The Project Gutenberg EBook of Le Chat du Neptune, by Ernest D'Hervilly This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net Title: Le Chat du Neptune Author: Ernest D'Hervilly Release Date: November 25, 2003 [EBook #10289] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CHAT DU NEPTUNE *** Produced by Christine De Ryck and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. LE CHAT DU NEPTUNE PAR ERNEST D'HERVILLY 1886 I APPARITION DE TOM C'etait a bord du steamer _Neptune_. Nous avions le cap sur le Havre, venant de New-York. Un jour, au coucher du soleil, nous nous trouvions alors a 200 milles de la cote francaise (le mille marin, mes enfants, vaut 1,852 metres; calculez), le matelot en vigie signala: --Navire a tribord! A ce cri, tout le monde regarda par-dessus les bastingages, a la droite du _Neptune_. A l'oeil nu, il etait difficile de rien distinguer sur l'immense surface circulaire, tres houleuse, au centre de laquelle nous nous trouvions. Mais, avec les lunettes, on voyait effectivement a tribord, c'est-a-dire sur notre droite, une masse sombre que les plus inexperimentes des passagers, parmi lesquels je me hate de me compter, n'auraient sans doute pas hesite a reconnaitre du premier coup pour un batiment en detresse, tout comme le faisaient les plus petits mousses du _Neptune_, si cette lointaine masse noiratre, qui semblait a chaque instant s'enfoncer pour jamais dans la mer, avait eu seulement un pauvre petit mat. Mais il n'avait ni petit ni grand mat, le navire annonce a tribord! Il n'avait plus que des troncons brises qu'apercevaient seuls les yeux experts des marins. Et c'etait l'epave errante et deserte d'un brick desempare que son equipage avait abandonne a son triste sort, a la suite de quelque tempete, cinq ou six jours auparavant. Nous apprimes cela, deux heures apres la decouverte du vaisseau perdu, de la bouche meme d'un officier du _Neptune_ que notre commandant, bien que sans grand espoir, avait aussitot envoye, avec un canot arme de tout ce qui est necessaire en pareille expedition, pour s'assurer de l'etat du batiment inconnu et pour recueillir les malheureux qu'il pouvait peut-etre contenir encore. --Alors, lieutenant, demanda un des passagers en plaisantant, il n'y avait pas un chat a bord? --Pardon, fit le lieutenant, pardon, cher monsieur, et c'est ce qu'il y a de plus fort: il y en avait un. --Un chat? Pas possible! --Oui, un chat, messieurs; CHAT, chat. --En chair et en os? --Oh! plutot en os qu'en chair, la pauvre petite bete! --Et comment l'avez-vous decouvert? --Le malheureux, a moitie mort, s'etait traine sur le toit de la dunette, et, en nous voyant arriver, il s'est mis a miauler a fendre l'ame. --Et qu'avez-vous fait? [Illustration: Le malheureux s'etait traine sur le toit de la dunette.] --Mais ce que vous auriez fait a ma place: je l'ai pris et amarre dans le canot, et je l'ai offert tout a l'heure au lieutenant Coquillard, qui se plaint toujours des rats. Pour le moment, il mange et il boit de facon a effrayer le chat de Gargantua lui-meme, s'il vivait encore, messieurs!--Nous l'avons appele Tom, ajouta le lieutenant. --Et c'est ainsi, a ce que fit remarquer quelqu'un, qui etait tres fort en mythologie, qu'un chat, qui aurait pu etre fort maltraite par la deesse de la mer, fut sauve par le dieu des ondes, son mari, et echappa a la colere d'Amphitrite, grace a la bonte de _Neptune_. II ENCHANTEMENT DU LIEUTENANT COQUILLARD Voila Tom a bord. Heureux Tom! Il a deja parfaitement oublie ses heures de solitude et surtout ses jours de jeune. Il a repris un joli petit ventre, et alors les traces de ses miseres s'effacent de son esprit comme de son corps. Mais le lieutenant Coquillard, lui, ne les a pas si facilement oubliees que cela, et, a chaque instant, pris d'une tendre inquietude, il quitte le pont pour venir constater, dans sa cabine, que son cher Tom a bien tout ce qu'il lui faut. [Illustration: Comme le petit Tom le remercie de ses attentions!] Aussi comme le petit Tom le remercie de ses attentions! Ce n'est pas un chat ingrat. Le lieutenant Coquillard est dans le ravissement le plus complet et le plus epanoui. D'une part (cote chat), c'est un reconnaissant _ronron_ perpetuel, ce sont d'affectueux petits coups de crane donnes sans relache sur les respectables tibias de son protecteur... D'autre part (cote homme), c'est un bon et grave sourire incessant sous les moustaches et dans la barbe blanche, c'est un avis tout amical d'avoir a menager le drap des pantalons, dans les transports trop passionnes de ses griffes... Enfin c'est une felicite sans nuages qui regne egalement dans les deux coeurs. Le lieutenant Coquillard, tout entier a son chat adoptif (ce pauvre Tom, il a du tant souffrir sur son epave, il faut bien le gater un peu!), neglige meme, depuis huit jours, la precieuse collection d'oiseaux de terre et de mer qu'il a preparee, afin de l'offrir au musee du Havre. Car le lieutenant Coquillard est un naturaliste amateur, un amateur d'une certaine force cependant, et il empaille tout ce qui lui tombe sous la main, en fait de bipedes, excepte le bipede appele l'homme, bien entendu. On a eu meme beaucoup de peine, une fois, a la table du carre des officiers, a lui faire lacher des cailles de conserve qu'il voulait enlever du plat pour les dissequer, au lieu de les manger. Tout cela est et bel et bon, mais Tom l'emporte pour le moment sur les oiseaux! A ce point que le lieutenant Coquillard semble totalement perdre la memoire des principes elementaires de la plus vulgaire prudence. Il omet de mettre en lieu sur, sous clef, a l'abri de tout regard indiscret, quand il est de service, les oiseaux delicats qui parent sa cabine, pour le moment, en attendant le jour glorieux ou ils seront admires, au musee havrais, par les curieux de la Seine-Inferieure. Inquietante quietude! Oh! lieutenant Coquillard, ne vous rappelez-vous pas ce que vous ont coute la capture et l'empaillement, par exemple, de votre admirable pingouin (_Alca impennis_), jadis le plus cher objet de vos preoccupations, et aujourd'hui l'ornement le plus rare de votre cabine? Regardez-le! Il vous tend les bras comme un fils: je veux dire, il vous tend les moignons d'ailes que lui mesure la nature. Ne le voyez-vous donc pas, lieutenant Coquillard, et n'en etes-vous donc plus touche? Si, si: le lieutenant voit toujours son remarquable pingouin d'un tres bon oeil, mais il adore son Tom--que voulez-vous?--et sa confiance en lui est illimitee. III REVERS DE LA MEDAILLE Les plus belles medailles ont souvent un revers qui ne possede pas les charmes de l'autre cote, le cote de l'effigie. Nous avons dit que le lieutenant Coquillard etait un excellent homme et un naturaliste distingue. Mais le lieutenant Coquillard etait aussi un joueur enrage de dominos. C'etait la son revers. Quant au chat Tom, c'etait bien la creature a quatre pattes la plus parfaite de toutes les creatures a quatre pattes; seulement, il etait, lui aussi, tres joueur. Il ne jouait pas aux dominos, par exemple! Non, il n'avait pas besoin de dominos pour se distraire, ce chaton cheri. Il jouait avec tout ce qui s'offrait a portee de ses jolies petites griffettes aigues. Oh! il ne choisissait pas! Jeu de mains, jeu de vilains, disaient nos peres, c'est-a-dire jeu rude et dangereux de gens grossiers. Jeu de vilains, dirons-nous, vilain jeu! Mais le jeu de griffes est plus desastreux encore que le jeu de mains. Or un jour--car il faut tout dire, helas!--tandis que le lieutenant Coquillard, eloigne de sa cabine depuis trois heures, et enferme, en compagnie de dominos, avec son commandant, essayait de se debarrasser, au detriment de cet officier superieur, d'un _double-six_ reellement obstine, que le hasard mettait sans cesse dans son jeu, le petit minet sauve des eaux, comme Moise enfant, se mit a faire egalement sa partie dans la chambre de son ami. Et quelle partie! Je fremis encore rien que d'y songer! D'abord, d'un coup de patte, Tom jeta a bas d'un gueridon l'arbuste artificiel sur les branches duquel le lieutenant Coquillard avait fait reposer une douzaine d'oiseaux-mouches. Quand les oiseaux-mouches furent par terre, Tom leur defrisa les plumes, en veux-tu, en voila, de la belle maniere! Puis, comme il reconnut que ce n'etaient pas de vrais oiseaux, des oiseaux vivants, des oiseaux bons a croquer, il les abandonna a leur triste position, et s'amusa a courir sur les meubles, renversant les bouquins, froissant les papiers, se mettant sur le dos pour mieux les rouler et les dechirer entre ses terribles mains de chat. Enfin, comme cela ne lui semblait pas tres drole, a la longue, il sauta comme un tigre sur le fameux pingouin, dont il avait eu d'abord un peu peur. [Illustration: Tom s'acharna sur le pingouin.] Le pingouin ne resista pas et il ne poussa pas son cri de guerre. Je le crois sans peine! Il etait tout bourre de coton et aussi peu en vie que les autres oiseaux. Tom, irrite de ce calme inexplicable, s'acharna sur le pingouin, lui dechira son blanc gilet de plumes a belles dents et le reduisit en lambeaux. Le plumage du malheureux volatile voltigeait par les airs autour des oreilles de Tom. Spectacle affreux! Pendant ce deplorable carnage, qui privait a tout jamais le musee du Havre de la collection du lieutenant Coquillard, ce lieutenant, toujours plonge dans les dominos avec son infatigable commandant, ne savait comment se tirer d'un coup de _blanc partout_ que lui avait pose son superieur. IV VOYAGE DE DECOUVERTES Le lieutenant Coquillard n'avait pas encore trouve le moyen de parer le _blanc partout_ de son commandant, quand monsieur Tom, n'ayant plus rien a detruire, s'avisa d'entreprendre un petit voyage de decouvertes dans les environs de la cabine de son maitre. Sans s'inquieter davantage des oiseaux epars, avec leurs entrailles de coton pendantes sur le plancher du theatre de ses ebats, monsieur Tom se glissa dans le couloir obscur qui mene du cabinet des officiers a la chambre du conseil de l'arriere. [Illustration: Monsieur Tom se glisse dans le couloir.] Il allait a pas prudents, l'oreille au guet, tressaillant au moindre bruit et partage entre deux desirs, le desir d'aller surveiller des souris lointaines, dont il entendait les dents fines ronger de vieux morceaux de biscuit de mer dans des entreponts tenebreux, et le desir d'aller voir un peu la cause d'un bruit singulier qui lui arrivait par la porte ouverte de la chambre du conseil et l'intriguait fort. Or, ce bruit etait le fait du bec sonore du perroquet du commandant, un superbe cacatoes a huppe, dont on avait, je ne sais pourquoi, place la cage sur la table de la chambre en question. Le cacatoes, pour passer le temps, raclait les barreaux de sa cage avec son bec solide, a la facon d'un joueur de harpe. Seulement, dame! ce virtuose a plumes ne jouait pas des airs bien enchanteurs sur son instrument improvise. Tom, guide par la rauque melodie, arriva en rampant jusqu'a la porte du conseil et vit le magnifique oiseau. --Tiens, tiens! se dit-il, en voila un qui n'a pas du tout l'air d'etre en coton. Ca doit etre joliment bon a griffer, ce pingouin jaune-la, qui a une si belle huppe sur le crane! De son cote, le perroquet apercut le chat, herissa sa huppe comme un eventail qui s'ouvre, et lui demanda brusquement d'une voix tremblante d'impatience: --As-tu dejeune, Jacquot? Monsieur Tom fit un bond en arriere, stupefait. Mais il se remit bientot de sa surprise et s'avanca d'un pas vers la cage. --Et de quoi? et de quoi! s'ecria le perroquet, alarme de cette marche en avant. --Allons, bon! pensa le chat. C'est un _oiseau-monsieur_, puisqu'il parle! Voila qui est tres curieux. Il faut que je l'examine de plus pres. Il fit un nouveau pas en avant. --Du roti du roi! du roti du roi! du roti du roi! gemit alors precipitamment le pauvre cacatoes de plus en plus epouvante. --Quel etre singulier! se dit le chat. C'est egal, approchons-nous et essayons de voir un peu "en quoi c'est fait", un oiseau-monsieur! Et il fit encore un pas en avant. Lieutenant Coquillard! monsieur le commandant! quittez vos dominos! Il n'est que temps. Si vous vous obstinez a votre jeu, il va se passer des choses extraordinaires et certainement affreuses dans la chambre du conseil. V QUI S'Y FROTTE S'Y PIQUE Mais le commandant et le lieutenant Coquillard, tous deux penches sur la broderie geometrique que dessine la file des dominos etales sur la table de jeu, ne furent nullement avertis par aucune voix secrete du drame qui doit fatalement se passer dans une chambre du conseil ou un oiseau et un chat se trouvent ensemble, inopinement, et separes seulement par une faible barriere de fils d'archal. Tom, d'un saut, s'installa tout a coup a quelques pouces du cacatoes, lequel se livra immediatement a une gymnastique desesperee, cherchant de toutes parts le baton de salut ou il put poser en surete ses pattes fremissantes. Tom fit le tour de la cage, sans se presser, en amateur, clignant de l'oeil, la queue dressee en l'air, et se passant la langue sur les levres, comme un gourmand qui savoure un bon repas par avance. Le perroquet, perdant la tete a force de la rouler sur ses epaules pour epier, dans tous les sens, les mouvements de son ennemi, se mit a crier: --Ran tan plan, tan plan! a babord! a tribord! feu! Mais ces menaces aussi vaines que formidables n'arreterent en rien maitre Tom dans ses manoeuvres audacieuses. Il se borna a redresser les oreilles. Puis, rassemblant toute son energie, il glissa une patte temeraire a travers les barreaux malencontreux, dans la direction du perroquet, refugie dans son dernier retranchement, c'est-a-dire au sommet de sa cage. Fatale imprudence! En ce moment, d'ailleurs, dans la cabine du commandant, le maitre de Tom commettait, de son cote, une imprudence enorme aussi, en gardant en main, a tort, un _cinq-quatre_ encombrant. Ce _cinq-quatre_ decida du sort de la bataille; il resta pour compte dans la main du lieutenant et le commandant gagna la partie, qui etait la cent neuvieme de la journee entre les deux adversaires. Jacquot et Tom n'eurent pas besoin de jouer leur jeu cent neuf fois pour en avoir assez. A la premiere partie, le perroquet empoigna, avec l'heroisme que la peur inspire souvent aux etres faibles, la patte menacante de monsieur Tom, et il la lui mordit vivement. Oh! alors, Tom poussa un cri de detresse surprenant et essaya de se degager au plus vite. Mais la tenaille de l'oiseau le serrait sans pitie; on ne peut vraiment pas lui en vouloir. Il ne fallait pas y aller, voyez-vous, petit sot de chat! Enfin, le cacatoes, ayant sans doute fait cette reflexion qu'il ne pourrait pas rester toute sa vie--et on dit que les perroquets vivent cent ans--avec une patte de chat dans le bec, se decida sagement a lacher son ennemi, apres l'avoir puni de la belle maniere. [Illustration: Tom poussa un cri de detresse.] Tom jura, un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. VI ENCORE DES IMPRUDENCES Le pauvre Tom passa le lendemain de longues heures a lecher sa patte meurtrie et douloureuse. Le bon lieutenant Coquillard, fort afflige de la destruction de sa collection d'oiseaux, mais trouvant avec raison qu'il y avait beaucoup de sa faute dans cet irreparable degat, ne tint pas longtemps rancune a son cher petit chat. Et meme, au contraire, la vue de la plaie sanglante de l'animal fit jaillir de nouvelles sources d'indulgence dans le coeur du vieux marin. Il se fit medecin de son favori, et il obtint du chirurgien du _Neptune_ des bandes de toile et des baumes precieux qui amenerent promptement la convalescence du blesse et sa guerison complete. Le soin qu'il prit de la petite bete lui fit meme un peu oublier que le commandant lui devait une revanche, et que ce meme commandant brulait du desir de payer sa dette. Enfin, par une radieuse matinee, le jeune Tom, evitant soigneusement de passer devant la porte du conseil, ou le perroquet vainqueur ne cessait de celebrer son triomphe a tue-tete, monta lentement, tres lentement, avec des allures d'invalide, l'escalier de l'arriere. Il reparut sur le pont aux acclamations de la foule, au fait de ses aventures guerrieres, et charmee de le revoir sain et sauf apres un terrible combat. Puis chacun retourna a ses affaires, a son cigare ou a son travail, et monsieur Tom reprit tranquillement le cours de ses promenades perilleuses, dans les embarcations suspendues aux flancs du navire, ou a travers les enflechures. Les enflechures sont les echelons de corde des haubans, ces gros cables qui relient les bas mats aux bordages. Personne ne songeait plus a Tom, lorsqu'un mousse, levant par hasard les yeux en l'air, apercut l'animal rampant avec des precautions infinies sur le bout extreme d'une vergue, laquelle etait armee d'une fleche, je ne sais pas pourquoi. Sur le fer de la fleche, et tournant le dos au chat, qui s'avancait sans faire plus de bruit qu'une mouche, une petite mouette ou plutot un guillemot se reposait innocemment. [Illustration: Sur le fer de la fleche et tournant le dos au chat...] Couvant le leger oiseau de mer de son oeil dilate par des impatiences et des angoisses de chasseur, le chat tendait insensiblement son echine comme un arc, et s'appretait a bondir sur sa facile proie. --Il est bien plus petit qu'un perroquet, pensait le traitre; il ne m'echappera pas! Il est evident que, pour faire plaisir a monsieur Minet, et pour l'aider a prendre sa revanche, le charmant guillemot aurait du certainement patienter un peu sur la fleche. Il l'aurait peut-etre fait avec plaisir en toute autre occasion, mais seulement, ce jour-la, le voyageur aile avait, je ne sais pas ou, un rendez-vous pris depuis longtemps, et auquel il ne pouvait arriver en retard sous peine d'impolitesse. Et l'heure de partir sonna pour lui precisement a l'instant meme ou maitre Tom prenait son elan pour s'assurer si les petits oiseaux sont plus dociles que les grands. VII LE BAIN Oui, malheureusement, le guillemot avait un rendez-vous quelque part, et il lui etait impossible d'y manquer. Il s'envola donc sans prendre conge de personne, tout a coup. Certes, Tom avait bien pris ses mesures; mais, vous savez, faute d'un point Martin perdit son ane. Or, dans l'affaire qui nous occupe, quand le point que visait Tom vint a lui faire defaut, Tom, helas! perdit a la fois sa proie et--ce qui est plus grave--son equilibre. Depasser le but, c'est souvent manquer la chose. Tom manqua la chose et depassa le but. Or, comme il etait poste a l'extremite d'une grande vergue qui planait au-dessus de la mer, il fit, apres avoir peut-etre essaye, mais bien vainement, de suivre ce guillemot dans son vol, une chute enorme, suivie d'un plongeon prodigieux dans les flots azures. Patatras! plouf! L'entree subite de Tom dans le monde sous-marin se fit avec un grand eclat, sans doute, et les poissons qui suivaient le _Neptune_ en furent positivement emerveilles. Le bruit de sa chute, que signala immediatement de son cote le mousse observateur, mit l'equipage et les passagers en grand emoi. --Un chat a la mer! s'ecria le mousse. [Illustration: Patatras! plouf!] A peine avait-il parle ainsi, qu'un matelot s'elanca a l'arriere, un harpon a la main. --Ce doit etre ce pauvre Tom! dit piteusement le lieutenant Coquillard, attire sur le pont par la rumeur generale, et dont le visage etait blanc comme la barbe. Puis, serrant dans sa poche le domino--toujours un _double-six!_ qu'il tenait encore a la main quand il avait gravi, quatre a quatre, l'escalier du pont, le lieutenant gemit: --Vingt francs a celui qui le repechera! A ces mots, il y eut comme un _steeple chase_ de matelots, du cote de l'arriere ou l'infortune Tom, tombe a l'avant, devait fatalement reparaitre et passer peut-etre a portee des cordes, des lignes et des perches qu'on s'empressa de couler a l'eau ou de tendre a sa surface. Puis chacun attendit, en grand silence. Moment de supreme anxiete! Les poissons purent alors contempler a leur aise, s'ils sont curieux, de nombreuses tetes humaines rangees au-dessus des lisses, sondant du regard avec stupeur le mystere des tenebreuses profondeurs salees. --Le voila! hurla enfin une voix rauque. Un long hourra repondit a ce cri et tous les coeurs furent soulages. L'instant d'apres monsieur Tom, pris a la peau du cou par le croc d'un harpon, aux environs des chaines du gouvernail, etait hisse a bord, gonfle comme une eponge et ruisselant comme un torrent. [Illustration: Monsieur Tom, pris par la peau du cou...] Le passager auquel nous devons les aimables croquis qui illustrent cette histoire aussi authentique que touchante, a retrace la scene dans tous les details de son horreur aquatique. Regardez l'image ci-contre, ames sensibles, et plaignez le pauvre Tom! VIII SAUVE! Tom repeche, et repeche comme vous pouvez le voir, c'est-a-dire avec infiniment plus de promptitude que de precaution (mais qui aurait le coeur de s'en plaindre?), fut depose sur le pont du _Neptune_ dans un etat tres voisin de la syncope. De plus, il avait perdu les quatre cinquiemes de ses graces. Ce n'etait plus, aurait dit le poete Racine, Qu'un horrible melange. De poils et de varechs inondes d'eau jaunatre Bien fait pour effrayer le public d'un theatre. [Illustration: Le marin n'en fit ni une ni deux.] Le matelot qui avait arrache Tom a la fureur des flots, fut charge par le lieutenant Coquillard d'exprimer delicatement l'eau dont l'imprudent chasseur etait tout imbibe. Le marin n'en fit ni une ni deux; il se devoua, et, ne pouvant le tordre comme un linge mouille, il le secoua comme une salade trop humide. Cela fait, et comme le soleil etait chaud et brillant, il lanca l'animal ahuri sur le prelart goudronne qui sert d'ombrelle immense aux passagers de la premiere chambre pendant les ardeurs de l'ete. Or, on etait en ete. Et c'etait bien heureux pour le pauvre cher petit revenant! [Illustration: Il lanca l'animal ahuri.] Le bain qu'il avait pris dans de l'eau tiede fut sans consequence pour lui, et, d'autre part, en moins d'un quart d'heure il fut completement seche sur la banne brulante ou son sauveur l'avait envoye avec aussi peu de ceremonie que s'il eut ete un paquet de cordages. Par exemple, quand il eut fini de peigner et de lisser sa fourrure, que la catastrophe avait peut-etre un peu mise en desordre, Tom se sentit tous les symptomes d'un appetit formidable et qui demandait a etre immediatement satisfait, toute affaire cessante! Rien ne creuse l'estomac comme la mer, de quelque maniere qu'on la goute. IX INTEMPERANCE Sans perdre une seconde en reflexions vaines, et plus gaillard que jamais, le celebre chat du _Neptune_ sauta prestement a bas de son vaste hamac goudronne, et se derobant aux caresses de tous, bien qu'il en fut a la fois touche et flatte, il se rendit directement, par les voies rapides, dans la cabine de son cher ami le lieutenant. On venait justement d'apporter a celui-ci les elements d'un dejeuner frugal, mais appetissant, compose d'oeufs a la coque et de cafe au lait. Ces mets confortables, sans oublier le pain et le beurre (un beurre tres sale, par exemple!), reposaient sur l'unique gueridon du lieutenant, recouvert d'une nappe blanche pour la circonstance. --Tout va bien! se dit le chat; le couvert est mis. Il grimpa sur la table, flaira le pot a lait d'ou s'echappait une odeur agreable, et s'assit pour attendre patiemment--rendons cette justice au petit Tom--l'arrivee de son maitre. Or ce maitre adore venait d'etre appele, helas! en conference par son commandant, et cette fois il ne s'agissait pas de dominos. Il s'agissait du prochain debarquement. La conference n'en finissant pas, maitre Tom, qui mourait de faim, se crut autorise a prendre quelque petite avance sur le repas futur. [Illustration: Il grimpa sur la table.] Il insera delicatement sa tete ronde dans l'ouverture du pot a lait, resolu a ne prendre du liquide bienfaisant que la largeur de sa langue, une petite langue rose, rude comme rape. Mais l'appetit lui vint en mangeant, ou plutot en lappant, et il se mit a boire avec une effrayante avidite, enfoncant sa tete de plus en plus dans le pot a lait. Quand il voulut la retirer, impossible. La tete avait pu etre introduite dans un certain sens, mais le col du pot se refusait absolument a la laisser sortir dans un autre sens. De la, de la part de Tom, que le pot coiffait comme un casque, des efforts inouis pour s'echapper--par la tete du moins--de l'impasse de faience (ou de porcelaine) ou il s'etait si imprudemment engage dans son avidite. On devine les effets qui peuvent resulter sur une table servie, des efforts d'un chat qui se croit perdu. [Illustration: On devine les effets qui peuvent en resulter.] Il se produisit un cataclysme domestique tout a fait pittoresque, au point de vue de l'art, mais qui aurait mis la mort dans l'ame d'une bonne menagere. Il y eut, dans la cabine du lieutenant Coquillard, une espece de bruyante avalanche, dont les flots roulaient des assiettes, un couteau, une fourchette, plus un chat empote, crispant ses griffes sur une nappe qui cede et ne rompt pas, plus un coquetier, des oeufs casses et une honnete cafetiere, perdant soudain le centre de gravite. [Illustration: Il se produisit un cataclysme.] X LE PORT APRES LA TEMPETE Quand le lieutenant Coquillard revint dans sa cabine, en caressant l'espoir de manger enfin un oeuf, un peu durci peut-etre et beaucoup refroidi sans doute, mais bien agreable a gober tout de meme lorsqu'on n'a rien dans l'estomac depuis le matin, il vit le navrant tableau ci-contre, que nous renoncons a decrire! Ici, comme en beaucoup d'autres occasions d'ailleurs, la plume s'efface avec plaisir devant le crayon. Le petit Tom, gorge de lait, a moitie asphyxie, les griffes toutes douloureuses encore de s'etre cramponnees a la nappe, se trainait en gemissant au milieu d'innombrables debris, fruit de ses exploits, sur le tapis du lieutenant. --Misericorde! s'ecria le brave Coquillard; mais ce chat a donc le diable au corps! Et il ajouta: --Aurait-on eu tort d'arracher cet animal par trop fantaisiste a l'epave sur laquelle il flottait? Un bienfait sera-t-il donc perdu? Mais le lieutenant songea que le pauvre petit Tom etait jeune, bien jeune, qu'il n'etait qu'un chat sans education, prive de bonne heure de son papa et de sa maman et eleve par des matelots qui, certes, n'etaient pas des professeurs de bon ton et de belles manieres. Il songea encore que, lui-meme, apres avoir adopte le petit naufrage, il l'avait bien souvent trop gate, qu'il l'avait laisse seul, livre a toutes les tentations. Bref, le lieutenant Coquillard prit philosophiquement son parti de la chose, se passa de dejeuner, mit de l'ordre lui-meme dans sa cabine, afin de voiler de son mieux les folies de son favori, produites par ses propres negligences et par sa trop grande faiblesse, et se promit de le mieux surveiller a l'avenir. Puis il monta sur le pont. Le Havre etait en vue. Alors maitre Tom, tout moulu, tout contusionne, chercha un bon petit coin pour s'y reposer de ses fatigues jusqu'a l'heure de l'arrivee au port. D'abord, il essaya de se mettre en boule dans le creux d'un fromage anglais, le _stilton_, fromage entoure d'un linge mouille pour en maintenir la pate humide, et dans l'interieur duquel on puise avec une cuiller. [Illustration: D'abord il essaya de se mettre en boule.] Quelle idee etrange! C'etait moelleux comme couchette, mais cela sentait bien mauvais, oh! bien mauvais! Aussi, apres trois minutes de sejour dans l'interieur du stilton, monsieur Tom abandonna ce lit baroque et puant, en faisant: --Pouah! [Illustration: Un etui double de flanelle rouge...] Il apercut alors, sur une planche, et par un singulier hasard, tout grand ouvert (encore une negligence du lieutenant Coquillard!), l'etui d'un vieux tricorne que l'officier portait quand il etait dans la marine militaire; Un etui double de flanelle rouge du plus engageant aspect et de forme commode, surtout pour un chat! Monsieur Tom s'y blottit et s'y endormit enfin. Nous l'y abandonnerons pour l'instant. FIN * * * * * TABLE DES MATIERES I.--Apparition de Tom. II.--Enchantement du lieutenant Coquillard. III.--Revers de la medaille. IV.--Voyage de decouvertes. V.--Qui s'y frotte s'y pique. VI.--Encore des imprudences. VII.--Le bain. VIII.--Sauve. IX.--Intemperance. X.--Le port apres la tempete. End of the Project Gutenberg EBook of Le Chat du Neptune, by Ernest D'Hervilly *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CHAT DU NEPTUNE *** ***** This file should be named 10289.txt or 10289.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.net/1/0/2/8/10289/ Produced by Christine De Ryck and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, compressed (zipped), HTML and others. Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving new filenames and etext numbers. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.net This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, are filed in directories based on their release date. If you want to download any of these eBooks directly, rather than using the regular search system you may utilize the following addresses and just download by the etext year. http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext06 (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are filed in a different way. The year of a release date is no longer part of the directory path. 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