l'amour des autres, il n'y a pas beaucoup d'apparence: joint que quelques matelots sont resolus de demeurer avec les Sauvages de par delà, & le reste d'aller chercher passage à quelque prix que ce soit, mesme que ne trouvant vaisseaux ils se veulent bazarder de passer la mer en ceste barque, & si n'avez volonté de passer plus outre, je vous conseille plustost de demeurer icy: car aussi bien vostre voyage seroit inutile, estant contraint de demeurer avec les Sauvages ou courir le hazard avec les matelots. Ce qu'entendant il desira plustost demeurer, que de se mettre au risque, appréhendant la peine qu'il pensoit avoir en ce voyage pour le mal des goûtes qui le tourmentoient de telle façon, qu'il estoit plus couché que debout, cela resolu il fit descharger de la barque 500 castors, de mil qu'il y avoit fait mettre. 230/1214 Je fis d'amples mémoires de tous les deffauts que je recognoissois, avec lettres adressantes à sa Majesté, à Monseigneur le Cardinal, & à Messieurs du Conseil, & aux Associez, mettant le tout entre les mains de mon beau-frère Boullay, lequel j'avois bien instruit de tout ce qui estoit necessaire, luy donnant une commission suivant le pouvoir que j'avois: & luy commanday de s'en aller avec les matelots chercher passage à quelque prix que ce fut, luy donnant charge de laisser à Gaspey avec Juan Chou & ses compagnons Sauvages, tous ceux qui y voudroient demeurer, & ceux qui le voudroient suivre qu'il les emmenast avec luy. J'ordonnay à tous ceux qui devoient s'en retourner, qu'ils allassent dans les bois deux ou trois tours premier que partir pour chercher des racines pour leur provision, attendant qu'ils peussent rencontrer la pesche de molue vers Mantane: Ce qu'ayant fait je les faits tous assembler, voulant sçavoir la volonté des uns & des autres, sçavoir ceux qui desiroient demeurer à Gaspey, & ceux qui vouloient suivre mon beau-frère, il s'en treuva vingt, de trente qu'ils estoient[726], qui desirerent demeurer à Gaspey, entr'autres Foucher, Desdames & deux autres Matelots, & le reste desiroit courir risque. Ayant mis ordre à tout, mon beau-frère partit avec sa barque[727] & tout son esquipage, le 26 de Juin, laquelle n'avoit que des racines, si ce n'estoient aucuns qui par leur 231/1215 mesnage avoient quelque peu de farine de pois. La barque partie chacun de ceux qui restoient commencèrent à labourer la terre, & y semer des naveaux, pour nous survenir durant l'hyver: en attendant la moisson on estoit tous les tours à la recherche des racines pour vivre, ce qui causoit de grandes fatiques, car on alloit six à sept lieues les chercher, avec une grande peine & patience, sans en treuver en suffisance pour nous nourrir. Les autres faisoient ce qu'ils pouvoient pour prendre du poisson, & faute de filets, lignes & hains, nous ne pouvions faire grande chose: la poudre pour la chasse nous estoit si chère que je desirois mieux pâtir que d'user si peu que nous en avions qui n'estoit pas plus de 30 à 40 livres, & encore très mauvaise. [Note 726: Ils étaient trente en comptant Boullé lui-même. (Pièces justificatives, n. III.)] [Note 727: Cette barque, appelée _la Coquine_, était de douze ou quatorze tonneaux suivant Sagard (Hist. P. 980), ou seulement de sept à huit, d'après l'auteur lui-même (voir Pièces justificatives, n. II).] Nous attendions de jour en jour les Hurons, & par mesme moyen 20 François qui estoient allez avec eux pour nous soulager de nos pois: ceste surcharge me mettoit bien en peine, n'ayant du tout rien à leur donner s'ils n'apportoient de la farine avec eux, ou que lesdits Hurons ne les remmenassent, ou bien les mettre avec les Sauvages au tour de nous, comme ils nous avoient promis de les prendre, mais comme ils sont d'une humeur assez variable, cela me donnoit du tourment. Chomina nous dit qu'il s'en alloit aux trois rivieres avec tous les sauvages, qui deslogeoient d'auprès de Québec, pour aller au devant des Hurons traiter des farines s'ils en avoient: pour cet effect il demanda quelques cousteaux, & promet en traiter fidellement, nous apportant aussi tost les farines: la creance que nous 232/1216 avions en luy, fit qu'on luy en donna, & une arme de picquier qu'il demanda à emprunter pour la guerre, de quoy il ne fut refusé. Son frère Ouagabemat[728] s'offrit d'aller à la coste des Etechemins, où estoient les Anglois pour y traiter de la poudre, il demanda qu'on luy donnast un François, lequel demeuroit à deux journées dans les terres de la coste, ce qui luy fut accordé, pour tascher de quelque façon que ce fut à nous maintenir. Pour ce sujet il partit le 8 de Juillet, laissant la grande riviere, & ayant fait quelque chemin par celle qui va ausdits Etechemins, ils treuverent si peu d'eau qu'ils furent contrains de s'en revenir le 11 dudit mois, & par ainsi ce voyage fut rompu. Le 15 de Juillet arriva l'homme que j'avois envoyay à la decouverte des Sauvages appelle Abenaquioit, qui me fit rapport de tout son voyage suivant le mémoire que je luy avois donné, le nombre des saults qui falloit passer premier que d'y arriver, la difficulté des chemins qui se rencontroient en ce traject de terre, jusqu'à la coste desdits Etechemins, les peuples & nations qui sont en ces contrées, leurs façons de vivres, nous asseurant que tous ces peuples vouloient lier une estroitte amitié avec nous, & prendre de nos hommes avec eux pour les nourrir durant l'hyver, attendant que nous eussions secours de nos vaisseaux: qu'en peu de jours il devoit venir un chef de ces peuples avec quelques Canaux pour confirmer leur amitié, & mesme nous ayder de leurs bleds d'Inde, estant 233/1217 peuples qui ont de grands villages, & à la campagne de maisons, ayant nombre de terres défrichées, où ils sement force bleds d'Inde qui recueillent suffisamment pour leur nourriture, & en ayder leurs voisins, quand il manque quelque année qui n'est pas si bonne que d'autre. Il y a de belles campagnes & tort peu de bois ou ils habitent, la pesche du poisson y est abondante de Bars, Saumons, Esturgeons & autres poissons en grande quantité: comme aussi y est très-bonne la chasse des animaux & du gibier, de sorte que quand les eaues sont un peu grandes l'on y peut aller en six jours avec diligence: il y a une riviere[729] qui va tomber en ceste coste des Etechemins, en laquelle j'ay esté autrefois du temps du sieur du Mont comme j'allois descouvrir les ports, havres, & rivieres. Ce voyage & descouverte me donna un grand contentement pour l'esperance du fruict qu'un jour nous en pourrions retirer durant nostre necessité, où ces peuples nous pouvoient bien servir. Ce qui est de remarquable, c'est un lieu où l'on ne craint point d'ennemis sur le chemin, qui vous puisse empescher d'aller & venir librement[730]. [Note 728: Sagard l'appelle Neogabinat, et les Relations des Jésuites Negabamat. Il devint plus tard fervent chrétien, et fut l'un des premiers qui se fixèrent à Sillery.] [Note 729: Le Kénébec.] [Note 730: Voici, suivant nous, le sens de cette phrase: Le pays des Abenaquis a cela de remarquable et d'avantageux, que l'on n'a point à craindre, sur le chemin, d'ennemis qui vous puissent empêcher d'aller et venir librement.] Le 17 du mois de Juillet arriverent nos hommes des Hurons en douze Canaux qui n'apportèrent aucunes farines sinon quelques uns qui en avoient, ne la monstroient à la veue, en attendant nostre disette, il falloit qu'ils fissent comme nous, & allassent chercher des racines pour vivre. Je me deliberay les 234/1218 envoyer à l'habitation des Abenaquiois pour vivre de leurs bleds d'Inde attendant le printemps, n'ayant plus d'esperance de voir aucuns amis ny ennemis, la saison estant passée selon les apparances humaines. Le Reverend Père Brebeuf, selon ce que luy avoit mandé le Reverend Père Massé Superieur[731], s'en revint des Hurons, leur laissant une extréme tristesse de son départ, luy disant. He quoy nous delaisses-tu! il y a trois ans que tu es en ces lieux pour apprendre nostre langue pour nous enseigner à cognoistre ton Dieu, l'adorer & servir, estant venu pour ce sujet, à ce que tu nous as tesmoigné, & maintenant que tu sçais plus parfaitement nostre langue qu'aucun qui soit jamais venu en ces lieux, tu nous delaisses & si nous ne cognoissons le Dieu que tu adores, nous l'appellerons à tesmoin que ce n'est point nostre faute, mais bien la tienne, de nous laisser de telle façon; il le leur remonstroit que l'obeissance qu'il devoit à ses Supérieurs ne luy permettoient pour le present de demeurer, attendu aussi les affaires qu'il avoit, & qui estoient grandement importantes, mais qu'il les asseuroit, moyennant la grâce de Dieu, de les venir treuver & amener ce qui seroit necessaire pour leur enseigner à cognoistre Dieu, & le servir, & ainsi se départit. En effect ce bon Père avoit un don particulier des langues qu'il apprit & comprit en deux ou trois ans, ce que d'autres ne feroient en vingt: nous fusmes fort aises de le voir, comme estoient aussi les Peres qui se 235/1219 promettoient qu'il leur apporteroit des farines des Hurons, qui eust esté fort peu de chose, n'eust esté la valeur de quelque quatre ou cinq sacs, qui, à ce que l'on me dist, pesoyent environ chacun 50 livres. [Note 731: Le P. Ennemond Massé était demeuré supérieur depuis le départ du P. Charles Lalemant.] Cette arrivée de Canaux de Sauvages ne nous apporta aucun bénéfice, car ils n'avoient point de farines à traitter qu'environ deux sacs, que les Pères Recolets traitterent, & le sieur du Pont en fit traitter un autre par le Sous-commis: Pour moy il fut hors de ma puissance d'en pouvoir avoir, ny peu, ny prou, & ne m'en fut seulement offert une escuellée, tant de ceux qui en pouvoient avoir, parmy les nostres, que parmy les autres: toutesfois je prenois patience, ayant tousjours bon courage, attendant la récolte des pois, & des grains qui se feroit au desert de la Veufve-Hebert & son gendre, qui avoient quelque six à sept arpens de terres ensemencées, ne pouvant avoir recours ailleurs, & peux dire avec verité que j'ay assisté un chacun de tout ce qui m'estoit possible, ce qui fut neantmoins fort peu recogneu en mon particulier, & ceux qui estoient avec moy au fort, & estant les plus mal pourveus de toutes choses. Pour ce qui estoit des Reverends Pères Jesuites ils n'avoient que de la terre défrichée & ensemencée pour eux & serviteur au nombre de douze ne nous en pouvant ayder comme je croy qu'ils eussent fort desiré: le lieu où ils sont habituez est très agreable, estant sur le bord de la riviere S. Charles. Les Pères Recolets avoient beaucoup plus de terres défrichées & ensemencées & n'estoient que quatre, promettant que s'ils en 236/1220 avoient plus que ne leur faudroit en 4 à 5 arpens de terre ensemencez de plusieurs sortes de grains, légumes, racines & herbes potagères qu'ils nous en donneroient. L'année précédente chacun avoit il bien conservé ce qu'il avoit qu'il s'estoit fait fort peu de liberalitez, sinon à quelques particuliers de ceux qui estoient logez à l'habitation, & celle comme dit est, des Pères Jesuites qui nous assisterent de quelques naveaux selon leur puissance. Comme les Hurons se délibèrent de s'en retourner avec si peu de marchandises qu'ils avoient apportées, pensant treuver dequoy traitter, nouvelles nous vindrent de l'arrivée des Anglois par un sauvage appellé la Nasse[732], qui avoit sa maison proche des Pères Jesuites, lequel donnoit esperance & toute sa famille de se faire instruire en nostre foy, & mesmes les Pères luy avoient donné de leur terre défrichée pour le gaigner à eux, ce fut luy qui nous donna cet advis, ce qui m'estonna grandement, pource qu'alors je n'attendois ny François ny Anglois qui eussent entrepris ce voyage bien hazardeusement pour estre venu tard, d'autant que si en France ils eussent fait équiper de bonne heure comme en Mars, la moindre barque estoit suffisante de nous secourir & nous oster du danger d'estre pris, apportant farines, poudre, mousquets, avec un peu de mèche: l'ennemy jugeant bien qu'il n'y avoit rien à faire pour eux sinon traitter quelque pelleterie à Tadoussac, & ne pouvant rien faire, à ce que j'ay sceu depuis, s'ils eussent esté contraints 237/1221 de retourner sans rien faire de porter tout ce qu'ils avoient au Cap Breton, où ils avoient une habitation d'un Escossois[733] qui estoit de la compagnie du Chevallier Alexandre en Angleterre & roder les costes comme ils avoient fait l'année précédente, pour prendre des vaisseaux qui ayderoient à payer les frais de leur embarquement. [Note 732: Son nom sauvage était _Manitougatche_. Il demeura fidèlement attaché aux Français, et fut baptisé quelques années plus tard. (Relat. des Jésuites.)] [Note 733: Probablement le _millor Escossois_ dont il est parlé ci-après dans la relation du capitaine Daniel. (_Conf_., State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, 46, 47.)] _Le sieur de Champlain ayant eu advis de l'arrivée des Anglais, donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux. Lettre qu'un Gentilhomme Anglais luy apporte, & sa response. Articles de leur composition. Infidelles François prennent des commodités de l'habitation. Anglais s'emparent de Québec._ CHAPITRE III. Lors que ces nouvelles vinrent j'estois seul au fort, une partie de mes compagnons estoient allez à la pesche, les autres chercher des racines, mon serviteur & les deux petites filles Sauvagesses[734] y estoient aussi: sur les dix heures du matin une partie se rendit au fort & à l'habitation, mon serviteur arrivant avec quatre petis sacs de racines, me dit avoir veu lesdits vaisseaux Anglois à une lieue de nostre habitation, derrière le Cap de Levy(735): je ne laissay de mettre en ordre 238/1222 si peu que nous avions, pour eviter la surprise tant au fort qu'à l'habitation, les pères Jesuistes & Recollets accoururent aussi tost à ces nouvelles pour voir ce que l'on oourroit: je fis assembler ceux que je jugeay à propos pour sçavoir ce que nous aurions à faire en ces extremitez: il fut arresté qu'attendu l'impuissance en laquelle nous estions sans vivres, poudre[736], ny mesche, & sans secours, il estoit impossible de nous maintenir, c'est pourquoy qu'il nous falloit chercher une composition la plus avantageuse que nous pourrions, & attendre ce que voudroit dire l'Anglois, resolus neantmoins qu'au cas qu'ils ne nous voulussent faire composition, de faire sentir à la descente, que voulant nous forcer on leur feroit perdre de leurs hommes, en nous ostant l'espoir de composition. [Note 734: Des trois petites filles que les sauvages avaient données à l'auteur, celle qu'il avait nommée la Foy s'en était retournée parmi ceux de sa nation. (Sagard, Hist. du Canada, page 1101.)] [Note 735: La pointe Lévis.] [Note 736: Il ne restait que trente à quarante livres de poudre, «et encore très-mauvaise.» (Ci-dessus, p. 231).] Sur le flot, l'Anglois envoye une chalouppe ayant un drapeau blanc, signai pour sçavoir s'il auroit asseurance de nous venir treuver, pour nous sommer, & sçavoir la resolution en laquelle nous estions, je fis mettre un autre drapeau au fort, leur asseurant qu'ils pourroient approcher avec toute seureté: Estant arrivez en nostre habitation, un gentil-homme Anglois mit pied à terre, lequel me vint treuver, & courtoisement me donna une lettre de la part des deux frères du Général Guer qui estoient à Tadoussac avec ses vaisseaux, l'un s'appelloit le Capitaine Louis qui venoit pour commander au fort, l'autre le Capitaine Thomas Vice-Admiral de son frère, me mandant ce qui s'ensuit. 239/1223 _Monsieur en suite de ce que mon frere vous manda l'année passée que tost ou tard il aurait Québec, n'estant secouru, il nous à chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous faisons de la nostre, & sçachant très bien les necessitez extrêmes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous asseurant toutes sortes de courtoisie pour vous & pour les vostres, comme d'une composition honneste & raisonnable, telle que vous sçauriez desirer, attendant vostre response nous demeurons, Monsieur, vos très affectionnez serviteurs Louis & Thomas Guer. Du bord du Flibot ce 19. de Juillet 1629._ Ceste lettre leue devant le principal Commis & autres des principaux, il fut resolu de leur faire responce, comme il s'ensuit. _Messieurs la verité est que les négligences ou contrarietez du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le secours que nous espererions en nos souffrances, y nous ont osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avons fait l'année passée, sans vous donner lieu de faire reussir vos prétentions, qui ne feront s'il vous plaist maintenant qu'en effectuant les offres que vous nous faites d'une composition, laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps après nous y estre resolus ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher vos vaisseaux à la portée du canon, ny entreprendre de mettre pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre affectionné serviteur, Champlain, ce 19 de Juillet 1629._ Ledit Capitaine Louis Guer renvoya sur le soir sa chalouppe pour avoir ces articles de la composition, avec asseurance de nous donner toutes sortes de courtoisies, lesquelles articles envoyasmes avec le plus d'advantage qu'il nous estoit possible. 240/1224 «_Articles [qui seront] accordez par le sieur Guer commendant de present aux vaisseaux qui sont proches de Québec, aux sieurs de Champlain & du Pont, le 19 de Juillet 1629._[737] [Note 737: Le titre de cette pièce se lit ainsi dans l'original conservé à Londres (State Paper Office): «_Articles demandées estre accordées par le Sr Quirc Commandant de present aus vaisseaux qui sont proches de Quebecq aus Sr de Champlain & dupont le 19 de Juillet 1629._» Dans l'impression de l'édition originale, les mots _demandées estre_ ayant été omis ou retranchés, on fut obligé de pousser entre ligne les deux mots que nous mettons entre crochets dans le texte. Cette correction cependant n'a pas été faite dans tous les exemplaires.] Que le sieur Guer nous fera voir la commission du Roy de la grande Bretagne, en vertu de quoy il se veut saisir de ceste place, si c'est en effect par une guerre légitime[738] que la France aye avec l'Angleterre, & s'il a procuration du sieur Guer son frère Général de la flotte Angloise, pour traiter avec nous, il la monstrera. [Note 738: L'original porte: «de guerre légitime.»] Il nous fera donné un vaisseau pour rapasser en France tous nos compagnons, & ceux qui ont esté pris par le sieur Général, allant treuver passage en France, & aussi tous les Religieux, tant les Peres Jesuistes que Recollets, que deux Sauvagesses qui m'ont esté données il y a deux ans par les Sauvages, lesquelles je pourray emmener sans qu'on me les puisse retenir ny donner empeschement en quelque manière que ce soit. Que l'on nous permettra sortir avec armes & bagages, & toutes sortes d'autres commoditez de meubles que chacun peut avoir, tant Religieux qu'autres, ne permettant qu'il nous soit fait aucun empeschement en quelque manière & façon que ce soit. 241/1225 Que l'on nous donnera des vivres à suffisance pour nous repasser en France, en change[739] de peleteries, sans que par violence ou autre manière que ce soit, on empesche chacun en particulier d'emporter ce peu qui se treuvera[740] entre les soldats & compagnons de ces lieux. [Note 739: L'original porte: «en eschange.»] [Note 740: Dans l'original, on lit: «sy peu que l'on en a qui est.»] Que l'on usera envers nous de traitement le plus favorable qu'il se pourra, sans que l'on fasse aucune violence à qui que ce soit, tant aux Religieux & autres de nos compagnons, qu'à ceux qui sont en ces lieux, à ceux qui ont esté pris, entre lesquels est mon beau-frère Boullé, qui estoit pour commander à tous ceux de la barque partie d'icy, pour aller treuver passage pour repasser en France [741]. [Note 741: Cet article, en particulier, paraît avoir été revu et corrigé par un autre que par Champlain; le voici comme il est dans l'original: «Que l'on uzera de traittement le plus favorable qui se pourra sans que l'on face de viollence à qui que ce soit comme religieux & autres de nos compagnons tant de ceus qui sont en ces lieus que ceus qui ont esté pris entre lesquels est mon beau frère boullay qui estoit pour commander à tous ceus qui de la barque qui estoit partie d'ycy pour aller trouver passage pour repasser en France.] Le vaisseau où nous devrons passer, nous sera remis trois jours après nostre arrivée à Tadoussac entre les mains, & d'icy nous sera donné une barque ou vaisseau[742] pour charger nos commoditez, pour aller audit Tadoussac prendre possession du vaisseau que ledit sieur Guer nous donnera, pour repasser en France prés de cent personnes que nous sommes, tant ceux qui ont esté pris, comme ceux qui sont de present en ces lieux. [Note 742: «Nous sera donné barque ou vaisseau.»] Ce qu'estant accordé & signé d'une part & d'autre par ledit sieur Guer qui est à Tadoussac Général de l'armée Angloise & 242/1226 son Conseil, nous mettrons le fort, l'habitation, & maisons entre les mains dudit sieur Guer, ou autre qui aura pouvoir pour cet effect de luy. Signé, Champlain, & du Pont[743].» [Note 743: «Lepont» dans l'original.] Ces choses ainsi resolues furent envoyées aux vaisseaux, où estoient lesdits Louis & Thomas Guer, qui virent ce que nous demandions, & après les avoir considerez ils se resolurent d'y faire response le plustost qu'ils pourroient, ce qu'ils firent comme il s'ensuit. «_Articles accorder aux sieurs de Champlain du Pont._ Pour le fait de la Commission de sa Majesté de la grande Bretagne le Roy mon Maistre, je ne l'ay point icy, mais mon frere la fera voir quand ils feront à Tadoussac. J'ay tout pouvoir de traiter avec monsieur de Champlain, comme je vous le feray voir. Pour le fait de donner un vaisseau je ne le puis faire, mais vous vous pouvez asseurer du passage en Angleterre, & d'Angleterre en France, ce qui vous gardera de retomber entre les mains des Anglois, auquel danger pourriez tomber. Et pour le fait des Sauvagesses, je ne le puis accorder pour raisons que je vous feray sçavoir si j'ay l'honneur de vous voir, que pour le fait de sortir armes & bagages, & peleteries, j'accorde que ces messieurs[744] sortiront avec leurs armes, 243/1227 habits & peleteries à eux appartenans, & pour les soldats leurs habits chacun avec une robe de castor sans autre chose, & pour le fait des Peres ils se contenteront de leurs robes & livres. [Note 744: Suivant le témoignage des copistes auxquels nous avons eu recours, il y a dans l'original: «_que les Mres,_» c'est-à-dire, «que les Maistres.»] Ce que nous promettons faire ratifier par mon frère Général pour la flotte pour sa Majesté de la grande Bretagne, signé L. Kertk[745], & plus bas Thomas Kertk, & plus bas est escrit. Les susdits articles[746] accordez avec les sieurs de Champlain & du Pont[747], tant par les freres Louis & Thomas Kertk[748], je les accepte & ratifie, & promets qu'ils seront effectuez de point en point, fait à Tadoussac ce 19 d'Aoust, Stil neuf 1629. signé David Kertk, avec un paraphe.» [Note 745: «Louis Kertk» La copie que nous avons de l'original ne porte point cette signature, mais seulement celle-ci: Tho. Kearke.] [Note 746: Dans l'original, on lit: «Les suditz six articles.» Et ce qui fait ici le troisième, y est désigné en deux articles séparés.] [Note 747: «Dupont gravé,» dans l'original.] [Note 748: L'original porte «Kearke.»] Ayant arresté les articles ils nous r'envoyerent la chalouppe, nous priant de la despescher au plustost, pour sçavoir si nous accepterions leurs articles, à quoy nous advisasmes, nous estant assemblez pour resoudre ce que l'on pourroit faire en ces extremitez, & ne pouvant pas mieux, nous resolusmes de prendre la composition. Le lendemain 20 dudit mois ils firent approcher leurs trois vaisseaux, sçavoir le Flibot de prés de cent tonneaux avec dix canons, & deux pataches du port de quarante tonneaux, chacune six canons, & quelques cent cinquante hommes, ayant mouillez l'ancre devant Québec, je fus treuver le Capitaine Louys, pour sçavoir ce qui l'avoit 244/1228 empesché de ne me permettre d'emmener mes deux petites filles Sauvagesses que j'avois depuis deux ans, ausquelles j'avois enseigné tout ce qui estoit de leur créance, & apris à travailler à l'aiguille, tant en linge qu'en tapisserie, en quoy elles travaillent fort proprement, estant au reste fort civilisées & portées d'un desir extresme de venir en France. Je fis tant avec ledit Capitaine Louis que je le relevay des doutes qu'il avoit, me permettant les emmener, ce que sçachant ces filles ils turent fort resjouies. Je demanday des soldats audit Louis Quer pour empescher que l'on ne ravageast rien en la Chapelle ny chez les Reverends Pères Jesuites, Recollets ny la maison de la veufve Heber & son gendre, ce qu'il fit, comme en quelques autres lieux où il en estoit de besoin, puis il fait descendre à terre environ 150. hommes armez, va prendre possession de l'habitation où estant demanda les clefs au Sous-commis Corneille, & à Olivier qui traittoit avec les Sauvages comme expérimenté aux langues des Montagnais & Algommequins, comme de celle des Hurons, comme fort propre à cela. Il s'acquitta de sa charge en homme de bien, car ledit du Pont, principal Commis, estoit au lict malade des gouttes, & ne pouvoit agir. Louys Quer ayant ces clefs les donne à un François appellé le Baillif natif d'Amiens qu'il avoit pris pour Commis, s'estant volontairement donné aux Anglois pour les servir & ayder à nous ruiner, comme perfide à son Roy & à sa patrie, avec trois autres que j'avois autrefois mené en nos voyages, il y avoit plus de quinze à seize' ans, 245/1229 entre autres l'un appelle Estienne Bruslé, de Champigny, truchement des Hurons, le second Nicolas Marsolet de Rouen, truchement des Montaignais, le troisiesme de Paris, appellé Pierre Raye, Charon de son mestier, l'un des plus perfides traistres & meschants qui fust en la bande. Ledit Baillif estoit venu autrefois en ces lieux avec ledit de Caën, qui l'avoit fait un de ses Commis, l'ayant chassé pour estre grandement vicieux. Cestuy-cy entre au magasin, se saisit de tout ce qui estoit dedans, & de trois mille cinq cens à quatre mille castors, qui appartenoient au sieur de Caen, comme de toutes les autres commoditez qui estoient en l'habitation pour servir à icelle. Louys Quer s'achemine au fort pour en prendre possession, voulant desloger de mon logis, jamais il ne le voulut permettre que je m'en allasse tout à fait hors de Québec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvoit s'imaginer. Je luy demanday permission de faire célébrer la saincte Messe, ce qu'il accorda à nos Peres: Je le priay aussi de me donner un certificat de tout ce qui estoit tant au fort qu'à l'habitation, ce qu'il m'accorda avec toute sorte d'affection ainsi qu'il s'ensuit. «_J'ay Louys Kertk commandant de present au Fort de Québec en la Nouvelle France pour le Roy de la Grande Bretagne, mon Seigneur & Maistre, certifie à tous ceux qu'il appartiendra, que j'ay trouvé tant au Fort qu'à l'habitation ce qui s'ensuit, 4 espoirs de fonte verte & une moyenne avec leurs boettes, 2 breteuls de fer, de 800 livres chacun, 7 pierriers avec leur boiste double, 45 balles de fer pour les espoirs, & 6 balles pour lesdits breteuls, 40 livres de pouldre à canon, 30 livres de meche, 14 mousquets, un mousquet à Croc, 2 grandes arquebuses à rouet de 6 à 7 pieds, 2 autres à meche de mesme longueur, 10 hallebardes, 12 piques, 5 à 6 milliers de plomb 50 corcelets sans brasarts, avec leurs bourguinotes, 2 armes de 246/1230 gensdarmes à l'espreuve du pistolet, deux petarts de fonte verte, une vieille tente de guerre & plusieurs ustancilles de mesnage & outils des ouvriers qui estoient en cedit lieu de Québec, ou commandait le sieur de Champlain en l'absence de Monsieur le Cardinal de Richelieu pour le service du Roy de France & de Navarre. Faict au Fort de Québec ce 21 de Juillet 1629. signé Louys Kertk[749]._» [Note 749: On peut comparer à ce certificat de Louis Kertk une pièce qui a pour titre _Declaration du Sr Champlain soubs serment des armes, munitions & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées_ (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI). Les deux documents sont d'accord pour le fond; seulement Champlain donne le détail des outils et ustensiles: «Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lbs. une forge de Mareschal avec les appartenances. Toutes sortes de provisions pour la Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres pour un moulin à vent. Un moulin à bras pour moudre le bled, & une Cloche de fonte.»] Ils se saisirent aussi de plusieurs commoditez appartenant aux Reverends Peres Jesuites & Recollets desquelles choses ne voulurent donner de mémoire, disant, s'il faut rendre (ce que je ne croy pas) il ne perdra rien, cela ne vaut pas la peine de l'escrire ny en faire recherche. Pour les vivres que nous trouvons il ne s'en gastera ny encre ny papier, dont nous n'en tommes pas faschez, vous aymant mieux assister des nostres. Nous vous en remercions bien fort, luy dis-je, il n'y a sinon que vous les faites payer bien chèrement sans pouvoir avoir moyen de les disputer. Le l'endemain[750] il fit planter l'enseigne Angloise sur un des bastions, fist battre la quesse, assembler ses soldats, qu'il met en ordre sur les ramparts, faisant tirer le canon des vaisseaux, & quelques 5 espoirs de fonte qui estoient au fort, & deux petits breteuls qui estoient à l'habitation, & quelques 247/1231 boites de fer, après il fit jouer toute l'escoupeterie de ses soldats, le tout en signe de resjouyssance. [Note 750: Le 22 de juillet, qui était un dimanche. «Le dimanche matin, dit Sagard, les Anglois poserent les armes d'Angleterre à l'habitation & au fort avec le plus de solemnité qui leur fut possible, ayans au préalable osté celles de France.» (Hist. du Canada, p. 997.)] Le jour suivant il fut à la maison des Peres Jesuites, lesquels luy monstrerent des livres & tableaux & quelques ornements d'Eglise, en luy offrant s'il vouloit quelques-uns de ces livres & tableaux. Il en prit ce qu'il voulut de ceux qui luy semblerent les plus beaux, comme trois à quatre tableaux, le Ministre Anglois eut aussi quelques livres qu'il demanda aux Peres, après veu la maison & tout le desert qui estoit fort beau, il fut veoir les Pères Recollets, de là s'en retourna à l'habitation. La nuict ensuivant ledit Baillif prit audit Sous-Commis Corneille cent livres en or & argent, avec une tasse d'argent, quelque bas de soye & autres bagatelles qui estoient dans sa caisse, ayant esté aussi soubçonné d'avoir pris dans la Chapelle un Calice d'argent doré valant 100 livres & plus, de laquelle chose l'on fit plainte audit Louys Quer qui en fit quelque perquisition, mais nul n'avoua ce sacrilege detestable devant Dieu & les hommes. Ce Baillif accoustumé à renier & blasphemer le nom de Dieu à tout propos en disoit assez pour se rendre innocent: mais comme il est sans foy ny loy, bien qu'il se dite Catholique comme sont les trois autres, qui ne se soucioient de manger de la chair ny Vendredy ny Samedy pour penser favoriser les Anglois, qui au contraire les en blasmoient, & faisoient plusieurs autres choses licentieuses & blasmables, je luy remonstrois assez les deffauts & les reproches qu'un jour il recevroit, desquelles choses il ne se soucioit pas beaucoup, pour l'esperance qu'il avoit de jamais 248/1232 ne retourner en France. Toutes les meschancetez qu'il pouvoit faire aux François il leur faisoit: On recevoit toute sorte de courtoisie des Anglois, mais de ce malheureux tout mal. Je le laisseray pour ce qu'il vaut, attendant qu'un jour Dieu le chastie de ses jurements, blasphemes & impietez. Depuis que les Anglois eurent pris possession de Québec, les jours me sembloient des mois, ce qui me donna subject de prier ledit Louys Quer me permettre m'en aller à Tadoussac, où j'attendrois le depart des vaisseaux, passant mon temps avec le Général qui y estoit, ce qu'il m'accorda, puis que ma volonté n'estoit de demeurer davantage. J'accommoday ledit Louys Quer de quelques commoditez d'emmeublement pour sa chambre qu'il me demanda: & pour le reste de mes commoditez, je les embarquay avec ledit Thomas Quer dans le Flibot avec mes deux petites Sauvagesses. Dupont demeura avec la pluspart de nos compagnons, comme firent aussi tous les Peres, attendant de s'en retourner au second voyage. Lesdits Anglois s'estant ainsi saisis du païs, la veufve Hébert & son gendre ne pensant pas moins qu'à s'en retourner, se saisissant de leurs maisons & de leurs terres qui estoient ensemencées, ayant apparence d'une très belle récolte, comme aussi les terres desdits Peres, ce qu'ils ne firent, au contraire luy offrant toute assistance, que s'il vouloit demeurer en sa maison qu'il le pouvoit faire aussi librement comme il avoit fait avec les François, luy permettant de faire 249/1233 cueillette de tous ses grains, en disposant comme il adviseroit bon estre, que pour le surplus de ce qui luy resteroit de ses grains, qu'il le pourroit traiter avec les sauvages, & l'année suivante au temps que les vaisseaux retourneroient s'il ne se treuvoit bien, il seroit en son option de demeurer ou s'en retourner, luy faisant valloir chaque castor marchand, quatre livres, qui luy seroient livrés à Londre. Tout cecy luy estoit grand advantage & plus qu'il ne pouvoit esperer: mais comme Louis Quer estoit courtois, tenant tousjours du naturel François, & d'aymer la nation, bien que fils d'un Escossois[751] qui s'estoit marié à Dieppe, il desiroit obliger en tant qu'il pouvoit ces familles & autres François à demeurer, aymant mieux leur conversation & entretien que celle des Anglois, à laquelle son humeur monstroit répugner. [Note 751: Gervais Kertk. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI, n. 15.--Voir Pièces justificatives, n. XVIII.)] Ces pauvres familles voyant la condition qu'on leur offroit de s'en retourner en France, après avoir employé quinze à seize ans de leur travail, pour tascher à s'oster de l'incommodité & necessité qu'ils souffriroient sans doute en France, & estans chargez de femmes & enfans[752], ils se verroient contrains de 250/1234 mandier leur pain, chose à la vérité bien rude & considerable à ceux qui se mettront en leur place. Ainsi se trouvoient-ils bien empeschez de ce qu'ils devoient faire, d'autant qu'ils se voyoient privez de l'exercice de la Religion, n'y ayant plus de Prestres: ils m'en demanderent mon advis plus par bienseance à mon opinion, que pour volonté qu'ils eussent à suivre ce que je leur eusse conseillé, néantmoins jugeant l'avantage que l'Anglois leur faisoit, & la liberté qu'il leur donnoit de s'en retourner en France, je pensay leur donner un conseil qui ne leur eust point esté ruineux, leur remonstrant que la chose la plus chatouilleuse & de grand poix estoit l'exercice de nostre Religion, qu'ils ne pouvoyent jamais esperer si les Anglois estoient tousjours en ces lieux, & par consequent privé de la Confession & des Saincts Sacrements qui pouvoient mettre leurs âmes en repos pour un jamais, si ils leur estoient administrez, ce qu'ils ne pouvoient esperer si les François ne reprenoient la possession de ces lieux, ce que je me promettois moyennant la grâce de Dieu, que pour cette année si j'estois en leur place je ferois la cueillette de mes grains, & en traitter le 251/1235 plus qu'il me seroit possible avec les Sauvages, & les vaisseaux François revenant prendre possession, leur donner sa pelleterie & en tirer l'argent qu'il leur avoit promis, & leur abandonner vos terres, puis vous en revenir en leurs vaisseaux, car il faut avoir plus de soin de l'âme que du corps, & ayant de l'argent en France vous pourrez vous tirer hors des necessitez. Ils me remercièrent du conseil que je leur donnay, qu'ils le suivroient, esperant néantmoins nous revoir la prochaine année avec l'aide de Dieu. [Note 752: Que l'on rapproche ce que dit l'auteur en cet endroit, de ce qu'il rapporte ci-dessus, p. 174, 202, 204-6; que l'on veuille bien aussi se rappeler les observations que nous y avons faites sur les familles auxquelles Champlain fait allusion dans ces différents passages, et l'on demeurera convaincu qu'il resta à Québec avec les Anglais beaucoup plus de personnes que ne prétend l'auteur de _l'Histoire de la Colonie française en Canada_ «Il ne resta, dit-il, d'autres français à Québec, que la famille de la veuve Hébert et celle de Couillard son gendre, ainsi que deux individus que les Anglais ramenèrent en Europe l'année suivante.» (Tome I, p. 249.) Le texte de Champlain aurait dû suffire à lui seul pour engager l'auteur dont nous parlons à ne point hasarder un pareil avancé. Ici en particulier, il est fait mention de _plusieurs_ familles «chargées de femmes et enfants»; par conséquent, outre celle de Couillard, il y en avait au moins une autre qui était pareillement chargée d'enfants. Or ce n'était point celle de Madame Hébert. Donc la famille d'Abraham Martin était du nombre de celles auxquelles Champlain conseilla de rester avec les Anglais en attendant mieux. C'est ce que prouvent du reste plusieurs documents, entre autres les Registres de Notre-Dame de Québec. Mais il y a plus: outre ces trois familles, qui renfermaient quinze personnes, il y en avait encore au moins deux autres. D'abord, Pierre Des Portes était à Québec en 1629, puisque sa femme, Françoise Langlois, fut marraine de Louis Couillard le 18 mai de cette même année; et il avait avec lui sa fille Hélène, qu'il maria quelques années plus tard à Guillaume Hébert, et qui était née à Québec (Traict de mariage de Noël Morin & d'Hél. Desportes, greffe de Piraube). Enfin, Nicolas Pivert, revenu en 1628 du cap Tourmente, avec sa femme Marguerite Le Sage et sa petite nièce (ci-dessus, p. 171, note 3), ne pouvaient pas être retournés en France, puisqu'il n'était point venu de vaisseaux. Ces cinq familles réunies, sans compter les domestiques qu'elles pouvaient avoir, faisaient en tout vingt-et-une personnes. Il resta donc avec les Anglais au moins le quart de la population française, et encore faut-il remarquer que c'était la partie stable, et comme le germe fécond des meilleure familles qui se soient développées en Canada.] _Combat des François avec les Anglais. L'autheur est pris en combattant. On le fait parler au sieur Emery. Voyage des François à Tadoussac. Le beau-frere de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit regaigner Québec._ CHAPITRE IV. LE 24 dudit mois[753] nous levasmes les ancres & mismes à la voile, ce jour fusmes mouiller l'ancre au bord de l'Est Nordouest de l'isle d'Orléans, le l'endemain mismes sous voile & le travers de la Malle-baye, 25 lieues de Québec l'on aperceut un vaisseau du costé du Nort qui mettoit soubs voille, lequel taschoit d'aller vers l'eau pour gaigner le vent & faire retraitte s'il pouvoit, il fut trouvé appartenir audit sieur de Caën, où son cousin[754] Emery commandoit, qui venoit à Québec pour prendre les castors qui y estoient, & traiter quelque 252/1236 marchandise qu'il avoit, & autres commoditez à luy appartenant, d'autant que l'Anglois sçavoit qu'il estoit en la riviere, comme il sera dit cy-aprés. [Note 753: Le 24 juillet.] [Note 754: Plus haut, p. 10 et 83, il est appelé son neveu.] Ledit Thomas commanda d'approcher le plus prés que l'on pourroit du vaisseau dudit Emery pour le saluer de quelques canonades[755] qui luy furent aussi tost respondus par autres coups de meilleure amonition, s'entretirent quelque temps environ 30 coups, l'un qui fut tiré du vaisseau dudit Emery emporta la teste d'un des bons mariniers dudit Thomas Quer, Emery fist quelque bordées pour tascher de gaigner le vent pour se sauver, mais Thomas desirant en venir aux mains & l'aborder, Thomas me dist; Monsieur vous sçavez l'ordre de la mer, qui ne permet à ceux d'un contraire party estre libre sur le Tillac, c'est pourquoy vous ne treuverez estrange que vous & vos compagnons descendiez sous le Tillac, où estant fist fermer les paneaux & les clouer sur nous, faisant mettre ses matelots & soldats en ordre pour combattre à l'abordage qui fut faite assez mal à propos, entre le mas de Van[756] & le beau Pré dudit vaisseau d'Emery, lequel de son costé faisoit son devoir de se tenir prest pour se deffendre à l'abordage: chacun fait ce qu'il peut pour vaincre & terracer son ennemy: ce fut alors qu'on vint aux coups de pierre & balles de canon, & autres choses qu'ils pouvoient attrapper se jettant d'un bord à 253/1237 l'autre, car les uns ny les autres ne pouvoient entrer dedans leurs vaisseaux que par le beaupré du vaisseau du dit Thomas Quer, à cause que le vaisseau (comme j'ay dit) avoit abordé debout, & une pate de l'ancre de celuy de Thomas Quer s'estoit attachée & cramponnée au vaisseau d'Emery, ensorte qu'ils ne se pouvoient desaborder: & un homme armé d'un bord à autre pouvoit facillement empescher d'entrer: ce pendant que les gens de Thomas Quer estoient ainsi mal menez, une partie se jetta au fond du vaisseau que ledit Capitaine faisoit monter à coups de plat d'espée, mais c'est une mauvaise chose quand la peur saisit les courages, le Chef mesme ne sçavoit pas bien où il en estoit, car peu l'accompagnoient au combat, il y eust quelque rumeur en ce combat dans le vaisseau d'Emery de Caen, qui par un courage lasche cria assez hautement _Cartier, Cartier_, ce qui fut entendu par Thomas Quer, qui aussi tost ne voulut perdre temps, & releva cette parolle, leur promettant toute courtoisie, autant dit il, qu'au sieur de Champlain que nous avons icy, & prenez garde de conserver vos vies. Pendant tout ce combat les deux pataches approchoient qui eussent malmené ledit Emery, qui ne pouvoit se desaborder, voyant l'inconvenient qu'il pouvoit encourir, ayant des gens en son bord qui n'avoient envie de bien faire, il demanda à me voir: pendant ce temps le combat cessa d'une part & d'autre, & vint on aussi tost avec une pinse à ouvrir les paneaux, l'on m'enleve promptement pour aller parler audit Emery de Caen: 254/1238 ledit Thomas Quer qui à son visage & contenance tesmoignoit n'estre pas bien en seureté de sa personne, & disoit, Asseurez vous (me dit il) que si l'on tire du vaisseau que vous mourrez, dites leur qu'ils se rendent, je leur feray pareil traitement qu'à vostre personne, autrement ils ne peuvent éviter leurs ruyne, si les deux pataches arrivent plustost que la composition soit faite: Je luy dis, Monsieur de me faire mourir en l'estat que je fuis, il vous seroit très facile estant en vostre puissance, vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à ce que m'avez promis, & vostre frère le Capitaine Louys Quer aussi, de plus je ne puis commander à ces personnes là, & ne peux empescher qu'ils ne fassent leur devoir, en se maintenant & défendant comme gens de bien, vous les devez louer plustost que les blasmer, vous sçavez qui a un prisonnier l'on luy fait dire ce que l'on veut, & par consequent ledit Emery ne doit s'arrester à ce que je luy pourrois persuader: Je vous prie donc, dit-il, de les asseurer dire aux qu'ils auront toute sorte de bon traitement s'ils se veulent rendre, ce que je fis, parlant audit Emery de Caen qui estoit sur le bord de son vaisseau, lequel demanda de rechef parole dudit Thomas Quer, qui promet leur faire la mesme composition qu'il m'avoit faite: Ils mettent les armes bas, les deux pataches arrivent aussi tost, ausquelles ledit Thomas Quer fait defences d'offencer les nostres, qui sans doute les eussent ruynez, & sans icelles le vaisseau Anglois eust esté enlevé: ledit Emery ayant l'advantage, se rendant maistre du vaisseau Anglois avec le sien, moy & autres François qui estoyent dedans, les Anglois 255/1239 eussent apporté du renfort, & desmeslant les vaisseaux du grapin qui y tenoit, l'on eust peu prendre leurs deux pataches. L'accord fait tant d'un costé que d'autre, Lepinay[757] Lieutenant dudit Emery de Caen, entra dans le vaisseau, & après ledit Emery, qui vinrent faire la reverence à Thomas Quer, ledit de Caen me dit, qu'il venoit pour me secourir, que son cousin[758] de Caen luy avoit donné lettre pour m'apporter, par laquelle il mandoit qu'il m'envoyoit des vivres pour trois mois, attendant plus grand secours du sieur Chevallier de Rasilly qui devoit arriver en bref, neantmoins il croyoit que la paix estoit faite entre la France & l'Angleterre. [Note 755: Ce récit de Champlain, qui était témoin oculaire peut servir à rectifier la déposition que fit, devant le juge Henry Martin, le général David Kertk (Pièces justificatives, n. XVIII), Ce dernier était à Tadoussac pendant que le combat se livrait, vers la Malbaie, entre son frère Thomas et le sieur Émeric de Caen.] [Note 756: Mât d'avant ou de misaine.] [Note 757: Jacques Cognard (ou Couillard), sieur de l'Espinay. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI.)] [Note 758: _Conf_. ci-dessus, p. 10, 83 et 247.] L'exécution faite, nous nous en allasmes à la rade à Tadoussac treuver le Général Kertk, où ledit Emery auparavant avoit pensé aller, perdre[759] par une disgrace qui luy survint le travers de Tadoussac, comme il sera dit en son lieu, estans arrivez à la rade du moulin Baudé, où estoient encore les Anglois, ledit Général nous fit bonne réception, bien aise de ceste prise: aussi y vismes nous ce bon traistre & rebelle Jacques Michel, qui avoit conduit les Anglois dés la première & seconde fois: il estoit Contre-Admiral de cette flotte, composée de cinq grands vaisseaux de trois à quatre cens tonneaux, tres bien amunitionnez de canons, poudres, balles, & artifices à feu: à la vérité, hors les Officiers, le reste n'estoit pas grande chose, il y avoit en chacun prés de six vingts hommes, aussi 256/1240 j'y vis mon beau-frere Boulé, qui avoit esté pris depuis qu'il estoit party de Québec, lequel me fit le discours de ce qui se passa en son voyage depuis son département, qui fut tel qui s'ensuit. [Note 759: S'aller perdre.] Il me dit que partant de Québec avec les incommoditez qu'ils avoient receues allant à Gaspey, ils rencontrèrent Emery, estant fort resjouis d'une si heureuse rencontre, il leur donna de quoy se rafraischir luy ayant dit que son cousin de Caen l'envoyoit tant pour quérir les castors, qu'autres commoditez s'il en restoit & apporter au Fort des vivres pour trois mois, attendant le secours de Monsieur de Rasilly qui estoit prest à faire voile, quand il partit de la Rochelle, & que sans l'arrest que Joubert luy fit de la part de la compagnie, il eust arrivé un mois plustost à Québec, & n'avoit peu faire autrement pour le mauvais temps qui l'avoit contrarié à la mer, qui le contraignit relascher à la Rochelle, pour faire quelque radoub en son vaisseau qui estoit du port de 70 tonneaux: croyant que la paix esstoit faite entre l'Angleterre & la France, d'autant qu'il avoit veu quelque lettres entre les mains de monsieur de la Tuillerie à la Rochelle, où on l'asseuroit d'icelle, mesme que l'on ne donnoit plus de congé pour faire la guerre à l'Anglois: joint aussi que le Capitaine Daniel venoit en la Compagnie du sieur Chevallier de Rasilly, Joubert devoit venir devant & quelques deux autres barques, l'une appartenant aux Peres Jesuites, ou estoient les Reverends PP. Allemand & Noyrot[760], qui venoient pour secourir leurs 257/1241 Peres à Québec, croyant que ces vaisseaux pourroient estre dans la riviere, s'ils avoient vent favorable, ledit Emery de Caen demanda s'il ne sçavoit point qu'il y fut entré des vaisseaux dans la riviere, il luy dit que non, ce qui donna courage audit Emery, pensant arriver des premiers à Québec, pour emporter promptement ses peleteries, & traiter quelque peu de marchandises & vivres qu'il avoit, premier que ledit Daniel & Joubert arrivassent, il prit les cinq cens castors qui estoient en la barque qu'il mit en la sienne. [Note 760: Les PP. Charles Lalemant et Philibert Noirot.] Après tous ces discours passez, & que je luy eu representé la necessité en laquelle nous avions esté laissez, il se délibère de monter au plustost: moy fort resjouy desirant estre des premiers à vous donner ce bon advis de ce secours si favorable en une telle necessité, je dis audit Emery qu'il estoit à propos que j'allasse devant avec la chalouppe, pour afin que s'il y avoit du calme, au moins qu'il nous donneroit ce contentement que de nous apporter les nouvelles, que pour cet effect il luy demanda de changer son esquippage de matelots pour faire diligence, d'autant que les siens estoient foibles & débiles, qu'ils ne pourroient nager comme les tiens qui estoient frais, & aussi donner quelque baril de poudre pour nous secourir, ce qu'il refusa, disant, qu'il ne desiroit se defaire de ses hommes ny de sa poudre, leur donnant seulement un peu de biscuit: que pour la petite barque où il estoit allé, il l'avoit laissée à gouverner & commander à Desdames, lequel devoit suivre ledit Emery de Caen: Je partis tout ainsi, avec 258/1242 la chalouppe & mes matelots harassez de necessité & travail: le desir que nous avions de vous donner des nouvelles, nous donnoit de tant plus de courage. Au bout de quatre ou cinq jours après avoir quitté ledit Emery, nous apperceusmes quelque vaisseau vers l'eau, desirant l'aller recognoistre, pensant que ce fut celuy dudit Daniel, selon que l'on nous l'avoit representé, mais comme nous eusmes recogneu que ce n'estoit point luy, ains un vaisseau Anglois, nous resolusmes de gagner la terre, pour nous sauver, le vaisseau Anglois (où estoit ledit Thomas Quer) appercevant que nous faisions retraite nous tire un coup de canon, & aussi tost esquippe une autre chalouppe avec double esquippage, pour lasser les nostres qui faisoient ce qu'ils pouvoient pour se sauver: en ceste occasion l'esquippage frais dudit Emery eust peu servir, nos matelots n'en pouvant plus, pour estre foibles & débiles du travail: nous fusmes attaints par les Anglois qui nous pillèrent & ravagerent tout ce que nous avions, on nous emmene audit Thomas Quer qui nous reçoit assez courtoisement, il me mena à son frère le Général, qui me fait très bonne réception & nous mena à Tadoussac avec luy, le luy fis entendre comme ledit Emery de Caen luy avoit[761] dit asseurement que la paix estoit faite, l'ayant sceu de personnes dignes de foy au partir de la Rochelle. A il les articles, me dit le général, Non, Ce sont contes faits à plaisir, il s'informe de l'estat auquel vous estiez à Québec, je luy en disois bien plus qu'il n'y en avoit ce qu'ils pouvoient croire, mais quelques matelots pris luy 259/1243 disoient que vous estiez bien mal si n'aviez du secours, les Sauvages qui croyoient qu'à ce changement tout leur seroit donné de la part des Anglois, luy dirent le miserable estat auquel vous estiez réduits. Nous arrivons au moulin Baudé où ils mouillent l'ancre, & aussi tost ils arment le Flibot & deux pataches, pour promptement faire monter à Québec, ils avoient avec eux des hommes Anglois, qui avoient esté l'année précédente au Cap de Tourmente quand il fut bruslé. Les Sauvages de Tadoussac s'offrant de les conduire, leur disant, qu'ils sçavoient mieux le chemin que les François, à la verité qu'ils ne mentent pas, car il n'y a endroits ny roches qu'ils ne cognoissent par expérience, que nous n'avons si exacte, neantmoins ils ne laisserent d'emmener de nos matelots, puisque la fortune leur avoit esté si favorable, leurs affaires ayant esté preveues dés l'Angleterre par le Conseil, que ledit Jacques Michel leur avoit donné, qui ne se pouvant asseurer avoir en leur puissance des matelots qui estoient en la chalouppe qui prirent par cas fortuit: mais l'occasion se presenta de laquelle ils se servirent, pour ayder à conduire leur Flibot & patache. C'est une disgression que je faits sur ce que aucuns ne pensent reparer leur faute, quand les choses ne réussissent à leur souhait, & faut tousjours qu'il y aye un si, ce qui n'estoit point en ceste affaire: sur ce qu'aucuns ont dit, que si l'Anglois n'eust pris la chalouppe il n'eust monté à Québec si promptement qu'ils firent: ce sont contes faits à plaisir à des personnes qui ne sçavent comme ceste 260/1244 affaire s'est passée, & ne sçavent comment couvrir leur faute, sinon en blasmant autruy, chose de mauvaise grâce, car ils avoient emmené le Flibot & les deux pataches, avec les hommes qui avoient esté audit Cap de Tourmente, comme j'ay dit cy dessus, à dessein qu'aussi tost arrivez au moulin Baudé de les faire monter à Québec, craignant que si leur eust fallu monter des barques à Tadoussac, que pendant ce travail une moyenne barque eut passé & donné secours à l'habitation, leur dessein par ce moyen rompu: & quand mesme, comme dit est, qu'ils n'eurent eu que des Sauvages du païs pour pilotes, qui eussent aussi bien pilotez comme ils l'avoient fait dés l'année passée audit Cap de Tourmente, avec la plus grande barque que nous eussions à Tadoussac. [Note 761: M'avoit.] Revenons audit Emery, lequel après que Boullé fut party avec sa chalouppe, il leve l'ancre & met sous voiles pour gagner Québec au plustost, sans sçavoir aucunes nouvelles de l'Anglois, celles que luy dirent lesdits Desdames & Foucher, qui estoient en la petite barque de Boullé qu'ils avoient veu un canau, où il y avoit des Sauvages avec de la marchandise Angloise, qu'ils avoient traitez avec eux, c'est ce que dit ledit Desdames, que de cet advis ledit Emery n'en fait conte, neantmoins cela luy devoit faire penser & s'asseurer mieux qu'il ne fit, pour la consideration de son vaisseau, & ne tomber aux accidens comme il fit, car estant sur le travers de Leschemin[762] il fut pris d'un temps de brune que l'on voyoit fort peu, il passa devant 261/1245 les Anglois, qui estoient à la Ralde du moullin Baudé, à la portée presque du canon, sans estre apperceus d'une part ny d'autre: pensant doubler la pointe aux allouettes, ils eschouent sur l'islet rouge[763] comme le travers de Tadoussac où se voyant pensant estre perdus ils font une piperie pour se sauver à terre, voicy que la brune s'abaisse où ils virent les Anglois, font tirer quelques coups de canons, pour leur demander secours, & les aller sauver du naufrage où ils pensoient se voir, ledit Jacques Michel dit au Général, envoyez secourir ce vaisseau qui s'en va perdre, ou pour le moins les hommes, ils tirent leur canon pour vous en advertir, vous en aurez bon marché, le Général n'en voulut rien faire, disant, il les faut laisser, & attendre un peu ils ne nous pourrons fuir, Ils sont bien despourveus de consideration de venir passer à nostre veue, ayant vaisseaux devant & derrière eux: sans la brune il n'eut esté si avant, & ainsi le laissa là, & donna grande faute audit Quer de n'y envoyer des chalouppes aussi tost qu'ils ouyrent tirer leur canon, & n'eurent perdu trois de leurs hommes, comme ils firent depuis en se battant avec ledit Emery, la marée commençant à monter sous le vaisseau fit que peu à peu il vint à flotter sans estre que fort peu endommagé, ils prennent courage & se r'enbarquent, lainent leur piperie, se mettent vers l'eau, vont mouiller l'ancre au prés du Chafaut au Basque, deux lieues de Tadoussac, où ils furent quelque temps: ils virent une chalouppe Angloise qui venoit de Québec, & alloit treuver le Général pour luy porter nouvelle de la 262/1246 prise du fort, sur laquelle ledit Emery fit tirer un coup de canon: voulant mouiller l'ancre le pert[764] met à la voile, & va mouiller proche de la Malle baye, où il vint quelques canaux de Sauvages qui luy dirent que Québec estoit rendu, ce qu'il ne voulust croire, & pour ce sujet envoya un canau de Sauvages avec deux François pour en sçavoir la vérité, (qui n'estoit que trop vray,) qu'ils eussent à faire le plus de diligence qu'ils pourroient, ils leur falloit faire vingt lieues, & autant pour le retour, c'estoit perdre un grand temps, ayant peu éviter la prise des Anglois. Ces deux hommes promirent faire ce qu'ils pourroient, l'un appellé le Cocq Charpentier, & l'autre Froidemouche, qui avoient esté en la barque de Boullé: ces deux personnages estoient ignorans & mal propres à telles affaires, veu que les plus discrets n'y sont pas trop bons. Ces deux advanturiers se mettent en chemin, vont au Cap de Tourmente, s'amusent à chasser (c'estoit bien le temps) la nuict arrivez à Québec ils ne voyoient point les vaisseaux Anglois, qui estoient desja partis pour retourner à Tadoussac, ils s'approchent des cabanes des sauvages, qui leur dirent que les Anglois estoient au fort & à l'habitation: les vaisseaux partis, & qu'ils estoient dedans. Toutes ces nouvelles suffisoient pour s'en retourner promptement treuver ledit 263/1247 Emery, & quelque diligence qu'ils eussent fait, ils eussent treuvé le vaisseau pris des Anglois, mais au contraire ils vont passer contre le fort, entendent les sentinelles de l'ennemy, ils ne se contentent de se retirer, ils vont à la maison de la veufve Hébert ou de son gendre, les voyant leur demandent ce qu'ils estoient venu faire. Nous venons, dirent ils de la part du sieur Emery voir si l'habitation estoit prise: hélas, leur dirent ils, que vous estes simples & peu advisez, ne le voyez vous pas bien, falloit il venir icy pour vous faire prendre, que dira-on, sçachant par les Sauvages que vous estes venus icy, & que je ne le dise, il y va de ma vie & de toute la ruyne de ma famille, il faut que par necessité si je me veux conserver, je dise que vous estes venus pour voir si le sieur de Champlain estoit icy, & comme tout alloit: allons treuver le Capitaine Louis, il est galand homme, il ne vous fera point de tort, ce qu'ils firent, lequel leur usa de quelques paroles & menaces fascheuses, les retenans pour les faire travailler. [Note 762: L'Escoumin, ou les Escoumins.] [Note 763: L'île Rouge.] [Note 764: Le texte est ici conforme à celui de l'édition originale. Il paraît bien évident que l'imprimeur n'a pas compris le manuscrit de l'auteur. Voici la version qui nous paraît la plus vraisemblable: «Voulant mouiller l'ancre autre part, met à la voile & va mouiller proche de la Malle baye.» Le mot autre était peut-être en abréviation dans la copie. Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver à ce passage un autre sens plus raisonnable. Émeric de Caen était déjà mouillé auprès du Chafaut au Basque; mais il ne pouvait rester là à la vue de l'ennemi, surtout après avoir ainsi salué la chaloupe anglaise: il fallait donc aller mouiller ailleurs.] Cependant la petite barque où estoit Desdames suivoit ledit Emery de Caën, mais ils s'arresterent à une petite riviere pour prendre de l'eau, où ils furent deux jours à cause du mauvais temps. Sortant de là ils furent jusques au Bic, quinze lieues de Tadoussac, sçachant au vray par les Sauvages la prise de Québec, & que ledit de Caen ne pouvoit éviter qu'il ne fust pris pour s'estre trop hasardé, ils ne furent point incrédules, ils se délibérèrent de s'en retourner chercher passage le long des costes, où estant vers Gaspey rencontrèrent Joubert avec sa 264/1248 barque qui nous venoit secourir, mais trop tard, & leur dist, qu'il avoit esté poursuivy des Anglois proche de Miscou, il leur dist aussi que le Capitaine Daniel estoit party pour mesme effect, & une autre barque pour les Peres Jesuites, où estoient les Reverends Pères l'Alleman & Norot. Il s'embarque avec ledit Joubert, & s'en retourne en France sans faire plus grands progrez, sinon que s'aller perdre à la coste de Bretagne prés Benodet proche de Quinpercorentin, qui pensant au commencement que ce fussent quelques pirates, furent détenus jusques à ce qu'ils sceurent la vérité, & là ledit Joubert despendit plus qu'il n'avoit sauvé de son naufrage. Voicy un defaut en ce voyage, de ne partir suivant l'ordre qui avoit esté donné par les sieurs Directeurs de Paris, de partir de droitte route de Dieppe pour la Nouvelle France. Au lieu de ce faire, les vaisseaux vont attendre le sieur Chevalier de Rasilly, & ainsi laisserent perdre la saison, que s'ils fussent partis au 15 ou à la fin de Mars, & que ledit Capitaine Daniel partant de bonne heure, comme dit est, il fust arrivé à Québec le 20 ou à la fin de May pour le plus tard, prés de deux mois premier que les Anglois, en nous secourant ils eussent jouy des traites, ce qui ne fut effectué pour le retardement. Les Directeurs de Bordeaux manquèrent aussi, & empescherent les pataches de partir si promptement qu'elles eussent peu faire, & ledit sieur Chevalier de Rasilly n'eust laisse d'aller combattre les Anglois, que si cela eust esté, l'ennemy eust 265/1249 esté vaincu, & l'habitation recouverte. Mais le traitté de paix qui se fist entre le Roy de France & le Roy d'Angleterre empescha d'effectuer la commission qu'il avoit, qui fut changée pour le voyage de Maroc où il fut, qui ne servit pas beaucoup, & par ainsi ceste Société receut de grandes pertes en la despense qu'ils firent encore ceste année, pensant que les vaisseaux du Roy devoient faire le voyage, sur les nouvelles certaines que l'on avoit que les Anglois estoient partis de Londres pour aller prendre Québec. Voylà les effects de ces voyages, autant malheureux que mal entrepris. Retournons à ce que nous fismes estant au moulin Baudé, dans les vaisseaux de Quer, deux ou trois jours après nostre arrivée, qui fut environ le premier d'Aoust, nous entrasmes dans le port de Tadoussac, où aussitost le Général fit charger le Flibot pour faire porter ce qui estoit de commoditez à Québec, fit monter[765] une barque à Tadoussac de quelques 25 tonneaux qu'il avoit portée en fagots, où je vy Estienne Bruslé truchement des Hurons, qui s'estoient mis au service de l'Anglois, & Marsolet, ausquels je fis une remonstrance touchant leur infidélité, tant envers le Roy qu'à leur patrie, ils me dirent qu'ils avoient esté pris par force, c'est ce qui n'est pas croyable, car en ces choses prendre un homme par force ce seroit plustost esperer deservice qu'une fidélité, leur disant, Vous dites qu'il vous ont donné à chacun cent pistoles & quelque pratique, & leur ayant ainsi promis toute 266/1250 fidélité vous demeurez sans religion, mangeant chair Vendredy & Samedy, vous licentiant en des desbauches & libertinages desordonnées, souvenez-vous que Dieu vous punira si vous ne vous amendez, il n'y a parent ny amy qui ne vous dise le mesme, ce sont ceux qui accourront plustost à faire faire vostre procez: que si vous sçaviez que ce que vous faites est desagreable à Dieu & au monde, vous auriez horreur de vous mesme, encore vous qui avez esté eslevez petits garçons[766] en ces lieux, vendant maintenant ceux qui vous ont mis le pain à la main: pensez vous estre prisez de cette nation? non, asseurez vous, car ils ne s'en servent que pour la necessité, en veillant tousjours sur vos actions, sçachant que quand un autre vous offrira plus d'argent qu'ils ne font, vous les vendriez encore plustost que vostre nation, & ayant cognoissance du païs ils vous chasseront, car on se sert des perfides pour un temps, vous perdez vostre honneur, on vous monstrera au doigt de toutes parts, en quelque lieu que vous soyez: disant, Voilà ceux qui ont trahy leur Roy & vendu leur patrie, & vaudroit mieux pour vous mourir que vivre de la façon au monde, car quelque chose qui arrive vous aurez tousjours un ver qui vous rongera la conscience, & en suitte plusieurs 267/1251 autres discours à ce sujet: Ils me disoient, Nous sçavons très bien que si l'on nous tenoit en France qu'on nous pendroit, nous sommes bien faschez de cela, mais la chose est faite, il faut boire le calice puisque nous y tommes, & nous resoudre de jamais ne retourner en France: l'on ne laissera pas de vivre, ô pauvres excusez, que si on vous attrappe vous qui estes sujets à voyager, vous courez fortune d'estre pris & chastiez. [Note 765: C'est-à-dire, assembler les pièces d'une barque qu'il avait apportée en fagots, ou démontée.] [Note 766: S'il fallait prendre cette expression à la lettre, Marsolet et Brûlé seraient venus en Canada dès 1603; puisque, d'après les Registres de N.-D. de Québec, Marsolet, en 1603, était déjà âgé de seize ans; et Étienne Brûlé paraît avoir été à peu près du même âge. Mais il semble qu'il faut tenir compte de l'indignation que soulevait dans l'esprit de l'auteur la mauvaise conduite de ces deux interprètes; surtout si l'on se rappelle ce qu'il dit ci-dessus, p. 244-5; qu'ils étaient venus avec lui il y avait plus de quinze à seize ans, c'est-à-dire, quelques années avant 1613. En prenant un moyen terme entre ces deux données, qui ne sont évidemment qu'approximatives, on peut affirmer avec assez de vraisemblance, que Marsolet et Brûlé étaient déjà employés, dès l'âge de 18 à 20 ans, dans les voyages de traite et de découverte à l'époque de la fondation de Québec, c'est-à-dire, vers 1608.] Je vis Louis le Sauvage[767] que les peres jesuistes avoient tant pris de peine à instruire, & qui commençoit à ce licentier en la vie des Anglois, bien qu'il disoit avoir une grande obligation ausdits Peres de ce qu'il sçavoit, estant en son coeur bon Catholique, & qu'un jour il esperoit le tesmoigner aux François si jamais ils revenoient en ces lieux: les Anglois le r'envoyerent en son païs avec son père qui le vint voir, & ceux de sa nation qui en furent fort resjouis, ausquels il fit de grands discours de ce qu'il avoit veu tant en France qu'en Angleterre, Bruslé truchement fut avec luy aux Hurons. [Note 767: Louis Amantacha, surnommé de Sainte-Foi, qu'il ne faut pas confondre avec celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 137. Ce dernier, qui était fils de Choumin, était montagnais, et avait été instruit par les Pères Récollets; tandis que celui dont parle ici l'auteur était huron, et avait été, comme le remarque Champlain, instruit par les Pères Jésuites. Le jeune Amantacha fut envoyé en France dès 1626. «Voicy un petit Huron, dit le P. Charles Lalemant (Relat. 1626, p. 9), qui s'en va vous voir. Il est passionné de voir la France. Il nous affectionne grandement, & fait paroistre un grand desir d'estre instruict. Neantmoins le père & le capitaine veulent le revoir l'an prochain, nous asseurant que s'il en est content, il le nous donnera pour quelques années.» Plus tard, en 1633, Amantacha descendit à Québec, et vint voir les Pères Jésuites. Le P. le Jeune l'invita à penser un peu à sa conscience; ce qu'il fit de fort bon coeur, et depuis il ne cessa d'être l'un des meilleurs soutiens des missionnaires. (Relat. des Jés.)] 268/1252 _Voyage de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites en la Foy._ CHAPITRE V. Le Général Quer se delibere d'aller voir Québec dans une chalouppe qu'il fait esquipper, & emmena Jacques Michel & quelques autres siens Capitaines de ses vaisseaux, & mon beau-frère: pendant son absence nous passasmes le temps le mieux qu'il nous fut possible, attendant son retour. Pour ce qui estoit des Sauvages les uns monstroient estre resjouis de ce changement, les autres non, selon la diversité des humeurs qui croyent souvent que les choses nouvelles apportent plus grand bien, c'est où maintes fois le monde se trompe: comme ces peuples pensoient recevoir plus de courtoisie de ces nouveaux Etrangers que de nous, ils treuverent en peu de temps toutes autres choses qui ne s'estoient imaginez, nous regrettans. Le Général fut quelque dix à douze tours à son voyage, à son retour fut salué de quelques canonades, me disant qu'il estoit content de ce qu'il avoit veu, que si cela leur demeuroit ils feroient bien d'autres fruicts que ce qu'on y avoit fait, tant aux peuplades qu'aux bastiments & commerces de ce qui se pourroit faire dans le païs, par le travail & induftrie de ceux que l'on y envoyeroit. 269/1253 Quelques jours après son arrivée il festoya tous ses Capitaines, pour cet effect il fit dresser une tante à terre environnée de verdures, sur la fin du disner il me donna à lire une lettre qui luy avoit esté envoyée de Québec, escrite de Marsolet truchement, (mescognoissant des biens qu'il avoit receus des societez Françoises) ou il y avoit escrit ce qui s'ensuit. «Monsieur, depuis nostre arrivée[768] à Québec un canau de Sauvage est descendu des trois rivieres, pour vous donner advis qu'un conseil s'est tenu de tous les Chefs & principaux du païs assemblez pour délibérer, sçavoir si Monsieur de Champlain doit emmener en France les deux petites filles qu'il a, ils ont resolu que puisque les François ne sont plus demeurans en ces lieux, de ne les laisser aller, & vous prient les retenir, & ne leur permettre qu'ils s'en retournent, d'autant que si vous ne l'empeschez le pays se perdra, & est à craindre qu'il n'arrive quelque accident de mort aux hommes qui demeurent en ces lieux, c'est pourquoy que s'il en arrive mal, je me descharge de ce que je dois, vous en ferez selon vostre volonté: mais si me croyez comme vostre serviteur, vous ne permettrez qu'elles passent plus outre, en les r'envoyant icy: c'est tout ce qui s'est passé depuis vostre partement, j'espère m'en retourner à Tadoussac pour avoir l'honneur de prendre congé de vous, comme 270/1254 estant, Monsieur, Vostre humble & affectionné serviteur Marsolet.» [Note 768: Ces mots donneraient à entendre que Marsolet n'était pas monté à Québec en même temps que le général.] Ayant leu ceste lettre, je jugeay aussi tost que le galand avoit inventé ceste malice pour faire retenir ces filles, desquelles il vouloit abuser, comme l'on croyoit & autres mauvais François semblables à luy, l'une de ces filles appellée Esperance, avoit dit quelque jours auparavant, que Marsolet estant au vaisseau l'avoit sollicitée de s'en aller avec luy, luy promettant plusieurs commoditez pour l'attirer, mais que jamais elle n'y avoit voulu condescendre, mesme qu'elle s'en estoit plainte à des sauvages qui luy avoient dit, Sçais tu pas bien qu'il ne vaut rien, & qu'il est en mauvaise réputation avec tous les Sauvages pour estre un menteur, ne l'escoute point, tu es bien, Monsieur de Champlain vous ayme comme ses filles, aussi dirent elles, Nous luy portons de l'affection, ce que n'estant nous n'aurions desir de le suivre en France, qui fut le sujet que j'en parlay au Général. «Monsieur vous me faites faveur, que vostre courtoisie s'estende à me montrer ceste lettre, que si l'affaire est ainsi qu'il l'escrit, j'aurois tort de vous faire une demande inciville, en vous demandant permission d'emmener ces filles que j'ayme comme si elles estoient miennes, vous me permettrez que je parle pour ces pauvres innocentes qui m'ont esté données par les sauvages assemblez en Conseil, sans que je les aye demandez, mais au contraire comme forcé avec le consentement 271/1255 des filles & des parents, à telle condition que j'en disposerois à ma volonté, pour les instruire en nostre Foy, comme si c'estoient mes enfans, ce que j'ay fait depuis deux ans le tout pour l'amour de Dieu, où j'ay eu un grand soing à les entretenir de tout ce qui leur estoit neceaire, les desirant retirer des mains du Diable, où elles retomberont si faut que les reteniez: je vous supplie que vostre charité soit elle envers ces pauvres filles de ne les violenter, & souvenez vous que Dieu ne vous sera point ingrat si vous faites quelque chose pour luy, il a des recompenses grandes, tant pour le Ciel que pour la terre. Au reste je sçay très asseurément que Marsolet a forgé en son esprit ce qu'il vous mande, n'ayant treuvé autre moyen pour perdre ces filles, & jouir de sa desordonnée volonté s'il peut. Je sçay asseurement que les Sauvages estant au Conseil des trois rivieres, il ne fut parlé aucunement de ces filles, ny de ce que Marsolet vous a escrit, mesme je sçay que lors qu'estiez à Québec vous vous informastes si les Sauvages n'estoient point faschez de ce qu'elles s'en alloient, que Gros Jean de Dieppe qui s'est donné à vous, truchement des Algommequins, vous dit au contraire, qu'ils fussent faschez de ce que je les emmenois, qu'ils en estoient bien contents, que s'il y avoit du danger de les emmener allant dans le pays comme il alloit, il n'y eut pas esté pour beaucoup de choses, & Coullart vous dit aussi, Monsieur nous avons autant d'interest que personne, à cause de 272/1256 ma femme & de mes enfans, que s'il y avoit quelque risque je vous le dirois librement, au contraire les Sauvages m'ont dit qu'ils en estoient bien aise, qu'elles estoient bien données, tout cecy est un tesmoignage suffisant, auquel devez adjouster Foy, plus qu'à ce que vous mande Marsolet, qui veut abuser de ces filles, les ayant mesmes sollicitées à s'en aller avec luy, qu'il leur donneroit des presens: l'ayant ainsi dit aux Sauvages, vous vous en pouvez informer s'il vous plaist.» Mais recognoissant que tant plus je luy en parlois, & plus il se roidissoit, je le laissay là sans parler d'advantage, il se leve de table tout fasché comme il sembloit, ce qui ne dura gueres: nous ne laissasmes de passer le temps attendant un jour plu propre à luy en parler, & rechercher les moyens pour l'inciter à penser à cela, j'employay à ma supplication ledit Jacques Michel & Thomas Quer son frère, qui luy en parlèrent, il demeura obstiné, ce que sçachant ces deux pauvres filles, furent si tristes & faschées qu'ils en perdoient le boire & le manger en pleurant amèrement, ce qui me donnoit de la compassion, en me disant, «Est il possible que ce mauvais Capitaine nous vueille empescher d'aller en France avec toy, que nous tenons comme nostre père, & duquel nous avons receu tant de biens faits, jusqu'à oster ce qui estoit pour ta vie, durant les necessitez pour nous le donner, & nous entretenir jusqu'à present d'habits: nous avons un tel desplaisir en nostre coeur que nous ne le pouvons dire, n'y auroit il point moyen de nous cacher dans le vaisseau, ou si nous pouvions te 273/1257 suivre avec un canau nous le ferions, te priant de demander encore une fois à ce mauvais homme qu'il nous laisse aller avec toy, ou nous mourrons de desplaisir, plustost que de retourner avec nos Sauvages, & si tu ne peux obtenir que nous allions en France, au moins faits en sorte que nous demeurions avec la femme de Coullart, nous la servirons elle & tous ses enfans de tout nostre pouvoir en ton absence, attendant l'année à venir, & sçachant de tes nouvelles aussi tost nous prendrons un canau pour t'aller treuver à Tadoussac,» ainsi me disoient leurs petits sentiments: Je leur fis faire à chacune un habit de quelques robes de chambre & manteau que j'avois, pour ne les envoyer mal accommodées tant elles me faisoient de compassion. Je faisois ce qu'il m'estoit possible pour sauver ces deux pauvres ames, je tasche de faire encore un effort, puisqu'il n'y avoit qu'à contenter les Sauvages par present, quand mesme il iroit de beaucoup, je fais dire par Thomas Quer à son frère le Général, qu'il y avoit un moyen de rendre les Sauvages satisfaits en leur faisant un present, & leur dire que puisqu'ils avoient donné ces filles qu'ils dénotent tenir leurs paroles, voyant qu'ils ne le faisoient pas, qu'ils n'auroient sujet de se fier en eux, de ce qu'il leur pourroient dire, que neantmoins il leur faisoit un present de la valleur de Mil livres, en marchandises telles qu'ils voudroient, pour des castors qui estoient à son bord à moy appartenants, dont il m'avoit donné sa promesse payable à Londres, que je la mettrois entre les mains de son frère, & seroit le present tel qu'il 274/1258 voudroit comme venant de sa part, il me promit luy dire, comme il fit, mais le Général n'y voulut du tout entendre, ce que sçachant ce fut à moy de prendre patience. Un jour que je le vis en très bonne humeur, & croyant que je pourrois tenter la fortune de luy parler encore une fois, ce que je fis: il me donne quelque esperance sur le retour de Marsolet. Les vaisseaux revenans de Québec j'appris que ce truchement venoit, je le faits advertir de ce que je desirois faire pour contenter les Sauvages, sçachant que c'estoit le moyen, & qu'en faisant des presents l'on pouvoit emmener ces filles: au contraire ce malheureux ennemy du progrés de Dieu, faisant voir sa meschanceté à descouvert, dit que si on en parloit aux Sauvages qu'ils refuseroient ce present pour cet effect: disant audit Quer que ces filles avoient esté données de la bonne volonté, sans esperance autre que de nostre amitié, ainsi eust esté cognu pour menteur, d'avoir escrit au Général des choses à quoy ils n'avoient jamais pensé au lieu de pallier ceste affaire il luy dit[769] que c'estoit mal fait à luy d'empescher ces filles d'estre baptisées, & avoir cognoissance de Dieu, qu'il en respondroit devant la justice divine, qu'il print garde qu'il avoit encore assez de remèdes s'il vouloit persuader au Général de donner quelque present aux Sauvages comme j'offrois; que pour ce qui estoit de sa personne je le recognoistrois en tout ce qu'il me seroit possible, que quelque jour il pourroit avoir affaire de ses amis, estant en l'estat où il estoit, que s'il desiroit retourner en France, je le 275/1259 servirois en tout ce qu'il me seroit possible: tout ce qu'il me dit fut, qu'il ne pouvoit rien faire de cela, que s'il arrivoit quelque accident aux Anglois par les Sauvages, ils remettroient toute la faute sur luy, & le voyant ainsi obstiné je le laissay là. [Note 769: Je luy dis...] De là il va treuver le Général, luy remonstrant ce que je luy avois dit & offert, & ouy dire que je voulois faire des presens aux Sauvages pour empescher ces filles d'estre retenues, que d'assembler ces peuples esloignez, il n'y avoit nulle apparence, & leur offrir des presents il n'estoit point convenable, d'autant qu'ils croyroient que vous auriez peur de les irriter, & que cela leur donneroit plus d'asseurance d'entreprendre sur ses hommes, qu'il failloit qu'il empeschast que je n'emmenasse ces filles, qu'il luy avoit voué trop de services pour ne luy dire ce qu'il sçavoit pour le bien du pays, & à son advantage, qu'il print garde à ce qu'il feroit, s'en deschargeant, & que s'il arrivoit quelque disgrace pendant son absence, qu'on ne s'en prist pas à luy, & qu'il valloit mieux tenir ces peuples en paix, que d'estre en hasard de tomber en quelques mauvais accidens: Voilà ce qu'il dit avoir representé au Général, lequel se resolut de retenir ces filles, & ne me permettre les emmener. Thomas Quer me dit y avoir fait ce qu'il avoit peu, le voyant fort esloigné de ce que je pouvois esperer touchant les presens, à quoy il ne vouloit consentir, Marsolet l'en ayant desgousté, ce qu'ayant entendu je n'en parlay plus: mais je ne me peus empescher de parler à Marsolet & luy dire le desplaisir 276/1260 signalé qu'il me faisoit en cette affaire, d'avoir innové des choses toutes contraires à la vérité, & fait dire aux Sauvages ce à quoy ils n'avoient jamais pensé, qu'il pouvoit m'obliger en ceste occasion, comme je pourrois faire pour luy en d'autres, estant ainsi cause de la perte de ces filles & de leurs âmes, qu'il en respondroit un jour devant Dieu, qu'il ne permettroit point que tost ou tard il ne receut le chastiment qu'il meritoit, n'ayant eu autre dessein que de jouir de l'une de ces filles, en recherchant les moyens que je ne les emmenasse, il me dit, Monsieur vous en croirez ce qu'il vous plaira, je n'ay dit que la vérité, quand je sers un maistre je luy dois estre fidèle. Vous l'avez fort bien monstré (luy dis-je) en servant l'ennemy, pour deservir le Roy & ceux qui vous ont donné le moyen de vous élever en ces lieux depuis qu'estiez petit garçon[770] jusqu'à present qu'avez grandement décliné. [Note 770: Voyez ci-dessus, p. 266.] Ces pauvres filles voyant qu'il n'y avoit plus de remèdes, commencèrent à s'attrister & pleurer amèrement, de sorte que l'une eut la fiévre, & fut long temps qu'elle ne vouloit manger, appellant Marsolet un chien & un traistre, disant ainsi, Comme il a veu que nous n'avons pas voulu condescendre à ces volontez, il nous a donne un tel desplaisir que sans mourir jamais je n'en receus de semblable. Un soir comme le général donnoit à souper aux Capitaines des vaisseaux, Marsolet estant en la chambre, l'une des deux filles appellée Esperance y vint; qui avoit le coeur fort trisste, & 277/1261 souspiroit, ce qu'entendant je luy demanday ce qu'elle avoit, sur ce elle appelle sa compagne nommée Charité, disant, j'ay un tel desplaisir que je n'auray point de repos que se ne descharge mon coeur envers Marsolet, duquel elle s'approche, & l'ayant envisagé, luy dist, Il est impossible que je puisse estre contente que je ne parle à toy: Que veux-tu dire? luy dist-il, Ce n'est point en secret que je veux parler, tous ceux qui entendent nostre langue l'entendront assez, & t'en priseront moins à l'advenir s'ils ont de l'esprit, c'est une chose assez cogneue de tous les Sauvages que tu es un parfaict menteur, qui ne dis jamais ce que l'on te dit, mais tu inventes des mensonges en ton esprit pour te faire croire, & donne à entendre ce que l'on ne t'a pas dit, pense que tu es mal voulu des Sauvages il y a long-temps & comme malicieux tu perseveres en tes menteries, de donner à entendre à ton Capitaine des choses qui n'ont jamais esté dites par les Sauvages, mais meschant tu n'avois garde de dire le subject qui t'a meu à inventer de telles faussetez, c'estoit que je n'ay pas voulu condescendre à tes salles voluptez, me priant d'aller avec toy, que je ne manquerois d'aucune chose, tu m'ouvrirois tes coffres dans lesquels je prendrois ce qui me seroit agréable; ce que je refusay, tu me voulus faire des attouchemens deshonnestes, je rejettay tes effronteries, te disant, que si tu m'importunois davantage je m'en plaindrois: ce que voyant tu me laissas en repos, me disant que j'estois une opiniastre: asseure toy qu'on te fera bien ranger à la raison, tu ne seras pas tousjours 278/1262 comme tu es, car je sçay bien que tu retourneras à Québec; je te dis que je ne t'apprehendois en aucune façon, je desire aller en France avec Monsieur de Champlain, qui m'a nourrie & entretenue de toutes commoditez jusques à present, me monstrant à prier Dieu, & beaucoup de choses vertueuses, que je ne me voulois point perdre, que tout le païs avoit consenty, & que ma volonté estoit portée d'aller vivre & mourir en France, & y apprendre à servir Dieu; mais miserable que tu es, au lieu d'avoir compassion de deux pauvres filles, tu te monstre en leur endroit pire qu'un chien, ressouviens toy que bien que ne ne fois qu'une fille, je procureray ta mort si je puis, en tant qu'il me sera possible, t'asseurant que si à l'advenir tu m'approches je te donneray d'un cousteau dans le sein, quand je devrois mourir aussi-tost: Ah! perfide tu es cause de ma ruine, te pourray-je bien voir sans plorer, voyant celuy qui a causé mon malheur, un chien a le naturel meilleur que toy, il fuit celuy qui luy donne sa vie, mais toy tu destruis ceux qui t'ont donné la tienne, sans recognoissance de bon naturel envers tes frères que tu as vendus aux Anglois; Pense-tu que c'estoit bien faict pour de l'argent vendre ainsi ta nation? tu ne te contentes pas de cela en nous perdant aussi, & nous empeschant d'apprendre à adorer le Dieu que tu mescrois qui te fera mourir, s'il y a de la justice pour les meschans. Sur cela elle se mit à plorer ne pouvant presque plus parler, Marsolet luy disant, Tu as bien estudié cette leçon: O meschant, dit elle, tu m'as donné assez de sujet de t'en dire davantage si mon coeur te le pouvoit exprimer. Le truchement se retournant à 279/1263 l'autre petite fille appellée Charité, luy dist, Et toy ne me diras tu rien? Tout ce que je te sçaurois dire, dit-elle, ma compagne te l'a dit, & moy je te dis davantage, que si je tenois ton coeur j'en mangerois plus facilement & de meilleur courage que des viandes qui sont sur cette table. Chacun estimoit le courage & le discours de ceste fille, qui ne parloit nullement en Sauvagesse. Ce Marsolet demeura fort estonné de la vérité des discours d'une fille de douze ans, mais tout cela ne peust émouvoir ny attendrir le coeur dudit Général Quer. Le Capitaine Jacques Michel me dist en secret, qu'au voyage qu'il avoit fait à Québec[771], il avoit resolu de retenir ces filles, & pour trouver une excuse légitime dist à Marsolet qu'il luy escrivist la lettre que j'ay dit cy-dessus, mais estant en Angleterre, & luy ayant dit, il protesta que cela estoit faux, & qu'il n'y avoit jamais pensé, que je pouvois cognoistre son humeur, & qu'il n'estoit point homme à dissimuler & à chercher des inventions pour les faire demeurer, que s'il eust eu la volonté il l'eust faict librement, sans employer personne, & rien autre chose que ce que Marsolet luy en avoit dit, & [772] l'avoit fait resoudre à les faire demeurer à Québec. [Note 771: C'est-à-dire, «au voyage que le général avait fait à Québec, il avait résolu...»] [Note 772: Au lieu de cette particule (&), le manuscrit portait probablement _ne_.] Voilà la conclusion prise que ces filles demeureroient, je ne laissay de faire pour elles tout ce que je peux, & les assister de petites commoditez, leur donnant esperance de nostre retour, 280/1264 qu'elles prinssent courage, & qu'elles fussent tousjours sages filles, continuant à dire les prières que je leur avois enseignées: L'une me demanda un chapelet, disant que les Anglois avoient pris le tien, ce que je fis à l'une, & mon beau-frère en donna un à l'autre: car il ne falloit rien donner à l'une que l'autre n'en eust autant pour oster la jalousie qui estoit entre elles, priant Coulart de les mettre avec sa femme tant qu'elles y voudroient estre, jusques à ce qu'ils eussent des vaisseaux François, & qu'il taschast de les conserver, ne leur donnant aucun subject de les perdre, mais qu'il les traittast doucement, que c'estoit une grande charité pour Dieu, qui le recompenseroit: qu'elles luy serviroient en sa maison, en mille petites choses necessaires, que me faisant ce plaisir, où j'aurois moyen de le servir, je le ferois de bon coeur; Asseurez vous, Monsieur, me dist-il, que tant qu'elles auront la volonté de demeurer avec moy, j'en auray du soin comme si c'estoit mes enfans, & disant cela en leur presence, elles luy firent une reverence, & en le remerciant luy dirent, Nous ne t'abandonnerons point non plus que nostre père en l'absence de Monsieur de Champlain: ce qui nous donnera de la consolation, & nous fera patienter, c'est que nous esperons le retour des rançois, & s'il eust fallu qu'aussi-tost que nous fusmes arrivez à Québec, & eussions[773] esté vers les Sauvages nous fussions mortes de desplaisir, & neantmoins nous estions resolues ma compagne & moy d'y demeurer plustost qu'avec les Anglois. [Note 773: Nous eussions...] 281/1265 L'on me dist que le Général Quer estant à Québec, avoit tancé son frère Louys Quer, de ce qu'il avoit permis de célébrer la saincte Messe, ce qu'il fit deffendre à tous les Peres, & que les Peres Jesuites faisant embarquer leurs coffres pour aller à Tadoussac, il voulut voir ce qui estoit dedans en la presence de son frère, Louys Quer, commandant au fort & habitation, comme le reverend Pere Massé leur monstroit ce qui estoit dedans, ils adviserent quelque chose, qui estoit enveloppé: Il demanda à le voir, le Pere le developpe, c'estoit un Calice, que Louys Quer voulut prendre; Le Père luy disant, Monsieur, ce sont des choses sacrées, ne les profanez pas s'il vous plaist, il se fasche de ces paroles pour avoir sujet de le prendre, Quoy? dist-il Ce qu'il en jurant, profaner, nous n'adjoustons point de foy en vos superstitions, je n'appréhende pas qu'il me fasse mal, ce disant il le prit, disant: Je fais cela pour le discours que vous m'avez fait, & aussi pour oster le subject qui vous fait idolâtrer, comme nous sommes obligez de rabatre, entant que nous pouvons les superstitions, que si vous ne m'eussiez usé de ces termes je vous l'aurois laissé. Quoy que s'en soit, ledit Louys Quer s'estoit tousjours bien comporté jusques à cette heure, ne luy en desplaise[774]. Ceste action n'estoit bonne ny valable, c'estoit chercher un maigre sujet pour prendre ces deux Calices, pour un homme qui veut vivre en honorable réputation devant les hommes vertueux: cette 282/1266 action ne sera jamais approuvée, & void-on par beaucoup d'exemples le chastiment que Dieu a envoyé à ceux qui ont profané les vaisseaux sacrez des Temples. [Note 774: Ces derniers mots doivent se rattacher à la phrase suivante: «Ne luy en desplaise, ceste action n'estoit bonne...»] _Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes & munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort malheureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer._ CHAPITRE VI. Ledit Général Quer me demanda le certificat des armes & munitions, & autres commoditez qui estoient tant au fort qu'à l'habitation, que son frère Louis Quer m'avoit donné, auquel il avoit fait une grande reprimende, disant qu'il ne sçavoit ce qu'il avoit fait, sans sçavoir s'il y avoit paix entre la France & l'Angleterre, qu'il respondroit de tout ce qui estoit audit certificat, qu'il ne vouloit point que l'on vit aucune chose signée de sa main, ne sçachant la consequence de cela, & le desplaisir que l'on pouvoit rendre à ses amis, je luy dis Monsieur cela ne vous peut apporter tant de desplaisir que vous le dites, puisque vous avez donné tout pouvoir au Capitaine Louis de traiter avec moy, en vertu des Commissions qu'avez du Roy d'Angleterre, ayant pour agréable tout ce qu'il feroit comme vostre personne, autrement ce seroit le desobliger, en ne tenant sa parole, & vous en desadvouant le pouvoir que luy avez donné: Je ne le desadvoue point (dit-il) pour ce qui est de la 283/1267 composition qu'il vous a faite, je la maintiendray au péril de ma vie, mais pour ce qui est du certificat, cela est fait depuis ladite composition, & par consequent il ne vous pouvoit donner le certificat sans charge, ou en composant, pendant que vous estiés encore maistre du fort, & par ainsi je vous prie me le donner. Il y a assez de personnes qui sçavent l'estat de la place, & ce qui y est, estant en Angleterre l'on vous en donnera un s'il est jugé à propos, & toute autre sorte de courtoisie. Voyant qu'il se mettoit en colère, & que je ne le pouvois retenir, je luy donnay le certificat, luy disant qu'il n'estoit point de besoin de se mettre en colère pour si peu de sujet, que véritablement je le desirois avoir pour ma descharge. Vous l'estes (me dit il) assez, l'on sçait bien le miserable estat auquel vous estiez réduits, & le peu de ommoditez qui sont en armes & munitions tant au fort qu'à l'habitation. Deux ou trois tours après ledit Jacques Michel estant saisi d'un grand assoupissement, fut trente cinq heures sans parler, au bout duquel temps il mourut rendant l'âme, laquelle si on peut juger par les oeuvres & actions qu'il a faites, & qu'il fit le jour d'auparavant, & mourant en sa religion prétendue, je ne doute point qu'elle ne soit aux enfers: car le jour précèdent il avoit tellement juré & blasphemé le nom de Dieu que j'en avois horreur, faisant mille sortes d'imprécations contre les bons Pères Jesuistes, & des habitans de S. Malo: disant, Qu'il se rendroit plustost forban qu'il ne leur eust rendu quelque signalé desplaisir, deust il mourir. miserablement. Je ne me peus tenir de luy dire, Bon Dieu! comme 284/1268 pour un reformé vous jurez, sçachant si bien reprendre les autres quand ils le font. Il est vray, dit-il, mais je suis tellement outré de passion & de colère contre ces chiens de Malouins Espagnols, qui m'ont rendu de grands desplaisirs, & aussi serois-je content si j'avois frappé ce Jesuiste qui m'a donné un desmenty devant mon Général. Ce desplaisir qui luy estoit si sensible n'estoit alors pas tant pour les Malouins & le Pere Jesuiste comme pour le sujet des Anglois, desquels il se plaignoit grandement de l'avoir très-mal traitté, & peu recogneu, contre les promesses qu'ils luy avoient faites. Il se plaignoit aussi de l'arrogance insupportable de son Général, pour un marchand de vin qu'il avoit esté, estant à Bordeaux & à Coignac, & cogneu ignorant à la mer, qui ne sçait que c'est que de naviger, n'ayant jamais faict que ces deux voyages, & veut faire de l'entendu par ses discours pleins de vanité à ceux qui ne le cognoissent pas bien, il trenche du Seigneur, il ne sçait que c'est d'entretenir d'honnestes hommes, il veut que tout luy cede, & ne veut croire aucun conseil, qu'alors qu'il n'en peut plus, comme il fit dés l'année passée, en laquelle sans moy il vouloit quitter le vaisseau de Roquemont, & ne l'eust jamais pris sans l'ordre que je luy donnay, il le vouloit aborder, mais je ne voulus y consentir, luy disant. Si nous l'abordons nous sommes perdus ne vous y frotez pas, je cognois mieux les François en ces choses que vous, qui n'avez que des gens mal faits en vostre vaisseau, hors les Canoniers & Officiers: c'est pourquoy il les faut 285/1269 battre à coups de canons, dont nous avons l'advantage, les contraignant à se rendre, vous conseillant encore une fois que si jamais vous rencontriez des François sur mer de ne les aborder, ils sont plus adroits & courageux que les Anglois, qui remportent à l'abordage. Il creut mon conseil, me remettant tout l'ordre du combat, en quoy il avoit raison; car il y estoit peu expérimenté, comme il est encore, & son frère Thomas Quer, ils prennent des commandemens desquels ils n'en sçavent pas les charges, il leur faudroit estre encore vingt ans pour l'apprendre, & avoir esté élevé & nourry jeune garçon pour sçavoir bien ce qui est necessaire à un Capitaine de mer, autrement ils feront de lourdes fautes, mettant souvent la conduitte entre les mains d'un Maistre ou Pilote ignorant qui sera dans leur vaisseau. Quand il fut arrivé à Londre, il se vantoit que c'estoit luy qui avoit tout faict, plusieurs honnestes hommes qui le cognoissoient bien & moy aussi me disoient, Quer emporte la gloire de ce que vous avez faict: & de faict ils ont usé envers moy d'ingratitude; Car outre mes appointements ils me devoient donner recompense, ce qu'ils n'ont faict: m'ont refusé le commandement de l'un de leurs vaisseaux pour mon fils, je les avois instalé en ceste affaire où ils ne cognoissoient rien, & n'y fussent jamais venus sans moy, ils me traittent mécaniquement en mon vaisseau: & non, comme j'ay appris, allant à la mer, ils m'ont donné un yvrogne qui est fol pour mon Lieutenant, pour prendre garde sur mes actions: Je le veux chasser de mon vaisseau, ou luy feray un mauvais party, c'est un coquin sans courage, s'il se presente 286/1270 quelque occasion de combatre je le meneray comme il faut, ils auront encores recours à moy, je le sçay bien, ils n'en sont pas où ils pensent, tout ainsi que j'ay eu moyen de donner l'industrie d'instruire cette affaire, je sçay aussi les moyens de les en faire sortir, & leur apprendre & à d'autres, qu'ils ne doivent jamais mescontenter une personne comme moy: Il y a des Flamans assez & d'autres nations, quand un moyen me faudra, j'en trouveray d'autres, ils ont faict tout à leur plaisir, il faut patienter, il sçait bien que je ressens un grand desplaisir, mais il ne fait pas semblant de le cognoistre, il me fait bon visage, mais il voudroit que je fusse mort, je luy suis maintenant à grand'charge, j'ay laissé ma patrie, comme ils ont fait, pour servir un estranger, jamais je n'auray l'âme bien contente, je seray en horreur à tout le monde, sans esperance de retourner en la France, l'on a fait mon procez, ainsi qu'on m'a dit, mais puis que l'on me traitte de toutes parts comme cela, c'est me mettre au desespoir, & faire plus de mal que jamais je n'ay fait, ne pouvant que perdre la vie une fois, mais je la puis bien faire perdre à beaucoup si l'on me desespere, tous ces discours ne se passoient pas sans jurer. Je luy donnois courage, en luy disant, Ne vous desesperez point, il y a des remèdes par tout, horsmis à la mort, il y a des personnes qui ont fait des choses plus attroces que ce que vous avez faict, vous avez raison de vous repentir de ce qui s'est passé, & croy tant de vous, que si aviez à recommencer, que vous ne le voudriez entreprendre, ains plustost mourir. Il 287/1271 est vray, me disoit-il: Nostre Roy est bon & juste, pardonnant à plusieurs qui ont grandement offensé sa Majesté. Elle peut, luy dis-je, vous donner abolition en vous amendant & recognoissant vos fautes, en le servant fidèlement à l'advenir, vous serez en consideration tant pour vostre courage, que pour l'expérience qu'avez acquise en la mer, l'on a affaire d'hommes du mestier que vous menez, l'on ne vous voudra pas perdre quand l'on remonstrera à sa Majesté le service que vous luy pouvez rendre à la navigation: changez vostre volonté, & vous resoudez de retourner en vostre patrie, pour moy où j'auray moyen de vous y servir je le feray de bon coeur: Il me dit qu'on luy avoit escrit de France qu'il auroit la grâce, s'il s'en vouloit retourner, mais qu'il ne s'y fieroit pas qu'il ne l'eust seellée, & outre que jamais il ne voudroit se tenir à Dieppe, & qu'il iroit en autre ville de France, cela seroit très bien fait, luy dis-je. Je sçay que la maladie qu'il eust, n'estoit que ce remors de conscience qui le bourreloit, & vouloit tesmoigner aux Anglois qu'il avoit un autre desplaisir, se couvrant du mescontentement qu'il avoit des Malouins, & du Père Jesuiste, & de son fils, dont il se plaignoit grandement, mais la vérité estoit que cet homme estoit fort pensif, triste, & mélancolique, de se voir mesprisé de sa patrie, abhorré du monde, retenu pour un perfide & traistre François, qui meritoit un chastiment rigoureux (& tous ceux qui font le semblable, ne peuvent marcher la teste levée) & monstré au doit d'un chacun, mesme les Anglois entr'eux l'appelloient traistre, disant, Voyez cestuy là qui a 288/1272 vendu sa patrie, & autres qui l'ont reniée, pour un peu de mescontentement qu'ils disent avoir eu en France. Il sçavoit tres-asseurement que ces discours se tenoient, aussi est-ce un puissant ennemy, que celuy qui a la conscience chargée de si vilaines, detestables meschantes trahisons: il avoit raison d'avoir l'âme bourrelée, & mourir de desplaisir, plustost que survivre, & fut là le sujet de sa mort, & non ce que Quer & autres disoient, que c'estoit pour n'avoir donné un souflet au Père Jesuiste qui estoit la mesme sagesse & vertu[775], ayant bien tesmoigné aux voyages qu'il a fait dans les terres. [Note 775: La sagesse & vertu mesme.] Le Général Quer parlant aux Peres Jesuistes, leur dit, Messieurs vous aviez l'affaire de Canada, pour jouir de ce qu'avoit le sieur de Caen, lequel avez depossedé. Pardonnez moy Monsieur, luy dit le Pere(2), ce n'est que la pure intention de la gloire de Dieu qui nous y a mené, nous exposant à tous dangers & périls pour cet effect, & la conversion des Sauvages de ces lieux: ledit Michel pressant dit, Ouy, ouy, convertir des Sauvages, mais plustost pour convertir des castors, ledit Père respond assez promptement & sans y songer, Cela est faux, l'autre leve la main, en luy disant, Sans le respect du Général je vous donnerois un souflet, de me desmentir, le Pere luy respond, Vous m'excuserez, je n'entend point vous démentir, j'en serois bien fasché, c'est un terme de parler que nous 289/1273 avons en nos escoles, quand on propose une question douteuse, ne tenant point cela pour offencer, c'est pourquoy je vous prie me pardonner, & croire que je ne l'ay point dit pour vous donner du desplaisir. Je laisse à penser si ce sujet estoit capable de le faire mourir, sans autre plus violent desplaisir, comme j'ay dit cy dessus: aussi Dieu l'a puny ne luy faisant la grâce de fe recognoistre à l'heure de la mort, qui a couppé la broche à tous ses desseins pernicieux & meschans. Estant mort il y eut plus de resjouissance entre les Anglois que de regret, neantmoins le Général Quer qui voulut luy tesmoigner la dernière preuve de son amitié qu'il disoit luy avoir porté de son vivant, luy fit faire une châsse où il fut mis, commande à son frère Thomas Quer d'armer quelques 200 hommes, qu'il fait mettre à terre, les met en ordre quatre à quatre, les maistres des vaisseaux prennent la châsse, & la mettent dedans une chalouppe, & arrivez sur le bord du rivage, les officiers des vaisseaux prennent le corps sur leurs espaules, & sur sa châsse avoient mis une espée nue, devant le corps marchoit un homme armé de toutes piéces, avec la rondache & le coustelas, l'autre portoit une demie picque noircie, les soldats s'ouvrirent en deux, par le milieu desquels passa le corps avec tous les Capitaines & autres officiers des vaisseaux, qui l'accompagnoient marchant devant, les soldats qui le suivent comme est la coustume en telles funérailles, il fut porté à la fosse, où estant mis dedans l'on rompit la demie picque en deux, & la mit on dans la fosse, sur laquelle le 290/1274 Ministre fit des prières s'agenouillant & te levant plusieurs fois, respondant aux Ministres: leurs prières achevées, l'on couvre le corps de terre, cela fait ils se firent deux escoupetteries de mousquets, des soldats qui estoient rangez au tour de la fosse. Après l'on fut tirer le canon de tous les vaisseaux, jusqu'à quelque 80 à 90 coups: cela fait chacun s'en retourne en son vaisseau, le pavillon du contre-Admiral estoit à demy destendu, jusques à ce qu'il y en eust un autre mis en la place, qui fut un Capitaine Anglois appellé *****[776] le dueil n'en dura gueres, au contraire jamais ils ne se resjouirent tant & principalement en son vaisseau où il avoit quelques barils de vin d'Espagne: le voilà payé de tout ce qu'il avoit fait. [Note 776: Le nom est laissé en blanc dans l'édition originale.] Tout ce que j'ay veu après sa mort est, l'honneur qu'il ne meritoit pas, ne pouvant esperer, s'il eust vescu, que le chastiment d'un supplice, si sa Majesté ne luy eust donné sa grâce. Durant le jour que nous fusmes à Tadoussac[777], ledit Quer employa ses hommes à couper quantité de mas de sapins, pour batteaux & chalouppes, comme du bois de bouleau pour brusler: ce mesnage estoit tousjours pour payer quelques avaries, & en avoit plus de besoin ceste année là que l'autre, en laquelle il prit 19 vaisseaux François & Basques chargez de molue, & outre ce qu'il traita avec les Sauvages des marchandises qui estoient aux vaisseaux de la nouvelle societé, où commandoit Roquemont, 291/1275 y ayant aussi quantité de vivres & autres commoditez propres à une habitation, qu'ils r'apportèrent ceste année à Québec, & outre la quantité des marchandises de rapport, ils pensoient faire meilleure traite qu'ils ne firent: ils ne traitèrent que quelques 5000 castors & quelques 3 à 4 mille qu'ils prirent à l'habitation, & le vaisseau d'Emery de Caen[778]. Ils n'ont eu autre chose qui est peu pour pouvoir rembourcer les frais de leur embarquement, en rendant ce qu'ils ont pris appartenant à de Caen & à ses associez au fort & à l'habitation de Québec, suyvant le traité de paix entre les deux couronnes de France & d'Angleterre [779]. [Note 777: Ce passage donne à entendre que les vaisseaux restèrent tout le temps mouillés au moulin Baudé, et que l'on se donna la peine d'aller enterrer Jacques Michel à Tadoussac même.] [Note 778: D'après les livres de compte de la Compagnie des marchands anglais, ils n'auraient traité que 4540 castors et 432 peaux d'élans; ils n'auraient de même trouvé au magasin que 1713 castors. Voici comment un des associés de la compagnie anglaise concilie cette différence: «Il faut faire attention, dit-il, que les Anglais ne parlent que des castors portés au compte de la Compagnie, tandis que les Français comprennent dans leur calcul toutes les peaux qu'ils avaient lorsque le fort fut rendu, sans distinction de ce qu'ils cachèrent ou retinrent du consentement des Anglais.» (Pièces justif. n. XVII.)] [Note 779: Il fut réglé par le traité de Suse (24 avril 1,629) que «d'autant qu'il y avoit beaucoup de vaisseaux en mer avec lettres de marque & pouvoir de combattre les ennemis, qui ne pourroient de si tost entendre cette paix, ny recevoir ordre de s'abstenir de toute hostilité, il seroit accordé, que tout ce qui se passeroit l'espace de deux mois aprés cet accord fait, ne derogeroit ny empescheroit cette paix; ny la bonne volonté des deux Couronnes; à la charge toutesfois que ce qui seroit pris dans l'espace de deux mois depuis la signature dudit Traicté, seroit restitué de part & d'autre.» (Mercure français.)] Pendant ce temps que nous estions à Tadoussac, ledit Quer ne voulut permettre que les Catholiques priassent Dieu publiquement à terre, où il avoit mis tous les François, horsmis deux qui estoient Huguenots, de l'esquippage dudit Emery de Caen, qui les faisoient rire pour avoir ceste prééminence par dessus les autres, moy & quelques autres passions le temps avec ledit Général à la chasse du gibier, qui y est en ceste saison abondante, & principalement d'allouettes, 292/1276 pluviers, courlieux, becassines desquels il en fut tué plus de 20000 outre la pesche que les Sauvages faisoient du saulmon & truites qu'ils nous apportoient en assez bonne quantité, & de l'éplan que l'on prit en grand nombre avec des filets, & quelques autres poissons, le tout très-excellent, jusqu'à nostre partement. _Partement des Anglais au port de Tadoussac. Général Quer craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du Reverend Père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de l'Autheur à Paris._ CHAPITRE VII. Ledit Général ayant accommodé le fort & habitation de Québec de tout ce qu'il jugea estre necessaire, il fit donner caraine à ses vaisseaux assez légèrement, nettoyer, gadomer & suiver, ce qu'estant fait, il fit partir une petite barque de 25 à 30 tonneaux, pour s'en aller porter à Québec ce qui restoit, où s'embarquèrent mes deux petites Sauvagesses, nous levons les ancres & mettons sous voiles, ce qui n'estoit pas sans bien appréhender la rencontre du Chevalier de Rasilly, d'autant que nouvelles estoient venues par quelques Sauvages, qui asseuroient avoir veu dix vaisseaux à Gaspey, bien armez qui nous attendoient audit lieu: c'est pourquoy l'on passa fort proche d'Enticosty 14 lieues dudit Gaspey pour n'estre 293/1277 apperceus: toutesfois ledit Quer disoit qu'il ne les apprehendoit en aucune façon, & que c'estoit à faire à se bien battre & que si tant estoit que les François eussent le dessus, qu'il mettroit le feu dans leurs vaisseaux, en faisant mourir beaucoup premier qu'en venir là, & quelques autres discours. Nous fusmes contrariez de fort mauvais temps, avec des brunes jusques sur le grand Ban, qui estoit le 16 du mois d'Octobre, nous eusmes la sonde, & le 18 la cognoissance de Sorlingues: pendant la traverse moururent onze hommes de la dysenterie, de l'esquippage de Quer. Le 20 nous relaschasmes à Plemué[780], où nous eusmes nouvelle de la paix[781], ce qui fascha grandement ledit Quer. Le 25, sortismes dudit port, rangeant la coste de deux lieues. Le 27, passasmes devant Douvre, où ledit Quer fit descendre tous nos hommes avec les pères Jesuistes & Recollets, ausquels il donna passage, & à tous ceux qui voulurent aller en France: & moy j'escrivay de ce lieu à Monsieur de Lozon[782] que je m'en allois à Londres, treuver Monsieur l'Ambassadeur[783], pour luy faire le récit de tout ce qui s'estoit passé en nostre voyage, afin qu'il luy pleust faire expédier quelques lettres de sa Majesté audit sieur Ambassadeur, pour avoir ceste affaire pour recommandée, & y envoyer un homme exprés pour cet effect, chose comme très necessaire & importante pour le bien de la Societé. [Note 780: Plymouth.] [Note 781: Le traité de Suse avait été conclu le 24 avril 1629, et il venait d'être ratifié, le l6 septembre.] [Note 782: Jean de Lauson, l'un des principaux associés de la Compagnie de la Nouvelle-France, et le même qui fut plus tard gouverneur du Canada.] [Note 783: C'était alors M. de Châteauneuf.] 294/1278 En continuant nous passasmes par les Dunes, où il y avoit nombre de vaisseaux, & une remberge de six à sept cens tonneaux que l'on salua, qui rendit le réciproque de trois coups de canon. Entrant en la riviere fusmes mouiller l'ancré devant Graveline[784], où mismes pied à terre laissant les vaisseaux, ledit Quer fréta un batteau pour aller à Londres sur la riviere de la Tamise, auquel lieu arrivasmes le 29 dudit mois. [Note 784: Gravesend. Le contexte prouve évidemment que c'est ici une faute typographique. _Entrant en la rivière_, c'est-à-dire, la Tamise. Il est bon de se rappeler en outre que le général Kertk était parti précisément de Gravesend; il est donc tout naturel que ses vaisseaux soient revenus au port d'où ils avaient fait voile au printemps. (Pièces justificatives, n. V.)] Le l'en demain je fus treuver monsieur l'Ambassadeur, auquel je fis entendre tout le sujet de nostre voyage, ayant esté pris deux mois après la paix, qui estoit le 20 Juillet, faute de vivres & munitions de guerre & de secours, ayant enduré beaucoup de necessitez un an & demy, allant chercher des racines dans les bois pour vivre, bien que je n'eusse retenu que seize personnes au fort & à l'habitation, ayant envoyé la plus grand part de mes compagnons parmy les Sauvages, pour éviter aux grandes famines qui arrivent en ces extremitez. Ce qu'ayant entendu ledit sieur Ambassadeur, il se délibéra d'en parler au Roy d'Angleterre, qui luy donna toute bonne esperance de rendre la place, comme de toutes les peleteries & marchandises, lesquelles il fit arrester. Je donnay des mémoires, & le procès verbal de ce qui s'estoit passé en ce voyage, & l'original de la capitulation[785] que 295/1279 j'avois faite avec le Général Quer, & une carte[786] du pays pour faire voir aux Anglois les descouvertures & la possession qu'avions prise dudit pays de la Nouvelle France, premier que les Anglois, qui n'y avoient esté que sur nos brisées, s'estans emparez depuis dix à douze ans des lieux les plus signalez, mesme enlevé deux habitations sçavoir celle du Port Royal où estoit Poitrincourt, où ils sont habituez de present, & celle de Pemetegoit appellé autrement Norembeque: le tout saisi & enlevé contre tout droit & raison, molestant les sujets du Roy, leur imposant un tribut sur la pesche du poisson: le tout pour les travailler, & en fin leur faire quitter la pesche, en se rendant maistre de toutes les costes peu à peu. De plus afin d'obliger les sujets de sa Majesté à aller prendre des congez en Angleterre, &[787] ont imposé depuis deux ou trois ans des noms en ladite Nouvelle France, comme la Nouvelle Angleterre & Nouvelle Escosse. Ils s'en sont advisez bien tard, ils le devoient faire avec raison, & non pas changer, ce qu'ils ne pourront jamais faire, on ne leur dispute pas les Virgines, ce qu'avec raison l'on pourroit faire, ayant esté les premiers François qui les ont descouvertes il y a plus de quatre vingts ans, par commandement de nos Roys, cela se justifie par la relation des histoires tant Françoises qu'Estrangeres. Mais qui a causé qu'ils s'en sont emparez si facillement? c'est que le Roy n'en avoit fait estat jusqu'à maintenant, que les justes 296/1280 plaintes qui luy en ont esté faites, le fait resoudre à recouvrir ce que les Anglois ont anticipé, & le fera toutesfois & quantes que sa Majesté le voudra. [Note 785: Voir ci-dessus, p. 240.] [Note 786: Probablement celle qu'il publia trois ans plus tard (édit. 1632), et que nous produisons dans cette présente édition.] [Note 787: Au lieu de &, il faut lire _ils_.] Je fus prés de cinq sepmaines[788] proche de mondit sieur l'Ambassadeur, attendant tousjours nouvelles de France, & voyant le peu de diligence que l'on faisoit d'y envoyer, ou me donner advis de ce que l'on desiroit faire, je sceus de mondit sieur s'il n'avoit plus besoin de mon service, que je desirois m'en retourner en France, il me le permit, me donnant lettre pour Monseigneur le Cardinal, m'asseurant que le Roy d'Angleterre & son Conseil luy avoient promis de rendre la place au Roy, il s'y employa fort vertueusement[789], esperant faire donner un arrest au Conseil pour la reddition de l'habitation & commoditez qui y avoient esté prîtes. [Note 788: Depuis le 30 octobre jusqu'au 30 de novembre.] [Note 789: M. de Châteauneuf, ambassadeur extraordinaire auprès du roi d'Angleterre, fut remplacé par M. Fontenay-Mareuil, nommé ambassadeur ordinaire, qui arriva à Londres vers le commencement de février 1630. Celui-ci reçut ordre du cardinal de Richelieu de poursuivre activement les négociations entamées par son prédécesseur. Dès le commencement de février, l'ambassade avait déjà présenté cinq mémoires au sujet des affaires du Canada, comme on le voit par l'extrait suivant d'un document conservé au bureau des Papiers d'État en Angleterre (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, n. 50): «_Response de Messieurs les Commissaires establis pour les affaires estrangeres, sur cinq mémoires à eux presentés par M. l'Ambassadeur de France le premier de Febvrier 1629_» (11 février 1630, style neuf). «Touchant la restitution des places navires & biens qui ont esté pris sur les François en Canada & particulièrement du fort de Québec, S. M. persiste en sa première resolution signifiée audit sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut delivré en Latin portant que ledit fort & habitation de Québec qui fut prist par le Capitaine Kirke le 9 (19.) de Juillet, sera restitué en mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abattre des fortifications ou bâtiments, ny en emporter des armes munitions marchandises ou utensiles qui y furent lors trouvées. Et que si aucune chose en avoit esté emportée, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises & emportées dud. port pour butin & chose de bonne prise, seront restituées selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris là, sur serment qu'elles auront esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que S. M. offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la première déclaration qu'elle en a faite & n'estime pas pouvoir estre pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier Traite.» (Voir de plus. Mémoires du Card. de Richelieu et le Mercure français, t. XV et XVI.)] 297/1281 Je partis de Londres le 30[790] pour aller à Larie[791] treuver passage, comme plus proche de Dieppe, d'où il y a 21 lieues: sur le chemin je rencontray ledit sieur de Caen, qui s'en alloit pour le recouvrement de ses peleteries, auquel succinctement luy fis entendre ce qui s'estoit passé, & en quel estat estoient les affaires: arrivant à Larie je fus quelques jours[792] à attendre le vent pour passer, qui estant devenu bon, je m'embarquay le lendemain & arrivay à Dieppe. [Note 790: Le 30 de novembre.] [Note 791: Ou La Rye, aujourd'hui Rye, dans le comté de Sussex.] [Note 792: C'est-à-dire, une dizaine de jours, s'il faut en juger par la date du rapport du capitaine Daniel, cité plus loin; à moins que ce rapport n'ait été signé qu'après l'entrevue de celui-ci avec l'auteur.] Le jour en suivant arriva le Capitaine Daniel avec son vaisseau, qui avoit pris une habitation des Anglois, qui s'estoit habitée ceste mesme année à l'isle du Cap Breton par un Escossois appellé Stuart, qui se disoit parent du Roy d'Angleterre. Ledit Daniel me donna quelques lettres tant de Monsieur de Lozon Surintendant des affaires de la Nouvelle France, que de Messieurs les Directeurs, avec une Commission qu'ils m'envoyoient, comme estans pressez du partement de l'embarquement, & ne pouvant si tost avoir celle de sa Majesté, & de Monseigneur le Cardinal pour m'envoyer, à cause de l'absence de sa Majesté, laquelle Commission portoit ce qui s'ensuit. «_Les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France, Au sieur de Champlain l'un des associez en ladite Compagnie, Salut. L'expérience que vous vous estes acquise en 298/1282 la cognoissance du pays, & des Peuples de la Nouvelle France, pendant le sejour que vous y avez fait, joint la cognoissance particulière que nous avons de vos sens, suffisance, generosité, prudence, zele à la gloire de Dieu, affection & fidelité au service du Roy, nous ayant portez à vous nommer & presenter à sa Majesté, conformément au pouvoir qu'il luy a pleu nous en donner, pour en l'absence de Monseigneur le Cardinal de Richelieu Grand-Maistre Chef & Surintendant général des Mers & Commerce de France: commander en toute l'estendue dudit pays, régir & gouverner tant les Naturels des lieux que les François qui y resident de présent, & s'y habitueront cy aprés: Nous ne pouvons douter que ladite nomination ne soit agrée, neantmoins ayant advis que les vaisseaux que nous vous envoyons, sous les charges & conduictes des sieurs Daniel & Joubert sont prests à faire voile, & craignant que les lettres de provision de sa Majesté ne peuvent estre arrivées à temps pour vous estre envoyées par lesdites flottes, estant d'ailleurs necessaire & très important de n'en point différer le partement. A ces causes Nous par forme de provision seulement, & attendant l'urgente & pressante necessité de la chose, jugeant ne pouvoir faire meilleure eslection que de vostre personne, vous avons commis & député, commettons & deputons par ces presentes, pour jusqu'à ce qu'autrement sous le nom de la Compagnie y ayt esté pourveu, commander pour le service de sa Majesté, en l'absence de Monseigneur le Cardinal, audit pays de la Nouvelle France, Fort & Habitation de Québec, & autres places & forts qui sont & seront cy après construits, ausquels vous establirez tels Capitaines que bon 299/1283 vous semblera: régir & gouverner lesdits peuples ainsi que vous jugerez estre à faire & generalement faire en icelle charge tout ce que vous estimerez & trouverrez à la plus grande gloire de Dieu & de cet Estat, & utilité de ladite Compagnie. En foy de quoy avons signé ces presentes: A Paris le 21e jour de Mars 1629. & plus bas signé,_ De Lozon, Robineau, Alix, Barthélémy Quantin, Bonneau, Quantin, Houel, Haquenier, Castillon.» Ledit Daniel me fit le récit comme il s'estoit saisi du Fort du Milor Anglois, ainsi qu'il s'ensuit. _RELATION DU VOYAGE FAIT_ _Par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la presente année 1629._ Le 22e jour d'Avril 1629, je suis party de Dieppe, sous le congé de Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & Surintendant Général de la Navigation & Commerce de France, conduisant les navires nommez le Grand S. André & la Marguerite, pour (suivant le commandement de Messieurs les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France) aller trouver Monsieur le Commandeur de Rasilly en Brouage ou la Rochelle, & delà aller sous son escorte secourir & avictuailler le sieur de Champlain, & les François qui estoient au fort & à l'habitation de Québec en la Nouvelle France: & estant arrivé le 17 de May à Ché de Boys, le lendemain l'on 300/1284 publia la paix faite avec le Roy de la Grande Bretagne, & après avoir sejourné audit lieu l'espace de 39 tours, en attendant ledit sieur de Rasilly, & voyant qu'il ne s'advançoit de partir, & que la saison se passoit pour faire ledit voyage: Sur l'advis de mesdits sieurs les Directeurs, & sans plus attendre ledit sieur de Rasilly, je partis de la radde dudit Ché de Boys le 26e jour de juin, avec quatre vaisseaux & une barque appartenans à ladite Compagnie, & continuant mon voyage jusques sur le Grand Ban, surpris que j'y fus de brunes & mauvais temps, je perdis la compagnie de mes autres vaisseaux, & fus contraint de poursuivre ma route seul, jusqu'à ce qu'estant environ à deux lieues proche de terre, j'apperceus un navire portant au grand Mas un pavillon Anglois, lequel ne me voyant aucun canon m'approcha à la portée du pistolet, pensant que je fus totalement desgarny, à lors je commencé à faire ouvrir les sabors, & mettre seize pièce de canon en batterie, de quoy s'estant ledit Anglois apperceu il s'efforça de s'esvader, & moy de le poursuivre jusques à ce que l'ayant approché je luy fis commandement de mettre son pavillon bas, comme estant sur les costes appartenantes au Roy de France, & de me monstrer sa commission, pour sçavoir s'il n'estoit point quelque forban, ce que m'ayant refusé je fis tirer quelques coups de canon & l'aborday, ce fait ayant recogneu que sa commission estoit d'aller vers le Cap de Mallebarre trouver quelques siens compatriotes, & qu'il y portoit des vaches autres choses, je l'asseuray que la paix estoit faite entre les deux couronnes, & qu'à ce suject il ne devoit rien craindre, & ainsi le laissay 301/1285 aller: & estant le 28e jour d'Aoust entré dans la riviere nommée par les Sauvages Grand Cibou, j'envoyay le jour d'après dans mon batteau dix de mes hommes le long de la coste, pour trouver quelques Sauvages & apprendre d'eux en quel estat estoit l'habitation de Québec, & arrivant mesdits hommes au Port aux Balaines; y trouverent un navire de Bordeaux, le maistre duquel se nommoit Chambreau, qui leur dit que le sieur Jacques Stuart Millor Escossois estoit arrivé audit lieu environ deux mois auparavant, avec deux grands navires & une patache Angloise, & qu'ayant trouvé audit lieu Michel Dihourse de S. Jean de Luz, qui faisoit sa pescherie & secherie de molue, s'estoit ledit Milor Escossois saisi du navire & molue dudit Dihourse, & avoit permis que ses hommes fussent pillez & que ledit Milor avoit peu après envoyé les deux plus grands de ses vaisseaux, avec le navire dudit Michel Dihourse, & partie de ses hommes vers le port Royal pour y faire habitation, comme aussi ledit Milor depuis son arrivée avoit fait construire un fort audit port aux Balaines, & luy avoit enlevé de force les trois pièces de canon qu'il avoit dans son navire, pour les mettre dans ledit fort, mesme donne un escrit signé de sa main, par lequel il protestoit ne luy permettre ny à aucun autre François, de pescher d'oresnavant en ladite coste, ny traitter avec les Sauvages, qu'il ne luy fut payé le dixiesme de tout, & que sa commission du Roy de la Grande Bretagne, luy permettoit de confisquer tous les vaisseaux qui iroient ausdits lieux sans son congé: Lesquelles choses m'estant rapportées, jugeant estre 302/1286 de mon devoir d'empescher que ledit Milor ne continua l'usurpation du païs, appartenant au Roy mon maistre, & n'exigea sur ses sujets le tribut qu'il se promettoit. Je fis préparer en armes 53 de mes hommes, & me pourveus d'eschelles & autres choses necessaires pour assiéger & escalader ledit fort, si qu'estant arrivé le 18 Septembre audit port aux Balaines, où estoit construict ledit fort, je mis pied à terre, & fis advancer sur les deux heures après midy mes hommes vers ledit fort, selon l'ordre que je leur avois donné, & iceluy, attaquer par divers endroits, avec forces grenades, pots à feu & autres artifices, nonobstant la resistance & les mousquetades des ennemis, lesquels se voyant pressez prindrent l'espouvente & se presenterent aussi tost sur leur rampart, avec un drappeau blanc en la main, demandant la vie & le quartier à mon Lieutenant, ce pendant que je faisois les approches vers les portes dudit fort, que je fis promptement enfoncer, & aussi tost suivy de mes hommes j'entray dans ledit fort, & me saisis dudit Milor, que je treuvay armé d'un pistolet & d'une espée qu'il tenoit en ses mains, & de tous ses hommes, lesquels au nombre de quinze estoient armez de cuirasses, brassarts, cuisarts & bourguignottes, ayans chacun une harquebuse à fusil en main, & le reste armez de mousquets & picques seulement: Et ayant iceux faict desarmez je fis oster les estendarts du Roy d'Angleterre, & fis mettre au lieu d'iceux ceux du Roy mon Maistre. Puis visitant ce qui estoit audit fort y trouvé un François natif de Brest nommé René Cochoan, détenu prisonnier 303/1287 jusques à ce que son Capitaine (arrivé deux jours auparavant en un port distant de deux lieues de celuy aux Balaines) eust apporté une pièce de canon qu'il avoit en son navire, & payé le dixiesme de ce qu'il pescheroit, & le jour suivant je fis équiper une carvelle Espagnolle que je trouvay eschouée devant ledit fort, & charger les vivres & munitions qui estoient en iceluy, & après l'avoir fait raser & desmolir, & le tout faict porter à ladite riviere du grand Cybou, je fis avec toute diligence travailler en ce lieu cinquante de mes hommes, & vingt des Anglois à la construction d'un retranchement ou fort sur l'entrée de ladite riviere pour empescher les ennemis d'y entrer, dans lequel je laissay quarante hommes, compris le R. P. Vimond & Vieupont Jesuites, huict pièces de canon, dix-huict cens de pouldre, six cens de mèche, quarante mousquets, dix-huict picques, artifices, balles à canon & mousquets, vivres & autres choses necessaires, avec tout ce qui avoit esté trouvé dans ladite habitation & fort desdits Anglois, & ayant fait dresser les armes du Roy & de Monseigneur le Cardinal, faict faire une Maison, Chappelle & magasin, pris serment de fidélité du sieur Claude natif de Beauvais, laissé pour commander ledit fort & habitation pour le service du Roy, & pareillement du reste des hommes demeurez audit lieu: Suis party le 5e jour de Novembre, & ay amené lesdits Anglois, femmes & enfans, desquels en ay mis 42, à terre prés Palmue, port d'Angleterre, avec leurs hardes, & dix-huict ou vingt que j'ay amenez en France avec ledit Milor, attendant le 304/1288 commandement de mondit Seigneur le Cardinal Ce que je certifie estre vray, & ay signé la presente Relation. A Paris ce douziesme Décembre 1629.[793] [Note 793: Pour plus de détails sur cette expédition, voir: _Prise d'un seigneur escossois & de ses gens qui pilloient les navires pescheurs de France, par M. Daniel de Dieppe, Capitaine pour le Roy en la Marine, & Général de la Nouvelle France_, dédié à M. le Président de Lauzon, intendant de la Cie. dudit pays, par le sieur de Malapart, soldat dudit sieur Daniel, Rouen, 1630; _The barbarous cariage of the French in Cape Britaine, lord Ewchiltree's Information_ (State Paper Office, Colonial Papers, vol. V, n. 46, 48).] Ayant sejourné deux jours à Dieppe je m'acheminay à Rouen, où je m'arrestay deux autres jours, & appris comme le vaisseau des Reverends Peres l'Allemand & Noyrot s'estoient perdus vers les Isles de Canseau, & me fit-on voir une lettre dudit Reverend Père l'Allemand, Supérieur de la Mission des Pères Jesuites, en la nouvelle France, envoyée de Bordeaux au R. P. Supérieur du Collège des Jesuites à Paris, & dattée du 22 Novembre 1629. comme il s'ensuit. MON REVEREND PERE, Pax Christi. «_Castigans castigavit me Dominus & morti non tradidit me,_ Chastiment qui m'a esté d'autant plus sensible que le naufrage a esté accompagné de la mort du R. P. Noyrot & de nostre frère Louys, deux hommes qui devoient, ce me semble grandement servir à nostre Séminaire. Or neantmoins puis que Dieu a disposé de la sorte, il nous faut chercher nos contentemens dans ses sainctes volontez, hors desquelles il n'y eut jamais esprit solide ny 305/1289 content, & se m'asseure que l'expérience aura fait voir à vostre reverence que l'amertume de nos ressentiments détrempée dans la douceur du bon plaisir de Dieu, auquel une ame s'attache inseparablement, perd ou le tout, ou la meilleure partie de son fiel. Si que s'il reste encore quelques souspirs pour les souffrances, ou passées ou presentes, ce n'est que pour aspirer davantage vers le Ciel, & perfectionner avec mérite ceste conformité dans laquelle l'ame a pris resolution de passer le reste de ses jours; De quatre des nostres que nous estions dans la barque, Dieu partageant à l'esgal, en a pris deux, a laissé les deux autres. Ces deux bons Religieux très-bien disposez & resignez à la mort, serviront de victime pour appaiser la colère de Dieu justement jettée[794] contre nous pour nos deffauts, & pour nous rendre desormais sa bonté favorable au succeds du dessein entrepris. [Note 794: Irritée.] Ce qui nous perdit fut un grand coup de vent de Suest, qui s'esleva lors que nous estions à la rive des terres, vent si impétueux que quelque soin & diligence que peust apporter nostre Pilote avec ses Matelots, Quelques voeux & prières que nous peussions faire pour destourner ce coup, jamais nous ne peusmes faire en sorte que nous n'allassions heurter contre les rochers: ce fut le 26e jour d'après nostre départ, jour de sainct Barthelemy[795], environ sur les neuf heures du soir; De 24 que nous estions dans la barque, dix seulement eschapperent, les autres furent estouffez dans les eaux. Les deux nepveux du 306/1290 Père Noyrot tindrent compagnie à leur oncle, leurs corps ont esté enterrez, entre autres celuy du P. Noyrot & de nostre frère, des sept autres nous n'en avons eu aucune nouvelles, quelque recherche que nous en ayons peu faire. De vous dire comment le Père de Vieuxpont & moy avons eschappé du naufrage, il me seroit bien difficille, & croy que Dieu seul en a cognoissance, qui suivans les desseins de sa divine providence nous a preservez, car pour mon regard ne jugeant pas dans les apparences humaines qu'il me fust possible d'éviter ce danger, j'avois pris resolution de me tenir dans la chambre du navire avec nostre frère Louys, nous disposans tous deux à recevoir le coup de la mort, qui ne pouvoit tarder plus de trois _Merere_, & lors que j'entendis qu'on m'appelloit sur le haut du navire, je croyois que c'estoit quelqu'un qui avoit affaire de mon secours, je montay en haut, & trouvay que c'estoit le P. Noyrot qui me demandoit de rechef l'absolution: Après luy avoir donnée, & chanté tous ensemble le _Salve Regina_, je fus contrainct de demeurer en haut; car de descendre il n'y avoit plus de moyen, la mer estoit si haute, & le vent si furieux, qu'en moins de rien le costé qui panchoit sur le rocher fut mis en pièces, j'estois proche du P. Noirot lors qu'un coup de mer vint si impetueusement donner contre le costé sur lequel nous estions qui rompit tout, & me separa du P. Noyrot, de la bouche duquel j'entendis ces dernières paroles, _In manus ci tuas Domine, etc_. Pour moy de ce coup je me trouvay engagé entre 307/1291 quatre pièces de bois, deux desquelles me donnerent si rudement contre la poictrine, & les deux autres me briserent si fort le dos que je croyois mourir auparavant que d'estre enveloppé des flots, mais voicy un autre coup de mer qui me desengageant de ces bois m'enleva, & mon bonnet & mes pantoufles, & mist le reste du navire tout à plat dans la mer: le tombay heureusement sur une planche que je n'abandonnay point, de rencontre elle estoit liée avec le reste du costé de ce navire. Nous voilà doncques à la mercy des flots, qui ne nous espargnoient point: ains s'eslevans je ne sçay combien de couldées au dessus de nous, tomboient par après sur nos testes. Après avoir flotté longtemps de la sorte dans l'obscurité de la nuict, qui estoit desja commencée, regardant à l'entour de moy je m'apperceus que nous estions enfermez d'espines & sur tout environnez & prest du costau qui sembloit une isle, puis regardant un peu plus attentivement je contay six personnes qui n'estoient pas fort esloignées de moy, deux desquels m'appercevans, m'excitèrent à faire tous mes efforts pour m'approcher, ce ne fut pas sans peine, car les coups que j'avois receus dans le débris du vaisseau m'avoient fort affoiblis: le fis tant neantmoins, qu'avec mes planches j'arrivay au lieu où ils estoient, & avec leur secours je me trouvay assis sur le grand mast, qui tenoit encore ferme avec une partie du vaisseau, je n'y fus pas long-temps car comme nous approchions plus prés de ceste isle, nos Matelots se lancèrent bien-tost à terre, & avec leur 308/1292 assistance tous ceux qui estoient sur le costé du navire y furent bien tost après. Nous voilà donc sept de compagnie, je n'avois bonnet ny souliers, ma soutane & habits estoient tous deschirez, & si moulus de coups que je ne pouvois me soustenir, & de faict il fallut qu'on me soustint pour aller jusques dans le bois, aussi avois-je receu deux rudes coups aux deux jambes, mais sur tout à la dextre, dont je me retiens encore, les mains fendues avec quelque contusion, la hanche escorchée, la poitrine sur tout bort offencée, nous nous retirasmes donc tous sept dans le bois, mouillez comme ceux qui venoient d'estre trempez dans la mer: la première chose que nous fismes fut de remercier Dieu de ce qu'il nous avoit preservez, & puis le prier pour ceux qui pourroient estre morts. Cela faict pour nous eschauffer nous nous couchasmes les uns proches des autres, la terre & l'herbe qui avoient esté mouillez de la pluye du jour n'estoient encore propre pour nous seicher, nous passasmes ainsi le reste de la nuict, pendant laquelle le P. de Vieuxpont (qui grâces à Dieu n'estoit point offencé) dormit fort bien. Le l'endemain si tost qu'il fut jour nous allasmes recognoistre le lieu où nous estions, & trouvasmes que c'estoit une isle de laquelle nous pouvions passer à la terre ferme, sur le rivage nous trouvasmes forces choses que la mer y avoit jetté, j'y trouvay deux pantoufles, un bonnet, un chappeau, une soutanne, & plusieurs autres choses necessaires. Sur tout Dieu nous y envoya pour vivres cinq bariques de vin, quelques dix 309/1293 pièces de lard, de l'huile, du pain des fromages, & une harquebuse, & de la pouldre tout à propos pour faire du feu. Après qu'on eut ainsi tout retiré, le jour de sainct Louys[796] tous s'employerent à faire le possible pour bastir une chalouppe du desbris du vaisseau, avec laquelle nous irions rangeant la coste chercher quelque navire de pescheurs: On se mit doncques à travailler avec meschans ferremens que l'on trouva, elle estoit bien advancée, le quatriesme jour, lors que nous eusmes cognoissance d'une chalouppe qui estoit sous voile venant vers le lieu où nous estions, ils receurent dedans un de nos matelots qui alla tout seul plus proche du lieu où elle devoit passer, ils le menèrent dans leur vaisseau parler au Maistre, auquel il raconta nostre disgrace, le maistre tout aussi-tost s'embarqua dans une chalouppe & nous vint trouver, nous offrit à tous le passage: Nous voila en asseurance, car le lendemain tous les hommes couchèrent dans son vaisseau: C'estoit un vaisseau Basque qui faisoit pesche à une lieue & demie du rocher, où nous fismes naufrage, & pour autant qu'il restoit encores bien du temps pour achever leur pesche, nous demeurasmes avec eux ce qui restoit du mois d'Aoust, & tout le mois de Septembre. Le premier d'Octobre arriva un Sauvage qui dist au Maistre que s'il ne s'en alloit il y auroit danger que les Anglois ne le surprissent. Cette nouvelle le disposa au départ: Le mesme Sauvage nous dist que le Capitaine Daniel estoit à vingt-cinq lieues de là qui bastissoit une maison, & y 310/1294 laissoit des François avec un de nos Peres: Cela me donna occasion de dire au P. de Vieuxpont qui me pressoit fort que je luy accordasse de demeurer avec ce Sauvage dans ceste coste, qui estoit bien l'un des meilleurs Sauvages qui se puisse rencontrer, Mon Père voicy le moyen de contenter vostre reverence, le Père Vimond sera bien aise d'avoir un compagnon. Ce Sauvage s'offre de mener vostre Reverence jusques au lieu où est Monsieur Daniel, si elle veut demeurer là elle y demeurera, si elle veut aller quelques mois avec les Sauvages, pour apprendre la langue elle le pourra faire, & ainsi le R. Père Vimond & vostre Reverence auront leur contentement: le bon Pere fut extresmement joyeux de ceste occasion qui se presentoit, ainsi il s'embarque dans la chalouppe du Sauvage, je luy laissay tout ce que nous avions sauvé, horsmis le grand Tableau duquel le matelot Basque s'estoit saisi, mais j'avois bien pensé au retour de luy faire rendre, si une autre disgrace ne nous fut arrivée. Nous partismes donc de la coste le 6 Octobre, & après avoir enduré de si furieuses tempestes que nous n'avions encores expérimentées, le quarantiesme jour de nostre départ entrant dans un port proche de S. Sebastien, nous fismes de rechef un second naufrage, le Navire rompu en mille pièces, toute la molue perdue, ce que je peux faire ce fut de me sauver dans une chalouppe, dans laquelle je me jettay avec des pantoufles aux pieds, & un bonnet de nuict en teste, & en ceste esquippage m'en aller trouver nos Pères à S. Sebastien, d'où je 311/1295 partis il y a huict jours, & suis arrivé à Bourdevac proche de Bordeaux le 20 de ce mois[797]. Voila le succeds de nostre voyage, par lequel vostre Reverence peut juger des obligations que j'ay à DIEU.» [Note 795: Le 24 août.] [Note 796: Le 25 août.] [Note 797: Le 20 de novembre.] De Rouen je m'acheminay à Paris, où je fus saluer sa Majesté, Monseigneur le Cardinal, & Messieurs les Associez, auquel je fis entendre tout le sujet de mon voyage, & ce qu'ils avoient à faire, tant en Angleterre qu'aux autres choses qui convenoit pour le bien & utilité de ladite nouvelle France, l'on despescha quelque temps après mon arrivée à Paris, le sieur Daniel[798] le medecin pour aller à Londres treuver mondit sieur l'Ambassadeur, avec lettres de sa Majesté pour demander au Roy d'Angleterre qu'il eust à faire rendre le Fort & Habitation de Québec, & autres ports & havres qu'il avoit pris aux costes d'Acadie, après la paix faicte entre les deux Couronnes de France & d'Angleterre: Ce que mondit sieur l'Ambassadeur demande au Roy & à son Conseil, qui ordonna que le Fort & Habitation seroient remis entre les mains de sa Majesté, ou ceux qui auroient pouvoir d'elle, sans parler des costes d'Acadie. [Note 798: Probablement André Daniel. Le P. Ducreux le mentionne comme l'un des Cent-Associés, et lui donne le titre de _Doctor Medicus_.] Mondit sieur Ambassadeur renvoya Daniel porter la responce, sçavoir si sa Majesté l'auroit pour agréable. Ce qu'attendant lesdits sieurs Directeurs ne laisserent de supplier sa Majesté & Monseigneur le Cardinal leur vouloir octroyer six de ses 312/1296 vaisseaux avec quatre pataches qu'ils fourniroient pour aller au grand fleuve S. Laurens reprendre possession du Fort & Habitation de Québec, suivant l'accord qui en seroit faict entre leurs Majestés, que si cas advenant que l'on ne voulust remettre la place entre les mains de ceux qui auroient pouvoir de sa Majesté, ils seroient contraints par toutes les voyes justes & raisonnables. Ladite Société fournissant seize mille livres pour l'interests de six vingts mille livres, qu'il failloit à mettre les vaisseaux hors. Monsieur le Chevalier de Rasilly fut esleu pour général de ceste flotte, on les esquippe & appareille de tout ce qui estoit necessaire, ce pendant sa Majesté qui avoit à faire aux guerres d'Italie, ne peust rendre response au Roy d'Angleterre, & mondit sieur l'Ambassadeur qui attendoit la despeche de sa Majesté. L'Anglois prend alarme de l'armement de ses vaisseaux, ils en font plainte à mondit sieur l'Ambassadeur, qui leur dit, qu'ils ne devoient appréhender sur ce sujet, d'autant que sa Majesté n'avoit desir que de traitter à l'amiable, puisqu'ils avoient ainsi commencé, que les vaisseaux que l'on armoit n'estoient que pour faire escorte à ceux de la societé, qui avoient interest de reprendre possession de ce qui leur appartenoit, portant ce qui leur estoit necessaire pour les hommes qui devoient demeurer en ces lieux. Puisqu'ils entroient en ombrage, il feroit qu'à son retour sa Majesté leur donneroit contentement, en ostant le soubçon qu'ils pourroient avoir, en traitant de ceste affaire à l'amiable: sur ce de rechef le Roy de la grande Bretagne promet faire restituer ce que ses sujets avoient pris depuis la paix faite. 313/1297 Mondit sieur l'Ambassadeur s'en revient trouver sa Majesté, & mondit Seigneur le Cardinal en Savoye, ausquels il fait entendre tout ce que dessus, ce que ouy l'on contremande le commandement qui avoit esté donné pour les vaisseaux qui devoient aller audit Québec, le voyage rompu, les affaires demeurent en cet estat, pour le divertissement que sa Majesté avoit en Italie, & ne fit on response attendant la fin de ces guerres, ce pendant les Anglois qui ne perdent temps arment deux vaisseaux, avec vivres & marchandises pour porter audit Québec, qui ne croyoient icelle année rendre la place: l'on ne traita rien de ces affaires pour les causes susdites. D'autre part les sieurs Directeurs font esquipper deux vaisseaux pour le Cap Breton, & secourir ceux qui y estoient habituez, & deux autres qui furent accommodez à Bordeaux, pour aller faire une habitation en l'Acadie, où estoit le fils de la Tour, qui avoit succedé en la place du feu sieur Jean Biencour. Nous laisserons voguer ces vaisseaux tant d'un costé que d'autre, pour voir ce qui en réussira à leur retour, & quelles nouvelles nous apprendrons du progrez qui y aura esté fait, & comme les hyvernans tant du Cap Breton, que Anglois auront passé le temps à Québec. Le sieur Tufet fait faire l'esquippage de ceux de Bordeaux l'an 1630. chargez de commoditez necessaires, pour aller faire une habitation à la coste d'Acadie, où il met des ouvriers & artisans avec trois Religieux de l'ordre des Peres Recollets, le tout sous la conduitte du Capitaine Marot de sainct Jean de Lus, se mettent 314/1298 en mer pour avec la grâce de Dieu parfaire leur voyage, ayant esté contrariez de mauvais temps à leur traverse prés de trois mois, ils arrivent à un lieu qui s'appelle le Cap de Sable, sous la hauteur de 44 degrez où ils treuverent le fils de la Tour[799] & quelques autres volontaires François qui estoient avec luy, auquel ledit Marot donna des lettres dudit sieur Tufet, par lesquelles l'on mandoit audit de la Tour, de se maintenir tousjours dans le service du Roy, & de n'adhérer ny condescendre aux volontez de l'Anglois, comme plusieurs meschans François avoient fait, lesquels se ruynoient d'honneur & de réputation d'avoir deservy sa Majesté, ce qui ne se pouvoit esperer de luy, s'estant tousjours maintenu jusqu'à present, & que pour cet effect il luy envoyoit des vivres, rafreschissement, armes, & hommes pour l'assister, & faire édifier une habitation au lieu qu'il jugeroit le plus commode, & plusieurs autres discours tendant à ce sujet. La Tour tres-aise de voir naistre ce que à peine il pouvoit esperer, qui neantmoins ne s'estoit laissé emporter aux persuasions de son père [800] qui estoit avec les Anglois, souhaitant plustost 315/1299 la mort que de condescendre à une telle meschanceté que de trahir son Roy, qui donna du mécontentement aux Anglois, contre le père de la Tour qui leur avoit asseuré de réunir son fils à leur rendre toute sorte de service. [Note 799: Charles-Amador, fils de Claude-Turgis de Saint-Étienne de la Tour. Il fut d'abord enseigne, puis lieutenant de M. de Biencourt, qui, en mourant, lui légua ses droits sur Port-Royal, et le nomma son successeur dans le commandement. M. de Biencourt, autant qu'on peut en juger, était mort vers le commencement de l'année 1624. (_Conf_. Lettre de La Tour au roi, 1627, et page 83 ci-dessus.)] [Note 800: Claude de La Tour, père, avait été pris l'année précédente, par la flotte de Kertk (ci-dessus, p. 17;). Il revenait de France pour rejoindre son fils dans l'Acadie. Emmené en Angleterre comme prisonnier, il laissa ébranler sa fidélité envers son souverain, et il épousa une dame anglaise de haute condition. Cette alliance lui imposa une espèce d'obligation d'engager son fils à remettre son fort en l'obéissance du roi d'Angleterre; ce qui lui réussit fort mal: car le jeune de La Tour résista courageusement à toutes les suggestions et même les attaques de son père. (Denys, t. I, p. 68 et suivantes.)] Ayant leu ces lettres, & la réception faicte avec le contentement qu'un chacun pouvoit desirer & principalement les Pères Recollets de se voir au lieu qu'ils avoient souhaitté, tant pour remettre les François au droit chemin de la crainte de Dieu, qui avoient esté plusieurs années sans avoir esté confessez, ny receu le S. Sacrement, que pour l'esperance qu'ils se promettoient de faire quelque progrez envers la conversion de ces pauvres infidèles, qui sont errans le long des costes, menant une vie miserable, telle que je l'ay representée cy dessus. Lesdits de la Tour & Marot adviserent qu'il falloit donner advis à la Tour le père, qui estoit au port Royal avec lesdits Anglois, de tout ce qui se passoit en ce lieu, le persuadant à le faire revenir & laisser lesdits Anglois, ce qui fut exécuté, tant pour le remettre en son devoir, comme pour sçavoir de luy l'estat des Anglois & leur dessein, pour en suitte se gouverner selon qu'ils adviseroient suyvant sa relation. Ils envoyerent un nommé Lestan[801] avec lettre dudit la Tour à son père, qui l'ayant receue & leue aussi tost se mit en devoir de venir trouver son fils, ne pouvant ny esperant faire grande 316/1300 fortune avec les Anglois, qui avoient grandement diminué de l'opinion qu'ils en avoient eue[802]: Arrivé qu'il fut audit Cap de Sable, il donne à entendre ce que l'Anglois avoit dessein de faire, qui estoit de venir prendre leur fort, c'est pourquoy ils avoient à se fortifier le mieux qu'il leur seroit possible, pour empescher l'Anglois de son dessein: sçavoir s'il disoit vray & pour se rendre necessaire, je tiens qu'il n'y avoit pas beaucoup d'apparence que l'Anglois eust voulu remuer la Paix, estant & sçachant les plaintes que l'on en avoit faites au Roy de la grande Bretagne, qui offroit de rendre & restituer tout ce qui avoit esté pris depuis la paix faicte: quoy que ce soit, il ne faut pas négliger de se loger fortement, aussi bien en temps de paix, que de guerre, pour se maintenir aux accidents qui peuvent arriver, c'est ce que je conseille à tous entrepreneurs de rechercher lieu pour dormir en seureté. [Note 801: C'est peut-être ce «nommé Lestan» qui a laissé son nom au Havre à l'Estant près de l'entrée de la baie de Passamaquoddie.] [Note 802: D'après Denys, qui tenait ses renseignements de La Tour lui-même, le retour du père ne se fit pas tout à fait comme le dit l'auteur. Claude de La Tour, n'ayant pu réussir ni à gagner son fils par des promesses, ni à le contraindre par la force, se trouva fort embarrassé, ne pouvant plus reparaître en Angleterre et encore moins retourner en France. Il prit le parti d'écrire à son fils, & le pria de souffrir que sa femme & luy demeurassent dans le pays... Son fils luy fit réponse, qu'il ne vouloit point estre la cause de sa mort, mais qu'il ne luy pouvoit accorder sa demande qu'à condition qu'il n'entreroit ny luy ny sa femme dans son fort; qu'il leur feroit bastir un petit logement au dehors, que c'estoit tout ce qu'il pouvoit faire; il receut la condition que son fils luy fit. Le Capitaine envoya tout leur équipage à terre, où la Tour père décendit avec sa femme, deux hommes pour le servir, & deux filles de chambre pour sa femme. Le jeune de la Tour leur fit bastir un logement à quelque distance du fort, où ils s'accommodèrent du mieux qu'ils peurent. Ils avoient apporté quelques victuailles, qui ne furent pas plutost consommées, que la Tour fils y supplea, en nourrissant son père & toute sa famille.» «Environ l'an mil six cens trente cinq, ajoute Denys, je passay par là; je fus voir le jeune de la Tour, qui me receut très-bien, & me permit de voir son père en son logement; ce que je fis. Il me receut bien, m'obligea de dîner avec luy & sa femme; ils estoient fort proprement meublez.» (Description de l'Amérique, t. I, p. 74-77.)] Ledit père de la Tour fit aussi rapport qu'il estoit mort trente Escossois, de septante qu'ils estoient en cet hyvernement, qui avoient esté mal accommodez: fut resolu tant 317/1301 par le Conseil desdits de la Tour père & fils, que Marot, & Pères Recollets, de faire encore une habitation à la riviere S. Jean pour plusieurs raisons telles quelles, qui est à quatorze lieues du port Royal, plus au Nort dans la Baye Françoise: que pour parvenir à l'exécution de ceste entreprise, il estoit necessaire d'avoir des hommes & commoditez pour basti & se fortifier en ladite riviere. Pour ne perdre temps il falloit dépescher le moyen vaisseau audit sieur Tufet, & envoyer promptement des hommes & autres choses necessaires, pour s'opposer aux forces de l'Anglois, qui ne taschoit que de temps en temps à usurper tout le païs, & qu'en icelle habitation nouvelle le père de la Tour y commanderoit, le fils au Cap de Sable, qui fit retenir toutes les commoditez des vaisseaux qu'il jugea luy estre necessaires: Le moyen vaisseau ne fit ny traite ny pesche pour payer les fraiz de son embarquement, & ainsi légèrement s'en revient à Bordeaux avec lettres tant des Peres Recollets que de la Tour, addressantes à Messieurs les Directeurs de la Nouvelle France, qui fut vers la fin du mois d'Octobre: ledit Marot demeura là avec le grand vaisseau, pour essayer à faire quelque chose pour payer le voyage. Ceste nouvelle receue dudit sieur Tufet, par le retour du moyen vaisseau si léger, ne luy peust donner grand contentement, pour le renvoy estre trop precipitement & légèrement fait, sans y avoir du sujet necessaire qui les peust avoir esmeuz à cela. 318/1302 Car la resolution de ce Conseil qui avoient plustost leurs inclinations au bien de leur contentement, & autres de leurs affaires particulières, qu'à conserver & employer le bien de ceux qui les employent à leur proffit, pour supporter la despense qui se fait en cet embarquement, que si le mesnagement de ceux qui sont employez n'est fait avec soing & vigilence, accompagné de fidélité, les voyages se rendent inutils, font perdre courage aux entrepreneurs, qui ne font les rencontres selon leurs volontez, & souvent deceu de ce qu'ils s'estoient peu imaginer en ces desseins. Quelle raison avoit il d'envoyer ce vaisseau vuide pour demander du secours, lequel quand on l'eust voulu renvoyer à mesme temps, avec les choses necessaires pour cet effect, il se fut passé plus de quatre à cinq mois, qui n'eust peu estre que vers la fin de Fevrier ou Mars, dans la rigueur de l'hyver, où les neges sont de deux à trois pieds, & les traverses fort fascheuses en ce temps, comme l'on voit assez par expérience, qui est fatiguer tous ceux d'un vaisseau, & quelquesfois courir risque de se perdre, ou estre desmatez & relâcher qui se voit assez souvent pour se haster trop tost, encore qu'à l'Acadie l'on peut aborder la terre en tout temps, & y arrivant en l'hyver l'on ne laine d'y avoir de grandes incommoditez, comme nous l'avons expérimenté. Que si l'Anglois eust eu volonté d'aller prendre la Tour, & se sentant plus fort comme le representoit le Père, ils l'eussent emporté s'il n'eust esté bien fortifié & amunitionné, premier que le secours de France luy fut arrivé. 319/1303 Mais ayant des hommes & commoditez que ledit Marot avoit porté, ils n'avoient que faire de craindre estant un peu fortifiez comme ils eussent peu faire, & laisser faire la pesche de poisson & traitte aux vaisseaux, & ne le renvoyer vuide avec une lettre: sa charge faite revenant de compagnie avec ledit Marot, il eust apporté dequoy (au moins en partie) payer son voyage, & les lettres fussent venues aussi à temps pour ce qu'ils desiroient, comme quand ils le firent partir sans rien rapporter, car ils pouvoient s'imaginer que l'on ne renvoyeroit qu'au Printemps, par consequent vaine leur resolution inconsiderée & précipitée, qui a fait perdre beaucoup audit sieur Tufet, & des sieurs de la societé qui se fussent bien passés de telle depesche. Presqu'en ce mesme temps arriva un vaisseau pescheur du Cap Breton, dans lequel repassoit les Reverends Pères Vimond & Vieux-pont Jesuistes, par le commandement qui leur en avoit esté faict de leur Reverend Père Provincial, qui dirent qu'à ladite habitation du grand Cibou, en l'isle dudit Cap Breton estoit mort douze François du mal de terre, qui est le securbut, & d'autres malades, le Printemps les remit: Ces maladies comme j'ay dit en mes premiers voyages, ne vient que de manger des salures, pour n'avoir des viandes ou autres choses rafraichissantes, comme nous avons esprouvé en nos habitations par le passé. Durant l'hyvernement ils virent peu de Sauvages qui n'y viennent que par rencontre chercher les vaisseaux François qui y peuvent estre pour traitter avec eux: ces endroits ne sont pas beaucoup plaisans ny agréables que 320/1304 pour la pesche de molue. Ils laisserent les deux vaisseaux que Messieurs les Directeurs avoient envoyez pour le ecours d'icelle habitation, qui avoient traitté quelque nombre de peaux d'eslans, faisant leur pesche de poisson, comme plusieurs autres vaisseaux qui sont par toutes ces costes. Vers le 10 Octobre arriverent à Londres deux vaisseaux Anglois, l'un du port de deux cens cinquante tonneaux, & l'autre de cent, qui revenoient de Québec où ils avoient fait monter leur vaisseau de Tadoussac pour n'estre en la puissance de ceux qui eussent esté plus forts qu'eux, s'il en fut venu comme ils s'imaginoient, en l'un commandoit le Capitaine Thomas Quer Vis-Admiral au voyage précèdent, & le Capitaine Breton Anglois bon marinier, lequel avoit fait bon traittement en son vaisseau aux Peres Jesuistes quand nous retournasmes de Québec avec lesdits Anglois l'année d'auparavant, lesquels ramenèrent deux François qu'ils avoient retenus par delà, l'un charpentier & l'autre laboureur, qui de Londres revindrent à Paris, lequel nous dit qu'ils avoient rapporté pour trois cens mille livres de peleterie, & estoit mort quatorze Anglois de nonante qu'ils estoient, de pauvreté & misere durant l'hyver, & autres qui avoient esté assez malades, n'ayant fait bastir ny défricher aucune terre depuis nostre département, sinon ensemencer ce qui estoit labouré tant la maison des Pères Jesuistes que Peres Recollets, dans lesquelles maisons y avoit dix hommes pour les conserver, qu'au fort ils n'avoient fait qu'un parapel de planche sur le rampart, & remply deux plates formes que j'avois 321/1305 fait commencer: de bastiment dedans ils n'en avoient fait aucun, horsmis une de charpente contre le rempart, qu'en partie ils avoient défait du costé de la pointe aux Diamants pour gaigner de la place, & qu'elle n'estoit pas encore achevée. Que dans le fort y avoit quatorze pièces de canon, avec cinq espoirs de fonte verte qu'ils nous avoient pris, & quelques pierriers, estant bien amunitionnées, & estoient restez quelques septante Anglois. Que le tonnerre avoit tombé dans le fort & rompu une porte de la chambre des soldats, entré en icelle, meurtry trois à quatre personnes, passé dessous une table, tué deux grands dogues qui estoient pour la garde, & s'en estoit allé par le tuyau de la cheminée qui en avoit abatu une partie, & ainsi se perdit en l'air. Dit que les mesnages François[803] qui resterent ont esté très mal traictez, de ceux qui se sont rendus aux Anglois, & principalement d'un appelle le Bailly, duquel j'ay parlé cy dessus. Pour ce qui est du Capitaine Louis & des Anglois ils n'en ont point esté inquiétez: rapporte qu'ils s'attendoient bien que ceste année les vaisseaux du Roy y deussent aller avec commission du Roy de la grande Bretagne, pour les en faire desloger, ce qu'ils eussent fait non autrement que par force: Voilà ce que nous avons eu de nouvelles qu'injustement ils tiennent ceste place, & en tirent les émoluments qui ne leur appartiennent, mais l'esperance que l'on a que le Roy d'Angleterre la fera rendre au Roy avec douceur & non de force, convenir des limites que chacun doit posseder, & non vouloir 322/1306 des Virgines embraser toutes les costes qui ne leurs appartiennent, comme il se peut voir & sçavoir par les relations de ceux qui ont premièrement descouvert & possedé actuellement & réellement ces terres, au nom de nos Roys devanciers jusqu'à maintenant, sous LOUYS le JUSTE XIII. Roy de France & de Navarre, que Dieu veuille combler de milles benedictions, & accroistre son règne d'une heureuse & longue vie. [Note 803: Ces ménages sont les cinq familles dont il a été parlé ci-dessus, p. 205, 206.] FIN. _ABREGÉ DES DESCOUVERTURES de la Nouvelle France, tant de ce que nous avons descouvert comme aussi les Anglais, depuis les Virgines Jusqu'au Freton Davis, & de ce qu'eux & nous pouvons prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un chacun du tout sans passion._ Les Anglois ne nous disputent point toute la Nouvelle France, & ne peuvent desnier ce que tout le monde a accordé, ains seulement débattent des confins, nous restraignant jusqu'au Cap Breton, qui est par la hauteur de quarante cinq degrés trois quarts de latitude, ne nous permettant pas d'aller plus au midy, s'attribuant tout ce qui est de la Floride jusqu'au dit Cap Breton, & ces dernières années ils ont voulu s'estendre par usurpation jusqu'au fleuve sainct Laurent, comme ils ont fait. 323/1307 Voicy le fondement de leur prétention, qui est qu'environ l'an 1594,[804] estant aux costes de la Floride arriverent en un lieu que lesdits Anglois appelloient Mocosa, y ayant treuvé quelques rivieres & païs qui leur agréa, ils commencèrent à y vouloir bastir, luy imposant le nom de Virgines: mais ayant esté contrariez par les Sauvages & autres accidents, ils furent contrains de quitter, ny ayant demeuré que deux ou trois ans: neantmoins depuis le feu Roy Jacques d'Angleterre venant à la couronne prit resolution de la recognoistre, habiter & cultiver, à quoy ledit Roy favorisant a baillé de grands privileges à ceux qui entreprendroient ceste peuplade, & entr'autres a estendu le droict de leur retenue dés le 33e degré de l'élevation jusqu'au 45 & 6, leur donnant pouvoir sur tous Estrangers qu'ils treuveroient dans ceste estendue de terre, & 50 mille avant en la mer. Ces lettres du Roy furent expédiées l'an quatriesme de son règne, & de grâce 1607, le 10 d'Avril, il y a 24 ans. Voilà tout ce qui se peut apprendre de leurs commissions & enseignements pour ces contrées. Voicy ce que nous leurs respondons. [Note 804: La première tentative d'établissement à la Virginie fut celle de sir Walter Raleigh, en 1584. Sir Francis Drake ramena la colonie en Angleterre au bout de deux ans (Holmes' _American Annals_).] En premier lieu, que leurs lettres royaux sur quoy ils se fondent les dédisent de leur prétention, parce qu'il est dit expressement dans icelles avec exception specifiée, Nous leur donnons toutes les terres jusqu'au 45e degré, lesquelles ne sont point actuellement possedées par aucun Prince Chrestien. Or est il que lors de la datte de ces lettres, le Roy de France 324/1308 actuellement & réellement possedoit pour le moins jusqu'au quarantiesme degré de latitude desdites terres, où depuis quelques années les Holandois s'y sont establis, tout le monde le sçait par les voyages du sieur de Champlain imprimez, avec les cartes, ports, & havres de toutes les costes qu'il fit, qui depuis chacun s'en est servy, & les ont adaptés sur les globes & cartes universelles, que l'on a corrigées de cet échantillon de terre, & voit on par lesdits voyages qu'en l'an 1604, ils estoient à saincte Croix, & en l'an 1607.[805] au port Royal, auquel ledit Champlain donna le nom, comme à plusieurs autres lieux que l'on voit par ses cartes, le tout habité par le feu sieur de Mons, qui gouvernoit tout ce païs jusqu'au quarantiesme degré, comme Lieutenant de sa Majesté tres-Chrestienne. [Note 805: De 1605 à 1607 (voir l'édition de 1613).] Auparavant l'an précèdent 1603 ledit Champlain par commandement de sa Majesté fit le voyage de la Nouvelle France, en la grande riviere sainct Laurent, & à son retour en fit rapport à sa Majesté, lequel rapport & description il fit imprimer deslors, partit de Hondefleur en Normandie le 15 de Mars audit an, en ce mesme temps le feu sieur Commandeur de Chaste gouverneur de Dieppe; estoit Lieutenant général en ladite Nouvelle France: depuis le 40 degré jusqu'au 52e de latitude. Si les Anglois disent que seulement ils n'ont pas possedé les Virgines dés l'an 1603, 4 & 7, ains dés l'an 1594, qu'ils treuverent comme avons dit. L'on respond que la riviere qu'ils commençoient lors à posseder est au 36e & 37e degré, & que ceste leur allégation à 325/1309 l'advanture pourroit valloir, s'il n'estoit question que de tenir ceste riviere, & 7 à 8 lieues de l'un de l'autre costé d'icelle, car autant se peut porter la veue pour l'ordinaire, mais que s'attribuant par domination l'on s'estende trente & six fois plus loing que l'on n'a recognu, c'est vouloir avoir les bras ou plustost la cognoissance bien monstrueuse. Posons que cela se puisse faire. Il s'ensuiveroit que Ribaut & Laudonniere estant allez à la Floride en bon esquippage, par auctorité du Roy Charles IX, l'an 1564, 5 & 6, pour cultiver & habiter le païs y estant édifié la Caroline[806] au 35e ou 36e degré & par ainsi voilà l'Anglois hors des Virgines, suyvant leurs propres machines. [Note 806: Voir ci-dessus, première partie, p. 18, note 4.] Pourquoy eux estant au 36e ou 37e avanceront plustost au 45e que nous, comme ils confessent, estant au 46e ne descendrons nous jusqu'au 37e quel droict y ont ils plus que nous, voilà ce que nous respondons aux Anglois. Et est très certain & confessé de tous, que sa Majesté très chrestienne, a prins possession de ces terres avant tout autre Prince Chrestien, & asseuré que les Bretons & Normans treuverent premiers le grand Ban& les terres neufves, ces descouvertures faictes en l'an 1504, il y a 126 ans, ainsi qu'il se peut voir en l'histoire de Niflet[807] & Anthoine Magin imprimé à Douay. [Note 807: Wytfliet. (Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 1.)] Et d'advantage tous confessent que par commandement du Roy François, Jean Verazan prit possession desdites terres au nom de France commençant dés le 33e degré de l'élevation jusqu'au 326/1310 47e; ce fut par deux voyages desquels le dernier fut fait l'an 1523,[808] il y a 107 ans. [Note 808: Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 2, 3 et 4.] Outre Jacques Cartier entra le premier en la grande riviere sainct Laurent, par deux voyages qu'il y fut, & descouvrit la plus grande part des costes de Canadas, à son dernier voyage l'an 1535 il fut jusqu'au Grand Sault sainct Louis de ladite grande riviere. Et en l'an 1541, il fit un autre voyage comme Lieutenant de Messire Jean François de la Roque sieur de Robert-Val, qui estoit Lieutenant général audit païs, ce fut son troisiesme voyage où il demeura, ne pouvant vivre au païs avec les Sauvages qui estoient insupportables, & ne pouvoit descouvrir que ce qu'il avoit fait: il se délibéra de s'en retourner au Printemps, ce qu'il fit, en un vaisseau qu'il avoit reservé, & estant le travers de l'isle de terre neufve, il fit rencontre dudit sieur de Robert-Val qui venoit avec trois vaisseaux l'an 1542, il fit retourner ledit Cartier à l'isle d'Orléans[809] où ils firent une habitation, & y estant demeuré quelque temps, l'on tient que sa Majesté le manda pour quelques affaires importantes, & ceste entreprise peu à peu ne sortit à aucun effect, pour n'y avoir apporté la vigilance requise. [Note 809: La relation du voyage de M. de Roberval prouve, au contraire, que Cartier ne voulut point retourner avec lui, et «partit incontinent pour se rendre en Bretagne.» (Voy. du sieur de Roberval.)] Presque en ce mesme temps Alfonse Xintongeois fut envoyé vers la Brador, par ledit sieur de Robert-Val, autres disent par sa Majesté, lequel descouvrit la coste du Nort de la grande Baye 327/1311 au golphe sainct Laurent, & le passage de l'issle de terre neufve, à la grande terre du Nort, au 52e degré de latitude[810]. [Note 810: Jean Alphonse, dans sa Cosmographie encore manuscrite, fait une description étonnamment exacte pour l'époque, de la côte du Labrador et du fleuve Saint-Laurent. jusqu'à Québec.] En suitte le Marquis de la Roche de Bretagne en l'an 1598,[811] fut en ces terres de la Nouvelle France, comme Lieutenant de sa Majesté, & en suitte les sieurs Chauvin de Hondefleur en Normandie, Commandeur de Chaste & de Mons comme dit est, & le sieur de Poitrincourt, & Madame de Quercheville[812], qui eut quelque département à l'Acadie, y envoya la Saulsaye, avec lequel furent les Reverends Pères Jesuistes qui furent pris par les Anglois, (comme il a esté dit cy dessus) comme le port Royal, & depuis 28 ans ledit sieur de Champlain ayant descouvert & fait descouvrir plusieurs contrées, plus de quatre à cinq cens lieues dans les terres, comme il se voit par ses relations cy dessus imprimées depuis l'an 1603. jusqu'à present 1631. [Note 811: Voir ci-dessus, première partie, p. 38, note 1.] [Note 812: Guercheville.] Venons à ce qui se treuve descrit des voyages des Anglois, ce n'est pas assez qu'ils se vantent d'estre des premiers qui ont descouvert ces terres, il est question quelles elles sont. Il est très certain que quand il se fait quelque descouverture nouvelle, l'on est assez curieux d'en descrire les temps, ce que les Anglois n'ont oublié, ny les autres nations, suyvant les mémoires qui leurs sont envoyez, ils n'oublient rien de ce qui se fait, mais nous ne treuvons en aucuns autheurs que les 328/1312 Anglois ayent jamais pris possession des païs de la Nouvelle France, qu'après les François. Il est vray que les Anglois ont descouvert du coste du Nort vers les terres de la Brador & Freton Davis, des terres, isles, & quelques passages depuis le 56e degré vers le Pôle Artique, comme il se voit par les voyages qui ont esté imprimez tant en Angleterre, qu'ailleurs, par lesquels il appert dequoy ils se peuvent prevalloir sans usurpation, comme ils ont fait en plusieurs lieux de la Nouvelle France: il faudroit estre aveugle, sans cognoissance, pour ne voir ce que les histoires nous font cognoistre de véritable. En premier lieu, Sebastien Cabot[813], sous le commandement du Roy Henry VII d'Angleterre l'an 1499 fut pour descouvrir quelques passages vers la Brador & s'en revint sans fruict, & depuis es années 1576 77 & 78, Messire Martin Forbichet[814] y fit trois voyages, sept ans après Honfroy Guillebert[815] y fut, en suitte Jean Davis descouvrit un destroit appellé de son nom. Estienne Permenud[816] fut à l'isle de terre neufve à la coste du Nord de l'Est de l'isle, en l'an 1583. un autre peu après nommé Rtehard Viitaaboux N.[817] fut à la mesme coste, en 329/1313 suitte un appellé le Capitaine George[818] y fut en l'an 1590, vers le Nort, de plus fraiche memoire l'an 1612[819] y fut un Capitaine Anglois au Nort, où il treuva un passage par le 63e degré, comme il se voit par la carte imprimée en Angleterre, & y treuvant des difficultez pour treuver le passage que tant de navigateurs ont recherché, pour aller aux Indes Orientales du costé de l'Ouest: & depuis 35 ans ils se sont estendus tant aux Virgines qu'aux terres qui nous appartiennent. [Note 813: La première expédition entreprise au nom du roi d'Angleterre, fut confiée à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, par lettres de Henri VII, du 5 mars 1496, ou 15 mars 1497, style neuf. (Voir: Rymer, _Foedera_, vol. XII;--_a Memoir of Sébastian Cabot_, ch. IX.)] [Note 814: Frobisher.] [Note 815: Humphrey Gilbert.] [Note 816: Étienne Parmenius, de Bude, savant hongrois, faisait partie du voyage de sir Humphrey Gilbert, et périt dans le naufrage du vaisseau amiral. (Hakluyt, vol. III.)] [Note 817: Probablement Richard Clarke de Weymouth, capitaine du vaisseau amiral de sir Humphrey Gilbert, au même voyage, en 1583. (Hakluyt, vol. III.)] [Note 818: Voir ci-dessus, première partie, p. 37, note 4.] [Note 819: Hudson fit son voyage en 1610 et 1611, et la relation en fut imprimée en 1612. (Voir 1613, p. 293, note 1.)] Or le commun consentement de toute l'Europe & de despeindre la Nouvelle France, s'estendant au moins au 35e & 36e degrés de latitude, ainsi qu'il appert par les mapemondes imprimées en Espagne, Italie, Holande, Flandre, Allemagne & Angleterre mesme sinon depuis qu'ils se sont emparez des costes de la Nouvelle France, où est l'Acadie, Etechemains, l'Almonchicois, & la grande Riviere de sainct Laurent, où ils ont imposé à leur fantaisie des noms de Nouvelle Angleterre, Escosse, & autres, mais il est mal-aisé de pouvoir effacer une chose qui est cognue de toute la Chrestienté. FIN. 330/1314 _RELATION DE CE QUI S'EST passé durant l'année 1631._ Messieurs les Associez de la Nouvelle France residens à Bordeaux virent équipper au mois d'Avril de la presente année 1631, un vaisseau, commandé par un nommé Laurent Ferchaud, dans lequel vaisseau ils auroient fait charger tout ce qui estoit necessaire pour secourir le Fort & habitation sainct Louys, scitué au Cap de Sable coste d'Acadie, sur l'entrée d'un bon havre, & munitionné de tout ce qui luy est besoing pour la defence d'iceluy. Ayant fait sa navigation, & donné au sieur de la Tour commandement pour la Compagnie dans ledit Fort, ce dont il estoit chargé par lesdits Associez, fit son retour à Bordeaux à la fin du mois d'Aoust ensuyvant, & repassa le sieur de Krainguille Lieutenant dudit sieur de la Tour, lequel rapporta nouvelle comme les Escossois ne se resoudoient point à quitter le Port Royal, mais qu'ils s'y accommodoient de jour à autre, & y avoient fait venir quelques mesnages & bestiaux pour peupler ce lieu qui ne leur appartient que par l'usurpation qu'ils en ont faite, comme a esté dit cy dessus. Lesdits Associez recognoissant ce qui estoit necessaire sur ce que leur mandoit ledit sieur de la Tour, r'equipperent le mesme vaisseau au mois d'Octobre dernier, monstrant par leur diligence qu'ils n'oublient rien de ce qui est necessaire pour le peuplement & conservation de ces lieux, où ils ont envoyé quantité d'artisans & des Religieux Recollets. 331/1315 En ceste mesme année messieurs les Directeurs de Paris & Rouen firent équipper deux vaisseaux tant pour aller secourir l'habitation saincte Anne en l'isle du Cap Breton, que pour aller à Miscou & Tadoussac faire traite & la pesche de poisson. Le premier vaisseau commandé par Hubert Anselme partit de Dieppe le 25 Mars, accommodé de tout ce qui luy estoit necessaire pour son voyage: après quelques mauvais temps il fut jusques au travers du Cap des Rosiers, à quelque dix ou douzes lieues de Gaspey entrée du grand fleuve sainct Laurent, où estant il apperceut vers l'eau quelques vaisseaux qu'ils jugerent estre Anglois, qui leur fit changer de routte & aller à Miscou pour faire leur traite avec les habitans du Païs. Le second vaisseau où commandoit le Capitaine Daniel partit le 26 d'Avril & fut à l'habitation saincte Anne chargé & accommodé de tout ce qui estoit necessaire pour cedit lieu, qui est en très bonne scituation, sur l'entrée de l'un des meilleurs ports de ces costes, les contrarietez de mauvais temps luy furent fascheuses & n'arriva sur l'escore du grand Ban que le 16 de Juin, où il vit quantité de glaces: Le 18, terrirent au Cap de Raye, peu après apperceurent un vaisseau qu'ils jugerent estre Turc, lequel arrivant sur eux vent arrière, les fit appareiller & mettre en defence, mais le Turc ayant apperceu quantité d'hommes sur le tillac il se retira, & fit porter sur un navire Basque, auquel il tira quelques coups de canon & l'aborda: mais comme ils n'estoient pas bien saisis ils se separerent, & en 332/1316 ceste separation un matelot Basque qui estoit sur l'arriére de son vaisseau prit l'enseigne qui estoit sur l'arriére de celuy du Turc, laquelle il attira à luy, & aussitost le vaisseau Basque commença à fuir, & en fuyant ne laissoient de tirer forces coups de canons qui estoient sur l'arriére dudit vaisseau, de façon qu'il se sauva & emporta ladite enseigne, dans laquelle estoient dépeints trois croissans. Le vaisseau du Capitaine Daniel continuant sa routte, fut tellement contrarié de brunes & grand vent, que ne pouvant porter voilles se trouva en une nuict obscure à huict brasses d'eau, & entendoit la lame qui battoit contre les rochers, aussitost il jette l'ancre attendant le lendemain, pour voir s'ils pourroient cognoistre la terre, ce qu'ayant fait ils recogneurent que les marées les avoient portez aux isles sainct Pierre, où prenant cognoissance de la terre arriverent au fort & habitation saincte Anne le 24 de Juin, où ils trouverent quelque desordre, causez par l'assassinat commis par Gaude[820] qui commandoit audit Fort, en la personne d'un nommé Martel de la ville de Dieppe, qui estoit son Lieutenant. [Note 820: Il est appelé Claude un peu plus haut.] Le Capitaine Daniel voyant ce desordre, & que ceux de l'habitation avoient retenu prisonnier ledit Gaude leur Capitaine après cet assassinat, s'informa de ce faict, tant des hommes de l'habitation que de la bouche dudit Gaude, & apprit que le lendemain de la Pentecoste ledit Gaude & Martel ayant souppé ensemble, l'heure d'entrer en garde estant venue Gaude donna le mot à Martel, & aussi tost entra dans le Fort où il 333/1317 chargea une carabine de trois balles qu'il tira sur ledit Martel, par une canoniere dudit Fort, ainsi qu'il jouoit aux quilles, & luy donna trois balles dans le corps dont l'une luy perça le coeur. Ceste action ainsi laschement commise ne peut estre excusable audit Gaude, quoy qu'il soit vray que jamais ils ne se soient peu accorder ensemble, & que leurs humeurs estoient du tout incompatibles: Car si Gaude avoit envie de chastier ledit Martel, il devoit le faire prendre & le tenir prisonnier jusques à l'arrivée des vaisseaux, ou s'il doutoit qu'il y eust de la difficulté de le faire à cause des hommes de sa faction qui estoient en ceste habitation, il devoit s'armer de patience, & ce faisant il eust trouvé que Messieurs les Directeurs de Paris y avoient donné ordre par leur prevoyance, car ils avoient enjoint au Capitaine Daniel de repasser en France ledit Martel, & laisser ledit Gaude en sa charge, avec ceux qu'il choysiroit, tant des hommes de l'habitation que d'autres nouveaux que l'on luy envoyoit dans le vaisseau du dit Capitaine Daniel, & ainsi il eut tiré une honneste vengeance de son ennemy, sans se précipiter dans ceste determinée resolution, qui ne luy peut apporter que du blasme & de la peine s'il est pris, & s'il n'eust trouvé les moyens de s'eschapper dans le païs, il eust couru risque de sa vie. Ce pendant il estoit necessaire que ledit Capitaine Daniel mit ordre en ce lieu, sur ce qui s'estoit passée, pour tenir chacun en son devoir: il envoya son vaisseau à Miscou pour faire la 334/1318 pesche & la traite & en donna la conduicte à Michel Gallois de Dieppe, & en mesme temps il despescha une pinasse d'environ vingt tonneaux, qu'il donna à un appellé Saincte Croix pour la commander, & l'envoya à Tadoussac pour traiter avec les Sauvages: & estant ledit Gallois arrivé à Miscou, trouva deux vaisseaux Basques, l'un de Deux cens cinquante, & l'autre de Trois cens tonneaux, & une barque d'environ Trente cinq tonneaux, où commandoit le frère du Capitaine du May, qui avoit esté equippée au Havre de Grâce, lequel dit audit Gallois qu'il avoit commission de Monseigneur le Cardinal de faire la traite, visiter les vaisseaux qui alloient faire la pesche, & recognoistre les ports & havres de ces lieux, pour luy en faire son rapport, sans toutesfois luy monstrer sa commission: à quoy ledit Gallois monstra bien qu'il estoit de légère croyance, d'adjouster foy sur des paroles, & partant demeurèrent bons amis, & donna du May advis audit Gallois, que les deux vaisseaux Basques n'avoient aucun congé ny commission, & que s'il le vouloit assister en ceste affaire ils les iroient sommer de leur monstrer leurs passeports, le dit Gallois luy ayant accordé, furent de compagnie abord de l'un des deux navires Basques, ce que le maistre duquel leur monstra sa commission en tres bonne forme, en leur offrant toutes sortes d'assistances & de faveurs. Ce fait ils furent à l'autre vaisseau, où ils ne trousverent que le Capitaine nommé Joannis Arnandel de sainct Jean de Lus avec un petit garçon, (ses gens estans pour lors tous à terre & en pescherie,) auquel Capitaine ils demandèrent à voir son congé, mais il n'avoit garde de leur monstrer, car il n'en 335/1319 avoit point: aussi sa responce fut que les congers n'estoient necessaires que pour avoir de l'argent à ceux qui les delivrent, & que pour luy il n'avoit point accoustumé d'en prendre, surquoy ledit du May luy fit responce que luy qui avoit coustume d'aller en mer, ne devoit point ignorer les ordonnances de France, notamment celles de l'Admiraulté qui declare pour pirates & voleurs, ceux qui vont en mer sans congé ou passeport, & partant que le trouvant ainsi & ne le pouvant juger autre que forban, il arrestoit sa personne & son vaisseau pour l'amener en France, & iceluy le faire juger de bonne prise, à quoy ledit Arnandel ne se pouvant opposer, supplia ledit du May de luy laisser achever sa pescherie & qu'il le retint prisonnier pour ostage: laquelle pescherie estant faicte il y auroit moins de dommages & interests si la prise estoit déclarée injuste, & plus de proffit si elle estoit bonne, ce qui fut accordé par ledit du May, lequel aussi tost se saisit de toutes les armes & munitions dudit vaisseau, qu'il fit porter en son bord avec ledit Arnandel. Ce qu'estant fait du May & Gallois retournent au vaisseau dudit Arnandel avec quelques uns de leurs gens, & comme ils furent entrez dedans, ils appellerent tous les gens de l'équipage de Arnandel qui estoient à terre, pour les advertir de l'accord & convention faicte entre leur Capitaine & eux, à quoy un de ces Basques fit responce, Que la prise & detemption de leur Capitaine n'estoit pas grand'chose, & qu'ils pouvoient faire un autre Capitaine d'un petit garçon de leur vaisseau, de quoy du 336/1320 May le voulant reprendre & remonstrer le tort qu'il avoit de parler si desadvantageusement de son chef, ce Basque & tous ses compagnons se mettent tous en fougue, & comme ils ont la teste prés du bonnet, gaignent le bas du vaisseau, se saisissant de quelques picques & mousquets qui estoient restez, & qui n'avoient esté trouvez par ledit du May, & Gallois, & avec ces armes se defendent & attaquent si courageusement ledit du May & ses gens, qu'ils le contraignent de se retirer, avec quelques uns des siens qui furent blessez, lesquels il fit promptement embarquer avec luy dans sa chalouppe. Et comme ces gens avoient desja la teste eschauffée, ne se contentans de ce qu'ils avoyent faict, poursuivirent encores ledit du May, jusques à ce qu'estant retiré en son bord il fut contrainct de faire monter sur son tillac le Capitaine Arnandel, afin qu'il commandast à ses gens de cesser leurs violences: mais le Capitaine se voyant libre se jetta promptement en l'eau, & tout vestu qu'il estoit gaigna à la nage une chalouppe, où estoient quelques uns des siens, & ainsy se sauva de ses ennemys, desquels il eust tost après une bonne raison, car estant rentré dans son navire, il commença à parler en Capitaine & non pas en prisonnier: & par la faveur & assistance d'un autre vaisseau Basque, duquel il envoya emprunter de la poudre & des armes, s'en vint fondre sur ledit du May, & luy tira deux ou trois coups de canon, & luy commanda de luy r'envoyer non seulement toutes ses armes & munitions qu'il luy avoit prises, mais encores celles qui estoient en son vaisseau, & de celuy dudit Gallois, autrement qu'il s'en alloit 337/1321 les couler à fond: ce que voyant, furent contraints de ce faire n'ayant pas des forces pour resister, de façon qu'ils se trouverent pris par celuy qu'ils venoient de prendre. En ces entrefaites arriva de Tadoussac la pinasse où commandoit Saincte Croix, lequel avoit esté rencontré des Anglois, qui luy avoient osté ses peleteries, & luy en avoient donné un mot descrit de la qualité & quantité, afin de n'estre point obligez à en rendre d'advantage, attendu le traité de paix d'entre les deux Couronnes, & Thomas Quer Général de la Flotte Angloise, luy dist qu'il avoit charge du sieur Chevallier Alexander de se saisir de toutes les peleteries qu'il trouverroit aux vaisseaux qui contreviendroient aux commissions du Roy de la grande Bretagne, à qui appartenoient ces lieux, ores qu'ils n'y eussent jamais esté que depuis trois ans qu'ils s'en saisirent, contre le traité de paix, & ainsi ledit Saincte Croix fut contrainct de céder à la force, esperant neantmoins que les Anglois luy payeroient tost ou tard ses peleteries, avec raison & justice. Arrivant, comme dit est, à Miscou le jour mesme que se fit ceste rumeur d'entre le Basque & le Capitaine du May, il se trouva encores pris du vaisseau Basque, lequel parlant audit Saincte Croix luy fit commandement de le venir trouver en son bord, ce qu'ayant fait, il envoya quérir toutes les armes & munitions de ceste pinasse, avec ses voiles, disant que tout appartenoit à un mesme maistre, & qu'il voulait s'asseurer d'eux, & les empescher de le plus troubler ny faire aucun tort, & tout ce que peust faire ledit Saincte Croix fut de protester 338/1322 contre ce Basque de tous ses despens, dommages & interests, de ce qu'il le troubloit ainsi en son traffic & sa traite, de quoy ledit Basque estant aucunement intimidé, luy rendit incontinent ses voiles, & luy enjoingnit de sortir du port de Miscou, ce que fit ledit Saincte Croix lequel s'en vint en l'habitation saincte Anne trouver le Capitaine Daniel, où il arriva le 29 Aoust pour luy donner advis de ceste procédure des Basques, afin d'y donner ordre, mais desja trop tard, car les Basques d'ordinaire sont presque prests en ce temps là pour s'en retourner. Ceste disgrace fut encores suyvie d'une autre, causée par la malice de ces mesmes Basques, lesquels persuaderent aux Sauvages que les François les vouloient empoisonner par le moyen de l'eaue de vie qu'ils leur donnoient à boire, & comme ces peuples sont d'assez facile croyance, ayans rencontré une chalouppe de François qui estoit proche de terre pour traiter avec eux, ces peuples mutins & barbares se jetterent sur ceste chalouppe, la ravagerent, pillèrent ce qui estoit dedans: comme les matelots se vouloient opposer il y en eut un de tué d'un coup de flesche, & deux Sauvages qui furent aussi pareillement tuez à coups d'espée, par un François de ladite chalouppe: & ainsi voilà les François mal traitez des Anglois, des Basques, & encores des Sauvages, & contraincts de s'en revenir tous avec le vaisseau du Capitaine Gallois au fort & habitation Saincte Anne, avec ce peu de traite & de pesche qu'ils avoient faite. Et pareillement ledit du May ne voulant s'arrester ny destourner pour voir l'habitation Saincte Anne s'en revint en 339/1323 France, comme sit tost après le Capitaine Daniel, ayant premier que de partir laissé son frère pour commander en ladite habitation avec tout ce qui estoit necessaire pour les hommes qu'il y a laissez pour hyverner. Il ne se faut pas estonner s'il y a des Basques ainsi mutins, & mesprisans toutes sortes de loix & d'ordonnances, ne se soucians de congers ny passeports, non plus que faisoient cy devant les Rochelois n'ayans aucune apprehension de justice en leur pays, estans proche voisins de l'Espagnol: telles personnes meriteroient un chastiment exemplaire, qui font plustost le mestier de pirates que de marchands. Peu de tours après le partement du vaisseau dudit Capitaine Daniel, pour aller audit pays de la Nouvelle France, partit celuy du sieur de Caen, lequel avoit obtenu un congé de Monseigneur le Cardinal, pour aller audit pays y faire la traite icelle presente année seulement, pour le redimer en quelques sortes de pertes qu'il remonstroit avoir souffertes, par la revocquation faicte de la commission qu'il avoit auparavant de sa Majesté pour la traite dudit pays, & ayant mis son nepveu Emery de Caen pour commander ledit vaisseau, luy donna ordre de monter jusques à Québec, & au dessus s'il pouvoit, pour faire sa traite avec les Sauvages des Hurons: mais comme il fut dedans la riviere sainct Laurens, il fit rencontre des navires d'Anglois, les Capitaines desquels luy demandèrent ce qu'il alloit faire en ces lieux, ausquels il respondit qu'il y alloit traiter & negotier en toute seureté, conformément au traité de paix fait entre les deux Couronnes de 340/1324 France & d'Angleterre, & qu'ils ne l'en pouvoient justement empescher, attendu qu'il estoit tout notoire que le Roy de la Grande Bretagne avoit promis au Roy de faire restituer le fort & habitation de Québec, & qu'en bref il viendroit des vaisseaux de France pour en prendre possession. Les Anglois luy respondirent que quand ils verroient la commission de leur Roy, que très volontiers ils laisseroient ces lieux, & qu'ils sçavoient très bien que cest affaire se traitoit entre leurs Majestez, mais qu'en attendant ils jouyroient toujours du bénéfice de la traite, puisqu'ils estoient possesseurs du pays, neantmoints qu'ils luy desiroient monstrer qu'ils ne luy vouloient point faire de prejudice, & qu'ils luy accorderoyent de faire sa traite concurremment avec eux: à quoy ledit Emery de Caen condescendit, & fit monter son vaisseau jusques devant Québec, où il demeura quelques jours, attendant la venue des Sauvages qui devoient descendre audit lieu. Entre ce temps arriva le Capitaine Thomas Quer à Tadoussac avec un vaisseau de trois cens tonneaux bien equippé, & deux qui estoient à Québec de leur part, un grand & l'autre moyen. Mais comme les Anglois recogneurent le peu de Sauvages, & qu'il n'y avoit pas d'apparence de faire grande traite, leur proffit particulier leur fut en plus singuliere recommandation, que celuy d'Emery de Caen, auquel ils dirent qu'il devoit se resoudre à ne faire aucune traite, puisqu'il n'y en pouvoit avoir assez pour eux, luy accordant de descharger ses marchandises dans le magazin de l'habitation, & y laisser un 341/1325 commis ou deux pour les luy garder, & les traiter durant l'hyver à son bénéfice, & afin qu'il ne peust faire aucune traite, les Anglois luy donnent des gardes en son vaisseau, jusques à ce que la traite fut faicte, & lors ils s'en revindrent de compagnie quelque temps ensemble. Ledit Emery de Caen comme ayant son vaisseau, plus advantageux que ceux des Anglois, il prit le devant pour retourner à Dieppe, où il arriva à port de falut. Les gens de ce vaisseau rapportèrent que le Ministre avoit fait une ligue de la plus part des soldats Anglois, pour tuer leur Capitaine avec les François revoltez du service du Roy: cela estant descouvert le Capitaine Louys en fit chastier quelques uns[821]. Le sujet de ceste rébellion estoit le mauvais traitement qu'il faisoit à ses compagnons qui avoit causé ce desordre, par le conseil de ces deux ou trois mauvais François, ausquels il adjoustoit trop de foy. [Note 821: Le ministre, en particulier, fut tenu six mois en prison dans la maison des Jesuites. «Au reste,» ajoute le P. Lejeune, «il n'estoit point de la mesme religion que les ouailles, car il estoit Protestant ou Luthérien, les Ker sont Calvinistes, ou de quelque autre religion plus libertine.» (Relat. 1632.)] Voilà le succez de tous ces voyages de la presente année, qui tesmoignent assez le peu d'apparence qu'il y a de pouvoir rien advancer en la peuplade, ny au commerce de ces lieux, tandis qu'ils seront possedez par une autre nation. Les François qui sont restez audit Québec sont encores tous vivans en bonne santé, resjouis du contentement, par l'esperance qu'ils ont, d'y voir ceste année retourner leur compatriotes, ce qui est assez probable, puisque le Roy d'Angleterre sollicité par 342/1326 Monsieur de Fontenay Mareuil Ambassadeur de France, a promis de rechef de faire rendre ce pays, & que pour asseurance de sa promesse il a envoyé en France le sieur de Bourlamaky, pour en asseurer sa Majesté, & en delivrer les commissions & toutes lettres necessaires, sous esperance que sa Majesté fera le semblable, pour quelques prétentions qu'ont les Anglois sur quelques particuliers François, & ainsi il y a grande esperance que cet accommodement se fera, avant que ledit sieur Bourlamaky s'en retourne en Angleterre. Depuis peu[822] entre sa Majesté & l'Ambassadeur d'Angleterre a esté accordé la restitution du Fort & habitation de Québec & autres lieux qui avoient esté usurpez par les Anglois, contre le traité de paix, entre leurs Majestez. A ce printemps Monseigneur le Cardinal sous le bon plaisir de sa Majesté, ordonne que Messieurs les Associez de la Nouvelle France, y envoyeront un nombre d'hommes, lesquels seront mis en possession du dit fort & habitation de Québec par le sieur de Caen, qui en consideration de ce promet avec les vaisseaux du Roy, y passer lesdits hommes. Tant pour ce sujet qu'autres considerations, luy est accordé pour ceste année seulement la traite de peleterie ausdits lieux, après laquelle escheue ceux qu'il aura mis de sa part repasseront en France dans les vaisseaux de la societé, ainsi qu'il a esté ordonné par mondit Seigneur le Cardinal Duc de Richelieu. [Note 822: Le traité de Saint-Germain-en-Laye fut signé le 29 mars 1632. (Mercure Français, t. XVIII, pp. 39-56.--Rymer, _Foedera_, vol. VIII.)] A ce Printemps sous la conduicte de Monsieur le Commandeur de 343/1327 Rasilly, qui a toutes les qualitez requises d'un bon & parfait Capitaine de mer, prudent, sage & laborieux, poussé d'un sainct desir d'accroistre la gloire de Dieu, & porter son courage au pays de la Nouvelle France, pour y arborer l'estendart de Jesus Christ, & y faire florir les lys sous le bon plaisir de sa Majesté & de Monseigneur le Cardinal, fait à la Rochelle un embarquement avec toutes les choses necessaires pour y establir une colonie, suyvant le traité qu'il a fait avec Messieurs les Associez de la Nouvelle France, sous le bon plaisir de mondit Seigneur le Cardinal. Il n'y a point de doute que Dieu aydant il s'y peut faire de grands progrez à l'advenir, les choses estant reiglées par des personnes telles qu'est ledit sieur Commandeur de Rasilly. Dieu y sera servy & adoré, lequel je prie luy faire prosperer ses bonnes & louables intentions, comme à celles de ceste Nouvelle Société, encores que par les pertes passées elle ne perd courage, estant maintenus de sa Majesté & de mondit Seigneur le Cardinal. FIN. 2/1330 TRAITTÉ DE LA MARINE ET DU DEVOIR D'UN BON MARINIER. PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN. 3/1331 AU LECTEUR. _Après avoir passé trente huict ans de mon aage à faire plusieurs voyages sur mer & couru maints périls & hasards, (desquels Dieu m'a preservé) & ayant tousjours eu desir de voyager és lieux loingtains & estrangers, où je me suis grandement pleu, principalement en ce qui despendoit de la navigation, apprenant tant par expérience que par instruction que jay receue de plusieurs bons navigateurs, qu'au singulier plaisir que j'ay eu en la lecture des livres faits sur ce suject: c'est ce qui m'a meû à la fin de mes descouvertures de la nouvelle France Occidentale, pour mon contentement faire un petit traitté intelligible, & proffitable à ceux qui s'en voudront servir, pour sçavoir ce qui est necessaire à un bon & parfait navigateur, & notamment ce qui est des estimes, & comme l'on doit procéder à faire des cartes marines selon la boussolle des mariniers, car pour le reste de la navigation plusieurs bons autheurs en ont escrit assez particulièrement, ce qui m'empesche de n'en dire davantage, te suppliant d'avoir agréable ce petit traitté, & s'il n'est selon ton sentiment excuse celuy qui l'a fait, ce qu'il a jugé estre necessaire à ceux qui auront la curiosité de le sçavoir plus particulièrement, ce que je n'ay veu descrit ailleurs; demeurant, Amy Lecteur, VOSTRE SERVITEUR. 5/1333 [Illustration] TRAITTÉ DE LA MARINE ET DU DEVOIR D'UN BON MARINIER. DE LA NAVIGATION. Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire un petit traitté de ce qui est necessaire pour un bon & parfait navigateur, & des conditions qu'il doit avoir: sur toute chose estre homme de bien, craignant Dieu; ne permettre en son vaisseau que son sainct Nom soit blasphemé, de peur que sa divine Majesté, ne le chastie, pour se voir souvent dans les périls, & estre soigneux soir & matin de faire faire les prieres avant toute chose, & si le navigateur peut avoir le moyen, je luy conseille de mener avec luy un homme d'Eglise ou 6/1334 Religieux habile & capable, pour faire des exhortations de temps en temps aux soldats & mariniers, affin de les tenir tousjours en la crainte de Dieu, comme aussi les assister & confesser en leurs maladies, ou autrement les consoler durant les périls qui se rencontrent dans les hasards de la mer. Ne doit estre délicat en son manger, ny en son boire, s'accommodant selon les lieux où il se treuvera, s'il est délicat ou de petite complexion, changeant d'air & de nourriture, il est suject à plusieurs maladies, & changeant des bons vivres en de grossiers, tels que sont ceux qui se mangent sur mer, qui engendrent un sang tout contraire à leur nature: & ces personnes là doivent apprehender sur tout le Secubat[823] plus que d'autres qui ne laissent d'estre frappez en ces maladies de long cours, & doit on avoir provision de remèdes singuliers pour ceux qui en sont atteints. [Note 823: Scorbut.] Doit estre robuste, dispos, avoir le pied marin, infatigables aux peines & travaux, affin que quelque accident qu'il arrive il se puisse presenter sur le tillac, & d'une forte voix commander à chacun, ce qu'il doit faire. Quelques fois il ne doit mespriser de mettre luy mesme la main à l'oeuvre, pour rendre la vigilance des matelots plus prompte, & que le desordre ne s'en ensuive: doit parler seul pour ce que la diversité des commandements, & principalement aux lieux douteux, ne face faire une manoeuvre pour l'autre. Il doit estre doux & affable en sa conversation, absolu en ses commandements, ne se communiquer trop facilement avec ses 7/1335 compagnons, si ce n'est avec ceux qui sont de commandement. Ce que ne faisant luy pourroit avec le temps engendrer un mespris: aussi chastier severement les meschans, & faire estat des bons, les aymant & gratifiant de fois à autres de quelque caresse, louant ceux là, & ne mespriser les autres, affin que cela ne luy cause de l'envie, qui souvent fait naistre une mauvaise affection, qui est comme une gangrene qui peu à peu corrompt & emporte le corps, ny pour avoir preveu de bonne heure[824], apportant quelque fois à conspirations, divisions ou ligues, qui souvent font perdre les plus belles entreprises. [Note 824: Pour n'y avoir pourvu de bonne heure, emportant...] S'il se fait quelques prises bonnes & justes, il ne doit frustrer le droict de l'Admirale, ny de ceux qui sont avec luy, ny celuy de ses compagnons, tant soldats que matelots en quelque façon que ce soit: que rien ne se dissipe s'il peut pour à son retour faire fidel rapport de tout. Il doit estre libéral selon ses commoditez, & courtois aux vaincus, en les favorisant selon le droict de la guerre, sur tout tenir sa parolle s'il a fait quelque composition: car celuy qui ne la tient est réputé lasche de courage, perd son honneur & réputation quelque vaillant qu'il toit, & jamais ne met on de confiance en luy. Il ne doit aussi user de cruauté ny de vengeance, comme ceux qui sont accoustumez aux actes inhumains, se faisant voir par cela plustost barbares que Chrestiens, mais si au contraire il use de la victoire avec courtoisie & modération, il sera estimé de tous, des ennemis mesmes, qui luy porteront tout honneur & respect. 8/1336 Il ne se doit laisser surprendre au vin, car quand un chef ou un marinier est yvrongne, il n'est pas trop bon de luy confier le commandement ny conduite, pour les accidents qui en peuvent arriver, lors qu'il dort comme un pourceau, & qu'il perd tout jugement & raison, demeurant insolent par son yvrongnerie, à lors qu'il seroit necessaire de sortir du danger, car s'il arrive qu'il se treuve en tel estat, il n'aura moyen de cognoistre sa route, ny reprendre ceux qui sont au gouvernail s'il vont mal ou bien, qui luy fait perdre son estime. Il est aussi souvent cause de la perte du vaisseau, remettant son soing sur l'ignorance d'un qu'il croira estre marinier, comme plusieurs exemples l'ont fait voir. Le marinier sage & advisé ne se doit tant fier en son esprit particulier, lors qu'il est principalement besoing d'entreprendre quelque chose de consequence ou changer de route hasardeuse, qu'il prenne conseil de ceux qu'il cognoistra les plus advisez, & notamment des anciens navigateurs qui ont esprouvé le plus de fortunes à la mer, & sont sortis des dangers & périls, gouster les raisons qu'ils pourront alléguer, toute chose n'estant souvent dans la teste d'un seul (car comme l'on dit) l'expérience passe science. Il doit estre craintif & retenu sans estre trop hasardeux, soit à la cognoissance d'une terre, principalement en temps de brunes, mettre coste en travers selon le lieu, ou mettre un bort sur autre, d'autant qu'en ce temps de brune ou obscur il n'y a point de pilote: ne faire trop porter de voile pensant 9/1337 avancer chemin, qui souvent les fait rompre, & démater le vaisseau ou estant foible de coste, & n'estre bien lesté comme il doit, met la quille en haut. Doit faire du jour la nuict, & veiller la plus grande part d'icelle, coucher tousjours vestu pour promptement accourir aux accidents qui peuvent arriver, avoir un compas particulier, y regarder souvent si la route se fait bien, & voir si chacun de ceux qui sont au quart est en son devoir: doit faire un roole particulier des matelots qui seront destinez pour le quart, & bien départir les hommes entendus en la navigation, qui ayent soin sur ceux qui gouvernent, affin qu'il face tousjours bonne route, & les matelots bon quart, s'il y a suffisamment des soldats, l'un fera en sentinelle sur le devant, l'autre sur l'arriére, & le troisiesme au grand mas avec une lanterne pendue avec sa chandelle entre deux tillacs, pour voir & accourir aux choses qui quelques fois surviennent à l'impourveu. Ne doit ignorer, mais sçavoir tout ce qui dépend des manoeuvres, du moins tout ce qui est necessaire pour appareiller le vaisseau, & mettre en funain prest à faire voile, comme de toutes autres commoditez necessaires pour la conservation dudit navire. Doit estre fort soigneux d'avoir de bons vivres & boissons pour son voyage, & qu'ils soient de garde: avoir de bonnes soutes non humides pour la conservation de la galette ou biscuit, & principalement en un voyage de long cours, & en avoir plus que moins: car les voyages de mer ne se font que suivant le bon ou mauvais temps & contrariété des vents, faut estre bon oeconome 10/1338 en la distribution des vivres donnant à chacun ce qui luy est necessaire avec raison, autrement cela engendre quelques fois des mescontentements entre les matelots & les soldats, que l'on traitte mal, & qui en ce temps là sont capables de faire plus de mal que de bien: commettre à la distribution des victuailles un bon & fidel despensier, qui ne soit point yvrongne, ains bon mesnager, car un homme modeste en cet office ne se peut trop priser. Il doit estre grandement curieux que toutes chose soient bien ordonnées en son vaisseau, tant pour le fortifier que pour la pesanteur du canon qu'il pourroit avoir, que pour l'embellir, à ce qu'il en aye du contentement en y entrant & sortant, & en donner à ceux qui le voyent sur son appareil, comme l'Architecte se plaist après avoir décoré l'édifice d'un superbe bastiment qu'il aura dessigné, & toutes choses doivent estre grandement propres & nettes au vaisseau, à l'imitation des Flamans qui l'emportent pour le commun, par dessus toutes les nations qui navigent sur mer. Doit estre grandement soigneux quand il y a des matelots & soldats, les faire tenir le plus nettement que faire se pourra, & apporter un tel ordre que les soldats soient separez des matelots, que le vaisseau ne soit point embarassé quand il est question de venir en telles affaires de temps en temps, Se souvent faire nettoyer entre les tillacs les ordures qui s'y engendrent, qui occasionnent maintefois un mauvais air, & les maladies accompagnées de mortalitez, comme si c'estoit peste & contagion. 11/1339 Premier que s'embarquer il est necessaire d'avoir tout ce qui est requis pour assister les hommes, avec un ou deux bons Chirurgiens qui ne soient ignorants, comme sont la plus part de ceux qui vont en mer. S'il se peut, faut qu'il cognoisse son vaisseau & l'avoir navigé, ou l'apprendra pour sçavoir l'assiette qu'il demande, & le fillage qu'il peut faire en vingt quatre heures, selon la violence des vents, & ce qu'il peut déchoir de sa route costé en travers, ou à la cappe avec son papefis ou corps de voile pour le soustenir, afin qu'il ne se tourmente, & se soustienne plus au vent. Appréhender de se voir és périls ordinaires, soit par cas fortuit, où quelques fois l'ignorance ou la témérité vous y engage, comme tomber avau le vent d'une coste, s'oppiniastrer à doubler un Cap, ou faire une route hasardeuse de nuict parmy les bans, batures, escueils, isles, rochers & glaces: mais quand le malheur vous y porte, c'est où il faut monstrer un courage masle, se moquer de la mort bien qu'elle se presente, & faut d'une voix asseurée & d'une resolution gaye, inciter un chacun à prendre courage, faire ce que l'on pourra pour sortir du danger, & ainsi oster la timidité des coeurs les plus lasches: car quand on se voit en un lieu douteux chacun jette l'oeil sur celuy que l'on juge avoir de l'expérience, car si on le voit blesmir, & commander d'une voix tremblante & mal asseurée, tout le reste perd courage, & souvent on a veu perdre des vaisseaux au lieu d'où ils eussent peu sortir, s'ils avoient veu leur chef courageux & resolu, user d'un commandement hardy & majestueux. 12/1340 Estre soigneux de faire sonder toutes costes, rades, ports, havres, escueils, bans, rochers & batures, pour en cognoistre le fond, les dangers, ancrages si besoin estoit, ou pour se sçavoir arouter si d'aventure l'on n'avoit aucune hauteur ny cognoissance de terre, dont on doit tenir conte sur son papier journal. Doit avoir bonne mémoire pour la cognoissance des terres, caps, montagnes & gisement des costes, transports des marées, leurs gisement où il aura esté. Ne mouiller l'ancre qu'en bon fond, s'il n'est contraint de soulager ses câbles par tonnes, poinsons ou autres inventions, afin qu'il ne se coupe sur le fond de rocher gallay ou gros coquillage par laps de temps, & se tenir en ce lieu le moins que l'on pourra, si ce n'est par force, & les faire garnir aux ecubiers, de peur qu'il ne se couppe, d'autant que si le câble venoit à faillir on seroit en danger de perdre la vie: c'est sur quoy il faut bien prendre garde à avoir de bons câbles, ancres, grapins, haussieres, & sur tout donner bonne touée s'il se peut, principalement durant le mauvais temps, afin que le vaisseau soit soulagé, & ne soit travaillé ou chasse sur son ancre. N'estre paresseux de faire caller les voiles bas, quand on apperçoit quelque grand vent qui se forme sur l'horison. Prendre garde aussi quand une tourmente arrive, & que le vaisseau est costé en travers, abaisser les matereaux, les vergues basses & bien saisies, comme de toutes autres manoeuvres, démonter le canon si besoin est, & qu'au debat de la mer il ne travaille & ne rompe ses manoeuvres, ou autres choses, saisir bien les canons, si en ne les démonte. Il y a 13/1341 des vaisseaux lesquels s'ils n'ont le grand papefis hors, ils ne se tourmentent pas tant que quand il ne l'ont point, l'expérience fait cognoistre ce qui est requis en cest affaire. Sçavoir bien amarer son vaisseau quand il est dans le port, afin qu'il n'en arrive aucun dommage, aussi ne permettre que l'on porte du feu en iceluy qu'avec lanterne, sur tout où est le magazin des poudres: empescher de petuner entre deux tillacs, car il ne faut qu'une bluette de feu pour brûler tout, comme il arrive souvent par grand mal-heur. Estre curieux d'avoir de bons canonniers, bien entendus aux artifices, & autres choses necessaires à un combat, que toutes choses soient bien appropriées, accommodées & ordonnées en leurs chambres, & tout ce qui despend du canon. Aussi ne doit rien ignorer s'il peut, de ce qui est necessaire pour bastir un vaisseau non seulement, mais en sçavoir les mesures & proportions requises, en le voulant faire de tel port ou grandeur qu'il voudra, en un mot n'en rien ignorer pour en sçavoir discourir pertinemment quand il en sera besoin. Doit estre soigneux à faire estime du vaisseau, sçavoir d'où il part, où il veut aller, où il se treuve, où les terres luy demeurent, à quel rumb de vent, sçavoir ce qu'il deschet & ce qu'il fait à sa route: Il ne se doit point endormir en ceste exercice, qui est grandement suject aux deffauts, c'est pourquoy à tous changements de vents & route, il doit bien prendre garde d'approcher au plus prés de la certitude, car il se voit quelques fois de bons pilotes estre bien decheus en leurs estimes. 14/1342 Doit estre bon hauturien, tant de l'arbalestrile[825] que l'astrolabe, sçavoir en quelle partie marche le Soleil, ce qu'il décline chaque jour, pour adjouster ou diminuer. [Note 825: L'arbalestrille, ou arbaleste, s'appelait ainsi, à cause du rapport que cet instrument avait avec l'arbalète ordinaire. (Voir la description de cet instrument et celle de l'astrolabe dans l'_Hydrographie_ du P. Pournier, liv. IX.)] Comme de l'arbalestrile prendre la hauteur de l'estoile polaire, mettre les gardes à rumb, y oster ou diminuer les degrés qui sont dessus ou dessous le pole, selon le lieu où l'on est. Sçavoir cognoistre la croisade, quand l'on est en la partie du Sud, appliquer ou diminuer les degrés, cognoistre si pouvez quelques fois autres estoiles pour prendre la hauteur, perdant les autres, ou ne l'ayant peu prendre au Soleil, pour ne le voir precisement à midy. Sçavoir si les instruments dont on se sert sont justes & bien faits, & en un besoin d'en sçavoir faire d'autres pour son usage. Doit estre expérimenté à bien pointer la carte, cognoistre si elle est justement faite selon le lieu de son méridien s'il s'y peut confier, combien l'on conte de lieues pour chaque rumb de vent pour eslever un degré: sçavoir les cours & marées, les gisements d'icelles, pour entrer à propos aux havres, & autres lieux où il aura affaire, soit le jour ou la nuict: & si besoin est, estre muny de bons compas & routiers pour cet effect, & avoir des mariniers en son vaisseau qui les sçachent, si par adventure il n'y avoit esté, car cela quelquesfois sauve la vie à tout une esquippage, quand on s'en sert en temps & lieu. 15/1343 Doit tousjours estre muny de bons compas en nombre, principalement és voyages de long cours & avoir pour iceux des roses qui Nordestent & Norrouestent, & autres Nort & Sud, avoir quantité d'orloges de sables, & autres commoditez servant à cet effect. Faut qu'il sçache prendre les declinaisons de l'emant, pour s'en servir en temps & lieu, cognoistre si les aiguilles sont bien touchées & bien posées sur le pivot, la chape droitte, le balensier libre, & si tout n'est bien l'accommoder, & pour cet effect doit avoir une bonne pierre d'emant quoy qu'elle couste, oster tout le fer d'auprès les compas & boussoles, car cela est grandement nuisible. Qu'il sçache treuver le pole de la pierre d'emant, non seulement avec les mesmes aiguilles des compas, si vous ne sçavez qu'elles soient bien touchées: mais il y a d'autres moyens faciles, certains & sans erreur, car il y a des aiguilles, qui touchées Nordestent & Norrouestent du pole de ladite pierre d'emant, deux & trois degrés, qui quelques fois engendrent & causent de grands erreurs en la navigation, & principallement en celles qui sont de long cours. N'oublier souvent, à apprendre les declinaisons de l'aguidement en tous lieux, qui est de sçavoir combien elle décline du Méridien vers l'Est, & Ouest, ce qui peut servir aux longitudes ayant ces observations, & retournant au mesme lieu d'où vous les auriez prises, trouvant la mesme declinaison vous sçauriez où vous seriez, soit en l'hemisphere de l'Asie ou du Pérou, & de ce on ne doit estre negligant, aussi sert pour sçavoir le 16/1344 Méridien du lieu, & appliquer la rose des vents, selon le lieu où vous navigerez: sçavoir tous les noms des airs de vent ou rumb de la rose du compas à naviger. Sçavoir faire des cartes marines, pour exactement recognoistre les gisements des costes, entrées des ports, havres, rades, rochers, bans, escueils, isles, ancrages, caps, transports des marées, les anses, rivieres & ruisseaux, avec leurs hauteurs, profondeurs, les amarques, balises, qui sont sur les écores des bans, & descrire la bonté & fertilité des terres, à quoy elles sont propres & ce que l'on en peut esperer, quels sont aussi les habitans des lieux, leurs loix, coustumes, & despeindre les oyseaux, animaux & poissons, plantes, fruicts, racines, arbres, & tout ce que l'on voit de rare, en cecy un peu de portraiture est tres necessaire, à laquelle l'on doit s'exercer. Sçavoir la difference des longitudes d'un lieu à l'autre, non seulement sur un paralelle, mais sur tous, & mesme de ceux qui different en degrés de latitude, comme seroit de Rome au destroit de Gillebratard, & ainsi de tous autres lieux du monde. Sçavoir le nombre d'or, la concurrence, le cycle solaire, la lettre Dominicale pour chacune des années, quand il est bissexte ou non, les jours de la lune de sa conjonction, en quel jour entre les mois, ce qu'ils contiennent de jours chacun, la difference de l'an lunaire & de l'an solaire, l'ange de la lune, ce qu'elle fait chaque jour de degré, quels signes entrent en chaque mois, combien il faut de lieues en un degré Nort & Sud, ce que contiennent les jours sur chaque paralelle, & ce qu'ils diminuent ou croissent chaque jour, sçavoir l'heure 17/1345 du coucher, & lever du Soleil, quelle declinaison il fait à chaque jour, soit à la partie du Nort ou du Sud, sçavoir en quel jour entrent les festes mobiles. Sçavoir qu'est-ce que la sphere, l'axe de la sphere, l'horison, méridien, hauteur de degré, ligne équinoxiales, tropiques, zodiaque, paralelles, longitude, latitude, zenit, centre, les cercles artiques, antartiques, pôles, partie du Nort, partie du Sud, & autres choses despendantes de la sphere, le nom des signes, des planètes, & leur mouvement. Sçavoir quelque chose des régions, royaumes, villes, citez, terres, isles, mers, & autres telles singularitez qui sont sur la terre, partie de leurs hauteurs, longitudes, & declinaisons s'il se peut, & principalement le long des costes où la navigation se doit estendre, ce que sçachant tant par pratique que par science, je croy qu'il se pourra tenir au rang des bons navigateurs. Outre ce que dessus, un bon capitaine de mer ne doit rien oublier de ce qui est necessaire à un combat de mer, où souvent l'on se peut rencontrer: doit estre courageux, prevoyant, prudent, accompagné d'un bon & sain jugement, recherchant tous les avantages qu'il se pourra imaginer, soit pour l'offensive ou la deffensive, s'il peut se tenir au vent de l'ennemy: car chacun sçait combien cela sert pour avoir de l'avantage, soit pour aborder ou non, la fumée des coups de canons ou des artifices, offusquent quelques fois si bien l'ennemy qu'il se met en desordre, faisant perdre la cognoissance de ce qu'il doit faire, ce qui s'est souvent veu en des combats de mer. 18/1346 Le Capitaine doit prevoir que tous les canons, pierriers, balles, artifices, poudres & autres armes necessaires à combatre ou à se conserver soient en bon estat, maniées & conduittes par gens expérimentez & entendus, pour esviter aux inconveniens qui peuvent arriver, & notamment des poudres & artifices: ne les commettre qu'à des hommes sages & cognoissans, qui sçachent les distribuer & en user à propos: regarder d'y apporter un tel règlement à toutes les affaires, que chacun suyve son ordre, soit pour le commandement des quartiers selon qu'ils seront ordonnés: comme aussi pour les manoeuvres du vaisseau, que quand chacun sera en son quartier qu'il n'en parte, que ce ne soit [que] par le commandement du Chef ou autre qu'il aura ordonné, que pour ce suject tous les matelots & mariniers soient en estat & disposez pour avoir l'oeil aux manoeuvres & voiles, les bien saisir, tant par en bas que par en haut. Les pilotes doivent estre aussi soigneux des choses qui despendent du gouvernail & de ceux qui y seront mis: Aussi que tous les charpentiers & calfasteurs avec leurs ferrements, soient préparez pour reparer le dommage que l'ennemy pourroit faire au combat: Le vaisseau ne doit estre embarassé, pour pouvoir aller librement visiter en bas, & refaire le dommage que le canon pourroit faire sous l'eaue: L'on doit avoir des vaisseaux préparez, pleins d'eaue pour esteindre le feu, si par hasard il arrivoit quelque accident, soit pour le sujet des poudres, artifices, & autres choses. Avoir esgard que les blessés soient secourus promptement par 19/1347 gens destinez à cela, & que les Chirurgiens & quelques aydes soient en estat, & fournis de tous les instruments, qui leurs sont necessaires, comme des médicaments & appareils, avec du feu en un brasier de fer, soit pour cauteriser ou faire autre chose quand la necessité le requerra. Que le chef soit tousjours à l'airte tantost en un lieu tantost en un autre, pour encourager un chacun à son devoir, donner un tel ordre qu'il n'y aye aucune confusion, d'autant qu'en toutes choses cela apporte des dommages notables, principalement en un combat de mer. Le sage & advisé capitaine doit considerer tout ce qui est à son avantage, en demander advis aux plus expérimentez, pour avec ce qu'il jugera estre necessaire & utile, l'exécuter: Aux rencontres & aux effects on ne doit estre nouice, mais expérimenté en l'ordre des combats qui sont de plusieurs façons, d'attaquer & assaillir, & autres choses que l'expérience fait cognoistre plus avantageuses les uns que les autres. _Que les cartes pour la navigation sont necessaires._ Il n'y a rien si utile pour la navigation que la carte marine, d'autant qu'elle designe toutes les parties du monde, avec les costes, rades, ports, rivieres, caps, promontoirs, ances, plages, rochers, escueils, isles, bans, batures, entrées des havres, les amarques & balisses, & leurs profondeurs, ancrages selon les lieux & dangers qui s'y peuvent rencontrer, les hauteurs, distances, & rumb de vent par lesquels l'on navige. Par la mesme on despeinct aussi les ruisseaux, achenals 20/1348 & terres doubles, qui paroissent dans les terres & le long des costes, parquoy je dis que les cartes qui sont exactement faites sans erreur, les reduisant pour les distances au mieux qu'il sera possible du rond au plat: encore qu'il y aye quelque difficulté, néanmoins l'on y peut parvenir pour s'en servir & bien naviger: il faut que les rumbs de la rose des vents soient justement & délicatement tracées, que tous les degrés de l'eslevation soient bien esgaulx, que l'eschelle des lieux corresponde aux degrés de latitude, que tout soit bien en hauteur, & à cecy la portraiture est necessaire pour sçavoir exactement faire une carte en laquelle quelquefois est necessaire de representer beaucoup de particularités selon les contrées ou régions, comme figurer les montagnes, terres doubles qui paroissent, costoyant les costes, Aussi se peuvent despeindre les oyseaux, animaux, poissons, arbres, plantes, racines, simples, fruicts, habits des nations de toutes les contrées estrangeres, & tout ce que l'on peut voir & rencontrer de remarquable, & ainsi il est bien difficile sans carte marine de naviger, c'est pourquoy il est besoin que tous mariniers en ayent de bonnes, avec tous les instruments & autres choses necessaires à la navigation, qu'ils soient justes & bien graduez, comme aussi faut avoir de bonnes Boussoles selon les lieux où l'on voudra naviger. _Comme l'on doit user de la carte marine._ Quand il est question d'entreprendre voyage, il faut voir sur vostre carte le lieu de l'élevation d'où l'on part, & celuy où 21/1349 on veut aller, soit en longitude ou latitude, si c'est en la partie du Nort ou du Sud, & la distance du chemin, les rumbs par où il doit naviger, & les vents qui luy seront favorables: Le tout estant bien consideré levez les ancres, mettez sous voiles, & ayant cinglé quelque espace de temps, s'il arrive quelque contrariété de temps l'on navigera par un autre rumb le plus approchant de la route, & à lors faut considérer le lieu où il se treuve selon l'estime qui sera faite du chemin, tenir bon conte sur le papier journal du changement de route avec la hauteur s'il peut, ou d'estimer au mieux qu'il luy sera possible: Pointer sa carte si l'on veut sçavoir le lieu où on est, conter les lieues du chemin, & ainsi l'on cognoistra où l'on sera descendu ou monté, & l'on regardera les rumbs de vent celuy qui a amené le vaisseau d'où il est party, pour quand on voudra faire l'estime: on doit avoir toutes choses bien calculées, pour sçavoir le chemin que l'on aura fait & dechu de la route, comme il sera montré cy après lors qu'il sera question de pointer la carte marine. _Comme, les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole des Mariniers._ Sur un papier ou carton l'on tracera une rose, ou plusieurs selon l'estendue de la carte, avec les trente deux rumbs, lesquels seront tirés le plus délicatement & nettement que l'on 22/1350 pourra, sur lequel carton aux costés marquerez la quantité des degrés que l'on voudra estendre sur la carte, lesquels contiendront chacun dix-sept lieues & demie, & ferez l'eschelle de dix en dix lieues, qui conviendra aux lieues de degrez, ce que ayant esté observé, ayez aussi vostre Boussole, qui soit selon le lieu de la declinaison du lieu, autrement il y pourroit avoir erreur, prenant un méridien pour un autre: si l'on desire tracer une coste d'un Cap à l'autre, avec les bayes, caps, ports, rivieres, isles, basses, rochers, & autre chose qui peuvent servir de marques pour la navigation d'icelles contrées, avec les sondes, ancrages: Je presupose qu'une coste aille d'un Cap à l'autre selon que montre la Boussole de l'Ouest à l'Est, & que le Cap A, soit à quarante degrés & demy de latitude, poserez un poinct sur ledit carton, à la mesme hauteur de quarante degrés & demy au poinct A, comme l'aurez treuvée sur l'astrolabe, prenez vostre compas, mettant une pointe sur le rumb de vent, qui va de l'Ouest à l'Est, & l'autre que metterez au poinct A, & courant la pointe sur le rumb de vent de l'Ouest à l'Est, jusques au dernier cap vous y marquerez un poinct B, & tirez une ligne de A, B, paralelle au rumb Est & Ouest, ce faict estimez combien il y a de lieues du poinct A, à B, & vous verrez qu'il y a vingt lieues, lesquelles l'on prendra sur l'eschelle, que rapporterez sur le point A, & l'autre poinct sur le rumb de vent tant qu'il se pourra estendre, de ces vingt lieues y marquerez B, qui sera l'estendue d'icelle coste prétendue. [Illustration] 23/1351 On portera la Boussole audit Cap B, lequel chemin se fait avec un bateau, pour recognoistre exactement ce qui sera le long de la coste, où l'on pourra mettre pied à terre pour estre plus asseuré, avoir le gisement de la coste: estant au Cap B, regardez sur la Boussole à quel rumb de vent suit la coste, prenez qu'elle coure au Suest quinze lieues, il faut procéder à ceste seconde scituation comme à la première: prenez le compas, mettez une pointe au poinct B, & l'autre sur le rumb de vent qui est Suest & Norrouest, conforme à la coste qui est le gisement, & tirerez une ligne paralelle au rumb de vent Suest & Norrouest l'on prendra quinze lieues sur l'eschelle & rapporterez une pointe au poinct B, & l'autre sur la ligne au poinct C, distant de quinze lieues: ce qu'estant observé, portez la Boussole sur tous les Caps & autres lieux, y procédant comme au commencement, & s'il y avoit quelques isles, rochers, bans, ou batures en mer, estant à l'un des Caps regardez sur la Boussole à quel rumb demeure l'isle, comme de B, à D, de B, à G, & F, tracez les rumbs des vents esgaux à ceux de la rose des vents, suivant la forme cy dessus, & estant au Cap C, de rechef regardez avec la Boussole à quels rumbs de vent vous demeurent lesdits caps de l'isle, c'est ce qu'il faut premièrement observer: ce qu'ayant veu, vous les tracerez, & où ces rumbs de vent entrecouperont les deux autres, là sera la scituation des Caps de l'isle D, G, F, & la distance sera selon celle de la coste B, C, où il y a quinze lieues, & de B, à D, onze & demie, & à G, autant, à F, dix-huict, & de C, à F, dix, & à G, huict, à D, treize, & ainsi selon la distance des lieux 24/1352 qui seront esloignés de la coste, vous observerez comme aussi tout ce qui se pourra remarquer, faisant tousjours deux scituations, pour sçavoir combien les isles, ou rochers, bans, ou batures sont esloignées de la coste & par le moyen des 25/1353 intercessions qui s'entrecouppent aux rumbs de vent, l'on sçaura la scituation des lieux soit prés ou loing avec la distance. Il ne faut oublier de sonder souvent, & cognoistre les ancrages qui sont marquées en la carte cy dessous, comme est ceste marque, faut mettre aussi le nombre des brasses en chiffres comme vous voyez audit carton. Reprenant le Cap C, & regardant la Boussole à quel rumb de vent suit la coste, recognoissant qu'elle va à l'Est un quart du Nordest vingt & une lieue & demie jusques au poinct H, du poinct H, regardez de rechef comme suit la coste qui va au Nort au Cap I, prés de dix-huict lieues du poinct I, faisant l'Est un quart du Suest, jusques au Cap K, dix-huict lieues & demie, & faisant le Sud un quart du Surrouest, jusques au Cap L, 28 lieues, & dudit Cap faisant l'Ouest Surrouest au Cap M, unze lieues, & ainsi l'on procédera, cherchant les rumbs de vent sur la rose qui est tracée sur le papier ou carton: de ceste façon ferez toutes sortes de cartes à naviger. Je pourrois bien montrer d'autres manières de faire des cartes pour la terre, mais elles ne serviroient pas pour la navigation, d'autant que l'on n'y applique les rumbs de vent selon les Boussoles de la navigation, comme l'on fait à celle de quoy les mariniers se gouvernent, qui doivent estre selon la declinaison des lieux pour estre bien faites, autrement il y auroit de l'erreur si l'on prenoit un autre meridien que celuy qui est audit lieu d'où l'on fait la carte, que l'on ne laisse d'observer sur la terre, mais d'autre façon que le long des costes propres à la navigation. [Illustration] 26/1354 _Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde._ Et d'autant que l'estime que l'on doit faire aux voyages de mer, est très necessaire pour la navigation, bien qu'il n'y aye demonstration certaines, qui fait que beaucoup d'erreurs s'en ensuivent, notamment à ceux qui n'ont beaucoup d'expérience, ne cognoissant bien le cinglage du vaisseau où ils navigent, ou prenant un méridien au lieu d'un autre, pour ne sçavoir observer la declinaison du lieu où il navige, voulant prendre rumb pour un autre qui sera contraire à la route, pour quelques fois y avoir de mauvais gouverneurs, qui font déchoir le vaisseau à vau le vent. Tous ces deffauts en partie ne viennent que pour n'avoir cognoissance des longitudes comme des latitudes, & croy que pour en approcher faudroit prendre souvent les declinaisons de l'aiguille d'aimant[826], qui montre le vray méridien où l'on est comme j'ay dit cy dessus: de plus se voit des transports de marée que si l'on n'y prend garde font déchoir le vaisseau de sa route, outre la violence des tempestes, qui fait aller à vau le vent le vaisseau, prenant un rumb pour un autre, en fin un nombre infiny d'autres accidents qui se rencontrent, empeschent de faire une estime asseurée en la navigation, qui cause la perte d'une infinité de vaisseaux, sans la mort de plusieurs hommes, & le tout par 27/1355 l'opiniastreté de certains navigateurs, qui croyent se faire tort si on les tenoit fautifs en leur estime, ne desirant se communiquer à personne, de crainte qu'on apperçoive leur deffaut, voulant par là faire croire qu'ils ont quelque règle plus asseurée que tous les autres, & tels navigateurs font souvent de mauvais voyages à leur ruine, & de ceux qui sont sous leur conduite. [Note 826: Voir 1613, p. 270, note 1. Quelques auteurs ont cru que la déclinaison de l'aiguille suffisait pour déterminer les longitudes.] On ne doit oublier une chose en l'estime, qui est se faire plus de l'avant que de l'arriére, comme si le vaisseau faisoit deux lieues par chacune heure, luy en donner demy quart ou plus, conformément au chemin de l'estime qu'on fait selon la longueur des voyages, il vaut mieux estre vingt lieues de l'arriére que trop tost de l'avant, où l'on se pourroit treuver sur la terre ou en danger de se perdre, comme il arrive à plusieurs vaiseaux faute de ne se donner garde, qui pensant estre bien esloignez de terre, faisant porter en l'obscurité de la nuict, aux temps des brunes, ou d'un grand orage, où ils n'ont point de veue, & se treuvent estonnez qu'ils se voient à terre, & s'il y a de quoy sonder au lieu où l'on va, que l'on sonde un jour plustost que plus tard, & si l'on espere la treuver ayant jecté le plomb, continuez de quatre horloges en quatre, en la nuict ou temps de brune, c'est le moyen d'eviter les périls, car l'on ne sçauroit trop appréhender ce que l'on ne voudroit voir, d'autant qu'il ne se fait jamais deux fautes en telles navigations: aussi si avez à doubler quelque cap ou isle la nuict ou durant la brune, prenez tousjours un demy quart de vent plus vers l'eaue pour eviter la terre, ou si quelque marée portoit dessus, prenez plustost un rumb entier: Le jugement du 28/1356 marinier doit aviser à cela plus ou moins selon la violence des marées, & si l'on navigeoit dans les mers où il y a des glaces, & en doutant; prenez garde tout le jour, & ayez des matelots à la hune pour descouvrir, & si n'en voyez le jour ou la nuict allez à petit voile, & si la brune est ou qu'il face noir en lieu douteux, mettez à l'autre bort, ou amenez tout à bas, attendant que l'air soit clair & serain, & si vous en voyez, allez discrettement, & ne vous y engagez mal à propos: La nuict ne faites porter pour eviter le danger, jusqu'à ce qu'en soyez hors, & que l'on ne s'opiniatre de le faire inconsiderement parmy ses dangers, comme quelques fois je me suis veu dix-sept jours enfermé dans les glaces, & sans l'assistance de Dieu nous nous fussions perdus, comme d'autres que nous vismes faire naufrage par leur témérité. C'est pourquoy le sage marinier doit craindre autant les inconveniens qui peuvent arriver, comme ce qui est de l'estime, à laquelle les plus anciens navigateurs sont les plus experts, pour ce suject je traitteray de la différence des estimes cy après. _Premier que, rapporter les diverses estimes l'on verra une chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donné aux hommes pour eviter les périls de la plus part des navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du marinier._ Dieu tout sage, tout bon, tout puissant, prevoyant que les hommes qui cinglent par les mers de ce grand Océan, couroient 29/1357 mil périls & naufrages, s'il ne les assistoit de quelques enseignements, qui les peussent garantir de la mort, & perte de leurs vaisseaux: puisque l'homme n'avoit des certitudes asseurées en ses navigations par les longitudes, & que nul ne se doit travailler en ceste vie pour ce suject, d'autant que ce seroit en vain, comme plusieurs l'ont expérimenté de nostre temps, il y a assez de demonstrations & escrits sans effects solides & arrestez. Or Dieu autheur de toutes choses, comme il ne luy a plu donner ceste cognoissance, il a donné un autre enseignement, par lequel les mariniers se peuvent redresser de leur estime, evitant les périls qu'ils pourroient courir beaucoup plus qu'ils ne font, si ce n'estoit cette providence Divine. C'est chose asseurée que les hauteurs que l'on prend tant par le soleil que par l'estoile polaire & autres, donne une cognoissance certaine du lieu où l'on part, jusqu'à celuy où l'on va, & où l'on est: pour ce qui est des latitudes qui radressent le marinier, mais non l'espace du chemin qui ne se fait que par estime hormis du Nort au Sud, on estime estre une chose dont on n'est pas bien certain de la distance qu'il y a d'un lieu à autre, ou de quelque nombre ou chose semblable: que si le navigateur estoit asseuré de sa route, il ne l'estimeroit pas, ains diroit plustost le poinct de certitude où se treuve le vaisseau quand il voudroit poincter la carte. On use encore d'une autre manière de parler, qui est quand l'estime ne se treuve bonne, il faut l'amander, & n'y a de règle certaine non plus qu'en l'estime, c'est ce que je n'ay peu sçavoir ny apprendre d'aucuns mariniers, avec lesquels j'ay 30/1358 communique, sinon que tout se fait avec des règles de fantaisie, qui sont différentes, les unes meilleures que les autres, dequoy il faut estre grandement soigneux en la navigation. C'est pourquoy les plus experts & anciens navigateurs, ont cognoissance plus parfaite aux estimes, & autres accidents qui arrivent à la mer, que les autres qui souvent s'en font plus à croire qu'ils ne sçavent. Or comme dit est, il y a des marques asseurées à la navigation, qui sont oposees aux dangers que l'on pourroit encourir, & si certains que quand l'on les cognoist, le marinier se rejouist, & ceux qui sont avec luy, comme s'ils estoient ja arrivez au port de salut, soulagé de tous les soins & estimes passées, recognoissant les fautes qu'il avoit peu faire, comme s'il estoit trop de l'avant ou trop peu de l'arriére, & par ce moyen se gouverner & amander une autrefois son estime, & à bien pointer sa carte: peu à peu on se forme, en pratiquant souvent l'on se rend plus certains en la navigation. Voyons quelles sont ces amarques & enseignements, commençons par ceux de la Nouvelle France Occidentale. Il y a entre elle & nous un lieu qui s'appelle le grand ban, où nombre de vaisseaux tant François que Estrangers vont faire la pesche de molue, comme à la terre ferme & isle d'icelle, qui s'y prend en partie de ces lieux en toute saison, manne qui ne se peut estimer tant pour la France qu'autres Royaumes & contrées, où il s'en fait de très grands & notables trafics. Ce grand ban tient du quarante & uniesme degré de latitude jusqu'au cinquante & uniesme sont quatre vingts dix lieues, il est Nordest & 31/1359 Surrouest, suivant le rapport des navigateurs par le moyen des sondes, ce qui ne se pouvoit faire autrement, & sa largeur en des endroits comme sur la hauteur de 44 à 46 degrez à 50, 60, & 70 lieues quelque peu plus ou moins, selon la hauteur: & de ceste largeur allant au Nort il va en diminuant peu à peu, & du 44e degré au 42e il se forme à peu prés comme une ovale, où au bout il y a une pointe fort estroitte, ainsi que le representent tous les mariniers du passé, par le nombre infiny des sondes qu'ils y ont jettées, qui peu à peu en ont fait cognoistre la figure, tant de ce ban que d'autres, qui sont à Ouest & Ouest Norrouest d'iceluy comme le banc avert, & les banquereaux & autres qui sont peu esloignez de l'isle de sable, premier que venir à ce grand ban de 25 & 30 lieues en mer. Il se voit de certains oyseaux par troupes qui s'appellent marmétes, qui donne une cognoissance au pilote qu'il n'est pas loing de l'escore du ban, qui sont les bords, alors l'on appreste le plomb & la sonde pour sonder, jusqu'à ce que l'on parvienne à ceste escore, pour cognoistre quand l'on sera proche d'entrer sur le grand ban, ceste sonde se jette de 6 en 6 heures de 4 en 4 de 2 en 2 ainsi que le pilote en croit estre proche ou esloigné: or il cognoist quand il est à l'escore au fond où il y aura en des endroits 90, 80, 70, 65, 60 & 50 brasses d'eaue, un peu plus ou moins, selon la hauteur où il se treuverra, & estant sur le dit ban, il treuvera 45, 40, 30 & 35 brasses d'eaue, un peu plus ou moins selon la hauteur. A ce deffaut la sonde aux expérimentez qui donne cognoissance où il est, & est certain que premier que voir la terre, il doit 32/1360 passer sur ce ban, qui luy fait cognoistre la distance du chemin qu'il a à faire, & asseuré de ce qu'il a fait, bien que son estime fust fautive, lequel ban est esloigné de la plus prochaine terre de 25 lieues, qui est le Cap de Rase, sur la hauteur de 46 degrés, & demy, tenant à l'isle de Terre Neufve, & entre le ban & la terre il y a grande profondeur, qui donne cognoisance que l'on est passé l'escore du ban de l'Ouest, Norrouest. De plus qu'estant sur ce grand ban, on y voit des marques certaines, par le nombre infiny d'oyseaux, qui sont comme fauquests, maupoules, huars, mauves, taillevent, poingoins ou apois, & quelques autres qui la plus part suivent les vaisseaux pescheurs qui prennent la molue, pour manger les testes & entrailles du poisson que l'on jette à la mer: tout cecy se faict cognoistre comme dit est, où l'on est, qui donne un grand contentement à un chacun: Le marinier ayant pris sa hauteur, ce qu'il ne doit négliger en aucune façon, ou s'il n'a bonne hauteur qui revienne à son estime, ce qu'il pensera avoir fait, ou s'il a cognoissance de la sonde il fera sa route pour gaigner le lieu où il desire aller: & le navigateur prevoiant par estime qu'il est proche de debanquer, il fait jetter la sonde jusqu'à ce qu'il ne treuve plus de fond, ou pour le moins grande profondeur, comme de 100, 130 ou 140 brasses d'eaue, faisant quelque chemin, comme 10 en 12 lieues l'on rencontre le Ban Avert qui conduit la sonde, jusqu'au travers des isles sainct Pierre, separées de l'isle de Terre-Neufve 5 à 6 lieues, ou bien passerez par autres bans appellez les banquereaux, qui 33/1361 donnent parfaite cognoissance avec la hauteur où l'on est, & ainsi asseurement l'on fait sa route depuis ledit grand Ban. Mais si la hauteur n'est asseurée que par estime du ban, l'on tasche le mieux que l'on peut d'aller cognoistre la terre pour s'arouter avec certitude, comme le Cap de Rase, saincte Marie, isles sainct Pierre, ou autres caps, attenants à ladite isle de Terre-Neufve, ou quelques batures qu'aucuns, cognoissent à la sonde & au poisson qui s'y pesche, & ainsi cherche lieu certain pour s'adresser & asseurer de la route, & allant recognoistre ces terres, que ce ne soit durant la brune ny de nuict: il y faut aller sagement & discrettement faisant faire bon quart, se donner garde des marées suivant le lieu où l'on est. Ceux qui partent du ban, beaucoup y en a qui sainct Pierre ou cap de Raye, tenant à ladite isle de Terre-Neufve, entre l'isle sainct Paul ou Cap sainct Laurent, tenant à l'isle du cap Breton, pour entrer au golphe sainct Laurent, ainsi que chacun desire faire sa route. Et si l'on desire aller à la coste d'Acadie, Souricois, Etechemins, & Allemouchicois, l'on peut aller recognoistre le Cap Breton ou les isles de Canseau, l'Isle Verte, Sesambre, la Heve, Cap de Sable, Menasne, Isle Longue, & celle des Monts Deserts, ou le Cap-blan, proche de Mal Barre terre basse, à 20 & 25 lieues vers l'eau on à la sonde à 50 brasses fond attreant, venant à la terre, marque que Dieu a donnée aux navigateurs pour ne se perdre, pourveu qu'ils ne soient point paresseux ny négligents de sonder. 34/1362 Toutes cesdites costes & caps, cy dessus nommez, ne sont esloignez dudit grand Ban jusqu'au cap Breton que de 100, ou de Canseau 120 lieues, entre deux est l'Isle de Sable, sur la hauteur de 43 degrés & demy de latitude 25 à 30 lieues du Cap Breton, Nort & Sud, fort dangereuse & baturiere, de laquelle l'on se doit donner garde: les marées portent sur icelle venant du Nort & Nornorrouest. De façon que la navigation qui se fait en ces païs là est comme asseurée sans courir beaucoup de risque, encores que les estimes ne soient bien certaines pour les cognoissances cy dessus dites, on sçait où l'on est, refaisant une nouvelle, comme si on partoit d'un port, & l'ignorance d'un marinier qui a passé une ou deux fois seroit bien grande, si en 125 lieues qu'il y a du grand Ban aux costes de la Nouvelle France, fit tant d'erreurs en son estime, qu'il ne sceut se donner garde d'aborder la terre, où il iroit souvent sans la cognoissance dudit grand Ban, qui occasionne que tant de vaisseaux ne se perdent, comme ils feroient, si cela n'estoit, ce qui r'adresse le marinier de son estime. Et pour les navigations qui se font de la Nouvelle France Occidentale, aux costes de France, Angleterre, & Irlande, il y a des marques & enseignements en la mer, de la sonde que l'on l'apporté [827] de 55 & 30 à 25 lieues en mer en des endroits, suivant la hauteur où l'on se treuve, donne à cognoistre le lieu où l'on est, le chemin que l'on a à faire & la route que l'on doit tenir, refaisant nouvelle estime, & si la hauteur 35/1363 n'est que par estime, les anciens navigateurs par une longue pratique tant du passé que de l'heure presente recognoissent le fond des sondes, si c'est rocher sable d'orloge, ou vaseux, argile, coquillage, autre fond à grain d'orge, pailleteux, petits gravois, & ainsi d'autres noms qu'on donne pour cognoistre la différence des fonds, à ce joincte la profondeur de tant de brasses, il cognoisse le lieu où ils sont, & la route qu'ils doivent tenir, soit pour aller aux costes de France, Angleterre ou Escone, & s'ils ne sont mariniers bien cognoissants à ces sondes, il arrive qu'au lieu d'aller en la manche, ils vont celle de sainct George tres-mauvaise, si l'on n'en a la cognoissance qui est au Nort de Sorlingues & costes d'Angleterre: d'ailleurs il est à craindre comme les costes de Bretagne, mais si le temps est beau, il n'y a rien à apprehender, & si en si peu de chemin de 55, 30 & 25 lieues, on fait une si mauvaise estime, pour aller aborder la terre: le marinier seroit bien neuf & ignorant en ce qui seroit de la navigation, & par ainsi se recognoist la providence de Dieu, & enseignements qu'il donne aux mariniers, pour se conserver & les soulager des estimes. [Note 827: _Que l'on l'apporte_? ou peut-être _que l'on a la portée de...?_] De plus, ce qui soulage grandement le marinier, est qu'és costes d'Espagne il y a grande profondeur d'eau, & la plus part des terres fort hautes qui se peuvent voir de loing aux mariniers, qui fait que l'on n'en approche que selon que le navigateur desire il n'y a que la brune ou la nuict qui le pourroit endommager, & diray qu'en ce temps de brune on en approcheroit de fort prés, pour estre la coste saine, & eviter 36/1364 le péril, & remettre à la mer, que l'on ne seroit si aysement à une terre basse où l'on seroit dessus premier que se pouvoir garantir, ce qui arrive par l'estime du pilote qui croyoit estre trop de l'arriére, au contraire il se faut tousjours faire plus de l'avant. Or quoy que s'en soit l'on a des enseignements, premier qu'arriver à terre, soit par sondes, hostes, terres, oyseaux, herbiers, qui se rencontrent en d'aucunes mers, poissons, changement de temps, saisons, & plusieurs autres marques, desquelles les navigateurs ont cognoissance, qui soulagent fort l'estime du pilote avec de grandes consolations: que si ces marques & enseignements n'estoient en la mer, la navigation seroit beaucoup plus perilleuse & suject aux risques qu'elle n'est, car en un bon vaisseau il n'y a à craindre que la terre & le feu, c'est pourquoy quand on est entre des terres & proche des costes, il faut estre grandement soigneux de dormir plus le jour que la nuict, prendre garde aux transports des marées pour eviter le lieu où elles vous pourroient porter, afin que quand vous arriverez au port de salut, vous rendiez grâces à Dieu. Or voions les estimes des navigateurs très necessaires au marinier, si on ne les a prises si justement, au moins en approcher à peu prés, à ce qu'il aye cognoissance pour le pouvoir r'adresser, pour ce qui est des distances des longitudes, qui seroient très asseurées, s'il se rencontroit un instrument si juste qu'il peust enseigner la vraye esgalité de l'heure, continuant sans erreur (comme il sera dit cy après,) que nous aurons monstré comme selon mon sentiment l'on se devroit gouverner à dresser les papiers journaux, & celuy de l'estime. 37/1365 Ayez deux livres journaux, l'un pour les estimes particulières, & l'autre pour les discours des rencontres, & de ce qui se passera pendant les voyages, celuy des rencontres se fera en ceste manière. Le 20 de May, sommes partis d'un tel lieu, par la hauteur de 49 degrés de latitude, à quatre heures du matin, sur les deux heures après midy nous avons fait rencontre de quatre vaisseaux Holandois, qui nous dirent venir du destroit, ayant fait rencontre de deux autres de guerre à 20 lieues de Ourisant, & fait chasse sur eux, mais comme estant meilleurs voiliers s'estoient sauvez, croyant estre Turcs, & ainsi plusieurs autres choses, & qui se rencontrent de jour en jour. Et le papier ou livre journal des estimes doit estre particulier, comme il s'ensuit à la table cy dessous, qui n'apportera nulle confusion au navigateur, au contraire un grand soulagement de voir tout par ordre, & pour promptement calculer son estime, pour les tracer sur sa carte ou carton, ainsi que bon luy semblera, l'on ne doit manquer de deux heures en deux heures, à arrester l'estime à ladite table cy dessous, du chemin que fait le vaisseau en premier lieu. _Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au papier journal._ Au dessus est le long de la première colomne, & le long d'icelle escriverez le mois, le jour & l'heure, que sortira le vaisseau du port ou autre endroit, au premier quarré sont les 38/1366 heures de deux en deux jusques à douze, & recommencer deux jusques à autre douze qui feront 24 heures, d'un midy à autre, qu'assemblerez les lieues de vostre estime, & pointer vostre carte pour sçavoir le lieu où sera le vaisseau, au deuxiesme est le rumb de vent sur lequel l'on navige. Le troisiesme sont les lieues du chemin de l'estime. Au quatriesme le rumb de vent qui fait cingler le vaisseau. Au cinquiesme, la hauteur où se treuvera le vaisseau: or notez que si partez à quatre heures du matin ou du soir, commencez à conter les lieues de chemin. Au deuxiesme quarré où est marqué 4 heures, d'autant que de 4 à 6 il y a deux heures, afin de rencontrer le midy ou la minuict, pour se treuver en l'ordre de douze heures, pour venir à 24, où finira l'estime. Ne faut oublier d'estre soigneux à toutes les fois que l'on peut, de prendre la hauteur & pointer la carte d'un midy à l'autre d'autant que l'on ne sçauroit estre trop exact & diligent. Comme si je sortois du port par les 49. degrés de latitude, à quatre heures du matin, je recognois que navigeant à Ouest un quart au Norrouest, estimant faire deux lieues par heure, j'escrits deux lieues en la colomne deuxiesme, & allant estimans jusqu'à douze lieues lesquelles venues je prens la hauteur s'il m'est possible, la prenant je treuve 48 degrés & 50 minutes, que je mets à la sixiesme colomne vis à vis de 12 heures, assemblant le chemin de l'estime que j'ay fait depuis 4 heures du matin jusqu'à midy, je treuve qu'il y a 9 heures qu'il faut doubler & font 18 lieues de chemin, que marquerez sur la carte. Arrestez le poinct jusqu'au lendemain que ferez 39/1367 le semblable, chose facile si l'on desire s'en servir, car je n'ay point veu que fort peu d'estimes qui ne soient en quelque confusion au papier journal des rencontres, menant l'un avec l'autre, ce qui donne de la peine & plus de soing, qu'il faut éviter en cela le plus qu'il est possible, en mettant le tout par ordre, comme il suit cy dessous en ceste table, qui n'est que pour 24 heures, continuant la route de midy jusqu'à mi nuict, je treuve avoir fait 12 lieues trois quarts qu'il faut doubler, & qui font 25 lieues & demie qu'avez faict, & de minuict l'on continuera jusqu'au l'endemain à midy, qu'arresterez l'estime & pointerez la carte, & ainsi tousjours continuerez l'ordre de ceste table cy dessus jusqu'à la fin du voyage. +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | Heures | Rumb pour la route | Lieues | Rumb pour le vent | Degrés | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 2 | | | | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 4 | A Ouest 1/4 NO | 2 | Le vent Nort | 49° | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 6 | A Ouest | 2 | Le vent Nort | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 8 | A Ouest 1/4 SO | 1 1/2 | Vent Nort 1/4 NE | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 10 | A Ouest 1/4 SO | 1 1/4 | Le Vent NO | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 12 | Au SO 1/4 Ouest | 2 | Vent NO 1/4 Nort | 48° 50'| +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 2 | Au SO 1/4 Ouest | 1 | Vent NO 1/4 Nort | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 4 | Au Surouest | 3/4 | Ouest Norrouest | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 6 | A Ouest 1/4 NO | 2 1/2 | Vent Nort | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 8 | A Ouest | 2 1/2 | Vent Nortnordest | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 10 | A Ouest | 3 | Vent Nordest | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ | 12 | A Ouest | 3 | Vent Est Nordest | | +--------+--------------------+--------+-------------------+--------+ 40/1368 _S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son estime, & pointer la carte._ Si un vaisseau sortoit d'un port qui fut sous la hauteur de 46 degrés de latitude, & navigeant par le rumb de l'Ouest Surouest, il faudroit sçavoir precisement l'heure qu'il sortiroit du port, & au préalable l'heure qu'il seroit quand il voudroit estimer le chemin qu'il auroit fait, & considerant le temps qu'il y a entre deux, par quelques bons instruments ou horloge la différence de ces deux lieux seroit la longitude, & ceste différence de temps reduitte en degrés de l'Esquinoctiale, qui seroit donner pour quatre minutes de temps un degré, qui en vaut 15 par heure, & en contant les lieues des degrés suivant le paralelle où se treuve le vaisseau, vous sçaurez s'il a déchu du rumb de vent de l'Ouest Surouest, soit plus à l'Occident ou moins à l'Orient. Par exemple un vaisseau partant d'un port de 46 degrés de latitude à midy, & ayant navigé à Ouest Surouest 91 lieues, s'il a faict chemin, il se treuvera deux degrés plus aval, posé le cas que l'on ayt estimé ce chemin, sçachant la hauteur certaine de 44 degrés, il se peut faire qu'il sera plus ou moins sur ledit paralelle, selon le dechet que peut avoir fait le vaisseau. Le soleil estant à son méridien regardez aussi tost à l'instrument ou horloge, le midy de ce lieu, & regardez la différence qu'il y a du midy ou l'on est party, & celuy où l'on se treuve, qui fait la distance du chemin qui sera d'un tiers d'heure, qui font cinq degrés, qui reviennent à 66 lieues 41/1369 à 12 & demie, & quelque peu d'avantage par chaque degré de longitude, sur le paralelle de 44 degrés de l'élévation où se treuve le vaisseau, il se voit qu'il a déchu du rumb de vent Ouest Surouest, & a cinglé à un autre, comme au Surouest un quart d'Ouest, bien que selon la Boussole il sembloit aller à Ouest Surouest, d'autant que si le vaisseau avoit navigé ce que le pilote avoit estimé, il auroit treuvé la différence du midy d'où il est party, à celuy où il pensoit se treuver, qui eust esté demie heure, ne s'estant treuvé qu'un tiers & se trouveroit 25 lieues de l'arriére, moins que ce qu'il avoit estimé: par ce moyen se cognoist le dechet du vaisseau, & la certitude du lieu où il se treuve, mais il est difficile de treuver des instruments justes, ou des horloges qui ne s'altèrent peu ou beaucoup, ce qui feroit commettre de grandes fautes & erreurs par succession de temps. Quoy que s'en soit il est très necessaire au navigateur se servir de l'estime pour le soulagement de la navigation qui se fait en plusieurs manières, mais aucun ne donne cognoissance de l'erreur que l'on y commet, mais bien comme l'on doit pointer la carte comme fait Medigne, que la pluspart des navigateurs suivent, qui est bonne pour pointer, mais non comme l'on doit amander la faute de l'estime, laissant cela à la sagesse & discretion du marinier, comme il se voit cy dessous. 42/1370 De pointer la carte. Que l'on regarde d'où est party le vaisseau, où il se treuve, que l'on prenne deux compas, mettant la pointe de l'un d'où est party le vaisseau, & l'autre sur le vent qui l'a amené, prenez l'autre compas, mettez une pointe aux degrés de la hauteur que l'on a treuvé, & l'autre pointe sur le plus proche vent d'Est, & s'ils viennent à rencontrer les deux compas sans s'esgarer, les deux pointes qui viennent sur les vents, l'un qui amené le vaisseau, & l'autre sur l'Est, où les deux pointes de compas viennent à se joindre, à sçavoir celle qui fut mise d'où partit le vaisseau, & l'autre en la hauteur où il se treuve, considerant le poinct auquel il se rencontre, & mesurez combien de lieues l'on conte par degrés, & ayant veu combien de degrés il aura monté ou descendu depuis le lieu d'où il est party, jusques où il se treuve, il contera les lieues que montent les degrés, & si les lieues des degrés correspondent aux lieues du chemin, l'estime sera bonne si on regarde d'où vient la faute. Deux choses sont à presupposer, en premier lieu que le navigateur aye toujours navigé droictement sur le rumb de vent qu'il a estimé sans s'esgarer, l'autre que l'estime convienne à la hauteur qu'il trouverra, cela estant asseuré il y aura apparence que tout ira bien, si les lieues des degrez correspondent au chemin que l'on aura estimé sur ledit rumb, à tant de lieues pour elever un degré, ce qui arrive peu souvent. 43/1371 Posons le cas qu'un vaisseau cinglast par un mesme rumb, il pourra arriver que l'on l'estimera avoir fait 50 lieues, & considerant la hauteur suivant le chemin, en contant tant de lieues pour elever un degré, l'on croira estre à ce poinct, prenant la hauteur l'on trouverra demy degré moins au Sud, & l'on cognoist par là que l'estime n'est bonne, comme si l'on trouvoit en 50 lieues de chemin, avoir descendu deux degrés par le rumb Surrouest, neantmoins par la hauteur que l'on treuve, il se voit un tiers de différend, & si on recognoist qu'il a trop estimé l'on doit amander ceste faute, où s'il treuvoit un tiers de degré plus que les deux degrés, l'on aura assez estimé, ce que recognoissant que l'on voye sur le Surrouest ce que vaut un tiers, il fera 8 lieues & un tiers, que l'on rabatera de 50 qu'il avoit estimé, restera 41 lieues & deux tiers qu'il a fait, & un degré & deux tiers qu'il aura descendu: si l'on treuve un tiers plus au Sud que les deux degrés, il faudra adjouter à 50 lieues 8 & un tiers, pour faire deux degrés & un tiers, le vaisseau ayant navigé 58 lieues & un tiers, qui est 8 lieues & un tiers qu'il a fait plus qu'il n'avoit estimé, il n'y a point de doute quand le marinier navigera en asseurance d'un rumb sans deschoir, en prenant une asseurée hauteur, convenant à celle que l'on estime, il aura contentement en sa route, tant en la partie du Nort que du Sud. Ceste difficulté ostée, il s'en presente une autre plus pénible & difficile, où l'on se treuve bien empesché, pour apprendre quelque règle extraordinaire, qui feroit sçavoir combien de lieues on sera decheu d'un rumb, par lequel on navigé avec 44/1372 contrariété de mauvais temps, qui ne se peut juger que par estime, comme si on navigeoit à Ouest par le vent Nornorrouest, l'on jugera le dechet selon la violence des vents plus ou moins, c'est icy après avoir fait plusieurs & longues bordées que l'on fait l'estime qu'on arreste sur la carte ou papier journal, prenant un rumb pour un autre, le vent venant devant comme à Ouest du tout contraire à la route, le vaisseau ne peut plus courir que bordes à autres, au Sud Surrouest, & au Nornorouest, pour ne s'esgarer de sa route, tenant le mieux que l'on peut sa hauteur. Il ne laisse en ces contrarietez de dechoir soit du costé du Nort ou du Sud, & pourroit deriver au Suest ou au Nord est si la violence des vents est si grande, au lieu d'avancer chemin reculer de sa route, & estre contrainct pour ne perdre chemin sous voile, d'amener tout bas, amarer la barre du gouvernail sous le vent, & bien saisir toutes les manoeuvres qui peuvent travailler le vaisseau, comme amener bas les matereaux de hune, & saisir les vergues, roidir quelques fois les hauts bans quand ils sont trop lasches, comme le canon qu'il faut bien tenir en estat, pour eviter tout desordre. Il y a des vaisseaux qui ne se peuvent soustenir, s'ils n'ont le grand corps de voile au vent, le marinier en cela cognoistra ce qui est necessaire pour son vaisseau, estant quelques jours, en cet estat fâcheux, agité du vent, de pluyes, brunes, & autres contrarietez ennuieuses à la navigation. Le vent venant à s'adoucir, la mer de furieuse & mauvaise qu'elle estoit se calme, l'air devient clair, & nettoyé de nebuleuses & orages, 45/1373 le vaisseau se soulage, l'on met les voiles au vent, on reprend sa route, les voiles ne se rompent, & les manoeuvres n'endurent, le vaisseau fait son cinglage doucement, avec fort peu de dechet, l'estime aisée à faire, l'on n'a soucy comme quand le vaisseau estoit agité, chacun se réjouit sans se resouvenir du passé. Le marinier doit rapporter sur la carte toutes les routes dont il a deu tenir conte exactement, comme de ce qu'il aura decheu d'un bord sur l'autre, & cela fait il doit pointer sa carte pour sçavoir le lieu où il est. Or comme ces routes se rapportent par l'estime d'un navigateur grandement expérimenté, ne se trouvera en la mesme peine que d'autres qui font les entendus, quoy que peu expérimentez, qui pour discourir n'en voudroient ceder aux plus experts & anciens navigateurs, c'est pourquoy on doit bien regarder à qui l'on donne la conduicte d'un vaisseau, pour les grands périls & dangers qu'il y a, qui s'evitent plustost par les bons capitaines de mer ou pilotes, qui sçavent comme ils se doivent gouverner & les routes qu'il faudroit tenir. Voicy une manière de pointer la carte, qui m'a tousjours semblé bonne. _Autre manière d'estimer & arrester le poinct sur la carte._ Prenez un carton ou papier blanc, sur lequel tracerez au costé des degrés de latitude, suivant le voyage que l'on fera, chacun contenant 17 lieues & demie, & faire l'eschelle des lieues conforme à celle des degrés: au milieu du carton 46/1374 tracerez une ou deux roses de compas, suivant la distance du chemin qu'aurez à faire, pour plus facilement compasser quand il en sera besoin. Les 32 rumbs de vents estans exactement tracés, ayez d'autre part vostre papier journal des estimes, sur lequel d'heure en heure & de jour en jour ferez conte du chemin qu'aurez fait, & n'oublier, comme dit est, de prendre hauteur tous les jours s'il vous est possible, ce qui sert de beaucoup, & de 24 en 24 heures pointer la carte, pour voir le lieu où vous ferez, ce qui se fera en cette manière: Sur le carton où seront tracez les rumbs de vents & les degrés, considerez la hauteur d'où vous partez, comme celuy où vous devez aller, & le rumb de vent qui est necessaire, avec celuy qui fait cingler le vaisseau, duquel devez cognoistre l'assiette si pouvez, ou l'expérience vous l'apprendra. Cela fait allez à la grâce de Dieu, & suivez vostre route qui sera à Ouest, Norrouest partant du port qui sera par 46 degrés de hauteur, soit que l'on aye navigé 91 lieues à ce rumb de vent, qui sont deux degrés que j'ay monté plus au Nort: me trouvant à 48 de latitude, il arrive que le vent vient à changer, contraire à ma route je cherche en ma carte le rumb de vent, le plus proche de ma route pour y naviger, ayant fait à Ouest Norrouest 91 lieues, je trace ceste route sur le carton, & d'autant que je ne puis naviger par ce rumb, je vay par celuy du Norrouest, & y fais sur le rumb 25 ce qui me fait monter un degré de plus: quand de rechef il arrive du changement de temps. Et d'autant qu'il me faut aller par 50 degrés de latitude, & faire 180 lieues pour parvenir du lieu d'où je suis party, je prend en un autre rumb la terre où je veux 47/1375 aller, presque à Ouest un quart au Norrouest, de hauteur 49 degrés & 65 lieues de chemin à faire, je fais l'Ouest un quart au Norrouest, 45 lieues qui m'esleve demy degré, & me treuve de hauteur 49 degrés & demy, reste 23 lieues à faire, le vent se leve du tout contraire, qui fait que je mets le cap au Norrouest un quart du Nort, qui ne me vaut que le Nort un quart au Norrouest, je cingle sur iceluy 18 lieues, qui fait que j'esleve demy degré plus que 50 qui fait 50 & demy, le lieu où je desire aller me demeure à Ouest Surrouest 19 lieues, delà vient que le vent se trouve si contraire & violent que je ne puis soustenir qu'avec le grand corps des voiles mettant le cap au Sud, ne m'avallant que le Suest, ayant demeuré 4 jours en cet estat, ayant fait quelques 50 lieues, ce qui m'a reculé de la route, je treuve selon l'estime 48 degrés & demy: on veut sçavoir le lieu où l'on est, & ce que le vaisseau a fait de chemin, & où demeure la terre où l'on desire aller, & quelle distance il y a, & du lieu où se suis party, sçachez qu'à mesure que l'escriverez au papier journal, l'on doit tracer toutes les routes que l'on aura faites suivant l'estime. Or du dernier point où est le vaisseau qui est 48 degrés & demy, tirez de ce centre ou lieu deux lignes, l'une d'où vous estes party de 46 degrés, & l'autre où desirez aller à 50 voyez ces deux lignes, quels rumbs de vent ce sont, & combien l'on y conte de lieues pour elever un degré, suivant que seront lesdits deux rumbs, & si les lieues du chemin faites ou à faire, conviennent justement avec la hauteur des degrés 48/1376 l'estime sera bonne, ce que verrez sur le carton, & treuverez que l'on est esloigné du lieu où l'on se treuve, sçavoir que Ouest Norrouest est la route qu'on doit tenir à peu prés, pour aller au 50 degré & 60 lieues de chemin à faire, & la terre d'où vous estes party, demeure à l'Est Suest de distance qu'avez fait 125 lieues n'estant que cinq lieues plus au midy de la droite route que je devois tenir du port de 46 degrés, il faut que vous ayez pris la hauteur, d'autant que cela vous r'adressera si vous avez trop ou trop peu estimé pour amander le deffaut s'il s'en treuve, & par ce petit carton vous verrez toutes vos routes, le chemin & dechet qu'aurez fait en la navigation, ceste demonstration est facile & bonne quand elle est bien entendue. _Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs._ Ils tracent sur un papier ou carton une rose de compas avec les 32 vents, & s'ils navigent au Nort 20 lieues, ils marquent sur le rumb de vent au carton qui est Nort, 20 lieues, s'ils navigent au Nortnorrouest 30 lieues, ils les mettent sur ce mesme rumb de vent, & ainsi consecutivement à tous les rumbs où ils navigent, quand ils veulent pointer la carte ils rapportent ce qui est des lieues suivant les rumbs de leur rose à ceux de la carte. 49/1377 _Autre manière, de pointer après l'estimé faicte._ Aprés comme dit est, que vous aurez tracé sur le carton tous les degrés & rumb de vent que l'on aura navigé, marquez le lieu où se trouve le vaisseau selon l'estime qu'aurez faite, & le degré auquel pensez estre, tirez de ce lieu une ligne jusqu'à celuy d'où vous estes party, considerez à quel rumb de vent il convient, contant les lieues qu'il faudra pour élever un degré, se rapportant justement aux degrés qu'aurez descendu ou monté, suivant l'estime il y a quelque apparence de vérité, il faut voir si l'estime est bonne, que l'on prenne hauteur, & si elle se rencontre à celle que l'on aura estimé: le chemin comme dit est convenant à la quantité des degrés qu'avez monté, l'estime sera bonne si avez tousjours navigé sur ledit air de vent sans dechoir, mais si la hauteur est de demy degré moins que l'on n'a estimé ou demy degré plus, l'on procédera en ceste manière: du poinct où l'on a estimé estre le vaisseau, tirez une ligne perpendiculaire qui marquera le méridien du lieu où l'on est: ayant pris la hauteur si treuvez demy degré moins que ce qu'avez estimé, tirez une ligne paralelle du degré que aurez treuvé, & où elle coupera la perpendiculaire sera le lieu où vous devrez estre, tirant une ligne de ce lieu à celuy d'où vous estes party, fait cognoistre qu'avez navigé par un autre rumb plus au Nort que celuy qu'aviez estimé, & s'il se treuvé demy degré davantage tirant comme à la première fois une paralelle, suivant la hauteur que l'on aura treuvé coupant la 50/1378 ligne diametralle, en ce lieu doit estre le vaisseau plus au midy que l'estime qui en sera faite, tirant une ligne comme cy dessus est dit, vous verrez qu'aurez navigé par un autre rumb que celuy qu'avez estimé, laquelle par consequent se treuve fautive, c'est là où le défaut se treuve qui ne se peut amender parfaictement, que par le moyen des instruments ou horloges qui seroyent justes comme j'ay dit cy dessus, ce qui se peut cognoistre quand l'on arrive sur l'ecore du Grand Ban, ou à la sonde des costes de France & d'Angleterre, & autres enseignements comme dit est, où le marinier se r'adressera pour refaire nouvelle estime, & amander les défauts: quand on navige le coute largue avec bon vent, les estimes se rencontrent assez souvent meilleures que ceux qui ordinairement navigent à la boulline un bort sur autre, avec contrariété de mauvais temps qui fait faire maintes erreurs en la navigation. _Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns Anglais bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect des estimes que l'on fait ordinairement[828]._ [Note 828: C'est le loch, dont l'usage a été adopté généralement.] Il faut avoir une planchette de 3 pieds de hauteur sur 15 poulces de largeur, qui soit divisée en 13 parties en sa longueur, & en cinq en sa largeur, au premier quarré les heures, & les quarrez suivant jusques à 12 recommençant à 2 aller de rechef à 12 autres, qui feront 24 heures aux 12 51/1379 quarrez comme voyez en la figure suivante. Au second quarré ensuivant, seront marquez le nombre des noeuds, au troisiesme les brasses, & au quatriesme & cinquiesme les rumbs de vent sur lesquels on navige. Il faut une ligne qui ne soit pas trop grosse, affin qu'elle se file plus promptement, au bout de laquelle faut mettre une petite palette de bois de chesne d'environ un pied sur six poulces de large, qui soit chargée d'une petite bande de plomb sur l'arriére, avec un petit tuyau de bois, qui sera attaché à une petite fiscelle aux deux costés de l'extrémité de la palette, & un autre petit bois en façon de fausset qui entre audit tuyau assez doucement, c'est ce qui fait que la palette se tient toujours droite derrière le vaisseau estant en la mer, & cela ne se défait que lors que l'on tire ladite palette de l'eau. La ligne attachée à la palette doit avoir quelques 8 ou 10. brasses qui ne soient à rien conter, avant que venir au premier noeud qui pourra estre environ plus ou moins la hauteur du lieu où l'on l'a jettée, qui est sur l'arriére du vaisseau jusqu'à ce qu'elle soit en la mer, & que veniez au premier noeud, un homme doit tenir la ligne, un autre une petite horloge de fable, contenant le temps de demie minute, qui peut estre l'intervalle de conter jusqu'à 80 vingts sans se haster, à mesme temps que le premier noeud passe par les mains de celuy qui jette la ligne, la laissant librement couler selon la vistesse du vaisseau, faire en vostre presence tourner le petit horloge jusques à ce qu'il soit achevé de passer, à mesme temps 52/1380 l'on doit retenir la ligne & ne la laisser plus filer ou couler: la retirant, voir combien de brasses il y aura jusques au premier noeud de sa main en tirant ladite ligne, conter après tous les noeuds qui auront coulé en la mer pendant que l'orloge passoit. Notez qu'autant de noeuds & d'espace qu'il y a entre chacun l'on faict 2000 de chemin en deux heures, il y a 7 brasses entre chaque noeud, de deux en deux heures l'on doit jetter en la mer la palette tant le jour que la nuict, & n'oublier 24 heures passées de faire vostre estime, en adjoustant vos nombres, pour sçavoir combien on aura fait de mille réduits en lieues, seront 3000 pour lieues. Par exemple comme l'on se doit comporter en ce conte, je treuve qu'en 24 heures l'on a navigé & jetté la ligne de deux en deux heures, & d'autant que le vaisseau va plus ou moins selon la violence des vents ou marées, s'il dechet aussi il y aura plus ou moins de noeuds coulez selon l'air du vaisseau: desirant supputer combien le vaisseau a fait de chemin, l'on adjouste tous les nombres des noeuds qui sont au 12 quarrés de la tablette, & se voit qu'il y en a 44 noeuds, & de plus trente six brasses & demie à 7 brasses par noeud y aura cinq brasses, adjoutez le tout sçavoir 44 noeuds & cinq font 49 noeuds, multipliez par deux feront 98 mille à 2000. pour noeuds, les reduisant en lieues se monteront à 32 lieues trois quarts & quelque peu davantage, à 3000. pour lieue qui est ce que le vaisseau aura fait de chemin en 24 heures, l'on ne doit oublier de prendre hauteur à toutes occasions, pour r'adresser le chemin ou route, & tenir conte sur le papier journal, par ce 53/1381 moyen on cognoist ce que le vaisseau fait de chemin, & le dechet, & où il se treuve, & où leur demeure, le lieu où il espere aller[829], & quelle route il faut prendre pour y parvenir, & diray que de 8 vaisseaux qui estoient de compagnie sur 500 lieues avoir dit à une heure & demie prés que l'on auroit sondé(830), ce qui fut treuve véritable. [Note 829: Lisez: _et où lors demeure le lieu où il espère aller_.] [Note 830: Que l'on auroit sondé.] +--------+--------+---------+-------------------------------+ | Heures | Noeuds | Brasses | Routes. Rumbs | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 2 | 3 | 2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 4 | 2 | 4 | Cap au Nort Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 6 | 4 | 2 | Cap au Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 8 | 5 | 3 | Cap au Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 10 | 2 | 3 1/2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 12 | 3 | 5 | Cap au Nort Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 2 | 2 | 3 | Cap au Nordest 1/4 de l'Est | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 4 | 2 | 4 | Cap au Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 6 | 6 | 1 | Cap au Nort | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 8 | 6 | 3 | Cap au Nordest 1/4 du Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 10 | 6 | 2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ | 12 | 3 | 4 | Cap au Nort Nordest | +--------+--------+---------+-------------------------------+ 54/1382 _Autre, manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau cinglant par quelque vent que ce soit._ Supposez qu'un vaisseau parte d'un port qui soit par les 44 degrés de latitude, & navigé sur le rumb de vent Surrouest, faites vostre estime accoustumée, & si vous croyez que le vent aye esté si favorable qu'il n'aye point fait de dechet, le plustost que l'on pourra prendre hauteur que l'on le faicte, ce fait tirez une ligne parallele sur cette hauteur qui se treuvera en la carte de naviger, tirez aussi une ligne meridienne du port d'où vous estes party, qui coupe à angle droit la parallele de la hauteur qu'on aura prise: prenez un compas & mettez une pointe au port d'où l'on est party, & l'autre sur la ligne meridienne, qui coupe à angles droits la parallele, ne bougeant ceste pointe & levant l'autre du lieu d'où vous estes party, la faisant courir sur les rumbs de vent que croyriez avoir navigé, & où la pointe dudit compas coupera le rumb de vent, sera le poinct du lieu où doit estre le vaisseau: avec ceste asseurance que le vaisseau n'aura fait aucun dechet, autrement n'auriez ce que desireriez que par estime. _Autre façon d'estimer par fantaisie._ [C]'Est qu'ayant pris la hauteur du lieu où l'on est, comme si l'on se treuvoit en la hauteur de 45. degrés de latitude, & ayant estime avoir fait 45 lieues plus ou moins sur un rumb de 55/1383 vent qu'on aura jugé estre necessaire à la route, & pour voir ce qui est véritable l'on prendra les 45 lieues sur l'eschelle de la carte, que mettrez sur le rumb de vent qu'on aura navigé, & si les lieues dudit rumb en faisant tant pour elever un degré, respondent à celles qu'on aura estimé que peut avoir fait le vaisseau, l'on cognoistra l'estime estre bonne: mais si les lieues de l'estime sont moins ou plus que celle du rumb, pour parvenir en la hauteur où l'on se treuve: il est très certain & asseuré que le vaisseau a navigé par un autre rumb que l'on ne pensoit, & à ceste observation on met le poinct à sa fantaisie, pour lesquelles choses & toutes autres dependantes à la navigation, le grand soing & continuelle pratique fait beaucoup, tant pour la seureté du vaisseau que de ceux qui y navigent: c'est pourquoy que les bons & vrais expérimentez navigateurs & pilotes sont à rechercher & en faire estat en les maintenant, pour tant plus leur donner courage de bien faire en cet art de navigation, lequel est grandement à priser de toutes les nations du monde, pour les grands biens & advantages qu'en reçoivent les Royaumes & contrées, pour proches ou esloignées qu'elles soient. FIN. 1/1385 TABLE POUR COGNOISTRE LES LIEUX REMARQUABLES EN CESTE CARTE. A Baye des Isles (1). B Calesme (2). C Baye des Trespassez. D Cap de Leuy (3). E Port du Cap de Raye, où il se fait pesche de molue. F Coste de Nordest & Sudouest (4) de l'isle de Terre Neufve, qui n'est bien recognue. G (5) Passage du Nort au 52e degré. H Isle sainct Paul proche du Cap sainct Laurent. I Isle de Sasinou entre l'isle des Monts Deserts & les isles aux Corneilles. K Isle de Mont-real au sault sainct Louys qui contient quelque huict à neuf lieues de circuit (6). L Riviere Jeannin (7). M Riviere S. Antoine (8). N (9) Manière d'eaue Salée qui se descharge en la mer, où il y a flus & reflus force poisson & coquillages & des huistres qui ne sont de grande saveur en aucuns endroits. p Port aux Coquilles, qui est une isle (10) à l'entrée de la riviere S. Croix bonne pescherie. Q Isles où il se fait pescherie de poisson. R Lac de Soissons (11). S Baye du Gouffre (12). T Isle des Monts Deserts fort haute. V Isle S. Barnabé en la grande riviere proche du Bic. X Lesquemain où est une petite riviere abondante en Saulmon & Truittes, à costé d'icelle est un petit islet de rocher où autresfois y avoit un degrast pour la pesche des Balaines. (1) Peut-être la même que la baye aux isles, indiquée plus loin sous le chiffre 53, c'est-à-dire, la baie de Boston, ou bien la baie de Toutes-Isles, que certains auteurs appellent simplement _baie des Isles_. La lettre A ne se trouve pas dans la carte,--(2) Ce nom paraît répondre à _C. à l'asne_, ou _cap à l'Âne_, côte sud de Terre-Neuve, soit pour la position, soit pour l'orthographe du mot.--(3) Aujourd'hui _pointe Lévis_, en face de Québec.--(4) C'est-à-dire, _côte gisant nord-est sud-ouest_, ou _côte nord-ouest_.--(5) La lettre G manque; mais il est évident que l'auteur indique le détroit de Belle-Isle.--(6) Lisez: _de longueur_. L'île de Montréal a plus de vingt lieues de circuit.--(7) Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de rivière Boyer.--(8) Probablement la _Rivière du Sud_.--(9) La lettre N manque.--(10) L'île du Port-aux-Coquilles s'appelle aujourd'hui Campo-Bello.--(11) Le lac des Deux-Montagnes.--(12) Aujourd'hui la baie Saint-Paul, qui forme l'embouchure de la rivière du Gouffre. 2/1386 Y La pointe aux Allouettes, où au mois de Septembre il y en a telle quantité qu'on ne sçauroit l'imaginer, comme d'autre sortes de gibier & coquillage. Z Isle aux Liévres, ainsi nommée pour y en avoir esté pris au commencement qu'elle fut descouverte. 2 Port à Lesquille qui asseche de basse mer, il y a deux ruisseaux qui viennent des montagnes. 3 Port au Saulmon qui asseche de basse mer, il y a deux petits islets chargez en la saison de fraises, framboises & bluets, proche de ce lieu y a bonne rade pour les vaisseaux, & dans le port sont deux petits ruisseaux. 4 Riviere platte (1) venant des montagnes qui n'est navigeable que pour canaux, ce lieu asseche fort loing vers l'eaue, & le travers y a bon ancrage pour vaisseaux. 5 Isles aux Couldres qui a quelque lieue & demie de long, où sont quantité de lapins & perdrix & autre gibier en saison. A la pointe du Sudouest sont des prairies & quantité de battures vers l'eaue, il y a ancrage pour vaisseaux entre ladite isle & la terre du Nort. 6 Cap de Tourmente, à une lieue duquel le sieur de Champlain avoit fait bastir une habitation qui fut bruslée des Anglois l'an 1628, proche de ce lieu est le Cap Bruslé, entre lequel & l'isle aux Couldres est un chenail de 8, 10 & 12 brasses d'eaue, du costé du Sud sont vazes & rochers, & du Nort hautes terres, etc. 7 Isle d'Orléans, de six lieues de longueur très belle & agréable pour la diversité des bois, prairies & vignes qu'il y a en quelques endroits avec des noyers, le bout de laquelle isle du costé de l'Ouest s'appelle Cap de Condé. 8 Le Sault de Montmorency, la cheute duquel est de 20 brasses (2) de haut, provient d'une riviere venant des montagnes qui se descharge dans le fleuve sainct Laurens à une lieue & demie de Québec. 9 Riviere S. Charles, qui vient du lac S. Joseph (3) fort belle & agréable, où il y a des prairies de basse mer, les barques peuvent aller de pleine mer jusques au premier sault, sur icelle riviere sont basties les Eglises & habitation des R. P. Jesuistes & Recollets, la chasse du gibier y abonde au Printemps & en l'Automne. 10 Riviere des Etechemins, par où les Sauvages vont à Quinebequi, traversant les terres avec difficulté pour y avoir des saults & peu d'eaue, le sieur de Champlain en 1628, fit faire ceste descouverture, & fut trouvé une nation de Sauvage à 7 journées de Québec qui cultivent la terre appellée les Abenaquiuoit. (1) Rivière de la Malbaie.--(2) Quarante brasses et davantage.--(3) La riviere Saint-Charles vient du lac Saint-Charles. Le lac Saint-Joseph se décharge dans la rivière Jacques-Cartier. 3/1387 11 Riviere de Champlain proche de celle de Batisquan au Nord-ouest des Grondines. (1) 12 Riviere des Sauvages (2). 13 Isle verte à cinq ou six lieues de Tadoussac. 14 Isle de Chasse(3). 15 Riviere de Batisquan fort agréable & poissonneuse. 16 Les Grondines & quelques isles qui sont proches, bon lieu de chasse & de pesche. 17 Riviere des Esturgeons & Saulmons(4), où il y a un sault d'eau de 15 à 20 pieds de hault, à deux lieues de Saincte Croix, qui tombe en une forme de petit estang, qui se descharge en la grande riviere sainct Laurent. 18 Isle de sainct Eloy(5), il y a passage entre ladite isle & la terre du Nort. 19 Lac S. Pierre très-beau, y ayant trois à quatre brasses d'eau fort poissonneux environné de collines & terres unies avec des prairies par endroits, & plusieurs petites rivieres & ruisseaux qui s'y deschargent. 20 Riviere du Gast (6), fort plaisante, bien qu'il y aye peu d'eau. 21 Riviere sainct Antoine(7). 22 Riviere de Saincte Suzanne(8). 23 Riviere des Yrocois très-belle, où il y a plusieurs isles & prairies, elle vient du lac de CHAMPLAIN qui a cinq ou six journées de longueur, abondante en poisson & gibier de plusieurs sortes: les vignes, noyers, pruniers & chastaigniers y sont fort fréquents en plusieurs endroits, comme aussi des prairies & belles isles qui sont dans ledit lac, il faut passer un grand & un petit sault pour y parvenir. 24 (9) Sault de la riviere du Saguenay à 50 lieues de Tadoussac, qui tombe de plus de dix ou douze brasses de hault. 25 Grand Sault (10), qui descend de quelque 15 pieds de hault entre un grand nombre d'isles, il contient de longueur demy lieue, & de large trois lieues. 26 Port au Mouton. 27 Baye de Campseau. 28 Cap Baturier à l'isle de sainct Jean. 29 Riviere par où l'on va à la Baye Françoise. 30 Chasse des Eslans. 31 Cap de Richelieu (11), à l'Est de l'isle d'Orléans. 32 Petit banc proche de l'isle du Cap Breton. (1) Le chiffre manque. Cette rivière, qui porte encore le nom de Champlain, se jette dans le Saint-Laurent quelques lieues plus bas que les Trois-Rivières.--(2) La rivière de l'île Verte.--03 Les îlets de Belle-Chasse.--(4) La rivière Jacques-Cartier.--(5) Cette petite île est en face de Batiscan--(6) D'après le texte de l'auteur, c'est plutôt la rivière Dupont, ou Nicolet-voir 1613. P. 180.--(7) Probablement la rivière de Saint-François--(8) Aujourd'hui la rivière du Loup--(9) Le chiffre 24 manque. Il peut y avoir quelques trente-cinq lieues jusqu'à la Décharge, qui est plutôt un rapide qu'une.--(10) Ou saut Saint-Louis. Le chiffre manque dans la carte.--(11) Aujourd'hui Argentenay. 4/1388 33 Riviere des Puans, qui vient d'un lac auquel il y a une mine de Cuivre de rosette. 34 Sault de Gaston(1), contenant prés de 2 lieues de large qui se descharge dans la mer douce, venant d'un autre grandissime lac, lequel & la mer douce contiennent 30 journées de canaux selon le rapport des Sauvages. _Retournant au Golfe S. Laurent & Coste d'Acadie._ 35 Riviere de Gaspey. 36 Riviere de Chaleu(2). 37 Plusieurs Isles prés de Miscou, comme est le port de Miscou entre deux Isles. 38 Cap de l'Isle sainct Jean. 39 Port au Rossignol. 40 Riviere Platte. 41 Port du Cap Naigré. En ce lieu y a une habitation de François en la baye dudit Cap, où commande le sieur de la Tour, qu'ils ont nommé le Port la Tour, où sont habitez les R. P. Recollets en l'an 1630. 42 Baye du Cap de Sable. 43 Baye Saine (3). 44 Baye Courante (4), où il y a nombre d'Isles abondantes en chasse de gibier, bonne pescherie & bons lieux pour les vaisseaux. 45 Port du Cap Fourchu assez aggreable, mais il asseche presque tout à fait de basse mer, proche de ce lieu il y a quantité d'Isles & force chasse. 47 Petit passage de l'Isle Longue, en ce lieu y a bonne pescherie de molue. 48 Cap des deux Bayes (5). 49 Port des Mines (6) ou de bassemer, se trouve le long de la coste dans les rochers de petits morceaux de cuivre très pur. 50 Isles de Bacchus(7) fort agréable, où il y a force vignes, noyers, pruniers & autres arbres. 51 Isles proches de l'entrée de la riviere de Chouacoet. 52 Isles assez hautes (8) au nombre de 3 à 4 éloignées de la terre de 2 à 3 lieues à l'entrée de la Baye Longue. 53 Baye aux Isles, où il y a des lieux propres pour mettre des vaisseaux, le païs est fort bon & peuplé de nombre de Sauvages qui cultivent les terres, en ces lieux il y a force ciprés, vignes & noyers. (1) Le saut Sainte-Marie.--(2) La rivière de Ristigouche, qui se jette au fond de la baie des Chaleurs.--(3) La baie de Chibouctou.--(4) Aujourd'hui, la baie de Townsend.--(5) Aujourd'hui le cap de Chignectou.--(6) Aujourd'hui le havre à l'Avocat. Le chiffre manque dans la carte.--(7) Aujourd'hui l'île _Richmond_ ou _Richman_.--(8) Ces îles s'appellent aujourd'hui îles de Batures (_Isles of Shoals_). Voir 1613, p. 56, notes 4 et 5. 5/1389 54 La soubçonneuse(1) Isle prés d'une lieue vers l'eau. 55 Baye Longue (2). 56 Les sept Isles (3). 57 Riviere des Etechemins (4). _Les Virgines ou sont habituez les Anglais depuis le 363. jusques au 37e egré de latitude. Il y a environ 36 ou 37 ans sur les costes attenant de la Floride, que les Capitaines Ribaut & Laudonniere avoient descouvertes & fait une habitation._ 58 Plusieurs rivieres des Virgines qui se deschargent dans le Golfe. 59 Coste de fort belle terre habitée de Sauvages qui la cultivent. 60 Poincte Confort. 61 Immestan(5). 62 Chesapeacq Bay. 63 Bedabedec le costé de l'Ouest de la riviere de Pemetegoet. 64 Belles Prairies. 65 Lieu dans le lac Champlain où les Yroquois furent deffaits par ledit sieur CHAMPLAIN l'an 1606 (6). 66 Petit Lac par où l'on va aux Yroquois, après avoir passé celuy de CHAMPLAIN. 67 Baye des Trespassez(7) à l'Isle de Terre Neufve. 68 Chappeau Rouge (8). 69 Baye du sainct Esprit (9). 70 Les Vierges. 71 (10) Port Breton, proche du Cap sainct Laurent en l'Isle du Cap Breton. 72 Les Bergeronnettes (11), à trois lieues de Tadoussac. 73 Le Cap d'Espoir, proche de l'Isle Percée. 74 Forillon, à la poincte de Gaspey, 75 (12) Isle de Mont-real, au sault S. Louys, au fleuve sainct Laurent. (1) Vraisemblablement _Martha's Vineyard_.--(2) Cette baie ne porte aucun nom dans les cartes modernes; c'est cet enfoncement que fait la côte au nord du cap Anne.--(3) Ces sept Isles ne sont pas les mêmes que celles du Saint-Laurent; elles sont à la côte de la Nouvelle-Angleterre.--(4) Le chiffre 57 manque; mais il est visible que, par cette rivière des Etechemins, l'auteur veut parler de la rivière Sainte-Croix, appelée Scoudic par les sauvages.--(5) Jamestown.--(6) Il faut lire 1609.--(7). La baie des Trépassés est déjà indiquée plus haut par la lettre C, et cette première indication est d'accord avec la tradition. Il semble que l'auteur a voulu désigner, par le chiffre 67, la baie Sainte-Marie.--(8) Le cap du Chapeau-Rouge forme la pointe d'entrée de la baie de Plaisance du côté de l'ouest.--(9) La baie de Fortune.--(10) Le chiffre 71 manque.--(11) Ou Bergeronnes, comme l'auteur les appelle lui-même ailleurs.--(12) Le chiffre manque, aussi bien que la lettre K. Il est assez probable que le chiffre 74, qui forme un double emploi, a été mis pour 75, en cet endroit. 6/1390 76 Riviere des Prairies qui vient d'un lac(1) au sault S. Louys, où il y a deux Isles, dont celle de Mont-real en est une; là on y a fait la traite plusieurs années avec les Sauvages. 77 Sault de la Chaudière, sur la riviere des Algommequins, qui vient de quelque 18 pieds de hault, se descharge entre des rochers où il ait un grand bruict. 78 Lac de Nibachis (2) Capitaine Sauvage, qui y a sa demeure, & y cultive quelque peu de terre où il seme du bled d'Inde. 79 (3) Unze lacs proche les uns des autres, contenans 1, 2 & 3 lieues abondans en poisson & gibier, les Sauvages prennent quelquesfois ce chemin, pour éviter le sault des Calumets fort dangereux: partie de ces lieux sont chargez de pins qui jettent quantité de resine. 80 Sault des Pierres à Calunmet qui sont comme albastre. 81 Isle de Tesouac(4), Capitaine Algommequin, où les Sauvages payent quelque tribut pour leur permettre le passage à venir à Québec. 82 La riviere de Tesouac, où il y a cinq saults à passer. 83 Riviere par où plusieurs Sauvages se vont rendre à la mer du Nort du Saguenay, & aux trois rivieres faisant quelque chemin par terre. 84 Lacs par lesquels l'on passe pour aller à la mer du Nort. 85 Riviere qui va (5) à la mer du Nort. 86 Contrée des Hurons, ainsi nommée par les François, où il y a nombre de peuples, & 17 villages fermez de trois pallissades de bois, avec des galleries tout au tour en forme de parapel pour se défendre de leurs ennemis. Ce païs est par les 44 degrés & demy de latitude, très bon, & les terres cultivées des Sauvages. 87 Passage d'une lieue par terre, par où on porte les canots, 88 Riviere (6) qui se va descharger à la mer douce. 89 Village renfermé de 4 pallisades où le sieur de CHAMPLAIN fut à la guerre contre les Antouhonorons, où il fut pris plusieurs prisonniers Sauvages. 90 Sault d'eau au bout du sault sainct Louis (7) fort hault, où plusieurs sortes de poissons descendans s'estourdissent. 91 Petite riviere (8) proche du sault de la Chaudière, où il y a un sault d'eau, qui vient de prés de 20 brades de hault, qui jette l'eau en telle quantité & de telle vistesse, qu'il se fait une arcade fort longue, au dessous de laquelle les Sauvages passent par plaisir, sans estre mouillez, chose fort plaisante à voir. (1) La rivière des Prairies vient du lac des Deux-Montagnes. Ici, saut Saint-Louis veut dire évidemment Montréal et ses environs.--(2) Le lac au Rat-Musqué.--(3) Le chiffre 79 manque; mais les onze lacs sont figurés d'une manière tout à fait reconnaissable.--(4) L'île des Allumettes.--(5) C'est-à-dire, _par où l'on va_ à la mer du Nord.--(6) La rivière des Français.--(7) Lisez: _au bout du lac Saint-Louis_ (ou Ontario). Ce saut est la chute de Niagara.--(8) La rivière Rideau. 7/1391 92 Ceste riviere [1] est fort belle, & passe par nombre de beaux lacs & prairies dont elle est bordée, quantité d'Isles de plusieurs longueurs & largeurs, abondantes en chasse de cerfs & autres animaux, très bonne pescherie de poissons excellens, quantité de terres défrichées très bonnes, qui ont esté abandonnées des Sauvages, au sujet de leurs guerres. Ceste riviere se descharge dans le lac S. Louys(2), & plusieurs nations vont en ces contrées faire leur chasse pour leur provision d'hyver. 93 Bois des Chastaigniers, où il y a forces chastaignes sur le bord du lac S. Louis, & quantité de prairies, vignes & noyers, 94 Manière de lacs d'eau sallée(3) au fond de la Baye Françoise, où va le flus & reflus de la mer: il y a des Isles où sont nombres d'oiseaux, quantité de prairies en plusieurs lieux, petites rivieres qui se deschargent dans ces manières de lacs, par lesquels on se va rendre dans le golfe S. Laurent proche de l'Isle S. Jean. 95 Isle Haute, d'une lieue de circuit, platte dessus, où il y a des eaues douces & quantité de bois, éloignée du Port aux Mines & du Cap des deux Bayes d'une lieue, elle est élevée de tous costez de plus de 40 toises, fors un endroict qui va en talluds où il y a une poincte de cailloux faite en triangle, & au milieu y a un estang d'eau salée & forces oiseaux qui font leurs nids en ceste Isle. ¤¤ La riviere des Algommequins(4) depuis le sault S. Louis jusques proche du lac des Bisserenis(5) il y a plus de 80 saults tant grands que petits, à passer, soit par terre ou à force de rames ou bien à tirer par terre avec cordes, dont aucuns desdits saults sont fort dangereux, principalement à descendre. Gens de Petun(6), c'est une nation qui cultive ceste herbe de laquelle ils font grand traffic avec les autres nations, ils ont de grands villages fermez de bois, & sement du bled d'Inde. Cheveux relevez (7), sont sauvages qui ne portent point de brayer & vont tout nuds, sinon l'hyver qu'ils se vestent de robes de peaux, lesquelles ils quittent sortant de la maison pour aller à la Campagne. Ils sont grands chasseurs, pescheurs & voyageurs, cultivent la terre & sement du bled d'Inde, font secherie de bluets & framboises, dequoy ils font un grand traffic avec les autres peuples, desquels ils prennent en eschange des peleteries, pourcelaines, filets & autres commoditez, aucuns de ces peuples se percent les nazeaux, où ils attachent des patenostres, se descouppent le corps par raye où ils appliquent du charbon & autres couleurs, ont les cheveux fort droits, lesquels ils se graissent & peignent de rouge & leur visage aussi. (1) La rivière Trent et la baie de Quinte.--(2) Le lac Ontario.--(3) La baie de Chignectou et le bassin des Mines.--(4) Aujourd'hui l'Outaouais.--(5) Le lac Nipissing.--(6) Les Tionnontatés, qui demeuraient au sud de la baie Géorgienne.--(7) Les Andatahouats. 8/1392 La nation Neutre (1), est une nation qui se maintient contre toutes les autres, & n'ont aucune guerre, sinon contre les Assistaqueronons, elle est fort puissante ayant 40 villages fort peuplez. Les Antouhonorons(2) sont 15 villages bastis en forte assiette, ennemis de toutes les autres nations, excepté de la Neutre, leur païs est beau & en très bon climat proche la riviere S. Laurent, de laquelle ils empeschent le passage à toutes les autres nations, ce qui fait qu'elle en est moins fréquentée, cultivent & ensemencent leurs terres. Les Yroquois avec les Antouhonorons font la guerre par ensemble à toutes les autres nations, excepté à la nation Neutre. Carantouanais(3), est une nation qui s'est retirée au Midy des Antouhonorons, en très beau & bon païs, où ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées. Ils ont autresfois pris prisonniers des Flamans, lesquels ils renvoyerent sans leur mal faire, croyans que ce fussent des François. Depuis le Lac S. Louis jusques au sault S. Louis qui est le grand fleuve S. Laurent, il y a cinq saults, quantité de beaux lacs & belles Isles, le païs agréable & abondant en chasse & en pesche, propre pour habiter, si ce n'estoit les guerres que les Sauvages ont les uns contre les autres. La Mer Douce(4), est un grandissime lac où il y a nombre infiny d'Isles, il est fort profond & abondant en poisson de toutes sortes, & de monstrueuse grandeur, que l'on prend en divers temps & saisons, comme en la grand' mer. La coste du Midy est beaucoup plus agréable que celle du Nort, où il y a quantité de rochers & force caribous. Le lac des Busserenis(5) est fort beau, ayant quelque 25 lieues de circuit, & quantité d'Isles chargées de bois & de prairies, où se cabannent les Sauvages pour pescher en la riviere l'esturgeon, brochets & carpes, de monstrueuse grandeur & très-excellents, qui s'y prennent en quantité, mesme la chasse y est abondante, quoy que le païs ne soit pas beaucoup agréable à cause des rochers en la plus part des endroits, (1) Les Attihouandaronk.--(2) Antouhoronons. Ce mot paraît être le même que Ountouharonons, ou Tsonnontouans, tant à cause de la ressemblance d'orthographe, que par la position qu'ils occupaient.--(3) Carantouanais. Il y a tout lieu de croire que ce sont les mêmes que les Andastes.--(4) Ou lac Huron.--(5) Le lac des Bissirini, ou Nipissirini (Nipissing). FIN. 1/1393 DOCTRINE CHRESTIENNE Du R. P. LEDESME DE LA COMPAGNIE DE JESUS. Traduicte en Langage Canadois, autre que celuy des Montagnars, pour la Conversion des habitans dudit pays. _Par le R. P. Brebbeuf de la mesme Compagnie._ ACHRISTERRONON ochienda chè orrihoüaienstécha. DU NOM CHRESTIEN, & de la doctrine Chrestienne. ESCAT AlENSTACOÜA. PREMIERE LEÇON. _Arrihoüaienstechaens._ Issa Achristerronon chiont? _Le Maistre._ Estes vous Chrestien? _Ateienstechaens._ Aau, daotan haatarrat Aatio. _Le Disciple._ Ouy, par la grace de Dieu. M. _Sinen Atonas Acristerronon? D. Nihen de hotoain, chiachè hocarratat arrihoüaienstécha Achristehaan, stat onnè atonachona. M. _Qui est celuy qu'on doit appeller Chrestien?_ D. Celuy, lequel ayant esté baptizé croit, & fait profession de la Doctrine Chrestienne. M. _Tout aotan nondée Achristehaan arrihoüaienstécha?_ D. Nen arrihoüaienstechoutan de Assonaienstandi Onaoüandio, Aiesus Chrift stat ec'ihondhec, chiachè d'assonaienstan aot Ecankhucoüatè Aoüettichaens, Apostreehaan, chè Arondeehaan. M. _Qu'est-ce que la Doctrine Chrétienne?_ D. C'est celle que nostre Seigneur Jesus Christ nous a enseignée, lors qu'il vivoit sur terre, & que la saincte Eglise Catholique, Apostolique & Romaine nous enseigne. 2/1394 M. _Touti chien endoron darrihoüatere Achristehaan ecarrihoüaienstèchatè?_ D. Aau, endoron achè, det icoüatoncoüandic ateenguiaens. M. _Est-il necessaire de sçavoir la Doctrine Chrestienne?_ D. Ouy, si nous voulons estre sauvez. _Achristerronon Oteracata._ _Tendi Aienstacoüa_ _Du signe du Chrestien._ _Leçon Seconde._ M. _Tout eca ateracatoutan Achrifterronon oteracata?_ D. Nen ateracatout d'Ecaot ecarontaè, dé te hanguiarront, aerhon assonenguiaendi Aiesus Chrift stat ahonatandionti de to. M. _Qui est le signe du Chrestien?_ D. C'est le signe de la saincte Croix, pour ce que nostre Seigneur nous a rachetez en icelle. M. _Tout ioti Isaer?_ D. Condi ioüaer, aèonressonkhrach anontsiraè chè andochiaentone, che enenssaè sangoüati onati, chiachè aienhoüiti onati, chè loüaen. On Ochienda Aistan, chè Aen, chè dat aot Esken. Ca sen ti ioti. M. _Comment le faites vous?_ D. Je le faits mettant la main à la teste & à l'estomach, & puis à l'espaule senestre, & dextre, disant: Au nom du Père, & du Fils, & du sainct Esprit. Ainsi soit-il. M. _Tout Ec' ioti candi isaer?_ D. Ataahieraha tendi tearrihoüaè nonatoaincha de dat onattindoroncoüa, Escat dat aot Achincacha toiiaen, on ochienda Aistan, chè Aen, chè dat aot Esken. Dinde scat, endi Onaoüandio honheoncha chè ostaioüancha, dè ahonatonti arontaè stat onoè ahoton. M. _Pourquoy le faites vous ainsi?_ D. Premièrement pour me mettre en mémoire les deux principaux mysteres de nostre foy: l'un de la tres-saincte Trinité, en prononçant ces parolles. Au nom du Père, & du Fils, & du S. Esprit: & l'autre de la mort & Passion de nostre Sauveur lequel s'estant fait homme, est mort pour nous en une Croix. M. _Tout ioti asson ec' isaer?_ D. Aerhon otorontonc' enstan iesta assoninont Aiesus Christ Onaoüandio tonné stioti ionaeren. M. _Et pour quoy encore?_ D. Pour ce que nostre Seigneur donne beaucoup de biens & grâces en vertu de ce signe. M. _Nahane ec' ierha?_ D. Assonoraoüiè stat iecas, tetenrrè stat ietas, stat Aatio îenditi, ftat iech, stat ierha enstan, iesta, chè stat iatonnhontaiona, iakerons arra. M. _Quand le faut-il faire?_ D. Le matin quand on se leve, le soir quand on se couche, quand on commence à prier Dieu, quand on veut prendre sa réfection, au commencement de nos oeuvres, & quand on se trouve en quelq; danger, ou bien saisi de quelq; crainte. 3/1395 _Angoüa Nonoè._ _Achinc Aienstacoüa._ _De la fin de l'homme._ _Leçon Troisiesme._ M. _Tout ek ichiatahaoüi ondechaè?_ D. Nen ondée dè anonhoüè chè dé arronca Aatio stat asson iondhè, chiachè agniactanhane Aondechahan d'aescoüandic to et attindarè aot Attisken. M. _Pour quelle fin avez vous esté mis au mande?_ D. Pour aimer & servir Dieu en ceste vie, & par après estre à jamais bien-heureux en Paradis. M. _Tout ec' ognianechoutan d'aoüandaeratti aronhiaofie?_ D. Nen ondée oonè acacoüa Aatio, aondechahan achè. M. _En quoy gist ceste félicité que nous esperons avoir en l'autre vie?_ D. A voir Dieu face à face, & jouir éternellement de luy. M. _To ioua attiehoüas Attichrifterronon, chia esattinguiaens, chè esattion Aronhiaè?_ D. Dac, Atoüaincha, Andaeratic, Atatanonhoüecha, chè Aerencoüasti. M. _Combien de choses sont necessaires au Chrestien pour son salut, & parvenir à sa fin?_ D. Quatre, Foy, Esperance, Charité, & bonnes oeuvres. _Nen Attoüa'tociia._ _Dac Aienstacoüa._ _De la Foy._ _Leçon Quatriesme._ M. _Tout ichiatoüain chè Atoüaincha?_ D. Aoüetti achè iatoüain dè hotoüain chè hocarratat Nonendoüe né aot Ecankhucoüatè aoüettichaens, Apoftreehaan chè Arrondeehaan, chè anderacti dè ioüat aon ne Credo. M. _Que croyez vous par la Foy?_ D. Tout ce que tient & croit nostre Mère la saincte Eglise Catholique, Apostolique, & Romaine, & nommément au Credo. M. _To chihon nè Credo._ D. 1. Iatoüain on Aatio aoüetti Andaourachaens, dè saoteendichiaè Ecaronhiatè chè econde hâté. 2. Chè on Aiesus Christ anhoüa hoen Onaoüandio. 3. Dè ho kiachiahichien stat ihongoüas dat aot Esken, chè d'asaocoüeton Onarieehen Aoüitsinonhachen. M. _Dites le Credo._ D. 1. Je croy en Dieu le Père tout puissant, Créateur du Ciel & de la terre. 2. Et en Jesus Christ son Fils unique nostre Seigneur. 3. Qui a esté conceu du S. Esprit, né de la Vierge Marie. 4/1396 4. Onsa hotonnhontaionati stat ahonandacratinen nehen d'ahatsinen Ponce Pilate, Ahonatonti, Aoüenheon, chè ahonanonhkrahoüi. 5. Ondechon onsa hatesten, Achinc eouantaè onsa hatonnhonti. 6. Aronhiaè onsa haoüecti, hoienhoüiti ahiakrandeen Aatio ne Aistan aoüetti Andaoürachaens. 7. To tont ehendionrrandè enondhechaens chè ondiheonchaens. 8. Iatoüain on dat aot Esken. 9. Ne aot Ecankhucoüate aoüettiehaan, attindeia none ondatanonhoüecha. 10. Ne Endionrhencha ottirihoüanderacha. 11. Ondiheonchaen ondatonnhontacoüa. 12. Ecannhonate dè ta tecoüannhonentas. Ca sen ti ioti. 4. A souffert sous Ponce Pilate, a esté crucifié, mort & ensevely. 5. Est descendu aux Enfers, le tiers jour est resuscité de mort à vie. 6. Il est monté aux Cieux, est assis à la dextre de Dieu le Père tout puissant. 7. De là viendra juger les vivans & les morts. 8. Je croy au sainct Esprit. 9. La saincte Eglise Catholique, la Communion des Saincts. 10. La remission des péchez. 11. La Resurrection de la chair. 12. La vie éternelle. Ainsi soit-il. _Oüich Aienstacoua._ M. _Ichiaton ca, Ichiatoüain on Aatio, tout aotan nondée Aatio?_ D. Nen haotan ondée dè hoteendichiaè Ecaronhia tè chè econdechatè, chè dè aoüetti ahonaoüandiosti. _Leçon Cinquiesme._ M. _Vous dites que vous croyez en Dieu, qu'est-ce que Dieu?_ D. C'est le Créateur du Ciel & de la terre, & le Seigneur Universel de toutes choses. M. _Tandè ne aot Achincacha, tout aotan nondée?_ D. Ondée haotan, Aistan, Hoen, chè nè dat aot Esken, achinc iataè, chè satat Aatio. M. _Et la Saincte Trinité qu'est-ce?_ D. C'est le Père, le Fils, & le Sainct Esprit, trois personnes & un seul Dieu. M. _Tout ichien Aistan Aatio ihout?_ D. Aau. M. Le Père est-il Dieu? D. Ouy. M. _Hoen Aatio tondi?_ D. Aau. M. Le Fils est-il Dieu? D. Ouy. M. _Dat aot Esken Aatio tondi?_ D. Aau. M. Le Sainct Esprit est-il Dieu? D. Ouy. 5/1397 M. _Achinc ichien thenon Atattio?_ D. Tastan, aerhon Achinc ihenon iatae, onecichien satat ara Aatio. M. _Sont-ce trois Dieux?_ D. Nenny, car encor bien que ce soyent trois personnes toutesfois ne sont qu'un seul Dieu. M. _Tout ichiatoüain anderacti dè nè Onaoüandio Aiesus Christ?_ D. Iatoüain ca, ondeè Aatio ne Aistan hoen, chia tehindaouranchaens d'Aistan, chia tehindionrroüane, chia tehindeïa: ondeè d'onoè ahoton endin dè anbannonhoüec, outonrraon aot Aoüitsinouhaehen Onarrieehen, chè ondeè sti ioti ihout dat atoüain onoè. M. _Que croyez vous sommairement de nostre Seigneur Jesus Christ?_ D. Je crois que c'est le Fils de Dieu le Père, aussi puissant, aussi sage, aussi bon que le Père: qu'il s'est sait homme pour nous au ventre, de la glorieuse Vierge Marie, & par ainsi qu'il est vray Dieu, & vray homme. M. _Tout aotan asson?_ D. Iatoüain ca, assonatontaoüa ondechon ottichiatorrecoüa, honheoncha chè hotonnhontaionacha, hè assonennhonaoüa ecannhoiiatè dè ta tecoüannhonentas. M. _Quoy plus?_ D. Que par sa mort & passion il nous a delivrez des peines d'Enfer, & acquis la vie éternelle. M. _Tout aotan ondèe Ankhucoüa Aoüettithaan?_ D. Ondée Ankhucont ecankhucoüatè aoüetti Attichristeronon attiatoüainchaens. M. _Qu'est-ce que l'Eglise Catholique?_ D. C'est la congrégation de tous les fidèles Chrestiens. M. _Sinen ankhucoüandiont Ecankhucoüatè, sinen Aoüandio?_ D. Nen Onaoüandio Aiesus Christ, chia né Pape, dè Aiesus Christ ihokhrihont cha ondechaè. M. _Qui en est le chef?_ D. Nostre Seigneur Jesus Christ, & sous luy le Pape qui est son Vicaire en terre. M. _Tout eticoüatoüain dè ne ecank hucoüate aoüettiehaan?_ D. 1. Nen ecoüatoüain ca, Escankhucoüat, ondée aoüaton, satat ara escankhucoüat dat atoüain Ankhucoüa. 2. Tastan tetseenguiaens o üatsè. 3. Ondée ahonditenoüa dat Aot Esken, chè ondée sti ioti tastan teharrihoüanderach, teoüaton. M. _Que devons nous croire de l'Eglise?_ D. 1. Qu'elle est une, c'est à dire, qu'il n'y a qu'une seule vraye Eglise. 2. Que hors d'icelle il n'y a point de salut. 3. Qu'elle est gouvernée par le sainct Esprit, & partant qu'elle ne peut faillir. 6/1398 _Andaeratikoüa._ _Oüahia Aienstacoüa. _De L'Esperance._ _Leçon Sixiesme._ M. _Iaüeron nondée tendinè, d'attiehouas Attichristerronon?_ D. Nen ondée Andaeratukoüa. M. _Quelle est la seconde chose necessaire au Chrestien?_ D. L'esperance. M. _Tout ichiendaerati cha Ecandae raticoüa?_ D. Nen Ecannhonatè dè ta tecoüannhonentas, dè iaoüannhonaoüas Arrihoüae onenhonaoüata. M. Qu'attendez vous par l'esperance?_ D. La vie éternelle, laquelle entr'autres moyens nous obtenons par l'Oraison. M. _Tout eca arriboutan dat arrihoüata Attiriboüa aouetti?_ D. Ondée Pater noster. M. _Quelle est la première & principale de toutes les Oraisons?_ D. C'est le Pater noster. M. _To atti?_ D. Nen atti horrihoüichiaè nondèe Onaoüandio, anhoüa achè, chè iendarè Arrihoüaonè Ecarrihoüatè akhiaondi nè aoüetti dè iaoüaehoüas chè iaoüanditi Aatio. M. _Pourquoy?_ D. Pource que nostre Seigneur mesme la feit, & qu'il contient en soy tresparfaitement tout ce que nous devons demander à Dieu. M. _To chihon ne Pater noster._ D. Onaistan de Aronhiaè istarè. Sa sen tehoiiachiendaterè sachiendaoüan. Ont' aioton sa cheoüandiosta endindè. Ont' aioton senchlen sarasta, ohoüent soonè achè toti ioti Aronhiaonè. Ataindataia sen nonenda tara cha Ecantatè aoüantehan. Onta taoüandionrhens, sen atonarrihoüanderacoüi, to chienne ioti nendi onsa o Aendionrhens de oüa onkirrihoüanderai. Enon chè chaha atakhioiiindahas d'oucaota. Oiiek ichien askiatontaoüahè d'oucaota. Ca sen ti ioti. M. _Dites le Pater noster._ D. Nostre Père qui es és Cieux. Ton nom soit sanctifié. Ton Royaume nous advienne. Ta volonté soit faite en la terre, comme au Ciel. Donne nous aujourd'huy nostre pain quotidien. Et nous pardonne nos offences, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencez. Et ne nous induis point en tentation. Mais delivres nous du mal. Ainsi soit-il. _Soutarrè Aienstacoüa._ M. _Tout ichien, atonenenditi aot Attisken?_ _Leçon Septiesme._ M. _Faut-il prier les Saincts?_ 7/1399 D. Aau: Nen atti ihaononhoüe nondée Aatio, chè haoningoüas daotan. D. Ouy, pour ce qu'estans amis de Dieu, ils nous peuvent beaucoup aider, par leurs prières. M. _Iaoüeron dat iscoüaenditi d'attindeia Attisken?_ D. Onaoüandio, Onarie, Esken de ihaacarratat, chia chè echa dè ioüaechiendaetat Ochiendaoüan. M. _Quels entre autres priez vous?_ D. Nostre Dame, mon Ange Gardien, & le Sainct duquel je porte le nom. M. _Tout ichihoncoüa Onarie Aoüit sinouha?_ D. Ne Avè Maria. M. _Quelle Oraison dites vous à nostre Dame?_ D. L'Ave Maria. M. _To chihon Avè Maria._ D. Coüay Onarie onnonrroncoüagnon ichien dè ichiendhi d'anderaoüatacoüi, Issadè etandatè d'Aoüandio, sonhoüa dat khiessakhrendotas ottindekien aoüetti, Ahonakrendotas eoüa chioutonrraè ecochiatè. Aot Onarie Aatio Ondoüe, lo ichien Ataihet saronoüandihè onendi d'icoüarrihoüanderai, onhoüadè, aoüetti heoüa stat etecoüaenheondè. Ca sen ti ioti. M. Dites l'Ave Maria. D. je vous salue Marie pleine de grâce. Le Seigneur est avec vous. Vous estes beniste entre toutes les femmes, & benist est le fruict de vostre ventre JESUS. Saincte Marie Mere de Dieu, priez pour nous pauvres pecheurs, maintenant & à l'heure de nostre mort. Ainsi soit-il. M. _Tout ichiboncoüa stichienditi de Chiesken?_ D. Aot Aesken dè iskiacarratas, stiharas Endeia Aatio, taarhatéta senchien cha ecantatè aoüantehàn, chè taacarratat chè taenditenoüa. M. _Quand vous priez vostre Ange Gardien, quelle Oraison dites vous?_ D. Ange de Dieu, qui estes commis pour me garder, Illuminez moy, preservez moy, & me gouvernez aujourd'huy. _Atterrè Aienstacoüa._ M. _Tout ichien atonattindoroncoüas aot Attisken ottloüanchaehen?_ D. Aau. _Leçon Huictiesme. M. _Faut-il honorer les reliques des Saincts?_ D. Ouy. M. _To atti?_ D. Ondée atti dat Aot Esken ahaonratanon nondée, chè araehen etattirandeen ottindeiachaens Ottisken. M. _Pourquoy?_ D. Pource qu'elles ont esté temples du sainct Esprit, & qu'elles doivent un jour estre reunies à leurs âmes glorieuses. M. _Tande aot Attisken ottionchia?_ D. Et senonroncoüagnonch tondi decha, aerhon attiennrata nondée dè akichiendaen. M. _Et leurs Images?_ D. Il les faut aussi honorer, pource qu'elles representent ceux ausquels nous devons honneur & reverence. 8/1400 M. _Sinen ichiehieraha stichienditi?_ D. Endi achè anderacti, chè ataenohonc, chè echa dè ihonnonhoüe, chè hontarrat, chè ankhucoüa aoüetti Attichristerronon. M. _Pour qui priez vous?_ D. Je prie non seulement pour moy, mais aussi pour mes parens & amis, & bienfaicteurs & pour toute l'Eglise. M. _Stan tetseehieras Attisken d'ondiheon?_ D. Taierhanto, Aerhon akiatontaoüas nondée d'achonacoüa, stat iaoüanditi. M. _Ne faut-il pas aussi prier pour les ames des Trespassez?_ D. Ouy, d'autant que par nos prières nous les delivrons des peines de Purgatoire. M. _Tout aotan Achonacoüa aatsi?_ D. Ondée echa et attierrissen attindeiaehen Attisken, ne andaenrrocha d'ottirihoüanderachaehen. M. _Qu'est-ce que Purgatoire?_ D. C'est le lieu oü les ames de ceux qui meurent en la grâce de Dieu, achevent de payer les peines deuës à leurs péchez. _Atatanonhoüecha,_ _Enkhon Aienstacoüa._ _De la Charité._ _Leçon Neufiesme._ M. _Tout aotan achinc atont d'attiehoüas Attichristerronon?_ D. Né Atatanonhoüecha. M. _Quelle est la troisiesme chose necessaire au Chrestien?_ D. La Charité. M. _Tout aotan iaoüavonhoüè Atatanouhoüechaè?_ D. Aatio achè anderacti, chia chè atti oüa, titi ioti nendi onatanonhoüè. M. _Qu'aimons nous par la charité?_ D. Dieu sur toutes choses, & nostre prochain comme nous mesmes. M. _Tout aotan ne ondée anonheuè anderacti Aatio?_ D. Nen ondée stonnè oerron iaoüanonhoüè nonaoüan, chè nonanohonc, chè nonennhonaoüan, Aatio dè anderacti. M. _Qu'est-ce aimer Dieu sur toutes choses?_ D. C'est l'aimer plus que nos biens, que nos parens, que nostre vie. M. _Tout ec'ioti chia techienonhoüe d'oüa titi ioti d'etsonhoüa?_ D. Nen ioti, stonnè iheras chè iherha aoüetti dè aeanhoüa iaras chè ierha endindè, Aatioehaan chè endionrraehan. M. _En quelle façon aimez vous vostre prochain comme vous mesme?_ D. Luy desirant le mesme bien que je me desire selon Dieu & raison, & luy procurant ce que je ferois pour moy mesme. 9/1401 _Attierencoüasti._ _Assan arre Aienstacoüa._ _Des bonnes oeuvres._ _Leçon Dixiesme._ M. _Iaoüeron ca dac atont dè attiehoüas Attichristerronon?_ D. Nen att Aerencoüasti, aerhon onnè d'etsatan ahondiontichien, stan onnè teeráta to ara Atoüaincha, dè ta tehakhra Aerencoüasti. M. _Qu'elle est la quatriesme chose necessaire au Chrestien?_ D. Les bonnes oeuvres, car après que quelqu'un est parvenu à l'aage de discretion, la foy ne luy suffit plus sans les bonnes oeuvres. M. _Anè ihattieron Attierencoüasti?_ D. Ocoüendaenchaon Aatio atocoüendachaen. M. _Où sont contenues les bonnes oeuvres qu'il nous faut faire?_ D. Aux commandemens de Dieu. M. To chihon Atocoüendaencha Aatio. D. 1. Escat ito chien hara ehechiechiendaen Aatio, eoüa chechè nondée ehestonhoüè dat aondi. 2. Stan endea tehechienguiatandè Aatio Ochienda, oüa arra ondionhiaè. 3. Oüahia arra echientaoüa, chia stan teechienguiaentakè escoüentat. 4. Ehechiechiendaen dè Hiaistan chè Sandoüe, detè chierhè achiennhonetsis. 5. Enon tehechio d'atoüain, stan tondi tehechiendionrraentons sescoüaon, aarrio. 6. Stan teechiakhroandè d'atoüain, stan tondi teessaens sescoüaon. 7. Stan teechiacoüanrraeha, stan tondi teechiakheroncoüandè enstan iensta. 8. Stan teechiatendoton d'aioi ondionhiaè, stan heoüa teechihougnahè endea. 9. Oonè to achaha d'andacoüandetaion stat onnè echienguiaè. 10. Stan tehechiatoncoüan d'aioi ottioüan dè ta tehiras. M. _Dites les commandemens de Dieu._ D. 1. Un seul Dieu tu adoreras, & aimeras parfaitement. 2. Dieu en vain tu ne jureras, ny autre chose pareillement. 3. Les Dimenches tu garderas, en servant Dieu devotement. 4. Père & mère honoreras, afin que vives longuement. 5. Homicide point ne seras, de fait, ne volontairement. 6. Luxurieux point ne seras, de corps ne de consentement. 7. L'avoir d'autruy tu n'embleras, ne retiendras à ton escient. 8. Faux tesmoignage ne diras, ne mentiras aucunement. 9. L'oeuvre de chair ne desireras, qu'en mariage seulement. 10. Les biens d'autruy ne convoiteras, pour les avoir injustement. M. _Tout aotan essonattinontan dè essoncarratat cha Ecoüendaenchate d'Aatio?_ M. _Quelle recompense recevront ceux, qui garderont les Commandemens de Dieu?_ 10/1402 D. Nen essonatinnhonon Ennhonoüane ecannhonatè, dè ta tecoüannhoentas, chè dè ta tehaoenterei aondi d'ochiatorrè, chè dè hanonatè akioüacha aoüetti, chè dè aondechahan etannhoaentaha. D. La vie éternelle, qui est une vie exempte de tous maux, & remplie de tous biens, & qui doit durer à jamais. M. _Tandè dè attinoncontan tout ekhiottieren?_ D. Ihaochiensseni nondée Aatio, chiachè ondechon ihaotti. M. _Quels maux encourent ceux qui les transgressent?_ D. L'ire de Dieu, & la damnation éternelle. _Onditenrrenchaens Attierencoüasti._ _Scat ichè Aienstacoüa._ _Des oeuvres de misericorde._ _Leçon Onziesme._ M. _Tandè Atenrrencoüa, eoüa tondi endoron?_ D. Taierhanto, stan ichien Achristerronontè dè tehakerha nondée Atenrrenchaens aerencoüasti. M. _Ne faut-il pas aussi exercer les oeuvres de misericorde?_ D. Ouy, & celuy qui ne le fait, ne mérite pas le nom de Chrestien. M. _To atti ihenon Atenrrencoüaè?_ D. Nen atti ihenon soutarrè Eskenehaan, chiachè soutarrè tondi Erroneehaan. M. _Combien y a-il d'oeuvres de misericordes?> D. Il y en a sept Spirituelles, & sept Corporelles. M. _To chihon d'Eskenehaan._ D. l. Aienstan dè tehottindiont. 2. Arreoüa dè hottirrihoüanderach. 3. Andionhierrita dè hottindionrrachen. 4. Arrihoüaienstan dè hottinhoüaehoüas. 5. Oonè to akhrihote endandichoncoüagnon. 6. Endionrhens ne arrihoüanderacoüa. 7. Enditi chè dè enondhédè, chè dè Aiheondè, chè indè ne dè ha onessata. M. _Dites les Spirituelles._ D. î. Enseigner les ignorans. 2. Corriger les defaillans. 3. Donner bon conseil à ceux qui en ont besoin. 4. Consoler les desolez. 5. Porter patiemment les injures. 6. pardonner les offences. 7. Prier pour les vivans & trespassez, & pour ceux qui nous persecutent. M. _To chihon ne Erroneehaan._ D. 1. Andataia ondacaota d'ondatonnicesta. 2. Aerrata dè hindachiaten. 3. Aennon dè hottihoüachon. M. _Dites les Corporelles._ D. 1. Donner à manger aux pauvres qui ont faim. 2. Donner à boire à ceux qui ont soif. 3. Vestir ceux qui sont nuds. 11/1403 4. Aatontaoüa dè aconattindascoüaen. 5. Andatarè dè hiheons. 6. Oüat sechronon arata. 7. Anonkhra dè ondiheon. 4. Racheter les prisonniers. 5. Visiter les malades. 6. Loger les pèlerins. 7. Ensevelir les morts. _Arrihoüanderacha._ _Tendi tetchè Aienstacoüa._ _Des Péchez._ _Leçon Douziesme._ M. _Onnè ichien haoüaen dè ecoüakhier, tout aotan nonhoüa ecoüateienstan?_ D. Ne Oucaota dè ecoüachiensseni chè ecoüateoüata. M. _Apres avoir veu le bien qu'il nous faut faire, que reste-il maintenant à sçavoir?_ D. Le mal qu'il nous faut fuir. M. _Tout eca Oucaochoutan d'ecoüateoüata?_ D. Ne Arrihoüanderacha. M. _Quel mal devons nous fuir?_ D. Le péché. M. _Tout aotan nondée Arrihoüanderacha?_ D. Ondée aat aoüetti, dè eatoncoüan, chè dè itseen chè dè ierha, stat teharas Aatio. M. _Qu'est-ce que péché?_ D. Tout ce qui se dit, qui se desire, ou qui se fait, contre la loy & volonté de Dieu. M. _To hioüa uoüarrihoüanderachaen?_ D. Tendi, Adanehaan, chè nè onionhoüaehaan. M. _Combien y a-il de sortes de péchez?_ D. Deux, l'originel, & l'actuel. M. _Tout eca arrihoüanderachuutan d'ichias, Adanehaan?_ D. Ondée d'icoüahoüa stat tekhionatondi, chè dè Achonacha ihochonas. M. _Qu'est-ce que le péché originel?_ D. C'est celuy que nous apportons avec nous, quand nous naissons, & qui nous est pardonné par le Baptesme. M. _Tout aotan nondée Onionhoüaehaan arrihoüanderacha?_ D. Ondée nondée arrihoüanderachoutan d'onionhoüa icoüarrihoüandérach, stonnè onendiont chè stat onatechiahaasta. M. _Qu'est-ce que le péché actuel?_ D. Celuy que nous commettons nous mesme après l'usage de raison. M. _To atti hioüa ionarrihoüanderachaè onionhoüaehaan?_ D. Tendi, scat arrihoüanderacha arriotacoüa, chè scat ioüarrihoüande iassa. M. _Combien y a-il de sortes de péchez actuels?_ D. Il y en a deux sortes, l'un est mortel, & l'autre véniel. M. _To atti iarrihoüanderachaè d'attioch?_ M. _Combien y a-il de péchez mortels?_ 12/1404 D. Soutarrè, Andetaioüacha, Aoüiachata, Akhiechencha, Anonstecha, Anguiataesta, Andacoüanonacha, Akiengnracha. D. Sept, c'est asçavoir Orgueil, Ire, Envie, Avarice, Gourmandise, Luxure, Paresse. M. _Tout aotan assonendaoüerhaan cha ecarrihouanderachatê d'ihoch?_ D. Nen assonacoüas Aatio onderaoüatacoüa, chia ne achiendaencha d'assonastacoüandinen Aronhiaonè. M. _Quel mal nous apporte le péché mortel?_ D. Il nous sait perdre Dieu, sa grâce, & la gloire qui nous estoit promise. M. _Tout ec' ioti ec' ichia arriotacoüa?_ D. Ondée at d'assonachiah Nonesken, aerhon assonennhonacoüan ennhonatè d'Onderaoüatacoüi, chiachè assonaios anheoncha dè ta teoüassach. M. _Pourquoy s'appelle-il mortel?_ D. Pour ce qu'il tue nostre âme, luy faisant perdre la vie de la grâce, & aussi pour ce qu'il nous rend dignes de la mort éternelle. M. _Tandè ioüarrihoüandeiassa tout aotan nondée assonendaoüerhaan?_ D. Tastan atoüain teassonacoüas anderaoüatacoüa stan heoüa ta teassonati Ondechon, onekichien ihondanhousta Aatiodè nonanonhoüecha, chè ondée ioti khionirreoüata eca ondechaè, chè ondée haotan assonagnions arrihoüanderachaon ecarrihoüanderachatè d'ihoch. M. _Et le péché véniel, quel mal nous fait-il?_ D. Il ne nous fait pas perdre la grâce, ny mériter l'Enfer, mais il nous refroidit en l'amour de Dieu, & mérite des peines temporelles, & si nous meine au péché mortel. _Aot Ondateracata._ _Achinc ichè Aienstacoüa._ _Des Saincts Sacrements._ _Leçon Treiziesme._ M. _Tout ichien, aoüaton atti t'aoüateoüata ne arrihoüanderacha, chè t'aoüakerha cha ecattierencoüasti dat onionhoüachon?_ D. Stan aondi ta tecoüandaourachè dé ta tessoningoüascoüa Aatio Onderaoüatacoüa. M. _Pouvons nous de nous mesme fuir le péché, & faire les bonnes oeuvres que nous avons dites?_ D. Nous ne les pouvons faire sans l'aide de la grâce de Dieu. M. _Tout aotan dat ecoüakhier chia ecoüaen Aatio ne Onderaoüatacoüa?_ D. Endeïa ecoüaerata aot Ankucoüaè Atoteracáta. M. _Par quels moyens entre autres acquerrons nous la grâce de Dieu?_ D. Par le bon usage & digne reception des Saincts Sacremens de l'Eglise. 13/1405 M. _To Ioüateracataè on Ankhucoüae?_ D. Soutarrè. M. _Combien y a-il de Sacremens en l'Eglise?_ D. Sept. M. _Iaoüeron echa?_ D. Achonacha, Ahetsaroncoüa, Endionrhencha, Atonesta, Ondakhiachenta Orenoncoüa, Anerraesta, Anguiaécha. M. _Qui sont-ils?_ D. Baptesme, Confirmation, Pénitence, Eucharistie, Extrême Onction, Ordre, Mariage. M. _Sinen nondée eca aherhon?_ D. Aiesus Christ Ouaoüandio. M. _Qui les a instituez?_ D. Jesus Christ nostre Seigneur. M. _Tout atti nondée?_ D. Nen atti atahaonenguiaens, chiachè ti ioti attindeïa ataïonton Nonesken, chè atahaonanontan Aiesus Christ Ostaioüancha atohiattè. M. _Pourquoy?_ D. Pour la guarison & sanctification de nos âmes, & pour nous appliquer les fruicts de sa Passion. _Dac ichè Aienstacoüa._ _Achonacha._ M. _Tout aotan assonierha endindè Ateracáta d'Achonacha aatsi?_ D. Nen ihachonas Adanehaan arrihoüanderacha, de icoüahoüa stat tekhionatondi, chè ondée ioti Aoüachristerronon aoüaton, chè assonenastas Aatio, aerhon assonanontan Aatio Onderaoüatacoüa. Leçon Quatorziesme. Baptesme. M. _Que fait en nous le Sacrement de Baptesme?_ D. Il efface le péché originel, avec lequel nous naissons & nous fait Chrestiens & enfans de Dieu, par le moyen de la grâce qu'il nous confère. _Ahetsaroncoüa._ M. _Tandè Ahetsaroncoüa?_ D. Nen assonahetsaron ataiaoüateiatè, chè ataiaoüarrihoüateha Atoüaincha dè khionatoüainchaoüi, stat tekhionachoni. _Confirmation._ M. _Et le Sacrement de Confirmation?_ D. Il nous donne force pour confesser constamment la foy que nous avons receue au Baptesme. _Endionrhencha._ M. _Tandè Endionrhencha tout aotan eest nondée?_ D. Ondée echa assonachonas cha ne arrihoüanderacha d'icoüarrihoüanderai stat onnè akhionachoni. _Pénitence._ M. _Dequoy nous sert le Sacrement de Pénitence?_ D. Nous recevons par iceluy la remission des pechez que nous avons commis apres le Baptesme. 14/1406 _Atonesta. M. _Tout ichierhè dè ne aot Atonesta?_ D. Ierhè ça, stonnè Aoüane ahohachendi, to tohanè Onaoüandio Aiesus Christ dat atoüain ihenkhon ecaot Endiscaraè chè Airrataè. _Eucharistie._ M. _Que croyez vous du tressainct Sacrement de l'Autel?_ D. Je croy qu'après la consecration qu'a fait le Prestre, nostre Seigneur Jesus Christ est réellement contenu tant en la saincte Hostie qu'au Calice. M. _Tande stonnè ahohachendi d'Aoüane, orast ihandataront Endiscaraè, che orast ihouchahenoutan Airratae?_ D, Tastan, aerhon stonnè ihaoüangnrakhia, d'Aoüane, tohanè Ecandataratè aratenni, chè erroné aoüaton d'Aiesus Christ, chè Ecouchahendatè engon tondi d'Aiesus Christ aoüaton. M. _Apres que le Prestre a consacrè, ce qui est en l'Hostie, est-ce du pain, & du vin, ce qui est au Calice?_ D. Nenny, d'autant qu'en vertu des sacrées paroles que le Prestre dit, le pain se change au corps de nostre Seigneur, & le vin en son sang. M. Tande ne Onesse tout aotan nondée? D. Ahierasta haotan nondée, chè iondhéchaens akhracoüa d'Aiesus Christ Nonenguiaenchaens Onheoncha chè Ostaioüancha: chiachè asson haotan horrihoutan et anhoüa Aiesus Christ hatestaancoüas dè aondhedè, chè de aiheondè; ondée echa sti ioti endoron dat eskenona to taoüakra icoüaoüetti. M. _Qu'est-ce que la Messe?_ D. C'est une mémoire & vive representation de la mort & passion de nostre Sauveur Jesus Christ, & outre cela un Sacrifice, où il s'offre soy-mesme pour le salut des vivans, & des morts, & par ainsi nous devons tous y assister avec grande reverence. _Ondakhiachenta Orenoncoüa._ M. _Tout aotan eest d'ondakhiachenta Orenoncoüa?_ D. Assonarrihoüanderachonas d'orast onarrihoüanderachorè, chè assonakheroncoüasta ataiaoüahouichegna chè nonakhriochaens, chè nonachiatorrec, chè Ondakiondatoatacoüa. _Extrême Onction._ M. _A Quoy sert le Sacrement d'extreme Onction?_ D. Pour nettoyer des péchez que nous pourrions avoir de reste, & nous donner force pour resister aux ennuis & douleurs de la maladie, & aux tentations du diable. M. _Tout aotan asson?_ D. Onaest ichien asson t'aoüateenguiaens onerronedè dè tetsoraoüan nondée. M. _A quoy plus?_ D. Il nous sert d'avantage pour obtenir la santé du corps, si c'est le meilleur pour nous. 15/1407 _Anguiaecha._ M. _Tout aotan echa Anguiaecha ihaatsi?_ D. Ateracata haotan nondée, tonnè Enguiahan chè Ondekien akhiontatastacoüan chè akhiontatakhierratan Ankhucoüaonè, d'Ahoüatsiraendè chè dè endèa arrihoüaienstandè ottihoüatsiraoüan, chè de stan teakhroandè, chè stan teandacoüandetaiondè oüatsè. _Mariage._ M. _Qu'est-ce que Mariage?_ D. C'est un Sacrement auquel l'homme & la femme se joignent ensemble par la foy & promesse mutuelle en la face de l'Eglise, pour avoir lignée, la bien instruire & se garder de fornication. _Anerraesta._ M. _Tandè Anerraesta tout aotan?_ D. Aot Akhucoüaè Oteracataoüan nondée, dè stottien Attioüanens, onnè tondi attindaouras chè akhrendotandè ne aot orronè Aiesus Christ Onenguiaenchaens, chè arrihoüanderach orescaoüandè dè honendacarratat, chè stan iesta aerhadè aot Ankhucoüadè. Tandè det attindeiachas Ecoüattioüanens, oont ahonendaronca nondée. _Ordre._ M. _Qu'est-ce que l'Ordre?_ D. C'est un Sacrement mis en l'Eglise, par lequel les Prestres reçoivent la puissance de consacrer le précieux corps de nostre Sauveur, absoudre ceux qui leur sont donnez en charge, & faire les autres choses concernans la police de l'Eglise. Enquoy il leur faut obéir, ores qu'ils fussent de mauvaise vie. FIN. _A la plus grande gloire de Dieu._ 16/1408 L'ORAISON DOMINICALE TRADUITE EN LANGAGE DES MONTAGNARS DE CANADA Par le R. P. Massé de la Compagnie de JESUS. Noutaouynan Ca tayen Ouascoupetz. Nostre Père qui es és cieux 1. Kit-ichenicassóuin sakitaganiouisit. Ton nom soit en estime. 2. Pita ki-ouitapimacou agoué Kit-outénats. Ainsi soit que nous soyons avec toy en ton Royaume. 3. Pita Ki-kitoûin toutaganiouifit Assitz, ego Ouascouptz. Ainsi soit que ton comandement soit fait en la Terre, comme au Ciel. 4. Mirinan oucachigatz nimitchiminan, ouechté teouch. Donne nous aujourd'huy nostre nourriture, comme tousjours. 5. Gayez choueriméouinan ki maratirnisitã agoué, Et aye pitié de nous si nous t'avons offencé, ouechté ni chouerimananet, ca kichiouahiamitz. ainsi que nous avons pitié de ceux, qui nous ont donné suject de nous fascher. 6. Gayeu ega pemitaouinan machicaouintan, espich nekirakinaganiouiacou. Aussi ne nous permets t'offenser, lors que nous y serons induits. 7. Miatau canoueriminan eapech. Pita. Mais conserve nous tousjours. Ainsi soit. La Salutation Angélique. Ho hô MARIE, miffit catouatichôuin Kit-ouitchecou, Salut Marie, toute bonté vous accompagne, Dieu kit-ouitapimuc. Dieu est avec vous. 17/1409 Ki-catouachichiriou miffit è tachitau Iscoueouet, Vous estes la meilleure de tant qu'il y a de femmes, Gayez sakitaganiouiou k'oucouchich kittouascatamitz JESUS. & est en grand estime le Fils de vostre ventre JESUS. O ca catouachichien MARIE Ouccaouymau DIEU, O bonne Marie Mere de DIEU, ahiemiaouinan, ca maratiriniouitsiatz priez le pour nous, qui sommes pescheurs anoch, mac espich nipiatz, Pita. maintenant, & lors que nous mourrons, Ainsi soit. LE SYMBOLE des Apostres. Ne-Tapouitaouau DIEU Je croy en Dieu Outaouymau, Ca missit Nittaouitat le Père, qui est tout puissant, ca Kichitat, Ouascoupniouy, mac Assiriouy. qui a fait le Ciel & la Terre. 2. Gayez ne tapouitaouau, JESUS CHRIST Oucouchichimau, Aussi je croy en JESUS-CHRIST son Fils tipan N'okimaminan. unique notre Seigneur. 3. Ca (Irinissouymau catouachichiriou espich ouitchiat,) Qui (l'Esprit tres-bon coopérant,) Irinicassout ouascatamitz Iscouechichay MARIE, ca ki penet. s'est fait homme au ventre de la Vierge Marie, qui l'enfanta. 4. Chibinat, espich okimaouitay Ponce Pilate, Il a souffert, durant le gouvernement de Ponce Pilate, ki kichtafcouaganiouyou, ki-nipahaganiouyou, mac ouaspitaganiouyou. a esté cloué en un bois, fait mourrir, & enterré. 5. Courasetet adamiscamigoutz, mac eabits nichtou kichiganich Est descendu aux Enfers, & après trois jours minahiauássout, caou iriniouit. reprenant son corps, a derechef vescu. 6. Ifparit Ouascoupetz, gayeu apit outisponesinitanitz DIEU Est monté és Cieux, & est assis à la dextre de Dieu outaouyé, ca nitaouitat missit. son pere, tout puissant. 7. Caou ke nougousit Ouascouptz, kticheastametz, gayez Derechef il apparoistra au Ciel, és nuées, & écouta cata-opineouet Iriniticou, ça Ki-catouachichitouau: là il recevera les hommes, qui auront bien vecu: gayeu cata-ouebineouet ochicta ouisitouau adamiscamigoutz escouteoutz. aussi il precipitera les meschans és enfers dans le feu. 18/1410 8. Netapouitouau ego, ca catouachichiriou Irinissouimau. Je croy pareillement au tres-bon ESPRIT, 9. Gayez peiocout Ahiamitoúin, ca catouachichit, missimitz Aussi une assemblée d'hommes, qui est bonne, en tout le monde fakitaganiouyou, Outichioûin ouirouau, ca catouachichitouau. bien aymée, l'entresoulagement de ceux qui sont bons. 10. Outicheouaticinióuin. La remisson des péchez. 11. Il Minahiauóuin netchipaminanet. Le retour au corps de nos âmes. 12. Iriniouin, ca nama nittanipin eapech. Pita. La vie, qui ne peut mourrir jamais. Amen. La Confession générale. Ne-ouitemouau DIEU ca missit nitaouitat, le confesse à DIEU qui est tout-puissant, Catoua chichiriou MARIE, teaouch Ifcouechichay, à la bonne Marie, tousjours Vierge, Michel Manitou, ca catouachichiat, ego Jean Michel l'ange, qui est bon, pareillement à Jean Baptiste, Pierre, Paul, gayeu missit e tachitau, Baptiste, Pierre, Paul, & à tous tant qu'ils sont, cacacouati chitouau, Ouascouptz, gayez ô Nouta qui sont bons au Ciel, aussi ô mon Père je ki-ouytematin ne-ki-maratiriniouitsin vous confesse que j'ay péché Machicaouian, Machicaouian je suis meschant, je suis meschant, Machicaouissian. Ouay netahiemiau d'ordinaire meschant. Pour ce je prie catouachichiriou MARIE, teouch Iscouechichay, la très-bonne Marie, tousjours Vierge, missit e tachitau catouachichitau tous tant qu'il y a de bons Ouascouptz, gayez ô Nouta kitahiemiaouinan Dieu, au Ciel, & vous ô mon Père que vous priez pour moy Dieu, oua chouerimic. Pita. afin qu'il aye pitié de moy. Ainsi soit. Les Commandemens de Dieu. 1. Peiocou tipan Dieu kigaahiemiau, mac kigasakihihau. Un seul Dieu tu prieras, & aymeras. 2. Outichenicassóuin nama ki-caouyau ega tapouien agoue. Son Nom tu ne prononceras sans dire la vérité. 19/1411 3. Nama Ke-atoscaien kichigatz, kitoutaganiouytau, Tu ne travailleras és jours de commandement, miatau micouke ahiemiec. mais seulement tu prieras. 4. K'outtaouy, gayez Ouccaouy kiga tapouetouau, Ton Pere, aussi à ta Mere tu croyras, ouay ke iriniouien kinouer. afin que tu vives long temps. 5. Aouhiez ega kiga-nipahau. Autruy tu ne tueras. 6. Ega ke machouessien. Tu ne seras Luxurieux. 7. Ega ke kimoutissien. Tu ne seras Larron. 8. Egakekirassien outamirouien ahouiez. Tu ne seras Menteur pour nuire à autruy. 9. Kioué, ca peiocout, ochitau kigaouy maratchihau. De ta femme, unique, seulement desireras cognoissance. 10. Aouhiez out aouyouin ega kigaouy mamau. Pita. D'autruy les moyens tu ne desireras ravir. Ainsi soit-il. SOMMAIRE DES Commandemens de la Loy. 1. Soustissi gayeu epischian, ki-ga-sakihihau DIEU. Virillement & de tout ton pouvoir, tu aymeras Dieu. 2. Gayes aouhiez ki-ga-episterimau ego ki-hiau. Et autruy tu chériras comme toy-mesme. SOMMAIRE DES Commandemens de Nature. 1. Nana ketoutec kecoué aouhiez ca ega meroueritamen aouhiez ketoutise. Tu ne feras chose à autruy laquelle ne veuille autruy te faire. 2. Ouechte ke meroueritamen kiga-toutagouin ego ketoutec ahouhiez. Comme tu voudras qu'on te face de mesme feras à autruy. LE SIGNE DU CHRESTIEN. NE-TAPOUITAOUAU Outaouymau, Oucouchichimau, Je croy au Pere, au Fils, mac catouachichiriou Irmissouimau, ca peocouchouet tipan Dieu. & au très bon Esprit, qui sont un seul Dieu. Pita chouerimic agoué. Ainsi soit qu'il aye pitié de moy. POUR SE RECOMmander à Dieu. NOKIMAU atamitz kitichiet Mon Seigneur entre vos mains je 20/1412 ki miritin n'itchipay: ouitchihime. vous donne mon ame: secourez moy Ki-ouebinau ou machicaouen vous avez terrasse ce meschant Manitou, ca ouitcherimic. Diable, qui me hayt. POUR DEMANDER pardon de ses pechez. PITA chouerimiecou agoue, Vueille avoir pitié de nous, ô Dieu ca missit nitaouitat, miricou ô Dieu tout puissant, donne nous n'outiche ouaticiniouinan, le pardon de nos péchez, mac opinicou ouascouptz ecouta & nous retire au Ciel, là ou iriniouiacou eapech. Pita. nous vivrons à jamais. Ainsi soit. ORAISON A l'ange gardien. MANITOU ca catouatichien, Esprit qui estes bon, ouechté kitotise Dieu, cachiouatessit, ainsi que vous enjoinst Dieu, misericordieux, ou cachigats kisnohime, ouitchihime mac canouerime. Pita. aujourd'huy enseignez moy, secourez moy, & me conservez. Ainsi soit-il. LA BENEDICtion de table. OUTAOUYMAU, Oucouchychimau, mac catouachichiriou Irinissouimau, Pere, Fils, & très bon Esprit, tipan DIEU, oucachigatz, chiouatesiatz, acheminan ne-mitchiminan. seul Dieu, aujourd'huy, misericordieux, donne nous nostre vivre. Pita. Ainsi soit. LES GRACES après le repas. O Dieu! kinascomitinan, ca O Dieu! nous vous remercions, qui nitaouitaien missit, ca ki-ki-mirinan nemitchiminan. pouvez tout, qui nous avez donné nostre aliment. O DIEU pita chouerimiecou agoue tchipayet Noutaouynausebanit: O Dieu vueille avoir pitié des ames de feu nos ancestres: mac espich nipiácou netchipaminanet. O Dieu! Pita gayeu & quand nous mourrons des nostres. O Dieu! Ainsi soit aussi irimouiacou agoue, gayez ouitassitouiacou eapech. Pita. que nous vivions, & soyons en paix à jamais. Ainsi soit. FIN. 1/1413 PIÈCES JUSTIFICATIVES. I. (1629) The Generall of the French taken by Captaine Kirke in Canada doth acknowledge all good usage in respect of Diett and lodging. His grievances are, 1. That friendes and visitantes have not free accesse to him. 2. That he is upon a Diett where he hath much more then he desires without any agreement what he must pay for it, which makes him feare that if he should long continue as he doth, he should not be able to give satisfaction for it. Whereupon being asked whie he did not take his diett with the Maister of the house who had divers times invited him, offering him the freedome of his house and garden, he answered that he loved it private, and being further demaunded whie he did not expresse himselfe in that point of his diett the charge whereof he feared, he answered that he tooke what they brought him. And being againe demanded, whether he had not cleane linnen as was fitt, or that any that would have brought him cleane linnen had beene refused to come to him, he answered, that he had his linnen washed in the house, but in respect of the charge he desired to have a laundresse of his owne, whereupon asking of the Maister of the house whie he did refute it, he said that his house had beene much troubled with two women that came thither, and having some suspicion of them he refused them entrance. 3. The third grievance is, that he is detayned for a ransome which neither ought to be demanded, nor is he able to pay. For he holds himselfe to be noe lawfull prisoner of warre not having beene taken in warre, but upon a plantacion. And he insists much upon this, That all prisoners taken on both sides since the warre between the Crownes have beene freely delivered, not onely those that have beene taken by the Kings armies or fleetes, but such as have beene taken upon lettres of Marque, whereof he gives instance in some taken att Newfoundland, and insistes upon the freedome that Capt. Kirke gave to all the rest that were under his command. And for his ransome, he professeth his whole estate in France is not worth above 700. L. Sterling, and wisheth that for their satisfaction they would send over some man to search the notaries bookes and the contract of Mariage with his wife, or any other waie that may discover his estate, and should they keepe him ten yeares and ten yeares, he was altogether unable to pay a ransome, and wished that noe man would judge of his estate by his clinquant cloathes. 2/1414 The Commissarie Generall doth not complaine but acknowledgeth all good usage for Diett and lodging. His grievances are two. 1. That friendes are not permitted to come to him. 2. That he is kept prisoner for a ransome, beinge noe prisoner of warre, and useth the same argumentes as before. He saies that att the first he wanted linnen, but now his friendes have furnished him, And the Maister of the house being questioned, he answered, that he had offered him accomodacions in this kind which were refused. (_State Paper Office_, vol. V, n. 33.) II. A copie of Mr. Champleins depositions taken before Sr. Henry Martin Kt. the 9th. (19) of Novembr. 1629. Samuell Champlein of Browages in Guien in the Kingdome of France, gent. and late Lieutenant govournor of the forte in Canada called the St. Lewis at Kebecke, sworne before the right worll Sr Henry Martin Knight Judge of the high Court of Admiralty, saieth as followeth. To the first Intergatory he saith that he and the rest of the French latelie taken at Canada by Capt Kircke and his comp. have bin well intreated and used by him and his comp. ev. since they were taken by them, giveing them victualls and useing them as himselfe, and they have bin noe wayes dealt with to depose an untruth for ought hee knoweth. To the 2d. 3d. and 4th. hee saith that he was in the forte when Capt Kircke and his comp. tooke the same, and there were then in that forte and habitacion thereof when Kircke tooke the same viz. the 20th. day of July 1629. Stilo novo viz 4 brasse peeces weighing each about 150 lb weight, one other peece of brasse ordinance wey. 80 lb weight, 5 Iron boxes serving for the 5 brasse peeces of ordinance, 2 small Iron peeces of ordnance wey. each 8 hundred poundes weight, six murderers with their double boxes or chargers, one small Iron peece of ordnance wey. about 80 lb, 45 small Iron bulletts for the service of the foresaid 5 brasse peeces, six iron bullettes for the service of the foresaid, 26 brasse peeces wey. every one 3 poundes, 30 or 40 poundes of gunpowder all belonging to Mo. de Caen of Deepe Mo. Dollew[831] of Paris Mo. de Nouveau of the samm Mo. Ezemaell Caen of Roen Mo. Deshenn[832] of St. Mallos and 3 or 4 more whose names he doth not remember, aboute 30 poundes of match belonging to the French King, 13 whole and 1 broken muskett, a harquebush, a Croacke belonginge to the said merchants, 2 longe harquebushes 5 or 6 foote longe, a peece belonginge to the Kinge, 2 other harquebushes, 10. halbertes. 12 pikes belonginge to the Kinge, 5 or 6 thousand leaden bulletts plate and barres of lead belonging 60 Corseletts whereof 2 are compleat and pistole proof, 2 greate brasse croes wei. 80 lb, 1 pavilion to lodge aboute 20 men belonging to the King, a smithes fordge with the appurtenances, all necessaries 3/1415 for a kitchen, all tooles and necessaries for a Carpenter as appurtenances of Iron worke for a windmill a hand-mill to grinde corne, a brasse bell belonging to the said merchants, and as he hath bin toulld by the factors for the merchants there were in the warehouse or magazine in the said habitacions aboute two thousand five hundred or 3 thousand beavor skinnes and some cases of knifes the number whereof he hath not heard and some small Iron shafts which did belonge particularly to Mo. de Cane and the forte belonging to the King and the habitacion and houses there belonging to the said merchants were all left standing undefaced, and the inhabitants in those houses had some goods of their owne in them but what they were he cannot expresse, and this he affurmed upon his oath to be true, and more to these Interogatories he cannot answere. [Note 831: Dolu.] [Note 832: Deschênes.] To the 4th. he saith that there were not any victuals or ordinarie sustinance for men in the said forte or habitacion at the tyme of the taking of them, the men in the same haveing lived by the space of about 2 monthes before upon nothinge but rootes. To the 5th. and 6th. he saith that being in distresse for want of victuals this examinate sent his brother and twenty more persons in a small pinnace of 7 or 8 tonnes called the Le Loania[833] and one hundred coates or gownes to a place called Gaspey and gave his brother order to land twentie of them there, whereof as he remembreth 2 were weomen and 4 children, and gave them each of them 2 Coates of beaver to buy victualls of the Savages, and with the rest to saile to France to give notice of their distresse in the said forte ac aliter nescit. (_State Paper Office_, vol. V, n. 34.) [Note 833: La Coquinne.] III. 9 (19) Novembris 1629. Eustacie Boule of Paris in France gent. aged twenty nyne yeares or thereabouts sworne as aforesayde sayeth as followeth. To the first Interrogatory he sayeth that, those Frenchmen which Captaine Kirke tooke at Canada and brought home with him in his shippe have bin very well used by him, but this examinate beinge putt into another shippe called the William was at first some thinge ill used by the company of that shippe, but uppon complaint thereof to Captaine Kirke he caused him to be better used. And he hath not (as he sayeth) bin moved to depose any thinge but truth. To the second and third he sayeth That he was taken in the Shallopp the Coquinna before the fort was taken, but sayeth that he knoweth that there were in the interr[t] Forte three or fower brasse peeces of Ordnance, twoe iron peeces of ordinance, some musketts and other municion, the perticulers whereof he cannot expresse nor cann he expresse what quantety of goodes were then in that fort or habitacion but he heard that there were then in the habitacion a quantetye of beavers, knifes and Iron shaftes, and he hath heard that part of the munition of the sayd fort did belonge to the French Kinge, and the rest thereof to Mounsr. de Cane, Mounsr. Dolliew, Mounsr. Donovien, 4/1416 Mounsr. Harvey, Mounsr. Deyerton, Mounsr. de Shanne[834] and other French merchants and that the beavers knifes and shafts aforesayde belonged to Mounsr. de Cane in particuler ac aliter nescit. [Note 834: Deschênes.] To the fourth he sayeth That they in the fort aforesayde at the tyme of theire takinge fedd only uppon rootes and had noe other sustenance. To the fifth and sixte he sayeth That Mounsr. Shamplye[835] caused this examinate with twenty nyne persons more, men woemen and children to imbarque themselves in the Interrogate Pinnace and gave this examinate order to carrye them to Gaspie and there to leave them twenty of them amongst the savages to get victualls amongst them and to give them two coates of beaver a peece to buy victualles with, and with the rest to seeke passage for France to make knowne in what necessitye they in the Fort were, And this he affirmeth uppon his oath to be true who was Captayne of the sayde Shalloppe. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 35.) [Note 835: Champlain.] IV. 9 (19) Novembris 1629. Nicholas Blundell of Deepe in France, gent. aged 22 yeares or thereaboutes, sworne as aforesayde sayeth as followeth. To the first Interrogatory he sayeth That he and the rest of the French taken by Captaine Kirke at Caneda have bin well used and intreated by him in the best manner that he could and as well as himselfe, and hath not bin dealt with to speake any thing more then truth. To the second and third he sayeth That he was in the Fort of Cabecke when it was taken by Captaine Kirke, and he sayeth that there were then in the sayde fort two greate peeces of Iron Ordnance, but what other munition, goodes or marchandizes, were then [in] that fort or the habitacion thereof he cannott expresse, livinge as a private gentleman to his fashion Ac aliter nescit. To the fourth he sayeth That there was not any victuall or ordinary susteynance for men in the sayde fort at the tyme of the takinge thereof they havinge lived about a month or six weekes before, only uppon bitter rootes. To the fifth he cannott depose. To the last he sayeth that those in the Interrogate pinnace and all the rest of the people of the sayde fort and habitacion except sixteene were sent away, some to goe for France, and the rest to be releived amongst the Salvages in the country. (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 36.) V. The depositions of Capt. David Kyrcke, and Capt. Thomas Kyrcke, John Lowe and Thomas Wade, Factors for the Adventerers to Canada, taken before Sr. Henry Martin, Kt. and Judge of the Admiralty the 17th. (27) of November 1629. The 26th of March (5th. of April) 1629. we departed from Gravesend with sixe shipps and tow pinnaces and weare of the coast of England, about the 10th. (20) of April following. 5/1417 The 15'th (25) of June wee arrived at Greate Gaspe and went up to Taddowsacke and Quebecke, between that and the 3rd (13) of Julye; in these places we traded with the Natives of the Countrye for 4540 Beavor skinns and 432. stagge skinns, according to the accompt delivered to mee by the Factors and pursors of the shipps, as appeareth to bee true under ther oathes. About the 3rd (13) of Julye I sent my brother with tow hundred men to demaund the rendering of the forte of Quebecke, which was geven up unto him the 9th (19) ditto upon such articles and condicions as are set dowen under the hande writinge of Mr. Champlaine and Mounsier du Pon. My brother haveing possession of the Forte sent dowen to our shippes all such Bevore skinns as were found therin, which did amount to one thousand seaven hundreth and therteen beavors, as appeareth by the account of the Factors imployed to take the tale and accompte of them, and more beavor skins were not in the sayed Fortte and habitation as farre as I knowe. These above sayd are the depositions of Capt. David and Capt. Thomas Kyrcke, made the 17th Novembr. 1629. We John Lowe and Thomas Waade, Factors and pursers in this voyadge with the above sayed Capt. Kyrckes do likewise affirme upon our oathes taken the 17th Novembr. 1629. that there were noe more then 1713 Bevor skinns in the Forte and habitation to our knowledge and that there came no more to the Companies handes. This the parties abovesayd upon there severall oathes taken before Sr. Henry Martin Kt. Judge of the Admiraltye have affirmed to be true of theire knowledge. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 37.) VI. Demandes de l'Ambassadeur de France au Roy de la Grande Bretagne. Qu'il plaise à sa Majesté luy accorder la permission de faire saisir les pelletries & autres marchandises apportées de Canada dans deux vaisseaux par les Kirkes, & deschargez secretement, pour le droit des François interessez, contentant à la vendition desdites marchandises, moiennant qu'il y ayt un commis par luy pour y assister, Et que l'argent quy en proviendra soit mis en sequestre jusques en définitive. Plus qu'il plaise à sa Majesté vouloir remettre à son juge de l'admirauté la cognoissance & le jugement de trois vaisseaux pris en mer par les Holandois, & enmenez en ses portz, reclamez par les propriétaires François. FONTENAY. (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 50.) VII (11 février 1630.) L'ambassadeur de France supplie sa Majesté de la Grande Bretagne qu'il luy plaise ordonner suivant & conformément à ce qui a esté promis & accordé par les articles du XXIIIIe avril dernier, au Capitaine Querch & au Sir Guillaume Alexandre, & telz autres de ses subjectz qui sont ou se trouverront en la 6/1418 nouvelle France, de s'en retirer & remettre entre les mains de ceux qu'il plaira au Roy son Maistre d'y envoier & seront porteurs de sa commission, tous les lieux & places qu'ilz y ont occupez & habitez depuis ces derniers mouvemens, & particulièrement la forteresse & habitation de Québec, costes du Cap Breton & Port roial prins & occupez, scavoir la forteresse de Québec par le Capitaine Querch & les costes du Cap Breton & Port roial par ledit Sir Guillaume Alexandre Escossois, depuis le XXIIIIe avril dernier. Et iceux remettre en mesme estat quilz les ont trouvez, sans en desmolir les fortifications ny bastimens des habitations, ny emporter aucunes armes, munitions, marchandises ny ustencilles de celles qui y estoient lors de la prinse, quilz seront tenuz de rendre & restituer avec toutes les pelletteries quilz ont apportées dudit païs, ensemble la patache commandée par le Capitaine de Caen, qui a esté amenée en Angleterre, comme aussy le navire nommé la Marie de St jean de Luz, du port de soixante dix tonneaux, qui a esté prins par ledit Alexandre au port des baleines, coste du Cap Breton, & partie des hommes ramenez icy par le Capitaine Pomere. (_Sur le dos est écrite._) MEMOIRE Whereby the French Amb. desires his Majesty to give order for the restitution of all the places taken in Canada by the English and Scotts during these last troubles: Item of all the goods and ships brought from thence hether all in manner as it was taken, CANADA. (_State Paper Office, Colonial Séries_, vol. V, art. 50.) VIII. Response de Messieurs les Commissaires establis pour les affaires estrangeres sur cinq mémoires à eux presentés par Mr. l'Ambassadeur de France, le premier de Febvrier 1629. (11 février 1630.) 1. Touchant la restitution des places, navires & biens qui ont esté pris sur les François en Canada, & particulièrement du fort de Québec, Sa Majesté persiste en sa première resolution signifiée audit Sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut delivré en Latin, portant que ledit fort & habitation de Québec, qui fut prist par le Capitaine Kirke, le 9 (19) de Juillet, sera restitué en mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abbatre des fortifications ou bâtiments, ny en emporter des armes, munitions, marchandises ou utensiles qui y furent lors trouvées. Et que si aucune chose en avoit esté emportée, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises & emportées dudit fort pour butin & choses de bonne prise, seront restituées selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris là, sur serment qu'elles auront esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que sa Majesté offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la première déclaration qu'elle en a faite, & n'estime pas pouvoir estre pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier Traité. 2. Touchant l'abus que ledit Sieur Ambassadeur se plaint avoir esté commis par les Marchans Anglois, en cachant & soustrayant 7/1419 les peaus qui ont esté apportées de Canada, il a esté ordonné par Messieurs du Conseil, & charge expresse par eux donnée à un des clercs du Conseil, de faire une visitation particulière & prendre Inventaire du nombre des peaus qui retient & de faire parfournir ce qui s'y trouvera de manque par les marchants afin d'accomplir toutes choses selon qu'il a esté promis. 3. Quant aux marchandises que Pierre de Joffe & autres marchants de Calais reclament & disent leur avoir esté prises en la navire de Hambourg, Messieurs du Conseil ont pris la cognoissance de ce fait par devers eux ainsy qu'ils en ont esté requis, & se sont fait mettre entre les mains tous les enseignements qui le concernent, avec l'intention de faire faire restitution desdites marchandises selon qu'elles leur apparoistront appartenir de droit ausdits François. 4. 5. Touchant la navire particulière de St-jean de Luz, pris par le fils de Sr William Alexander, & amené à Plemue, & trois autres navires nommez l'Amitié, le Pierre & le Michel de Calais, qui ont esté pris & menés en Escosse, Sa Majesté a donné ordre exprés qu'ils soyent restitués. (_Sur le dos est écrit._) Responce de Messieurs les Commissaires aux Mémoires de l'Ambassadeur de France, Canada. _(State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 50.) IX. Charles, by the grace of God, Kinge of England Scotland France and Ireland, Defender of the faith, etc. To our right trustie and welbeloved Councellor, Sir Humfrey May Knight Vicechamberlaine of our houshold. Sir John Coke Knight, one of our principall Secretaries of State, Sir Julius Cesar Knight Master of the Rolls, and to our trustie and welbeloved Sir Henry Martin Knight Doctor of the Lawes and Judge of the Admiraltie, Greeting. Whereas Captaine David Kirke and his associats have taken certen goodes moveables merchandize and skynns, from certaine of the French which were remayning in the forte of Kebecke, the Colledge of jesuites, and in a shippe by him taken in Canada in the partes of America, Wee therefore, minding and resolving to be trulie informed and advertised of the same, and of the quality and values of the skynns goodes and merchandize there taken as aforesaid, have assigned and appointed, and by theis presents doe assigne and appointe you the said Sir Humfrey May, Sir John Coke, Sir Julius Cesar, and Sir Henry Martin, to be our Comissioners, giving and by theis presentes granting unto you or anie three or two of you full power and authority to call or send for before you or anie three or two of you at such tyme and tymes, place and places, as to you or anie three or two of you shall seeme most expédient as well all and singuler masters of shippes and mariners as all or any other person or persons whome you shall understand or conceive can give you informacion in or concerning the premisses, and shalbe necessarie to be called for the discovery of the premisses, or anie of them. And wee doe further hereby give unto you, or any three or two of you, full power and authoritie, as well by examinacion of the said masters of shippes marryners or any other person or persons whome you or anie three or two of you, shall thincke fitt upon 8/1420 theire corporall oathes, or without oathe as by anie such other lawfull waies and meanes whatsoever as to you or any three or two of you shalbe thought fitt and expédient to find out and discover the said goodes moveables merchandize and skynnes, and all other necessarie incidents and circumstances concerning the premisses whereby the truth maie the more plainely appeare and be made manifest unto you. And upon such examination taken and discovery made, Wee will require and comaund you or anie three or two of you to certifie and advertise us or our privie councell of such your proceedinges and howe and what you find concerning the premises. And theis presentes or the inrollement thereof shalbe unto you, or anie three or two of you, a sufficient warrant in this behalfe. And lastlie our will and pleasure is, that this our Comission shall continue in force, and that you our said Comissioners, or any three or two of you, shall proceed to the execution thereof, although the same be not from tyme to tyme continued by adjournment. IN WITNESS whereof, wee have caused theis our letters to be made patentes, Winnes our selfe at Westm. the fifte day of March in the fifte yeare of our Raigne. Per ipsum Regem WILLYS. (_Sur le dos est écrit._) A comission to Sr. Humfrey May Knight, and others to examyne what goodes, merchandize and other thinges were taken by Captaine Kirke, at Canady, in the partes of America. 5 mar. 5 Car. WILLYS. (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 58.) X. In one onely point Monsieur de Chasteauneuf seemed to goe away ill satisfyed, that he could not obtayne a direct promise from His Majesty for ye restoring of Port Royall, joyning to Canada, where some Scottishmen are planted under ye title of Nova Scotia. This plantation was authorized by King James, of happy memorie, under letters patents of ye Kingdome of Scotland, and severall priviledges graunted unto some principall persons of ranke and quality of this Kingdome, with condition to undertake the same. True it is, it was not begun till towards the end of the warre with France, when some of His Majestys subjects of that Kingdome, went to Port Royall, and there seated themselves in a place where no French did inhabite. Mons. de Chasteauneuf pretending (rather out of his owne discourse, as wee here conceive, then by Commission) that all should be putt in state as it was before the warre, and by consequence those men withdrawne, hath pressed His Majesty earnestly for that purpose, and His Majesty without refusing or granting, hath taken time to advise of it, letting him know thus much that unless he found reason as well before as since the warre, to have that place free for his subjects plantation, he would recall them, but in case he shall find the plantation free for them in time of peace, the French will have noe cause to pretend possession thereof in regard of ye warre. Meanewhile Kebec, (which is a strong fortified place in the river of Canada which the English tooke) His Majesty is content should be restored, because the French were removed out of it by strong hand, and whatsoever was taken from them in that fort shall be restored likewise, whereby may appeare the reality of 9/1421 his Majestyes proceedings, and this I advertise your Lordship for your information, not that it should be needfull for you to treate or negotiate in it, but to ye end that if it should be spoken of upon Monsr. de Chasteauneuf's returne, you should not be ignorant how the businesse passed. DORCHESTER. Whitehall, 15th, Aprill 1630. (_Sur le dos est écrit._) Lord of Dorchester to Sr. Is. Wake, 15. April 1630. Plantation of Canada, Nova Scotia, Port Royall and Kebec. (_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 82.) XI, n. I. To the right honorable the Lords of his Majesties most honorable Privie Councell. Whereas I received an order from your Lordships of the nineth of this instant Aprill, concerning the difference between Generall de Cane and the Marchant Adventurers of Canada, about the Beaver skinns in question betweene them, I have sent for ye said merchants, ye greatest parte whereof appeared before mee at severall tymes, and seemed to bee willing that ye said Generall de Cane should have ye said skynns delivered unto him according to your Lpps. said order by ye said Solomon Smith marshall of ye Admiralty, but amongest the rest of the said merchants Captaine Kirke, who as I am informed hath the custodie of one of the keyes of each warehouse, there being two lockes to either warehouse dore wherein the said skynnes are. Although he hath byn diverse tymes warned never appeared before mee, who is either out of towne or else refuseth to bee spoken with all. So as I perceive the said skinns will not be delivered unto ye said Generall de Cane nor his Assignees untill some further order bee taken by your Lpps. therein, and further I humbly certifie unto your Lpps. that the said Generall de Cane at his last being with mee informed mee that his occasions were such that he cold not staie in England untill such tyme as ye difference betweene him and the said marchants was ended, but wold appoynt one as his Assignee to follow the said buisnes on his behalfe in his absence. In which place hee hath appoynted one Jaques Roynard[836], who appeared before mee and pretendeth his onlie staie in this Kingdome is to see this buisnes ended, which he alleadgeth is an extraordinary hinderance unto him in his affaires. All which I humbly leave unto your Lpps. consideration. This XXVIIIth of Aprill 1630. JAMES CAMBELL, Mayor. [Note 836: Kognard, ou Couillard, sieur de Lespinay.] XI, n. 2. To the Right Honorable the Lordes and others of his Majesties most Honorable Privy Councell. The humble Peticion of Generall de Caen. Shewing that according 10/1422 to your Honours Order directed to ye Lord Mayor of this Citty of London he hath proceeded to the sale of ye Beavers, and after divers and many profers and ye highest price offered by your Petr the said Beavers were then adjudged to your Petr who then offered the monyes, demanding the delivery of the said Beavers. But Capt. Kirck and his Company would not deliver the said Beavers nor ye keyes of ye warehowsen, where ye said Beavers are kept, upon any order from the said Lord Mayor to them as may appeare by his annexed Certificat with the protest for ye costes and dommages which ye said Petr hath and doeth suffer. Humbly therfore he beseecheth your Lpps. (considering your premises and ye injust dealings and tedius frivolous delayes of ye said Capt. Kirck and other adventureres for Canada), would be pleased to ordaine: That ye said Beaver may be speedily delivered to ye said Petr or his assignees, and the said Capt. Kirck and Comp. condempned to pay all costes and dommages which are or shall happen to ye Petr by reason of not delivery of the said Beavers. AND HE SHALL PRAY, etc. XI, n. 3. Knowe all men by theis presentes that on the Twelveth day of April One thousand six hundred and thirty, and in the sixt yeare of the Raigne of our Soveraigne Lord King Charles, etc. Before mee Josue Mainet Notary and Tabellion Publicq, dwelling in this Citty of London by the authority of the said Kinges most ex[t] Majesty. Admitted and sworne and in the presence of the witnesses herunder named personally apeared the noble William de Caen, Lord of La Motte Generall of the Fleete for New-France, and hath required of me the said Notary to summon the Englishe Adventurers of Canada in Comp. with Captaine Kirck to deliver or cause to be delivered the Keyes of the severall Warehowsen where the Beaver skins are layde up which have bin brought from Caneda, and sould unto the said Generall de Caen, and for to have possession of the said Beavers upon the conditions mentioned in the order of his Majesties most honorable Privy Counsell, dated the nynth of this month, And in case of refusall and not delivery of the said Keyes and Beavers upon the conditions aforesaid, the said Generall de Caen hath protesteth and doeth protest by theis presents of Exchange & Rechange and all costes dommages and interestes of the some of six thousand poundes starling, which the said Generall de Caen hath taken up here by Exchange for to pay and deposite for the said Beavers in the handes of the right Worshipfull James Cambell, Lord Mayor of this Citty of London, for to recover all the same of the said Adventureres of Caneda here of their goodes in time or place as of right it shall appertaine. As also for ye spoile and perishing of the said Beavers and loosing of the market for the same, the said Generall de Caen declaring moreover to have given, and doth give by theis presentes full power and authority to James Roynard[837], Sieur d'Espinez his Attorney, to cause the said Beavers to be delivered unto ye Factor of the said Generall de Caen here, who hath the monyes for to pay for ye said Beaveres upon the delivery of the said Beaveres: In Witnes whereof, the said Generall hath herunto set his hand and seale in London, in ye presence of Salomon de Quieuremont and Peter James, Witnesses hereunto required. The register of the the said Notary is thus subscribed de Caen, S, de Quieurmont, Peter James. [Note 837: Cognard, pour Couillard.] 11/1423 On the thirteenth day of ye said month of Aprill, I the said Notary at the request aforesaid tranaported myselfe unto the persons of Mistris Kirck, widdow of late Jarvis Kirck, in his life time merchant of this Citty of London, and to Captaine David Kirck, his sonne, and William Barkely also of London merchant Adventurers of Caneda, and have required them and every of them to deliver or cause to be delivered to the assignee of the said Generall de Caen, the keyes of the severall Warehousen where the said Beavers are layde up as aforesaid, And then I notified unto them the aforefaid protedt, and showed them the said order from his Majesties honorable privy Councill, Whereupon Mistris Kirck replyed shee had bin long sick, since her late husband's decease, and had not the keyes of the said Warehousen, but was ignorant of those buissineses which shee had comitted to her sons ordering, and the said Capt. David Kirck answered he was not Executor or administrator to his late father, and that he had not ye said keyes. And the said William Barkely having perused and read over the protest and order of ye Councell, answered thereupon that he hath not the said keyes of the said Beavers and therfore cannot delivered them: And on the fowerteenth day of Aprill, I the said Notary having alsoe required of Robert Charleton, also of London merchant and one of the said Adventurers unto whome I have notified the premises and delivered unto him an authentick coppy of the protest and order aforesaid, and I demanded of him the delivery of the said keyes. Whereupon the said Robert Charleton answered that hee neither is or ever was possessed of the said keyes where the said Beavers are kept, and for his part hee wisheth that the said Generall de Caen had the beavers for the price hee offered for them. And finally ye said Robert Charleton said that he canot get his part which he hath in the said Comp. and he doeth not knowe who hath the said keyes, neyther can hee deliver them. Of which severall answers aforesaid, I the said Notary have at the instance of Sieur Despinez made this present Act for to availe the said Generall de Caen as of right shall appertaine, Thus done and passed att London in the presence of William Hill and George Colles, Witnesses thereunto required. Josua Mainet, Not. Pub. (_Sur le dos est écrit._) Requeste de Monsieur de Caen. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 87.) XII. May 18th. 1630. A letter to the Lord Mayor of London. Wee have bin informed that notwithstanding the strict directions that have bin given from this Board. A lettre to the Lord Mayor and Sheriffe of London. Whereas you have formerly received order from this Board to summmon the Marchants trading for Canada, to deliver the Keyes 12/1414 of the warehouses, where the Beaver skinns remaine unto your Lordshipp upon the depositing of a certaine som of money, which as wee are informed the said Marchants refuse to doe. We doe therefore pray and require your Lopp. etc., to the said Merchants an other summons to deliver the said Keyes, that so the said skins may be delivered unto Generall de Cane upon the depositing of so much money, as was agreed upon by our said former direction which if they refuse now againe to doe upon this second significacion, then wee require, and hereby authorize your Lopp. etc., to breake open the doores of the said warehouses, and to see the Beaver skinns delivered to the said Generall de Cane or his Assignes upon the depositing of the said sume of money as aforesaid, for which this shall your Lopp. etc., sufficient warrant etc., And so etc. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 92.) XIII. Samedie dernier, le Sec(re) du Moulin avec le Sr. de Caen s'estans transportez avec un Sergent & ses deputiez au magasin où les pelleteries qui avoient esté apportées de Canada avoient esté mises soubz le seel par ordonnance du Roy, comme il plaira à Messieurs du Conseil le souvenir, un de la part de Querch seulement & de ses associez s'y estant presenté, il ne feust trouvé audict magasin que trois cens castors & quatre cens orignaitz, par où Monseigneur l'Ambassadeur suplie le Roy & Messieurs de son conseil d'apporter son authorité pour faire reparer & chastier ceste entreprinse dudit Querch & ses associez, d'avoir esté si osez de rompre les cadenatz & le scelle de la Justice & enlever lesdictes pelleteries. Et que pour ceste violence ilz soient condamnez à remettre dedans trois jours en main tierce, les six mil castors quilz ont recogneu avoir apportez de Canada. Et qu'à ce ilz soient contrainctz par emprisonnement de leurs personnes & saisie de tous leurs biens, sans prejudice de plus grande quantité que ledit Sr. de Caen veriffiera quilz ont apporté de Canada, & vendu depuis leur retour à des marchans François pour grandes sommes de deniers. (_Sur le dos est écrit._) MEMORIAL Whereby the French Amb. desires that Mr. Capt. Kerke and other bee punished by prison, etc., because they have broken up the Magasin of the goods, brought from Canada, and that they make restitution within three dayes of the 6000. brought from thence, etc. CANADA. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 96.) XIV. Whitehall the second of June 1630. This day Thomas Fittz Marchant being convented before the Board for a notorious misdemeanor in imbeseling and conveying away certaine Beavor skins, out of a Warehouse wherein they were deposited by way of sequestration under lock hung on by order of the Court of Admiralty, was after examination taken of his 13/1425 Carriage therein, committed to the prison of the Fleete, and it was further ordered, that the examinations taken before the Board, should be transmitted to Master Atturney Generall, who after perusall of them is hereby prayed and required to take strickt examination of the business, aswell to discover who were actors or Abettors anie way in conveying away the said goods, as to whose hands anie parte of the same either in specie or anie parte of the moneyes ariseing upon the sale of them, are come, and how the same hath bin imployed, or disposed of, and by whose direction with all such other circumstances as he shall finde requisit touching the same, and that the Messinger who hath the said Fitz in custodie doe forthwith carry him before Mr. Atturney to the end he may take order for the present producing of the said Fittz, his booke of Account, without which he refuseth (as appeareth in his Examination before the Board) to declare what parte of the money ariseing upon the sale of the said goods he had already received. Whitehall the 16th. of June 1630. Upon consideration this day had at the Board of the difference depending betweene Monsr. de Cane a subject of the French Kings and Thomas Pittz and others English Merchants Adventurers to Canada, and upon consideration had in particuler of the great contempt and affront of all authoritie and Justice shewed by the said Fittz, whereunto also it is to be presumed that the rest of his partners were privie and Abettors, It was thought fit and ordered that his Majesties Atturney Generall doe proceede in Starr Chamber against the said Fittz, with all expedition, and that he likewise hasten the Commission agreed on and directed for the examination and discovery of the rest of the Actors or Abettors in the said misdemeanors, and that here of he give their Lordshipps an account at their next sitting on Fryday in the afternoone. Lastly it is thought fitt and ordered that the said Fittz be still continued prisoner in the Fleete. And that the Warden be expressly charged and required not to suffer him at all to goe abroad. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 97.) XV To the right honorable the Lords Comissioners for his Majesties Navie and Admiraltie of England. The petition of Sr. William Allexander Knight, Capt. David Kerk and others the adventurers in the joynt companie of Canada. Whereas it pleased his Majesty some three years agoe to give Comission under the great Seale of England to the pet[rs] for planting Colonies in the river of Cannada, and displanting of those who were then his Majesties ennemies in the said Landes, and for the better encouragement and enabling of the pet[rs] to give them by the same Commission sole power to trade with the natives within the Gulfe and river of Cannada: Now the pet[rs] are informed that there are divers shipps bound for the said Gulfe and river without warrant from them and contrary to his Majesties expresse pleasure by his Commission to them, which cannot but turne greatly to the prejudice of his Majesties service and the losse of the pet[rs] And they are particularly 14/1426 enformed of one shipp, called the Whale of London whose owners are Nathaniell Wright and Nathan Wright, the Masters Richard Brewerton and Wolston Goslyn, that is presently ready for the said voyage. Wherefore they doe humbly entreat your Lordshipps that for the foresaid shipp or any other which upon due information shalbe found to have any such intention contrary to his Majestys Commission to the pet[rs] there may be such course taken that they may be stayed or sufficient assureance given that they will prosecute noe such voyage. And they shall pray for your Lordshipps. The Lords Comissioners for ye Admiralty desire ye Lord Viscount Dorchester to be pleased to take this petition into present Consideration, and calling all parties before him to examine how farre ye limitts granted to ye petitioners (by Commission from his Majestie) extend in Latitude and Longitude, and if his Lordshipp shall find that the parties complayned of have intention to goe into those partes contrary to his Majesties Commission their Lordshipps thinke fitt and order that they be staid as is desired. Wallingford House, 26. Febr. 1630. (8 march 1631.) EDW. NICHOLAS. (_Sur le dos est écrit._) R. 26°. Febr. 1630. Pet. of Sr. Wm. Allexander. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 4.) XVI. Right trustie and welbeloved Cousins and Counsellors and trustie and welbeloved, Wee greete you well. Whereas wee are informed that there are certaine shippes bound for the gulph and river of Canada, contrarie to a power and comission given by us unto Sr. William Alexander Knight, Jerves Kirk and others therein contained, who by vertue thereof have been at greate Charges in setling and maintaining a Colonie and fort in these boundes, Our pleasure is that upon due information of any Shipp or shippes bound for the said Gulph and river of Canada, contrarie to our former warrant, and without power from the forenamed persons having interest in it you take such speedie course as is requisite for their stay and hinderance till our further pleasure be knowen. For doing whereof these presents shalbe unto you a sufficient warrant. From our Court at Whitehall the[838] (_Sur le dos est écrit._) A cont. pt. of a lre. for hinderance of men going to Canada, desired by Sr. W. Alexander, ye 19 of Feb. 1630. (1st. march 1631.) (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 5.) [Note 838: Ainsi en blanc dans l'original.] XVII. A breife declaration what beaver skinnes Captaine David Kirke and his Companie brought from Canida, in the yeare 1629. and how the Forte of Kabecke was surrendred. 15/1427 That the sayd Captaine Kirke and his companie brought from Canida, the voyage aforesaide but the number of 6253 beaver skinnes. Deposed upon oath by Capt'aines David and Thos. Kirke, Jn°. Lowe and Th. Wade their factors and pursers fol. I. That of the saide 6253 beaver skinns they gott and acquired by trade with the natives of Canada 4540. Deposed upon oath by the same parties fol. I. as also Jacques Reinard Sr. de Espines, Lieutenant to Monsr. de Cane, hath deposed ad 15 interrogator. fol'. 5, that he beleaveth they traded for 4000. beavers and all the other Frenchmen depose that the English traded there for beavers skines. That Captaine Kirke and his companie had not from the French above the number off 1713 beaver skinnes which with those had in trade as aforesaid maketh upp the number of 6253 skinnes. Deposed by the said Captaines David and Thomas Kirke, John Lowe and Thomas Wade, fol. I.[839] [Note 839: Dans le n. 13 du Vol. V, qui ne diffère pas essentiellement du n. 12, on lit de plus: _and M. Champlain governor of the Fort deposeth but of 2500. or 3000 beavers that were therein_, fol. 3.] That the time when the Fort of Keibecke was surrendred to Captaine Kirke, the French men in the same were in greate want of victualles havinge lived two months before uppon nothinge but bitter rootes. Deposed by Samuell Shamplin, Leieutenant Goverener, fol. 19, ad. 4, Nicolas Blundell, fol. 22 and Eustacie Boule, Fol. 23. That the French delivered to Captaine Kirke in exchange for victualls and for theire bringinge into England and sendinge them into France, at his chardges all the beaver skinnes which he had from them. Proved per contractum, fol. 24. [840] [Note 840: Le n. 13 porte: _Proved per contractum made at the takeinge in of the Forte_, fol. 8, 9.] That Captaine Kirke fedd for the space off three or fower months off the French, 100 persons and that those victualls in trucke which the natives would have gayned him more beavor skinnes then att those which he had from the French to the number of 1000. Deposed by Captaine David Kirke, fol. 27. ad. 9 and 10. Interr. And whereas there may seeme to be some difference betweene the depositions of the English and French, touchinge the number of beaver skinnes, that difference is thus to be reconsiled, namely that it is to be understood, that the English speake only off such beavers as came to the companies accompt, and the French speake off the whole number of skinnes that they had when the forte was surrendred, not naminge or expressinge what part off the same they themselves enjoyed by the permission off the English hid or imbeazilled, for it is evident by their owne depositions that by the content of the English, some of them had one garment and others two garments of beaver a peece, and Monsr. Shamplin and Monsr, Pountgrave had 227 beavers off those found in the Forte all which by estimation cannot be lesse then a thousand skinnes besides one; Monsr. Culliart now residing in 16/1428 Canida, had 250 of the said beavers which the English paid him for, as by his receipt may appeare and the Frenchmen themselves did privately convay away some beavers and hidd others the number whereof cannot be discovered by reason that by the articles of agreement they were permitted to carry out of the forte what beaver skinnes and others comodities they had, nither is it considered what at such a time both the French and English off the ordinarie people might convay away as pilladg which is impossible for the adventurers to finde out. (Sur le dos est écrit.) Breviat of ye businesse of Kebeck as was brought me by one of ye Canada companie, ye 2. (12) of May, 1631. with a note of the Beaver skinnes taken and bought by Capt. Kerke in Canada. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 12.) XVIII. 27 May (6 June) 1631. Captaine David Kirke sworne and examined before the right worshipfull Sr. Henry Martin Knight, Judge of his Majesties high Court of the Admiralty uppon certaine Interrogatoryes answereth thereto as followeth. To the first Interrogatory hee sayeth That true it is, That he was Imployed cheife Comander in two voyages into Canida, in the yeares 1628. and 1629. and the first of those voyages he was sett forth and ymployed at the Chardges of his late father Gervase Kirke and others merchantes of London, and the last of those voyages at the chardges of Sr. William Alexander the yonger, the sayde Gervase Kirke and others theire partners. And this hee affirmeth uppon his oath to be true. To the second he sayeth That in the first of the said voyages, he tooke from the French all the Country of Canida that they had in possession, except the fort of Cabecke. To the third he sayeth That in the last voyage when he tooke the sayd fort of Cabecke he had not any notice or knowledge of the late peace concluded betweene England and France. To the fowerth he sayeth That in the sayde last voyage wherein he tooke the sayde fort of Cabecke, he had a Comission under the broade seale of England, authorizinge him to transplant the French at Canida, and utterly to expell them from that country. To the fift he sayeth That in the sayd last voyage in the river of Canida he mett whit a French pinnace whereof Emery de Cane was Comander, and that pinnace assalted this examinates shallops and shott at them before this examinate began fight with her. And that pinnace did kill two of this examinates company and hurt and maymed twelve or sixteene others of them. To the sixt he sayeth That the beaver and ottar skynnes now in sequestration under the lockes of the Admiraltye are the same that this examinate had by trade with the natives of Canida, and by composition from the French for victualls given them accordinge to that composition. To the seaventh he sayeth that the French at the tyme of the 17/1429 renderinge of the forte of Cabecke did bringe out of the same which they sould and disposed to theire owne use betwixt seaven and eight hundred beaver skinns, of which the greatest part they sould to the English here in England. To the 8th he sayeth that when this examinates men returned from the takinge of the sayde forte, this examinate would have taken some beaver skynnes from them which they desired him not to doe, because (as they did constantly affirme to him) they had bought part of them of the French in exchange of apparrell, and the rest they founde in ditches and in the wood where the french had hid them. To the nynth and tenth he sayeth That there was not in the sayde forte at the tyme of the rendition of the same to this examinates knowledge any victualls, save only one tubb of bitter rootes, and he sayeth uppon his oath, That for the victualls which he gave the French to releive them in Canida and homewards accordinge to Composition, he might have hade in trucke with the natives of that country more beavers by a thousand then he had out of the sayde fort of Cabecke. And this he affirmeth uppon his oath to be true, Further addinge that with his owne victualls he fedd of the French by the space of three or fower monthes at the least one hundred persons, and payde for theire victualls in England and freighted and victualled them a shipp and therein sent them from England to France according to the sayde composition. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art, 15.) XIX. Monsr. Monsr. d'Espiné m'a faict savoir ce qui se pane. J'entendz par la vostre qu'aportez de bon vin. J'eusse eue grandement aize que feussiez venu d'un aultre fasson, pour vous monstrer que je ne suis pas tel qu'il a esté raporté à Monsr. vostre cousin. Ou que j'eusse esté vostre prisonnier, ou à moy l'honneur de vous estre serviteur, j'entendz que nos deux Majestez sont d'acort. S'il vous plaist venir icy sur vostre Commission, vous recepverez ce que esperez de celuy qui est Monsr. Vostre très affectionné, KIRCK. Je, Emery de Caen, Capitaine de la Marinne, commandant le navire nommé le _Don de Dieu_, suivant le congé qu'il a pleu à Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & sur Intendant de la Navigation & Commerce de France, donner au sieur Guillaume de Caen, cy devant Général de la flotte de la Nouvelle France, pour envoyer un navire à ladiste Nouvelle, traister avec les sauvages, recepvoir les debtes qu'il luy seroyent deubz, ledist sieur de Caen s'il en auroit donné le commandement, & estant arrivé à l'isle d'Orléans, près l'habitation de Québec, audist païs. J'aurois envoyé Jacques Cognard, sieur de l'Espinay, porter la coppye de mon dist congé à une signification dudist sieur de Caen, ensemble ma signification & protestation au bas, en datte du quatriesme jour de Juillet mil six cens trente un, au Capitaine Louis 18/1430 Kearke, Commandant pour le Roy de la Grand Bretagne, du fort & habitation du dist Québec, lequel m'avoit mandé pouvoir venir par ma commission, ce que j'aurois faist, & trois jours après mon arrivée audict lieu il m'auroit faist mettre noz voilles, mousquets & piques dans la dicte habitation. Et ayant parlé par plusieurs fois audist sieur Gouverneur & aux commis de la compagnye d'Angleterre, pour nous accorder pour faire la Traitte par ensemble pour esvitter aux desordres qui eussent peu arriver. Nous aurions en fin traitté l'un avec l'aultre pour pain, poix & aultres marchandises, des Castors & peaux d'orignal passez & grains de pourcelaine, lesquels castors & peaux ont esté mis en leur magasin pour les separer entre eux & nous. Et ne m'auroyent desfendu la traitte ny donné empeschement jusques au jour d'hier que les Hurons sont arrivez avec quantité de castors & aultres peletries, ilz m'auroyent envoyé leur principal commis, nommé Jehan Loo, me signifier une article comprise dans l'ordre qu'ilz ont de leur compagnye, signée de Monsieur le chevallier Guillaume Alexandre & le Capitaine David Kearke, cy devant général de la flotte Angloise pour le dist païs, pour & au nom de toute la compagnye, par laquelle ilz ordonnent de prendre & saisir tous navires qui traitteroyent dans le dist païs. Et prendre leurs castors jusques à fin de traitté, & auroyent mis dans mon dit navire & barque plusieurs de leurs gens sans m'avoir laissé aulcun exploict de la dicte signiffication, pour m'empescher de traitter mes marchandises avec lesdistz sauvages. Et deffence à moy de ce faire, encore que je leur aye remonstré & dit que le païs appartenoit au Roy mon souverain Seigneur & Maistre, Et que j'avois droist de traitter sans aucun contredit ny empeschement, suivant ma commission de mon dit Seigneur le Cardinal, & qu'ilz ne me montroyent aucune commission du Roy de la Grande Bretagne, pour me prendre, & empescher la traitte, eux ayans la force à la main, & desirant entretenir le pais, de ma part ay protesté cy devant & de rechef proteste pour le susdict Général de Caen & assossiez contre le sieur Gouverneur Kearke, & capitaine des vaisseaux leurs bourgeois & adventureurs en général, & chacun en leur propre & privé nom, de les faire respondre de tous despans, domages & interestz soufferts & à souffrir pour l'arrest & empeschement qu'ilz me font de la vente & traitté de mes marchandises dont je leur en donneray facture, comme de la prinse des castors que j'avois traittés cy devant. Faist dans le navire nommé le _Don de Dieu_, devant le fort & habitation de Québec, le vingt deulxiesme jour d'aoust mil six cens trente un, presence de Michel Morieu, Maistre dudist navire, Jacques Cognard sieur de l'Espinay, Olivier le Tardif, Jacques Barbault & Jacques Ferment, officiers du dist navire. Signé Emery de Caen, Michel Morieult, de l'Espinay, Tonnent, Jacques Barbault, Charles Mons, Dereau dit St Amours, le Merc de Jean Hanin, Chalot Poullain de Mury, Le Juif, Pierre Rousseau, Le Tardif, Le Merc de Jehan Crocquet, Jehan Tontain & le Merc de Nicolas Gomme. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 23.) 19/1431 XX. [L. S.] At Whitehall, the 14th. of October 1631. Present: Lo. Keeper Lo. Trea[r]. Lo. Privy Seale Ea. Marshall Ea. of Kelley Lo. V. Falkland Lo. Bp. of London Mr. Secr. Coke. Whereas Captaine Kirke and others the adventurers to Canada, did humbly shewe to the Board, that they having the sole Trade into those partes graunted unto them, prohibiting all others to trade thether, That neverthelesse divers persons viz. John Baker, James Ricrofte, Captaine Eustace Man, Henry West and others, have as Interlopers presumed to trade thether, carrying away a great parte of the said trade, to the great dammage and disablement of the said Adventurers to maintaine theire Collonie there for defence of the said Island or to proceede in the said Trade. Forasmuch as the said persons were thereupon this day convented before the Board some of the said Adventurers being then also present, And upon Entrance into the hearing of the Cause however the said Information in the generall appeared to be true, Yet for that the Examination of divers particulars objected on either parte, required a further tyme then the leasure of the board could permit. Their Lordshipps did thincke fitt and order that the further examination hereof be referrd to Mr. Sergt. Barkeley, Sr. Willm. Beecher and Mr. Nicholas, authorizing and requiring them to call for and peruse, all such writings, letters, Charter parties and Bookes of Account as they shall think fitt; As likewise to call before them and examine all such persons as they shall find cause, aswell for the finding out of the contemptuous carriage of the persons complainde of, as for the discoverie of the particular goodes and comodities and the true vallue of the same, by them brought from thence. And thereupon to make certificate to the Board, to the end such further order may be given as shalbe requisite. Lastly it is ordered that the persons complainde of shall enter into sufficient Bond to his Majestys use before the Clarke of the Councell attendant, not to sett out from henceforth any more Shipps to trade thether without lycence from his Majestie, or this Board. And shall give theire attendance de die in diem and not departe the Towne untill further order which Bond if they shall refuse to enter into, then to stand comitted to the custodie of a Messenger untill they shall conforme themselves. Ext. T. Meantys. (_Sur le dos est écrit._) Canada 14th. Octob. 1631. Lo[dds] of ye Councells order of Reference concerning examinations of ye contempt ag[t] ye company of Canada. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 27.) 20/1432 XXI. May it please your Lopps. We having herewith returned the examinations which we have taken according to your Lopps. order of the 14th of October last upon the Complaint of the Adventurers to Canada wherein we make bould to observe unto your Lopps. that James Ricroft named in your Lopps. order (who was imployed as pylott and merchant in his voyage complained of) had bene imployed in a former voyage by ye Adventurers of Canada, and that (but by that imployment) he had noe knowledge of that Coast; We likewise finde by other circumstances that he was not ignorant that ye Forte of Kebecke in those partes was taken and mayntained by ye said Adventurers, the charge whereof is apparent they could not undergoe but by the benefitt of their trade there; Wee likewise finde that at his last arrival there notice was given him from the said Adventurers that he ought not to trade there, to which notwithstanding he would not conforme: And such notice is proved by a letre subscribed by hymselfe which lre. we herewith returne, But the said Ricroft utterly denieth thatt he subscribed the said lettre although it were by two witnesses to his face attested to us to be signed by himselfe, And further it appeares unto us by ye examination of Capt. Vincent Harris that the said Ricroft was not only an encourager of these merchants to undertake that voyage, but his carriage there did discourage the natives to trade with the Adventurers. As for Baker the Mr. of the Eliz complained of and Eustace Man (one of the owners and merchants of that shippe) albeit the notoriousnes of the actions of the Adventurers to Canada doth give a suspicion that they were not ignorant of his Majesties pleasure for their sole trade into those partes, yet by their examinations they deny any manner of notice of his Majesties pleasure or other order for ye Adventurers sole trade. And for Henry West mentioned in your Lopps. order it was alleadged to us that he was sicke and could not come to be examyned. We have also perused an Order termed a Com[on] which we finde to be made by the beforesaid H. West and Eustace Man as Merchants unto ye said John Baker and James Ricroft purporting their ymployment from ye port of London unto ye Coast of Candia, which word Candia was delivered by Eustace Man & Ricroft to be intended for Canada, The instrument of which order wee herewith together alsoe with the examination and letre aforesaid humbly present your Lordships, leving all the same to ye Lordships wisdom. 5. Nov. 1631. Examinations taken by us underwritten according to ye order of ye l4th of October 1631, from ye Rt. ho[ll] ye Lords of his Majesties ho. Councell. James Ricroft, Pilott of ye Eliz of London, examyned saith that Captaine Kirke and others professinge themselves to be a Companie did imploy him in the yere 1630 to Canada, and that he was paid by Mr. Eyres (beinge casheere for the said pretended Companie) sixe weekes after the end of ye voyage and that untill he was imployed by that Companie he never was in ye Gulf of Canada. That he heard ye Forte of Kebecke in those partes was in ye yeere 1628. surrendred by ye French to the said 21/1433 pretended Companie and saith, that when he was there imployed by ye said pretended Companie Captaine Lewis Kirke held ye possession of the said Forte. This examinate denyes that ever he knewe of or ever saw anie pattent to the said Companie untill he came last from sea. This examinate confesseth that he hath since 1630 bene imployed in a voyage to Canada by Capt. Eustace Man and one Hen. West in the Eliz of London. And did trade at Todasecke with ye savages that come thether for Beaver skins, and Elke skins, but he cannot tell to what quantity or vallue; but referres himselfe to the Customers Books for the Certaintie thereof. He saith that there was an order from his Merchants for his trade to the North parte of Canada and else where, which order is in the custody of Captaine Eustace Man, and confesseth that he did call to the Mr. of the Eliz (he beinge then deteyned as a prisoner by Captaine Vincent Harris, Capt. of the said Companies shippe named the Thomas) willing him to trade 3 for one which he sayeth was 3 Elkes skins for one Blankett. He denyes that he hath anie Charter parties, writinges or Bookes of accompt concerning his voyage. Jo. Baker Mr. of ye Eliz of London examyned saith that he did [not] know when he went out that there were anie that professed themselves to be of ye Companie of Canada, but heard that Capt. Kerke and others kept a Fort in Canada. And further sayth that James Ricroft his Pylott beinge deteyned by the Companie did send ye letre nor shewed him subscribed by Ricroft, and upon receipt thereof he refused to deliver anie goods therein required to be delivered and came for England with five Caskes and halfe of Beaver skins and some Elkes skins, for the certaine number whereof he referreth himselfe to the Customrs books, And faith that he was with ye said shippe tradinge in the said Gulfe about 20 dayes and that he had for his particuler about 40 pounds of Beaver skins; He denies that he wrought by way of challenge to Captaine Vincent Harris, but if he spake any wordes it was in his drinke and is forrie for it. Captaine Eustace Man one of the owners of the Eliz examined saith that he did sett forth the said Eliz (whereof Jo. Baker was Mr.) upon the motion and perswasion of James Ricroft for Canada and other partes and that untill his said shippe was gonne to sea he knewe not of, nor heard not of anie pattent graunted to anie Companie. That the order given ye Mr. for that voyage is in the Isle of Weight; That there were 531 Bearskins. that were brought from Canida and that they are all sold for above 500 £. And 100 and odd Elkes skins which were sold for above 100 £. But for the truth and certaintie of ye number of the said skins, he referreth himself to the Customers books And deneyeth that he hath any writinge Charter parties or bookes of accompts for he saith that the Mr. never gave him anie accompt in writinge of that voyage. Wm. Holmes purser of ye Thomas examyned saith that he did wright the letre produced dat. 12 May 1630 and read it unto Wm. Ricroft and saw him subscribe the same, In which letre it is apparent that Ricroft knewe of the Comission granted to Sr. Willm. Allexander. Edward Lees attendant upon Capt. Vinc. Harris Captaine of the 22/1434 Thomas, confesseth as much as ye said Holmes. Samuell Peirce Bever maker examyned saith that he bought of one Mr. Tho. Man, a Woollseller dwellinge by London stone about August last, ye quantitie of about 880 pound weight of Beaver skins in six hogsheads, which the said Tho. Man told him he had bought and received of one Captaine Eustace Man Merchant and owner of a shippe that came from Canada, for which said skins he paid to the said Thos. Man 880 £. saith that he and some other Beaver makers whome he can name, bought of severall seamen that said they were belonginge to the said Capt. Mans Barque severall quantities of Beaver skins to the vallue of 300 weight. Captaine Vincent Harris Capt. of the Thomas examyned said that beinge imployed by ye Companie of Canada this last yeere to trade in those partes, and seeing ye said Eliz whereof Ja. Ricroft was pilote come into that Gulfe he commanded him to come aboard, and when he came he demanded by what authoritie he came thither, & what he did on that coast, whereto he answered he came to trade there aswell as this Examinate, whereupon this Examinate shewed him the Companies Com[on], and gave him the same to read which he did, and then sleighted it very much, and to expresse the Contempt he had of it went upon the decke and cryed to his shipp the Eliz that they should give 3 for one of that those of the Thomas did trade for, whereby those of the Company of Canada were constraincd to leave of the trade and goe from thence in regard the Savages would not come unto them. But reported that the Companie came to deceive them for that there were other of their Countrymen would give three tymes as much as they. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 33.) XXII. A note of all suche things as the Company hath in Canada and the nomber of men. Imprimis they have above 200 persons in the fort and habytation of Kebec and gone up som 400 leages in the country for further discoverys. In the fort there is 16 peeces of ordnance and 8 murderers. 75 musketts and 25 sowlinge peeces and 10 arkebusses a Croake and 30 pistolls 8 dozen of pikes and 24 holbeards and 40 Corseletts and 10 armors of prooffe and 6 Targetts. In the sayd fort there is 2000 of powder for the ordnance 300 of musketts powder, and one hundred and halfe of sowlinge powder, Rownd shott burd shott Langer shott and chrossbar shott enough for the use of there powder and 10 barrells more which the Maye have of the store of 3 pinaces which are there furnished with 6 peeces of ordinance a peece and 6 murderers a peece and 5 barills a powder a peece and all thinges convenyent for their Rigginge and Munition of war. The sayd 200 persons vittled accordinge to his Majesties allowance att sea for 18 monthes besides what they fownd upon the ground which is able to find them 6 months more soe that the are very well vittled for 2 years and within towe yeers if they worke as the have beegon the wilbee able to subsift of themselves. There is goods for to Trade with the natives of the Contrey more then wee are able to vent in 2 yeeres which goods are no 23/1435 wheare vendable butt in that contry and which goods stands use in 6000 £. starlinge besides charges which doth amount to 6000 £. more. All fort of tooles for smithes millers masones plasterers Carpendars Joyners bricklers whillons bakers bruers ship-carpenters shoomakers and taylors. 10 Shallops fitted with bases for the head and all other furniture. All fort of tooles beelonginge to the fortyfication. The abovesayde fort is soe well situated that the are able to withstand 10000 men and will not care for them, for whatsoever the can doe, for in winter they cannot staye in the countrey soe that whoesoever goes to beesidge them the cannott staye there above 3 monthes in all in which time the muskett will soe torment them that noe man is able to bee abroad in centry or threnches day nor night without loosinge there sightes for att least eyght dayes. Soe that if please his Majestie to keepe it wee doe not care what French or any other can doe thoe the have a 100 sayle of shipps and 10000 men as above sayde. (_Sur le dos est écrit._) Note of all such thinges as the Company hath in Canada and the number of men. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, n. 38.) XXIII. Messrs. Je me remets à respondre à l'agréable vostre que m'a rendu le Sr Alexandre à son retour, qui j'espere sera en bref. Cependant vostre homme Mr Lowe n'est comparu icy, qui certes est venu fort mal à propos, car de luy on eust peu estre esclaircy de beaucoup de doutes qui ont rendu vos affaires avantageuses pour Decan & préjudiciables pour vous; toutesfois je vous asseure qu'on a faict tout ce qui a esté possible, & que ce qui est accordé conste hors des depositions fort clairement. Il y a deux points esquels on a trouvé le plus de peine, l'un la pretension de Decan d'estre payé de ses Castors à 12 £. 10. selon qu'il les avoit enchery & acheptez, à quoy après beaucoup d'altercations on a esté forcé de céder par l'exhibition d'un acte de Messeigneurs du Conseil privé de S. M., auquel est contenue vostre promesse de faire bon ledit prix ou en porter le dechet comme pouvez voir par ledict acte qui est du 22 Janvier 1628/29 auquel je vous remets. L'autre pour le poids des Castors, car le Sr Fitch dit bien d'avoir vendu lb. 4000 de Castors & 200 Castors, mais nous remet pour le nombre des Castors au seigneur Bicher, lequel atteste avoir compté 3500 peaux en un magasin & 620 en un autre, les reduisant à 2409 & 33l Castors compte de Canada, ne disant pas sy les 2409 pesent seuls lb. 4000 ou bien si tous les 2740 pesent 4000 lb. Cecy me met en doubte, & ne sçavons comme le reigler. Decan prétend que Fitch n'a enlevé que les 3500 peaux ou 2409 Castors qui estoyent en son magasin, lesquels doibvent peser 4000 lb poids d'Angleterre, les autres 331, n'ayant esté en sa puissance ny les avoir vendus. En quoy il y a de l'apparence de raison, mais non pas assez pour la pouvoir tellement refuter ny accorder que ce soit selon l'equité. Nous devons nous trouver ensemble aujourd'huy pour voir ce qu'il pourra alléguer pour vérifier son dire. Mais sy vostre homme eust esté icy on eust peu voir & 24/1436 sçavoir les particularitez de tout, & traicter avec luy avec la solidité & resolution qui est requise pour rembarrer son audace. La faute est à vous qui n'avez pourveu Monsr. l'Ambassadeur de meilleures defences, vous asseurant que toutes les armes qu'avez envoyées ont esté employées sans obmission d'aucune part qu'on aye peu esplucher pour vostre advantage; vous verrez le tout à son temps, à quoy me remets. Préparez vous à partir & soyez les premiers en toute façon pour prendre l'advantage de la traicte à Tadoussac; n'allez pas trop foibles ny aussy ne vous mettez en despences extraordinaires, afin que puissiez faire le voyage à profit & sans perte. Il faut que vous voyez de prendre ordre aux Interlopers, car cela vous gasteroit tout pour ceste année; pour les suivantes, que ceux à qui il touche y prennent esgard. J'ay trouvé bon de vous donner cest advis par avance, & vous baisant les mains je demeure Messieurs Vostre affectionné serviteur, PH. BURLAMACHI. A Metz, ce 30 Janvier 1631. A Messrs. Messrs. les Députés de la Comp[e] Angloise & Escossoise, negotians en Canada, LONDRES. (_Sur le dos est écrit._) Copie d'une lettre escrite à Metz le 30e de Janvier 1630, (1631) par le Sr. Burlamachi, aux Députez de la Compagnie Angloise & Escossoise, negotians en Canada. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 39.) XXIV. That for supposed debtes to du Cane from ye Canada Marchantes (for skins, for debtes from savages and for knives) he hath bound the King to pay 8270 £, sterling within ye space of two months. That for certeine French shipps etc. he hath likewise obliged his Majestie to pay in Paris unto whom ye French King mall appoynt (and that within two months allso) the tome of 6060 £. sterling. Soe as in effect he hath condemned his Majestie in 14330 £. sterling and given Bur: in pawn for ye payment with which it may be justly sayd he hath bought ye peace. For as concerning the first some it is most certeine that ther are butt 1730 skins belonging to ye French as appeers by depositions in the Admiralty ye Copies wherof Mr. Burlemachi hath and thes skins are still entire here. The knives are in ye fort, and ye debts from savages utterly denied. And as for ye second some nothing is more certaine then that his Majestie never had pennie of it. Butt suppose that thes sums of money were recoverable here why should the King be bound to pay them. Why were nott thes articles first consulted with his Majestie before ye signing of them, especially seeing in his name and to be certified under his greate seale Burlemachi is made a pledge. 25/1437 Why was nott caution also given for du Canes payment of ye frayght and charge of ye shipp of 150 tuns; and for payment of ye marchandize which the English are to leave in Canada. I conceave it most fitting that ye Canada Company should answere my Lo. Embas[ores] long letre. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 45.) XXV. Trusty and welbeloved etc. For soe much as there is made a finall good agreement betwixt us and our good brother the French King, and that all differences aswell betwixt our Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfect accord, and that amongst other particularityes on our side v/e have consented to the restitution of the fort and habitation of Quebec in Canada, as taken by force of armes since the peace, howsoever the Comission were given out to you during the warre betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment of our royall word and promise before all whatsoever allegations may be made to the contrary in this behalfe, as we have obliged ourselves to that King for the due performance thereof by an act passed under our great Seale of this our realme of England, soe we doe by these our lres. straightly charge and command you, _that upon the fight hereof yee doe give speedy notice and order to all such subjects of ours which are under your Comission and gouvernement aswell souldiers which are in garrison in the foresaid fort and habitation of Quebec for defence thereof, as inhabitants, which are there seated and planted, to [conforme themselves unto the sayde agreement and to] [841] _render according to the sayd agreement the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe by our sayd brother the French King appoynted and authorised to demand and receave the same from them_, in the same state yt was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of the fortifications and buildings which were erected at the tyme of the taking, or without carrying away the armes munitions, marchandises or utensills which were then found there in. And yf any thing hath ben formerly carryed away from thence, our pleasure is, yt shalbe restored either in specie or value, according to the quantity of what hath ben made appeare uppon oath and was sett downe in a shedule made by mutuall content of such as had cheife comand on both sides at the taking and rendring thereof. And for soe doeing these our lres. shall not onely serve for warrant but likewise for such expresse signification of our will and pleasure, that whosoever officer, souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew himselfe crosse or refractory thereunto, shall incurre our highest indignation and such punishment and penalty as shalbe due unto offendors of soe high a nature. [Note 841: Ces mots sont effacés dans l'original.] (_Sur le dos est écrit cette note._) And every of you our subjects remayning in the foresayd fort and habitation, either as soldyers in garrison for defence thereof or inhabitants there seated and planted, imediately uppon sight hereof which shalbe presented by such as our good 26/1438 brother the French King shall appoynt and authorise for that purposse, to render the sayd fort and habitation of Quebec into their hands. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 46.) XXVI. Charles R. Trusty and welbeloved wee greete you well. Forasmuch as there is made a finall good agreement betwixt us and our good brother the French King, and that all differences aswell betwixt our Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfectt accord, and that amongst other particularytyes on our side, we have consented to the restitution of the fort and habitation of Kebec in Canada, as taken by force of armes since the peace, howsoever the Commission were given out to you during the warre betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment of our royall word and promise before all whatsoever allegations may be made to the contrary in this behalfe, as wee have obliged ourselves to that King for the due performance thereof by an act passed under our great seale of this our realme of England, soe we doe by these our letres straightly charge and comand you that uppon the first commoditie of sending into parts and meanes for ye people to returne yee doe give notice and order to all such subjects of ours which are under your Commission and government aswell souldiers which are in garrison in the foresaid fort and habitation of Kebec for defence thereof, as inhabitants, which are there seated and planted, to render according to the sayd agreement the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe by our said brother the French King appoynted and authorised to demaunde and receave the same from them, in the same state yt was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of the fortifications and buildings which were erected at the tyme of the taking, or without carrying away the armes munitions merchandises or utensills which were then found therin. And yf any thing hath bene formerly carryed away from thence, our pleasure is, it shalbe restored eitheir in speicie or value, according to the quantity of what hath bene made appeare uppon oath and was sett downe in a schedule made by mutuall content of such as had cheife comaund on both sides at the taking and rendring thereof. And for so doeing these our letres shall not onely serve for warrant but likewise for such expresse signification of our will and pleasure, that whosoever officer, souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew himselfe crosse or refractory therunto, shall incurre our highest indignation and such punishment and penalty as shalbe due unto offenders of soe high a nature. (Sur le dos est écrit.) Letters from his Majesty to ye Canada marchants and ye comanders under them for rendring Kebeck corrected as in these first originals appeareth. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 47.) XXVII. Declaration du Sr. Champlain soubs serment des armes, munitions & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées. 27/1439 4. Quattre pièces d'Artillerie de fonte du poids d'environ 150 lb. piece. 1. Une pièce d'Artillerie de fonte pesant environ 80 lb. 5. Cinq boites de fer servant pour les dites pièces. 2. Deux plus petites pièces d'Artillerie de fer pesant chacune 800 lb. 6. Six Pierriers avec leurs Chambres ou boites pour les charger. 1. une petite pièce d'Artillerie de fer pesant environ 80 lb. 45. Quarante cinq petits boulets de fer pour les cinq pièces d'Artillerie sudite. 6. Six boulets pour les autres pièces, chacun pesant 3 lb. 30. ou 40. Trente ou quarante livres de Poudre à Canon. 30 lb. Trente de Mesche, ou environ. 30. Trente Mousquets entiers & un rompu. 1. Une Harquebuze à croc. 2. Deux longues harquebuzes de cinq ou six pieds. 2. Deux autres harquebuzes. 10. Dix Hallebardes. 12. Douze picques. 5. ou 6000. Cinq ou six mille livres de plomb en boulets, platine & bancs. 60. Soixante Corcelets, desquels deux sont complets & à la preuve du Pistolet. 2. Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lb. 1. Un Pavillon ou tente pour loger Vingt hommes. 1. une forge de Mareschal avec les Appartenances. Toutes sortes de provisions pour la Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres pour un moulin à vent. Un Moulin à bras pour moudre du bled, etc. Une cloche de fonte. (Sur le dos est écrit.) Copie de la deposition du Sr. de Champlain des armes & utensiles laissées au fort de Kebecq. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 49.) XXVIII. An answere made by the Adventurers to Canada unto a letre written by the right hon[ble] Sr Isaack Wake Knight Lord Ambassador for his Majestie of England, now resideing in Fraunce beareing date the 9th of Aprill 1632. To the first Article mentioned in his Lordshipps letre wherein he writes that the instructions he received from us were soe weake and came soe farr short for what was necessary for our defence that had he not gathered light from Monsieur de Caen his owne speeches, he should not have brought our busynes to soe good a passe. Wee answeare that those depositions and instructions which wee sent and delivered here to Mr. Burlamachi and which he had 28/1440 under the seale of the Admiralty by the Lordes of his Majesties privy Counsell their comaund, were soe authentique and sufficient, that if this cause had byn tryed here in England where witnesses would have byn allowed, which wee earnestly desired, We doubt not but to have recovered charges of de Caen rather then any money should have byn paid unto him. But the French Ambassador and Monsr. de Caen would never permitt any legall proceeding neither in the Admiralty nor in any other Court of justice here in England. Secondly, Whereas his Lordshipp writes that De Caen his pretentions were for 266000 livers, We marvaile not at his unreasonable demaund, knowing the French at well as we doe, whereof some of us have had woefull experience in the busynes with Morteau and Launay and others. But Monsr. de Caen att his being here claymed in all only 4266 beavors. And Monsr. Champlaine Governor of the Fort when, their goods were taken deposeth there were but 2500 or 3000 beavors belonging to the French att the most. Whereof at the rendring of the Fort the French that were then there, were by composition permitted and did carry away such as they pretended were their owne, and they had each of them a Coat conteyning 7 or 8 beavors a peice besides what they conveyed away secretly. And some were stollen by them as appeares by the depositions of Oliver le Tardiff one of their servauntes. Besides wee bought divers beavors of the said Frenchmen att the returne here of our shipps for which wee paid them above 400 £. as by their acquittances appeareth which beavors they brought then in our shipps from thence. All which being deducted it will plainly appeare there could not come to our hands above 1713 beavors according to the depositions of our Captaynes and factors who kept a just and exact accompt of the same, which beavors were delivered unto us by the French there, upon composition and condition that wee should feed them and bring them home they being almost starved and must have perished without our releife they having fedd upon nothing but rootes for the space of Three monthes before, as appeares by the deposition of Monsr. Champlaine, Mo. Blundell, Mo. Bowley and others. And the victualls we gave them would have bought there above 4000 beavors, as appeares likewise by the depositions of Capteyn Kirke and others. The rest of the Beavors (which with the said 1713 received from the French are still in sequestration) Wee bought of the salvagcs with our owne goodes the French themselves confessing in their depositions that wee traded for 4000 Beavors. Thirdly, whereas his Lordshipp writes for the restitution of the shipp Hellen and the goods taken in her which were but of a small valewe, We answeare that the said shipp came out of Fraunce the 20th of May 1629 and the peace was proclaimed ten daies before to take effect from the 14th of Aprill before that, which peace they knew and heard of before their coming out of Fraunce as appeareth by the deposition of Jaques Raymond [842] Sieur de Espines Leiutennt to Mo. de Caen. Nevertheless at their comyng into the river of Canada they concealed the said peace and first assaulted and shott att our shallopps and after att our shipps to have surprized them and killed some of our men and wounded many others, which appeareth likewise by 29/1441 the deposition of the said Jaques Raymond and the deposition of our men. Now we conceive that by our lawe and the lawe of nations those men that shall assault us knowing of the peace concluded betweene both Kingdomes ought to suffer as Pyratts and the shipp and goods soe taken are lawfull prize and therefore noe restitution ought to be made but contrarily the French ought to give us satisfaction for our damages in the fight susteyned and also for loss of our mens lives. Howsoever wee wilbe contented to deliver such goods in Canada as were taken in the said shipp Hellen (if it be soe agreed and by his Majesty comaunded). [Note 842: Jacques Kognard (Couillard), sieur de l'Espiné.] Fowerthly, whereas de Caen demaundeth satisfaction for Beavors owing to him by the Salvages we answeare that wee never received any of them for him, and therefore he may now goe and receive them himselfe. And for the Knyves which he pretendes to be worth 600 Beavors they remayne still in the Fort to be delivered unto him if it be soe concluded. Fifthly, concerning the number of Beavors which his Lordmipp saith is playne by the French depositions to be 4200 skynnes, although Mo. Champlaine their Governor whoe should know best deposeth but 2500 or 3000 beavors. We answeare that it is more playne by the depositions of the English that there were but 1713 beavors which came to our hands and they were delivered unto us upon composition by the French. That we should give them food whereby to preserve their lives from perishing and bring them home, which we conceive wee ought to enjoy having paid soe well for them in regard our provisions they had would have bought above 4000 beavors as is before expressed. And if there were any more the French carryed them away with them as they had permission to do. As appeareth by the contract made with Monsr. Champlayne and Monsr. Pountgrave att the rendringe of the Forte. Sixthly, concernyng the weight of the Beavors, Wee marvell a Calculation of 6625 £. should be concluded on, seing the whole number of 4000 Beavors are still remayneing under their Lordshipps Comaund and may be weighed justly, Soe that they to whome they shalbe adjudged shall have noe losse by them. And for the price of 25 s. sterling per lb. If Mo. de Caen would have paid us the money for them upon our security to have repaid it to them to whome it should be adjudged he might have had them willingly. But whatsoever he pretended Monsr. de Caen had noe purpose to take them at that rate. For when he had a good part of them att the Lord Mayors house and might have had them from thence upon paying for them he nor his assignee Monsr. de Espines would not bring in money for them, though he was often urged thereunto, but suffered them there to remayne as they doe to this day. And whereas it appeares that it is concluded that de Caen shall have 82700 livers for such Beavors as were taken from him, Wee conceive that of right he ought to have nothing att all, but rather that he should give his Majestie satisfaction for the lives of his subjects which they tooke away contrary to the peace concluded. Whereof they were not ignorant but concealed the same as is before proved and confessed by them. And for the Beavors we had from the French, they were delivered unto us by contract to feed them and bring them home as is before expressed, and as appeareth by the contract made with them which cost us twice soe much as the Beavors were worth. Also wee conceive that the Charges wee have byn att in building 30/1442 and keeping the Fort nowe Three years should have byn considered in some measure. And if the French must be paid according to the price of beavor in England, Wee thinke it had byn very reasonable that they should have paid the Charges of bringing them home, seeing that which is bought in Canada for 2s. is worth here above xx s. And that voyage cost us above 20000 £. which charge wee were att upon his Majesties Comaund and upon promise to enjoy both the goods wee should take the Fort and the Countrey. But now by this conclusion it should seeme wee have made a voyage for De Caen whoe (as he makes his reckoning) will have paid him here for every Beavor marchauntable (which he calculates att a pound and halfe in weight and att 25 s. sterling per lb.) which is 37 s. 6 d. sterling for every beavor, which cost not him above 3 s. sterling in Canada and wee have paid all the Charge of fetching and bringing them home hither which cometh to much more then all the beavers are worth. And if de Cane had sett forth shipps himselfe he must have byn att the like charge which would have cost hime more then his Beavors were worth. And therefore we conceive there is no reason he should have the value of the Beavors as they are worth here, seeing we have bought them there and paid all the charges of bringing them hither. By which agreement de Caen would make above 12 for one profitt and wee should loose all both principall which was our provisions they had for them and also the charge of bringing them hither. And it appeares that for such goodes as wee shall have remayneing in Canada and deliver de Caen wee are to have but 30 per Cent more then they cost us, which seemeth as strange on thother side; beinge that the charges of carryîng the goodes thither and other expences will come to above Three tymes more then they cost besides the extraordinary yerely charge of keeping the Fort of Kebeck which must be raised upon the profitt of the goodes. Further whereas his Lordshipp hath ordered de Caen to pay 2400 lyvers for the bringing home of 60 men custome and all other charges, wee conceive it to bee a very poore allowance seeing his Majesties custome amounteth to above 1000 lyvers and the very freight of our shipps coste above 4000 £. sterling besides Maryners wages and victualles. And also whereas his Lordshipp hath further agreed That de Caen shall pay the freight and all Charges of a shipp of 250 tonnes to fetch home our men and goodes and also to pay 30 per Cent for such goodes as wee shall have remayneing in the countrey, Wee marvell de Caen doth not send one & give order and security for the performance thereof, that soe wee [may send away a][843] shipp in good tyme, that the delivery of the Fort may be performed according to his Majesties Comaund. But wee hold it very unreasonable wee should have soe litle allowance 30 per cent for the reasons above expressed. [Note 843: Effacé dans le manuscrit.] And lastly wee conceive the carryage of the busynes hath byn very unequall. For seeing our English Marchants have byn forced to goe into Fraunce to plead for such goodes as have byn taken from them by the French. Why should not the French come as well into England to plead for such goodes as have byn taken from them by the English. For all the world knoweth there is as good 31/1443 justice to be had in England as in France. For in the passage of the busynes for Canada, it is playne that the depositions of the French are fully approved and the English wholly rejected. Soe also in the proceeding about the shipp called the Benediction taken by the French; It appeareth by the English depositions that the goodes which the French tooke from the English amounted to 14000 £. sterling and upwards. Yet their witnesses are not received nor allowed. But what the French have deposed is come to their handes (being little more than halfe of the said somme) is yeilded unto and restitution to be made for noe more. Soe that according to that rule it had byn but reason the English should have made restitution for noe more then what they proved came to their handes of the Frenchmens goodes. But in the whole course of their proceedinges it appeares the French are to receive and pay accordinge to their owne proofes and the depositions of the English are neither regarded nor their proofes on either side admitted or accompted of. DAVID KIRKE for my mother Elizabeth Kirke. ROBERT CHARLTON. WILLIAM BARKELEY. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 53.) XXIX, n. 1. May it please your Lordshipps. As I was comaunded by your Lordshipps order of the Five and twentieth of July last I have heard Captaine Man and Mr. Tomson traders about Canada, and not taking upon mee to examin whether the Traders offended against the priviledge granted by his Majestie or not, or whither they comitted any Contempt for that I conceived I was but to enforme myselfe what damages the Adventurers have susteyned and what profitt the other parties have made wherein I find that Captaine Kirke conceiveth himselfe damnified principally by the traders trucking for Bevers of which Captaine Man retorned 700 £. worth of Bever and some Elkes skynnes and Mr. Tomson retorned about 1200 £. worth of Bever, all which Captaine Kirke would have had allowed unto him besides amends for damages that may happen in the trade hereafter, but upon consideration of the Charge and expence the traders weare at in setting forth their shipps and it was but casuall whether those Bevers should ever have come to the handes of Captaine Kirke in case the Traders had not bought them, of the natives and although by their trading and giveing more to the natives for Bevers then was used there hath growen damage to the future trade, yett I find noe certainty that this shall fall uppon Captaine Kirke, and for that I cannot find that Mr. Tomsons voyage was profitable and the gaine of Captaine Mans voyage was not much, I proposed that for a finall end of those Controversies betweene them Captaine Man should pay 200 £. and that M. Tomson should pay 400 markes without expecting any of their assentes. All which I humbly leave to your honors judgement. WM. NOYE. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.) 32/1444 XXIX, n. 2. Quinto die Septembris Anno 1632. Annoque Octavo R. Caroli Anglie. John Peacocke Sollicitor to the Adventurers of Canada make oath, That according to a Report of his Majesties Attorney Generall, he this deponent repaired to the house of Morrice Thomson merchant the third of this present moneth of September and then and there demaunded of the said Morrice Thomson the somme of Fowre hundred markes to and for the use of the said Adventurers of Canada. The Answer of the said Tomson to this depont was, he owed the Adventurers nothing nor nothing would pay. Jo. PEACOCK. Jur: quinto die Septembris 1632. Ro. Riche. (Sur le dos est écrit.) 5 Sept. 1632 Mr. Atturney generalls Report in a difference betweene Captain Kirke on the one part and Mr. Tomson and Capt. Man on the other about trading to Canada. XXIX, n. 3. To the right hono[ble] the Lords and others of his Majesties most hono[ble] privy Counsell. The humble petition of the Adventurers to Canada. Humbly shewing. That according to your Lopps. order of the 25th of July last to Mr. Attorney Generall he made his reporte and therein awarded Morrice Thomson to paie to your pet[rs] Fower hundred markes which hath beene demaunded as appeares by affidavit hereunto annexed, which he refuseth to pay and Captaine Eustace Man, Two hundred Poundes, who absents himselfe although they both submitted themselves to this hono[ble] Board as it appeares by the said Order. The Petitioners humblie desires your Lopps. to take this their Contempt and their former into your Lopps. consideration, as also the great charge your petitioner have bin att in the taking of the Fort of Quebeck and keeping it ever since, and the now delivering it to the French allmost to the Ruyne of their estate. All which wee have done at his Majesties and your Lopps. Comaundes and humblie leave to your grave judgments. And (according to our bounden duties) shall ever praie, etc. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.) XXX. The 17th June 1633. The Canada Adventurers demandes from Monsr. Guill[me] de Cane of Diepe are as followeth. 33/1445 1. For the Charge of a Shipp of 250 tunnes for a voyage of 7 monthes victualled and manned with 70 men for fetching home 100 soldiers from the Forte of Kebecke in the river of Cannada being allowed by the Trinity House. 2550 £ 00 s. 00 d. 2. For sundry goods delivered at Thadusacke the 28th June 1632 by William Holmes unto Mr. Delarraldow [de la Ralde] amounting to in all as per particulers. 0617 £ 02 s. 06 d. 3. For 585 Beavers Marchants put aboard a French Pinace called the Lyon wherof Mr. de Rosse was Captaine being put abord by the order of Mr. de Cane and Monsr. La Rada the said skins doe weigh English waight 1000 lb. W[t] which at 25 s. per lb. is: 1250 £ 00 s. 00 d. Summa 4417 £ 02 s. 06 d. (Sur le dos est écrit.) 1634. Octob. 12. Demands of the Canada merchants. (_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 75.) XXXI. Contrat de mariage de Samuel de Champlain. (Registre des Insinuations au Greffe du Chatelet.) Lundy, 270. jour de decembre 1610. Par devant Nicolas Chocquillot & Loys Arragon, notaires & Garde-nottes du Roy nostre Sire en son Chastelet de Paris soubssignez, furent presents en leurs personnes M. Nicolas Boullé, secretaire de la chambre du Roy, demeurant à Paris, rue & paroisse Sainct Germain l'Auxerrois, & Marguerite Alix sa femme, de luy auctorisée en cette partye au nom & comme stipulant & eulx faisant fort pour Héleyne Boullé leur fille à ce presente d'une part. Et noble homme Samuel de Champlain, sieur dudict lieu, capitaine ordinaire de la Marine, demeurant à la ville de Brouage, pays de Sainctonge, fils de feu Anthoine de Champlain, vivant capitaine de la Marine, & de Dame Marguerite LeRoy, ses pere & mere, ledit sieur de Champlain estant de present en ceste ville de Paris, loge rue Tirechappe, de la paroisse Sainct Germain d'Auxerrois, pour luy & en son nom d'autre part. Lesquelles partyes, & de bon gré, ont recogneu & confessé en la presence par l'advis & consentement de Messire Pierre du Gas, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy & son Lieutenant General en la Nouvelle France, Gouverneur de Pons en Sainctonge pour le service de sa Majesté, amy; Honorable Homme Lucas Legendre, marchand bourgeoys de la ville de Rouen, aussi amy; Honorable Homme Hercules Rouer, bourgeois de Paris; Marcel Chesnu, marchand bourgeois de Paris; M. Jehan Roernan, secretaire dudict Sieur de Mons, amy dudit futur espoux, & Honorable Homme François Le Saige, apothicaire de l'ecurie du 34/1446 Roy, allié & amy; Jehan Ravenel, sieur de la Merrois; Pierre Noël, sieur de Cosigné, amy; Me Anthoine de Murad, conseiller & aumosnier du Roy, amy; Anthoine Marye, Me Barbier, chirurgien, allié & amy; Geneviefve Le Saige, femme de Me Simon Alix, oncle du costé maternel de laditte Héleyne Boullé; avoir faict, seignent & font entre eulx de bonne foy ledict traitté, accords, dons, douaires, promesses cy mentionnez qui ensuivent pour raison du mariage futur desdits Samuel de Champlain & Héleyne Boullé, qui ont promis & promettent prendre l'un & l'autre par nom & loy de mariage dedans le plus bref temps que faire se pourra & sera advisé entre eulx, leurs parents & amis, si Dieu & nostre mère Eglise s'y accordent, aux biens & droits à eulx appartenants qu'ils promettent porter l'un avec l'autre. Et pour estre unis & conjoincts entre eulx selon les us & coustumes de Paris; lequel mariage neantmoins, en consideration du bas aage de la ditte Héleyne Boullé, reste accordé qu'il ne se sera & effectuera qu'après deux ans d'huy finis & accomplis, sinon & plus tost si il est trouvé bon & advisé entre leurs parents & amis passer outre à la confection dudict mariage, en faveur duquel promettent & s'obligent solidairement ledict Boullé & sa femme de bailler & payer auxdicts futurs mariez par advancement d'hoyrie venant par ladicte Boullé aux successions futures de ses pere & mere la somme de six mille livres tournois en deniers comptans dans le jour précédant leurs espousailles, & par tant ledist sieur futur espoux a doué & doue laditte future espouze de la somme de dix-huict cents livres tournois en douaire prefix pour une fois payé à icelle douaire avoir & prendre par elle tost que douaire aura lieu sur tous & chacun les biens meubles & immeubles, presents & advenir dudict futur espoux, qu'il en a pour ce du tout us & coustume de Paris. A esté accordé que le survivant desdicts futurs mariez aura & prendra par préciput & avant que faire aucun partage des biens de leur communauté & hors part la somme de six cents livres à sçavoir ledict sieur futur espoux pour ses habits, couvert & chevaulx, & laditte future espouze pour ses habits, bagues & joyaulx, selon la prizée qui en sera faicte par l'inventaire, & sans ce ne faire sur icelle ou ladiste somme en deniers comptans audict choix & option dudict survivant, pourveu que lors de la dissolution dudict futur mariage il n'y ait enfant ou enfans vivant nez & procréez d'iceluy. Et recognoissent lesdicts futurs espoux, & ayant esgard à la grande jeunesse de ladicte Héleyne Boullé, & pour l'affection & amitié qu'ils luy portent, veult & entend ledict futur espoux après la consommation dudit mariage advancer & luy donner moyen de vivre & de s'entretenir après son deceds, & advenant qu'il fust prevenu de mort en ses voyages sur la mer & és lieux où il est employé pour le service du Roy, en ceste consideration & advenant, comme dict est, son deceds, veult & entend ledit futur espoux que laditte future espouze jouisse sa vye durant de tout & chacun les biens meubles & immeubles presents & advenir quelque part qu'ils soyent situez & assis, & qui pourront appartenir audict futur espoux soit par acquisition, successions, domaines ou aultrement, pourveu qu'il n'y ait enfant ou enfans vivans lors nez & procréez dudict futur mariage. Pour faire insinuer lequel dit contract au Greffe du Chastelet de Paris & part ou d'ailleurs où il appartiendra, ont lesdicts espoux faict & constitué & par ces presentes font & constituent leur procureur général & special le porteur des presentes... Faict & passé à Paris en laditte rue & paroisse Sainct Germain, Enseigne du miroir, après midy, l'an mil six 35/1447 cents dix, le lundy vingtseptiesme jour de décembre. Et ont lesdicts futurs espoux & aultres susnommez signé la minute des présentes, demeurée vers Arragon l'un de nous soubssignez. (Signé) CHOCQUILLOT & ARRAGON. [844] [Note 844: Le successeur d'Arragon demeure Boulevard Saint-Martin, celui de Chocquillot rue de Provence, No. 56. (Note de M. Lafontaine.)] Et plus bas est escript ce qui ensuyt: Ledict Sieur de Champlain, sieur dudict lieu comme dessus nommé, confesse avoir eu & receu desdicts Nicolas Bouller & Marguerite Alix sa femme aussy cy dessus nommez ledict Boullé à ce present la somme de quatre mille cinq cents livres sur & en moings de la somme de six mille livres tournois, audist Sieur de Champlain promis en faveur du mariage de luy & d'Héleyne Boullé... Faict & pasé à Paris en l'estude des notaires soubssignez après midy l'an 1610, le mercredy vingtseptiesme [845] jour de décembre. Et ont signé la minute des presentes estant au bas de la minute. Ledict contract de mariage signé de Chocquillot & Arragon. [Note 845: Le mercredi était le vingt-neuvième.] XXXII. Lettre de Champlain au Card. de Richelieu 1635. [846] [Note 846: L'original est à Paris, aux Archives des Affaires Étrangères.] Monseigneur, L'honneur des commandements que j'ay receu de vostre Grandeur m'a depuis plus relevé le courage à vous rendre toutes sortes de services avecque autant de fidellité & d'affection que l'on sçauroit souhaitter d'un fidelle serviteur. Je n'y espargneray ny mon sang, ny ma vye dans les occasions qui s'en pourroient rencontrer. Il y a assés de subject en ces lieux, sy vostre Grandeur desire y contribuer son authorité, laquelle considerera, s'il luy plaist, l'estat de ce païs qui est tel, que l'estendue est plus de quinze cents lieues de longitude, accompagné d'un des beaux fleuves du monde, sur les mesmes paralleles de nostre France, où nombres de rivieres longues de plus de quatre cents lieues s'y deschargent, qui embellissent ces contrées habitées de nombre infiny de peuples, les uns sedentaires ayans villes & villages, bien que formez de bois à la façon des Moscovites, aultres qui sont errans, chasseurs & pescheurs, tous n'aspirant que avoir un nombre de François & Religieux pour estre instruicts à nostre foy. La beauté de ces terres ne peut se trop priser ny louer, tant pour la bonté des terres, diversité des bois comme nous avons en France, comme la chasse des animaux, gibier & des poissons en abondance d'une monstrueuse grandeur, tout vous y tend les bras, Monseigneur, & semble que Dieu vous ayt reservé & faist naistre par dessus tous vos devanciers pour y faire un progrés agréable à Dieu plus que aucun n'a faict. Depuis trente ans que je fréquente ces contrées, qui m'a donné une parfaicte cognoissance tant par expérience & le rapport que m'ont faict les habitans de ces contrées. Monseigneur, pardonnez s'il vous plaise à mon zèle, si je vous dy que, aprés que vostre renommée s'est estendue en Orient, que la fassiez achever de cognoistre en l'Occident, 36/1448 comme elle a très prudemment commencé à chasser l'Anglois de Québec, lequel neantmoins, depuis les traictez de paix faict entre les couronnes, vient encore traicter & troubler en ce fleuve, disant qu'il leur a esté enjoinct d'en sortir, mais non d'y rester, & pour ce ont congé de leur Roy pour trente ans. Mais quand vostre Eminence voudra, elle leur pourra encore faire ressentir ce que peult vostre authorité, qui se pourra encore estendre, s'il luy plaise, à ce subject qui se presente en ces lieux, à faire une paix générale parmy ces peuples, qui ont guerre avec une nation qui tiennent plus des quatre cents lieues en subjection, qui faict que les rivieres & les chemins ne sont libres. Que si ceste paix se faict, nous jouyrons de tout & facilement: ayans le dedans des terres, nous chasserons, & constraindrons nos ennemis tant anglois que flammands, à se retirer sur les costes, en leur ostant le commerce avecque lesdicts Iroquois, ils seront constraincts d'abandonner le tout. Il ne fault que cent vingt hommes armez à la légère, pour esviter les flesches; ce que ayant, avec deux ou trois mille Sauvages de guerre nos alliez, dans un an on se rendra maistres absolus de tous ces peuples, en y apportant l'ordre requis, & cela augmentera le culte de la religion, & un trafic incroyable. Le païs est riche en mines de cuivres, fer, acier, potin, argent & aultres minéraux, qui s'y peuvent rencontrer. Monseigneur, le coust de six vingts hommes est peu à sa Majesté, l'entreprinse honorable autant qu'il se peult imaginer. Le tout pour la gloire de Dieu, lequel je prye de tout mon coeur vous donner acroissement en la prosperité de vos jours, & moy d'estre tous les temps de ma vye, Monseigneur, Vostre très humble, très fidelle & très obeissant serviteur CHAMPLAIN. A Québec, en la Nouvelle France, ce 15e d'aoust 1635. 1/1449 TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LES OEUVRES de Champlain. N. B. Les chiffres renvoient aux numéros d'ordre qui se trouvent au bas des pages. Ce signe... marque les renvois qui ont moins d'importance, mais qui peuvent être utiles dans certaines recherches. ABENAQUIS, ou ABENAQUIOIS; sollicitent l'alliance des Français contre les Iroquois, 1180--l'auteur envoie reconnaître leur pays, 1182-3--retour des envoyés, et leur rapport, 1216. ABRIOU, fils de Marchim; lui succède, 274. ACADIE (côte d'), 115--comprend le pays des Almouchiquois, 122--mines de cette côte, 114, 121, 123--le cap de La Hève est «joignant cette côte», 156--«la grande rivière Saint-Laurent côtoie la côte d'Acadie», 183--... 561, 711, 728, 1067, 1159. ACHELACY, pour ACHELAYI, ou Achelaï, ancien, nom sauvage de la pointe de Sainte-Croix (aujourd'hui le Platon), 309. AÇORES, ou ESSORES, «où les vaisseaux des Indes prennent hauteur», 51. AIGLE (cap à l'), différent de celui qui porte aujourd'hui le même nom, 293 note 4; 790, note 4. ALBERT (le capitaine), commandant du fort Charles, en Floride, 672--... 689. ALFONSE (Jean), pilote de Roberval, 151, 692. ALEXANDER (Sir), chevalier, 1221. ALGONQUINS, primitivement Algoumequins, 72, 73--danse algonquine, 72, 75, 76--... 103--éloignés de la grande rivière de soixante lieues, 105--... 109-11--quelques-uns cultivent la terre, 317--se joignent aux Hurons (1609) pour faire la guerre aux iroquois, 323, 346, 801-26--expédition de 1610, 356, 358-77--descendent à la traite (1611) au saut Saint-Louis et à Tadoussac, 397-412--leur pays, 447 et suiv., 857 et suiv.--un parti d'Algonquins est cause de la rupture de la paix avec les Iroquois, 1127. ALGONQUINS (île des), ou île de Tessouat, aujourd'hui île des Allumettes, 455, 456, 466, 468, 880, 881. ALGONQUINS (lac des), aujourd'hui lac des Allumettes, 508. ALGONQUINS (rivière des), ancien nom de l'Outaouais, 105, 108, 110--description de cette rivière, 444-70, 508, 509, 858-82--les sauvages vont au Saguenay par cette rivière, 509--... 857. ALMOUCHIQUOIS. Voyez _Armouchiquois_. ALOUETTE (l'), petit vaisseau des Jésuites, 1080-1--La Ralde fait demander ce vaisseau (1626) à Miscou, pour l'aider contre les traiteurs désobéissants, 1113. ALOUETTES (pointe aux), ou pointe Saint-Mathieu, 69--description qu'en fait l'auteur, 74--... 287, 787, 1010, 1015, 1095. ANADABIJOU, grand sagamo, 70--réception qu'il fait à Pont-Gravé et à l'auteur, 70-1--recommande à Pont-Gravé le fils de Bechourat, 126-7--les Algonquins, à l'occasion de sa mort, font un présent à son fils, 410--... 1024, 1026. ANASSOU, capitaine sauvage; M. de Monts fait alliance avec lui, 222. ANEDA, capitaine sauvage de la baie de Casco, 198. ANGLAIS; détroit trouvé par eux, 148--les Anglais de la Virginie surprennent l'établissement de La Saussaye, et 2/1450 ravagent l'Acadie, 773 et suiv.--première tentative pour s'emparer du Canada, 1155-61--prennent le vaisseau de Roquemont, 1164-7, 1192--nouvelle de leur retour, 1220--paraissent derrière la pointe Lévis (1629), 122l--force de leur flotte, 1239--s'emparent de Québec, 1222-32--emmènent sur leurs vaisseaux les Français de Québec, 1276--leurs prétentions sur la priorité des découvertes en Amérique, 1306-13. ANGLAIS (port aux), aujourd'hui Louisbourg, 280, 763. ANNE (cap), visité par Champlain, et M. de Monts. Voyez Iles (cap aux). ANSELME (Hubert), commandant d'un vaisseau de la compagnie des Cent-Associés (1631) destiné pour Tadoussac; relâche à Miscou, 1315. ANTICOSTI, grande île située à l'entrée du fleuve Saint-Laurent, 67--description de cette île, 1087-8--... 1276. ANTONS (le sieur des), de Saint-Malo, apporte des vivres à Sainte-Croix, 224--occupé à la pèche à Canceau, 238 va à Port Royal, ibid--retourne à Canceau, ibid. ANVILLE (duc d'), amiral de France, approuve le projet de société formé par l'auteur, 886. ARCADIE, pour ACCADIE, ou Acadie, 115. Voyez Acadie. ARGALL (Samuel), capitaine anglais, s'empare de l'établissement de La Saussaye, à l'île des Monts-Déserts, 773-6--se résout à montrer la commission de La Saussaye, qu'il avait dérobée, 776--dévaste Sainte-Croix et Port-Royal, 777--retourne en Virginie, 778. ARMOUCHIQUOIS, ou Almouchiquois, sauvages à la côte d'Acadie, 122--redoutés des Souriquois, ibid--exploration de la côte des Armouchicois, 193-224, 731-60--... 270-1--Chouacoet fait partie de leur pays, 271--... 561--moeurs et coutumes, 737, 750-2, 756-8--leur manière de faire les canots, 743-4--chemin à suivre pour aller du lac Champlain à la côte des Armouchiquois, 818. ARMOUCHIDES, sagamo ou chef sauvage, 113. ARNANDEL (Joannis) capitaine de vaisseau, de Saint-Jean-de-Luz, faisant la pêche à Miscou (1631), 1318-19--son vaisseau saisi par Dumay et Gallois, 1319--son équipage le délivre, et il se maintient par la force, 1320. ASISTAGUERONON, ou Atsistahéronon, nation du Feu, ennemie des Cheveux-Relevés et de la nation Neutre, 546, 931. ASTICOU, nom algonquin du saut de la Chaudière, sur l'Outaouais, 449, 862. ATTIGOUANTAN, ou Attignaouantan, nation de l'Ours, l'une des principales tribus huronnes, 511--l'auteur arrive chez cette tribu, 514--... 551,628. ATTIGOUANTAN (lac des), aujourd'hui lac Huron. L'auteur lui donne le nom de mer douce, 513. Voyez Douce (mer). ATTIOUANDARONK. Voyez Neutre (nation). AUBRY (messire Nicolas), prêtre, écarté dans le bois dix-sept jours, 164-5. AUMONT (maréchal d'); l'auteur sert sous lui, 5, 702. BACCHUS (île de), à la côte des Almouchiquois, 199-200--... 202, 241, 736. BAHAMA, ou BAHAM, canal, 49, 50. BAILLIF (le), natif d'Amiens, aide de sous-commis, à Tadoussac (1622), 1038--se donne aux Anglais, 1228--le capitaine Louis Kertk lui remet les clefs du magasin de Québec, ibid--M. de Caen l'avait chassé pour mauvaise conduite, 1229--s'empare, au magasin, de tout ce qui appartenait à ce dernier, ibid--vole au commis Corneille cent livres en or et en argent, avec plusieurs effets, 1231--sa conduite scandaleuse lui attire le mépris même des Anglais, ibid--maltraite les Français de Québec, 1305. BAILLIF (le P. Georges le), à Québec (1621); instruction qu'il avait de la part du vice-roi, 995-6--commission que lui donne l'auteur, 1001-2--député à Tadoussac auprès du sieur de Caen, 1008-9--revient rendre compte de sa mission, 1009-10--détermine l'auteur à y descendre, 1010---l'y accompagne, 1010-12--part avec Pont-Gravé pour la France, porteur d'une requête des habitants du pays, 1018. BALEINES (port aux), dans l'île du Cap-Breton, 1285. BANAMA. Voyez Panama. BANC de Terre-Neuve, ou le Grand-Banc, 66, 127, 280, 349, 435-6, 666. 3/1451 BARRÉ (Nicolas), remplace le capitaine Albert au fort Charles, en Floride, 673. BASQUES. Ils se fortifient à l'île Saint-Jean (1623), et se saisissent du vaisseau de Guers, 1045. BASQUES (anse aux). Voyez _Chasaut-aux-Basques_. BATISCAN, capitaine sauvage, 356, 389, 1198. BATISCAN (rivière de), 91. BATTURIER (cap), à douze ou treize lieues de Mallebarre, 247, 755. BAUDE (Moulin-), lieu ainsi nommé près de Tadoussac, 986, 1092, 1106--les vaisseaux de Kertk mouillés en cet endroit (1629), 1239, 1243, 1244, 1249. BAYONNE (île de), en Gallice, 7. BEAU CHAINE, l'un des facteurs et commis de la compagnie des marchands, 612. BEAULIEU (le sieur de), conseiller et aumônier ordinaire du roi; par son entremise, l'auteur s'adresse au comte de Soissons pour l'engager à prendre le Canada sous sa protection, 432. BEAUMONT (le sieur), maître des requêtes; conseille au maréchal de Thémines de demander la charge de lieutenant pendant la détention du prince de Condé, et l'obtient, 966. BEAU-PORT (le), aujourd'hui Gloucester, dans le Massachusets, 242-4, 752. BECHOURAT, chef montagnais, probablement le même que Begourat; donne son fils à Pont-Gravé pour l'emmener en France, 126. BEDABEDEC, pointe basse à l'ouest de l'entrée de la rivière de Pénobscot, 180, 181, 185, 187, 194,726--montagnes de Bedabedec, 731. BEGOURAT, sagamo montagnais, 121, 126. BERGERONNES (les grandes et les petites), ou Bergeronnettes, 1092, 1106. BERMUDE (la), île dangereuse, 50. BESOUAT, pour Tesouat, Voyez Tessouat. BESSABEZ, chef sauvage de la rivière de Pénobscot, 179, 183--son entrevue avec l'auteur, 184, 185--... 265, 267, 725, 729, 730. BIARD (le P. Pierre), jésuite, missionnaire en Acadie, 766 et s.--pris par les Anglais à Saint-Sauveur, 773--conduit en Virginie, et menacé de la mort par le Mareschal, 776--8--sa générosité envers le capitaine Turnel, 778-9--conduit en Angleterre, et de là en France, 780. BIC (le), ou le Pic, 68--un vaisseau rochelois fait la traite dans les environs (1624), 1059--... 1063, 1092, 11055--Desdames y apprend la nouvelle de la prise de Québec, 1247. BIENCOURT (Charles de), sieur de Saint-Just, fils de M. de Poitrincourt; va trouver son père à Port-Royal, 387--l'y remplace, 765--âgé d'environ dix-neuf ans (1610), 767--repasse en France, ibid--son association avec les pères Jésuites, 768--retourne à Port-Royal (1611), 768-9--y demeure, 769, 770, 772--encore en Acadie en 1624, 1067. BISEAU (M. du), ambassadeur de France en Angleterre, 780--obtient la délivrance du sieur de La Mothe, ibid. BLANC (cap), aujourd'hui cap Cod, 212, 244-5, 748, 753. BLANCHE (baie), ou baie du cap Blanc (cap Cod), 244, 752. BLAVET, évacué par les Espagnols, 6, 7, 701-2--... 16. BONAVENTURE (île de), près de Percé, 113, 1181, 1187. BONNERME, chirurgien, à Québec; l'auteur le fait emmenotter, 301--remis en liberté, ibid--sa mort, 318. BORGNE (le), chef algonquin, 1198. BOULLÉ (Eustache), beau-frère de l'auteur, vient en Canada (1618), 599--rencontre sa soeur à Tadoussac (1620), 986--monte à Québec, 989--l'auteur le met au fort (1621) avec Dumay et quelques autres, 1001--nommé lieutenant de Champlain (1625), 1079--député (1627) par l'auteur aux Trois-Rivières, pour prévenir une rupture avec les Iroquois, 1120--revient à Québec, 1121--... 1182-3--l'auteur l'envoie (1629) vers le Golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France, 1214--pris par les Anglais, 1240, 1244--fait à l'auteur le récit de son voyage, 1240-4--accompagne le général anglais à Québec, 1252. BOULAY (rivière du), dans l'Acadie, 160, 715. BOURDET (le capitaine), commandant au fort de la Caroline, 674. BOUTONNIÈRES (cap des), 1090. 4/1452 BOUTRON, petite ville de la Nouvelle-Espagne, 25. BOUVIER ou BOVIER, marchand, en traite au saut Saint-Louis (1611), demande aux Hurons d'emmener avec eux un de ses hommes, 406--l'auteur a quelques paroles avec lui à ce sujet, 408--Iroquet se charge de cet homme, ibid. BOYER, de Rouen, chirurgien, panse la blessure de l'auteur (1610), 365--arrive à Tadoussac (1613), 437. BOYER, peut-être le même que le précédent; grand chicaneur, fait signifier à l'auteur un arrêt du parlement, 968-9---... 981--deux familles inutiles, venues de sa part, sont renvoyées en France par l'auteur, 1019. BREBEUF (le P. Jean de), jésuite, arrive en Canada, 1070--revient (1629) du pays des Hurons, 1218. BRÉCOURT (le sieur de), receveur de l'amirauté, 984. BRETON (cap), dans l'île Saint-Laurent, ou du Cap-Breton, 115--... 386--plusieurs vaisseaux y périssent (1613), 436--... 711. BRETON (le capitaine), bon marinier anglais, avait bien traité les Jésuites au retour du Canada, (1629), 1304--revient de Québec, (1630), ibid. BRETONS (les), furent des premiers à découvrir les terres neuves, 666. BRION (île de), dans le golfe Saint-Laurent, 1084. BRISSAC (maréchal de), 5, 6, 441, 702, 856. BRUGES (David de), pilote, 769. BRÛLÉ (cap), près du cap Tourmente, 1102. BRÛLÉ (Étienne), de Champigny, truchement pour les Hurons, député vers les Carantouanais, 523, note 1--demeure avec eux, 590--depuis huit ans parmi les sauvages, 621 (voir 368)--raconte à l'auteur ses aventures au pays des Carantouanais, 622-9--retourne avec les Hurons, 629--à Québec, en 1623; va au-devant des sauvages pour les faire hâter, 1043--rencontre les Hurons au saut de la Chaudière, 1045--sa mauvaise conduite, 1065--se donne aux Anglais, 1228, 1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249--monte au pays des Hurons, 1251. BRÛLÉ (l'îlet), près de Tadoussac, 1095. BUREL (le frère Gilbert), jésuite, arrive à Québec, 1070. BURLAMAQUI, ambassadeur du roi d'Angleterre en France, donne des assurances que le Canada sera remis aux Français, 1326. CABAHIS, chef sauvage, 183--son entrevue avec l'auteur, 184, 186--renseignements qu'il lui donne sur la rivière de Pénobscot, 186--... 729-30. CABOT (Jean); commission qu'il reçoit du roi d'Angleterre, 150. CABOT (Sébastien), fils de Jean; au service de l'Angleterre, 150, 1312. CADIX. Plan de cette ville en 1598, par Champlain, 7. CAEN (Émeric de), neveu du sieur Guillaume; celui-ci le laisse à Québec (1624) pour principal commis, 1067--commande en l'absence de Champlain, ibid--vice-amiral de la flotte (1626), 1080--arrivé à Percé, 1081--prend le commandement du vaisseau de La Ralde, avec la condition que les Huguenots n'y chanteront pas les psaumes, 1104-5--dépêche de Tadoussac une chaloupe à Québec, 1105--La Ralde lui écrit de Miscou de lui envoyer le petit vaisseau des Jésuites, Y Alouette, 1113--part de Québec, ibid--son arrivée (1627), 1121--monte aux Trois-Rivières pour se rendre à la traite, ibid--s'efforce d'empêcher la rupture de la paix, 1122--... 1125--redescend à Québec, et de là à Tadoussac, 1128--occupé à la pêche de la baleine, 1130--appelé cousin de M. de Caen (Guillaume), 1235, 1240--rencontre Thomas Kertk vis-à-vis la Malbaie, 1235--pris par les Anglais, 1236-9--détails sur ce qui lui était arrivé antérieurement, 1240-7--retourne en Canada (1631), sur le vaisseau de Guillaume de Caen, 1323--les Anglais ne lui permettent pas de traiter, 1324-5. CAEN (Guillaume de); lettre qu'il adresse à l'auteur (1621), 993, 995--ce que mande à son sujet le sieur Dolu, 995--pouvoirs à lui donnés par le vice-roi, 996,999--nouvelles lettres qu'il adresse à l'auteur, 1007--surprend une lettre, avec copie d'un arrêt en faveur de l'ancienne compagnie, adressée à Pont-Gravé, laquelle annonçait que cet arrêt lui avait été signifié à 5/1453 Dieppe, ibid--teneur de cet arrêt, 1007-8--l'auteur lui députe le P. le Baillif et Guers, 1008--saisit le vaisseau de Pont-Gravé, à Tadoussac, 1009-13--traite avec l'auteur de ce qu'il y a à faire pour l'habitation, 1013-17--part de Tadoussac, 1017--l'auteur envoie au-devant de lui à son retour (1622), 1034--passe deux jours à Québec, et remonte aux Trois-Rivières, 1035--revient à Québec et descend à Tadoussac, 1037--arrive de France (1623); sa réception à Québec, 1044--monte à la traite, ibid--va visiter le cap Tourmente avec l'auteur, 1051--cause de son retard en 1624, 1060-1--nouvelle de son arrivée, 1063--arrivée Québec, 1064--monte aux Trois-Rivières, 1065--en revient et va de nouveau visiter le cap Tourmente, ibid--dit à l'auteur que M. de Montmorency le lui a concédé avec l'île d'Orléans et quelques autres îles, 1065-6--revient à Québec, 1066--laisse Émeric de Caen à Québec (1624) pour principal commis, 1067--arrête à Gaspé, 1068--amène (1625) les Jésuites à Québec, 1076--ses difficultés avec les anciens associés, 1077-9--laisse Pont-Gravé libre de repasser en France, ou de rester à Québec (1626), 1113--prie Pont-Gravé (1627) de retourner hiverner à Québec, et l'y décide, 1125--a quelques démêlés avec le P. Noirot, 1129--refuse d'employer ses hommes au fort, 1132--déposé par la nouvelle société, 1164--... 1165-6--avait envoyé des meules de moulin, qui restèrent à Tadoussac, par la négligence des commis, 1171-2--... 1210-1--envoie quelques secours à Québec, en attendant ceux de M. de Rasilly, 1240--l'auteur le rencontre qui s'en allait en Angleterre, pour y faire valoir ses droits, 1281--son vaisseau part pour le Canada avec un congé du cardinal de Richelieu pour cette année seulement (1631), sous le commandement de son neveu Émeric, 1323. CAHIAGUÉ, appelé plus tard Saint-Jean-Baptiste, village huron, où séjourna l'auteur, 517, 518, 520, 522, 544, 907, 909, 929. CAIOU, rivière du Mexique, 28. CAMPÊCHE (côte de), où il y a quantité de sel, 46. CANADA. Description générale de ce pays, 67-124, 557-61, 1082-1103. CANADA (grande baie de), 67. CANADA (grande rivière de), ancien nom du Saint-Laurent, 68, 89,94, 95, 124. CANADA (terre de, ou province de), au temps de Cartier, 306-8. CANADIENS, ou CANADOIS, nom sous lequel on a désigné d'abord les sauvages du bas du fleuve, 184, 743. CANANÉE, pilote; parti de Gaspé pour Bordeaux, est pris par les Turcs, 1068-9. CANARIES (les îles), 9. CANCEAU, port d'Acadie, rendez-vous des vaisseaux de M. de Monts, 155--Pont-Grave y saisit quelques vaisseaux basques, 157--... 234, 236, 273, 275, 278, 280, 384 762,--le petit passage, 1087. CAP-BRETON (île du), appelée encore Saint-Laurent, 115, 155, 170, 279, 1084--description de cette île, 279-80, 763--... 561. CAQUEMISTIC, sauvage montagnais; le P. Charles Lalemant baptise un de ses enfants, 1115--l'enfant est enterré au cimetière de Québec, ibid. CARANTOUAN, village situé à quelques journées au sud des Tsonnontouans, 520 note 1, 590, 622-5. CARANTOUANAIS, habitants de Carantouan, probablement les mêmes que les Andastes, 520 note 1--expédition combinée avec les Hurons contre les Tsonnontouans, 520, 523, 622-4. CARHAGOUHA, village huron. L'auteur y trouve rendu le P. le Caron, 516-7, 906-7--première messe dite en ce village, 517--l'auteur y retourne voir le P. le Caron, 545. CARMARON, nom, probablement défiguré, d'un village huron; l'auteur y est bien reçu, 515. CAROLINE (la), fort élevé en Floride par Laudonnière, 674--... 677, 684. CARON (le P. Joseph le), récollet, choisi pour les missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis sans s'arrêter à Québec, 498--revient à Québec chercher des ornements d'église, ibid--son zèle pour le salut des sauvages, 501, 502--l'auteur le rencontre qui remontait, 504--part du saut Saint-Louis pour hiverner avec les Hurons, 506-7--fixe sa 6/1454 demeure au village de Carhagouha, 517--y célèbre la première messe, ibid--l'auteur vient le revoir après l'expédition contre les Iroquois, 545... 592--retourne en France, 593--... 614--à Québec (1618),615--passe trois mois avec les sauvages (1623), 1040-1--retourne au pays des Hurons (1623) avec le P. Viel et le F. Sagard, 1050--... 1063--revient de France (1626), 1080, 1108--baptise un jeune sauvage nommé Louis, 1121, 1183--et un autre sauvage nommé Martin, 1142-3--gardien en 1629, 1184--... 1198. CARTHAGÈNE, ville de la Nouvelle-Grenade, 13--l'auteur y demeure un mois et demi, et en fait le plan, 47. CARTIER (Jacques), de Saint-Malo; on avait cru, pendant quelque temps, qu'il avait hiverné à la rivière qui porte son nom, 91--... 150--l'auteur prouve que Cartier hiverna près de Québec, dans la rivière Saint-Charles, 304-9--... 322, 415-l6--résumé de ses voyages par l'auteur, 668-71, 1310. CATHERINE (la), ou Sainte-Catherine, vaisseau de 250 tonneaux, sur lequel revint l'auteur en 1626, 1080-1--part de Tadoussac (1627), 1130. CAUMONT (Jean), dit le Mons, probablement celui qui plus tard est connu sous le nom de Gaumont; commis au magasin (1620-21), 99--part pour Tadoussac (1621), rencontre le capitaine Dumay, et retourne avec lui, 992--... 996. CAYMAN (les îles), 22. CHABOT (Philippe), amiral de France, 668. CHABOT. Voyez Cabot. CHAFAUT-AUX-BASQUES, 1096-7--Emery de Caen y mouille en 1629, 1245. CHALEURS (baie des), 114, 116, 1085-6. CHAMBLY (rapides de). Voyez Iroquois (saut des). CHAMBREAU, maître d'un vaisseau de Bordeaux, au Cap-Breton en 1629, 1285. CHAMPDORÉ (Pierre-Angibaut, dit), l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage à la côte des Almouchiquois, 221--... 230, 231--opiniâtre et peu entendu au fait de la marine, 232, 239--Pont-Gravé fait informer contre lui, 232-3--le fait désemmenotter pour travailler à une barque, 233--désemmenotté une seconde fois pour remédier à un accident, 235--Pont-Gravé lui fait grâce, à la prière de l'auteur et d'autres, 235--reste à Port-Royal, 238--... 278. CHAMPLAIN (Samuel de). Employé dans l'armée, en Bretagne, 5--passe en Espagne, 5-7--part pour les Indes-Occidentales, 9--se rend à Mexico, 25--retourne en Espagne au bout de deux ans et deux mois, 49-52--son premier voyage au Canada, 65, 701-2--entre dans le Saguenay jusqu'à douze ou quinze lieues, 84--son voyage au saut Saint-Louis, 86-112--et à Gaspé, 112-19--rapport que lui fait Prévert sur les mines d'Acadie et sur le gougou, 121-6--retourne en France, 127--rend compte de son voyage au roi, 153, 704--M. de Monts lui demande de l'accompagner à la Nouvelle-France, 706--part du. Havre-de-Grâce (1604), 155--chargé par M. de Monts d'aller reconnaître les lieux, 157-62--explore avec lui la baie Française, 165 et suiv.--son logement à Sainte-Croix, 176--fait l'exploration de la côte de Norembègue, 177-87, 724-31--de la côte des Almouchiquois, 193-224, 238-63, 731-59--son occupation à Port-Royal, 226-7--va à la rivière Saint-Jean, 227--part avec Pont-Gravé pour la côte de la Floride, et fait naufrage, 229-32--demeure à Port-Royal avec M. de Poitrincourt, 238--y fait un chemin de l'habitation à la Truittière, 264--établit l'ordre de Bon-Temps, 268--explore, avec M. de Poitrincourt, le fond de la baie Française, 271-3--son retour en France (1607), 274-81, 760-4--rend compte de ses voyages à M. de Monts, 283--ce qu'il dit de ses premières cartes, 283, 759-60--chargé par M. de Monts de faire une habitation sur le fleuve Saint-Laurent, 283-4--part de Honfleur (1608), et vient fonder l'habitation de Québec, 286-96, 303-4, 783-4, 792-3--conspiration contre sa vie, 296-302--sa première expédition contre les Iroquois (1609), 321-48, 801-26--laisse pour commandant à Québec Pierre Chavin, et retourne en France, 348--rapport de son voyage à Henri IV et à M. de Monts, 349-51--encourage M. de Monts à ne pas abandonner l'habitation de Québec, 785--voyage de 1610, 351-74,785, 826-35--sa seconde expédition contre les Iroquois (1610), 358-70, 826-35--fait 7/1455 réparer les palissades autour de l'habitation de Québec, 371--va trouver Pont-Gravé à Tadoussac, et le dissuade d'hiverner, 321-2--repasse en France, 373-7--voyage de 1611, 379-413, 838-53--danger qu'il court dans les glaces, 379-87--travaux qu'il fait faire à la Place-Royale (Montréal), 392-3, 838-41--M. de Monts lui remet (1611-12) le soin de former une nouvelle société, 413-4, 432, 885--ses deux cartes de 1612 et 1613, 4l 8-22--moyen qu'il donne pour prendre la ligne méridienne, 422--nommé lieutenant du comte de Soissons, 433, 886-91--lieutenant du prince de Condé, 434. 891-2--difficultés que lui suscitent les marchands (1612-13), 435, 892-3--son voyage de 1613 sur l'Outaouais, 435-74, 854-84, 893--nouvelles difficultés de la part des marchands (1613-14), 894-6--va à Fontainebleau faire rapport de son voyage au roi et au prince de Condé, 894--forme une nouvelle compagnie entre les marchands de Rouen et de Saint-Malo, auxquels refusent de se joindre les Rochelois, 894-7--s'occupe (1614) de procurer des missionnaires au Canada, 490-7--part de France (1615) avec quatre récollets, 496-7, 897--fait travailler à l'habitation de Québec, à la construction d'une chapelle et au logement des Récollets, 499--se décide à aller au pays des Hurons, et à les accompagner dans une expédition contre les Iroquois, 502 et suiv., 898 et suiv.--il y est blessé de deux coups de flèche, 533,920--contraint d'hiverner avec les Hurons, 536, 922--visite, avec le P. le Caron, la nation du Petun, 545-6, 930--puis celle des Cheveux-Relevés, 546-8, 931-2--choisi pour arbitre dans un différend entre les Hurons et les Algonquins, 549-56, 933-40--redescend à Québec, et repasse en France, 590-6, 963-5--son voyage de 1617, 596-8, 968-9--revient à Québec (1618) avec son beau-frère, 599-601, 614-5--y fait construire un fourneau, 615-6--monte aux Trois-Rivières avec le sieur de La Mothe, 617-8--retourne en France, 630-1--motifs de ses voyages et de ses travaux, 972--se dispose (1619) à conduire sa famille au Canada, 978-9--la compagnie des marchands veut lui retirer le commandement de Québec, pour le donner à Pont-Gravé, 978-80--lettre du roi et arrêt du conseil: en sa faveur, 980-2--nommé lieutenant de M. de Montmorency, 983--autre lettre du roi en sa faveur, 984--amène sa famille au Canada (1620), 985-9--travaux qu'il fait faire à l'habitation de Québec, 990-1--reçoit (1621) des lettres du roi, de M. de Montmorency, de M. de Puisieux, des sieurs Dolu, Villemenon et de Caen, 993-5--accommode les difficultés entre l'ancienne et la nouvelle compagnie, 996-1015--fait parachever le magasin de Québec, 1015-6--diverses entrevues avec Mahigan-Atic, qu'il fait capitaine, 1022-8--favorise les négociations de paix avec les Iroquois, 1029-33--bonne réception qu'il fait (1622) au sieur de Caen, 1034-5--lettre que le roi lui adresse, 1035--reconduit le sieur de Caen à Tadoussac, 1037--monte à la traite à la rivière des Iroquois (1623), 1044-5--va visiter le cap Tourmente avec M. de Caen, 1051--fait construire le nouveau magasin (1623-24), 1052-5, 1057, 1059--fait faire un chemin plus facile pour monter au fort Saint-Louis, 1053--retourne en France avec sa famille (1624), 1066-9--relation de son voyage, 1069--nommé lieutenant du duc de Ventadour, 1071-6--revient au Canada (1626), 1079-80, 1103-8--fait une habitation au cap Tourmente, 1109-10--reconstruit et agrandit le fort Saint-Louis, 1110-11--La Ralde lui écrit de Miscou, 1113--descend au cap Tourmente, 1114--s'oppose de tout son pouvoir à la rupture de la paix avec les Iroquois (1627), 1118-20--monte aux Trois-Rivières pour la même fin, 1122--en revient, 1125--dénuement ans lequel on le laisse, 1130-1--va au cap Tourmente, 1133--les sauvages lui font présent de trois jeunes filles, 1138-42--précautions qu'il prend à l'approche des Anglais, 1155, 1157--réponse qu'il fait à la sommation de Kertk, 1161--nouvelle commission du roi (1628), 1165-6--fait faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--ses projets pour soutenir son monde pendant l'hiver, 1173-5--envoie (1629) une députation aux Abenaquis, 1180-3--envoie à Tadoussac, puis à Gaspé, 1183-6--difficulté avec Pont-Gravé au sujet des pouvoirs, 1210-12--envoie son beau-frère vers le golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France, 1214--ses efforts pour remédier à la disette, 1219-20--réponse qu'il fait à la sommation des Kertk, 8/1456 1223--signe, avec Pont-Gravé, la capitulation de Québec, 1226--va trouver à son bord le capitaine Louis Kertk, qui le traite bien, 1227-8--descend à Tadoussac avec Thomas Kertk, 1232--bien reçu du général Kertk, 1239--Boullé lui fait le récit de ses aventures, 1240-4--le général anglais lui refuse la permission d'emmener les petites filles que lui avaient données, les sauvages, 1252-64--il les confie à Couillard, 1264--remet au général David Kertk le certificat des armes et munitions que lui avait donné le capitaine Louis, 1266-7--comment il passait le temps à Tadoussac, 1275--son départ sur les vaisseaux anglais, 1276--son arrivée en Angleterre, 1277--ses démarches pour faire restituer Québec aux Français, 1277-80, 1295--lettres que lui envoyait la nouvelle compagnie, 1281--relation, que lui fait de son voyage le capitaine Daniel, 1283-8--résumé qu'il fait lui-même de ses voyages, 1306. CHAMPLAIN (lac); description que l'auteur en fait, 337, 339, 344, 816, 817-8, 823. CHAMPLAIN (rivière), dans le Massachusets, 256. CHAPOUIN (le P. Jacques Garnier de), provincial des Récollets de la province de Saint-Denis, bien disposé pour les missions du Canada, 493. CHARIOQUOIS, nom que l'auteur donne aux Hurons (1611), 397--éloignés du saut Saint-Louis de quelques cent cinquante lieues, 408. Voyez Hurons. CHARITÉ, l'une des filles sauvages données à l'auteur, 1261--discours qu'elle tient à Marsollet devant le général anglais, 1263. CHARLES (fort), construit en Floride par Ribaut, 672--le capitaine Albert y reste commandant, 672, 689. CHARTON (le frère François), jésuite, arrive à Québec, 1070. CHASTE, ou CHATES (le commandeur de), gouverneur de Dieppe; obtient une commission du roi pour fonder un établissement en Canada, 700-1--engage l'auteur à y faire un voyage avec Pont-Gravé, pour examiner le pays et en faire son rapport, 701-3--sa mort, 703--M. de Monts le remplace, 704-5--... 1308. CHATAM (port de). Voyez fortune (port). CHÂTEAUNEUF (monsieur de); les commissaires nommés pour discuter l'affaire du Canada s'assemblent chez lui, 971--... 1277 note 4, 1280 note 2. CHATES, ou CHATTE (cap de), 1090-1. CHAUDIÈRE (saut de la), sur l'Outaouais, 448-9, 469, 862, 881-2--cérémonie que faisaient les sauvages en y passant, 469, 881-2. CHAUVIN (le capitaine), de Honfleur, en Normandie, 152--son entreprise au Canada, 696-700, 705, 1311. CHAVIN (le capitaine Pierre), de Dieppe; commandant à Québec (1609-10) en l'absence de Champlain, 348, 356--monte à la traite à la rivière des Iroquois, 366--revient de Tadoussac à Québec, 371--Pont-Gravé lui mande de redescendre, 372--demeure à Tadoussac commandant au vaisseau, en l'absence de Pont-Gravé, 373. CHEROUOUNY, sauvage, auteur du meurtre de deux français, 601 et suiv., 1179--trahi par un algonquin de l'île dans une ambassade chez les Iroquois, 1177--ceux-ci le font mourir misérablement, 1178-9. CHEVALIER, jeune homme de Saint-Malo, apporte au sieur de Poitrincourt des lettres de M. de Monts, lui mandant de passer en France, 269--M. de Poitrincourt l'envoie à la rivière Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--soupçons contre lui, ibid--... 273. CHEVEUX-RELEVÉS (nation des); leurs moeurs et coutumes, 512-3, 546-7, 903-4, 931-2--l'auteur se rend dans leur pays, 546, 931--ennemis des Atsistahéronon, ou nation du Feu, 546, 931--ont pour alliée la nation Neutre contre les Atsistahéronon, 548, 932. CHIGNECTOU. Voyez Deux-Baies (cap des). CHILLE, rivière du Mexique, 28. CHISEDEC, lieu ainsi nommé par les sauvages, sur le Saint-Laurent, 1093. CHOMINA, ou CHOUMIN, le Raisin, bon sauvage; porte secours aux Français dans la disette, 1172--un de ses fils, baptisé par le P. le Caron, retourne à la vie sauvage, 1183--son dévouement pour les Français, 1194 et suiv. CHOUACOUET, ou SACO (rivière de); M. de Monts et l'auteur s'y 9/1457 arrêtent, 201--en repartent, 203--... 205, 217--M. de Monts y rencontre Marchim, 222--M. de Poitrincourt et l'auteur y arrêtent, 240-1--... 250--est au pays des Almouchiquois, 271--... 739, 751. CHOUONTOUARONON, ou Sountouaronon (Tsonnontouans), 522, 910. Voyez Etitoithomnan. CLAUDE (le sieur), natif de Beauvais, commandant au Grand-Cibou (1629-30), 1287--assassine Martel son lieutenant, 1316. COCHOUAN (René), natif de Brest, détenu prisonnier au port aux Baleines, par les Anglais, et délivré par le capitaine Daniel, 1286. COD (cap). Voyez Blanc (cap). COHOUEPECH, chef almouchiquois, 243. COLIGNY (Gaspard de Châtillon, sire de), amiral de France, 672--envoie en Floride deux expéditions, 672-9. COLLIER (le sieur), marchand de Rouen, associé de M. de Monts, 350. COLOMB (Christophe), 676. COLOMBE (dom Francisque), chevalier de Malte, général espagnol, 9. CONDÉ (le prince de); l'auteur lui dédie son quatrième voyage (1613), 429--le roi lui remet la direction des affaires du Canada, 434, 490, 891-2---nomme l'auteur son lieutenant, 434--donne des passe-ports pour quatre vaisseaux, ibid--... 470, 496, 893-7--sa détention (1616), 966--mis en liberté, 982--... 1072. COQUILLES (port aux), dans l'île de Campo-Bello, 230. CORMORANS (île aux), à une lieue du cap de Sable, à la côte d'Acadie, 158--... 236, 712. CORNEILLE DE VENDREMUR, d'Anvers, demeure premier commis à Québec (1626-27), à la place de Pont-Gravé, 1113--remet au capitaine Louis Kertk, Pont-Gravé étant au lit, les clefs du magasin, 1228. CORNEILLES (cap aux), 223, 261-2. CORNEILLES (île aux), 194. CORTEREAL (Gaspar), navigateur portugais, 150. CORTEREAL (Michel),--frère de Gaspar, 150. CORTEZ (Fernand), 676. COTON (le P.), jésuite; envoie, à la demande du roi, des missionnaires au Canada, 766--... 781, 783, 785. COUDRES (île aux); description qu'en fait l'auteur, 87, 293-4--... 90, 110, 791, 1100. COUILLARD (Guillaume), gendre de Louis Hébert; au service de la compagnie dès 1613 ou environ, 1152-3--sa répugnance à aller à Tadoussac (1628) pour accommoder une barque, 1153-4--sa famille demande conseil à l'auteur, après la prise de Québec, avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-4--ce qu'il dit au général Kertk au sujet des filles données à l'auteur, 1255-6--se charge de les garder comme ses propres enfants, 1264. COURANT (le passage), ou détroit de Canceau, 279. CRAMOLET, l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage à la côte des Almouchiquois, 221. CREUSE (rivière), mentionnée par l'auteur, 508 note 5. CUBA (île de), 22--sa description, 48-9. DANIEL (le capitaine), de Dieppe; destiné pour venir à Québec en compagnie de M. de Rasilly, 1240-2--on apprend par Joubert qu'il était parti pour Québec, 1248--arrive du Cap-Breton (1629), où il avait pris un établissement appartenant aux Anglais, 1281--remet à l'auteur des lettres de la nouvelle compagnie, ibid--relation de son voyage, 1283-8--... 1282--retourne à Sainte-Anne de Cap-Breton (1631), 1315 et suiv. DANIEL (le sieur), médecin, envoyé à Londres pour demander la restitution du Canada et de l'Acadie, 1295. DARACHE, maître d'un vaisseau basque, venu en traite à Tadoussac, 288--l'auteur fait l'accord entre lui et Pont-Gravé, 289. DARONTAL, ou ATIRONTA, chef huron; donne l'hospitalité à l'auteur, 537, 543, 923, 928--l'auteur lui fait visiter l'habitation, 591-3, 963-5. DAUNE (Jean), capitaine de vaisseau, 769. DAUPHIN (cap), sur le Saint-Laurent, probablement le même que le cap au Saumon, 293, 790. DAVIS (Freton), détroit découvert par John Davis, 151, 693, 1312. DAVIS (John), navigateur anglais, découvre un passage auquel il donne son nom, 151, 693, 1312. 10/1458 DESEADE (la), ou la DÉSIRADE, 9, 10. DES CHAMPS, de Honneur, chirurgien, à Port-Royal, 228. DESCHESNES (le sieur), remonte à Québec et aux Trois-Rivières pour la traite (1618), 601--Pont-Gravé vient l'y rejoindre, 615--... 617--à Tadoussac (1620), 986--sur le point de prendre un vaisseau rochelois proche du Bic, ibid--parti de Québec pour la rivière des Iroquois, 987--arrive à Tadoussac (1623), 1042--monte à la traite, 1044-5--va à Tadoussac chercher les vivres pour l'habitation, 1051--à l'Acadie en 1624, 1067--cinq hommes de son équipage tués par les sauvages, ibid. DESDAMES; a. Québec.(1622); dépêché à Tadoussac pour en ramener une barque, 1037--sous-commis en 1623, 1041--arrive de France avec le P. Nicolas Viel et le F. Sagard, 1042-3--apporte à Québec (1628) des nouvelles du sieur de Roquemont, 1164, 1166-7--rapporte avoir vu des vaisseaux anglais, 1167--l'auteur l'envoie à Gaspé, 1185-6--son retour, 1206--descend à Gaspé avec Boullé (1629), et consent à y demeurer, 1214--prend le commandement de la barque, 1241--... 1244--informé de la prise de Québec, s'en retourne vers Gaspé, puis en France, avec Joubert, 1247-8. DESMARAIS, gendre de Pont-Gravé, arrive à Québec (1609), 321--remplace l'auteur à Québec, ibid--accompagne l'auteur dans la première expédition contre les Iroquois, 326, 330--l'auteur le prie de s'en retourner à l'habitation, 331----à Honneur (1610), d'où il devait s'embarquer pour le Canada, 354--arrive à Québec (1610), 371--arrive de nouveau à Québec (1623), avec Étienne Brûlé, 1043. DESPRAIRIES, jeune homme de Saint-Malo, plein de courage, va au secours de l'auteur (1610), 363-4, 830-1. DESTOUCHE, enseigne de Champlain, arrive en Canada (1626), 1079--repart (1627), 1130. DEUX-BAIES (cap des), aujourd'hui Chignectou, dans la baie de Fundy, 168, 718-9. DEUX-MONTAGNES (lac des), 390, 394, 507, 858. DIHOURSE (Michel), de Saint-Jean-de-Luz; ses vaisseaux sont pris et pillés par un lord écossais au Cap-Breton, 1285. DOLBEAU (le P. Jean), récollet, choisi (1615) pour les missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à Québec avec frère Pacifique, 499--dit la première messe, 505--demeure à Québec (1616-17) avec frère Pacifique, 595--de retour en Canada (1618), 615. DOLU (le sieur), grand audiencier de France, intendant de la Nouvelle-France, 983--met tous ses soins à régler les difficultés de la société, ibid--lettre qu'il adresse à l'auteur, 993-5--nouvelles lettres, 1007--... 1008, 1212. DOUBLET, pilote, venant de l'île Saint-Jean et Miscou, arrive à la rivière des Iroquois, 1045. DOUCE (mer), appelée d'abord par l'auteur lac des Attigouantan, aujourd'hui lac Huron, 511--description de ce lac, 513-4, 904-5--... 547, 559, 628. DRAKE (Sir Francis); son entreprise sur Porto-Bello, et sa mort, 45-6. DUGAS (rivière). Voyez Gua (rivière du). DUGLAS, ou DU GLAS, de Honneur, pilote du vaisseau de Pont-Gravé; il amène (1604) à M. de Monts les maîtres des navires basques saisis par Pont-Gravé, 176. DUMAY (le capitaine); arrive de France (1621) avec lettres de M. de Montmorency, 992-3--... 998--l'auteur l'envoie au-devant du sieur de Caen, 999-1000--lui confie (1621) le commandement du fort Saint-Louis, 1001--l'y maintient malgré les commis, 1003-4--demeure commandant à Québec en l'absence de l'auteur, 1010. DUMAY, frère du précédent, commandant d'une barque d'environ trente-cinq tonneaux, à Miscou (1631), 1318--surpris par les Basques, 1319-21. DUPARC (le sieur), jeune gentilhomme de Normandie, qui avait hiverné à Québec de 1609 à 1610, 355--monte de Tadoussac à Québec pour prendre le commandement de la place dans l'automne de 1610, 373--il y hiverne, 373, 389--au saut Saint-Louis (1613), 471--commandant à Québec (1616), 602. DUPLESSIS. Voyez _Plessis_. DUPONT. Voyez _Pont-Gravé_. 11/1459 DUPONT (rivière), aujourd'hui rivière de Nicolet, 328, 807. DU THET (le frère Gilbert), jésuite; accompagne les missionnaires en Acadie, 772--tué par les Anglais à Saint-Sauveur dans l'île des Monts-Déserts, 774. DUVAL (Jean), chef de la conspiration contre l'auteur, 298--exécuté à Québec (1608), 302. DUVERGER (Bernard), récollet, provincial de l'Immaculée-Conception, bien disposé pour les missions du Canada, 491-3. DUVERNAY, gentilhomme de l'équipage de Dumay; à Québec en 1621; l'auteur l'envoie aux Trois-Rivières avec Halard, 1007--de retour (1623) du pays des Hurons, où il avait hiverné, 1045--arrive de nouveau du même pays (1624) 1063. ÉCHAFAUD-AUX-BASQUES. Voyez _Chafaut-aux-Basques_. ENTOUHORONON, ou Tsonnontouans, l'une des cinq nations iroquoises, 520-1, 909--appelés Ouentouoronon, 1127. ENTOUHORONON (lac des), aujourd'hui lac Ontario, 524, 526-7, 536, 911, 913-4. EQUILLE (rivière de l'), au port Royal, 166, 235, 717. EQUILLE (rivière de l'), se jette dans le Saint-Laurent, plus haut que le Saguenay, 1097. EROUACHY, sauvage; confirme la nouvelle de la mort de Pierre Magnan et de ses compagnons, 1175--ce qu'il rapporte des Abenaquis, 1180--sollicite la délivrance d'un prisonnier auprès de l'auteur, 1194 et suiv. ESPAIGNOLLE, ou HISPANIOLA, dans l'île de Saint-Domingue, 22. ESPÉRANCE, l'une des filles sauvages données à l'auteur; ce qu'elle dit de Marsollet, 1254--discours qu'elle lui tient devant le général anglais, 1260-2--remonte à Québec, 1276. ESQUEMIN (l'), ou les Escoumins, 119, 1092, 1105, 1244. ESQUIMAUX, sauvages du Labrador; ennemis des Montagnais, 1094. ESTURGEONS (rivière aux), qui se jette dans le lac Nipissing; mentionnée par l'auteur, 511 note 2. ETCHEMIN (rivière), qui se décharge dans le fleuve Saint-Laurent, près de Québec, 186. ETCHEMINS, 73--sauvages ainsi nommés en leur pays, 172--leurs moeurs, 186--... 743. ETCHEMINS (rivière des), ou de Sainte-Croix, 172, 174--.. 186, 722. ÉTIENNE (maître), chirurgien, à Port-Royal, 269. ÉVÊQUE (cap l'), sur le Saint-Laurent, 116. FARILLON, ou FORILLON, petit rocher ainsi nommé, près du cap de Gaspé, 1085. FEMMES (port aux), ou la rivière Noire, un peu plus haut que Tadoussac, 1098. FERCHAUD (Laurent), commandant d'un vaisseau destiné à l'habitation de Saint-Louis, au cap de Sable, 1314--remet au sieur de la Tour les lettres de la nouvelle compagnie, ibid. FEU (nation du). Voyez Asistaguéronon. FINNETERRE, en Gallice, 6. FLAMANDS. Leurs rapports avec les sauvages dès les premiers temps de la colonie, 521, 624--cinq de leurs hommes tués par les Iroquois, pour n'avoir pas voulu leur donner passage sur leurs terres, 1117--les Loups proposent aux Montagnais de s'unir à eux pour ruiner les villages iroquois, 1118--disposés à la paix avec les nations sauvages, 1193. FLECQUE (la), vaisseau de la compagnie; à Tadoussac (1627), 1130. FLIBOT, petit vaisseau de près de cent tonneaux, 1169--l'un des trois vaisseaux qui prirent Québec (1629), 1227, 1243-4--l'auteur descend à Tadoussac sur ce vaisseau avec Thomas Kertk, 1232--le général anglais le renvoie avec des provisions, 1249. FLORIDE ou FLOURIDE, au nord du canal de Bahama. 49--le roi d'Espagne n'en fait point d'état, 51--... 115, 340--tentatives d'établissement par Ribaut et Laudonnière, 672-9. FONTENAY-MAREUIL, ambassadeur de France à Londres; s'occupe de faire rendre le Canada aux Français, 1325-6. 12/1460 FORILLON. Voyez _Farillon_. FORT-NEUF, forteresse de la Havane, 48. FORTUNÉ (port), aujourd'hui Châtain, 248-55--malheur arrivé aux Français dans ce port, 253-5--... 256, 262, 756, 759. FOUCHER, français qui avait la garde de l'habitation du cap Tourmente, 1110--surpris par les Anglais, 1155-6--descend à Gaspé avec Boullé, 1214, 1244. FOUQUES (le capitaine); M. de Monts le dépêche à Canceau, 175. FOURCHU (cap), en Acadie, 159, 163, 234, 235--... 274, 713. FRANÇAIS (rivière des); l'auteur passe par cette rivière pour aller au pays des Hurons, 511 note 4. FRANÇAISE (baie), ainsi nommée par M. de Monts, 160, 164, 714--description de cette baie, 165 et suiv.--l'auteur, avec M. de Poitrincourt, explore le fond de cette baie, 271-3. FRANÇOIS (Frère), jésuite. Voyez _Charton_. FROBISHER (Sir Martin), voyageur anglais, 151, 693, 1312. FROIDEMOUCHE, l'un des français envoyés de la Malbaie à Québec (1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était descendu dans la barque de Boullé, 1246. FUNDY (baie de). Voyez _Française_ (baie). GALLOIS (Michel), de Dieppe, envoyé de Sainte-Anne du Cap-Breton, à Miscou, par le capitaine Daniel, 1317-8--surpris par les Basques, 1318-21. GASCOIN, pilote; arrive à Québec (1624), 1060--à Tadoussac, 1068--remonte à Québec, et apporte des nouvelles de M. de Caen, 1063. GASPÉ, ou GACHEPÉ, 68--description de ce lieu, 113, 1085--... 107, 113, 192, 286,387, 474, 763, 985, 1003, 1067-8, 1125. GASPÉ (cap de), 1085, 1090. GATINEAU (la), rivière qui se jette dans l'Outaouais, mentionnée par l'auteur, 447-8, 861. GAUDE. Voyez _Claude_. GENNES (rivière de), qui se jette dans le lac Saint-Pierre, du côté sud, probablement la rivière Yamaska, 328, 807. GEORGES (le capitaine), 151, 693, 1312-3. GEORGES (le sieur), marchand de La Rochelle, donne passage à Nicolas de Vignau, dans son vaisseau faisant voile pour le Canada, 441, 856. GÉRARD (le capitaine), probablement pour Guérard; quitte la flotte de Miscou pour aller porter des nouvelles en France, 1067. GERVAIS (le Frère). Voyez _Mohier_. GILBERT (Sir Humphrey), voyageur anglais; se perd sur l'île de Sable, 151, 693, 1312. GLOUCESTER. Voy. _Beau-Port_ (le). GOUFFRE (rivière du), 294. GOUGOU, monstre ainsi appelé par les sauvages, au rapport du sieur Prévert, 125-6. GOURGUES (Dominique de), gentilhomme gascon; venge la mort des français massacrés en Floride par les Espagnols, 680-7. GRAND-BAIE, nom donné autrefois à cette partie du golfe Saint-Laurent comprise entre le Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve, 418, 1038, 1088. GRAND-CIBOU, 1285--le capitaine Daniel y fait faire un retranchement, 1287--le P. de Vieuxpont y vient trouver le capitaine Daniel, 1294. GRANDMONT (monsieur de), 1038. GRAND-SAINT-ANDRÉ (le), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283. GREC (Le), jeune homme d'origine grecque, à Québec en 1628, 1154-5--l'auteur l'envoie au cap Tourmente avec deux sauvages, 1155--rencontre Foucher, qui avait échappé aux Anglais, ibid. GROS-JEAN, de Dieppe, truchement des Algonquins; se donne aux Anglais, 1255. GUA (rivière du), ou du GAS, 209, 745. GUADELOUPE (la), plan de cette île par Champlain, 10. GUÉRARD, basque, écrit de Tadoussac à Pont-Gravé, 1038. GUERCHEVILLE (madame de), favorise l'envoi des Jésuites au Canada, 765 et suiv.--obtient du roi les terres de la Nouvelle-France depuis le Saint-Laurent jusqu'à la Floride, excepté Port-Royal, 771--fonde Saint-Sauveur, à l'île des 13/1461 Monts-Déserts, 772--envoie à Londres La Saussaye, pour obtenir quelques réparations, 780-1--... 781, 782. GUERS, commissionnaire, arrive à Québec (1620), 989--y fait lecture des lettres de commission de l'auteur, et en dresse procès-verbal, 989-90--envoyé aux Trois-Rivières pour savoir ce qui s'y passe, 990--revient de France (1621) avec lettres de M. de Montmorency, 992-3--... 1001--député à Tadoussac avec le P. le Baillif auprès du sieur de Caen, 1008--l'auteur l'y renvoie avec lettre adressante au sieur de Caen, 1010--à Québec, le 18 d'août 1621, 1016. GUERS, peut-être le même que Guérard; les basques saisissent son vaisseau à l'île Saint-Jean, 1045. GUINES (frère Modeste), récollet, à Tadoussac (1618), 615. HALARD (Jacques), arrive à Québec (1621), et donne avis à l'auteur de l'arrivée du sieur de Caen, 1006--monte à la traite aux Trois-Rivières, 1007--certifie avoir livré des munitions à l'auteur, à Québec, 1016-7--demeure à Tadoussac (1624) pour la traite, 1061--écrit de là une lettre à l'auteur, 1062. HAUTE (l'île), à l'entrée de la rivière Pénobscot, 181, 260-1, 726. HAUTE (l'île), dans la baie de Fundy, mentionnée, 168. HAVANE (la), rendez-vous de la flotte espagnole, 46--l'auteur y arrive, 47--description que l'auteur en fait, 47-8--l'auteur y séjourne quatre mois, 49. HAWKINS (Jean), capitaine anglais, secourt les Français en Floride, 675. HÉBERT (Anne), fille aînée de Louis; sa mort, 987. HÉBERT (le sieur Louis), apothicaire, se fixe à Québec avec sa famille, 596-8, note--... 615--tenant la place de M. de Biencourt (1613), 772-3--mort de sa fille aînée, 987--son premier logement à Québec, 988--à Tadoussac (1621); mission que lui confie le sieur de Caen, 1014--différend entre lui et le sieur de La Ralde au sujet des prières, 1036--enseigne de M. de Caen, ibid--l'auteur lui fait reconstruire le pignon de sa maison, 1055--fait une chute, qui lui cause la mort, 1116--... 1171--sa famille soumise à des exactions de la part des commis de la société, 1188. HÉBERT (la veuve), Marié Rollet, femme de Louis Hébert; son désert, 1219 le capitaine Louis Kertk accorde quelques soldats pour la garde de sa maison, 1228--demande conseil à l'auteur avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-5. HENRI IV. L'auteur fait le voyage de 1603 par son ordre, 283--lettres qu'il accorde à M. de Monts pour faire un établissement sur le Saint-Laurent, 284-5--rapport que l'auteur lui fait de son voyage, 348-50--nouvelle de sa mort à Tadoussac, 372--protège les missionnaires du Canada, 766. HÈVE (La), cap «joignant la côte d'Acadie», 156, 275, 711, 760--le vaisseau de La Saussaye y arrive, 772 HISPANIOLA, ou ESPAIGNOLLE, dans l'île de Saint-Domingue, 22. HOCHELAGA, ou OCHELAGA, 670. HONABETHA, chef almouchiquois, 209, 745. HOUEL (le sieur), secrétaire du roi et contrôleur général des salines de Brouage; suggère à l'auteur de demander des récollets pour les missions du Canada, 491--s'occupe lui-même de cette affaire, 492-3, 896. HUDSON, navigateur anglais; l'auteur mentionne ses voyages, 441, 1313. HUET (le P. Paul), récollet, 596 note 1--à Québec (1618), 615--repasse en France avec frère Pacifique, pour faire rapport sur les affaires du Canada, 630--plaintes que fait contre lui le sieur de Caen, 1009. HUISTRES (port aux), ou baie de Barnstable, Massachusets, 245, 753. HURON (lac). Voyez _Douce_ (mer). HURONS, appelés d'abord les bons Iroquois, Ochateguins et Charioquois, 111, 317, 323, 346, 349, 356, 358, 370, 397, 408--emmènent avec eux (1615) le P. le Caron, 498, 500-2, 506--l'auteur monte en leur pays, et les accompagne dans une expédition contre les Iroquois, 503, 506 et suiv.--description de leur pays, 514-22, 561-2, 905-10, 940-1--moeurs et coutumes, 519-20, 562-90, 908-9, 944-63--l'auteur hiverne en leur pays, 536. 544-5 549. et suiv., 922, 929, 940, 963--leur population, 14/1462 562, 944--appelés Hurons pour la première fois, 800, 834--... 852--les PP. le Caron et Viel vont en mission dans leur pays, avec le frère Sagard, 1050--retour du frère Sagard, 1063-4--retour du P. Brebeuf (1629), 1218. ILES (cap aux), aujourd'hui cap Anne, 205, 206, 740, 74l--... 216, 750. ILES (port aux), 203-4. IMBERT (Simon), cendrier, serviteur de M. de Poitrincourt; plaintes faites contre lui, 771. IROQUET, chef algonquin, 324, 803--son fils avait vu l'auteur l'année précédente (1608), 324--arrive à la rivière des Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--fort affectionné à l'auteur, 368--difficulté qu'il fait d'emmener avec lui le garçon de l'auteur, 368-70, 833-4--descend à la traite (1611), 397, 844--... 403--emmène avec lui un des hommes de Bouvier, 408--faisant partie de l'expédition des Hurons (1615), 527, 914--hiverne avec sa troupe au pays des Hurons, 544, 929--mécontente les Hurons, 549, 933--blessé de deux coups de flèche, 549-50,934--fait manquer à l'auteur le voyage du Nord que devaient lui faire faire les Nipissings, 551, 935--... 555, 939. IROQUOIS, 71, 73, 95--ce que les sauvages rapportent à l'auteur de cette nation, 99, 109-10--les bons Iroquois, 111--... 209, 317, 32l--première expédition de l'auteur contre eux, 322-48, 801-25--seconde expédition, 358-70, 826-34--assistés dans leurs guerres par les Flamands, 521--troisième expédition de l'auteur contre eux, 502-7, 520, 522-44, 898-929--négociations de paix avec eux (1622), 1029-33--seconde députation (1624) pour terminer la paix, 1064--tout est rompu par la perfidie du traître Simon, ibid--en guerre avec les Loups, 1117--rupture de la paix avec les nations alliées (1627), 1119-20--nouvelle députation pour la renouer, 1124-5--nouvelle rupture par les Algonquins, 1126-8, 1177-9. IROQUOIS (les bons), les mêmes que les Hurons, 111. Voyez _Hurons_. IROQUOIS (lac des), ou lac Champlain, 99, 115. IROQUOIS (rivière des), aujourd'hui le Richelieu. Champlain remonte cette rivière cinq ou six lieues, 98--description qu'en font les sauvages à l'auteur, 99--... 120--l'auteur remonte cette rivière (1609), et en fait une description plus détaillée, 328-37, 807-16--...358, 825, 1043, 1063--on y fait la traite (1623), 1045-50. IROQUOIS (premier saut des), ou saut de la rivière des Iroquois, aujourd'hui rapide de Chambly, 329, 332, 346, 808, 809, 810, 811, 825. JAMAY (le P. Denis), récollet, choisi pour les missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis avec l'auteur, 499--redescend à Québec avec Pont-Gravé, 506-7--retourne en France (1616), avec le P. le Caron, 593-4. JACQUES (maître), natif d'Esclavonie, bien entendu à la recherche des minéraux, 228. JACQUES-CARTIER (rivière), 91. JACQUES-CARTIER (rivière), aujourd'hui rivière Lairet, qui se jette dans la rivière Saint-Charles; Jacques Cartier hiverne à son embouchure, 670. JEANNIN (le président), encourage l'auteur à poursuivre ses découvertes, 432, 441, 856--favorise auprès du conseil la nomination du comte de Soissons, 886. JEAN PAUL, matelot, arrive à Québec (1623), 1042. JÉSUITES; chargés des missions de l'Acadie, 766-9--leur association avec le sieur Robin et M. de Biencourt, 768--quittent Port-Royal, 772-3--vont s'établir avec La Saussaye à Saint-Sauveur, dans l'île des Monts-Déserts, 773--faits prisonniers par les Anglais, 773 et suiv.--premiers jésuites arrivés à Québec, 1070, 1076--y font travailler au défrichement, 1111-2--sont contraints (1627) de renvoyer tous leurs ouvriers, 1129--avaient à Québec (1628) un moulin à bras, où la plupart allaient faire moudre, 1171--... 1219-20, 1222--l'auteur demande à Louis Kertk des soldats pour empêcher qu'on ne ravage rien chez eux, 1228--les Anglais se saisissent de plusieurs choses qui leur appartenaient, 1230--visite de 15/1463 Louis Kertk chez eux, 1231--vaisseau venant à leur secours et rendu inutile par la prise de Québec, 1240, 1248--reproche que leur fait le général Kertk, 1272--repassent en France, 1376-7. JOUAN CHOU, capitaine sauvage, 1104, il 87--offre qu'il fait à Pont-Gravé, 1206. JOUANISCOU, chef sauvage, 262, 265. JOUBERT; attendu avec des secours pour Québec, 1240--rencontre Desdames, et retourne en France, 1247--fait naufrage à la côte de Bretagne, 1248--... 1282. KÉNÉBEC (rivière de), 183, 185--les sauvages de cette rivière s'appellent Etchemins, comme ceux de Pénobscot, 185-6, 730--... 187, 194, 197--l'on va par cette rivière jusqu'à Québec, 197--son entrée est dangereuse, 197-8--... 218, 222, 260. KERTK (David), général de la flotte anglaise; envoie de Tadoussac sommer le fort de Québec, 1159-61--réponse que lui fait Champlain, 1161-3--renonce un instant à son entreprise, 1163--dix jours à Gaspé, 1207-8--revient à Tadoussac (1629), d'où il envoie ses deux frères sommer Québec, 1220-3--ratifie la capitulation accordée par ses frères, 1227--reçoit bien l'auteur, 1239--va voir Québec avec Jacques Michel et autres, 1252--festoie ses officiers à Tadoussac, 1252-3--son entretien avec l'auteur au sujet des filles sauvages données à celui-ci, 1254-6--persiste à refuser à l'auteur la permission de les emmener avec lui, 1258-63--motifs de ce refus dévoilés à l'auteur par Jacques Michel, 1263--demande à l'auteur de lui remettre le certificat des armes et munitions que lui avait donné le capitaine Louis, 1266-7--plaintes que faisait de lui Jacques Michel, 1268-70--ses différentes prises en Canada (1629), 1274-5--interdit aux catholiques l'exercice de leur culte, 1275--son retour en Angleterre, 1276-8. KERTK (Louis), frère de David; s'empare de Québec, conjointement avec son frère Thomas, au nom de l'amiral, 1221-9--venu pour commander au fort de Québec, 1222--prend possession du fort et de l'habitation, 1229-31--permet à l'auteur d'emmener les filles sauvages données à celui-ci, 1227-8--lui donne un certificat de tout ce qui se trouvait dans la place, 1229-30--visite les PP. Jésuites et les PP. Récollets, 1231--son caractère, 1233, 1247--... 1265-6, 1305, 1325/ KERTK (Thomas), vice-amiral de son frère David; accorde la capitulation de Québec (1629), conjointement avec son frère Louis, au nom de l'amiral, 1222-7--redescend à Tadoussac avec l'auteur, 1232--s'empare du vaisseau de M. de Caen, 1235-9--la chaloupe de Boullé prise par lui, 1242--l'auteur l'engage à parler au général, son frère, en faveur des filles données par les sauvages, 1256--... 1269-73--revient du Canada (1630), 1304--y retourne (1631), 1324. KINIBÉKI. Voyez _Kinèbec_. KRAINGUILLE (le sieur de), lieutenant du sieur de La Tour, au cap de Sable; repasse en France, 1314. LABRADOR (côte de), 151, 561, 692, 693--l'auteur avoue que les Anglais ont fait quelques découvertes vers cette côte, 1312. LA PERRIÈRE, ou LA FORRIÈRE, sauvage député par les siens pour excuser le meurtre commis sur deux français, 607-8--donne avis (1623) d'un complot formé par les sauvages contre les Français, 1044--arrive de Tadoussac (1628), 1145--son entrevue avec l'auteur, 1145-9--revient traiter quelques vivres et du petun, 1150. LA FRANCHISE (de); pièce de vers qu'il adresse à Champlain, 61. LALEMANT (le P. Charles), jésuite; arrive en Canada, 1070--... 1111--repasse en France, 1128-9--revenant au Canada avec le P. Noirot, 1240--on apprend par Joubert qu'il était parti de France pour Québec avec le P. Noirot, 1248--son naufrage, 1288-95. LAMETS, français échappé aux Anglais avec quatre autres, à la prise de Saint-Sauveur, 774. LA MOTHE-LE-VILIN (Nicolas); ses aventures à l'Acadie, 599--son arrivée en Canada, 599-601--monte de Tadoussac à Québec avec le 16/1464 P. Dolbeau, 615--et de Québec aux Trois-Rivières avec l'auteur, 617-8--hiverne à Québec (1618-19), 630--lieutenant de La Saussaye en 1613, et pris par les Anglais à l'île des Monts-Déserts, 773--emmené en Virginie, 775--fait prisonnier et conduit en Angleterre, 780--délivré par l'entremise de M. du Biseau, ambassadeur, ibid. L'ANGE (le sieur), parisien; stances qu'il adresse à l'auteur, 139--part pour le Canada avec l'auteur, 435--à Tadoussac, 437--en part pour le saut Saint-Louis avec l'auteur, ibid--va au-devant de lui à son retour de l'Outaouais, 470--repart du saut avec l'auteur pour la France, 473. LA ROCHE (marquis de); son expédition à l'île de Sable, 152, 155, 695-6, 1311--défauts que remarque l'auteur sur son voyage, 696. LA ROCHE-DAILLON (le Père), récollet; arrive en Canada (1625), 1077--monte pour la seconde fois (1626) au pays des Hurons, 1112--l'auteur va le visiter (1629) pour avoir des provisions, 1184. LAROUTTE, pilote, accompagne l'auteur dans la première expédition contre les Iroquois, 326, 330--demeure à la garde de la barque pendant la seconde expédition de l'auteur, 360, 827. LAS DAMAS, golfe, 9. LAS VIRGINES, îles, 10, 11. LA TOUR (le sieur Claude Turgis de Saint-Étienne de), pris par les Kertk, 1159, 116l--travaille inutilement à gagner son fils aux Anglais, 1298--revient le trouver au cap de Sable, 1299. LATOUR (Charles-Amador de), fils de Claude, successeur de M. de Biencourt, à l'Acadie, 1297--établi au cap de Sable, 1298--le capitaine Marot vient se joindre à lui, 1298-9--ramène son père au devoir, 1299--reçoit des lettres (1631) de la nouvelle compagnie, 1314. LAUDONNIÈRE (le capitaine René de), gentilhomme poitevin; son entreprise en Floride, 674-9--défauts observés dans son entreprise, 687-91. LAUSON (Jean de); l'auteur lui écrit de Douvres, relativement à la prise de Québec, 1277--lettres qu'il avait adressées à l'auteur et confiées au capitaine Daniel, 1281. LAVIGNE, de Honfleur, commandant à Tadoussac (1621) sur le vaisseau de Pont-Gravé, 1005. LE COCQ, charpentier, l'un des deux français envoyés de la Malbaie à Québec (1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était descendu dans la barque de Boullé, 1246. LE COCQ_(Jean), tué accidentellement à Québec, 1041. LEGENDRE (Lucas), marchand de Rouen, associé de M. de Monts, 350--... 35l--associé de la nouvelle compagnie (1624); écrit une lettre à l'auteur, 1061. LE GRAND (le capitaine), essaye vainement de s'emparer d'un vaisseau rochelois à l'île Verte, 1015. LESCARBOT (Marc), avocat; joyeuse réception qu'il fait à M. de Poitrincourt et à l'auteur, 263--accompagne Chevalier à la rivière Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--... 278. LE SIRE, commis (1622), annonce à Québec l'arrivée du sieur de Caen, et redescend à Tadoussac, 1034. L'ESPINAY (Jacques Couillard, sieur de), lieutenant d'Émeric de Caen, pris par les Anglais, 1239. LESTAN, envoyé par le jeune de La Tour au sieur Claude de La Tour, père, pour le ramener au devoir, 1299. LÉVIS (cap de), ou pointe LÉVIS, près de Québec; les vaisseaux anglais paraissent derrière cette pointe (1629), 1221. LIENCOURT (M. de), gouverneur de Paris, marié à madame de Guercheville, 770. LIÈVRES (île aux), 86, 110, 292-3, 789, 1097-8. LONGUE (baie), 204 note 5, 740 note 4, 741 note 3. LONGUE (l'île), 160--grand et petit passage, 160, 162, 165, 169, 234, 714. LOQUIN, l'un des commis et facteurs de la compagnie des marchands, 615--monte aux Trois-Rivières (1618) avec Pont-Gravé, ibid--part de Tadoussac (1620) pour aller rejoindre Pont-Gravé à la rivière des Iroquois, 988--lieutenant (1623) du sieur de Caen; arrive à Québec pour aller en traite, 1043-4. LOUIS, jeune homme au service de M. de Monts, se noie dans le Grand-Saut, qui garde son nom, 394-6, 842-3. LOUIS DE SAINTE-FOY, ou Amantacha, sauvage instruit par les PP. Jésuites; se donne aux Anglais, 1251--monte au pays des Hurons 17/1465 avec Étienne Brûlé, ibid. LOUIS NÉOGAOUACHIT, fils aîné de Choumin, baptisé par le P. le Caron, 1121--retourne à la vie sauvage, ibid. LOUIS (le Frère), jésuite, noyé avec le P. Noirot, vers les îles de Canceau, 1288-90. LOUIS XIII; lettres qu'il donne à l'auteur (1618), 980--autre lettre (1620), 984--autre (1621), 993--autre (1622), 1035--l'auteur lui est présenté (1624) par M. de Montmorency, et lui fait rapport de son voyage, 1069--commission en faveur de Champlain (1628), 1165-6. LOUISBOURG. Voyez _Anglais_ (port aux). LOUPS (nation des), ou Mahingans, en guerre avec les Iroquois, 1117--proposent aux Montagnais de s'unir avec eux aux Flamands pour ruiner les villages iroquois, 1118--... 1117. LOUPS-MARINS (île aux), en Acadie, 159, 163, 713. MAGELLAN (détroit de), 45. MAGNAN (Pierre), français; va en ambassade chez les Iroquois, 1125--sa mort, 1126-7--cause de sa mort, 1127--il était natif de Tougne, en Normandie, proche de Lisieux, 1127, 1179--détails donnés sur sa mort par Érouachy, 1177-9. MAHIGAN-ATIC. Voyez _Miristou_. MAHIGANATHICOIS, ou Mahingans; nation, des Loups; cinq flamands tués par eux, 1113--... 1117, 1119, 1177--désirent faire la paix avec les Iroquois, 1193. MAHINGANS. Voyez _Mahiganathicois_, et _Loups_. MAISONNEUVE (le sieur de), de Saint-Malo; muni d'un passe-port du prince de Condé pour trois vaisseaux; l'auteur le rencontre au saut Saint-Louis, 470, 883--offre passage à l'auteur sur son vaisseau, 473, 893. MALBAIE (cap de la), ou cap à l'Aigle, 1099. MALBAIE (rivière de la), appelée aussi rivière Platte, 790, 1099--... 1235, 1246. MALLEBARRE (cap de), 1284. MALLEBARRE (port de), aujourd'hui Nauset, 213-21, 240, 246, 247, 255, 260, 749-54, 755, 759. MANCENILLE, port de l'île Saint-Domingue, 17. MANITOU, ou génie chez les Montagnais et les Algonquins, 575, 579, 955, 957-8. MANITOUGATCHE. Voyez _Nasse_ (la). MANTANE. Voyez _Matane_. MANTHOUMERMER, chef sauvage, 195--réception qu'il fait à M. de Monts et à l'auteur, 195-6, 732-3. MARCHIM, chef sauvage, 196, 197, 241--tué par Sasinou, 274--son fils Abriou lui succède, ibid--... 733, 734. MARESCHAL (Le), commandant de la Virginie, veut faire mourir les Français pris à Saint-Sauveur, et ne s'appaise qu'à la vue des lettres de La Saussaye, dérobées par Argall, 776--renvoie Argall dévaster les postes d'Acadie, 776-7--résolu de faire mourir le P. Biard, s'il abordait en Virginie, 778. MARGOTS (île aux), 172, 722. MARGUERITE (la), île où se pèchent les perles, 11. MARGUERITE (la), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283. MARILLAC (le sieur de), rapporte au conseil du roi les articles dressés par M. de Monts, 968--... 975. MAROT (le capitaine), de Saint-Jean-de-Luz, chargé de la conduite d'une expédition à l'Acadie, 1297--va rejoindre La Tour au cap de Sable, 1298-1302. MARSOLLET (Nicolas), de Rouen, truchement des Montagnais; l'auteur lui donne ordre de ne pas partir de Tadoussac pour Québec avant le 8 d'août (1624), 1062--se donne aux Anglais, 1229, 1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249, 1258-9--ce qu'il fait pour empêcher que l'auteur n'emmène les petites filles que lui avaient données les sauvages, 1253-63. MARTEL, de Dieppe, lieutenant à Sainte-Anne du Cap-Breton, assassiné par son commandant, 1316-7. MARTIN, sauvage ainsi appelé des Français, père de l'une des filles données à l'auteur, 1142--baptisé par le P. le Caron, ibid--sa fin malheureuse, 1143-4. MARTYRS (îles des), ainsi nommées pour y avoir eu autrefois des français tués par des sauvages, 275, 760. MASSÉ (le P. Ennemond), missionnaire en Acadie, 767--tombe 18/1466 malade parmi les sauvages, 771-2--fait prisonnier par les Anglais, 773-5--retourne en France, 776-80----arrive à Québec, 1070--demeure en Canada (1627), 1129--supérieur (1629), 1218. MATANE, ou MANTANE, rivière qui se jette dans le fleuve Saint-Laurent, 68--les sauvages vont par cette rivière à la baie des Chaleurs, 114--... 354, 1091--on fait la pêche de la morue jusque-là, 1094. MATOU-OUESCARINI, ou Madouascaïrini, nation algonquine, 450, 864. MAY (rivière de), aujourd'hui rivière Saint-Jean, en Floride, 672, 674--... 677, 678. MECABAU, sauvage appelé Martin par les Français. Voyez _Martin_. MECHIQUE, ville. Voyez Mexico. MECHIQUE, ou MEXIQUE (rivière de), 28. MEILLERAYE (Charles de Mouy, sieur de la), vice-amiral de France, 668, 670. MEMBERTOU, ou MABRETOU, chef souriquois, 233-4--... 266, 267--nourri avec sa famille par M. de Poitrincourt, 268--va à la guerre contre les Almouchiquois, 270, 274. MENANE, grande île à la côte des Etchemins, 172--... 194, 229, 263, 721. MENENDEZ DE AVILEZ (Dom Pedro), chasse les Français de la Floride, 677-9. MESSAMOUET, sauvage, va avec l'auteur à la découverte d'une mine de cuivre, 176-7--... 239--accompagne M. de Poitrincourt jusqu'à Chouacouet, 240--fait des présents à Onemechin, 241. MEXICO, visité par Champlain, 25, 44--description que l'auteur fait de cette ville et des productions du pays, 25-44. MEXIQUE, description qu'en fait l'auteur, 25-44. MICHEL (Jacques), renégat français; conduit la flotte de Kenk à Québec, 1154--... 1168-9--l'auteur le rencontre au Moulin-Baudé, 1239--contre-amiral de la flotte anglaise, ibid--conseil donné par lui aux Anglais dès l'Angleterre, 1243--... 124;--monte à Québec avec le général Kertk, 1252--l'auteur l'engage à parler au général Kertk en faveur des filles données par les sauvages, 1256--secret qu'il confie à l'auteur au sujet du général, 1263--sa dernière maladie, ses blasphèmes, ses plaintes contre les Anglais, sa fin malheureuse, 1267-73--ses obsèques, 1273-4. MINES.--Mines d'argent du Mexique, 28--mines de cuivre à l'Acadie, 114, 122-5, 168-70, 176-7--mines d'argent à la baie Sainte-Marie, 715--mines de fer à la rivière du Boulay, en Acadie, ibid. MINES (port aux), aujourd'hui havre à l'Avocat, dans la baie de Fundy, 168-9--... 227, 273. MIRAMICHI ou MISAMICHY, baie du golfe Saint-Laurent, 114, 719, 1087. MIRISTOU, sauvage fort attaché aux Français, 1021--diverses entrevues avec l'auteur, 1022-8--prend le nom de Mahigan-Atic, 1024--conditions auxquelles il est reçu capitaine, 1027--fort bien accueilli de Pont-Gravé et du sieur de La Ralde, 1034--refuse de s'allier aux Loups contre les Iroquois avant d'avoir l'avis de l'auteur, 1118--ce qu'il propose pour prévenir une rupture de la paix, 1119-20--monte aux Trois-Rivières avec l'auteur, 1122--nouvelles de sa mort, 1145. MISAMICHY, ou MESAMICHY. Voyez Miramichi. MISCOU (les..îles de), dans le golfe Saint-Laurent, 1045, 1062, 1067, 1085-7--La Ralde y saisit plusieurs vaisseaux faisant la traite contre les défenses, 1113--hiver de 1626-27, 1117--quelques français y hivernent, ibid--la maison est saisie (1628) par les Kertk, 1159---la compagnie des Cents-Associés y envoie du secours (1631), 1315. MISTIGOCHE, ou MATIGOCHE, nom que les Montagnais donnaient aux Normands et aux Malouins, 357, 360, 827. MOCOSA, ancien nom de la Virginie, 6l, 1307. MOHIER (le frère Gervais), récollet, baptise Trégatin, 1126. MOINERIE (de la), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en traite à Tadoussac, 437. MOLUES (baie des), aujourd'hui Malbaie, 113, 1085. MONAHIGAN. Voyez _Nef_ (la). MONTAGNAIS, sauvages du Saguenay et des environs de Québec, 72-3--trafiquent avec d'autres nations du Nord, 86--expédition 19/1467 contre les Iroquois, 120-1--autre expédition (1609) avec l'auteur, 321-48, 801-26--soixante montagnais vont à la guerre contre les Iroquois, 357--... 358, 828-9--réception qu'ils font à Champlain (1613), 436--... 745. MONTE-CHRISTO, 19. MONTMORENCY (Charles de), amiral de France et de Bretagne; Champlain lui dédie son voyage de 1603, 59--s'entremet de l'affaire du Canada, 967, 969, 982--nomme l'auteur son lieutenant, 983--vice-roi de la Nouvelle-France, 984--prise de possession du Canada en son nom (1620), 989-90--lettre qu'il adresse à l'auteur, 994--instruction qu'il donne au P. le Baillif, 995-6--présente l'auteur au roi (1624), 1069--... 1072. MONTMORENCY (saut), près de Québec; l'auteur le mentionne pour la première fois, 89--ainsi nommé par l'auteur, 792. MONT-ROYAL, à une lieue de la Place-Royale (Montréal), 391, 839. MONTS (Pierre du Gua, ou Dugas, sieur de); fait le voyage du Canada (1599) avec le sieur Chauvin, 698--obtient du roi (1603) une commission pour le Canada, 704-5--fait son embarquement (1604), 154-5, 705-6--l'auteur, sur sa demande, l'accompagne, 706--fait, avec l'auteur, l'exploration des côtes d'Acadie, 157 et suiv.--et de la baie Française, 165 et suiv.--fait une habitation dans l'île Sainte-Croix, 173-5, 706-7--reçoit humainement les maîtres des navires saisis par Pont-Gravé, 176--demeure d'abord dans le logement de Champlain, à Sainte-Croix, ibid--envoie Champlain à la découverte d'une mine de cuivre, 176-7--renvoie ses vaisseaux en France, 177--charge l'auteur d'explorer la côte de Norembègue, ibid--... 184--fait faire des jardinages à Sainte-Croix, 188, 191--y fait accommoder une barque pour aller à Gaspé, 192--se décide à changer le lieu de son habitation, 193--son voyage à la côte des Almouchiquois (1605), 193-224--transporte l'habitation de Sainte-Croix au port Royal, 224--part pour la France, 225-6--... 242, 260--sa commission révoquée, 707-9--rappelle sa colonie de Port-Royal, 269, 273 et suiv., 708--remarques de Champlain sur ses entreprises, 135, 152-4, 709-10--charge l'auteur de faire une habitation sur le Saint-Laurent (1608), 283-6, 783 et suiv.--sa commission révoquée de nouveau, 784--en sollicite vainement une nouvelle, 349-51, 785--... 394, 413--l'auteur lui rend compte du voyage de 1611, 413-4, 885--ses associés lui cèdent leur part dans l'habitation de Québec, 414--confie à l'auteur le soin de former une nouvelle société, 414, 885--nouveaux articles dressés par lui (1617), 968--... 595, 972--mort avant 1632, 1308. MONTS-DÉSERTS (île des), ainsi nommée par l'auteur, 179, 724--description de cette île, 178-81, 726--... 194, 261--établissement formé en cette île par La Saussaye, 773--les Anglais s'en emparent, 773 et suiv. MORE (le), forteresse de la Havane, 48. MOTIN; ode de ce poète sur les oeuvres de l'auteur, 143. MOULIN-BAUDÉ. Voyez _Baudé_. MOUSQUITES (port aux), 17. MOUTON (port au), en Acadie, 155--description de ce lieu, 156-7, 712. NACOU, port de la Guadeloupe, 10. NASSE (La), surnom du sauvage Manitougatche; annonce le retour des Anglais (1629), 1220. NATEL (Antoine), serrurier, découvre la conspiration contre l'auteur, et obtient sa grâce, 298-300. NAUSET (port de). Voyez Mallebarre (port de). NEF (île de la), aujourd'hui appelée Monahigan, 223. Voir note 2 de la page 222--... 731. NEGRE (cap), à l'Acadie; pourquoi ainsi appelé, 157, 712. NEUTRE (nation), ou Attiouandaronk, 546, 930--demeurant à l'ouest du lac des Entouhoronon (Ontario), 548--son armée de quatre mille hommes, ibid--pourquoi l'auteur ne s'y rend pas, ibid--alliée à la nation du Petun contre les Assistaguéronon, 548, 932. NEUVE-ESPAGNE, 16, 21. NIBACHIS, chef algonquin; réception qu'il fait à l'auteur, 452-3, 866--fait équiper deux canots pour le conduire vers Tessouat, 454, 867. NICOLET (rivière de). Voyez Dupant. 20/1468 NIGANIS, ou NIGANICHE, dans l'île du cap-Breton, 273, 280, 763. NIPISSING (lac), ou lac des Nipissirini, l'auteur passe par ce lac en allant au pays des Hurons, 509-11--description de ce lac, 510-1. NIPISSIRINI, ou NIPISSINGS, nation des Sorciers, 44.3, 458--mal vus des autres nations algonquines, 458-9, 871--bonne réception qu'ils font à l'auteur, 510-1--leurs moeurs et coutumes, ibid--... 549, 857. NOIROT (le Père), jésuite, arrive en Canada, avec des provisions (1626), 1079-80, 1108, 1111--... 1129--a quelque démêlés (en France) avec M. Guillaume de Caen, ibid--venant à Québec, rebrousse chemin à l'approche des Anglais (1629), 1207, 1240--on apprend de ses nouvelles par Joubert, 1248--son naufrage et sa mort, 1288-95. NOREMBÈGUE (côte de); l'auteur en fait l'exploration, 177-87--... 340, 728--moeurs et coutumes des sauvages de cette côte, 191-2, 735-6. NOREMBÈGUE (rivière de), aujourd'hui baie de Fundy; l'auteur a cru que c'était la rivière de Pénobscot, 174, 179--... 725, 731. NORMANDS; furent des premiers à découvrir les terres neuves, 666. NOROT, nom d'un commandant de vaisseau, mentionné dans la lettre de David Kertk, 1159--et dans la réponse de Champlain, 1161. NOTRE-DAME (monts), 1090. NOUE (le P. Anne de), jésuite; son arrivée à Québec, 1112--monte au pays des Hurons, Ibid--demeure en Canada (1627), 1129. NOUVELLE-ANGLETERRE, 1279. NOUVELLE-ÉCOSSE, 1279. Voyez _Acadie_. NOUVELLE-FRANCE. Voir _Canada_. Première fois que l'auteur mentionne le Canada sous ce nom, 657--sa description, 659-64--ses limites, suivant l'auteur, 1313. OBENAQUIOUOIT. Voyez _Abenaquis_. OCHATEGUIN, chef huron, 324, 803--arrive à la rivière des Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--descend à la traite (1611) avec deux cents de ses compatriotes, 397, 844--blessé à l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919. OCHATEGUINS, nom que l'auteur donne aux Hurons, 317, 323, 346--sont les bons Iroquois, 349--...356, 358, 370, 453, 464, 803, 525, 834. 867. OCHELAGA. Voyez _Hochelaga_. OIES (cap aux), 1099-1100. OISEAUX (île aux), 985, 1081, 1084. ONEMECHIN (Olmechin, suivant Lescarbot), capitaine almouchiquois, 200--chef de la rivière de Chouacouet, 241, 243--tué par Sasinou, 274--son fils Quéconsicq lui succède, ibid-... 737. ONTARIO (lac). Voyez _Entouoronon_ (lac des). OQUI, ou OKI, manitou ou génie chez les Hurons, 574 et suiv., 955 et suiv. ORANI, chef sauvage, blessé à l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919. ORLÉANS (île d'), 88, 108, 294-6, 438, 603, 791-2, 1103--M. de Caen dit à l'auteur que M. de Montmorency la lui a concédée avec le cap Tourmente, et quelques autres îles, 1065-6. ORPHELINS (ban des), 1086. ORVILLE (le sieur d'), l'un des compagnons de M. de Monts, à l'île Sainte-Croix, 176--la maladie l'empêche de commander à la place de M. de Monts, 225. OSTEMOY, OSTEMOUY, ou Autmoin, jongleur ou devin chez les Souriquois, 335. 8l4. OTAGUOTTOUEMIN, nation algonquine, 508, 900. OTONABI (rivière), mentionnée par l'auteur, 524. OTOUACHA, premier village huron où aborde l'auteur, 514, 905. OUAGABEMAT, frère de Chomina, s'offre d'aller à la côte des Etchemins pour traiter de la poudre; ce qui lui est accordé, 1216. OUAGIMOU, ou OAGIMONT, suivant Lescarbot, sauvage, 265. OUEL (le sieur). Voyez _Houel_. OUESCHARINI, ou Ouaouiechkairini, nom algonquin de la Petite-Nation, 447, 467, 861, 880. OUTAOUAIS (rivière des). Voyez Algonquins (rivière des). OUTETOUCOS, capitaine montagnais; périt dans le saut 21/1469 Saint-Louis, 394-6, 842-3--ses compatriotes vont quérir son corps, et l'enterrent dans l'île Sainte-Hélène, 411. OUYGOUDY, nom sauvage de la rivière Saint-Jean, 171, 720. PANAMA, port, sur l'isthme du même nom, 44-5--l'auteur émet l'idée de couper l'isthme, 45. PANOUNIAS, sauvage qui fit, avec M. de Monts et l'auteur, le voyage du pays des Almouchiquois, 193-4--sa mort, 265--son enterrement, 266-7--... 270--guerre à cause de sa mort, 274--avait été tué à Norembègue (Pénobscot), par les gens d'Onemechin et de Marchim, 274. PARMENIUS (Étienne), de Bude, savant hongrois, venu à Terre-Neuve en 1583; y périt, 1312. PEMEMEN, fils de Sasinou, lui succède, 274. PEMETEGOIT, ou Pentagouet. Voyez _Pénobscot_. PENOBSCOT, ou PENTAGOUET, rivière du pays des Etchemins, appelée par erreur Norembègue, 174, 179--ce que l'auteur en dit, 179-85, 725, 728-30--... 773, 782. PENTAGOUET. Voyez _Pénobscot_. PERCÉ, ou ILE PERCÉE, 113-4, 116--l'auteur y rencontre Prévert, 121--... 286, 349--quantité de vaisseaux y font la pêche (1610), 374--... 474, 601, 763, 1080. PETUN. Voyez _Tabac_. PETUN (nation du), ou Tionnontatéronon; l'auteur se rend chez cette nation avec le P. le Caron, 545, 930--ce que l'auteur en dit, 545-6--ces peuples vivent comme les Hurons, 546. PIAT (le P. Irénée), récollet; hiverne avec les sauvages, 1040--entreprend une mission à Tadoussac, 1041-2. PIC (le). Voyez _Bic_. PILOTOIS, ou PILOTOUA, devin ou jongleur chez les Montagnais, 82, 335--description de la jonglerie, 335-6, 814-5. PILLET (Charles), matelot de l'île de Ré, assassiné par les sauvages, 603-5. PLACE-ROYALE, à une lieue du mont Royal, 390-1, 839--description que l'auteur en fait, 390-3, 838-40--l'auteur y fait défricher et y fait faire une muraille, 392-3, 840--... 394. PLAISANCE (baie de), à Terre-Neuve, 1082. PLATTE (rivière). Voyez _Malbaie_. PLESSIS (frère Pacifique du), récollet; choisi pour les missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à Québec avec le P. Dolbeau, 499, 505--hiverne (1616-17) avec le même père, 595--à Québec (1618), 615--repasse en France avec le P. Paul Huet, pour faire rapport sur les affaires du Canada, 630-1--sa mort, 987. PLYMOUTH (port de), dans le Massachusets. Voyez Saint-Louis (port). POITRINCOURT, ou POUTRINCOURT (Jean de), 163--sur le point de s'égarer aux îles aux Margots, 172--demande Port-Royal à M. de Monts, et retourne en France, 177-8, 765-6--revient à Port-Royal, 236-7--fait travailler au défrichement, 237--part pour explorer la côte de la Floride, et relâche, 238--fait avec l'auteur un voyage d'exploration jusqu'au-delà du pays des Almouchiquois, 239-63--fait faire un moulin à une lieue de Port-Royal, 264--fait faire un chemin à Port-Royal, depuis l'habitation jusqu'à l'entrée du port, 265--... 267--nourrit une partie des sauvages pendant l'hiver, 268--M. de Monts lui mande de ramener ses compagnons en France, 269--va avec l'auteur au fond de la baie Française, 271-3--demeure à Port-Royal quelque temps après le départ de ses compagnons, 273-4--son fils, M. de Biencourt, vient le rejoindre à Port-Royal (1611), 387--lieutenant de M. de Monts (1607), 708--laisse son fils à Port-Royal, 765-6--conditions auxquelles M. de Monts lui avait concédé Port-Royal, 766--y retourne, 767--renvoie son fils en France, ibid--... 771--à Port-Royal (1629), 1279. POITRINCOURT (cap de), dans la baie Française, 272. PONT-Gravé. Engage le sieur Chauvin à demander le privilège de la traite, 697--fait le voyage du Canada comme lieutenant de ce dernier, 698--l'engage à fixer son habitation plus haut que Tadoussac, ibid--retourne en France, 699--choisi de nouveau pour faire le voyage de Tadoussac, 701--voyage de 1603, 65, 22/1470 702-3--sauvages qu'il ramène de France, 70--essaye de franchir le saut Saint-Louis avec Champlain, 101-2--de retour à Tadoussac, 112--emmène en France un jeune montagnais et une iroquoise, 126-7--part de France (1604) pour Canceau, 155, 706--M. de Monts envoie, du port au Mouton, une chaloupe au-devant de lui, 157--saisit quelques vaisseaux basques, ibid--M. de Monts lui envoie le capitaine Fouques à Canceau, pour avoir des provisions, 175-6--envoie à M. de Monts les maîtres des navires basques saisis à Canceau, 176--arrive à Sainte-Croix (1605), 193--choisit avec l'auteur la situation de Port-Royal, 224--y reste en qualité de lieutenant de M. de Monts, 225-6--fait accommoder une barque pour aller à la découverte le long de la côte de la Floride, et fait naufrage, 229-32--atteint d'un mal de coeur, 230--retourne en France (1606), 238--maltraité, à Tadoussac (1608) par un vaisseau basque, 288-9--l'auteur fait l'accord entre lui et le maître de ce vaisseau, 289--garde prisonniers les auteurs de la conspiration contre Champlain, 301--monte à Québec avec eux, 301-2--retourne en France, 303--de retour à Tadoussac (1609), 321--monte à Québec et à Sainte-Croix, 326, 805--de retour de Gaspé à Tadoussac, 348--se décide à passer en France, ibid--de nouveau chargé de la traite à Tadoussac (1610), 350--fait embarquer, à Honfleur les choses nécessaires pour l'habitation, 351, 785--de retour à Tadoussac, 356--monte en traite à la rivière des Iroquois, 365--... 368--retourne à Tadoussac, 370--forme la résolution d'hiverner à Québec, 371--Champlain l'en dissuade, 371-2--repasse en France, 373--à Tadoussac (1611), 387-8--monte au saut Saint-Louis, 393, 402--redescend à Tadoussac, 469--l'auteur s'embarque dans son vaisseau (1613), 435--les Récollets viennent en Canada sur son vaisseau, 497--arrive à Québec avec le P. Denis Jamay, 499--est d'avis qu'il est nécessaire que l'auteur aille assister les Hurons contre leurs ennemis, 502-3--l'auteur le rencontre qui revient du saut avec le P. Denis, 506-7--de retour en France (1616)--au saut Saint-Louis, 591--repasse l'auteur en France, 595, 965--le ramène au Canada (1618), 599--... 614--monte à. Québec et aux Trois-Rivières, pour la traite (1618), 615--... 620--retourne en France, 630-1--la compagnie veut lui donner le commandement de Québec à la place de Champlain, 978-80--hiverne à Québec (1619-20), 981, 991--parti de Québec (1620) pour la rivière des Iroquois, 987--descend des Trois-Rivières à Québec, et repasse en France, 991--arrive à Québec (1621), 1005--monte aux Trois-Rivières pour la traite, 1006--lettre tombée entre ses mains, 1009--de Caen saisit son vaisseau à Tadoussac, 1009-13--l'auteur lui dépêche un canot aux Trois-Rivières, 1010--à Tadoussac, 1012--présente à l'auteur une protestation contre de Caen, ibid--l'auteur prend vainement son vaisseau sous sa sauvegarde, 1013--de Caen lui rend son vaisseau, 1014--... 1015--part de Québec avec le P. le Baillif, 1017-18--revient (1622), 1033--monte aux Trois-Rivières pour la traite, 1034--hiverne à Québec (1622-23) comme principal commis, 1037--... 1038--malade de la goutte, 1039-40--à la rivière des Iroquois (1623), 1043--à Québec (1624), 1065--... 1068--Émeric de Caen lui dépêche (1626) une chalouppe de Tadoussac, 1105--nouvelles de lui à Tadoussac, 1106-7--repasse en France, 1113--revient à Québec (1627), à la prière de Guillaume de Caen, 1125--... 1141, 1153, 1159, 1183, 1206--embarras de sa position, 1208-10, 1211-12--demande à l'auteur de faire lire sa propre commission; l'auteur le lui accorde, et lit en même temps la sienne, 1210-1--signe avec Champlain la capitulation de Québec, 1226--malade au lit lors de la prise de la place, 1228--y demeure encore quelques jours, 1232. PONT-GRAVÉ (Robert), fils, perd une main au port Fortuné, 257--brouillerie entre lui et M. de Biencourt, apaisée par les pères Jésuites, 769--à Sesambre (1613), 776--recueille à son bord une partie des français de Saint-Sauveur, pour les repasser en France, ibid. PORÉE (Thomas), l'un des principaux membres de l'ancienne compagnie des marchands, 1008. PORT-AUX-ANGLAIS, aujourd'hui Louisbourg. Voyez _Anglais_ (port aux). PORT-AUX-ILES, 203-4. PORT-NEUF, lieu ainsi nommé, plus bas que Tadoussac, sur le Saint-Laurent, 1093-4. 23/1471 PORTO-BELLO, ou Portovella, 16--description que l'auteur en fait, 44--expédition que Drake y fait, 45-6--l'auteur y demeure un mois, 46. PORTO-PLATTE, dans l'île Saint-Domingue, 17--plan de ce port, ibid. PORTO-RICO, 8--description qu'en fait Champlain, 11-16--comment les Anglais s'en emparèrent, 12-13--le général espagnol y laisse garnison, 16. PORT-ROYAL, concédé par M. de Monts à M. de Poitrincourt, 177, 765--l'auteur et Pont-Gravé en choisissent la situation, ibid--description que l'auteur en fait, 224-7--on y transporte l'habitation de Sainte-Croix, 224, 708--habitation abandonnée un instant, 233-4--on y retourne, 236--amélioration qu'y font M. de Poitrincourt et l'auteur, 264-5--Champlain y établit l'ordre de Bon Temps, 268--le scorbut y fait quelques ravages pendant l'hiver (1606-7), 269--l'habitation abandonnée, 274--sauvages qu'on y baptise (1610), 767--M. de Biencourt y vient rejoindre son père (1611), 387--M. de Poitrincourt y demeure encore en 1629, 1279--... 1285--au pouvoir des Anglais, 1299, 1314. PORTOVELLA. Voir _Porto-Belle_. POULAIN (le P. Guillaume), récollet; plaintes que fait contre lui le sieur de Caen, 1009. PRAIRIES (rivière des), 500--première messe dite par les Récollets, 504--l'auteur passe par cette rivière pour aller au pays des Hurons, 507, 899-900. PRÉVERT (le sieur), de Saint Malo; envoyé par Champlain aux mines d'Acadie, 114--lui fait rapport de son voyage, 121-4--emmène en Europe quatre sauvages, 127--part de Gaspé, ibid--mine de cuivre découverte par lui, 168-70, 227. PROVENÇAL (le capitaine), oncle de Champlain, pilote général du roi d'Espagne, 6--repasse en Espagne la garnison de Blavet, ibid--se fait remplacer par Champlain pour le voyage aux Indes-Occidentales, 9. PUISIEUX (monsieur de), secrétaire des commandements du roi; lettre qu'il adresse à l'auteur, 993, 994, 1017. QUÉBEC. L'auteur y mouille pour la première fois, 89--... 108, 197--l'auteur y fonde une habitation, 296, 301, 303-4, 309, 784, 786, 792-3--première exécution d'un condamné, 302--maladie de la terre, 318-20--nombre des hivernants en 1608-9, 321--rejouissances qu'y font les sauvages (1609), 326--Pierre Chavin y commande (1609-10), 348--... 356--soixante montagnais y arrivent, 357--l'auteur y fait réédifier quelques palissades autour de l'habitation, 371--arrivée de Desmarais, ibid--Duparc y commande (1610-11); nombre des hivernants, 373, 389--l'auteur y fait faire quelques réparations (1611), 412--M. de Monts en reste seul propriétaire, 414--... 417, 434--hiver de 1612-13, sans beaucoup de froid et sans maladie, 438--... 497--l'auteur y fait construire (1615) la première chapelle et le logement des Récollets, 499--première messe célébrée par le P. Dolbeau, 505--l'auteur en part pour aller au pays des Hurons, 506--son retour, 591-2--l'auteur fait augmenter l'habitation «du tiers pour le moins», 593--on commence à y faire de la chaux, ibid--... 601--meurtre de deux français commis par des sauvages, 601-14--arrivée de l'auteur (1618) et du personnel de la traite, 615--l'auteur y demeure quelques jours pour visiter les travaux, 615-17--... 618--départ des traitants, 630--... 782--cédé par M. de Monts à quelques marchands de La Rochelle, 784--l'auteur l'offre à madame de Guercheville, 785--les difficultés entre les associés (1612-13) empêchent l'auteur de rien faire pour l'habitation, 892--état des personnes qui doivent y être menées et entretenues pour l'année 1619, 973--mauvais état de l'habitation (1620), 987-8--arrivée de l'auteur avec sa famille, 989--prise de possession au nom de M. de Montmorency, ibid--réparation de l'habitation et commencement du fort Saint-Louis, 990--l'auteur construit ce fort contre le gré des marchands, 991, 992--fait parachever le magasin, 1015--armes et munitions déposées en 1621, 1016-7--deux familles inutiles renvoyées par l'auteur, 1019--ordonnances qu'il publie pour le maintien du bon ordre, ibid--famine causée par la division entre les deux sociétés, 1020--nombre des personnes qui hivernent (1622-23), 1037--... 24/1472 1039.--travaux faits à l'habitation (1622-23), 1039-40, 1042--on essaye d'engager les sauvages à descendre y faire la traite, 1043--arrivée des traiteurs, 1050--nouveaux magasin, dont l'auteur donne le plan, 1051-3--il y fait faire un chemin pour monter au fort Saint-Louis, 1053--fait travailler au fort (1623-24), 1054-5--un coup de vent enlève la couverture du château, 1055--l'auteur fait continuer les travaux à l'habitation, 1057-8, 1059, 1066--première pierre du nouveau magasin, 1057-8--observations météorologiques de l'auteur (1623-24), 1053-4, 1058-9--départ de Champlain et de sa famille, 1066--le sieur Émeric de Caen reste commandant à sa place, 1067--population en 1624, ibid--arrivée des Jésuites, 1070, 1076--... 1079--disette de vivres (1626), 1106-7--arrivée de l'auteur, 1108--travaux de l'habitation peu avancés, ibid.--population en 1626, 1109--l'auteur reconstruit et agrandit le fort, 1110-l--fait couvrir la moitié de l'habitation, 1111--fait amasser et scier le bois de charpente, 1115--un des ouvriers des pères Jésuites meurt de la jaunisse (1626), ibid--un enfant de Caquémistic enterré au cimetière de l'habitation, ibid--population en 1627, 1130--l'entretien du fort n'est pas du goût des associés, 1131-2--deux français tués par les sauvages, 1134 et suiv.--premier labour fait avec des boeufs, 1144--disette de vivres (1628), 1150-2--sommation de Kertk (1628); réponse de Champlain, 1159-63--l'auteur fait faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--hiver de 1628-9, 1172-5--disette extrême, 1171-5, 1184-90--population en 1628-29, 1189--lecture publique des commissions de Pont-Gravé et de l'auteur, 1211-2--retour des Anglais (1629), 1221-2--nouvelle sommation des Kertk, 1223--capitulation, 1223-7--les Anglais en prennent possession, et pillent le magasin, 1228-9--effets trouvés dans la place lors de la prise, 1229-30--départ de l'auteur, 1232--visite du général David Kertk, 1252--démarches pour obtenir la restitution de cette place, 1277-81, 1295-7, 1325-6--deux vaisseaux anglais en reviennent (1630), 1304--nouvelles qu'ils apportent, 1304-5--conspiration ourdie par un ministre contre le capitaine Louis Kertk, 1325--le fort et l'habitation sont rendus à la France, 1326. QUECONSICQ, fils d'Onemechin, lui succède, 274. QUENECHOUAN, saut ainsi appelé, 444, 858. QUENONGEBIN, ou Kinounchepirini, nation algonquine, 446, 860. QUENTIN (le P. Jacques), jésuite, missionnaire en Acadie, 772--fait prisonnier par les Anglais, 773-5--conduit en Virginie, puis en Angleterre, 775-80. QUINIBEQUI. Voyez _Kinébec_. QUINIBEQUI (lac de), ou baie de Merry-Meeting, 222. QUIOUHAMENEC, chef almouchiquois, 242. RALDE (le sieur de La); M. de Caen annonce à l'auteur (1621) qu'il le lui enverra de Tadoussac, 1006--arrive de France (1622), 1033--monte aux Trois-Rivières, 1034--redescend à Tadoussac pour aller à Gaspé, 1036--lieutenant du sieur de Caen, ibid--différend avec Hébert au sujet des prières, ibid--à Miscou (1624), 1062, 1067--retourne en France, 1068--nommé général de la flotte du Canada (1626), 1079-80, 1103--se rend à Miscou, 1104--donne le commandement de son vaisseau à Émeric de Caen, 1104-5--mande à Québec qu'on lui envoie l'Alouette pour lui prêter main-forte, 1113--laisse à Miscou quelques français pour hiverner, 1117--nouvelles de son arrivée à Tadoussac (1627), 1121--... 1125--indisposé contre les Jésuites, 1129--reçoit néanmoins le P. Lalemant en son vaisseau, et le traite bien, 1130--part dans la Catherine, 1130--... 1132, 1151. RALLEAU (le sieur), secrétaire de M. de Monts, accompagne l'auteur dans l'exploration de la côte d'Acadie, 157--son entrevue avec le chef Secondon, 171--repasse en France, 177--revient à Port-Royal (1606), 236--arrive de Niganis (1607), 273. RAMÉES (îles), dans le golfe Saint-Laurent, 1084. RANGÉES (les îles), à la côte des Etchemins, 178, 194, 262, 724. RANGÉES (les îles), à la côte d'Acadie, 277. RASE (cap de), à Terre-Neuve, 127, 1082. 25/1473 RASILLY (le chevalier de), attendu en Canada (1629), 1239-40--les vaisseaux de la nouvelle compagnie devaient le rejoindre avant de partir pour Québec, 1248, 1283--sa flotte envoyée au Maroc, 1249--... 1283-4--élu général de la flotte du Canada, 1296--prépare à La Rochelle, un nouvel embarquement (1632), 1326-7. RAYE (cap de), à Terre-Neuve, 67, 384, 387, 436, 1081-3. RAYE, ou REYE (Pierre), charron, renégat français; se donne aux Anglais, 1229. RÉALLE (la), vaisseau du sieur Desdames, dans lequel le P. Nicolas Viel et le frère Sagard passèrent en Canada, 1042. RÉCOLLETS. Le sieur Houel suggère à l'auteur de demander des religieux de cet ordre pour les missions du Canada, 491--quatre sont choisis, 495--leur arrivée à Tadoussac, 497--leur premier logement à Québec, 499--... 896-7, 988-9, 1001, 1050, 1219--repasse en France, 1276--trois religieux de cet ordre vont à l'Acadie, 1297-1301. RÉCONCILIÉ (le), sauvage ainsi surnommé par les Français; accepte des présents de la part des Loups pour se joindre à eux contre les Iroquois, 1118--ce que l'auteur trouve fort mauvais et fort dangereux, 1118-9--se rend secrètement aux Trois-Rivières, où il se montre opposé à la guerre, 1120, 1122--va en ambassade chez les Iroquois, 1124-5--sa mort, 1126-7--il avait tué deux français au cap Tourmente, 1127--... 1149. RIBAUT (Jacques), neveu de Jean, commandant d'un vaisseau à la Floride, 678. RIBAUT (Jean); son expédition en Floride, 672-9--défaut observé dans son entreprise, 687-91. RICHELIEU (le cardinal de); l'auteur lui dédie son livre de 1632, 643. RIDEAU (rivière), mentionnée par l'auteur, 448, 86l. RIVIÈRE-PLATTE (cap de la), ou cap aux Oies, 1099. ROBERVAL (le sieur de), 151--son expédition au Canada, 692, 1310. ROBIN (le sieur); ses conventions avec les missionnaires du Canada, 768. ROCHE (ruisseau de la), au port Royal, 167. ROCHE (marquis de La). Voyez _La Roche_. ROCHELLE (La); M. de Monts y envoie les vaisseaux basques saisis par Pont-Gravé à Canceau, 176--... 237, 413. ROCHERS (anse aux), quelques lieues plus haut que Tadoussac, 1097. ROQUEMONT (Claude de), 1157--nouvelles apportées de lui à Québec par Desdames, 1164, 1168--fautes qu'il commit, suivant l'auteur, 1168-9--nouvelle de sa prise par les Anglais, 1191-2--... 1274-5. ROSSIGNOL, capitaine de vaisseau; on donne son nom à un port de l'Acadie, 156--son vaisseau envoyé à Canceau, 175-6. ROSSIGNOL (port du), en Acadie; origine de ce nom, 156. ROUGE (l'île), vis-à-vis l'entrée du Saguenay, 1096--Émeric de Caen y échoue (1629) à la vue des vaisseaux anglais, qui le laissent repartir, 1245. ROUMIER, sous-commis au magasin de Québec; hiverne de 1619 à 1620, et retourne en France, 991--commis de la nouvelle société (1621); apporte à l'auteur plusieurs dépêches, 1007. ROYAL (port), en Acadie, 161--ainsi nommé par l'auteur, 166, 717--description de ce port, 165-7--... 169. RUOS, ou RUAULX (île aux), 1101--sert de marque pour suivre le chenal, 1102. SABLE (baie de), en Acadie, 158, 712. SABLE (cap de), près de la baie de Sable, en Acadie, 158-9,163, 235-6, 712--étabilssement du sieur de La Tour en cet endroit, 1298 et suiv. SABLE (île de); Sir Humphrey Gilbert y fait naufrage, 151, 693--le marquis de La Roche y laisse des hommes et des munitions, 152--description de cette île, 155--... 280. SACO. Voyez Chouacouet. SACQUÉ, pour Sagné, 327. Voyez Saguenay. SAGARD (le frère Gabriel), récollet, arrive en Canada (1623), 1043--part pour le pays des Hurons, avec le P. Viel et le P. le Caron, 1049-50--en revient (1624), 1063-4. SAGUENAY, rivière, 68-9--description que l'auteur en fait, 84-6, 290-2, 788--source de cette rivière, 327--direction pour y entrer, 1092-3. 26/1474 SAINE (baie), ou de Chibouctou, aujourd'hui baie d'Halifax, 275, 760. SAINT-ANTOINE (rivière), au port Royal, 167, 718. SAINT-BARNABE (île), dans le fleuve Saint-Laurent, 1091-2--le sieur de Roquemont y donne rendez-vous à Desdames, 1166-7. SAINT-CHARLES (rivière), quelquefois appelée simplement la Petite-Rivière, primitivement rivière Sainte-Croix (voyez ce mot), 669--prise en glace (novembre 1623), 1053--l'auteur y fait faire un chemin à la Sapinière, 1054--... 1157. SAINT-DOMINGUE (île), 17--description de cette île, 21-2, 50-1--... 674. SAINT-ÉLOI, petite île du fleuve Saint-Laurent, 93, 323, 803. SAINT-ÉTIENNE (le), vaisseau de Saint-Malo, destiné à porter des vivres à Sainte-Croix au printemps de 1605, 193--porte en Canada les pères Récollets, 497. SAINT-JEAN (île), aujourd'hui île du Prince-Edouard, 124--les Basques s'y retirent et se mettent en défense (1623), 1045--se saisissent du vaisseau de Guers, ibid--... 1087. SAINT-JEAN (rivière), appelée des sauvages Ouygoudy, 170-1, 174, 177, 720-1--projet d'y faire une habitation, 1300-1. SAINT-JEAN-BAPTISTE. Voyez _Cabiague_. SAINT-JEAN-DE-LUZ, en la Nouvelle-Espagne, 24-5--l'auteur y arrive, 24--description de cette forteresse, 24-5--l'auteur y retourne, 46. SAINT-JULIAN, ou SAINT-JULIEN (le), navire du capitaine Provençal; du port de cinq cents tonneaux, 6--retenu pour le voyage des Indes, 8. SAINT-LAURENT (baie de), partie méridionale du golfe du même nom, 169, 279, 763. SAINT-LAURENT (cap de), au nord du cap Breton, 67-8, 286, 387, 108l, 1083. SAINT-LAURENT (fleuve), appelé Grande-Rivière de Canada, 68, 89, 95, 124--désigné pour la première fois par l'auteur sous le nom de Saint-Laurent, 183--... 209, 557, 659, 663, 728 734. SAINT-LAURENT (golfe); description que l'auteur en donne, 1083-90. SAINT-LAURENT (île de), ou île du Cap-Breton, 115. SAINT-LOUIS (cap), 208--ainsi nommé par M. de Monts, 210--... 212, 244, 744, 746. SAINT-LOUIS (fort), à Québec, commencé par l'auteur (1620), 990--appelé de ce nom pour la première fois, 1053--l'auteur fait faire un chemin pour y monter plus facilement, ibid--travaux qu'il y fait faire, 1054-5--un coup de vent enlève la Couverture du château, 1055--l'auteur le reconstruit (1626) et l'agrandit, 1110-1--l'auteur l'entretient contre le gré des associés, 1131, 1188-9. SAINT-LOUIS (fort et habitation de), au cap de Sable, où commandait le sieur de La Tour, 1314. SAINT-LOUIS (port), aujourd'hui Plymouth, dans le Massachusets, 211, 747. SAINT-LOUIS (saut), appelé d'abord le Grand-Saut, ou simplement le Saut, 86--description de ce lieu, 100-5, 396-7--... 370, 388, 390--un jeune homme, du nom de Louis, s'y noie (1611), 394-7--... 414, 416--traite de 1612, 459--traite de 1613, 438-9, 470-3--... 442, 507--traite de 1615, 497, 500--traite de 1616, 591--les sauvages demandent qu'on y fasse une habitation, 592--... 670, 701. SAINT-LUC (le maréchal de), 5, 702. SAINT-LUC DE BARAMEDA. Voyez _San-Lucar de Barameda_. SAINT-MALO. Prétention des habitants de cette ville au privilège de la traite du Canada, 415-17. SAINT-MATHIEU (pointe de). Voyez _Alouettes_ (pointe aux). SAINT-NICOLAS, port et cap de ce nom, 19--combat entre les Espagnols et les Français, 19-21. SAINT-PAUL (île), à l'entrée du golfe Saint-Laurent, 67, 286, 387, 1081. SAINT-PIERRE (île de), près de Terre-Neuve, 67, 354, 387, 1082. SAINT-PIERRE (lac), élargissement du fleuve Saint-Laurent, mentionné pour la première fois par l'auteur, 94, 96--description qu'il en fait, 96-7, 327-8, 806-7--... 347. SAINT-SAUVEUR, habitation formée par La Saussaye, dans l'île des Monts-Déserts, 773--pris par les Anglais, 773-5--le capitaine Argall y retourne, rompt la croix que les pères y avaient plantée, et en plante une autre avec le nom du roi d'Angleterre, 777. 27/1475 SAINT-VINCENT (cap), 7--les Espagnols y prennent deux vaisseaux anglais, 52. SAINTE-ANNE du Grand-Cibou, au Cap Breton. (Voyez Grand-Cibou). Secours que la compagnie des Cent-Associés y envoie (1631), 1315--assassinat du lieutenant Martel, commis par le commandant du fort, 1316-7--le capitaine Daniel y rétablit l'ordre, 1316 et suiv. SAINTE-CATHERINE (la). Voyez _Catherine_ (la). SAINTE-CROIX, commandant d'une pinasse, à Sainte-Anne du Cap-Breton, 1318--le capitaine Daniel l'envoie de là à Tadoussac, ibid--ses pelleteries lui sont enlevées par Thomas Kertk, 1321--désarmé par un vaisseau basque; revient à Sainte-Anne, 1321-2. SAINTE-CROIX (île), dans la rivière de ce nom, 173--M. de Monts y fait faire une habitation (1604), 173-6, 706--départ des vaisseaux, en 1604, 177--M. de Monts y fait faire des jardinages, 188--ce qui s'y passe de remarquable pendant l'hiver (1604-5), 188-93--l'habitation est transportée au port Royal, 224--on y trouve de très-beau blé l'année suivante, 239--... 723, 731. SAINTE-CROIX (île), dans l'Outaouais; l'auteur y plante une croix avec les armes de France, 451, 864. SAINTE-CROIX (pointe), aujourd'hui le Platon, sur le fleuve Saint-Laurent, 90-2--le fleuve y est fort rapide et fort dangereux, ibid--... 322-3, 326-7, 617, 802-3, 806. SAINTE-CROIX (rivière), aujourd'hui rivière Saint-Charles, où hiverna Jacques-Cartier, 304-9. SAINTE-CROIX (rivière), ou rivière des Etchemins, 172-4, 178, i86, 239--petit passage de la rivière Sainte-Croix, 262. SAINTE-HÉLÈNE (île), en face de la Place-Royale, 393, 840--les Montagnais y enterrent Outetoucos leur chef (1611), 411--... 442, 857. SAINTE-HÉLÈNE (le port), à la côte d'Acadie, 276, 761. SAINTE-MARGUERITE, port d'Acadie, 161-2, 716. SAINTE-MARGUERITE (rivière), qui se jette dans le Saint-Laurent, 117. SAINTE-MARGUERITE (rivière), en Acadie, 275, 760. SAINTE-MARIE (baie), en Acadie; description qu'en fait l'auteur, 161-2--M. de Monts s'y arrête, 163--il n'y trouve aucun lieu pour s'y fortifier facilement, 165--... 167--son vaisseau en part pour l'île Sainte-Croix, 175--... 716. SAINTE-MARIE (cap de), à Terre-Neuve, 66, 286,1082. SAINTE-MARIE (rivière), aujourd'hui Sainte-Anne de la Pérade, 3 23,'803. SAINTE-SUSANNE (rivière), aujourd'hui rivière du Loup, qui se jette dans le lac Saint-Pierre, 328, 807. SAINTE-SUSANNE du cap Blanc (rivière), 212, 748. SALEMANDE (la), vaisseau de 150 tonneaux, commandé par Pont-Gravé (1621); vient à Tadoussac, 1000. SAN-LUCAR DE BARAMEDA, 8--plan de cette ville par Champlain, ibid. SANTEIN (le sieur), commis du sieur Dolu (1622); apporte à Québec la nouvelle de la réunion des deux sociétés, 1022. SASINOU, chef de la rivière de Kénébec, 196-7, 222-3--Onemechin et Marchim tués par lui, 274--son fils Pememen lui succède, ibid--... 733-4. SAUMON (port au), 1098-9. SAUMON (rivière au), 293, 790. SAUSSAYE (le sieur de La); son entreprise en Acadie, 772-3--surpris par les Anglais, 773 et suiv.--se rend à Londres pour demander la restitution de son vaisseau, 780-1--... 782. SAUT (le), ou le GRAND-SAUT. Voyez Saint-Louis (saut). SAUVAGES. Moeurs et coutumes des Montagnais et des Algonquins, 71-84, 120-1, 310-14, 333-7, 340-9 366-7, 455-9, 793-7, 798-800, 803-5--moeurs et coutumes des Hurons, 519-20, 562-90, 908-9, 944-63--moeurs et coutumes des Souriquois, 266-7--des Etchemins, 183, 191-2, 198--des Almouchiquois, 200-1, 207-9, 210, 2l 6-18, 248-50--sauvages du Labrador, 1088-9. SAVALETTE, capitaine de vaisseau basque, 277-8, 762. SAVALETTE (port de), en Acadie, 277-8, 762. SAVIGNON, jeune huron que garde l'auteur en échange d'un français, 370, 834--... 390--envoyé par l'auteur au-devant de la flotte huronne, 393, 841--sur le point de se noyer dans le 28/1476 saut Saint-Louis, 394-6, 843--frère du capitaine Tregouaroti, 397, 844--se loue de son voyage en France, 398, 845--l'auteur lui donne son congé, 404, 850. SECONDON (ou CHKOUDUN suivant Lescarbot), chef de la rivière Saint-Jean, 171--avait montré la mine de cuivre à Prévert, 227--... 239--accompagne M. de Poitrincourt jusqu'à Chouacouet, 240--... 202, 205. SESAMBRE, île à la côte d'Acadie, ainsi appelée par les Malouins, 275, 760--une partie des Français de Saint-Sauveur, avec le P. Massé, y viennent trouver Robert Pont-Gravé, 776. SÊVILLE, 8--plan de cette ville par l'auteur (1598), ibid--... 52. SILLERY (Nicolas Brûlart de), chancelier, 441, 856. SIMON (maître), mineur, accompagne l'auteur, 160, 715. SIMON, sauvage ainsi appelé des Français, 1055--l'auteur essaye vainement de le dissuader d'aller faire un coup chez les Iroquois, 1055-6--change de résolution, 1057--compromet la paix en assommant un iroquois, 1064. SOISSONS (Charles de Bourbon, comte de). L'auteur l'engage à prendre le Canada sous sa protection, 432--ce qu'il accepte, 433, 886 et suiv.--sa commission, 433--nomme l'auteur son lieutenant, 43 3, 886--sa mort, 434, 887--... 1072. SONDE (canal de la), 23. SOUBRIAGO, général de la flotte espagnole, 7, 9. SOUPÇONNEUSE (la), île, 256,759. SOURDIS (madame de), contribue à l'approvisionnement des missionnaires du Canada, 767. SOURICOUA, rivière; probablement la même que Gédaïc (Shediac), 114. SOURIQUOIS, sauvages de l'Acadie, 115, 184,728, 743. STADACA, pour STADACONÉ, 307. STADACONÉ, nom d'une bourgade sauvage, située près de la pointe de Québec, 307. STUART (Jacques), milord écossais que le capitaine Daniel rapporte avoir été au Cap-Breton en 1629, 1285--le capitaine Daniel s'en saisit, 1285-7. TABAC, ou PETUN, appelé herbe à la Reine, 50--les mariniers et autres personnes en usent, 51--les sauvages en présentent à Pont-Gravé et à l'auteur, 71. TABAGIE, festin des sauvages, 70-2, 438, 457-8, 870--tabagie des Hurons, 563-6, 587. TADOUSSAC, port à l'entrée du Saguenay; description de ce lieu, 70-4, 84-6, 112-3, 119-21, 286-7, 290-2, 786-9--distance de ce port à l'île aux Lièvres, 86--l'auteur y arrive pour la première fois (1603), 68--en repart, 121--les sauvages de l'Acadie s'y rendent par la rivière Saint-Jean, 171--... 298, 321--ce qui s'y passe de remarquable en 1609, 321, 347-9--la traite, en 1610, y est fort mauvaise, 371-2--départ des vaisseaux, 374--arrivée de Champlain (1611), 387--Pont-Gravé y demeure pour la traite, 388-9--arrivée des vaisseaux (1613), 436-7--les pères Récollets y arrivent (1615), 497--arrivée des vaisseaux (1618), 601, 614--...6l7--départ des vaisseaux, 631--l'auteur y arrive avec sa famille (1620), et y rencontre son beau-frère, 986--vaisseau rochelois y faisant la traite contre les défenses, 986-7--... 991, 1000--vaisseau de Pont-Gravé saisi par de Caen (1621), 1008-13--l'auteur s'y rend pour accommoder les difficultés, 1010--ce qui s'y passe en 1621, 1005, 1008-15, 1017--en 1622, 1034, 1036-8--un vaisseau espagnol y vient espionner le sieur de Caen (1622), 1038-9--... 1092-3--arrivée du vaisseau de la compagnie (1626), 1107-8--... 1128--les Kertk s'en emparent (1628), 1154, 1158-9--en repartent après avoir brûlé les barques, 1163-4--... 1172--David Kertk y fait monter une barque (1629), 1249--on y enterre Jacques Michel, contre-amiral de la flotte anglaise, 1273-4--la compagnie des Cent-Associés y envoie faire la traite (1631), le vaisseau relâche à Miscou, 1315. TAILLE (La), français soupçonné d'avoir pris part (1608) à la conspiration contre l'auteur, emmenotté, puis remis en liberté, 301. TANGUEUX (île aux), 163. TARDIF (Olivier le), de Ronfleur, truchement; à Québec (1622-23); dépêché à Tadoussac, 1042--sous-commis à Québec (1626-27), 1113--remet, de concert avec Corneille, les clefs du magasin au capitaine Louis Kertk, 1228. 29/1477 TECOUEHATA, chef sauvage, arrive au saut Saint-Louis avec quatorze canots, 411. TEQUENONQUIAYE, village huron, appelé plus tard Ossossané, La Rochelle, Saint-Gabriel et la Conception. L'auteur y est bien reçu, 516, 906. TERRE-FERME, 16. TERRE-FERME (rivière de), au Mexique, 28. TERRE-NEUVE. L'auteur mentionne dès 1603 plusieurs points de cette île, 66-7--... 561--par qui découverte, 666-7--... 1081--description de cette île, 1082-3. TESSOUAT, chef algonquin, 76 note 1--l'auteur se rend chez lui (1613), 454, 867-8--bonne réception qu'il lui fait, 454, 457 et suiv.; 868, 870 et suiv.--... 461, 876, 878--l'auteur prend congé de lui, 467, 880. TESSOUAT (île de), aujourd'hui île des Allumettes, visitée par l'auteur (1613), 455-6, 868. TESTU (le capitaine), homme fort discret. Natel lui découvre la conspiration contre l'auteur, 298-9. THÉMINES (le maréchal de), vice-roi pendant la détention du prince de Condé, 966--en procès avec les associés, 967--arrêt du conseil en sa faveur, 969-70--les envieux tâchent de faire rompre sa commission, 970--débouté de ses prétentions, 982. THIBAUT (le capitaine), de la Rochelle, accompagne Champlain à sa seconde expédition (1610) contre les Iroquois, 360--l'auteur repasse en France (1611) dans son vaisseau, 413. THOMAS, truchement pour les Algonquins; accompagne l'auteur dans son voyage de 1613, 453, 460, 462, 465, 866, 874-5, 878--... 552 note 2. TORTUE (île de la), 17, 18. TORTUE (île de la), à l'ouvert de la rivière Kénébec, 194, 197, 732, 734. TOUAGUAINCHAIN, village huron; l'auteur y est bien reçu, 516, 906. TOURMENTE (cap), à dix lieues au-dessous de Québec; pourquoi ainsi nommé, 294, 791--... 603--visite qu'y fait l'auteur (1623) avec M. de Caen, 1051--M. de Caen y retourne (1624), et assure à l'auteur que M. de Montmorency le lui a concédé, 1065--... 1102-3--l'auteur y fait une habitation (1626), 1100---plan des logements, 1110--on y envoie les bestiaux, 1114--l'auteur y descend, ibid--hiver de 1626-7, 1117--meurtre commis en ce lieu plusieurs années auparavant par le Réconcilié, 1127--nombre de personnes qu'on y emploie, 1131,1189--voyage qu'y fait l'auteur (1627), 1133--... 1152--prise et destruction de l'habitation par les Anglais, 1154-8, 1204, 1244--l'auteur y envoie une chaloupe pour voir le dégât fait par l'ennemi, 1163. TOUS-LES-DIABLES (pointe de), aujourd'hui pointe aux Vaches, près de Tadoussac, 69, 287, 436. Voir >i>Vaches_ (pointe aux). TOUS-LES-SAINTS (baie de), à Terre-Neuve, 1082. TOUTES-ISLES (baie de), à la côte d'Acadie, 157, 276, 761. TRAITE des pelleteries. Traite de 1603, à Tadoussac, 70, 703--vaisseaux basques faisant la traite à Canceau (1604), contre le privilège de M. de Monts, 157, 176--à Tadoussac (1608), 287-90--à la rivière des Iroquois (1610), 365-70--«seconde traite» (1610), fort mauvaise, 371-2--se fait (1611) à Tadoussac et au saut Saint-Louis, 388-9, 393, 397-412, 838, 844-53--traite de 1613, au saut Saint-Louis, 43 8-9, 466, 470-3--de 1615, au même lieu, 497--... 509, 511--traite de 1616, au même lieu, 591--de 1618, aux Trois-Rivières, 601, 615, 617-8, 630--traite de 1621, au même lieu, 1006-8--traite de 1623, au cap Massacre, ou de la Victoire, près de l'entrée de la rivière des Iroquois, 1045-50--traite de 1624, à Québec, 1064--de 1626, 1108--Pont-Gravé remplacé, comme premier commis, par Corneille de Vendremur, 1113--traite de 1627, à la rivière des Iroquois, très-bonne, 1121-2, 1128--traite de 1631, peu abondante, 1324. TREGATÉ, ou TRACADIE, entre la baie des Chaleurs et la baie de Miramichi, 114, 170, 719, 1087. TREGATIN, sauvage baptisé par le frère Ger vais, 1126--ne persévère pas, ibid. TREGOUAROTI, capitaine huron, frère de Savignon; descend à la traite (1611), 397, 403, 844--emmène avec lui un français, 408. TREMBLAYE (La), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en traite à Tadoussac, 137 30/1478 TRÉPASSÉS (baie des), à Terre-Neuve, 1082. TRESARD, jeune homme de La Rochelle; Champlain ne lui permet pas de l'accompagner à la traite, 390. TRICHET (Pierre), avocat, de Bordeaux. Pièce de vers composée par lui sur les voyages de l'auteur, 647. TROIS-RIVIÈRES (les); l'auteur mentionne ce lieu pour la première fois, 94--îles qui sont à l'entrée, ibid--l'auteur est d'avis que ce lieu serait propre à une habitation, 94-5--... 327--on y fait la traite (1618), 601, 615, 617-8, 630--... 806--traite de 1621, 1004--les sauvages y tiennent conseil (1627) sur la guerre des Iroquois, 1120-21. TRUITTIÈRE (la), petite rivière à l'ouest de Port-Royal, 264-5. TSONNONTOUANS. Voyez _Entouhonoron_. TUFET (le sieur), commence une habitation à l'Acadie, 1297-8--peu de succès de son entreprise, 1301-2. TUILLERIE (monsieur de la), 1240. UBALDINI (Robert), nonce à Paris, lors du départ des Récollets pour le Canada, 492 note 2. VACHES (pointe aux), appelée d'abord pointe de tous les Diables, 69, 287, 436, 787, 1092. VARIN (Jean-Baptiste), envoyé à Québec par M. de Caen, 1016. VENTADOUR (Henri de Lévis, duc de), vice-roi du Canada, 1069-70--nomme l'auteur son lieutenant, 1071 et suiv. VERA-CRUZ, 25. VÉRAZZANO (Jean), florentin, découvre les côtes de la Floride, 667,1309-10. VERTE (île), dans le Saint-Laurent; les Rochelois y font la traite contre les défenses, 1015, 1094-5. VERTE (île), à l'Acadie, 276-7, 761. VERTE (rivière de l'île), 276, 761. VICAILLE (la), vaisseau de David Kertk, d'où est datée la sommation de Québec, 1161. VIEL (le P. Nicolas), récollet, arrive en Canada (1623), 1043--monte au pays des Hurons avec le P. le Caron et le frère Sagard, 1049-50--nouvelles qu'en apporte Du Vernay (1624), 1063. VIERGES (cap des), à Terre-Neuve, 1081. VIERGES (îles des), ou Las-Virgines, 674. VIEUXPONT (le P. de), jésuite, missionnaire (1629) au Grand-Cibou, 1287--son naufrage, 1289-92--va trouver le capitaine Daniel au Grand-Cibou, 1294--retourne en France (1630), 1303. VIGNAU (Nicolas de); ses impostures, 440 et suiv.; 855 et suiv.--conditions auxquelles l'auteur lui pardonne, 471. VIGNIER (le sieur), agit pour le prince de Condé dans l'affaire du Canada, 967--promet obtenir à M. de Montmorency la commission de vice-roi, 982. VILLEMENON (le sieur de), intendant de l'amirauté; s'entremet pour M. de Montmorency dans l'affaire du Canada, 967, 982--lettres qu'il adresse à l'auteur (1621), 993, 995--nouvelles lettres, 1007. VIMONT (le P. Barthélemi), jésuite, missionnaire au Grand-Cibou, 1287--retourne en France (1630), 1303. VIRGINES (les), la VIRGINIE; les Anglais de cette colonie s'emparent de l'établissement de La Saussaye, à l'île des Monts-Déserts, 773--dévastent Sainte-Croix et Port-Royal, 777--ancien nom de la Virginie, 6l, 1307. WAYMOUTH (George), capitaine de vaisseau anglais; mention de son voyage à la côte de la Nouvelle-Angleterre, 222-3. FIN End of Project Gutenberg's Oeuvres de Champlain, by Samuel de Champlain *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES DE CHAMPLAIN *** ***** This file should be named 17258-8.txt or 17258-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/1/7/2/5/17258/ Produced by Renald Levesque. This file is made available by the BNQ (Bibliothèque Nationale du Québec) in pdf format Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.net This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.